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peuple gaulois De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Les Lingons sont un des plus anciens peuples gaulois protohistorique et antique participant du développement socioculturel de l'Arc alpin.
L'ethnogenèse des Lingons est directement liée aux cultures successives de Hallstatt et de la Tène ; elle s'achève avec le déclin de l'Empire romain d'Occident. Une partie de la population lingonne s'établit au début du IVe siècle av. J.-C. dans le Nord de l'Italie, au sud du delta du Pô dans l'actuelle province de Ferrare, où elle participa à la formation de la Gaule cisalpine.
À l'instar de la plupart des autres peuples gaulois, l'ethnonyme latin des Lingons, en l'occurrence Lingonenses, s'est transmis dans le toponyme actuel de leur civitas en Gaule transalpine, l'ancienne Andemantunnum rebaptisée Langres, qui devint l'un des plus puissants évêchés du royaume de France. Fondée plus tardivement que cette dernière, leur métropole méridionale, Divio, est devenue la capitale historique de la Bourgogne : l'actuelle Dijon.
Situé entre les bassins parisien, rhodanien et meuso-rhénan, le territoire originel reconnu des Lingons couvrait à sa plus grande extension un espace d'environ 18 000 km2 se partageant sur une partie de ceux des actuelles régions Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté. De par son positionnement topographique, ce territoire était une zone de transit des échanges commerciaux et culturels de l'Europe occidentale protohistorique puis antique, entre les civilisations du Bassin méditerranéen et les groupes de populations tant d'Europe centrale que de l'Arc Atlantique. Outre de bonnes ressources agro-alimentaires et un sous-sol recélant plusieurs gisements de minerai de fer, cette position territoriale stratégique permit aux Lingons de bénéficier d'une prospérité économique et d'un développement culturel soutenus. Lors des premières manifestations significatives de l'expansion germanique à l'est de la Gaule chevelue, la maîtrise territoriale de l'espace géographique correspondant au territoire des Lingons transalpins ainsi qu'à ceux de leurs voisins Éduens et Séquanes fut un enjeu géostratégique entre Jules César et le chef suève Arioviste, dont l'issue déboucha sur la guerre des Gaules…
Deux sites archéologiques de premier ordre ont été notamment légués par les Lingons à la connaissance de l'Europe centrale protohistorique : le complexe aristocratique de Vix / Mont-Lassois et l'ensemble funéraire de Lavau.
Situé au centre du seuil morvano-vosgien, le territoire originel identifié des Lingons s'étend entre les sections de cours d'eau et entités géographiques naturelles suivantes[A 1],[1]:
L'espace ainsi défini correspond essentiellement aux régions naturelles suivantes : Plateaux de Langres et du Châtillonnais, Tonnerrois, Barrois champenois, Pays d'Armance, Champagne humide, Apance-Amance, partie occidentale du Seuil de Lorraine, plateaux haut-saônois (à l'ouest de la Petite-Saône), côtes de Meuse méridionales, arrière-Côte de Dijon et côte dijonnaise, Pays d'Oscheret, Bassigny, Vallage, Briennois, Ornois, Perthois et Pays du Der. Le territoire correspondant à cet ensemble géographique est entaillé par un important réseau hydrographique constitué notamment des cours supérieurs de la Seine, de la Marne, de l'Aube et de la Meuse. La plupart des cours d'eau de ce réseau sont issus de systèmes karstiques, sous forme de résurgences auxquelles les Lingons associèrent des divinités tutélaires[3]. Le positionnement du territoire à l'intersection des lignes de partage des eaux entre Mer du Nord, Manche et Méditerranée a largement favorisé son développement économique et culturel en tant que zone d'échanges entre le nord de l'Arc Atlantique, la Rhénanie, l'Europe centrale et le bassin méditerranéen[A 2],[4]; la « Lingonie transalpine » étant en outre située à peu près à égale distance de l'embouchure de la Seine et de celle du Rhône[note 1].
