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militaire et homme d'État français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Charles de Gaulle (/ʃaʁl də ɡol/[n 2] Écouter), communément appelé le général de Gaulle ou parfois simplement le Général, né le à Lille (Nord) et mort le à Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne), est un militaire, résistant, homme d'État et écrivain français.
Charles de Gaulle | ||
Portrait de Charles de Gaulle durant la Seconde Guerre mondiale. | ||
Fonctions | ||
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Président de la République française | ||
– (10 ans, 3 mois et 20 jours) |
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Élection | ||
Réélection | ||
Premier ministre | Michel Debré Georges Pompidou Maurice Couve de Murville |
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Prédécesseur | René Coty (IVe République) | |
Successeur | Alain Poher (intérim) Georges Pompidou |
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Président du Conseil des ministres | ||
– (7 mois et 8 jours) |
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Président | René Coty | |
Gouvernement | De Gaulle III | |
Législature | IIIe (Quatrième République) | |
Prédécesseur | Pierre Pflimlin | |
Successeur | Michel Debré (Premier ministre) | |
Ministre de la Défense nationale | ||
– (7 mois et 8 jours) |
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Président | René Coty | |
Président du Conseil | Lui-même | |
Gouvernement | De Gaulle III | |
Prédécesseur | Pierre de Chevigné (ministre des Forces armées) |
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Successeur | Pierre Guillaumat (ministre des Armées) |
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Président du gouvernement provisoire de la République française (chef de l’État de facto) | ||
– (1 an, 7 mois et 23 jours) |
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Élection | ||
Réélection | ||
Chef de l'État | Lui-même | |
Gouvernement | De Gaulle I et II | |
Prédécesseur | Philippe Pétain (chef de l'État) Pierre Laval (chef du gouvernement du régime de Vichy) Lui-même (CFLN) |
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Successeur | Félix Gouin | |
Président du Comité français de libération nationale (chef de l’État de facto) | ||
[n 1] – (1 an) |
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Gouvernement | CFLN | |
Prédécesseur | Lui-même (CNF-France libre) Henri Giraud (Commandement en chef français civil et militaire) |
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Successeur | Lui-même (GPRF) | |
Président du Comité national français | ||
– (1 an, 8 mois et 10 jours) |
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Gouvernement | Comité national français | |
Prédécesseur | Lui-même Conseil de défense de l'Empire |
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Successeur | Lui-même Henri Giraud (CFLN) |
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Chef de la France libre | ||
– (2 ans, 11 mois et 16 jours) |
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Gouvernement | Conseil de défense de l'Empire Comité national français CFLN |
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Sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale | ||
– (10 jours) |
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Président | Albert Lebrun | |
Président du Conseil | Paul Reynaud | |
Gouvernement | Reynaud | |
Prédécesseur | Hippolyte Ducos | |
Successeur | Fonction supprimée | |
Président du Conseil de défense de l'Empire | ||
– (1 an, 2 mois et 13 jours) |
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Gouvernement | Conseil de défense de l'Empire | |
Prédécesseur | Paul Reynaud (Président du conseil) | |
Successeur | Lui-même(CNF) | |
Biographie | ||
Nom de naissance | Charles André Joseph Marie de Gaulle | |
Surnom | Le Général L'Homme du Général micro Colonel Motors Le Grand Charles Le Connétable de France[1] |
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Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Lille (France) | |
Date de décès | (à 79 ans) | |
Lieu de décès | Colombey-les-Deux-Églises (France) | |
Nature du décès | Anévrisme | |
Sépulture | Colombey-les-Deux-Églises | |
Nationalité | Française | |
Parti politique | RPF (1947-1955) | |
Père | Henri de Gaulle | |
Mère | Jeanne Maillot | |
Fratrie | Xavier de GaulleMarie-Agnès de GaulleJacques de GaullePierre de Gaulle | |
Conjoint | Yvonne Vendroux | |
Enfants | Philippe de Gaulle Élisabeth de Boissieu Anne de Gaulle |
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Famille | Alain de Boissieu (gendre) | |
Diplômé de | ESM Saint-Cyr | |
Profession | Militaire Écrivain |
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Distinctions | Voir distinctions | |
Religion | Catholicisme | |
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Président du Comité français de libération nationale Chefs du gouvernement français Présidents de la République française |
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Il est fondateur de la France libre puis dirigeant du Comité français de libération nationale pendant la Seconde Guerre mondiale, président du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1946, président du Conseil des ministres de 1958 à 1959, instigateur de la Cinquième République, fondée en 1958, et président de la République de 1959 à 1969, étant le premier à occuper la magistrature suprême sous ce régime.
Élevé dans une culture de grandeur nationale, Charles de Gaulle choisit une carrière d'officier dans l'armée de Terre. Au cours de la Première Guerre mondiale, il est blessé et fait prisonnier. Par la suite, il sert et publie dans l'entourage de Philippe Pétain, prônant auprès de personnalités politiques l'usage des divisions de blindés dans la guerre contemporaine. En , alors colonel, il est placé à la tête d'une division blindée, la 4e division cuirassée, et mène plusieurs contre-attaques pendant la bataille de France , notamment le 17 mai à Montcornet et début juin à Abbeville ; il est dans la foulée promu général de brigade à titre temporaire. Pendant l'exode qui suit, il est sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale dans le gouvernement Reynaud.
Rejetant l'armistice du 22 juin 1940 demandé par Pétain à l'Allemagne nazie, il lance de Londres, à la BBC, l'« appel du 18 Juin », qui incite le peuple français à résister et à rejoindre les Forces françaises libres. Condamné à mort par contumace et déclaré déchu de la nationalité française par le régime de Vichy, il entend incarner la légitimité de la France et être reconnu en tant que puissance par les Alliés. Ne contrôlant que quelques colonies, mais reconnu par la Résistance, il entretient des relations froides avec Franklin Roosevelt, mais bénéficie généralement de l'appui de Winston Churchill. En 1943, il fusionne la France libre au sein du Comité français de libération nationale, dont il finit par prendre la direction. Il dirige le pays à partir de la Libération ; favorable à un pouvoir exécutif fort, il s'oppose aux projets parlementaires et, refusant de suivre la majorité élue à l'Assemblée nationale, il démissionne en 1946. Il fonde l'année suivante le Rassemblement du peuple français (RPF), mais son refus de tout compromis avec ce qu'il juge être un « régime des partis » l'écarte de toute responsabilité nationale.
Il revient au pouvoir après la crise de mai 1958, dans le cadre de la guerre d'Algérie. Investi président du Conseil et des pleins pouvoirs dans le contexte de l'opération Résurrection, il fait approuver la Cinquième République par un référendum. Élu président de la République par un collège élargi de grands électeurs, il prône une « politique de grandeur » de la France. Il affermit les institutions, la monnaie (nouveau franc) et donne un rôle de troisième voie économique à un État planificateur et modernisateur de l'industrie. Il renonce par étapes à l'Algérie française malgré l'opposition des pieds-noirs et des militaires, qui avaient favorisé son retour. Il poursuit la décolonisation de l'Afrique subsaharienne et y maintient l'influence française. En rupture avec le fédéralisme européen et le partage de Yalta, de Gaulle défend l'« indépendance nationale » : il préconise une « Europe des nations » impliquant la réconciliation franco-allemande et qui irait « de l'Atlantique à l'Oural », réalise la force de dissuasion nucléaire française, retire la France du commandement militaire de l'OTAN, oppose un veto à l'entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne, soutient le « Québec libre », condamne la guerre du Viêt Nam et reconnaît la Chine communiste.
Sa vision du pouvoir, à savoir un chef de l'État directement élu et approuvé par la nation, l'oppose aux partis communiste, socialiste et centristes pro-européens. Ces formations critiquent un style de gouvernance trop personnel, voire un « coup d'État permanent », selon la formule de François Mitterrand, contre lequel de Gaulle est réélu en 1965 au suffrage universel direct,— un mode de scrutin qu’il a fait adopter par référendum en 1962 à la suite de l’attentat du Petit-Clamart le visant. Il surmonte la crise de Mai 68 après avoir semblé se retirer, convoquant des élections législatives qui envoient une écrasante majorité gaulliste à l'Assemblée nationale. Mais en 1969, il engage son mandat sur un référendum portant sur la réforme du Sénat et la régionalisation, puis démissionne après la victoire du « non ». Il se retire dans sa propriété de Colombey-les-Deux-Églises, où il meurt dix-huit mois plus tard.
Considéré comme un des dirigeants français les plus influents de l'histoire, Charles de Gaulle est aussi un écrivain de renom. Il laisse notamment des Mémoires de guerre, où il affirme s'être toujours « fait une certaine idée de la France », jugeant que « la France ne peut être la France sans la grandeur ». Si sa présidence ne fut pas exempte de contestations, il apparaît, plus d'un demi-siècle après sa mort, comme une figure morale omniprésente dans la vie politique de la Cinquième République, la quasi-totalité de la classe politique lui rendant hommage et revendiquant à divers degrés son héritage.
Charles André Joseph Marie de Gaulle naît le à 4 heures du matin, au 9 rue Princesse à Lille[2]. Il est baptisé quelques heures après sa naissance en l'église Saint-André de Lille[3] : son parrain est son oncle Gustave de Corbie et sa marraine sa tante Lucie Maillot née Droulers[4]. Charles est le troisième enfant d'Henri de Gaulle (1848, Paris - 1932, Sainte-Adresse, Seine-Inférieure) — précepteur, fonctionnaire, enseignant puis fondateur d'établissement d'enseignement privé — et de son épouse, Jeanne Maillot (1860, Lille - 1940, Paimpont, Ille-et-Vilaine), qui est également sa cousine issue de germain. Il est le petit-fils de Julien-Philippe de Gaulle (1801, Paris - 1883, Paris), historien, et de Jules Maillot (1819, Lille - 1891, Lille), entrepreneur manufacturier textile dans le Nord.
Les de Gaulle sont une famille de juristes parisiens originaires de la province de Champagne, et dont le patronyme pourrait être une déformation du néerlandais de Walle. Dans ses travaux de généalogie, le grand-père de Charles de Gaulle faisait l'hypothèse d'une lointaine ascendance noble[5], bien que la famille ne figurât dans aucun nobiliaire[6] et qu'il n'existât aucune preuve à l'appui de ces prétentions[7]. L’arrière-grand-père, Jean-Baptiste de Gaulle (1759-1832), est avocat ; fils d'un procureur au parlement de Paris[n 3] né en Champagne[11], il échappe de peu à la guillotine devant le Tribunal révolutionnaire pendant la Terreur[12] et devient directeur des Postes militaires de la Grande Armée. Il meurt du choléra en 1832. Son fils, Julien-Philippe enseigne alors à Lille, où un de ses oncles a un poste à la manufacture des tabacs. Julien-Philippe de Gaulle y épouse la fille d'un administrateur de la manufacture, Joséphine Maillot. Le pensionnat qu'ils créent à Valenciennes fait faillite. Ils s'installent alors à Paris pour écrire : le mari rédige deux études (sur un peintre paysagiste et sur un biographe de Saint Louis) ainsi qu'une vaste Nouvelle histoire de Paris et de ses environs d'inspiration monarchiste et catholique préfacée par Charles Nodier. Joséphine, prolifique, collabore à des revues littéraires et écrit plus de 70 ouvrages dont certains dénoncent la pauvreté ouvrière du Nord.
Ils ont trois fils. Les deux oncles du général sont des chercheurs érudits : l'aîné, Charles, son homonyme, paralysé par la poliomyélite, étudie les langues celtes, et le cadet, Jules, est entomologiste. Henri, père du général, naît en 1848, un comme son fils. Formé par le jésuite Olivaint, il se lie aux milieux monarchistes et catholiques sociaux, et entre au secrétariat de Talhouët-Roy dont il est précepteur des enfants. Admissible à Polytechnique, il s'engage et est blessé au cours de la guerre de 1870. Il s'inscrit au barreau et dans un cercle jésuite influent. Mais, pour entretenir la famille, il renonce à une carrière militaire ou politique et fait partie de l'administration du ministère de l'Intérieur jusqu'en 1884. Il a ensuite trois doctorats (lettres, sciences, et droit) et enseigne lettres, histoire et les mathématiques au collège de l'Immaculée-Conception de Paris, tenu par les jésuites. À trente-sept ans, il épouse Jeanne Maillot, une petite-cousine de sa mère.
Charles de Gaulle est ainsi doublement issu de la famille Maillot, par sa mère et sa grand-mère paternelle. Originaires de la Flandre française, ces industriels catholiques descendent d'administrateurs de la manufacture des tabacs.
Le grand-père maternel de Charles de Gaulle, Jules-Émile Maillot, mort l'année de la naissance de Charles, est un entrepreneur du textile qui a rapporté une nouvelle machine à tisser le tulle d'Angleterre. Il était issu de l'union de deux familles des manufactures du tabac, les Maillot et les Kolb. Louis Philippe Kolb, grand-père de Jules-Émile Maillot, luthérien du duché de Bade, était, avant 1791, sergent major au régiment de Rheinach. Marié à Maubeuge en 1790 avec une certaine Marie Nicot[13], il avait réorganisé des manufactures de tabac, en particulier à Lille. Ses deux fils y réussissent : l'un, Henri, est urbaniste ; l'autre, Charles Kolb-Bernard, industriel sucrier, devient sénateur chrétien social et légitimiste[14].
La grand-mère maternelle du futur « homme de Londres », Justine Maillot-Delannoy, reçoit jusqu'à sa mort en 1912 ses enfants et petits-enfants. Elle était la fille d'un avocat et d'une Britannique. Son grand-père maternel descendait d'un membre du clan irlandais MacCartan (en) qui, jacobite, s'était réfugié en France après la Glorieuse Révolution[15] ; sa grand-mère maternelle, quant à elle, était issue d'une famille écossaise et protestante, les Fleming.
Charles de Gaulle est marqué par les valeurs familiales : catholicisme légitimiste, goût des études et du service de l'État (droit, administration des tabacs ou de l'armée).
Ses parents forment une famille catholique qui réside à Paris au 15 de l'avenue de Breteuil. Bien que la famille de Gaulle vécût à Paris, la mère du général de Gaulle se rendit dans sa famille à Lille pour donner naissance à son fils, en accord avec la tradition familiale de la famille Maillot[16]. La famille se rend régulièrement à Lille pour voir la grand-mère Julia Delannoy-Maillot. Toute sa vie, Charles de Gaulle garde une relation particulière avec sa région d'origine[n 4].
Charles de Gaulle a trois frères et une sœur :
Très tôt, son père lui fait découvrir les œuvres de Maurice Barrès, Henri Bergson et Charles Péguy. Henri de Gaulle se dit monarchiste de regret et lit L'Action française, mais finit par douter de la culpabilité du capitaine Dreyfus ; pour autant, malgré des témoignages ultérieurs, rien n'indique qu'il se soit engagé politiquement dans le combat dreyfusard[18]. Jeanne de Gaulle est davantage passionnée de politique : dès la première page des Mémoires de guerre, Charles de Gaulle rend hommage à sa mère admirée, « qui portait à la patrie une passion intransigeante à l'égal de sa piété religieuse ».
Durant ses premières années, le jeune Charles est jugé par les siens comme un enfant « difficile ». Ses maîtres le regardent d'abord comme un élève médiocre, à la différence de son frère Xavier, très brillant[19]. Il parvient cependant à atteindre un très bon niveau dans les disciplines jugées essentielles, notamment l'histoire. Il déploie en sa faveur un sens de l'organisation, des processions comme des spectacles récréatifs[19]. Son humour et sa gaieté demeurent, lors des fêtes au collège notamment, tandis que sa culture personnelle reflète l'équilibre entre les matières scientifiques et littéraires[19].
Charles de Gaulle est scolarisé durant 4 ans à l'école primaire des Frères des écoles chrétiennes de la paroisse Saint-Thomas-d'Aquin. Il a son père comme enseignant chez les jésuites au Collège de l'Immaculée-Conception de la rue de Vaugirard à Paris. Lors de la crise politico-religieuse résultant des lois de 1901 et de 1905 qui interdit aux congrégations d'enseigner, le professeur de Gaulle fonde à Paris en 1907 un cours libre secondaire, l'École Louis de Fontanes, et inscrit son fils Charles chez les jésuites français en Belgique au collège du Sacré-Cœur installé au château d'Antoing[20]. Le jeune lycéen vit ainsi sa première expérience d'exil.
Le jeune Charles a quinze ans quand, en 1905, il rédige un récit dans lequel il se décrit en « général de Gaulle » sauvant la France, témoignage d'une ambition nationale précoce[21]. Plus tard, il explique à son aide de camp Claude Guy avoir eu dès son adolescence la conviction qu'il serait un jour à la tête de l'État[22],[n 5].
Après avoir été tenté par l'École centrale des arts et manufactures de Paris[19], Charles de Gaulle suit au collège Stanislas une année de préparation au concours de l'École militaire de Saint-Cyr[23]. Classé 119e sur 221, il intègre Saint-Cyr en 1909. Il en sort diplômé en 1912, se classant à la 13e place[n 6] et rejoint le 33e régiment d'infanterie à Arras comme sous-lieutenant. Il y est placé sous les ordres du colonel Pétain puis du lieutenant-colonel Stirn[24]. Il est promu lieutenant le .
