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L’étymologie des caractères chinois décrit l'origine des signes employés par l'écriture chinoise, c'est-à-dire la manière dont ils ont été composés ou dérivés, en relation avec leur sémantique originelle.
Tous les caractères chinois sont des logogrammes, mais on peut en distinguer plusieurs types, suivant leur étymologie. Un petit nombre sont des pictogrammes (象形 pinyin : xiàngxíng) ; un plus grand nombre sont des idéogrammes au sens strict (指事 zhǐshì), généralement composés (會意 huìyì) ; mais une écrasante majorité sont des composés nommés idéophonogrammes (形聲 xíngshēng).
Les systèmes de classification traditionnels distinguent de plus les emprunts phonétiques (假借 jiǎjiè) et les dérivations (轉注 zhuǎn zhù). Les universitaires modernes ont proposé divers systèmes de classification, rejetant certaines de ces catégories anciennes.
En préalable, il faut se rappeler qu'il n'y a pas une mais des langues chinoises (mandarin, cantonais...), qui partagent les mêmes caractères d'écriture. L'utilisation traditionnelle des caractères chinois s'étend même au-delà des limites de la Chine proprement dite, au Japon, mais aussi en Corée et au Vietnam.
Il est donc banal, pour un lettré lisant un caractère chinois, d'en comprendre le sens sans avoir à faire de référence à une prononciation particulière. Un caractère comme 道 est compris comme « chemin, voie, démarche », qu'il soit lu michi ou dō par un Japonais, dào par un Chinois mandarin, ou dạo par un Vietnamien. Dans ce cas particulier, la prononciation similaire garde la trace d'une origine unique, mais ce n'est pas toujours le cas : un caractère comme 日 est compris comme « soleil, jour », que ce soit par un Chinois cantonais qui le lit mì, un Chinois mandarin qui le lit rì, un Coréen qui le lit il, ou un Japonais qui le lit jitsu, nichi ou hi[1].
D'autre part, « savoir lire et écrire » n'a pas du tout le même sens pour un Occidental et pour un lettré chinois. Les systèmes alphabétiques occidentaux sont pour l'essentiel un système de codage phonétique de la langue parlée : une fois qu'un élève occidental sait son alphabet et quelques principes de lecture, ce qui prend à peine une année, il « sait lire et écrire » dans le sens où il est capable de décoder un texte écrit et d'écrire un texte intelligible (aux difficultés d'orthographe près). L'élève chinois apprend rapidement le tracé des principaux éléments de caractère, les règles de composition graphique des caractères composés, mais cet apprentissage étant fait il ne sait pas pour autant « lire et écrire » le chinois : même pour le plus fin des lettrés, il est impossible, au vu d'un caractère jusqu'à présent inconnu, de prévoir comment il doit se lire ; et il lui reste impossible de mettre par écrit un mot rare de sa langue parlée s'il ne l'a pas déjà vu et étudié sous sa forme écrite. Un lettré n'a jamais fini d'apprendre à écrire. En réalité, l'écriture chinoise n'est donc pas une écriture au sens occidental, mais une langue complète, dont le vocabulaire ne peut se deviner et doit être appris mot par mot.
Enfin, les caractères chinois servent aujourd'hui principalement à retranscrire le chinois mandarin, langue officielle de la Chine à l'ONU. Mais il ne faut pas réduire pour autant le sens d'un caractère à celui qu'il prend en mandarin. En outre, le chinois mandarin tend à s'appuyer sur des mots composés, alors que l'écriture classique associe un caractère à chaque mot ; l'interférence entre ces deux approches peut entraîner des confusions sur ce qu'est un mot en chinois, suivant qu'on s'intéresse aux caractères ou à la langue.
L’étude étymologique des caractères chinois, objet du présent article, ne traite que de l'évolution de la forme et du sens de ces caractères — pas de leur prononciation — et s'appuie avant tout sur les formes et les sens classiques ou archaïques pertinents pour une telle analyse.
L'étude étymologique proprement dite est donc indépendante du pinyin ou des caractères simplifiés que l'on rencontre dans le mandarin moderne. Pour ces raisons, les discussions de cet article ne porteront que sur les formes, et sur les sens du chinois classique, l'étymologie des caractères simplifiés étant suffisamment traitée par ailleurs.
Les mots d'une langue ne sont pas permanents, les évolutions de la langue et de la pensée conduisent partout à des évolutions de sens et à des changements de prononciation continus. Mais « les paroles s'envolent, les écrits restent » : la forme mise par écrit à un moment donné restera lisible en l'état pour les générations futures.
Dans le cas d'une langue alphabétique, la mise par écrit, suivant les conventions phonétiques de la langue de l'époque, n'est qu'une conséquence relativement triviale de sa forme parlée, et qui n'implique généralement pas de signification particulière. La forme écrite peut suivre une « orthographe » qui ne se décalque pas toujours strictement sur la phonétique : l'orthographe reflète un état antérieur de la langue (comme souvent en anglais), et est parfois justifiée par des considérations étymologiques (comme souvent en français), voire par de fausses étymologies. Mais les sens anciens tombés en désuétude restent associés aux graphies anciennes, et l'évolution orthographique finit par associer les sens nouveaux à des orthographes nouvelles.
Les évolutions orthographiques existent pour les caractères chinois, mais présentent un caractère original. La plupart des caractères présentent des « variantes graphiques » par rapport à la graphie correcte, qui est une « ortho-graphie » au sens littéral du terme. Ce qui fait qu'une graphie est correcte, c'est avant tout qu'elle est celle reçue par la tradition, et assez généralement parce qu'elle correspond à une étymologie plus ou moins plausible de la formation du caractère. La « faute d'orthographe » pour un caractère chinois est le tracé erroné qui obscurcit le lien avec l'étymologie. La règle générale du système d'écriture chinois est que la mise en forme graphique d'un mot chinois est déterminée avant tout par son sens, la phonétique n'intervenant que partiellement, ou pas du tout[2].
Pour les caractères chinois, les évolutions de la langue peuvent modifier la phonétique d'un mot, mais c'est généralement sans incidence sur le caractère, qui n'a pas de relation nécessaire à la langue parlée, et peut recevoir des prononciations très variées dans les différents dialectes chinois sans cesser d'être perçu comme le « même » mot[2]. Comme partout, en chinois, les sens nouveaux se superposent sur le mot ancien, conduisant à des sens de plus en plus étendus, sans solution de continuité avec une polysémie véritable. Mais dans la mesure où le caractère chinois reste graphiquement invariant aux évolutions phonétiques, la superposition des sens n'est que rarement résolue par la création d'un nouveau mot.
De ce fait, pour le lettré, les caractères chinois traduisent très souvent un nuage de sens, qui peut être très étendu. De tels nuages seront perçus comme polysémiques par des Occidentaux, mais pas nécessairement par des lettrés chinois, qui continueront d'y voir le « même » mot dans des contextes différents : structuralement, ce rapport entre langue orale et langue écrite fait que le « mot » que recouvre le caractère n'est (du coup) que faiblement déterminé sur le plan sémantique[2].
Au cours des siècles, les sinogrammes ont beaucoup évolué, tant quant à leur tracé (et parfois leur composition) qu'à leur signifié. Ainsi, l'analyse étymologique d'un caractère chinois s'intéressera aux questions suivantes :
Cette analyse étymologique doit s'appuyer sur la cohérence de deux types de sources :
La vérité en matière d'étymologie est celle qui conduit à des résultats utiles[5] : un tracé qui est expliqué par un sens primitif et dont on peut dériver de manière intelligible des sens classiques et modernes.
« L'analyse des caractères chinois [...] révèle plutôt des hommes très simples, des choses très naïves, une très haute Antiquité. »[6] La reconstitution des étymologies permet de reconstituer des détails de ce qu'était la vie des Chinois quand l'écriture a été inventée, il y a quatre à cinq mille ans.
Par exemple, le caractère 兄 montre clairement une bouche (口) en haut d'un homme à genoux (儿),... (vous ne voyez ni une bouche, ni un homme à genoux ? c'est normal, le tracé a évolué, allez regarder le tracé d'origine dans la rubrique "étymologie" du dictionnaire) - mais pourquoi cette association signifierait-elle « aîné, frère aîné » ? La clef du mystère apparaît dans les graphies oraculaires, les plus anciennes disponibles grâce à l'archéologie, où l'on voit que c'est le même caractère d'origine qui a également donné 祝, dont un des sens est « Celui qui, dans la cérémonie du sacrifice ou des offrandes, lisait des panégyriques en l'honneur des esprits, leur adressait des demandes, recevait et transmettait leurs réponses »[4]. Puisque ces deux choses sont confondues dans l'écriture originelle, c'est qu'à l'origine de l'écriture, c'était le rôle de l'aîné de la famille que de présider ainsi aux sacrifices - même si cette dualité du rôle n'apparaît plus dans les sens qui ont été conservés. Par la suite cette fonction de liturge n'a plus été attachée au rôle d’aîné et les deux caractères ont divergé, celui correspondant au rôle cérémoniel recevant la clef de la transcendance (示), pour le distinguer du sens d' « aîné », avec lequel il n'avait plus aucun rapport sémantique.
Le plus ancien ouvrage d'étymologie chinoise qui nous soit parvenu est celui de 許慎/许慎 Xú Shěn (58-147 de notre ère) dans son 說文解字Shuōwén jiězì.
Le titre du livre se traduit classiquement par « Origine des pictogrammes et explication des caractères composés ». Il se trouve que le caractère désignant spécifiquement un « caractère simple » est 文 (wén), lui-même caractère simple ; et celui désignant spécifiquement un « caractère composé » est 字 (zì), lui-même composé. Ces sens spécifiques résultent peut-être de l'opposition faite entre les deux par le titre même de l'ouvrage ; mais le sens d'origine n'était pas celui-là[7]. Cette ambiguïté est inhérente au chinois classique, où les caractères sont très souvent polysémiques. Le titre signifie plus probablement « Explication (說) de la forme graphique (文) et dissection (解) de leur production (字) »[7], conformément à ce que réalise un ouvrage d'étymologie.