Lors de sa plus grande extension connue (à la fin de la République romaine), le territoire reconnu des Lingons couvre un espace d'environ 18 000 km2, s'étendant sur environ 190 km de Sermaize-les-Bains au nord à Saint-Jean-de-Losne au sud et 170 de Pontigny à l'ouest à La Basse-Vaivre à l'est. Ce territoire se superpose à peu près aux divisions administratives territoriales actuelles suivantes[5],[6],[7]:
Les territoires limitrophes de celui des Lingons sont ceux des peuples gaulois suivants[8],[1],[9],[7]:
(d'après la Notitia galliarum[note 2] et la Table de Peutinger[11])[1],[12]:
Municipe et principales agglomérations secondaires de la Civitas Lingonum (entre la réorganisation de la Germanie romaine par Domitien vers 90 et la fin de la dynastie des Sévères en 235) :
(subdivisions territoriales du Ve au IXe siècle correspondant à la pertica des Lingons avant le Principat[8],[13],[14])
Selon Jacques Lacroix[15] et Xavier Delamarre[16], l'ethnonyme « Lingons », issu du latin Lingonenses, serait basé sur la racine gauloise ling signifiant « sauter » ou « bondir » (en vieil irlandais, lingid se traduit par « il saute »). Plusieurs acceptions sont donc possibles : « les sauteurs », « les bondisseurs » (« les danseurs » ?), voire « les jureurs » pour Xavier Delamarre... En effet, d'après le Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant[17]: « Pour les Celtes, le jeu est un exploit guerrier et le saut est à cet égard un art martial permettant d'échapper à son adversaire ou de le contrer (à l'instar de celui de Lug)... Il peut être aussi l'expression d'une injure ou d'une violente colère (à l'instar de celui de Cúchulainn)... Un peuple de la Gaule, les Lingons, s'appelle ainsi les sauteurs... Cependant, dans d'autres traditions celtiques, le saut est symbole d'ascension céleste...»[18].
(approximativement de -8200 à -780)
Les Lingons constituent l'un des peuples les plus anciens de la Gaule[note 3]. Leur ethnogenèse participe des complexes culturels puis du Complexe techno-économique nord-alpins liés au développement de la métallurgie du bronze puis du fer en Europe centrale[C 1], le territoire originel identifié des Lingons relevant de l'aire de diffusion initiale de la culture du Hallstatt comme ultérieurement de celle de La Tène[19].
Depuis le début du Néolithique centreuropéen, les modifications progressives des faciès archéologiques locaux dessinent un processus d'évolution culturelle sans réel hiatus[20],[A 3],[note 4],[note 5]. En outre, la forte densité démographique (eu égard aux périodes considérées) du territoire originel des Lingons lors des âges du bronze et du fer s'explique par un développement techno-économique complet des populations locales au plus tard au Néolithique final centreuropéen[A 4]. Par ailleurs, les analyses typo-chronologiques et archéométriques résultant des inventaires archéologiques des nombreuses sépultures protohistoriques des arrondissements de Langres[21] et de Montbard[22] révèlent, pour un bon nombre de sites, une occupation continue du Néolithique moyen centreuropéen à la Gaule romaine[B 1](voire au-delà[note 6]).
(approximativement de -8200 à -2300)
(approximativement de -8200[23] à -5300)
Les prospections de surface (Verseilles-le-Bas[note 7], Rolampont, Crenay, Dammartin-sur-Meuse, Parnot...) révèlent qu'un peuplement assez important, dans la parfaite continuité de l'Épipaléolithique, est stabilisé au moins depuis le début de l'optimum climatique Atlantique (vers -7500[C 2]). Sur un territoire où l'extension de la forêt de type boréal est à son maximum[C 2]et dont les zones humides sont occupées par de grandes tourbières (desquelles subsistent notamment les marais tourbeux de la vallée de la Laignes à Molesme)[24], l'évolution de ce peuplement préfigure l'apparition des premières sociétés rurales locales[A 5].
Sur le substrat épipaléolithique constitué par l'Ahrensbourgien au nord (gisements de surface de Haute-Marne)[A 6] et l'Azilien au sud (reconnu à l'abri sous roche de Vaubeton[note 8])[A 7],[note 9], se superpose l'apport mésolithique du Tardenoisien (reconnu à l'abri sous roche du Moulin, à Fleurey-sur-Ouche)[B 2],[note 10].
Les stratigraphies des sites précités suggèrent que le territoire originel des Lingons ait déjà pu constituer une « plaque tournante » au débouché septentrional du Couloir Saône-Rhône, l'influence des groupes mésolithiques locaux en termes démographique et culturel dans l'accueil ou le développement de l'économie de production restant à mesurer[A 5],[note 11].