Charles de Gaulle | ||
Le capitaine Charles de Gaulle à l'École supérieure de guerre, 44e promotion, 1922-1924. | ||
Origine | Français | |
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Allégeance | France | |
Arme | Armée de terre | |
Grade | Général de brigade | |
Années de service | 1908 – 1940[25] | |
Commandement | 507e régiment de chars de combat 4e division cuirassée |
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Conflits | Première Guerre mondiale Seconde Guerre mondiale |
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Faits d'armes | Bataille de Dinant Bataille de Verdun Bataille de Montcornet Bataille d'Abbeville Bataille de Dakar |
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Autres fonctions | Homme d'État Président du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1946 Président du Conseil des ministres en 1958 Président de la République de 1959 à 1969 |
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Famille | De Gaulle | |
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Lors de la Première Guerre mondiale, les quatre frères de Gaulle sont mobilisés comme officiers. Ils reviennent tous vivants et décorés[26].
Dès son premier combat à Dinant, en Belgique, le , Charles est touché à la jambe (« fracture du péroné par balles avec éclats dans l'articulation »)[27]. Sa blessure est opérée à l'hôpital Saint-Joseph à Paris[28]. Il est nommé capitaine en et retrouve le 33e RI sur le front de Champagne pour commander la 7e compagnie. Il est à nouveau blessé le , à la main gauche, au Mesnil-lès-Hurlus en Champagne. Décidé à en découdre, il désobéit à ses supérieurs en ordonnant de tirer sur les tranchées ennemies. Cet acte lui vaut d'être relevé huit jours de ses fonctions. Officier tatillon, volontiers cassant, son intelligence et son courage face au feu le distinguent au point que le commandant du 33e RI lui offre d'être son adjoint[29].
Le , son régiment est attaqué et décimé, anéanti par l'ennemi en défendant le village de Douaumont, près de Verdun. Sa compagnie est mise à mal au cours de ce combat et les survivants sont encerclés. Tentant alors une percée, il est obligé par la violence du combat à sauter dans un trou d'obus pour se protéger, mais des Allemands le suivent et le blessent d'un coup de baïonnette à la cuisse gauche[30]. Capturé par les troupes allemandes, il est soigné à l'hôpital de Mayence puis interné à Osnabrück en Westphalie[31]. Tenu pour mort au combat, cette disparition lui vaut d'être cité à l'ordre de l'armée[32],[n 7].
Après une tentative d'évasion manquée à Osnabrück[37], il est transféré à Neisse en Silésie puis à Sczuszyn en Empire russe (territoire moderne de la Biélorussie) et enfin au fort d'Ingolstadt, en Bavière, un camp de représailles destiné aux officiers prisonniers remuants[38]. Il y croise le futur général Georges Catroux, l'aviateur Roland Garros, le journaliste Rémy Roure, le colonel Lucien Nachin[n 8],[16],[39],[40] et le futur maréchal soviétique Mikhaïl Toukhatchevski, dont il partage la cellule[41]. Dans une lettre adressée à sa mère, il décrit sa situation de captif comme un « lamentable exil ». Pour tromper l'ennui, de Gaulle organise pour ses compagnons de captivité des exposés magistraux sur l'état de la guerre en cours. Mais surtout, il tente de s'évader à cinq reprises, sans succès, au cours de sa détention de trente-deux mois dans une dizaine de camps différents (Osnabruck, Neisse, Sczuczyn, Ingolstadt, forteresse de Rosenberg (de), prison militaire de Passau, camps de Wülzburg (de) ou de Würzburg[n 9] et de Magdebourg)[46]. Il est libéré après l'armistice du et retrouve les siens le mois suivant. De ces deux ans et demi de captivité, il garde un souvenir amer, estimant être un « revenant », un soldat inutile qui n'a servi à rien[47]. Toutefois, il reçoit la croix de chevalier de la Légion d'honneur, le , et la croix de guerre 1914-1918 avec étoile d'argent[26].
Charles de Gaulle poursuit sa carrière militaire sous la protection de Pétain, dans un premier temps.
Le , il arrive à Saint-Maixent pour suivre les cours de remise à niveau destinés aux officiers de retour de captivité. Désireux de relancer sa carrière militaire compromise par ses mois de détention, il cherche à s'engager sur un théâtre d'opération, et postule simultanément pour un engagement dans l'armée d'Orient et auprès de l'armée de Pologne. Début , il obtient son détachement auprès de l'Armée polonaise autonome qui commence à quitter la France pour la Pologne. Il effectue dans le pays deux séjours très rapprochés, le premier d' à , et le second de à la fin du mois de [48]. Dans le cadre de la mission militaire française du général Henrys, le capitaine de Gaulle est affecté comme instructeur à l'école d'infanterie de Rembertow. Il y exerce successivement les fonctions d'instructeur, de directeur des études en , et enfin de directeur du cours des officiers supérieurs à partir de .
Repoussant l'offre du général Henrys qui lui proposait de poursuivre sa mission auprès de lui, de Gaulle, qui ambitionne de se présenter au concours de l’École supérieure de guerre dans les meilleures conditions, retourne en France. Déçu par le poste qui lui échoit au cabinet des décorations du ministre, et alors que la guerre soviéto-polonaise fait rage, il repart en Pologne en . D'abord témoin des épreuves traversées par la population polonaise, il prend ensuite activement part aux opérations avec le général Bernard au sein du 3e bureau du groupe d'armées Sud (puis Centre) commandé par le général polonais Rydz-Śmigły. Il y gagne une citation. Après la victoire de la Pologne, il rédige notamment un rapport général sur l'armée polonaise. Si à l'analyse de l'action de l'unique régiment de chars FT 17, il a pu écrire « Les chars doivent être mis en œuvre rassemblés et non dispersés », de Gaulle découvre surtout en Pologne la guerre de mouvement et l'emploi des grandes unités de cavalerie comme élément de choc et moyen d'obtenir une décision à portée stratégique.
Son père (qui s'était fait rappeler à 66 ans en 1914) se retire progressivement de l'enseignement et Charles de Gaulle indique à sa famille qu'il souhaite se marier. Il a été affecté par le décès sous les bombes d'une « quasi fiancée », en 1916 en Belgique. Les familles lui présentent une jeune fille issue de la bourgeoisie du Nord. Le , Charles de Gaulle épouse Yvonne Vendroux ; le mariage religieux est célébré le lendemain à l'église Notre-Dame de Calais[49]. Le couple a trois enfants :
À son retour, le capitaine de Gaulle est chargé de cours d'histoire à l'École de Saint-Cyr[51], avant son admission à l'École supérieure de guerre en 1922. En conflit de doctrine avec ses supérieurs dont il conteste la vision stratégique trop liée à la planification défensive et compartimentée du terrain, mais bénéficiant de la protection de Philippe Pétain, il est mal noté, mais continue de se faire une réputation prometteuse.
En 1924, à l'occasion d'une visite à l'École de guerre, Pétain s'étonne de la faiblesse des notes attribuées à de Gaulle. Ses professeurs appréciaient peu l'indépendance de celui-ci, trait de caractère qu'il partageait avec Pétain. L'intervention de Pétain a probablement conduit à une rectification à la hausse desdites notes[52].
En 1925, il est détaché à l'état-major de Philippe Pétain, vice-président du Conseil supérieur de la Guerre. Celui-ci l'impose comme conférencier à l'École de guerre et lui demande de préparer la rédaction d'un ouvrage sur l'histoire du soldat. En 1927, en présence de Pétain, il présente à l'École de guerre trois conférences remarquées, respectivement intitulées : « L'action de guerre et le chef », « Du caractère », et enfin « Du prestige ».
Promu chef de bataillon le , il part le mois suivant pour Trèves prendre le commandement du 19e bataillon de chasseurs à pied (BCP)[53]. Il y conduit un commandement énergique et continue ses conférences comme dans son poste suivant.
En , il est affecté à l’État-major des Troupes du Levant à Beyrouth où il est responsable des 2e et 3e bureaux (renseignement militaire et opérations). Accompagné de sa famille, il y demeure jusqu'en [54]. Il effectue plusieurs missions à Alep, Damas, Homs, Palmyre. En , il participe à une expédition de pacification sur les territoires majoritairement kurdes du nord-est de la Syrie. Dans une lettre de à son père, il exprime sa fierté d’avoir atteint le Tigre au nom de la France : « C’était, je pense, la première fois dans l’histoire que des soldats français y allaient en armes »[55].
Grâce à l'appui du maréchal Pétain, il est affecté en au secrétariat général de la Défense nationale à Paris. Ce nouveau poste est capital, car c'est l'occasion de s'initier aux affaires de l'État[56], puisqu'il est chargé en particulier de travailler au projet de loi militaire. Le , il est promu lieutenant-colonel.
C'est durant ces années que Charles de Gaulle développe ses théories militaires : il publie La Discorde chez l'ennemi (1924), Le Fil de l'épée (1932), Vers l'armée de métier (1934) et enfin La France et son armée (1938).
Ce dernier livre est préparé depuis 1925 pour Philippe Pétain ; de Gaulle s'y consacre pendant deux ans (sous le titre de Le Soldat), et Pétain lui permet même de présenter les trois conférences citées plus haut. Mais, jugeant que la partie sur la Grande Guerre n'est pas suffisante, le maréchal veut confier la suite du travail au colonel Audet. Ceci blesse de Gaulle qui prétend finir seul le travail ; l'ouvrage est mis au placard jusqu'en 1938. En 1932, de Gaulle dédicace néanmoins au maréchal Pétain son ouvrage Le Fil de l'épée : « Car rien ne montre mieux que votre gloire, quelle vertu l'action peut tirer des lumières de la pensée ». Mais en 1938, de Gaulle décide de publier sous son nom le texte du Soldat, et en avertit Pétain, qu'il cite dans la préface comme « inspirateur de l'ouvrage », dont il a retiré toutes les suggestions et observations faites par son supérieur. Pour arranger les choses, Pétain le reçut chez lui et lui proposa de rédiger une dédicace que de Gaulle estime pouvoir adapter dans un premier temps ; devant cette réécriture, Pétain intervient directement auprès de l'éditeur pour demander une correction, que de Gaulle lui accorde bien volontiers, « vos désirs [étant] pour moi des ordres ». Mais Pétain semble considérer désormais que le colonel n'est plus qu'un ambitieux dépourvu d'éducation, et le lieutenant-colonel de Gaulle a perdu sa considération pour Pétain (depuis déjà le renvoi par Pétain de Lyautey) d'où une brouille définitive entre les deux hommes qui ne se reverront brièvement qu'en [57],[58],[59].
Dans son premier ouvrage, de Gaulle insiste sur la nécessité de l'unité du commandement et de la nation, donnant la primauté au politique sur le militaire. C'est selon lui à cause de ses divisions que l'Allemagne a perdu. En publiant la reprise de ses conférences sur le rôle du commandement, en 1932, dans Le Fil de l'épée il rappelle l'importance de la formation des chefs et le poids des circonstances. Si de Gaulle étudie l'importance de la défense statique au point d'écrire : « La fortification de son territoire est pour la France une nécessité permanente […] L'encouragement de l'esprit de résistance d'un peuple par l'existence de fortifications permanentes, la cristallisation, l'exaltation de ses énergies par la défense des places sont des faits que les politiques comme les militaires ont le devoir de reconnaître dans le passé et de préparer dans l'avenir », il n'en est pas moins sensible aux idées du général Jean-Baptiste Eugène Estienne sur la nécessité d'un corps de blindés[60], alliant le feu et le mouvement, capable d'initiatives et d'offensives hardies. Sur ce point il entre de plus en plus en opposition avec les doctrines officielles, en particulier celles de Pétain.
Dans son ouvrage Vers l'armée de métier, il développe cette question de fond qui nécessite la création d'une armée professionnelle aux côtés de la conscription. Il devient alors le promoteur de la création d'unités blindées autonomes non liées à l'infanterie. Cependant, cette idée rencontre peu d'échos favorables, à l'exception notable de Paul Reynaud, député de centre-droit, ou de Philippe Serre.
À ce sujet, l'armée comptait d'ardents partisans des divisions cuirassées : les généraux Weygand, Billotte, Héring, Doumenc, Delestraint et, en particulier, la plupart des généraux issus de la cavalerie, comme Prioux qui sera en 1940 vainqueur tactique d'une bataille contre un corps d'armée de panzers allemands, ou Touzet du Vigier qui commandera l'une des deux divisions blindées de 1944 sous les ordres de De Lattre[61].
À l'étranger, en revanche, l'idée du général Estienne d'employer des blindés dans une « percée motorisée » reprise par de Gaulle a déjà suscité la plus grande attention (Heinz Guderian, Liddell Hart). Vers l'armée de métier n'a en France qu'un bref succès de curiosité et ne fait que conforter le général Guderian dans ses idées, lui qui était déjà en train de créer la force mécanique allemande[n 10]. Néanmoins, les théories de Charles de Gaulle sont suivies avec intérêt par Adolf Hitler, Albert Speer rapportant que le Führer avait lu à plusieurs reprises le livre du général de Gaulle et qu'il affirmait avoir beaucoup appris grâce à lui[63].
En revanche, contrairement à son influent aîné le colonel Émile Mayer (dont il est intellectuellement proche, se considérant comme son élève[64]), de Gaulle ne perçoit pas l'importance de l'aviation à laquelle il n'attribue qu'un rôle secondaire : « Les troupes à terre recevront de l'aviation une aide précieuse quant à leur camouflage. Les fumées épandues sur le sol du haut des airs cachent en quelques minutes de vastes surfaces du sol tandis que le bruit des machines volantes couvre celui des moteurs chenillés ». Il faudra attendre l'édition de 1944 où il fera ajouter une phrase : « Mais surtout en frappant elle-même à vue directe et profondément, l'aviation devient par excellence l'arme dont les effets foudroyants se combinent le mieux avec les vertus de rupture et d'exploitation de grandes unités mécaniques ».
À Paris, de Gaulle est introduit par Lucien Nachin dans le salon non conformiste qui se tient autour du colonel Mayer, retraité très ouvert, favorable à une réforme de la stratégie : l'état-major ne doit pas se contenter d'une stratégie défensive derrière la ligne Maginot. Cependant, ni l'un ni l'autre ne sont écoutés[40]. Partant des idées du général Fuller et du critique militaire britannique Liddell Hart, Charles de Gaulle défend une guerre de mouvement menée par des soldats de métier, et appuyée par des blindés.
Charles de Gaulle fait une conférence à la Sorbonne au printemps 1934, sous l'égide du cercle Fustel de Coulanges, une vitrine de l’Action française[65]. Influencé originellement par la tradition monarchiste, Charles de Gaulle, militaire soumis au devoir de réserve, révèle dans sa correspondance privée son peu de considération pour le parlementarisme et lui préfère un régime fort, tout en se tenant publiquement à l'écart de l’anti-républicanisme d'une partie de l'armée[66]. Cette méfiance à l'égard du parlementarisme explique que Charles de Gaulle se soit senti avant la guerre proche de l'Action française, avant que la position de Maurras relative aux accords de Munich ne l'en éloigne. Ainsi, Paul Reynaud, qui rencontra en captivité en Allemagne la sœur du général de Gaulle, Marie-Agnès Cailliau, note dans ses carnets de captivité parlant de cette dernière[67] : « Très franche, intelligente et bonne, [elle] nous raconte que Charles était monarchiste, qu'il défendait Maurras contre son frère Pierre jusqu'à en avoir les larmes aux yeux dans une discussion. Mais au moment de Munich, il a désapprouvé entièrement l'attitude de Maurras. » De même, Christian Pineau dira à André Gillois « que le général avait reconnu devant lui qu’il avait été inscrit à l’Action française et qu’il s’était rallié à la République pour ne pas aller contre le sentiment des Français »[68]. Lui-même résistant de gauche, Claude Bourdet qualifiera de Gaulle d’homme de droite, longtemps proche de l’Action française, devenu républicain par mimétisme[69]. Selon Edmond Michelet, de Gaulle subit l’influence de Maurras[70],[n 11].
Pourtant, si la pensée de Maurras a influencé de Gaulle[n 12] durant la première partie de sa vie, celles de Charles Péguy[72],[73],[74]et de Maurice Barrès[75] ressortiront davantage dès les années 1930.
De fait il fréquente le colonel Émile Mayer, officier israélite, dreyfusard et socialisant. Ayant avant la Première Guerre mondiale assisté à Lille à des meetings de Jaurès, il a aussi fréquenté le socialiste Club du Faubourg et les mouvements non-conformistes des années 30 (Esprit). Il adhéra également aux Amis de Temps présent, groupe de militants qui soutenait Temps présent, comme l'indique Éric Roussel, qui signale cependant que de Gaulle « n'est pas devenu pour autant démocrate-chrétien, loin s'en faut[76]. » Cet hebdomadaire est en effet de la mouvance catholique progressiste et proche du Sillon de Marc Sangnier[77], mouvance qui fut favorable au Front populaire et à l'intervention de la France aux côtés des républicains espagnols. L'hebdomadaire Temps présent saluera la nomination de Charles de Gaulle comme sous-secrétaire d'État à la Guerre dans son dernier numéro de , comme le signale le Centre d'information sur le gaullisme[78], signalant au passage que de Gaulle fut aussi l'un des premiers abonnés à Sept, hebdomadaire à direction religieuse dont Temps présent était le successeur.
Le , Charles de Gaulle publie dans la revue militaire une étude sur la mobilisation économique à l'étranger. À la recherche d'exemples pour la France, il cite parmi d'autres l'Italie mussolinienne[n 13], mais étudie aussi favorablement l'exemple de l'Amérique de Roosevelt. Le futur général de Gaulle fera l'apologie du livre La réforme de l'État publié par André Tardieu en 1934 et dira s'en être inspiré pour la constitution de la Ve République[79].
De fait, avant la guerre, de Gaulle n'est pas un idéologue, mais un homme de réflexion et d'action[n 14] et d'ambition.