Cet ouvrage classique distingue six catégories de caractères, en faisant le parallèle avec les 六書, liùshū, « six mises par écrit »[8]. Cette expression n'est pas une création de Xú Shěn, elle apparaît déjà dans le livre des rites des Zhou. Quand par la suite Liu Xin (en) édita cet ouvrage, il écrivit une glose sur le terme liùshū en donnant une liste de « six mises par écrit », mais sans donner d'exemple[9],[10].
Le terme désigne initialement six genres littéraires[11] : quand les enfants nobles atteignaient l'âge de huit ans, ils commençaient à étudier l'écriture à travers ces six genres littéraires : 指事 Exposer une affaire (enseignement) ; 象形 Donner l’idée d’une apparence (rapport) ; 形聲 Faire apparaître une musique (poésie) ; 會意 Faire connaître sa volonté (contractuel) ; 轉注 Changer les idées (divertissement) ; 假借 Réfuter un argument (polémique).
Xú Shěn reprend cette liste en jouant sur la polysémie des termes, pour l'appliquer à la formation des caractères. À chacun des six termes il associe deux vers de quatre caractères, et donne deux exemples. Cette nomenclature devenue traditionnelle, bien qu'ancienne et maintenant dépassée, reste cependant pratique et simple à comprendre.
La critique classique faite à cette classification est qu'elle n'est pas homogène : elle mélange des notions de formation de caractères et d'évolution. Ainsi, par exemple, 萬 représente à l'origine un scorpion (pictogramme) mais est également utilisé pour signifier « dix mille » (sens emprunté).
Ces six catégories se regroupent naturellement par paires :
Pendant longtemps, l'analyse de l'étymologie des caractères chinois, et en particulier des caractères composés (字), est restée celle du liushu 六書 de Xú Shěn : la composition de plusieurs éléments de caractère en un même ensemble peut refléter soit une « réunion sémantique » (會意 huìyì), c'est-à-dire un idéogramme au sens strict, soit une composition de « forme et son » (形聲 xíngshēng), c'est-à-dire non pas un idéogramme, mais en toute rigueur un idéophonogramme. Des générations d'universitaires l'ont utilisée sans en remettre en cause les hypothèses de base.
La prononciation du chinois archaïque est l'objet d'une branche de la phonétique historique qui se nomme en chinois, yīnyùnxué 音韻學. Aujourd'hui, à la suite des développements de cette discipline, la grande majorité des caractères chinois (plus de 90 %) sont considérés dans ces études comme des idéophonogrammes, où la raison d'être d'un constituant est simplement d'évoquer sa prononciation. L'argument à l’appui de cette thèse est fondé sur les travaux sur la phonétique chinoise ancienne, qui permettrait de conclure que tel ou tel terme a pu avoir une prononciation identique (ou similaire) au caractère composé (dans une prononciation nécessairement reconstituée, parce que prononciation archaïque d'une langue depuis morte...) - et que "donc" le terme est un idéophonogramme plutôt qu'un idéogramme. Toutefois, comme la prononciation du chinois a changé depuis que l'écriture a été créée, le lien entre prononciation et graphie a disparu pour certains d'entre eux.
Tang Lan (唐蘭) (1902–1979) a été l'un des premiers à remettre en cause le liushu traditionnel, en proposant son propre sanshu (三書 « Les trois voies des formations de caractères chinois » : il retenait comme voies effectives les pictogrammes (xiangxing 象形), les représentations de sens (xiangyi 象意) et les idéophonogrammes (xingsheng 形聲). Cette classification a fait l'objet de critiques par Chen Mengjia (en) (1911–1966) et Qiu Xigui, qui proposèrent leur propre classification de sanshu (三書).
La controverse des universitaires occidentaux sur la nature (phonétique ou sémantique) des caractères composés est née dans les années 1930, avec les débats entre H.G. Creel (en) et Peter Boodberg (en)[12]. Pour le premier, ces compositions étaient purement idéogrammiques ; il semble même avoir été convaincu que durant la période classique, ces composés n'avaient aucune signification phonétique se référant à un langage parlé[9]. Boodberg, au contraire, considérait que les caractères complexes traduisaient une problématique phonétique[9],[13].
Le débat a atteint une tension extrême à la suite de la thèse de Peter A. Boodberg (en) et William Boltz, minimisant la possibilité d'existence de composés sémantiques par rapport à la production phonétique, production jugée par eux prédominante, voire exclusive[14]. Pour Boltz il n'y a pas d'exemple réel d'idéogramme composé ; les caractères chinois qui ne sont pas de simples pictogrammes sont tous des idéo-phonogrammes[9],[14]. Boltz adopte un point de vue radical (mais discutable) de la thèse de Boodberg, en affirmant que l'écriture chinoise était en train d'évoluer « normalement » vers un système phonétique, mais que ce développement s'est arrêté en cours de route[9].
« L'évolution du système graphique chinois ne comprend pas de notre point de vue de caractère composé qui n'aurait pas d'élément phonétique dans sa composition. Si nous ne pouvons pas identifier ce lien phonétique, c'est par une limitation de notre connaissance, non le signe que ce principe serait invalide[14]. »
Pour Boltz, les caractères composés sont toujours en réalité des caractères idéo-phonétiques, mais qui peuvent le cas échéant s'appuyer sur une prononciation alternative qui n'a pas par ailleurs laissé de trace. Pour lui, les cas indécis de séries phonétiques très hétérogènes correspondent à des cas où un même caractère représentait plusieurs mots différents ayant des prononciations différentes, comme c'était le cas dans les écritures cunéiforme des Sumériens ou les hiéroglyphes de l'Égypte antique.
Il donne comme exemple le caractère 安 ān < *ʔan (la paix), généralement interprété comme composé d'une femme sous un toit suivant un mécanisme d'idéogramme (voire une représentation quasi-pictographique en tableau). Pour justifier sa thèse, Boltz suppose que le caractère 女 peut en réalité représenter aussi bien la vocalisation nǚ < *nrjaʔ (« femme ») que la vocalisation ān < *ʔan (« réglé, résolu ») ; et que la clef sémantique du toit a par la suite été ajoutée, pour spécifier cet usage secondaire. En appui à sa spéculation, il invoque le cas d'autres caractères présentant ce même composant de caractère 女, et qui avaient des prononciations similaires en chinois archaïque : 妟 yàn < *ʔrans (« disparaître pour la sieste »), 奻 nuán < *nruan (« se quereller, ratiociner ») et 姦 jiān < *kran (« libertinage »)[15].
Dans la lignée de ces travaux, une grande partie des caractères composés ont été présentés comme "idéophonogrammes", excluant l'hypothèse d'un idéogramme.
Cette explication sur les lectures alternative a été rejetée par d'autres universitaires, qui considèrent que d'autres explications plus simples paraissent plus probables. Par exemple, 妟 est peut-être une forme abrégée de 晏, qui dans ce cas peut être analysé comme un idéophonogramme, mais avec 安 comme élément phonétique. D'autre part, il est très improbable que les caractères 奻 et 姦 soient des composants phonétiques, à la fois pour des raisons structurelles (ce sont des caractères répétés) et parce que la différence de consonne initiale *ʔan / *nruan ne permettrait normalement pas de retenir le caractère dans un composé phonétique[9].
Dans le cas des caractères chinois, la frontière entre ces deux systèmes de formation est nécessairement floue. L'approche extrémiste de Creel, affirmant que tout n'est que sémantique, ne reçoit plus guère de soutien de nos jours[15]. La vision moderne est que le système graphique chinois a été créé en phase avec ce que la langue de l'époque prononçait ; et personne ne conteste que par la suite, la langue parlée a évolué vers les formes de 白话 (bái huà, langue courante). Certes, la langue littéraire (wén yán, 文言) a perdu contact avec le langage phonétique (au point de ne plus être compréhensible à un auditeur moderne quand elle est lue à haute voix)[9] ; mais cette divergence ne signifie pas nécessairement qu'il n'y a pas eu d'étymologie fondée sur la phonétique.
S'il s'agit de rendre compte d'étymologie, et dans la mesure où une dérivation sémantique est réaliste, il est important de le mentionner, quitte le cas échéant à indiquer de plus que la dérivation peut avoir été influencée par des considérations phonétiques - mais par lui-même, ce point demande à être prouvé. Inversement, un rapport étymologique fondé sur le sens ne demande qu'à démontrer la sémantique des éléments concernés, ce qui permet une vérification généralement immédiate. De ce fait, et eu égard à cette nécessité de vérification, l'option prise par cet article a été de privilégier l'approche "idéogramme", sans que cela doive être interprété comme une négation de l'approche "idéophonogramme", qui peut évidemment être mentionnée dans la mesure où les références phonétiques sont référencées et ne sont pas contestables par ailleurs.
Les explications données par le Shuōwén jiězì (說文解字) se fondent sur les sens et les tracés graphiques connus à l'époque de Xú Shěn, c'est-à-dire au premier siècle de notre ère. À cette époque, cependant, les tracés des caractères avaient déjà été standardisés et stabilisés depuis plus de deux siècles dans la forme du petit sigillaire (小篆), et l'écriture des clercs (隶书), prototype des formes modernes, était en train d'apparaître. D'autre part, les caractères simples ou composés hérités de l'écriture oraculaire (甲骨文) avaient déjà vu leur sens évoluer depuis leur apparition, c'est-à-dire un millénaire et demi.
De ce fait, bien que l’entreprise de Xú Shěn a été liée à l’idée confucéenne que l’emploi de mots justes (正名 zhèngmíng) est nécessaire pour bien gouverner, comme l’auteur le rappelle dans la postface, ses explications sont assez souvent sans rapport avec les compositions et tracés que révèle à présent l'archéologie dans les inscriptions sur bronze et les inscriptions oraculaires[9].
Par exemple, le caractère 妻 (expliqué par Xú Shěn par « 婦與夫齊者也。从女从屮从又。又,持事,妻職也 », « le rôle de la femme est aussi de tenir ces choses »[16]) est traditionnellement interprété[17],[6] comme représentant en bas la personne féminine (女), qui tient en haut dans sa main (肀) quelque chose, traditionnellement un balai ou un plumeau (屮 en haut réduit à 一) : car, dit la glose, c'est la femme qui a soin de l'intérieur - de là la signification : « l'épouse ».