À cette fin, il se rapproche d'hommes politiques de différentes tendances pour se faire connaître et faire progresser ses idées. Dans le salon de Mayer, il a fait la connaissance de l'avocat Jean Auburtin, qui affirme être son principal mentor politique. De fait, Auburtin peut lui présenter Paul Reynaud (accompagné de son conseiller d'alors, Gaston Palewski), que de Gaulle fréquente ensuite régulièrement (il lui écrira soixante fois de 1936 à 1940[n 15]), et qui portera au palais Bourbon le système du colonel. Auburtin lui présente également d'autres personnalités politiques plus à gauche, telles que Léo Lagrange (président de la commission de l'armée à la Chambre des députés) et Marcel Déat, tous deux intéressés par l'armée de métier[80] ; si le premier ne s'engage pas par loyauté envers Léon Blum, le second, qui vient de rompre avec le dirigeant de la SFIO, accepte de lui prêter son concours (après sa défaite aux élections de 1936 — et son attirance pour une voie opposée, Déat ne sera plus d'un réel soutien)[81]. De Gaulle affirme à propos de Déat en , après avoir reçu un exemplaire de Le Front populaire au tournant[82] : « Déat a sans aucun doute un grand talent et une haute valeur. C'est de quoi on lui en veut. Mais patience, je crois qu'on le verra remonter et aller très haut. » Il enverra à Déat en 1940 un exemplaire de son mémorandum L’Avènement de la force mécanique, lui manifestant alors encore un intérêt certain[83].
À la publication de l'ouvrage, Léon Blum manifeste sa vive hostilité pour les idées de l'armée de métier du colonel de Gaulle dans trois articles publiés par le Populaire, car il craint qu'elle ne soit utilisée contre le peuple, notamment les grévistes. Et, de fait, comme le montre une lettre de 1935 envoyée à Paul Reynaud, de Gaulle n'excluait nullement une telle possibilité. Certains passages des livres publiés par le colonel de Gaulle suscitent d'ailleurs l'approbation de l'Action française[84].
En 1935, de Gaulle approuve le pacte franco-soviétique signé par Laval et Staline, évoquant l'alliance de François Ier avec les musulmans contre Charles Quint pour justifier une alliance destinée à assurer la survie du pays pour justifier un accord avec les Russes « quelque horreur que nous ayons pour leur régime »[85]. De Gaulle décide de faire abstraction des — vices — et des « crimes du régime soviétique » en ne retenant que la théorie de l'ennemi : « nous sommes très franchement avec les Russes puisqu'ils combattent les Allemands »[86]. Comme le dit Claude Bouchinet-Serreulles, « De Gaulle se moque pas mal de Staline ou du communisme, il ne veut voir que l'allié dans la lutte contre l'Allemagne nazie »[87].
Charles de Gaulle explique dans Vers l'armée de métier quelle est la condition pour faire aboutir ses idées qui sont d'abandonner le service militaire universel au profit d'une armée motorisée composée exclusivement de professionnels : « Il faut qu'un maître apparaisse, indépendant dans ses jugements, irrécusable dans ses ordres, crédité par l'opinion. Serviteur du seul État, dépouillé de préjugés, dédaigneux des clientèles, commis enfermé dans sa tâche, pénétré de longs desseins, au fait des gens et des choses du ressort, faisant corps avec l'armée, dévoué à ceux qu'il commande, homme assez fort pour s'imposer, assez habile pour séduire, assez grand pour une grande œuvre, tel sera le ministre, soldat ou politique, à qui la patrie devra l'économie prochaine de sa force. ». Il affirme également : « Il n'est point de regroupement, de parti, de consul, qui n'invoque le redressement, l'ordre nouveau, l'autorité. Nul doute qu'à bref délai le jeu des institutions, suivant le mouvement des besoins, n'ouvre le champ aux résolus. » Cet appel à la figure du grand homme était déjà présent dans Le Fil de l'épée, où, dès 1932, il exalte[88], « les ambitieux de premier rang […] qui ne voient d'autre raison que d'imprimer leur marque aux événements » ; dans cet ouvrage, il affirme également : « On ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l'avoir voulu. » Dans le Fil de l'épée, il brosse le portrait de l'ambitieux de haute stature qui n'est pas forcément un soldat, à tout le moins un émule de Louvois, Carnot, ou au moins de Gouvion Saint-Cyr ou Thiers[89].
Néanmoins, Blum se laisse progressivement intéresser par la thématique des chars qu'il soutiendra tardivement au moment de la guerre.
En , le lieutenant-colonel de Gaulle est affecté au 507e régiment de chars de combat basé au quartier Lizé à Montigny-lès-Metz. C'est la rencontre concrète avec « son » outil. Il en prend le commandement par intérim le suivant, puis est promu colonel le [90]. Lors des manœuvres, il tente d'imposer, contre le règlement, sa conception de l'usage autonome des blindés, ce qui lui vaut l'hostilité de son supérieur, le général Henri Giraud.
Lorsque la guerre éclate, Charles de Gaulle est toujours colonel, et commande par intérim les chars de la 5e armée du général Bourret. Le , il envoie à quatre-vingts personnalités civiles ou militaires, dont Léon Blum et Paul Reynaud, ainsi qu'aux généraux Maurice Gamelin et Maxime Weygand, un mémorandum fondé sur les opérations de Pologne. Intitulé L'Avènement de la force mécanique, le texte insiste sur la nécessité de constituer de grandes unités autonomes blindées plutôt que de disperser les chars au sein d'unités tactiques plus larges, comme le préconise l'état-major. Trois jours avant l'offensive allemande du , qui conduit à une percée rapide du front français, le colonel de Gaulle est averti de la décision du commandement de lui confier la 4e DCR (364 blindés[91]) dont il prend effectivement le commandement le . De Gaulle est conseillé par Georges Boris[92],[93],[94].
Le , il reçoit la mission de retarder l'ennemi dans la région de Laon afin de gagner des délais nécessaires à la mise en place de la 6e armée chargée de barrer la route de Paris. Mais sa division blindée n'est encore qu'en cours de constitution, ses unités n'ayant jamais opéré ensemble. Il dirige pourtant avec cette unité une contre-attaque vers Montcornet, au nord-est de Laon. C'est l'une des seules qui parviennent à repousser momentanément les troupes allemandes. Prévoyant la défaite rapide de l'armée française sous l'offensive allemande, les civils et les militaires désarmés sur les routes, il affirme que c'est durant la journée du 16 mai que « ce qu'[il] a pu faire, par la suite, c'est ce jour-là qu'[il] l'a résolu »[n 16]. N'ayant reçu qu'une partie des unités de la 4e DCR, le colonel de Gaulle lance une première attaque avec 80 chars pour tenter de couper les lignes de communication des divisions blindées allemandes le 17 mai. Après avoir atteint ses objectifs dont la ville de Montcornet, la 4e DCR, n'étant pas appuyée, est contrainte de se replier face à l'intervention de renforts ennemis. Les autres unités de la 4e DCR l'ayant rejoint, une nouvelle attaque peut être lancée avec 150 chars qui, après avoir permis d'atteindre les premiers objectifs, est arrêtée par l'intervention de l'aviation d'assaut et de l'artillerie allemandes.
Le , à la suite de la bataille de Montcornet, l'état-major envoie un correspondant de guerre pour interroger de Gaulle, qui lance à cette occasion, à Savigny-sur-Ardres, un premier appel radiodiffusé destiné à remonter le moral des Français en vantant les mérites des divisions blindées et qui se termine par la phrase : « Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne »[96].
Le , il est nommé général de brigade à titre temporaire[97],[98]. Cette nomination, dans une promotion de six colonels, correspond au fait que de Gaulle en tant que commandant d'une division blindée depuis le , fait déjà fonction de général, ses trois collègues commandants de division blindée (DCR) étant tous déjà généraux. Elle suscite la satisfaction de Charles Maurras dans l'Action française[99],[100],[n 17].
Trois jours plus tard, le , il attaque à deux reprises pour détruire une poche que l'ennemi a conquise au sud de la Somme, à hauteur d'Abbeville. Malgré un déplacement préalable de 200 km qui a lourdement éprouvé le matériel de la 4e DCR, l'opération permet de résorber toute la poche en capturant 400 soldats allemands, mais pas de prendre la ville d'Abbeville. De Gaulle ne parvient que plus tard à franchir la Somme au nord d'Abbeville, une seconde attaque ne permettant pas de prendre la ville, avant de se replier avec la 4e DCR.
Ces résultats limités n'empêchent pas le général Weygand, chef des armées, de décerner le au général de Gaulle une citation très élogieuse en tant que commandant d'une division blindée près d'Abbeville : « Chef admirable de cran et d'énergie. A attaqué avec sa division la tête de pont d'Abbeville très solidement tenue par l'ennemi. A rompu la résistance allemande et progressé de 14 kilomètres à travers les lignes ennemies, faisant des centaines de prisonniers et capturant un matériel considérable »[101]. Commentant le comportement militaire de De Gaulle sur le terrain, l'historien Henri de Wailly juge que celui-ci, loin d'avoir été particulièrement brillant, a montré dans la bataille « les mêmes faiblesses et les mêmes incompétences » que les autres dirigeants militaires[102].
Au cours de la bataille de Montcornet du 17 mai, la division de De Gaulle perd une quinzaine de soldats tués, une dizaine d'autres blessés et 25 chars contre 85 engagés (les Allemands n'ayant de leur côté perdu aucun char), Face au défaitisme ambiant, la bataille de Montcornet, qui se solde pourtant par une défaite sur le plan militaire, pris l'allure d'une victoire morale.[pas clair][103]. Elle doit être mise en vis-à-vis de la bataille de Hannut des 12-14 mai. Celle-ci est livrée en Belgique par un corps d'armée blindé dirigé par le général Prioux contre un corps allemand de deux panzer-divisions commandé par le général Hoepner. Elle est considérée comme une victoire sans lendemain, du fait de l'effondrement militaire sur la droite et la gauche du corps Prioux. Côté français, sont engagés sans soutien aérien 411 chars (dont 105 à 164 détruits ou perdus), 104 canons (dont 40 antichars et 12 de DCA). Côté allemand, 623 chars (dont 50 à 164 détruits et 200 endommagés) qui sont engagés, 397 canons (dont 159 antichars et 72 de DCA), ainsi qu'un soutien aérien très actif. Le corps de panzer est arrêté par le corps d'armée français qui doit reculer par la suite pour ne pas être enveloppé sur ses ailes où d'autres unités ont été vaincues[104].
Entre le et le , la Grande-Bretagne décide, sans concertation avec le commandement français, de replier son armée en rembarquant par Dunkerque la totalité de son corps expéditionnaire de 200 000 hommes, ainsi que 139 229 Français, laissant le reste de l'armée française seule face aux Allemands qui capturent tout leur matériel (2 472 canons, près de 85 000 véhicules, 68 000 tonnes de munitions, 147 000 tonnes de carburant, 377 000 tonnes d'approvisionnements) et font prisonnier les 35 000 soldats français restants.
Le , le colonel de Gaulle est nommé général de brigade[105].
Le , le chef du gouvernement, Paul Reynaud, relève Édouard Daladier de son ministère et exerce dès lors à sa place les fonctions de ministre de la Guerre.
Le , le général de Gaulle est convoqué d'urgence à Paris par le président du Conseil et ministre de la Guerre, Paul Reynaud, pour occuper dans son gouvernement le poste de sous-secrétaire d'État à la Défense nationale et à la Guerre[105]. Charles de Gaulle sort alors de la hiérarchie militaire pour commencer une carrière politique. Il a pour mission de coordonner l'action avec le Royaume-Uni pour la poursuite du combat. Le , il rencontre le Premier ministre du Royaume-Uni, Winston Churchill.
Charles de Gaulle quitte Paris, qui est déclarée ville ouverte et occupée par les Allemands, le . Il rejoint alors Orléans, Briare et Tours[106].
C'est le moment des ultimes réunions du Conseil suprême interallié où Churchill, lors de la conférence de Briare à laquelle de Gaulle participe avec un rôle important, puisqu'il est presque le ministre de la Guerre[107], tente de convaincre le gouvernement français de continuer la guerre, malgré la défection totale de l'armée anglaise rembarquée à Dunkerque. Le général Weygand demande l’intervention des 25 escadrilles de chasse de la RAF qui avaient été promises par les Anglais pour pousser la France à entrer en guerre, mais Churchill refuse, car il veut les réserver pour la défense contre une attaque directe du territoire de l'Angleterre.
Le , il est en mission à Londres et dicte au téléphone la note de Jean Monnet à Paul Reynaud, intitulée Anglo-French Unity, d'une Union franco-britannique votée le jour même par la Chambre des communes, consistant dans la fusion des armées, notamment des marines, des territoires, des colonies et du gouvernement français dans l'Empire britannique. Il fait valoir que dans le cadre
« d'un gouvernement unique franco-britannique et vous, Monsieur le Président, pouvez être Président du cabinet de Guerre franco-britannique. »
De retour à Bordeaux, il apprend avec consternation, le , la démission du président du Conseil, Paul Reynaud, son remplacement par Philippe Pétain. Le même jour, la nomination du général Weygand, alors chef d'état-major de l'Armée, comme ministre de la Défense nationale et de la Guerre sonne le glas des ambitions ministérielles de De Gaulle. Le transfert des pouvoirs de chef de gouvernement à Pétain n'ayant lieu que le lendemain, de Gaulle est encore membre du gouvernement Reynaud et se dit qu'il court peu de risques en quittant la France[108].
Le représentant de Churchill auprès du gouvernement français, le général Edward Spears, est venu à Bordeaux pour tenter de convaincre Paul Reynaud et Georges Mandel de rejoindre Londres, comme le prévoit le projet d'Union franco-britannique, mais sans succès[109],[110]. Ceux-ci avaient l'intention d'embarquer pour l'Afrique du Nord à bord du Massilia. N'ayant plus de rôle à jouer dans le nouveau gouvernement, et Paul Reynaud lui ayant fait remettre par son ex-directeur de cabinet Jean Laurent 100 000 francs prélevés sur les fonds secrets pour sa logistique à Londres, De Gaulle et son aide de camp Geoffroy Chodron de Courcel, obtiennent du général Spears, après maintes hésitations[111], d'embarquer avec lui dans le de Havilland Flamingo qui repartait à Londres le , tout en faisant croire à un enlèvement[112].
Le gouvernement britannique avait tenté vainement de convaincre Paul Reynaud de transférer le gouvernement français au Royaume-Uni avec Georges Mandel, ancien ministre des Colonies devenu ministre de l'Intérieur, qui aurait lancé lui-même un appel à poursuivre les combats avec toutes les ressources de l'Empire français. Réfugiés à Bordeaux avec leurs familles pour fuir l'invasion allemande, ceux-ci avaient réquisitionné le paquebot Massilia, qui devait appareiller le pour l'Afrique du Nord.
Le , de Gaulle se prépare à parler aux officiers et aux soldats français sur Radio Londres de la BBC.
Le ministre des Affaires étrangères lord Halifax n'est pas favorable à cet appel, car il veut éviter de gêner le gouvernement Pétain dans ses négociations d'un armistice le plus favorable possible aux Alliés. Tout au long de la journée du , le Conseil des ministres britannique discute du texte de De Gaulle. Le cabinet britannique tente de s'opposer à cette intervention radiophonique, mais il semble que le soutien de Winston Churchill l'ait permise[115].
Après avoir déjeuné avec Duff Cooper, ministre de l’Information britannique, le général de Gaulle doit rendre son texte plus neutre : le cabinet de guerre britannique veut ménager Philippe Pétain, chef du gouvernement français, dont il ne connaît pas encore l'orientation[116]. Pétain n'est pas nommé dans le discours, et la première phrase du discours faisant référence à la trahison du nouveau gouvernement qui « s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat. » est également supprimée[117],[118] et remplacée par :
« Le gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions honorables un cessez-le-feu était possible. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la dignité et l’indépendance de la France, la lutte devait continuer[119]. »
Cette modification longtemps occultée disparaît dans le Bulletin officiel des Forces françaises libres du , dans le premier numéro du Journal officiel de la France libre le , puis dans les Mémoires de guerre et dans l'ensemble des recueils de discours du général de Gaulle, qui continuent à faire commencer l'appel avec la phrase supprimée qui décrivait parfaitement la situation d'éviction que De Gaulle vivait à ce moment :
« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.
Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat[116]. »
Aucun enregistrement de l'appel radiophonique n'ayant été conservé, son texte est souvent confondu, soit avec celui de l'appel du , soit avec un appel encore différent filmé le pour les actualités cinématographiques[120], soit avec celui de la célèbre affiche placardée dans des rues de Londres le .
En , le journal Le Monde en partenariat avec l'Institut de Recherche et Coordination Accoustique Musique (IRCAM), avec la participation de l'acteur François Morel, a reconstitué une version du discours radiodiffusé le 18 juin 1940, avec l'aide de l'intelligence artificielle[121].
« Le gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions honorables un cessez-le-feu était possible. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la dignité et l’indépendance de la France, la lutte devait continuer.
[…] Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique terrestre et aérienne de l'ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui. […]
La France n'est pas seule […] elle a un vaste empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut comme l'Angleterre utiliser sans limite l'industrie des États-Unis. […]
Moi, Général De Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas[119]. »
En France, l'appel du 18 Juin peut être entendu à 19 h. Il appelle tous les officiers et les soldats qui se trouvent en territoire britannique ou qui pourraient s'y trouver à le rejoindre et à continuer les combats. Ce texte est à l'origine du mythe faisant du général le « père de la Résistance » alors que ce dernier ne prendra conscience de l'intérêt de la Résistance intérieure qu'à partir de 1941[122].
La BBC a communiqué le texte du Ministry of Information (MOI) à la presse, il est publié dans The Times du , page 6 col. 3, et le Daily Express, et par quelques quotidiens régionaux français, Le Petit Provençal à la une (colonnes 5 et 6) de son édition de Marseille du mercredi [123]. Très peu de personnes se souviennent d'avoir entendu ce discours, ou même de l'avoir remarqué dans la presse[124].
Les actions de De Gaulle à Londres se font sans aucun ordre de mission. Le , le général Weygand, qui est ministre de la Guerre et son supérieur hiérarchique, lui donne l'ordre de revenir de Londres[126],[127] et le il annule sa promotion au grade de général à titre temporaire. Le , le président de la République Albert Lebrun prend un décret décidant de mettre le colonel de Gaulle à la retraite d'office par mesure disciplinaire[128], et de le traduire devant le Conseil de guerre, qui le condamne le à quatre ans de prison et à la perte de sa nationalité française[129],[n 18].
Un mois après le déclenchement de l'opération Catapult par Winston Churchill avec l'attaque sur Mers el-Kébir (du 3 au ), l'attaque du cuirassé Richelieu à Dakar par les Fairey Swordfish du porte-avions HMS Hermes et du cuirassé Jean Bart à Casablanca par des vedettes lance-torpilles britanniques (le )[131], et tandis que de Gaulle préparait l'attaque de Dakar, il est inculpé de « trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l'État, désertion à l'étranger en temps de guerre sur un territoire en état de guerre et de siège » et condamné à Clermont-Ferrand le à la « peine de mort, dégradation militaire et confiscation de ses biens meubles et immeubles ». Sa déchéance de la nationalité française est confirmée dans un décret du {{|8 décembre 1940}}[132],[n 19].
De Londres, de Gaulle crée puis dirige les Forces françaises libres. Il est reconnu par Winston Churchill chef des Français libres le . Mais son but est devenu beaucoup plus ambitieux que de mettre en place une légion de volontaires qui continuerait la lutte aux côtés de l'Empire britannique. Il s'agit pour de Gaulle d'ignorer le traité d'armistice qui a été signé et de poursuivre le projet établi de Paul Reynaud, de garder la France dans la guerre contre Hitler, en créant une armée et un contre-État doté de tous les attributs de souveraineté et légitimité, et qui se donne une base territoriale en ralliant les territoires français de l'Empire colonial, future plate-forme de la reconquête[133].
Dès le début de l'été 1940, à partir de presque rien et assisté de quelques volontaires, de Gaulle jette ainsi les bases d'une marine (FNFL), d'une aviation (FAFL), de forces terrestres (FFL), d'un service de renseignements (le BCRA du colonel Passy, vite actif en métropole). La croix de Lorraine proposée par l'amiral Muselier[n 20],[135],[136], devient son emblème. Les statuts juridiques de la France libre et ses rapports avec le gouvernement anglais sont fixés par le juriste René Cassin. La France libre a bientôt sa banque, son journal officiel, ses décorations — le Général fonde l'ordre de la Libération à Brazzaville dès , pour honorer ses « compagnons ». Des comités français libres actifs dans le monde entier se constituent et tentent de rallier à de Gaulle les Français de l'étranger, les opinions et les gouvernements[137]. Il y organise également le 27 octobre le Conseil de défense de l'Empire, à la suite de son « manifeste à Brazzaville »[138],[139].
En France, de Gaulle a été condamné deux fois par contumace[n 21]. En Grande-Bretagne, il trouve en revanche le soutien de Winston Churchill, mais aussi celui du Parlement, de la presse et de l'opinion publique, reconnaissantes au gallant French d'être resté aux côtés de leur pays au pire moment de la menace allemande. Cet appui, comme celui de l'opinion américaine, se révèle plus tard un atout très précieux lors des tensions avec Londres et Washington[143].
Convaincu de l’importance stratégique de l’empire colonial, de Gaulle annonce dès le 30 juin 1940 son intention d’instituer un Conseil de défense de l'Empire et adresse un appel à tous les fonctionnaires civils et militaires des colonies les exhortant à se rallier à son mouvement de résistance. D'abord, seuls les territoires insulaires du Pacifique, isolés dans un environnement géopolitique australo-britannique — les Nouvelles-Hébrides, puis la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie — et l'Inde française, se rallient. Le 26 août 1940, le ralliement du Tchad, également frontalier de territoires britanniques (Soudan anglo-égyptien et Nigeria), est accompli par le gouverneur Félix Eboué, et à la suite de quelques coups de force militaires, de Gaulle se rend maître du reste de l'Afrique-Équatoriale française. C’est dans la foulée de ces ralliements rapides qu'il tente de faire basculer l'Afrique-Occidentale française du côté de la France libre. L'opération de Dakar, ratée, tourne à la confrontation entre les flottes vichyssoises et britanniques les 23-25 septembre 1940. À la suite de cet échec, c'est presque tout l'Empire — Afrique-Occidentale française, Afrique du Nord, Levant, Madagascar, Djibouti, Indochine et Antilles — qui se ferme à de Gaulle, parfois farouchement et pendant longtemps. Malgré tout, le petit domaine colonial dont il dispose lui offre une base territoriale et humaine qui lui permet d'asseoir son mouvement[144],[145].
De Gaulle se place à la tête du Comité national français à partir du . Mais il fait surtout en sorte que la France reste présente dans le camp allié, par ses Forces françaises libres (FFL) qui combattent l'armée de Vichy sur les différents fronts. En outre, à partir de 1941-1942, il stimule et obtient le ralliement de la résistance intérieure, grâce au colonel Passy, à Pierre Brossolette et à Jean Moulin. Le , le Comité national français propose au gouvernement britannique, qui l'accepte, de changer l'appellation officielle du mouvement France libre en France combattante, afin d'intégrer la Résistance intérieure[146].
De nombreux facteurs s'opposaient à ce rapprochement de la résistance intérieure et des forces françaises libres. Dans La France de Vichy, Robert O. Paxton remarque qu'en 1940, bien des résistants de gauche refusent de voir un chef convenable dans ce militaire qu'ils croient à tort proche de l'Action française, et qui en 1940, est entouré par des Français libres favorables à un changement de régime. Selon Jean Pierre-Bloch, Christian Pineau, Henri d'Orléans (comte de Paris) et même le gaulliste Pierre Lefranc, le ralliement à la République n'aurait d'ailleurs été que tactique. À l'inverse, beaucoup de résistants de droite lui reprochent sa dissidence explicite avec Vichy — à moins qu'ils ne préfèrent, comme Marie-Madeleine Fourcade, n'avoir de relations qu'avec les services secrets britanniques. Le rôle de la radio, qui permet à De Gaulle d'être la voix de la France et son acceptation politique d'un retour à la république permettent à Jean Moulin de le faire reconnaître comme chef par l’essentiel des réseaux, y compris communistes.
Dès 1940, de Gaulle n'a de cesse que soient protégés les intérêts de la France, dans la guerre et après le conflit. Le , il obtient ainsi de Churchill la signature de l'accord de Chequers, par lequel le Royaume-Uni s'engage à sauvegarder l'intégrité de toutes les possessions françaises et à la « restauration intégrale de l'indépendance et de la grandeur de la France ». Le gouvernement britannique s'engage de plus à financer toutes les dépenses de la France libre, mais de Gaulle insiste pour que ces sommes soient des avances remboursables et pas des dons qui jetteraient une ombre, aussi ténue soit-elle, sur l'indépendance de son organisation.
Malgré les relations de confiance scellées par traités entre Churchill et de Gaulle, les deux hommes ont des relations parfois tendues, gênées par l'anglophobie que manifestait le Général dans les années 1920 et 1930. Churchill lance à de Gaulle en [147] : « Mais vous n'êtes pas la France ! Vous êtes la France combattante, nous avons consigné tout cela par écrit », de Gaulle réplique immédiatement :
« J'agis au nom de la France. Je combats aux côtés de l'Angleterre mais non pour le compte de l'Angleterre. Je parle au nom de la France et je suis responsable devant elle. »
Churchill renonce alors en poussant un « J'avais espéré que nous pourrions combattre côte à côte. Mais mes espoirs ont été déçus parce que si vous êtes si combatif que non content de lutter contre l'Allemagne, l'Italie et le Japon, vous voulez aussi combattre l'Angleterre et l'Amérique… » De Gaulle recadre alors le débat en précisant :
« Je prends cela comme une plaisanterie, mais elle n'est pas du meilleur goût. S'il y a un homme dont les Anglais n'ont pas à se plaindre, c'est bien moi. »
Ils sont au bord de la rupture en 1941, au sujet de la Syrie, puis en 1942 au sujet de sa convocation à Alger après le débarquement allié en Afrique du Nord (opération Torch).
Les relations avec Franklin Delano Roosevelt sont plus problématiques. Le président américain, personnellement francophile, a été déçu par l'effondrement de la France en 1940 et refroidi à l'égard de De Gaulle par l'échec de son entreprise devant Dakar (fin ). Les antigaullistes français sont nombreux à Washington, par exemple l'ancien secrétaire général du Quai d'Orsay Alexis Léger (Saint-John Perse) qui lui décrit ce général comme un « apprenti dictateur ». Le président est aussi très mal informé sur la situation en France par l'ambassadeur américain à Vichy (jusqu'au mois de ), l'amiral Leahy. Il n'a donc aucune confiance en de Gaulle. Un mot de de Gaulle à Churchill explique en partie l'attitude française face à l'Amérique : « Je suis trop pauvre pour me courber. » De surcroît, au contraire du Général qui mise beaucoup sur l'Empire français, le président américain est profondément hostile au système colonial. Roosevelt projetait de faire de la France un État faible, et le projet d'Allied Military Government of Occupied Territories (AMGOT) allait d'ailleurs très loin dans cette direction, en traitant la France comme un vaincu, plutôt que comme une des puissances victorieuses. La haine de Roosevelt était tellement flamboyante (il considérait de Gaulle au pire comme un futur tyran, au mieux comme un opportuniste) que même ses adjoints finirent par en prendre ombrage, y compris le secrétaire d'État Cordell Hull qui, finalement, se rangea aux côtés de la France libre et de son chef.
Jusqu'en 1943, les gouvernements en exil en Angleterre s'étaient contentés de relations de bon voisinage avec les gaullistes. C'est que tous ces gouvernements, qui étaient légaux, s'estimaient installés dans une meilleure position que les gaullistes qui étaient, de fait, des dissidents par rapport au gouvernement Pétain que les Français avaient installé dans des conditions reconnues légales, au début, par les grandes puissances. Cette situation évolua lentement. Mais, en 1943, le gouvernement belge en exil de Hubert Pierlot et Paul-Henri Spaak précipita le mouvement et fut le premier à reconnaître officiellement les « Français libres » et de Gaulle comme seuls représentants légitimes de la France. Le gouvernement anglais, en l'occurrence Anthony Eden, un proche de Churchill, avait tenté de dissuader les Belges, craignant que leur initiative serve de modèle aux autres gouvernements en exil. Les Américains eux-mêmes intervinrent, croyant pouvoir utiliser les relations commerciales belgo-américaines pour faire pression sur les Belges (notamment quant à leurs commandes d'uranium du Congo belge). Rien n'y fit. Malgré les pressions britanniques et américaines, Spaak fit savoir officiellement que la Belgique considérait dès lors le gouvernement Pétain comme dépourvu de légitimité et le Comité des Français libres, plus tard Gouvernement provisoire de la France, comme seuls habilités à représenter légalement la France[148].
En 1964, lors du vingtième anniversaire du débarquement de Normandie, le général de Gaulle, alors président de la jeune cinquième république, refusa de participer aux commémorations. Il expliqua au porte-parole du gouvernement, Alain Peyrefitte, les raisons d’une telle décision. Pour le Président de la République française, le débarquement du 6 juin 1944 fut une affaire « d’anglo-américains » de laquelle les Français furent délibérément exclus[149]. Pour l'historien Bruno Bourliaguet, « L’attitude de Charles de Gaulle envers les États-Unis après 1945 ne se comprend qu’en considérant les relations conflictuelles entretenues durant la Seconde Guerre mondiale avec le président Franklin D. Roosevelt »[150]. En effet, pour Éric Branca, il y aurait au premier chef de ces conflits, la tentative des Américains de profiter de l’écroulement de la France pour accaparer à leur avantage l’Empire colonial français : « le gouvernement américain proposait de placer – pour commencer – les colonies françaises sous le régime d’un International trusteeship » ; statut grâce auquel les États-Unis pourraient librement accéder aux marchés et aux ressources en plus de points stratégiques[151].
La crise de Saint-Pierre-et-Miquelon fut un autre moment fort des tensions entre la France libre et le gouvernement états-unien. D'après l'historien Jean-Baptiste Duroselle, les Alliés redoutaient que l’archipel français, sous autorité vichyste, ne devînt une base radio profitant aux sous-marins allemands. Le général de Gaulle proposa donc aux Alliés d’occuper l’île avec ses forces navales libres. Les Américains refusèrent, car ils avaient passé un accord avec le gouverneur vichyste de l’archipel. Dans un premier temps, de Gaulle ordonne à Muselier de s'emparer de l'ile avec ou sans le concourt des Alliés, ce qu'il refusera dans un premier temps, en apprenant cela, les Canadiens et américains projettent d'envahir l'ile sans l'aval de quiconque. Furieux en apprenant la nouvelle, de Gaulle ordonne à Muselier avec une grande insistance de s'emparer de l'ile au plus vite avec ou sans l'accord des alliés. L’insubordination de de Gaulle aux consignes américaines, fut comprise par Cordell Hull, le Secrétaire d’État, comme un grave outrage et un défi à l’autorité des États-Unis. Hull parla publiquement des volontaires français ayant réalisé cette action comme des « soi-disant (“ so-called ”) Français libre ». Cette expression lui fut vivement reprochée par l’opinion publique américaine, sympathique à l’égard de l’action des résistants français. Hull conclut de cette affaire que « de Gaulle était une sorte d’aventurier dangereux, d’apprenti dictateur »[152].
Lancée le 8 novembre 1942, l’Opération Torch visait, pour les Alliés, à prendre le contrôle de l’Afrique française du Nord (AFN). D'après Éric Branca, de ce débarquement en « terre de souveraineté française », de Gaulle ne fut pas prévenu, ce qu’il interpréta comme une volonté d’écarter son organisation. D'autant plus qu'à la suite de ce débarquement, les Étasuniens installèrent à la tête de l'AFN l'amiral Darlan, « ex-dauphin du maréchal Pétain et qui prétend gouverner au nom de celui-ci ». Il sera assassiné par la résistance locale le 24 décembre 1942 pour ces raisons[153]. Après cet assassinat, l'historien Serge Berstein nous explique que les Étasuniens appuient un « autre fidèle du maréchal Pétain », le général Henri Giraud, qui maintient en AFN les lois antisémites et est « excellent du point de vue américain », car piètre politicien et surtout n’ayant pas « l’esprit visionnaire de de Gaulle »[154]. D'après Duroselle, cette politique antigaulliste systématique de Roosevelt dite tactique du « troisième homme », qui visait à évincer le chef de la France libre au profit d’hommes de Vichy, marqua pour longtemps l’esprit de l’homme du 18 juin qui y vit une manoeuvre sournoise de l’impérialisme américain[155].
D’après Bruno Bourliaguet, l’antagonisme entre Roosevelt et de Gaulle atteignit son apogée à la veille du débarquement de Normandie[156]. Cette exacerbation des tensions s'explique par le projet allié de mise en place d’un Allied Military Government of Occupied Territory (AMGOT) en France. D’après l'historienne Régine Torrent, cet organisme, qui éveilla les passions, consistait en « l’occupation militaire de la France par des généraux britanniques et américains » qui maintiendraient et utiliseraient l’administration vichyste tout en réservant « le premier rang de l’administration nationale […] entre les mains du commandant en chef britannique ou américain ». Du point de vue des Étasuniens, de tels expédients s'expliquaient par les contingences de la guerre et la nécessité de maintenir l'ordre (un ordre qu'ils contrôleraient) sur les arrières de leurs armées. Le général de Gaulle, qui en 1944 était président du GPRF, considéra l’AMGOT comme une atteinte d’une extrême gravité à la souveraineté française. Une véritable « seconde occupation », « entreprise de soumission de la France au moyen d’une administration militaire » matérialisée par un franc imprimé aux États-Unis, "fausse monnaie" "symbolique des atteintes à la souveraineté française" qui devait avoir cours forcé dans la France libérée[157].
Enfin, de Gaulle s'efforce, sans doute en partie pour faire « plier » les anglo-saxons, d'entretenir les liens les plus étroits possibles avec l'URSS, notamment en voulant envoyer des régiments français se battre sur le front Est, ce que Churchill et Roosevelt empêchent corps et âmes. D’après Jean-Luc Barré, de Gaulle demande même à Bogomolov si, en cas de rupture avec les anglo-saxons, il serait possible de déménager les QG de la France Libre à Moscou[158].
Malgré son exclusion par Roosevelt du débarquement américano-britannique en Afrique du Nord (opération Torch), et surtout malgré le soutien apporté par les États-Unis à l'amiral François Darlan, puis au général Henri Giraud, de Gaulle réussit à prendre pied à Alger en . Le Comité national français fusionne avec le Commandement en chef français civil et militaire dirigé par Giraud, pour donner naissance au Comité français de libération nationale (CFLN), dont Giraud et de Gaulle sont coprésidents. Mais en quelques mois, de Gaulle marginalise Giraud au sein du CFLN, avant de l'évincer en à la faveur de la formation d'un nouveau gouvernement, et de s'affirmer comme le seul chef politique des forces françaises alliées[159]. Les Forces françaises libres fusionnent quant à elle avec l'Armée d'Afrique placée sous le commandement de Giraud : l'Armée française de la Libération, composée de 1 300 000 soldats, participe aux combats aux côtés des Alliés. Le à Alger, le CFLN devient le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).