Mais cette étymologie classique pose problème par rapport à la formation habituelle des tableaux. Dans cette composition, la disposition des éléments de caractères est incohérente, le balai (ou le plumeau) correspond à la composition 帚, où la main tient quelque chose qui pend vers le bas. L'explication s'appliquerait correctement au caractère 婦 (femme au foyer, femme de ménage) mais est forcée pour 妻 : ce qui différencie étymologiquement ces deux caractères n'est pas expliqué.
De fait, cette explication ne correspond pas à la composition primitive. Le tableau que l'archéologie découvre dans les inscriptions sur bronze montre plus précisément une main qui empoigne (肀) les cheveux (屮) de la femme (女), donc rien à voir avec un balai. Mais pourquoi un tel tableau signifierait-il une épouse ? Une interprétation hâtive[18] est alors que pour les anciens chinois, l'épouse est celle que l'on traîne par les cheveux (geste marquant sa possession). Mais cette interprétation caricaturale et digne des clichés cro-magnonesques ne paraît pas étayée, on ne voit pas pourquoi la jeune épouse subirait un traitement graphique plus rude que celui de l'esclave (奴), que la composition graphique montre simplement soumise à la main de son maître.
L'analyse des sens classiques montre[4] que le caractère signifie également le fait de donner sa fille à marier ; et la forme graphique des inscriptions sur bronze est parallèle à celle des formes anciennes de 叒 et 若, montrant une femme se coiffant. Le tableau d'origine représente très probablement une femme que l'on coiffe pour son mariage, c'est-à-dire en train de recevoir sa coiffure traditionnelle de femme mariée (que l'on voit sur la forme primitive de 妾, concubine). Le sens primitif ne serait donc pas celui de « femme mariée » (sens principal moderne du caractère), mais plutôt de « jeune femme se mariant » (sens secondaire classique), l'épousée plutôt que l'épouse.
Toutes fausses qu'elles soient, ces étymologies traditionnelles ou populaires restent intéressantes pour l'apprentissage de la langue, parce qu'elles reflètent souvent mieux l'état moderne du caractère et sont de ce fait une aide mnémotechnique. « Ce qui nous importe ici est de comprendre le système mnémonique général. Or, dans ce cas, les gloses erronées sont bien plus constitutives de ce système, depuis deux millénaires, que les vérités archéologiques découvertes depuis 1925. »[2]
Deux exemples, où le sens étymologique de « peigner » s'étant perdu, l'image primitive n'était plus comprise, montreront l'importance de l'étymologie perçue pour l'évolution du caractère :
Scène d'origine |
若 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Ce premier caractère 若 montre à l'origine l'image primitive d'une forme féminine à genoux (comparer avec la base de 女), qui lève deux mains (艸) sur ses cheveux (屮 comparer avec 妻, simplifié en 又) probablement pour les peigner, activité quotidienne d'entretien de la femme. D'où le sens de : « donner à quelque chose (ici les cheveux) les soins convenables »[4], de manière suivie et continue.
Les déformations du caractère ont conduit à le décomposer en trois « mains ». D'autre part, par extension, le sens s'est spécialisé sur le soin donné au bétail, le sens premier s'était très rapidement perdu. Aussi trouve-t-on fréquemment (et dès les inscriptions oraculaires, dans sa variante archaïque 叒) l'apparition dans la composition de la bouche (口), signifiant ici que le caractère est perçu comme un « emprunt » : le dessin est celui d'une jeune femme, mais le sens est celui de « cueillir »[4].
Du coup, le tableau a été réinterprété comme représentant une main (又 déformée en 𠂇) apportant des herbes (艸 transcrit 艹) à la bouche (口) du bétail : la récolte de plante comestibles, activité quotidienne permanente du chasseur-cueilleur et de l'éleveur nomade. D'où le sens de : donner à quelque chose (bétail, activité) les soins convenables, de manière suivie et continue. L'idée de cueillette a conduit à réinterpréter les déformations sous forme d'un groupe de trois mains (又) dans la version archaïque 叒 : la cueillette est une activité qui met à contribution toutes les mains disponibles (spécifiquement la cueillette des feuilles de « mûrier »[4] pour nourrir les vers à soie, autre sens de 叒 plus tard recontextualisé avec la clef de l'arbre pour former le caractère 桑).
Scène d'origine |
每 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Le caractère 每 avait à l'origine un graphisme similaire, où la jeune femme, retrouvait sa position de « jeune fille » les bras croisés au lieu de lever les mains. L'image est la même : c'est tous les jours qu'une femme doit se coiffer, d'où le sens de : donner à quelque chose (ici les cheveux) les soins convenables, de manière suivie et continue. C'est ce caractère qui a récupéré le sens de « soins quotidien » appliqué à un être humain.
Par la suite, le lien avec la coiffure s'étant rompu, les bras croisés de la jeune fille ont été interprétés comme la poitrine de la jeune mère allaitante, explicitée graphiquement en rajoutant deux points (pas toujours présents), avec le même sens : c'est tous les jours qu'il faut allaiter son enfant, ce sont les soins ordinaires. Mais dans ce tableau, les cheveux (qui comme précédemment étaient lus comme une plante 屮, parfois doublées en herbe 艸) ne correspondaient plus à rien : quel rapport avec la plante? D'où l'étymologie artificielle expliquant que la composition évoque à l'origine plante (屮) luxuriante (母), ce qui en ferait une version archaïque de 繁 ; et/ou que 母 (mou) est pris comme phonétique du mot (mei).
C'est cette fausse étymologie qui explique des composés ultérieurs. L'image étymologiquement incorrecte de la mère allaitant donne 毓 « Nourrir, former » ; et l'interprétation traditionnelle de « plante luxuriante » conduit aux composés : 䋣, 緐 et 繁 « Végétation luxuriante » (qui pousse quotidiennement, à vue d’œil, et est gavée de sève comme un bébé de lait).
Personne ne comprend avec certitude ce que Xú Shěn entendait par 轉注, mais le couple de caractères qu'il fournit en exemple illustre bien ce qu'est l'assimilation graphique.
Scène d'origine |
老 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Le caractère 老 (lăo ), qui signifie « vieux », est à l'origine une image déformée d'un vieillard s'appuyant sur sa canne : En haut, la partie 土 est une forme altérée de 毛, désignant de longs cheveux ou une barbe ; et le trait oblique 丿 est le reste d'un 人 primitif, l'ensemble 耂 représentant un être humain et ses cheveux. En bas, 𠤎 est la déformation de la canne : le caractère n'existe pas de manière autonome, et a plus tard été interprété comme l'abréviation de 化, qui exprime « une transformation », pour aboutir à l'interprétation étymologique fausse : l'âge où les poils blanchissent.
Scène d'origine |
考 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
De son côté, le caractère 考 (kǎo ) est à l'origine un idéogramme composé dérivé du précédent, montrant un vieillard (老 simplifié en 耂) qui a du mal à respirer (丂) parce qu'il a de l'asthme : l'image évoquée est celle d'un vieil asthmatique, signifiant quelqu'un d'avancé en âge, donc également « vieux ». Le sens du caractère a beaucoup dérivé depuis, ce qui est une autre question - il évoquait spécifiquement le vieil examinateur asthmatique des concours, d'où finalement le sens de « contrôler » : un vieux assis, plutôt qu'un vieux debout.
La mise en parallèle de ces deux caractères montre l'influence qu'ils ont eue graphiquement l'un sur l'autre : la forme simplifiée 耂 évolue de manière similaire dans les deux cas, conduisant à interpréter l'image du vieillard 老 comme un caractère composé, où ce qui était à l'origine une cane avait pris une forme étrange 𠤎, qui dans le cas d'un caractère composé devait être expliqué de manière indépendante, conduisant à l'étymologie fausse rappelée ci-dessus.
De son côté, l'élément de caractère 丂, qui s'articule normalement en faisant partir le deuxième trait sous le trait horizontal, a subi l'influence de 𠤎 où le trait horizontal part au contraire du segment vertical.
Dans ce cas, le parallélisme des formes graphiques a pu être accentué par la signification d'origine des deux mots, qui tous deux ont voulu dire « vieux ».
Certaines assimilations graphiques tendent à être systématiques. Ainsi, le bateau 舟 ou la chair 肉 tendent en composition à être assimilés à la forme graphique de la lune 月, plus simple[2].
Les pictogrammes proprement dits sont tracés de manière à représenter un objet matériel ou une scène réelle. Xú Shěn les qualifie de 象形 xiàngxíng « description de l'apparence »[4], ou plus littéralement (si on veut rire) « en forme d'éléphant » : 象 (qui signifie littéralement « un éléphant ») fait référence à la forme, la ressemblance (parce que qui a vu un éléphant reconnaît immédiatement un objet en forme d'éléphant) ; et 形 (qui signifie également la forme) désigne ici la manière de décrire.
L'analyse des formes graphiques (文, le « réseau de lignes ») oraculaires constitue l'essentiel de l'explication étymologique pour les caractères simples (文, « caractère non composé », autre sens du caractère) : dans leur cas, l'interprétation de leur sens ne peut pas s'appuyer sur celui des constituants. Et comme le montre l'exemple de l'éléphant ci-dessous, ces pictogrammes sont d'autant plus compréhensibles qu'on s'intéresse aux formes anciennes.
Scène d'origine |
象 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Xú Shěn place dans cette catégorie 4 % des caractères qu'il a traités. Le nombre de pictogrammes en écriture chinoise est d'environ 300, si l'on tient compte de ceux qui n'ont plus de valeur libre mais fonctionnent comme éléments de caractère[2].
Les pictogrammes sont en premier lieu les caractères dits simples. Par exemple l’œil (目, ), le soleil (日, ) ou encore la lune (月, ). Leurs explications sont parfois loin d’être explicites, mais pourtant très simples.
Ces composants simples peuvent être ajoutés les uns aux autres pour former des images composées, un idéogramme, ou des scènes plus complexes.