Après le débarquement allié du , le général de Gaulle pose le pied en territoire français le 14 juin, sur la plage de Courseulles-sur-Mer, en Normandie, en descendant du torpilleur La Combattante. Il se rend à Creully pour y rencontrer le général Montgomery, qui avait installé son quartier général sur la pelouse du château de Creullet[160]. Ce même jour, il prononce le premier discours de Bayeux et les Français découvrent alors son imposante silhouette (il mesure 1,93 m).
La fermeté et la rapidité avec lesquelles le général de Gaulle rétablit l'autorité d'un gouvernement national permettent d'éviter la mise en place de l'AMGOT, prévu par les Américains, qui aurait fait de la France libérée un État administré et occupé par les vainqueurs.
L'itinéraire du au du général de Gaulle n'est pas tout à fait clair, les différentes sources comportant à ce sujet des imprécisions et des incohérences. Le , il est à Cherbourg. Il rencontre le général Eisenhower à Tournières. Il passe par Coutances, Avranches, Fougères pour se rendre à Rennes. Le , il se recueille à Paimpont sur la tombe de sa mère. Le , il est à Laval[161], où il prononce un discours type dans la suite du discours de Bayeux. Il passe ensuite à Meslay-du-Maine, Sablé, Le Mans, puis le à La Ferté-Bernard, Nogent-le-Rotrou, Chartres, et arrive enfin à Rambouillet à 18 h.
La 2e division blindée du général Leclerc libère Paris le et celui-ci reçoit la reddition de Von Choltitz. Ce même jour, le général de Gaulle se réinstalle au ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique à Paris, dans le bureau qu'il occupait jusqu'au , signifiant ainsi que « Vichy » était une parenthèse et que la République n'avait jamais cessé d'exister. Il se rend ensuite à l'hôtel de ville, où il prononce au milieu de la foule un discours resté célèbre. Il insiste sur le rôle essentiel joué par les Français dans leur propre libération et déclare « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! »[162]. Le lendemain, , il descend triomphalement les Champs-Élysées et fleurit la tombe du Soldat inconnu. Le « peuple dans ses profondeurs » manifeste un enthousiasme indescriptible[163].
Le GPRF est transféré à Paris. Le , un gouvernement d'unité nationale est constitué sous la présidence du général de Gaulle. L'Assemblée constituante est ensuite élue en , six mois après la fin de la guerre.
Bien après d'autres pays européens, les femmes françaises obtiennent le droit de vote, exercé pour la première fois aux élections municipales de 1945. Pour la professeure d’histoire à l’université d’Angers Christine Bard : « Dans ses mémoires, le droit de vote tient en trois lignes. Il avait des conceptions traditionnelles sur le rôle des femmes, même si cela ne l’a pas empêché d’accepter l’idée de la citoyenneté des femmes, plus aussi subversive qu’au XIXe siècle »[164].
D'autres réformes figurant dans ce même programme sont entreprises à la Libération : nationalisations (notamment les Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, les usines Renault et Gnome et Rhône, la Banque de France, les quatre grandes banques de dépôt et les compagnies aériennes[165]), mise en place du monopole de l'assurance maladie obligatoire qu'est la sécurité sociale (l'Alsace et la Moselle conserveront le système d'assurance maladie instauré par Bismarck). Il s’agit notamment de revendications de la SFIO, du Parti communiste français et du Mouvement républicain populaire (MRP), qui étaient les forces politiques les plus représentées dans le Conseil national de la Résistance.
Le 12 juillet 1945, de Gaulle annonce aux Français la tenue d'une double-consultation. Il s'agit d'une part d'élire une Assemblée et d'autre part de déterminer si elle sera constituante, ce qui impliquerait l'abandon de la IIIe République, conformément au souhait de de Gaulle. A l'issue de ce double referendum, le Général est conforté dans son projet puisque 96% des Français se prononcent pour une Assemblée constituante[165].
Président du Gouvernement provisoire, mais en désaccord avec l'Assemblée constituante sur la conception de l'État et le rôle des partis, le général de Gaulle remet sa démission sur la question des crédits militaires au président de l'Assemblée nationale, Félix Gouin, le . Il a rempli la mission qu'il s'était donnée le : libérer le territoire, restaurer la République, organiser des élections libres et démocratiques, entreprendre la modernisation économique et sociale. Durant cette période, il exerça de fait une fonction équivalente à celle de chef de l'État. Le , il reçoit une lettre d'Edmond Michelet, lui proposant de « fixer sa situation dans l'Armée », et lui indiquant que Félix Gouin souhaite l'élever à la dignité de maréchal de France[166]. Charles de Gaulle refuse, disant qu'il est impossible de « régulariser une situation absolument sans précédent »[167].
Le , de Gaulle expose sa vision de l'organisation politique d'un État démocratique fort à Bayeux, en Normandie, dans un discours resté célèbre ; mais il n’est pas suivi. Il inaugure alors sa fameuse « traversée du désert » jusqu'en 1958, date de son retour au pouvoir.
En 1947, il fonde un mouvement politique, le Rassemblement du peuple français (RPF), afin de transformer la scène politique française, de lutter contre le régime « exclusif » des partis, de s'opposer à l'avancée du communisme et de promouvoir une nouvelle réforme constitutionnelle privilégiant le pouvoir exécutif. Il propose également une troisième voie économique (l'association capital-travail). Le RPF reprend également les thèmes de la droite la plus traditionnelle : ultra-conservatisme colonial (il critique jusqu'à la construction de lycées d'enseignement général à Madagascar), anticommunisme virulent (exploitant les inquiétudes sur l'avancée du communisme dans l'Union française et en Indochine) et même, au moins jusqu'en 1950, la clémence à l'égard de Philippe Pétain. Toutefois, les déclarations du colonel Rémy réhabilitant le rôle de Pétain seront immédiatement désavouées par le général de Gaulle, mais pas l'initiative de Terrenoire, demandant son amnistie. Il est vrai, comme le rappelle l'historien René Rémond (dans Les Droites en France), que c'est au nom de la réconciliation nationale qu'en 1949 et 1950, le même général de Gaulle plaidait pour l'élargissement du « vieillard de quatre-vingt-quinze ans ».
Le parti rallie des résistants (dont Jacques Chaban-Delmas) mais aussi des notables comme Édouard Frédéric-Dupont ou Edmond Barrachin (qui fut, dans les années 1930, directeur du comité central du Parti social français). D'anciens pétainistes et même d'anciens collaborateurs parviennent à s'y faire admettre, notamment dans les sections d'Indochine et d'Algérie, dans le service d'ordre, dans les rangs des syndicats ouvriers proches du R.P.F. et parmi les maires élus en 1947. Certains polémistes du parti, notamment Jean Nocher, déploient une extrême agressivité verbale. Pour ces raisons, l'historien Henry Rousso (dans Le Syndrome de Vichy) discerne au RPF « des tendances pro-pétainistes, soit qu’elles aient été envoûtées par la magie du verbe maréchaliste, soit qu’elles aient été convaincues de son impact dans l’opinion ». René Rémond (Les Droites en France) préfère rapprocher le RPF de la lignée du bonapartisme et du boulangisme, tout en observant que le RPF est, dans l'histoire du gaullisme, l'épisode le moins éloigné de « ce qu'en France on a l'habitude de qualifier de fascisme ».[réf. nécessaire]
Après un grand succès en 1947-1948 (35 % des suffrages aux municipales de 1947, 42 % des sénateurs élus en 1948), le RPF décline de 1949 à 1951. La gestion efficace des événements sociaux de l'automne 1947 par le gouvernement de la troisième force a affaibli le mouvement gaulliste. Le recours à de Gaulle semble alors moins nécessaire pour les conservateurs, les modérés et le patronat. Dans l'opposition, le RPF est frappé d'un véritable ostracisme de la part des autres partis politiques, entretenu par le refus du général de Gaulle de se compromettre avec les autres partis. En 1951, le RPF obtient encore plus de 4 millions de voix (22,3 % des suffrages et 16,8 % des inscrits) et 117 députés.
Le RPF est irrémédiablement affaibli par la défection de vingt-sept députés : ainsi, contre les consignes du Général, Édouard Frédéric-Dupont et Edmond Barrachin votent la confiance au gouvernement d'Antoine Pinay en 1952. En , quarante-cinq autres font défection. Les gaullistes se divisent alors entre les loyalistes, qui fondent l'Union des républicains d'action sociale (URAS), et les autres, qui rejoignent l'Action républicaine et sociale (ARS).
Aux élections locales de 1953, le RPF perd la moitié de ses suffrages et commence alors à décliner. Les élus gaullistes participent encore avec le PCF à l'échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, avant la mise en sommeil définitive du RPF le . Les sondages montrent une indifférence des Français envers le général[168].
À la suite de la défaite électorale de son parti, le général de Gaulle se retire à Colombey-les-Deux-Églises et rédige ses Mémoires de guerre. Pendant cinq années il se tient à l'écart de la politique, une période que de nombreux observateurs appellent sa « traversée du désert ».
L'instabilité ministérielle, l'impuissance de la IVe République face à la question algérienne, déclenchée par une insurrection le , conduisent le régime à une crise grave. Des responsables politiques de tous bords en viennent à souhaiter le retour du Général. Cette même année 1954, les Mémoires de guerre sont publiées.
Même si de Gaulle s’est officiellement retiré de la vie politique, il continue à recevoir et écouter bon nombre de sympathisants gaullistes qui ne souhaitent que son retour au pouvoir. Ce qu’on appelle alors les événements d’Algérie semblent présager ce retour.
Il convient de rappeler que l'action de De Gaulle à Londres a été la création d’un réseau de renseignement qui donna naissance aux services secrets français et du réseau français de résistance commandé par Jean Moulin. Ce réseau de renseignement est, en quelque sorte, un réseau social ou un média communicationnel très discret mais actif. À l’instar des événements de la Seconde Guerre mondiale, ces anciens compagnons de la résistance seront ceux qui le mèneront au pouvoir ; tous continuent de vouer une admiration à l’artisan de la Libération. Le mouvement gaulliste étant bien structuré, notamment grâce au concours du Rassemblement du peuple français (RPF), plusieurs acteurs du mouvement sont placés à des postes stratégiques. Jacques Chaban-Delmas (résistant), ministre de la Défense nationale en 1957, envoie Léon Delbecque (résistant) à Alger où, vice-président du Comité de salut public (CSP), il conseille le général Salan, qui appellera publiquement de Gaulle au pouvoir[169]. Le CSP d’Alger prendra notamment le contrôle de radio Algérie, transformant ce qui était alors une radio provinciale en canal majeur de propagande gaulliste en Algérie comme en métropole. Il se trouve que le responsable de cette chaîne est le résistant Lucien Neuwirth, épaulé par Léon Delbecque, tous deux envoyés en Algérie par Chaban-Delmas. Le 17 mai, Jacques Soustelle, également résistant, est chargé de la propagande pour le CSP[170]. D’autres figures de la résistance contribueront à répandre le nom du Général partout en France et en Algérie mais le feront de leur plein gré. Le général à la retraite ne leur a rien demandé[171]. Seul le souvenir qu’il a laissé à ses compagnons de la résistance (ethos) a suffi à les motiver. C’est parce que tous se souvenaient de ce qu’il avait promis en démissionnant en 1946, c’est-à-dire qu’il reviendrait s’il était appelé au pouvoir.
Le , un comité de vigilance appelle à manifester contre le FLN à Alger. Un comité de salut public est créé, à la tête duquel se trouve le général Massu, et dont fait aussi partie le général Salan. Ce dernier, poussé par Léon Delbecque, lance le devant la foule son appel au retour du général de Gaulle, « Vive de Gaulle ! », du haut du balcon du Gouvernement général. L'insurrection prend de l'ampleur et risque de dégénérer en guerre civile. Le , le Général se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République[172] ». Certains voient dans cette déclaration un soutien à l'armée et s'inquiètent. Il rassure et insiste sur la nécessité de l'union nationale ; s'il se présente encore comme le recours, il ne donne officiellement aucune caution ni à l'armée ni à quiconque. Néanmoins, un plan d'action militaire, baptisé « Résurrection », a déjà été mis en place en cas d'échec des négociations politiques.
De Gaulle entre officiellement en scène avec pour intention d’appliquer la réforme qu’il avait voulue lors de sa première présidence et étayée à Bayeux en 1946[171]. Il explique alors au président René Coty que son retour sera conditionnel à l’obtention des pleins pouvoirs. La conférence de presse donnée le servira, entre autres, à rassurer le public quant à cette période spéciale qu’il exige. Sa réponse marquera les esprits : « Est-ce que j'ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ? Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? ». Cette conférence de presse donne le ton à toutes celles qui suivront durant sa présidence et deviendra le symbole de la communication présidentielle pour la Ve République[173].
Le , le président de la République, René Coty, fait appel au « plus illustre des Français ». Charles de Gaulle accepte de former un gouvernement. Sous pression, l'Assemblée nationale l'investit le , par 329 voix sur 553 votants. Le général de Gaulle devient ainsi le dernier président du Conseil de la IVe République. Les députés lui accordent la possibilité de gouverner par ordonnances pour une durée de six mois, et l'autorisent à mener à bien la réforme constitutionnelle du pays[174].
À la suite du soutien accordé par l’Assemblée nationale, il quitte Paris et se rend à Alger le . Il y prononce un discours, le premier de sa tournée algérienne, où il scande « Je vous ai compris ! » Cette communication aux Français d’Algérie, sans rien offrir de concret, charme autant les partisans de l'Algérie française que ceux de l’« Algérie algérienne », qui voient en lui la possibilité d’une paix négociée. Deux jours plus tard, à Mostaganem, il affirme clairement soutenir l’Algérie française, renforçant ainsi le soutien qui lui serait accordé plus tard au moment de voter la nouvelle Constitution[175].
La nouvelle Constitution, élaborée au cours de l'été 1958, est très proche des propositions qu'il avait énoncées dans son deuxième discours de Bayeux, avec un exécutif fort. Le général de Gaulle accepte cependant que le Parlement ait plus de poids qu'il ne le souhaitait. En particulier, de Gaulle doit renoncer à l'élection du président de la République au suffrage universel, élément central de son dispositif constitutionnel qu'il finira par imposer en 1962.
Comme le rapporte Jean-Marie Domenach dans la revue politique Esprits[176], le référendum de 1958 ne porte pas seulement sur la Constitution. La stratégie communicationnelle du Général présente ce référendum constitutionnel comme une nouvelle forme de cohésion nationale en proposant un plan d’adhésion des colonies d’outre-mer et profite de l’occasion pour plébisciter sa légitimité. En métropole, les électeurs sont appelés à voter pour une Constitution ; dans les colonies, le Général propose l'indépendance à celles qui le veulent ou l’adhésion pour celles qui veulent de la France mais, à travers tout l’Empire, il est appelé à voter pour ou contre un des grands hommes de la patrie[176]. De Gaulle utilise sa personne comme un lien entre ces deux électorats divisés et garantit sa victoire au référendum car, comme le dit la devise du Panthéon, « aux grands hommes, la patrie reconnaissante ».
La Constitution est adoptée par référendum le , avec 79,2 % de « oui ». L'Empire l'approuve également, sauf la Guinée qui devient ainsi la première colonie française de l'Afrique subsaharienne à obtenir son indépendance. Charles de Gaulle est élu président de la République le [177] et prend ses fonctions le suivant.
Entre le moment de son entrée en fonction comme président du Conseil et son élection à la présidence de la République, Charles de Gaulle a largement amorcé la politique qui marquera son passage au pouvoir : outre la volonté de doter la France d'une nouvelle Constitution, le Général se soucie de la politique européenne de la France (rencontre avec le chancelier Adenauer le [n 22]), de l'indépendance du pays face aux États-Unis (mémorandum du adressé au président Eisenhower), de l'assainissement des finances publiques (mesures du ) et du sort de l'Algérie (il refuse les choix des comités de salut public et appelle à la « paix des Braves » en ).
À la suite des échecs de la IVe République en Indochine et en Algérie, une insurrection éclate à Alger et les putschistes civils et militaires organisent un Comité de salut public (en référence à celui de la Révolution française) le pour maintenir l'Algérie française. Ils en appellent au retour du général de Gaulle. L'antenne d'Alger mise en place par le ministre de la Défense Jacques Chaban-Delmas dès 1957, dirigée par Lucien Neuwirth et Léon Delbecque, a influencé les partisans de l'Algérie dans la République française. Comme l'a rapporté Olivier Guichard dans Avec de Gaulle (voir bibliographie), l'antenne d'Alger faisait surtout de la transmission : le travail d'influence était supervisé par les deux plus proches collaborateurs du général de Gaulle, Guichard lui-même et, pour les militaires, Jacques Foccart.
C'est sous l'autorité de De Gaulle que les réseaux de ce que l'on appellera plus tard la Françafrique furent mis en place[178]. À la tête d'une partie de son cabinet, issue de l'éphémère Communauté française, Jacques Foccart maintient des liens étroits, non seulement de coopération, mais souvent de contrôle, avec les nouveaux pouvoirs des États africains ayant accédé à l'indépendance, notamment au moyen d'accords de coopération militaire et financiers, mais aussi par l'action des services secrets. L'expression de « pré carré » est alors courante, et ces liens politiques et économiques assurent un soutien diplomatique dans la stratégie d'entre deux blocs de De Gaulle.
En , les gaullistes remportent les élections législatives et obtiennent une confortable majorité. Le suivant, de Gaulle est élu président de la République et de la Communauté africaine et malgache avec 78,51 % des voix, au suffrage indirect, par un collège de plus de 80 000 grands électeurs[179].