La principale difficulté dans l'analyse étymologique est d'identifier ce que signifie le tracé graphique (文, le réseau de lignes), dont la forme n'est plus figurative depuis longtemps. Les plus anciens caractères ont été écrits par des oracles sur des carapaces de tortue ou des omoplates de bœuf pour la scapulomancie. On les appelle jiǎgúwén 甲骨文. Il s'agissait déjà de représentation extrêmement conventionnelle (dont la forme était figée), mais qui restaient le plus souvent reconnaissable. Par la suite, leur formes ont plusieurs fois évolué, ainsi que leur utilisation.
On suit généralement très bien l'évolution du tracé graphique, que la technique du pinceau dévie brusquement sous l'empire Han, conduisant à la forme classique[2]. Par exemple, le chien (犬) est à l'origine un chien dessiné tourné de 90° vers la droite, mais le caractère a subi une évolution graphique qui le rend à présent méconnaissable. Comme l'indique le Shuowen Jiezi, 孔子曰:視犬之字,如畫狗也 (Confucius a dit : s'agissant du caractère 犬, on y voit la forme d'un chien)[14], d'où le commentaire classique : "Les anciens devaient avoir des chiens à l'aspect bien étrange".
Scène d'origine |
犬 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Scène d'origine |
牛 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Le bœuf (牛) a eu une histoire plus simple. Il a longtemps été caractérisé par ses deux cornes (et le trait horizontal figurant les oreilles). Le passage au pinceau, « rétif aux courbes »[2], a désarticulé la symétrie du tracé original. La même réduction des courbes se lit dans l'histoire du caractère 羊 « bélier ».
On peut de même suivre l'évolution des tracés graphiques dans les séries suivantes :
De même, forment par exemple une représentations directe de la chose : 竹 (bambou), 木 (arbre), 馬 (cheval), 鳥 (oiseau), 人 (homme), 日 (Soleil), 月 (Lune), 山 (montagne)... Le caractère 龜 (tortue) est intéressant en ce qu'il n'a pas fini sa stabilisation graphique, et est un cas assez unique de caractère (qui plus est, clef de classement) dont le nombre de traits n'est pas canoniquement fixé. Il présente de nombreuses variantes, et suivant les fontes, peut prendre des formes allant de 15 à 17 traits...
Les caractères représentant le cheval (馬) et l'oiseau à queue courte (隹) montrent bien comment les pictogrammes très figuratifs se sont transformés en tracés conventionnels. Ils sont également une bonne illustration de l'assimilation graphique (轉注), quand on voit la convergence du traitement graphique entre la crinière du cheval et l'aile de l'oiseau, réduits dans les deux cas à une grille.
Scène d'origine |
馬 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Scène d'origine |
隹 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Si la distinction entre 文 (caractères simples) et 字 (caractères composés) est très pertinente aux extrêmes, il faut garder l'esprit souple pour toute une zone intermédiaire[2]. Il est difficile de mettre une limite franche entre des dessins d'un objet unique, dont les parties sont stylisées au moyen d’éléments de caractères standardisés, et un tableau formé par la superposition d'éléments de caractères, non pas pour former le dessin d'un objet unique, mais pour représenter un tableau (photographiable) rassemblant ces éléments en une scène unique.
Quelques exemples permettront de montrer ce que peut être étymologiquement une image composée :
宜 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle |
Le caractère 宜 (Sacrifice offert à la terre) est clairement un exemple où la composition rassemble un dressoir (且) sur lequel est posé de la viande de sacrifice (肉) restait identifiable jusqu'aux ex-voto sur bronze. Par la suite le sens de cette composition s'est perdu, et la composition a dérivé. Curieusement, la composition actuelle associe l'élément de caractère du toit (宀), déformation du dressoir initial, au caractère 且 (étymologiquement : dressoir d'offrande), effectivement présent dans la composition initiale, mais graphiquement disparu par la suite.
彘 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle |
Le tableau primitif (oraculaire) composant le caractère 彘 montre un animal (un sanglier 豕) frappé par une flèche (矢) entre deux pattes, dans le ventre : un sanglier pris à la chasse. La flèche reste lisible dans le caractère moderne, mais le sanglier a été décomposé en deux pattes (比) et une tête (彑, forme ancienne de 彐).
De même, 圂 (porcherie, latrines) montre un cochon dans un enclos ; 東 est composé d'un Soleil derrière un arbre ; etc.
Ces exemples sont assez caractéristiques de ce que peut être une image composée. Initialement, le dessin original rassemble en un glyphe unique des éléments identifiables, conformes aux conventions de stylisation graphique des éléments de caractères isolés. Mais par la suite, l'ensemble tend à évoluer comme un graphique autonome, et les éléments de caractère initiaux sont souvent méconnaissables dans le résultat moderne.
Scène d'origine |
伐 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
Le caractère 伐 est un contre-exemple intéressant. C'est un tableau montrant un homme (人) portant une hallebarde (戈), un lancier. De plus, la liaison entre le dos de l'homme et sa lance est signifiante : il s'agit d'un soldat portant son barda dans le dos, donc en déplacement : une expédition militaire, non pas un soldat en poste (戍 Hallebardier). Ici, l'évolution du graphique a désarticulé les deux composants de caractères, en les calquant sur leurs formes modernes, transformant l'image en un caractère composé.
Dans leur évolution graphique, certains caractères se sont retrouvés fragmentés en éléments de caractères plus simples, sans rapport étymologique avec le dessin d'origine. Un cas particulièrement évident est celui de 魚 (poisson). Pour le lecteur moderne, ce qui apparaît comme une composition est incompréhensible : que peut représenter la superposition d'un homme (⺈ supérieur), d'un champ (田) et du feu (灬 inférieur) ? Et quel peut être le rapport entre cet assemblage et un poisson ?
Scène d'origine |
魚 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
En fait, ce tracé correspondait primitivement au dessin d'un poisson, tourné de 90° pour mettre sa tête vers le haut. La tête est à présent figurée par le ⺈ supérieur (homme) ; le corps est formé par un carré rayé 田 (champ), dérivant des écailles (仌) contenues dans le corps (宀), et une queue figurée par 灬, abréviation graphique de 火 (le feu).
De telles décompositions sont relativement fréquentes : les tracés complexes et inhabituels tendent à s'assimiler à des compositions de formes plus simples et plus fréquentes, qui sont plus facile à mémoriser, mais n'ont pas de lien étymologique avec le pictogramme d'origine. Des décompositions similaires ont frappé les caractères 龍 (dragon), 鼠 (rat), 能 (ours), 兔 (lapin)...
Ces caractères décomposés sont étymologiquement des 轉注 zhuǎnzhù « dérives par échanges », des caractères qui se déforment pour se rapprocher de tracés standards, plus facilement mémorisés et tracés.
Xú Shěn qualifie ces « indicateurs » ou « idéopictogrammes » de 指事 zhǐshì « désignation du doigt qui évoque »[4] : 指 signifie montrer du doigt, et le graphisme d'origine de 事 montre une cérémonie invocatoire, qui permet à un esprit mort de reprendre vie dans la conscience de l'acteur.
Les indicateurs se différencient des pictogrammes, en ce qu'ils ne dessinent pas simplement un objet réel, mais des marques symboliques. Comme 本, , « l’origine », que l’on retrouve dans 日本, , « le Japon » (donc littéralement en chinois, « l’origine du Soleil »), qui reprend le pictogramme de l’arbre, (木, ), auquel on rajoute un trait horizontal à la base, pour montrer la racine de l’arbre, et par conséquent, désigner l’origine, ce qui vient de la racine.
Quelques rares images représentent directement un concept abstrait. On peut citer comme exemple de ce type de construction :
Ces caractères sont bien des idéogrammes, dans le sens où ils représentent un concept (et non un objet matériel que l'on pourrait prendre en photographie) ; mais contrairement à la plupart des idéogrammes chinois, ils présentent la particularité de ne pas être composés.
Quelques caractères dérivent d'images simples par ajout d'un trait ou d'un point spécifiant ou renforçant telle ou telle partie. Ainsi :
On peut voir, sur cette série d'instances, que le point de désignation (dont l'usage est assez rare) est généralement compris comme « le dessin de base plus un point », et que ses évolutions sont parallèles à celles du dessin de base. Ces caractères dérivés des graphismes d'origine forment des intermédiaires entre des pictogrammes et des idéogrammes.
Certains graphismes dans leur forme primitive dérivent d'un graphisme de base, par ajout ou modification d'un élément. Par exemple, tous les graphismes suivants dérivent du dessin primitif de 大, l'homme grand et vu de face :
On voit que par la suite, et contrairement aux caractères composés, ces graphismes ont évolué de manière autonome, sans parallélisme nécessaire avec le dessin de base. De ce fait, il n'est généralement pas possible de se faire une idée claire de ces étymologies si on ne dispose pas des formes oraculaires ou sur bronze.
En toute rigueur, ce sont des cas particuliers de 指事 zhǐshì « indicateurs » ou « idéopictogrammes », mais le lien avec le graphique d'origine a été généralement perdu ; et ce rapport n'était déjà plus apparent au temps de Xú Shěn.
Xú Shěn nomme les idéogrammes par 會意 huìyì « réunion qui parle à l'esprit »[4] : 會 correspond à l'idée de réunion, d'assemblée d'où peut sortir une décision ou une information ; et 意 désigne ce que l'on a dans le cœur ou l'esprit, la signification.
Cette qualification concerne 13 % des caractères qu'il a traités.
Une grande partie des caractères composés sont des « spécifications » d'un caractère primitif, qui ayant dérivé, est recatégorisé dans son sens d'origine[2] ou dans son nouveau domaine sémantique par une « clef sémantique ». Ces idéogrammes sont donc des caractères composés, qui se composent d'un pictogramme (porteur à la fois de sémantique et de phonétique) et d'un élément de caractère sémantique, qui sert le plus souvent de clef de classification au caractère.
Quelques caractères composés paraissent refléter directement une superposition de sens, suivant le même mécanisme que celui de la formation de mots composés dans le langage. Pour ces caractères, il n'est pas possible de poser une limite tranchée entre l'association de concepts, et l'association de pictogrammes présents en un même tableau. Sur le plan phonétique, ces associations (qui ne représentent pas une spécification d'un caractère primitif) n'ont généralement pas de relation claire avec l'un ou l'autre des éléments de caractères.
Dans un cas comme dans l'autre, ces compositions sont importantes par rapport au génie de l'écriture chinoise et son interprétation.
Les tableaux composés forment un continuum entre les images composées et les caractères composés proprement dits. Le caractère 東 est traditionnellement interprété comme le lever du Soleil 日 derrière un arbre 木, d'où le sens de « Est, orient » parce que c'est là que l'on peut voir le Soleil surgir entre les arbres. Si cette interprétation est correcte, c'est un idéogramme transcrit par un caractère déformé plus que par un tableau composé.
去 | |||
Oracle sur écaille | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle |
Dans sa composition initiale, un caractère comme 去 représente directement un homme (大, transformé en 土) en train de déféquer sur un pot de chambre ou une fosse d'aisance (口 transformé en 凵 puis 厶), ce qui correspond au sens de rejeter, littéralement « envoyer chier » (d'où le sens moderne de « passé, achevé »).
À l'origine les deux éléments de caractère sont séparés, mais l'ensemble fonctionne comme une image unique. Des caractères comme 卿, 承, 彝, 為 ou 秦 fournissent d'autres exemples de compositions similaires.
Dans des caractères comme 寇, le toit 宀 fait partie du décor, ce qui justifie que cet élément de caractère soit toujours placé en haut. Mais le toit joue également un rôle symbolique dans 安 ou 字, qui représentent l'accueil d'un personnage dans la collectivité familiale :
Scène d'origine |
服 | ||||
Oracle sur écaille | Ex-voto sur bronze | Grand sceau | Petit sceau | Forme actuelle | |
La transition entre décor et clef sémantique peut être illustrée par le caractère 服 qui représente à côté d'un bateau (舟 simplifié en 月) un homme soumis (𢎟 à genoux, déformé en 卩) poussé par une main autoritaire (又) : un membre d'équipage, un matelot. Ici, le bateau plante le décor, mais plus d'une manière symbolique que physique ; la composition ne prétend pas montrer spécifiquement un homme dans un bateau ou à côté de celui-ci.
Scène d'origine |
好 | ||||
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Le caractère 好, rassemblant 女 et 子, représente une jeune femme et son enfant. La composition du caractère est instable, et hésite entre représenter la femme à droite (position "tableau", où elle peut physiquement regarder son enfant qu'elle tient dans ses bras) ou à gauche (juxtaposition logique des deux concepts, sans évocation d'une scène réelle). Qu'elle soit matérielle ou intellectuelle, cette association peut aussi bien évoquer l'amour réciproque de la femme et de l'enfant (hào = aimer) qu'une qualité abstraite (hǎo = bon, bien). Mais dans ce cas, on peut considérer que l'on a un cas d'associations de composantes [intensives + extensives] : c'est la naissance de l'enfant (子) qui détermine la « bonne qualité » de la femme (女)[2], dans le sens où elle est apte à avoir une progéniture.
Le fait de répéter un élément de caractère deux ou trois fois (parfois quatre) est un cas particulier de composition. Cette répétition signifie généralement une hypertrophie du sens primitif : ainsi, à partir de l'arbre (木 mù) on forme 林 (lín forêt, buisson) et 森 (sēn forêt épaisse, végétation luxuriante). Sur le même modèle, on trouve par exemple :
Ces compositions ne sont en réalité pas régulières, mais traduisent graphiquement la composition d'un caractère avec le sème de multiplicité binaire (二) ou ternaire (三)[2]. La formation de caractères par répétition d'éléments est relativement rare, mais montre en tout cas que ce modèle de formation ne peut pas suivre un modèle idéophonogramme : on ne voit pas en effet ce qui permettrait de dire qu'un caractère a d'un côté une fonction phonétique et que de l'autre, le même caractère a au contraire une fonction sémantique.
Dans de nombreux cas, le sens primitif d'un caractère s'étend et évolue de manière divergente, au point que, le lien avec le sens primitif s'étant rompu, le caractère devient perçu comme traduisant deux sens distincts et homophones. Le principe d'ajout d'une clef pour distinguer les homophones est tardif ; dans l'Antiquité chinoise, deux homophones, dont l'un utilisait la graphie d'un autre, n'étaient pas nécessairement distincts, et seul le contexte permettait de comprendre quel sens attribuer au caractère. Ainsi, « bois » et « verser », tous deux dits lín, pouvaient être écrits 林. Seul le contexte permettait de les différencier.
Un exemple particulièrement impressionnant est celui du caractère 其 (qí), dont le sens est aujourd'hui purement grammatical (ce, celui qui, lui). Le tableau présente un crible (𠀠) posé sur un support (丌). Cette image, dont le sens est aujourd'hui transféré sur le caractère 箕, s'emploie comme élément de caractère dans de nombreux tableaux composés, y compris quelques caractères anciens apparaissant sur des inscriptions sur bronze, voire oraculaires. Le sens général figuré de ces caractères anciens correspond à l'idée de quelque chose que l'on sépare du reste et que l'on emporte dans un panier. L'évolution graphique du caractère a été la suivante :
Scène d'origine |
其 | ||||
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Ce panier tressé en bambou qui permet d'emporter des choses a eu une riche descendance, marquée par des clefs sémantiques diverses :
On voit qu'en fin de compte, le sens de 其 comme particule démonstrative, complètement étranger à son étymologie graphique, est venu par le sens intermédiaire de « copeau » (à présent 斯 sī) après que le sens primitif de 其 se soit transféré sur 箕. Il n'est pas possible au vu de cette seule série de savoir si le démonstratif a commencé par s'écrire 斯, dont le caractère a perdu graphiquement la spécification sémantique ; ou si le sens de « copeau » s'est initialement écrit 其 et a dérivé en un sens grammatical, les termes dérivés étant spécifiés par la hache (斤), mais de manière facultative quand il ne s'agissait que de la particule. Pour le lecteur moderne à qui on explique que la particule démonstrative dérive d'un dessin de panier, il s'agit d'un cas clair d'emprunt (假借 jiǎjiè), marqué par le fait que le sens initial du dessin n'est plus du tout celui du caractère ; mais l'analyse étymologique montre en réalité une continuité sémantique entre les deux.
On voit d'autre part que dans tous ces composés, la clef ajoutée correspond clairement à une spécification de la catégorie sémantique. L'homogénéité phonétique de la série est assez marquée (qí, qī, jī, sī) et clairement liée à une origine commune, basée sur 其. Mais on voit que le caractère 其 comporte également une sémantique forte, emportant toujours l'idée de quelque chose placée dans un panier pour être emportée ailleurs. De ce fait, s'il est évidemment possible de dire que 其 donne la phonétique de ces composés, il est également évident qu'il conditionne en même temps leur signification : ces composés sont à la fois des idéophonogrammes et des idéogrammes. En ce qui concerne leur explication étymologique, il n'est pas possible au vu de cette seule série de savoir dans quel sens la construction a été effectuée. La dérivation sémantique a pu être antérieure à l'individualisation du mot : l'enlèvement par panier 其 a peut-être pris divers sens métaphoriques qui ont été ensuite spécifiés par des clefs sémantiques. L'état initial a pu être l'homophonie de mots indépendants : une parenté sémantique a alors été reconnue derrière des mots que l'évolution linguistique a rendu homophones à un moment donné, parenté marquée par le choix de 其 dans leur retranscription.
On rencontre de nombreux caractères pour lesquels un des sens dérivés peut s'écrire avec ou sans une clef sémantique complémentaire. Par la suite, le caractère composé avec clef peut avoir une dérive sémantique de son côté, conduisant à des étymologies particulièrement lointaines. La langue classique fourmille d'exemples de ce type.
La composition avec des clefs sémantiques peut faire des allers-retours entre caractère simple et composé.
Un certain nombre d'idéogrammes sont la représentation graphique d'une superposition de deux termes, comme si le concept qui devait être évoqué par une association d'idées l'était en réalité par une association de mots.
Scène d'origine |
丈 | |||
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Le caractère 丈 (sàn) en fournit un bon exemple. Il représente à l'origine une mesure de dix (十 shí) fois un empan d'une main (又 yòu), correspondant à la longueur d'une toise. Le caractère dans sa forme originale se lit simplement « dix (十) mains (又) ». Par la suite, ce graphique relativement simple de quatre traits s'est simplifié en trois traits, ce qui occulte son caractère essentiellement composé.
Sur le même modèle, on aura par exemple :
Scène d'origine |
戍 | ||||
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Le caractère 戍 mérite une mention spéciale. Sa composition évoque un homme (人) avec une hallebarde (戈), homme-hallebarde, littéralement un hallebardier. Initialement, les deux composants étaient séparés, le caractère étant étymologiquement composé. Avec l'usure du graphisme, cependant, l'homme étymologique a fini par se souder à la hallebarde (caractère qui tend à se souder avec son contexte), conduisant à un alignement graphique (轉注) du tracé sur 戊 (sans rapport étymologique). Paradoxalement, donc, à partir des deux mêmes composés homme (人) et hallebarde (戈), le caractère 伐 évoqué précédemment, initialement tableau montrant la hallebarde liée dans le dos, a conduit à un caractère apparaissant à présent comme composé ; tandis que le caractère 戍, initialement une composition idéogramme séparée, a vu ses composants fusionner en un glyphe unique. L'étymologie chinoise a des voies que la raison ne connaît pas...
Ces compositions n'ont généralement rien à voir avec la phonétique, et peuvent donc être qualifiées de purement idéogrammiques.
Quelques caractères composés évoquent un concept par la superposition de deux (parfois trois) éléments. Par exemple :
Cependant, les limites avec les autres voies de formation des caractères composés ne sont pas tranchées.