Charles de Gaulle prend ses fonctions de président de la République le , succédant ainsi à René Coty. Il gère le conflit algérien, met en place une nouvelle politique économique et engage d’importantes mesures pour revitaliser le pays, avec en particulier une dévaluation de 29 % et l'introduction du nouveau franc (valant 100 anciens francs), qui fait revenir les centimes, disparus en 1945.
Sur la scène internationale, refusant la domination des États-Unis comme de l'URSS, il défend une France indépendante, disposant de la force de frappe nucléaire (premiers essais en 1960). Il met en place également les débuts du programme spatial français en créant le le Centre national d'études spatiales[180]. En tant que membre fondateur de la Communauté économique européenne (CEE), il pose son veto à l'entrée du Royaume-Uni.
Le , dans le stade olympique de Grenoble, il devient le second président français à ouvrir une cérémonie olympique, à l'occasion des Xe jeux olympiques d'hiver[181].
En 2020, Charles de Gaulle est le seul président de la Ve République à avoir visité tous les départements français, outre-mer comprise. Il se rend en train ou en avion dans les régions, avant de visiter leurs départements en voiture durant une semaine en moyenne[182],[183].
En ce qui concerne la guerre d'Algérie, de Gaulle suscita d’abord de grands espoirs parmi les Français d’Algérie, auxquels il déclara à Alger le : « Je vous ai compris ». Ce jour-là, il se garda de rien leur promettre de précis, lors de ce discours, et ne reprit ni leur mot d'ordre d'« intégration » ni leur slogan « Algérie française ». Il proclame que « à partir d'aujourd'hui, la France considère que, dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants : il n'y a que des Français à part entière ». Ce n'est qu'à Mostaganem, le , qu'il prononça les mots : « Vive l'Algérie française[184] », exception davantage révélatrice d'un désaccord que d'une adhésion, pour René Rémond[185].
Mais il adopta aussi quelques mesures libérales en direction des indépendantistes algériens : « paix des Braves » proposée au FLN en , grâces accordées à plusieurs rebelles, dont Yacef Saâdi, condamné à mort comme ancien dirigeant du FLN pendant la bataille d'Alger, interdiction officielle formelle des actes de torture. C'est également sous de Gaulle que les femmes musulmanes d'Algérie obtinrent le droit de vote, que l'on vit les musulmans pouvoir voter à égalité avec les Européens (de ce fait, dès avant l'indépendance en 1962, une majorité des maires d'Algérie sont eux-mêmes des musulmans), ou que fut nommé le premier préfet musulman d'Algérie (Mahdi Belhaddad à Constantine). De Gaulle annonça en personne la mise en œuvre du plan de Constantine, dans cette ville, en : ce plan prévoyait, sur cinq ans, la redistribution de 250 000 ha de terres, la construction de 200 000 logements et la création de 400 000 emplois[186].
Il laissa son Premier ministre, Michel Debré, vilipender comme « manœuvre communiste » le rapport accablant établi par le jeune Michel Rocard, et qui dénonçait l'entassement inhumain de deux millions de personnes civiles dans des « camps de regroupement ». Dès 1959, de Gaulle en revint aussi à une solution classique de répression militaire. À l'été 1959, l'opération « Jumelles », dite plan Challe, porta au FLN ses coups les plus rudes à travers tout le pays. Certes, de Gaulle réalisa rapidement qu'il n'était pas possible de résoudre le conflit par une simple victoire militaire, et à l'automne 1959 il commença à s'orienter vers une solution conduisant inéluctablement à l'indépendance de l'Algérie. Mais jusqu'à l'hiver 1961/62, il choisit tout de même de poursuivre la guerre, au prix de nombreuses victimes et, selon le journaliste Rémi Kauffer, d'un accroissement de l'usage de la torture. Jusqu'à la fin de 1961, la lutte contre le FLN est menée avec autant de vigueur, et même davantage, qu'avant. Selon Constantin Melnik, conseiller spécial de Michel Debré chargé de coordonner les services secrets, il y eut environ 500 assassinats politiques entre 1958 et 1961.
Il reste difficile de savoir quand de Gaulle comprit que l'indépendance était la seule solution pour sortir d'un conflit coûteux en hommes, en argent et en prestige international. D'autant plus qu'il perd le soutien de proches et d'anciens combattants luttant pour l'Algérie française. Édouard Lebas, à cet effet, écrit le dans Combat : « Nous vivons depuis sur la plus grande duperie de l'histoire et depuis sur la plus grande imposture. La cause du mal c'est la volonté tenace, bien que supérieurement camouflée, du Général de Gaulle. Il faut donc dénoncer à la masse, sans subterfuges et sans faux-fuyants, le responsable du mal dont meurent la République et la Liberté »[187]. En 1961, de Gaulle fit encore rédiger par Alain Peyrefitte un plan de partition de l'Algérie, sans doute en fait pour faire pression sur le FLN. Au même Alain Peyrefitte, il expliquait dès 1959 que « l'intégration » de l'Algérie à la France, défendue par les partisans de l'Algérie française, était une utopie : deux pays culturellement si éloignés et présentant un tel écart de niveau de vie n'avaient pas vocation à en former un seul. Sans compter qu'au vu de l'accroissement démographique des musulmans, ce serait ouvrir la porte à leur immigration massive en métropole, dépassant de fort loin la simple venue traditionnelle de populations étrangères appelées à se fondre dans le creuset français.
Dès le , de Gaulle parle de « l'autodétermination » de l'Algérie. Comme pour les pays de l'empire colonial français qui viennent d’accéder à l’indépendance, le chef de l’État aurait pour stratégie d'installer une administration qui défendrait les intérêts politiques et économiques de la France[188].
En , le limogeage du général Jacques Massu, qui avait critiqué sa politique, provoque la rupture avec les Français d'Algérie et l'érection de barricades au centre d'Alger. Malgré ce climat insurrectionnel, de Gaulle abroge définitivement, par une ordonnance du , la peine de déportation[189]. En , un référendum valide cependant massivement sa politique des deux côtés de la Méditerranée.
Avec l'armée de conscription, il fait échec au putsch des généraux à Alger en . Quatre jours suffisent à mettre en déroute le « quarteron de généraux à la retraite » stigmatisés dans un de ses plus célèbres discours. Cette attitude provoqua de fortes résistances dans certains groupes nationalistes et de Gaulle fut obligé de réprimer des soulèvements de pieds-noirs en Algérie.
Il est la cible d'organisations terroristes telles que l'Organisation armée secrète (OAS), qui le surnomme « la Grande Zohra ». La métropole devient alors l'objet de plusieurs vagues d'attentats commis par l'OAS. L'amiral Pierre Lacoste, ancien directeur de la DGSE, déclare en 1992, dans un entretien accordé au journal The Nation, que certains éléments du réseau Gladio étaient impliqués dans des activités terroristes contre le général de Gaulle et sa politique en Algérie[190],[191].
Dans la nuit du au , une manifestation, interdite par les autorités françaises, est organisée par le FLN. Les manifestants protestent contre le couvre-feu imposé en métropole aux ressortissants d'Afrique du Nord. Cette manifestation est férocement réprimée. Le préfet de police Maurice Papon couvre ses policiers et le gouvernement l'ensemble de ses fonctionnaires. Selon le rapport de l'avocat général Jean Geromini, remis le , il y aurait eu au moins 48 noyés pendant la nuit du 17 au 18 octobre, sans compter les personnes mortes des suites de leurs blessures ou de leurs conditions d'internement. Selon l'historien et éditorialiste Alain-Gérard Slama et Linda Amiri (laquelle a dépouillé les archives de la préfecture de police), le chiffre total est de l'ordre d'une centaine de victimes (L. Amiri compte 100 morts certains et 31 disparus). Les propos tenus par de Gaulle en Conseil des ministres quelques jours après le drame sont connus grâce aux notes prises par son ministre Louis Terrenoire, et publiées par Éric Rossel.
Quelques mois plus tard, lors d'une manifestation interdite le , huit manifestants sont tués par les forces de police au métro Charonne et un autre meurt ensuite à l'hôpital. Selon l'historien Jean-Paul Brunet, Charles de Gaulle est « tout autant responsable de cette tragédie que le ministre de l'Intérieur Roger Frey, le préfet de police Maurice Papon, et toute la hiérarchie policière ». Une des raisons est, explique J.-P. Brunet, « l'autoritarisme » du Général. Selon l'historien Alain Dewerpe, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, le massacre de Charonne n'est qu'une conséquence logique des « habitus de pouvoir » de De Gaulle et des gaullistes, dans la situation de la guerre d'Algérie.
Quant à l'organisation terroriste OAS, elle est réprimée par des moyens impitoyables : exécutions sommaires, tortures, polices parallèles, lesquelles n'hésitent pas à recruter des truands, comme Georges Boucheseiche et Jean Augé. La Cour de sûreté de l'État est créée en pour en condamner les chefs, lesquels sont amnistiés quelques années plus tard (la Cour continue ensuite de juger des terroristes, jusqu'à sa suppression, en ). En 1962, à la suite des accords d'Évian, un cessez-le-feu est proclamé en Algérie. Le général de Gaulle fait adopter par référendum l'indépendance de l'Algérie, effective en [192].
Très irrité par le ralliement massif des pieds-noirs à l'OAS, à l'heure où celle-ci lance une vague de terreur et de terre brûlée en Algérie, de Gaulle n'a aucun mot de compassion ni en public ni en privé pour le sort du million de Français rapatriés d'Algérie en à la suite de la non-application des accords d'Évian par la partie algérienne.
Le lendemain de la signature des accords d'Évian, les supplétifs de l'armée française, les harkis, sont désarmés par la France, et abandonnés sur place. Le gouvernement s'oppose au rapatriement de la majorité d'entre eux, et fait interdiction aux officiers de l'armée de les aider à gagner la France, hors du cadre d'un plan de rapatriement général. Le , en Conseil des ministres, alors que les massacres de pieds-noirs et harkis ont commencé, Charles de Gaulle s'oppose au repli des harkis en France[193]. Par la suite, plusieurs dizaines de milliers sont torturés et massacrés[194].
En , le Premier ministre Michel Debré est remplacé par Georges Pompidou, et, en de la même année, de Gaulle propose d'amender la Constitution afin de permettre au président d'être élu au suffrage universel direct, dans le but de renforcer sa légitimité à gouverner directement. La réforme de la Constitution, malgré l'opposition du Parlement, de la totalité de la gauche et d'une bonne partie de la droite, est aisément acceptée lors du référendum du avec 62,25 % de « oui », le président du Sénat, à l'époque Gaston Monnerville, ira même jusqu'à accuser de forfaiture Charles de Gaulle puis saisira le conseil constitutionnel afin de faire annuler le résultat du vote. Le conseil constitutionnel, par 7 voix contre 2 (Coty et Auriol) refuse d'accéder à sa demande en se déclarant inapte : « Le Conseil constitutionnel n'a pas compétence pour se prononcer sur la demande susvisée du Président du Sénat »[195].
En , l'Assemblée nationale vote une motion de censure contre le gouvernement Pompidou, mais le Général refuse la démission que lui présente le Premier ministre et choisit de dissoudre l'Assemblée. Les nouvelles élections renforcent la majorité parlementaire gaulliste.
Un polytechnicien ingénieur de l'armement nommé Jean Bastien-Thiry, âgé de 35 ans, considère la politique algérienne du général de Gaulle comme une politique d'abandon et de trahison. Il conçoit donc, avec l'aide de personnes partageant son point de vue et appartenant à l'Organisation armée secrète (OAS), d'enlever de Gaulle, voire, si ce rapt se révèle impossible, de l’abattre. Un attentat est ainsi organisé au rond-point du Petit-Clamart le . Il échoue, bien que la DS présidentielle montre ensuite, parmi les impacts (environ 150 balles tirées), une trace de balle passée latéralement à quelques centimètres des visages du couple présidentiel.
Dans la déclaration qu'il fait lors de l'ouverture de son procès en , Bastien-Thiry développe les motivations du complot basées essentiellement sur la politique algérienne du général de Gaulle. Il est condamné à mort le . Parce qu'il avait fait tirer sur une voiture occupée par une femme et parce que, contrairement aux autres membres du commando, il n'avait pas pris de risques directs, Bastien-Thiry n'est pas gracié par le général de Gaulle, comme l'ont été les autres membres du commando (tout comme d'ailleurs les autres membres de l'OAS, qui ont été pris). Une semaine après la fin de son procès, Bastien-Thiry est fusillé au fort d'Ivry.
En 1968, une première amnistie permet aux derniers responsables de l'OAS, aux centaines de partisans de l'Algérie française encore détenus, et à d'autres, exilés, comme Georges Bidault ou Jacques Soustelle, de rentrer en France. D'anciens activistes de l'Algérie française se rallient alors au gaullisme, en adhérant au SAC ou aux comités de défense de la République (CDR). De Gaulle déclare à Jacques Foccart le : « Il faut que nous allions vers une certaine réconciliation. » Les autres condamnations pénales sont effacées par les lois d'amnistie de 1974 et 1987.
L'attentat du Petit-Clamart est celui qui a été le plus près de réussir. De nombreux autres attentats ont été organisés contre la personne du Général, parmi lesquels :
La télévision, pour la première fois dans l'histoire, joue un rôle très important dans une campagne ; malgré son refus de « jaspiner » dans « les étranges lucarnes », le Général se plie à cette nouvelle mode entre les deux tours. Cette campagne marque aussi l'apparition des sondages, qui mettent en évidence la baisse des intentions de vote en sa faveur avant le premier tour[201].
Lors du premier tour, de Gaulle arrive en tête avec 44,65 % des suffrages, devant notamment le candidat de la gauche unie, François Mitterrand (31,72 %), et Jean Lecanuet (15,57 %). Lorsque le ministre de l'Intérieur, Roger Frey, propose à de Gaulle de faire publier des photos de François Mitterrand aux côtés de Philippe Pétain pendant l'Occupation, il se voit opposer un refus du président sortant à utiliser de telles méthodes[202]. Valéry Giscard d'Estaing fera de même que le général de Gaulle lors de l'élection présidentielle de 1981[203].
Charles de Gaulle est réélu président de la République le , avec 55,20 % des suffrages exprimés. Le Général indique ultérieurement à quelques proches qu'il n'ira pas au bout de son mandat (devant s'achever en 1972) et qu'il se retirera à ses 80 ans[204],[205].
De Gaulle doit attendre la fin du conflit en Algérie pour lancer réellement sa politique étrangère. En effet, le « boulet algérien »[206] réduisait considérablement la marge de manœuvre française et éclipsait les affaires extérieures. La politique de « l'indépendance nationale » est alors pleinement mise en application.
Sur le plan international, de Gaulle continue à promouvoir l'indépendance de la France : il refuse à deux reprises (en 1963 et en 1967) l'entrée du Royaume-Uni dans la CEE[207] et en 1962, au moment de la crise des missiles de Cuba, de Gaulle, soutient le président américain John F. Kennedy. En effet, lorsqu'il est informé par les États-Unis de la présence de missiles soviétiques à Cuba, de Gaulle exprime rapidement sa solidarité avec le président américain. Il fait confiance aux informations fournies par les Américains sans exiger de preuves supplémentaires. Il affirme son soutien aux mesures que Kennedy prend pour faire face à la menace des missiles soviétiques à Cuba. Cependant, De Gaulle condamne dès 1964 l'aide militaire apportée par les États-Unis à la république du Viêt Nam (dite Viêt Nam du Sud) contre la rébellion communiste menée par le Viêt Cong (guérilla soutenue par le Nord-Viêt Nam), ainsi que la riposte israélienne au blocus du détroit de Tiran par l'Égypte, et va même plus loin en établissant un Blocus militaire sur Israël [208]lors de la guerre des Six Jours en 1967. Il prend l'une de ses décisions les plus spectaculaires en 1966 en retirant la France du commandement militaire intégré de l'OTAN, expulsant les bases américaines de son territoire.
Concernant l'Europe, de Gaulle est partisan d'une « Europe des nations » et des États, qui peuvent seuls répondre des nations, celles-ci devant conserver leur pleine souveraineté et leur personnalité historique et culturelle : « Si vous voulez que des nations s'unissent, ne cherchez pas à les intégrer comme on intègre des marrons dans une purée de marrons. Il faut amener leurs gouvernants légitimes à se concerter, et un jour, à se confédérer, c'est-à-dire à mettre en commun certaines compétences, tout en restant indépendants pour tout le reste »[209]. De Gaulle est donc franchement hostile à l'idée d'une Europe supranationale, c'est-à-dire celle prônée par Jean Monnet, une Europe avec un gouvernement fédéral composé des actuelles commissions, qui surplomberait des gouvernements provinciaux, lesquels ne s'occuperaient plus que des questions secondaires. En 1962, dans une conférence de presse, il rejette sans détour l'idée d'une fusion des états européens dans un ensemble supranational[210]. En particulier, il insiste sur les réalités culturelles nationales et emploie le mot « volapük »[n 23] pour moquer une hypothétique langue unique. Ces prises de positions entraînent, au sein de son gouvernement, la démission des cinq ministres du MRP.
C'est l'Europe qui fixe le cadre de son ambition, une Europe qui va même « de l'Atlantique à l'Oural », gommant d'un trait le provisoire rideau de fer. En effet, le pivot de la politique étrangère française est le rapprochement avec l'autre poids lourd du continent, l'Allemagne. Ainsi, de Gaulle tourne le dos aux « Anglo-Saxons ».