Scène d'origine |
初 | ||||
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Le caractère 初 (chū, début, commencement) est formé par la superposition d'un couteau (刀 dāo) et de l'habit (衣 yī, sous sa forme tassée 衤). Il est lisible comme une expression de deux mots, mais ici « couper l'habit » est une énigme tant qu'on n'en détient pas la clef : « "commencer", parce que (dit la tradition) la coupe (du tissu) est le commencement de l'habit ». Il est difficile de dire si l'expression « couper l'habit » était préexistante dans le langage parlé sous forme d'expression figée (詞) avant d'être mise par écrit, ou si la composition graphique a été faite sous forme d'une énigme logique dont la compréhension nécessite une clef d'explication étymologique, construite pour l'occasion. Dans un cas comme dans l'autre, l'origine du caractère est conforme au génie de la langue chinoise, qui procède volontiers par associations figées (écrite ou orale)[2], et le caractère est clairement construit pour évoquer une idée, ce qui en fait bien un idéogramme composé. En un sens, on peut dire qu'il est également un tableau composé, puisque la scène d'un ciseau s'approchant de l'habit est évidemment une scène de la vie quotidienne, mais le caractère n'a jamais voulu représenter la coupe d'un habit : contrairement aux pictogrammes, il ne signifie pas ce qu'il représente, mais doit être interprété dans un sens métaphorique.
En outre, un tel caractère montre que l'explication étymologique est un élément important dans l'apprentissage des caractères : le nombre de fausses étymologies dans les gloses vient de ce que pour le génie chinois, un caractère doit avoir une explication[2].
Scène d'origine |
朙 | ||||
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Le caractère qui désigne étymologiquement la notion de « brillant » demande une explication nuancée. Le caractère 明 míng, qui rassemble le Soleil 日 et la Lune 月, signifie avant tout « lumière », parce que ce sont les deux astres qui fournissent la lumière sur terre, en brillant au firmament : un idéogramme pur, donc. Mais il semble que le caractère d'origine pour désigner la « clarté » a plutôt été le caractère ancien 朙 míng, tableau montrant la Lune 月 éclairant à travers une fenêtre 囧 : l'idée de clarté (par opposition aux ténèbres) est en effet bien mieux évoquée par le tableau d'un rayon de lune perçant l'obscurité d'une pièce à travers la fenêtre. L'un ou l'autre caractère a de toute manière fini par désigner la dynastie Ming, et de toute évidence, il vaut mieux honorer un empereur en l'associant au Soleil plutôt qu'à une fenêtre. De ce fait, il est possible que le tableau d'origine ait été transformé en idéogramme pour des raisons courtisanes.
Enfin, il est parfois difficile de faire la part entre la sémantique et la phonétique dans la formation d'un composé relativement récent, qui se présente pratiquement toujours sous une forme d'idéophonogramme. Par exemple, le caractère 認 rèn, qui signifie à présent surtout « connaître (quelqu'un) » est composé de trois pictogrammes : 言 yán « parole » (une langue sortant de la bouche) ; 刃 rèn « lame de couteau » (noter le trait sur le couteau 刀 dāo, qui signifie qu'il faut considérer sa lame) ; 心 xīn « cœur ». Le caractère se prononce comme 刃 rèn, qui peut représenter un composant phonétique. Par rapport au sens moderne, il est donc possible de comprendre l'agrégat ainsi : connaître quelqu'un, c'est se servir de la parole comme d'une lame pour trancher le cœur, l'intimité, et ainsi avoir accès à ce qu'est réellement cette personne au fond d'elle-même. Mais le caractère signifie également « avouer », et sa composition dérive du composé 忍 rěn, qui représente le tranchant d'une lame (刃) que l'on doit supporter avec courage (心). Par rapport à cette filiation, il forme un idéogramme composé, évoquant avant tout les paroles d'aveu que l'on peut prononcer sous la menace ou sous la torture, étant entendu que l'on avoue ce que l'on connaît... Mais cette filiation ne permet pas de trancher entre un idéogramme et un idéophonogramme. Le caractère a pu être synthétisé comme un vrai idéogramme, l'interprétation phonétique étant guidée a posteriori par celui des composants le moins susceptible d'être une clef de contextualisation sémantique, ici 刃 rèn. Dans ce cas, le sens de « avouer » sera historiquement premier. Inversement, le mot rèn « connaître (quelqu'un) » a pu se former dans la langue orale, et être mis par écrit tardivement (le caractère est inconnu du ShuoWen) au moyen d'une clef sémantique 言 rappelant la parole et d'une phonétique approximative 忍 rěn. Dans ce cas, c'est le caractère retenu comme phonétique qui a apporté par la suite la connotation de torture, à travers ce qui relève d'une étymologie populaire, et favoriser le sens de « avouer » comme sens secondaire.
L'emprunt phonétique désigne des caractères (généralement simples) dont le sens usuel n'est pas celui que donne l'étymologie graphique. Xú Shěn parle de 假借 jiǎjiè : 假 signifie quelque chose de faux, de trompeur, et 借 signifie emprunter ou prendre un prétexte : l'idée est celle d'un mot qui a emprunté la forme graphique d'un autre, porteur du sens original. Xú Shěn cite comme cas d'emprunts les caractères 韋, 西, 能 et 鳳 dans son dictionnaire étymologique[20].
Léon Wieger en donne[6] une interprétation radicale : « Un terme était propre au langage parlé, aucun caractère existant n'avait ce sens ; au lieu de créer un nouveau caractère on convint qu'un ancien s'écrirait ainsi désormais pour signifier le terme - cette signification jurait avec la composition traditionnelle, peu importe, elle est conventionnelle. »
Cette formulation reflète la conception a priori que les linguistes de son époque se faisaient des systèmes d'écriture, censés passer historiquement des pictogrammes à un système d'alphabet à travers un système syllabique (de type hiéroglyphe), dont les « emprunts » seraient la trace en écriture chinoise. Dans cette optique, l'emprunt est analysé comme l'idéophonogramme : dans les deux cas, un caractère est utilisé pour un autre mot de même prononciation. La différence est que dans le cas de l'emprunt, le « sens principal » perçu pour le graphique est celui de l'emprunteur. Quand il a été conservé, le mot d'origine devient perçu comme une polysémie accidentelle, et peut recevoir par la suite un élément graphique (ou « clef ») pour le différencier.
Il est cependant difficile de trouver dans les caractères chinois des exemples d'emprunts où cette thèse d'une rupture absolue avec toute sémantique pourrait être vérifiée.
Par exemple, Xú Shěn indique que anciennement au temps de la dynastie Zhou, le caractère 來 lái signifiait « blé »[21] ; mais le sens principal est à présent le verbe venir. En l'absence de lien logique entre ce verbe et l'image d'un épi de blé, on parlera d'emprunt : le verbe a emprunté le caractère du blé. L'interprétation usuelle est que les deux mots étant homonyme, on a emprunté le caractère du blé pour noter le verbe venir, qui n'avait pas de caractère propre ; et l'homophonie a disparu, parce que la prononciation du mot « blé » a changé aujourd'hui (mài), ainsi que le caractère (auquel on a rajouté 夂 et qui s'écrit à présent 麥).
On peut cependant remarquer sur cet exemple que parmi les sens classique mais rares du caractère 來 figure « Attirer par des bienfaits, encourager par des récompenses »[4], ce qui suggère la dérivation sémantique : « Blé » > (« commensal » ou « reconnaissance du ventre » non attesté) > « Attirer par des bienfaits », « encourager par des récompenses » > « Attirer », « faire venir » > « Venir ». Par rapport à cette dérivation, il n'y a pas de raison de supposer un emprunt phonétique, puisqu'à l'origine il s'agissait du même mot. Par la suite que le nuage sémantique s'est déplacé sur le sens principal de venir, produisant de nombreux autres dérivés sémantiques ; et le lien sémantique distendu avec la racine étymologique s'est rompu.
Autre exemple, le caractère (能 néng), qui représente un ours, signifie principalement « pouvoir faire quelque chose » (physiquement). Le mot « ours » s’écrit de son côté 熊 (xiong), où on a rajouté au caractère primitif la clé du feu (火) sans rapport apparent. Ce n'est pas pour autant un emprunt : les sens classiques conservent sur le caractère 能 une continuité sémantique entre « Ours » > « Puissance » > « Force, pouvoir ». D'autre part, si le caractère 熊 signifie à présent « ours », ce n'était pas son sens d'origine qui était « ourse » : le tableau primitif était la représentation d'une ourse (能) qui protège entre ses pattes un ourson dont on ne voit que les quatre pieds (tracé 灬, assimilation graphique à la forme que prend la clef 火 en bas de caractère).
Un exemple classiquement retenu[6] pour illustrer un « emprunt » est celui du caractère 萬, qui représente un scorpion, et signifie principalement « dix mille ». Même dans ce cas extrême, il n'est pas certain que le sens moderne soit entièrement déconnecté du caractère graphique : on peut en effet noter dans les sens classiques[4] que le caractère désigne également une « représentation militaire accompagnée de chants » (et est devenu le nom générique des « représentations mimiques accompagnées de chants »). Comme un palimpseste sémantique, ces sens classiques suggèrent une dérive métaphorique : Le caractère 萬 ne désignait peut-être pas à l'origine le scorpion lui-même, mais évoquait plus spécifiquement la "danse du scorpion". Il a servi à désigner une danse guerrière menée par des soldats (sorte de haka?), articulés dans leur armure comme des insectes, puis à l'idée d'une troupe collective agissant collectivement comme un « essaim », d'où l'idée de « grand nombre », et par spécification, de myriade.
Léon Wieger signale[6] un autre mécanisme d'emprunt, celui du caractère 哥 gē, graphiquement formé par le redoublement de 可 kě. Le sens primitif de ce dernier caractère était essentiellement quelque chose de « convenable ». Pour Wieger, la lecture 哥 gē « frère aîné » serait un emprunt par rapport à un sens primitif à présent noté 歌 gē « chant lyrique », aidé par la similitude phonétique. On voit mal, en effet, pourquoi un chant lyrique servirait à qualifier un frère aîné, ou inversement. En revanche, ces deux sens peuvent dériver (éventuellement par deux lieux de production différents) du redoublement de 可 marquant un intensitif, l'un pour désigner un chant convenable à quelque usage traditionnel, l'autre pour marquer que le frère aîné est éminemment convenable pour représenter la famille dans un système pratiquant le droit d'aînesse.
Léon Wieger signale enfin un dernier cas d'emprunt, plus artificiel : celui d'une méprise, ou faux emprunt. Un scribe écrit par erreur un caractère pour un autre, « emprunt par méprise », que le respect superstitieux voué aux textes classiques n'a pas permis de corriger[6].
Les idéo-phonogrammes sont des caractères composés d’une clé, et d’un élément graphique, servant à rendre un son. Xú Shěn les qualifie de 形聲 xíngshēng « description du son »[4] : 形 signifie la description ; et 聲 signifie ce qu'entend l'oreille : un son :
Cette dernière catégorie est de loin la plus nombreuse. Xú Shěn place dans cette catégorie 82 % des caractères qu'il a traités ; pour le dictionnaire de caractères de Kangxi (1716) la proportion atteint 90 %, du fait que cette catégorie est la seule qui soit restée longtemps productive.
L'existence de tels composés doit beaucoup à la structure syllabique de la langue, dans laquelle existent nombre d'homophones. Ce procédé est favorisé par la structure phonologique du mandarin, qui ne peut former, à peu de chose près, que 400 syllabes différentes, si l'on omet les tons. Une telle structure rend le chinois très riche en homophones. À titre indicatif, il existe environ plus de deux cents caractères se prononçant shi en chinois moderne.
Cette analyse des caractères est une méthode originale introduite par Xú Shěn : avant lui, tous les composants d'un caractère composé étaient analysés comme porteurs de sémantique, sans en distinguer comme « phonétiques » (聲)[7]. Cependant, le fait que Xú Shěn signale un composant comme « phonétique » n'implique pas que le caractère analysé soit un idéophonogramme au sens moderne du terme. Les exemples abondent où un caractère dont le sens a dérivé s'est trouvé recatégorisé par une clef sémantique, le transformant formellement en composant phonétique, alors qu'il s'agit étymologiquement du même mot. En outre, la partie phonétique d'un idéo-phonogramme a souvent été déterminée à une époque où la langue, phonétiquement, était différente de la langue actuelle : or, de tels changements peuvent masquer le lien censé exister entre la prononciation réelle et la prononciation indiquée par la partie phonétique. Ainsi, nombreux sont les idéo-phonogrammes dont la partie phonétique ne correspond plus au son désigné.
Quand le ShuoWen indique une phonétique, de nombreuses questions peuvent se poser[20] : Quelle était la situation phonologique quand le caractère a été créé ? Quelle était celle de l'époque de Xú Shěn ? Et est-ce la lecture conventionnelle du caractère quand il apparaît dans des textes anciens, ou celle du langage parlé de l'époque ?
Ceci étant, un lecteur rencontrant un caractère composé inconnu a deux chances sur trois de deviner correctement sa prononciation s'il retient celle du composant « phonétique »[22] : 有边念边,没边念中间吗,没有中间,自己编.
L'existence d'idéo-phonogrammes est parfois manifeste dans la forme même du caractère, y compris pour des caractères anciens, quand certains composés sont marqués de la clef 口 (bouche, voix) pour signifier que le reste du caractère est pris dans un sens phonétique. Ainsi, le caractère 若 discuté ci-dessus est marqué dans le style sigillaire par 口 qui signifie que le caractère est perçu comme un « emprunt » : le dessin est celui d'une jeune femme, mais le sens est celui de « cueillir », le rapport entre les deux s'étant perdu pour les scribes. De même :
L'idée d'associer une clef sémantique à un caractère relativement arbitraire est également naturelle et très généralisée dans la toponymie, où des noms propres relativement arbitraires doivent être transcrits. Ainsi, la clef 山 rassemble non seulement des noms communs relevant du domaine montagnard, mais également de nombreux noms propres désignant telle ou telle montagne. De même, 水 marque de nombreux noms de rivières, et 邑 marque le nom de nombreuses principautés.
La taxinomie est également un domaine où un nom arbitraire est associé à une classe sémantique générale : il est rare qu'un nom de poisson ne soit pas marqué par 魚[20], et de même pour les oiseaux (鳥 et 隹) ou les insectes et reptiles (虫) dans le domaine animal, pour les plantes (艸) dans le domaine végétal, ou les pierres précieuses (玉) ou non (石) dans le domaine minéral.
L'élément phonétique s'avère souvent sémantiquement motivé, ce qui n'apparaît parfois qu'a posteriori, mais permet une analyse interne des caractères.
Ainsi, les deux exemples retenus par Xú Shěn sont 江 (le Fleuve Bleu) et 河 (le Fleuve Jaune). Il n'y a pas de raison de supposer que le Fleuve Bleu dérive son nom vernaculaire de 工 (« travail »), ni que le Jaune tire le sien de 可 (« approuver, convenable »). Il est en revanche probablement significatif que 工 signifie également « officier, chef »[4], ce qui permet de comprendre le caractère comme « le fleuve en chef » : le Yangzi Jiang (ou Yang-Tsé-Kiang) est le plus grand fleuve d'Eurasie, et le caractère 江 désigne par extension le fleuve principal par opposition à ses affluents. De même, les « trois régions du fleuve jaune » (三河) que sont le Henan (河南), le Hebei (河北) et le Hedong (河東)[4] forment le berceau de la civilisation chinoise. Pour cette civilisation, ce sont les régions « convenables » (可) par excellence, par opposition à la barbarie périphérique ; il est juste que le fleuve qui les relie soit lu comme un « Fleuve convenable ».
On voit ici l'importance de la sémantique qu'apporte le terme « phonétique » pour la compréhension du caractère composé « idéophonogramme ». Même en l'absence de lien étymologique préalable dans la langue parlée entre le mot à transcrire et son homophone servant d'élément de caractère, une composition ne rencontre le succès que si elle est compatible avec la structure générale d'une composition entre composantes intensives et extensives[2], celle qui découle du mécanisme signalé plus haut d'une spécification par une clef (sémantique) d'un mot devenu trop polysémique (qui conserve la phonétique, et un lien avec le nuage sémantique originel). Cette « explication » du caractère peut prendre la forme d'une étymologie populaire, voire rester à un niveau pré-conscient ; mais la langue tendra à rejeter les compositions sans compatibilité sémantique[2].
Ainsi, par exemple, le silicium a été noté 矽, le corps solide (石) qui se prononce si (夕 le soir) comme silicium[23]. Mais « solide du soir » n'étant pas évocateur, la désignation a évolué en 硅 : le solide du Jade (圭 guī), dont le silicium est le principal constituant ; et par lecture inverse de cet élément de caractère évidemment « phonétique », le silicium se dit à présent guī[2]. Inversement, pour le plutonium 钚, métal (金) se prononçant Pu (不, ne pas, négation) on peut facilement comprendre que ce métal sur lequel porte le traité de non-prolifération a une compatibilité sémantique solide avec l'idée d'interdiction.
Plus simplement, 菜 cài « légume » est composé de la clef de l'herbe pour le sens de « végétal » et de 采 cǎi « cueillir » pour le son. Mais la notion de « cueillette » n'est pas étrangère à celle de « légume ».
L'interprétation sémantique des composants d'un caractère idéo-phonogrammatique est ainsi souvent prétexte aux jeux poétiques. Il ne faut pas perdre de vue qu'elle reste, dans la majorité des cas, secondaire et a posteriori.
Pratiquement tous les caractères formés après l'inventaire du ShuoWen sont formés sur le modèle des idéo-phonogrammes : un caractère porteur de phonétique accolé à une clef marquant la classe sémantique. C'est un type de formation qui est encore naturel et actif de nos jours : 钚 (plutonium) a été formé sur 金 (métal) et 不 (phonétique bu).
L'analyse usuelle qui est faite de ces composés est bien décrite par Geoffrey Sampson et Chen Zhiqun[9] :
Par exemple il faut représenter le verbe « se laver les cheveux », qui se dit mù ; or, le caractère de « l'arbre » 木 se prononce de la même manière mù ; ainsi, écrire « arbre » tout en accompagnant le caractère de celui (dénommé ici « clef sémantique ») pour « eau », 氵 qui renvoie à l'idée principale de lavage, permet de créer un nouveau caractère 沐 mù = « se laver les cheveux » tout en distinguant les sens des homophones. De même :
On voit dans ce dernier exemple qu'il n'y a pas de limite franche entre un idéogramme composé et un idéophonogramme : le choix de la « phonétique » peut comprendre une part de sémantique, et conduire à des étymologies plus ou moins solides.
Le système n'est pas purement phonétique ; le choix d'un caractère « phonétique » peut a priori se faire sur l'ensemble du lexique, mais le nombre de caractères réellement utilisés dans ces constructions reste limité. Les sons chinois étant peu nombreux, quatre cents caractères environ auraient pu suffire pour composer une gamme sonique. En pratique, les chinois ont employé comme éléments phoniques un nombre plus considérable de caractères[6], de l'ordre du millier.
Cette description est cependant critiquable, car s'il est certain que l'ajout d'un élément de caractère précisant la classe sémantique permet de lever des ambiguïtés entre concepts homophones, il est cependant rare que ces homophones soient réellement sans aucune relation de sens, quand on examine les évolutions et dérives que le sens premier a pu avoir en chinois classique. Ainsi, pour reprendre l'exemple précédent, 眉 a pour sens propre « sourcil », mais peut aussi désigner par métaphore tout ce qui ressemble à un sourcil, et spécialement une berge touffue 湄 ; de même le sourcil est ce qui permet de faire de l'œil, et donc de séduire 媚.
Une série phonétique est une série de caractères composés, où l'on reconnaît le même élément de caractère en position de « phonétique ». Cependant, la prononciation n'est pas nécessairement homogène dans ces séries « phonétique ». La détermination est vague quant à la voyelle finale, plus vague encore quant à la consonne initiale, à peu près nulle quant au ton et à l'aspiration[6].
Dans son ouvrage sur les Caractères Chinois, Léon Wieger identifie ainsi 858 éléments phoniques féconds qui forment des séries phonétiques[6].