On pourrait en effet s'étonner de l'intransigeance gaullienne vis-à-vis du Royaume-Uni, tout particulièrement. Pour de Gaulle, comme pour Churchill d'ailleurs, le Royaume-Uni n'avait fait que son devoir en 1940, et il n'existait pas de « dette » française envers Londres liée à la Seconde Guerre mondiale. De Gaulle désapprouvait les relations privilégiées rapprochant le Royaume-Uni des États-Unis depuis la guerre, ainsi que la préférence économique impériale qui jouait entre celle-ci et les États du Commonwealth, rendant ainsi difficile son admission au sein de l'Europe. Aussi l'entrée d'un tel « cheval de Troie américain » au sein de l'Europe lui paraissait-elle non souhaitable. Les Britanniques attendront donc 1973 avant de rejoindre la Communauté économique européenne (CEE).
La position de De Gaulle face au monde communiste est sans ambiguïté : il est totalement anticommuniste. Il prône la normalisation des relations avec ces régimes « transitoires » aux yeux de l'Histoire de façon à jouer le rôle de pivot entre les deux blocs. La reconnaissance de la république populaire de Chine dès le va dans ce sens. De même sa visite officielle en république populaire de Pologne (6-) fut un geste qui montre que le président français considère le peuple polonais dans son ancrage historique. La question allemande, et donc le tracé de la frontière occidentale de la Pologne, jouent un grand rôle dans les discussions officielles. Malgré la domination exercée par l'URSS, de Gaulle est accueilli spontanément par des foules enthousiastes. Il mise, comme il le dit devant la diète (Assemblée nationale) polonaise, sur un futur où la Pologne recouvrerait sa place d'État indépendant. Il s'agit une fois de plus de son projet d'Europe continentale élargie[212].
Durant la Seconde Guerre mondiale, de Gaulle avait soutenu le mouvement royaliste tchetnik de Draza Mihailovic, dont il était un admirateur[213]. Pour cette raison, le leader Tito qui fait partie des « non-alignés », soutient fortement l'indépendance algérienne avec des livraisons massives d'armes au FLN via la Tunisie.
Les relations entre de Gaulle et les États-Unis sont assurément les plus complexes.[style à revoir] Malgré quelques tensions vives, de Gaulle est toujours à leurs côtés lors des vrais coups durs : le blocus de Berlin et la crise de Cuba notamment. En revanche, lorsque ce sont les Américains qui attisent les tensions, de Gaulle prend publiquement ses distances, notamment par son discours du à Phnom Penh vilipendant l'attitude américaine au Viêt Nam, théâtre d'opération que la France connaissait fort bien[214]. Ses communications privées sont espionnées par les États-Unis, mais aussi par le Royaume-Uni, qui le surveille à son domicile[215].
La notion gaullienne d'« une certaine idée de la France » se manifeste surtout en politique étrangère. De Gaulle puise une force dans sa connaissance de l'Histoire de France, qu'il a d'ailleurs enseignée à Saint-Cyr. Selon lui, le poids de cette Histoire donne à la France une position particulière dans le concert des nations. Convaincu que les relations internationales reposent avant tout sur les réalités nationales et les rapports entre États, il surnomme l'ONU « le machin » et refuse que la France participe au financement des opérations menées par les « casques bleus » contre la sécession katangaise au Congo ex-belge. Passablement irrité par l'attitude du Nigeria lors de l'explosion de Gerboise bleue[216], le troisième essai nucléaire français, en 1960, et souhaitant le « morcellement » de ce pays, comme il le raconte à son conseiller aux affaires africaines, Jacques Foccart[216], de Gaulle soutient la sécession du Biafra en 1967-68, qui fait un à deux millions de morts[216].
En Afrique francophone, il ne prend pas position face aux coups d'État qui se succèdent, mais apporte son soutien aux régimes en place quand il le juge nécessaire, faisant intervenir les troupes françaises au Gabon (1964) et au Tchad (1968).
Il entreprend un voyage de trois semaines en Amérique du Sud en 1964 au cours duquel il n'a de cesse de dénoncer les « hégémonies » des superpuissances. De Gaulle, qui visite dix pays, est acclamé par les foules, mais la tournée diplomatique a finalement peu de retombées concrètes et ne remet pas en cause l'hégémonie des États-Unis sur ce continent[217].
Convaincu de l'importance stratégique de l'arme nucléaire, de Gaulle poursuit son développement en menant des essais en Algérie puis en Polynésie française, sous la protestation de l'opposition qui n'y voit qu'une « bombinette ». De Gaulle lui rétorque: « Dans dix ans, nous aurons de quoi tuer 80 millions de Russes. Eh bien je crois qu'on n'attaque pas volontiers des gens qui ont de quoi tuer 80 millions de Russes, même si on a soi-même de quoi tuer 800 millions de Français, à supposer qu'il y eût 800 millions de Français »[218],[219].
L'attitude des États-Unis envers ce programme est ambivalente. Kennedy propose à de Gaulle de lui donner des missiles Polaris, comme il l'avait fait avec le Royaume-Uni (accords de Nassau). Mais de Gaulle refuse, déclarant qu'il souhaite que la France se bâtisse elle-même une armée. La question nucléaire empoisonna les relations franco-américaines durant toutes les années 1960[220]. Il faut attendre Richard Nixon pour trouver un premier président américain clairement « gaullien ». Nixon contourne d'abord les contraignantes législations américaines dans le domaine nucléaire avant d'ouvrir officiellement la voie de la collaboration nucléaire franco-américaine. Le programme français était alors déjà largement abouti et ses armes nucléaires très efficaces.
Comme l’explique l'historien Olivier Pottier, l’OTAN pratiquait le système de l’intégration, à savoir le placement sous commandement américain des contingents des différents pays. Ainsi, une part importante de l'armée française était directement sous commandement étranger. À l'inverse de ce système, de Gaulle est pour la formation d’un « état-major combiné allié » ou « directoire tripartite » où les principaux membres de l’Alliance, France, Grande-Bretagne, États-Unis, établiraient la direction stratégique de l’Alliance en coopération. Il propose de réformer l’OTAN dans ce sens par le biais du mémorandum du 12 septembre 1958 qui est unanimement rejeté par les Américains et les Britanniques. Ce refus anglo-américain confirme à de Gaulle le caractère hégémonique de la politique étasunienne de défense[221].
Après avoir retiré du commandement de l'OTAN la flotte française de la Méditerranée (1959), puis celle de l'Atlantique et de la Manche, de Gaulle écrit le 7 mars 1966 au président américain Lyndon Johnson pour lui notifier la sortie de la France du commandement intégré de l'OTAN : « la France se propose de recouvrer sur son territoire l'entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d'éléments militaires alliés ou par l'utilisation habituelle qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l'OTAN ». Tout en restant partenaire de l'Alliance atlantique, la France gaullienne se retire donc de « l'organisation militaire intégrée aux ordres des Américains », comme le confie de Gaulle à Peyrefitte[222]. Les troupes américaines présentes en France doivent évacuer leurs bases, et le quartier général de l'OTAN quitte Rocquencourt pour s'installer en Belgique.
Sur la recommandation de l'économiste Jacques Rueff qui voyait la conquête de l'espace et le conflit vietnamien déséquilibrer la balance des paiements des États-Unis, de Gaulle réclame à ces derniers la contrepartie en or d'une forte proportion des dollars détenus par la France. L'opération est légale, car le dollar est alors défini officiellement comme correspondant à 1/35 d'once d'or. Règlements internationaux obligent, les États-Unis doivent obtempérer et de Gaulle fait procéder par la Marine nationale au rapatriement de la part de l'or de la Banque de France déposé à New York auprès de la Banque fédérale de réserve[223]. En 1971, les États-Unis mettent fin à la parité avec l'or pour faire « flotter » le dollar. À la suite des chocs pétroliers de 1973 et de 1979, les cours de l'or s’envolent : le conseil de Jacques Rueff était effectivement judicieux à long terme.
Conscient du danger que présente l'hégémonie du dollar pour le système monétaire international et l'économie mondiale d'une manière générale, et estimant qu'elle « entraîne les Américains à s'endetter, et à s'endetter gratuitement vis-à-vis de l'étranger, car ce qu'ils lui doivent, ils le paient […] avec des dollars qu'il ne tient qu'à eux d'émettre », de Gaulle est partisan d'un retour à l'étalon-or[224].
Lors d'une visite d'État au Canada en 1967 afin, officiellement, de prendre part aux festivités entourant l'Expo 67 comme l'y avait invité le Premier ministre québécois Daniel Johnson, de Gaulle provoque l'indignation des autorités fédérales canadiennes : le , à Montréal, du haut du balcon de l'hôtel de ville, devant une foule de 15 000 Québécois, il ponctue son discours d'un retentissant : « Vive Montréal, vive le Québec… vive le Québec libre ! Vive le Canada français et vive la France ! ». Saluée par une ovation des indépendantistes québécois, cette déclaration déclenche une crise avec le gouvernement canadien. À la suite du discours, qui contenait un certain nombre de clins d'œil, le Premier ministre canadien, Lester B. Pearson, réplique sèchement le lendemain, déclarant que « les Canadiens n'ont pas besoin d'être libérés », et faisant savoir très clairement que de Gaulle n'est plus le bienvenu au Canada. Le président français repart séance tenante pour la France, délaissant le croiseur qui l'avait amené, le Colbert.
Dans la perspective de la Seconde Guerre mondiale, cette déclaration est ressentie comme injuste par les Canadiens anglophones qui avaient soutenu la France libre, alors que les Québécois francophones, soucieux de l'indépendance du Canada vis-à-vis du Royaume-Uni, étaient moins enthousiastes pour participer à l'effort de guerre. Des envoyés de la France libre, Élisabeth de Miribel et le capitaine de vaisseau Georges Thierry d'Argenlieu — dont le titre de supérieur majeur de la province des Carmes de Paris était censé lui valoir le respect des catholiques — tentèrent en 1941 de rallier les Canadiens à la cause du général de Gaulle.
Les réactions sont non seulement diplomatiques, mais aussi populaires. Par exemple, les habitants du boulevard de Gaulle, à Ottawa, obtiennent de la ville en que leur rue soit rebaptisée boulevard Confédération, une décision qui ne fait toutefois pas l'unanimité[226],[227].
Le gouvernement d'Ottawa doit dès cette époque traiter avec une attention particulière les revendications du Québec qui, fort de cet encouragement laissant présager un soutien fort de la France si besoin, commence à parler de faire sécession.
De plus, lors de la conférence de presse du 27 novembre 1967 à l'Élysée, Charles de Gaulle justifie une fois de plus son geste d'éclat par un discours engagé, ponctué par un solennel « allons, allons, pour eux aussi, pour eux surtout, il faut que la France soit la France ! »[228].
Cette déclaration est cohérente avec la pensée du général de Gaulle, qui aurait déclaré à Alain Peyrefitte, en : « L'avenir du Canada français, c'est l'indépendance. Il y aura une République française du Canada ». Selon Alain Peyrefitte, « sans préjuger de la forme que la souveraineté québécoise devait revêtir, de Gaulle, avec ce sens historique qui valut à la France son salut, s'en vint donc à Montréal, en , exhorter les Canadiens français à préserver leur identité française dont, sous Louis XV, l'indifférence des élites françaises avait fait si légèrement bon marché. « Vive le Québec libre » ne fut pas plus improvisé que l'appel du . L'appel à la liberté, lancé le , n'aurait rien eu de fortuit »[229].
Outre la réforme financière de 1958, la France bénéficie des « Trente Glorieuses » et de la croissance amorcée sous la IVe République. Les structures économiques sont modernisées, le niveau de vie s'accroît. Mais la croissance profite inégalement à tous, et un certain désenchantement apparaît face au blocage de la société. Les événements de Mai 1968 en sont le révélateur. Comme dans de nombreux pays, la contestation des étudiants se développe à partir de . Les syndicats et les partis politiques de gauche profitent des manifestations étudiantes pour lancer une grève générale qui sera suivie par les ouvriers. Cette grève générale paralyse le pouvoir pendant le mois de mai.
De l'avis de ses propres partisans, de Gaulle a été complètement surpris par une crise qu'il ne prévoit pas et ne comprend pas. Indifférent aux revendications étudiantes et à la « crise de civilisation »[230] qu'elles révèlent, il ne voit là au mieux qu'un gigantesque chahut de jeunes qui ne veulent pas passer leurs examens, au pire une contestation de l'autorité de l'État à faire cesser sur-le-champ. Dans les premiers jours de mai, ses seules consignes sont de réprimer brutalement les manifestations étudiantes, contre l'avis de plusieurs de ses ministres qui conseillent l'apaisement.
Après la nuit des barricades du 10 mai au , de Gaulle, sceptique, laisse toutefois son Premier ministre Georges Pompidou, rentré d'un voyage en Iran et en Afghanistan[231], mener une nouvelle politique d'apaisement. Pompidou, qui a dû mettre sa démission dans la balance, veut éviter désormais les heurts, et parie sur l'essoufflement à terme du mouvement.
Du au , de Gaulle est en déplacement en Roumanie. Or, en son absence, la grève générale se développe et des millions de grévistes paralysent la France, tandis que la Sorbonne et l'Odéon sont occupés sans réaction de la police. Seul aux commandes de l'État et de la majorité parlementaire, Pompidou paraît entre-temps devenu le vrai chef du pays.
À son retour anticipé de Roumanie le 18 au soir, de Gaulle déçoit jusqu'à des fidèles inconditionnels en apparaissant dépassé et flottant, sans cette vivacité et cette efficacité de réaction qui le caractérisent d'habitude. Il semble écartelé entre la prudence pompidolienne et la fermeté qu'il prêche lui-même. Il attend le 24 au soir pour parler en public, et pour n'annoncer que des mesures déjà éventées depuis plusieurs jours, qui ne répondent à aucune préoccupation de l'heure. « J'ai mis à côté », confesse-t-il aussitôt après avoir visionné son allocution. Le Général expose, dans cette allocution, qu'il entend que l'État doit rétablir l'ordre, maintenir la République. « La rue, c'est le désordre, la menace du totalitarisme, « la chienlit » »[232]. Le soir même, de violents incidents éclatent à Paris, on relèvera des centaines de blessés et plusieurs barricades érigées[réf. nécessaire].
Le 27 mai, les accords de Grenelle, passés entre le gouvernement Pompidou, les représentants des syndicats et du patronat, aboutissent à un train de mesures classiques[Quoi ?]. De Gaulle préside le Conseil des ministres qui ratifie aussitôt les accords, mais à la surprise de Pompidou et des chefs syndicaux, la base rejette les avancées de Grenelle, estimant que c'est la société entière qui est en cause. Les grèves continuent. Le 27, une manifestation au stade Charléty lance l'idée d'un gouvernement provisoire. Le jour même, François Mitterrand reprend cette solution et annonce sa candidature à la présidence de la République. La crise politique atteint son sommet.
La disparition soudaine et inexpliquée du chef de l'État, parti avec son épouse en hélicoptère le 29 mai pour une destination inconnue, provoque la stupeur et ouvre la voie à toutes les supputations. Il passe par Baden-Baden, où il est reçu par le général Massu[233]. Dès son retour à Paris le lendemain, son allocution radiodiffusée a le ton de la fermeté. Il y annonce la dissolution de l'Assemblée nationale. Elle est suivie d'une immense manifestation organisée par les gaullistes sur les Champs-Élysées[234].
De Gaulle était prêt à accepter certaines des revendications des manifestants. Il voulut faire approuver les réformes par référendum, mais Georges Pompidou, en mettant sa démission dans la balance, le persuada de plutôt dissoudre l'Assemblée nationale. De Gaulle l'annonça le , dans un discours radiodiffusé, comme l'appel du ou l'intervention de 1960 pendant les barricades d'Alger. Les phrases étaient courtes, chacune ou presque annonçait une décision :
La fin du discours mentionne au sujet d'une déclaration antérieure, et sans la citer, « l'ambition et la haine de politiciens au rancart » et affirme qu'après avoir été utilisés « ces personnages ne pèseraient pas plus que leur poids, qui ne serait pas lourd ». Mais le Général néglige les 44,5 % des voix qui se sont portées en 1965 sur Mitterrand au second tour de la présidentielle, ou encore le simple siège de sa majorité aux élections législatives de 1967.
Une manifestation fut organisée et fut créditée d'un million de participants selon les organisateurs, sept cent mille selon la préfecture de police. Les élections de furent un grand succès pour la droite qui obtient 354 des 487 sièges (du jamais vu dans l'histoire du parlementarisme français). Georges Pompidou fut remplacé par Maurice Couve de Murville au mois de .
La campagne des législatives occupa les forces politiques, tandis que la reprise du travail se faisait progressivement. La reprise en main se fait parfois sans ménagement. Des Comités d'action civique, répondant à l'appel de De Gaulle, se constituent pour dresser des listes noires de grévistes et d'agitateurs notoires, et la police même renoue avec la brutalité des premiers jours de (quatre morts à déplorer en ).
La victoire des gaullistes aux élections législatives, bien que massive, n'a pas assez redynamisé le pouvoir. L'Assemblée nationale, plus à droite, est aussi plus frileuse face aux réformes pourtant voulues par le général de Gaulle (participation, régionalisation, réforme de l'Université[235]…). L'éviction du vrai vainqueur de la crise, Pompidou, a été mal comprise, et ce dernier fait désormais figure de recours et de successeur potentiel. De Gaulle n'est plus irremplaçable.
Il prononce son dernier discours public le ; il cite alors quelques vers en breton du poème Da Varzed Breiz (« Aux bardes de Bretagnes », de son oncle Charles[236]).