Le tableau ci-dessous donne par exemple les caractères de la série phonétique no 342 de Wieger, qui est une série particulièrement prolixe comprenant l'élément de caractère 其 (qí, primitivement, panier, à présent 箕). En unicode on identifie 40 composés comprenant le caractère 其, la série donnée par Wieger n'en comprend que 30.
Car. | Pinyin | Sens | Ajout | Sens de l'ajout | Explication | Ancienneté[24] |
---|---|---|---|---|---|---|
僛 | qī | Marcher en chancelant; tituber. | 人 | Activité humaine | décevant, hideux (=欺), ou 倛, masque laid et difforme en peau d'ours. | Sigillaire |
基 | jī | base, fondation ; principe, commencement, fonder, établir ; consolider ; établissement, domaine ; pouvoir souverain ; (=錤) houe. | 土 | Terre glaise | La terre que l'on emporte dans un panier (其) | Bronze |
娸 | qī | Laid, vilain. | 女 | Relatif à la femme | Dérive de 欺 : laid, hideux. | Sigillaire |
帺 | qí | Toile, bande. | 巾 | Matériau de tissu | Dérive de 旗 (rubans) | Récent |
旗 | qí | Étendard, cesser ; rubans. | 㫃 | Étendard, cesser | baisser pavillon (?) | Sigillaire |
惎 | jì | Nuire gravement, pernicieux ; enseigner, conseiller, avertir (=㥍). | 心 | Sentiment, Expression d'un sentiment | De 諆 chercher à nuire, tromper | Sigillaire |
期 | qí, jí | Période de temps ;... (nombreux autres sens). | 月 | Lune | La date lunaire dans sa boîte d'archive (其), ce qui est associé à une date particulière. | Bronze. |
朞 | jī | Année complète, anniversaire. | 月 | Lune, mois | Idéogramme, spécialisation de 期 | Récent |
棋, 棊 | qí | Échiquier ; jeu des échecs ; pièce de jeu d'échecs ; jeu de plateau (weiqi, xiangqi, etc.) | 木 | Bois, arbre | Plateau de bois quadrillé comme un panier (其) | Oracle (?) |
欺 | qī | Tromper, duper ; décevoir ; outrager, opprimer, brimer ; laid, hideux. | 欠 | Bailler, soupirer, quelque chose sortant de la bouche | Dérive de 諆 (chercher à nuire, tromper) | Sigillaire |
淇 | qí | Rivière qui prend sa source au mont 淇山 Qi shan et qui donne son nom à la ville de 淇縣 dans le Henan. | 水 | Eau, aqueux, cours d'eau | Dérive peut-être de 斯 (petit morceau) : affluent secondaire | Sigillaire |
琪 | qí | Pierre précieuse de couleur blanche. | 玉 | Jade, pierre précieuse | Peut-être dérivé de 騏 (blanc gris). | Récent |
碁, 䃆 | qí | (rare) Go, échecs = 棊 . | 石 | Pierre | Le jeu de go se joue avec des pierres, probablement construit sur 棋. | Récent |
祺 | qí | Faveur du Ciel ; bonheur. | 示 | Influx transcendant, chose spirituelle | Dérive de 基 (pouvoir souverain). | Sigillaire |
稘 | jī | Tige de haricot ; année (=期) ; période de temps, année, un mois, un jour. | 禾 | Céréale mûr | Dérive de 期 (période d'un an) : plante annuelle, d'une récolte à l'autre | Sigillaire |
箕 | jī | Panier ou pelle à poussière ; instrument d'osier qui a la forme d'un van et dans lequel on recueille les balayures ; van, vanner; constellation dans le sagittaire. | 竹 | Bambou, fait de bambou | Panier 其 proprement dit, la chose en bambou. | Bronze |
粸 | qí | (rare) Galette. | 米 | Graine, aliment fait à partir de graine | Idéophonogramme | Récent |
綦 | qí | de soulier ; gris noir, vert foncé, rouge foncé ; au plus haut degré, très. | 糸 | Fil, attaché avec un fil | Dérive de 萁 (vrille, joint). | Soie et bambou |
藄 | qí | Pois, haricot, vrille de vigne ; sorte de fougère comestible. | 糸 | Fil | Composé de 萁 : plante de type liane. | Sigillaire |
萁 | qí | Fougère dont les jeunes pousses sont comestibles ; pois, haricot, vrille de vigne ; jonc dont on tresse les carquois ; arbre dont le bois sert à allumer le feu. | 艸 | Herbe, relatif à la végétation | Dérive de 稘 (tige de haricot). | Sigillaire |
蜞 | qí | (rare) Sangsue, crabe. | 虫 | Animal rampant | Idéophonogramme | Récent |
𧯯 | qí | (rare) Ramure des pois, haricots, etc. | 豆 | Haricot | Dérive de 藄 (pois, haricot). | Récent |
踑 | qí | S’asseoir les jambes repliées et croisées. | 足 | Pied | Idéophonogramme | Récent |
錤 | qí | Houe, biner la terre. | 金 | Métal, outil en métal | Dérive de 基 : instrument pour creuser les fondations. | Récent |
騏 | qí | Cheval gris fer, tacheté de noir ; gris-bleu. | 馬 | Cheval | Dérive de 綦 (gris noir). | Soie et bambou |
魌 | qī | Démon de la peste, laid. | 鬼 | Démon, esprit | Dérive de 欺 : laid, hideux. | Récent |
鲯 | qí | Coryphaena hippurus (dorade), sorte de poisson. | 魚 | Poisson, Sorte de poisson | Idéophonogramme, peut-être dérivé de 騏 (blanc gris). | Récent |
鶀 | qí | Oie sauvage de petite taille. | 鳥 | Oiseau à longue queue | Peut-être dérivé de 騏 (blanc gris). | Récent |
麒 | qí | Licorne mâle. | 鹿 | Cerf, bête à corne | Dérive de 騏 (cheval gris) | Sigillaire |
La série phonétique donnée par Wieger comprend le caractère 箕, qui porte à présent le sens d'origine de « panier », recontextualisé par la clef du bambou après que le terme d'origine a dérivé. Elle comprend également trois caractères anciens (apparaissant dans des inscriptions sur bronze) où la clef sémantique fonctionne comme un idéogramme composé (會意), dont le sens découle d'une association d'idée avec le sens primitif de « panier que l'on déplace » :
La série comprend également un idéogramme de composition récente, 朞 « période d'un an, anniversaire », formé par dérivation de 期 « période de temps » : le sens est suffisamment proche pour que les composants soient les mêmes, mais la composition spécialisée marque le sens spécialisé.
La série comprend des « composés de composés » : 僛 (chanceler, tituber) est composé de 欺 (décevant, hideux) ou peut-être plutôt de 倛 ; ou 藄 (Pois, vrille de vigne) dérivé de 萁 (même sens). Dans ces deux cas, la dérivation par ajout d'une clef de spécification conserve évidemment la phonétique, mais elle reflète également un lien sémantique avec le terme d'origine, immédiat pour 藄, moins clair pour 僛 : tituber est une démarche hideuse? (la liaison sémantique passe probablement dans ce cas par 倛, masque laid et difforme en peau d'ours utilisé pour les exorcismes contre le démon de la peste, non retenu par Wieger dans sa série phonétique).
Cette dérivation par ajout d'une clef sémantique sur un caractère déjà composé est relativement rare pour les composés attestés au sigillaire : on observe plutôt une substitution d'une clef par une autre. Ainsi, le caractère 碁 (récent) désignant spécifiquement le jeu de Go est dérivé par substitution de clef sémantique du caractère synonyme 棊 (récent), lui-même spécialisation du caractère plus courant 棋 (ancien).
Ce même mécanisme de substitution permet de rendre compte de liens sémantiques entre termes de la série, alors qu'ils sont apparemment sans rapport avec la « phonétique ». Ainsi, on voit mal a priori ce qui pourrait expliquer sémantiquement que la partie « phonétique » du caractère désignant la licorne mâle (麒) soit un panier (其), mais en tenant compte de ce phénomène de substitution de clef et de dérive sémantique, on peut reconstituer les dérivations successives suivantes :
Ces différents glissements correspondent au même mécanisme fondamental : un mot (caractère composé) voit son sens glisser, par analogie, métaphore, association d'idée ou spécialisation ; et si nécessaire, une clef sémantique peut préciser la catégorie dont relève le sens nouveau, en se substituant à la clef sémantique précédente, créant un nouveau composé. Dans ces dérivations, le caractère commun de la série traduit une phonétique commune, non pas à la suite d'un choix arbitraire, mais bien parce qu'il s'agit à chaque étape du glissement de sens d'un même mot. Mais inversement, si dans une telle série de glissements, un sens ou un caractère pivot vient à se perdre, la connexion sémantique est rompue, et seul demeure le rôle « phonétique » du caractère.
Cette indifférence relative au spécificateur avait été notée dans les textes anciens : « 古無正字,多假借,以中為仲,以說為說,以召為邵,以間為閑 » (Autrefois, deux caractères n'étaient pas nécessaires, on empruntait volontiers une graphie [d'un caractère homophone (du moins à cette époque)] ; ainsi en écrivant 中 zhong "milieu", on exprimait le sens de 仲 zhong "intermédiaire"; avec la graphie 說 shuo "expliquer", on signifiait 說 yue "joie", (etc.)[25].
Les toponymes sont représentés par une rivière 淇 ; et la taxinomie est représentée par les clefs du cheval 馬, du poisson 魚 et des oiseaux 鳥, mais également du cerf 鹿 et du démon 鬼. Sur ces éléments les dérivations de sens sont beaucoup plus difficile à suivre, mais des dérivations restent plausibles.
On voit sur cet exemple que seuls les éléments récents (粸, 蜞 et 踑, pour lesquels il n'y a pas de graphie ancienne attestée) apparaissent comme des idéophonogrammes vrais : le sens du mot n'a pas de lien particulier avec l'idée de « panier », ni avec l'un quelconque de ses dérivés, et la seule raison d'être de cet élément de caractère paraît être de rappeler la phonétique du mot (encore qu'il y ait évidemment pour ces deux derniers un rapport possible entre 蜞 « crabe » et 踑 « s’asseoir les jambes repliées et croisées »).
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