Lors de Mai 1968, le général de Gaulle annonce l'organisation d'un référendum sur la rénovation universitaire, sociale et économique. À la demande de Georges Pompidou, il en repousse la tenue au profit d'élections législatives anticipées. Alors qu'il entre dans la dixième année de sa présidence, de Gaulle continue de bénéficier d'une importante cote de popularité et apparaît comme un rempart contre les désordres[237].
Le référendum annoncé est finalement fixé au et porte sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Il prévoit le transfert de pouvoirs aux régions, l'introduction de représentants des organisations professionnelles et syndicales au sein des conseils régionaux et, point particulièrement fustigé par l'opposition, la fusion du Sénat avec le Conseil économique et social[238]. De Gaulle annonce qu'il démissionnera en cas de victoire du « non »[237].
Dans un premier temps, les sondages font état d'une nette avance du « oui », la réforme régionale suscitant en particulier l'adhésion des électeurs, au contraire de celle du Sénat. Valéry Giscard d'Estaing se prononce contre l'adoption du référendum, tandis que Georges Pompidou, qui a évoqué la possibilité de briguer la présidence l'année précédente, apparaît à droite comme le moyen de sauver les institutions si de Gaulle venait à démissionner[237].
Le , alors que le « oui » était encore donné gagnant quelques jours plus tôt, le « non » l'emporte par 52,41 % des suffrages exprimés. Quelques minutes après minuit, le , un communiqué laconique tombe de Colombey-les-Deux-Églises : « Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi »[239]. Le président du Sénat, le centriste Alain Poher, assure dès lors l'intérim présidentiel[240].
Ce communiqué est le dernier acte public de « l'homme du » : pour éviter d'être impliqué dans sa propre succession, il passe le temps de la campagne en Irlande où il arrive le pour un séjour d'un mois. Treize jours à Sneem puis à Cashel où il vote par procuration ; ensuite il s'enferme à La Boisserie pour y écrire ses Mémoires d'espoir qui prendront la suite des Mémoires de guerre ; il y mène une existence retirée voire recluse.
Fidèle à ses principes concernant la séparation entre sa vie d'homme d'État et sa vie personnelle, il refuse sa retraite de général et d’ancien président de la République[241]. Sa veuve se contente jusqu’à la fin de la réversion de sa retraite de général de brigade à titre temporaire[242] obtenue grâce à un décret pris par le président Pompidou[241].
En juin 1970, il effectue un voyage en Espagne, durant lequel il fait une visite de courtoisie au général Franco[n 25], déclarant regretter n’avoir pu le rencontrer plus tôt du fait des circonstances internationales. Même si de Gaulle n'exerçait plus alors de charge publique, qu'un homme de son prestige aille rencontrer le dictateur espagnol suscite des critiques chez ses détracteurs[243]. Au surplus, de retour en France, il adresse à Franco le une lettre aux termes très élogieux, avec notamment cette phrase : « Avant tout, j’ai été heureux de faire personnellement votre connaissance, c’est-à-dire celle de l’homme qui assure, au plan le plus illustre, l’avenir, le progrès, la grandeur de l’Espagne. »[244],[245]
Dans le même esprit, De Gaulle fait savoir à l'ambassadeur Français de Pékin, Étienne Manac'h, qu'il voudrait s'y rendre durant l'été 1971. En effet Charles de Gaulle estime que Mao Zedong fut le seul capable d'extirper la Chine de l'anarchie et d'avoir su prendre les décisions nécessaires au salut de sa patrie : « Mais je lui dirai aussi que, quelle que soit mon admiration pour les réalisations de ce régime, j'ai trop de respect de l'individu pour endosser les dogmes du communisme. Je lui dirai mes réticences sur ce point[246]. »
Grâce à la reconnaissance de la Chine de Mao en 1964 et aux nombreuses expéditions françaises qui s'ensuivirent, dont notamment le célèbre ouvrage de Peyrefitte, Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera, les relations entre la Chine et la France seront parmi les meilleures entre la Chine et les pays occidentaux.
Preuve de cela, Charles de Gaulle sera le seul président occidental à avoir un reçu un éloge funèbre de la Part de Mao Zedong[247].
Le , comme à l'accoutumée, le Général entame une partie de patience dans la bibliothèque de la Boisserie. Il dit avoir mal au dos avant de s'écrouler à 19 h 2, victime d'une rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale[248],[n 26] et meurt environ vingt minutes plus tard, avant même l'arrivée de son médecin le docteur Lacheny (venu de Bar-sur-Aube) et du curé de Colombey, l'abbé Claude Jaugey. La nouvelle n'est communiquée que le lendemain par une allocution télévisée du président de la République Georges Pompidou qui déclare que « la France est veuve »[250],[251].
La mort de De Gaulle est l'occasion de prendre la mesure du rôle qu'il a joué dans l'histoire de France, ainsi que dans l'histoire de l'Europe et du monde. Ainsi, le lendemain du décès du général, le roi des Belges Baudouin vient, à titre privé, présenter ses condoléances à madame De Gaulle. Dans ses Mémoires de guerre, De Gaulle s'abstint de condamner le roi Léopold III de Belgique lors de la reddition de l'armée belge, en 1940, et le gouvernement belge d'Hubert Pierlot et Paul-Henri Spaak en exil à Londres fut le premier des gouvernements alliés à reconnaître la légitimité du gaullisme, malgré les pressions anglaises[148].
Les obsèques religieuses du Général ont lieu le à Colombey-les-Deux-Églises en présence de 50 000 personnes et d'une délégation des armées françaises, seule participation officielle autorisée par le Général dans son testament. L'homélie est alors prononcée par le prêtre et résistant Maurice Cordier[252]. À Paris, de nombreux chefs d'État étrangers sont rassemblés pour honorer sa mémoire à Notre-Dame, 70 000 personnes suivant la cérémonie depuis le parvis[253].
Seul l'hebdomadaire satirique Hara-Kiri osa un titre provocateur, dans son no 94, daté du : « Bal tragique à Colombey, un mort » (l'opinion était encore sous le choc de l'incendie d'un dancing qui avait causé la mort de 146 personnes une semaine plus tôt à Saint-Laurent-du-Pont) ; l'hebdomadaire fut interdit le lendemain.
Charles de Gaulle rédigea son testament en 1952, juste après les obsèques aux Invalides du maréchal Jean de Lattre de Tassigny, souhaitant éviter toute tentative de récupération politique et d'être trop lié à la IVe République. Il réaffirma à ses proches à plusieurs reprises les dispositions à prendre[254]. Ses dernières volontés[255], qu'il avait rédigées en trois exemplaires numérotés et actualisées, sont les suivantes :
« Je veux que mes obsèques aient lieu à Colombey-les-Deux-Églises. Si je meurs ailleurs, il faudra transporter mon corps chez moi, sans la moindre cérémonie publique.
Ma tombe sera celle où repose déjà ma fille Anne et où, un jour, reposera ma femme. Inscription : Charles de Gaulle (1890-…). Rien d’autre.
La cérémonie sera réglée par mon fils, ma fille, mon gendre, ma belle-fille, aidés par mon cabinet, de telle sorte qu'elle soit extrêmement simple. Je ne veux pas d'obsèques nationales. Ni président, ni ministres, ni bureaux d'assemblées, ni corps constitués[n 27]. Seules, les Armées françaises pourront participer officiellement, en tant que telles ; mais leur participation devra être de dimension très modeste, sans musiques, ni fanfares, ni sonneries[n 28].
Aucun discours ne devra être prononcé, ni à l’église ni ailleurs. Pas d'oraison funèbre au Parlement. Aucun emplacement réservé pendant la cérémonie, sinon à ma famille, à mes Compagnons membres de l'ordre de la Libération, au conseil municipal de Colombey. Les hommes et femmes de France et d'autres pays du monde pourront, s'ils le désirent, faire à ma mémoire l’honneur d'accompagner mon corps jusque sa dernière demeure. Mais c'est dans le silence que je souhaite qu'il y soit conduit. Je déclare refuser d'avance toute distinction, promotion, dignité, citation, décoration, qu'elle soit française ou étrangère. Si l'une quelconque m'était décernée, ce serait en violation de mes dernières volontés. »
— Testament de Charles de Gaulle,
Le , la croix de la tombe du Général est vandalisée par un individu, mais le socle est resté intact[256].
De 2012 à 2019, une étude conjointe est menée par les équipes du musée de la Légion d'honneur et du musée de l'ordre de la Libération. L'ouvrage collectif qui en résulte est principalement utilisé ci-dessous[257].
Quelques semaines après sa mort, le , est votée une loi exonérant de droits de mutation sa succession pour « services exceptionnels rendus à la Nation[345] ». La loi est présentée au Parlement par le secrétaire d'État à l'Économie et aux Finances, Jacques Chirac[346],[347].
Le nom de Charles de Gaulle a été donné à de nombreuses artères, des ponts ou des bâtiments importants des communes françaises : en 2007, l’Institut Charles-de-Gaulle dénombrait plus de 3 600 voies « de Gaulle »[348], les municipalités de droite ou du centre choisissant volontiers l’appellation militaire « Général-de-Gaulle », tandis que celles de gauche préféraient souvent la forme civile « Charles-de-Gaulle »[349] ; rapidement après sa mort, plusieurs villes communistes comptent d'ailleurs parmi les premières à l'honorer en nommant une rue, une place ou un boulevard en son honneur[350]. On peut citer notamment la place Charles-de-Gaulle (anciennement place de l’Étoile) et le pont Charles-de-Gaulle à Paris, l'avenue Charles-de-Gaulle à Saint-Priest, la place du Général-de-Gaulle à Lille, l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (ex-aéroport de Roissy) et le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. En septembre 2020, 4123 lieux portent le nom de l'ancien président[351]. Une variété de rose lui est dédiée en 1974[352]. À l'étranger, des avenues, places et rues lui sont dédiées à Beyrouth, Bucarest, Prague…
Le , lors d'une émission de France 2 diffusée en direct du Sénat, il est désigné par les téléspectateurs comme « le plus grand Français de tous les temps », devançant notamment Louis Pasteur, l'Abbé Pierre, Marie Curie, Coluche, Victor Hugo. Une partie des centristes, voire de la gauche, à l'image de Régis Debray, déclare aujourd'hui trouver en lui un inspirateur.
Selon un sondage effectué en 2005, dans le contexte du dixième anniversaire de la disparition de François Mitterrand, ce dernier, alors seul président de gauche de la Ve République, est considéré comme le meilleur président par 35 % des sondés, suivi par Charles de Gaulle (30 %) et Jacques Chirac (12 %), qui se réclame du gaullisme[353]. Un autre sondage réalisé par BVA quatre ans plus tard indique que 87 % des Français jugent positivement la présidence de Charles de Gaulle, le classant ainsi en première position de tous les présidents de la Ve République[354]. Un sondage réalisé par le même institut en 2013 va dans le même sens : avec 89 % d'opinions positives, de Gaulle apparaît comme étant le président préféré des Français, tandis que Mitterrand n'est qu'en cinquième position avec 55 %[355]. En , à l'occasion du 40e anniversaire de sa disparition, un sondage qualifie le général de Gaulle de « personnage le plus important de l'histoire de France » pour 44 % des sondés, devant Napoléon (14 %), Charlemagne (14 %), Jean Jaurès (12 %), Louis XIV (7 %) et Léon Blum (4 %)[356]. Une enquête réalisée par l'Ifop en indique que 45 % des Français considèrent le général de Gaulle comme celui ayant le plus changé la France, devant tous les autres présidents de la Ve République (François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Valéry Giscard d'Estaing, puis Georges Pompidou)[357].
Des statues ont été érigées en sa mémoire aussi bien à Québec ou Londres qu'à Varsovie ou Moscou. La république populaire de Chine lui garde une forte reconnaissance publique pour l'avoir reconnue diplomatiquement en 1964. Israël ressentit d'autant plus durement ses déclarations fracassantes de 1967 que le culte populaire qui était voué à l'homme du ne pouvait se comparer jusque-là, comme le rappelle Éric Roussel, qu'à celui du « Père de la nation » David Ben Gourion. Le monde arabe se souvient de ses critiques contre l'occupation de Gaza et de la Cisjordanie. Ben Bella rendit hommage à de Gaulle comme au plus valeureux adversaire du FLN : « Chef militaire, c'est lui qui nous a porté les coups les plus durs », mais qui finit par accepter l'indépendance algérienne. En effet, pour Ben Bella : « De Gaulle voyait plus loin » et « De Gaulle n'était pas un politicien, il avait cette dimension universelle qui fait trop souvent défaut aux dirigeants actuels »[358]. À ceux qui lui reprochaient d'être resté un client de la France gaullienne, Léopold Sédar Senghor répliquait que peu de chefs d'État occidentaux pouvaient se vanter d'avoir risqué personnellement leur vie pour conduire une colonie à l'indépendance. Il n'est pas jusqu'au maître de Cuba, Fidel Castro, qui déclara devant les caméras avoir trouvé un modèle en de Gaulle à la lecture de ses Mémoires de guerre. L'Amérique latine ou le Viêt Nam apprécient encore le pourfendeur de la domination américaine, le Québec le contempteur de la prédominance anglophone.
La Constitution de 1958 dure maintenant depuis plus d'un demi-siècle, avec des modifications. « L'homme de Londres » est entré dans un passé mythique où, pour les Français, il incarna à lui seul l'opposition au régime de Vichy.
Les années que l'économiste Jean Fourastié a nommées les Trente Glorieuses (1945-1975) ont laissé aux Français le souvenir d'une époque, sinon heureuse (deux guerres coloniales), au moins de croissance et de prospérité. « Nous ne sommes pas les plus riches, nous ne sommes pas les plus puissants, mais je vous garantis que nous sommes parmi les plus heureux », affirma Georges Pompidou lors de vœux usuels de Nouvel An aux Français. Or, la fin de cette période heureuse se trouve correspondre à peu près à celle de De Gaulle : difficile dans ces conditions de séparer objectivement ce qui est dû à l'homme et à son dauphin désigné de ce qui est dû au contexte économique.
Le général de Gaulle a planifié et modernisé la recherche et l'industrie par l'impulsion de l'État. C'est de son époque que datent le début des grands programmes qui ont fait la force de l'industrie française et qui trouvent leur aboutissement aujourd'hui dans de grands champions français ou européens : dans l'aéronautique, la Caravelle a donné naissance à Airbus Industrie ; dans l'industrie spatiale, la création du Centre national d'études spatiales (CNES) en 1961, le programme spatial français des « Pierres précieuses » et la fusée Diamant, premier lanceur construit en dehors des États-Unis et de l'URSS, ont abouti à la naissance d'Arianespace et de l'Agence spatiale européenne ; dans l'industrie nucléaire, la création du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en 1945 a permis à la France de contrôler l'ensemble de la filière nucléaire avec la société Areva ; dans l'industrie informatique[359], les objectifs du plan Calcul (1966) ne furent pas atteints, mais, notamment grâce à la création de l'IRIA (devenu INRIA) en 1967, la France est le seul pays européen qui ait réussi à conserver un constructeur informatique purement européen, Bull, qui fabrique aujourd'hui des superordinateurs et, rapproché avec Atos, forme un champion européen de l'informatique.
Bien des traits de sa personnalité avaient entraîné une sympathie des Français envers sa personne : d'abord son vocabulaire non conventionnel pour un homme politique de l'époque et de cet âge (« culbute », « chienlit »), ses boutades[360] (« Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? »[361]), son sens de la répartie (au cours d'une conférence de presse, à un journaliste lui demandant « Comment allez-vous ? » il répondit : « Je ne vais pas mal, mais rassurez-vous : un jour je ne manquerai pas de mourir »[362]) ; à Louis Vallon, qui s'était écrié « Mort aux cons ! » au cours d'une réunion, au temps du RPF, de Gaulle répondit : « Vaste programme ! »[363], son mépris affiché des partis politiques, enfin, sa défiance envers une droite qui ne l'aimait pas et le lui fit voir en 1969, comme envers une gauche qui n'avait jamais vraiment soutenu le projet de participation des salariés aux bénéfices de leur entreprise qui lui était cher (conformément à sa politique directement inspirée du catholicisme social[74]). De Gaulle, c'était, dans un esprit très « Astérix », un de ces « petits qui ne se laissent pas avoir par les grands »[364]. On ne s'étonnera pas de sa déclaration selon laquelle son livre préféré était Cyrano de Bergerac. Et il fit un jour cette remarque ironique : « Au fond, vous savez, mon seul rival international, c'est Tintin ! »[365],[366].
La personnalité de Charles de Gaulle a suscité énormément de représentations dans les arts et la culture populaire.
Charles de Gaulle, qui commence à écrire à l'âge de quinze ans, publie des articles et une nouvelle dans différentes revues entre 1908 et 1910 en utilisant le pseudonyme anagrammatique de Charles de Lugale[367]. Il est par la suite considéré comme un écrivain de talent[368]. L'écrivain et journaliste Claude Roy le salue, dans Libération, comme un des « grands écrivains latins de langue française »[369].
Dans les années 1920, Pétain, qui souhaite entrer à l'Académie française, fait appel à lui pour la rédaction d'un ouvrage, Histoire du soldat français, qui devait être publié sous le nom du maréchal[370]. Pétain n'en écrit que la partie sur la Première Guerre mondiale (La Guerre mondiale 1914-1918). À la suite de dissensions entre les deux hommes, le livre n'est jamais publié et de Gaulle reprend ses écrits pour la rédaction de l'essai La France et son armée, sorti en 1938[370].
En 1963, Charles de Gaulle fait partie des lauréats potentiels du prix Nobel de littérature[371] et ses Mémoires de guerre lui valent d'entrer dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade en 2000. Le troisième tome de ses Mémoires de guerre, Le Salut, 1944-1946, est inscrit au programme du baccalauréat littéraire en 2011 et en 2013[368].
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