(approximativement de -5300 à -4100)
(approximativement de -5300 à -5100)[C 3],[A 5]
La Culture rubanée apparaît à l'extrême nord du territoire originel des Lingons via le Rhin moyen (Rubané du Rhin[note 12])[A 5],[C 3]puis s'y diffuse au sud à partir du Bassin parisien (Rubané du sud-ouest[C 4] identifié à la sépulture des Lentillères à Dijon et sur le site des Maillys[B 2]). Aux marges septentrionale et orientale du territoire se manifestent les influences respectives des groupes épimésolithiques[note 13] du Limbourg et de la Hoguette[C 5],[note 14].
Le Rubané apporte des espèces végétales et animales domestiquées[C 6] :
L'apport de la pratique du brûlis permet le développement du pastoralisme et de l'agriculture[C 6],[25].
(approximativement de -5100 à -4700)[C 7]
Au Rubané du sud-ouest se superpose le groupe épicardial[C 7]de Villeneuve-Saint-Germain[A 5],[B 2], dont l'un des habitats les plus importants a été mis au jour à Buchères[note 16]. Cet Épicardial, résultant de la diffusion du Cardial de la France méridionale vers le nord, apporte vraisemblablement la chèvre et le mouton[note 15]ainsi que le blé dur sur le territoire originel des Lingons[C 8].
Sous un climat humide et tempéré, la végétation des versants est dominée par la forêt mixte : pin, chêne et noisetier[26]. Les plateaux et les zones basses sont des espaces ouverts de prairies et chaumes à graminées. Trop humides, plaines et vallées sont délaissées au profit des coteaux[B 2].
(approximativement de -4700 à -4300)[C 9] La Culture de Cerny à l'ouest et celle de Roessen à l'est se partagent l'influence culturelle territoriale (la Culture de Roessen étant notamment reconnue dans la « grotte de Roche-chèvre » à Barbirey-sur-Ouche[27] et en gisement de surface à Serqueux)[A 8],[B 2].
(approximativement de -4300 à -4100)[C 10]
Le territoire originel des Lingons est au carrefour des influences[4] du Chasséen méridional (identifié notamment à Barbirey-sur-Ouche), du Cortaillod et du Michelsberg[note 17]. Ce creuset culturel est à l'origine du « N.M.B. » (Néolithique moyen bourguignon), aboutissement régional du développement néolithique[A 9],[B 3],[C 11],[28].
(approximativement de -4100 à -2700)
(approximativement de -4100 à -3300)[28]
La conjonction régionale du Chasséen, du Cortaillod et du Michelsberg constitue le « Néolithique moyen bourguignon » (abrégé en NMB) [A 9],[B 2],[C 11],[28].
Des habitats permanents sont élevés de préférence sur des sites de hauteurs plus ou moins fortifiés : Mont de Marcilly[29],[30], bordure de plateau à Véronnes et Andelot-Blancheville (Fort-Bévaux); éperons barrés de La-Vergentière à Cohons, du Camp-du-Châtelet à Étaules[B 4],[31], du Mont-Cocheron à Mâlain[32],[B 4], du Mont-Avrollot (en limite du territoire sénon)[33], du Châtelet de Gourzon... À l'instar de ces deux derniers, occupés de façon continue jusqu'au Haut Moyen Âge, certains de ces sites seront réinvestis lors des périodes ultérieures[28].
L'éperon barré de la Vergentière a fourni des données décisives sur l'outillage (silex, bois de cervidés, os, roches tenaces...) et sa circulation régionale[A 10], l'élevage (bœuf, mouton, chèvre, porc, chien...), l'appoint non négligeable de la chasse dans le régime alimentaire et le travail de matières premières (peaux, dents, os, bois...). En outre, les analyses de pollens fossiles et autres recherches conduites à partir de prélèvements sur le site ont permis d'établir qu'un certain équilibre s'est maintenu entre zones cultivées à faible distance et couvert forestier, les zones agricoles étant modérément propices à la céréaliculture. L'abondante production céramique recueillie par ailleurs sur le site a permis de compléter le tableau typologique du « N.M.B »[A 9],[34],[note 18],[note 19].
Les sites précités ainsi que notamment ceux de la « Grande-Charme » à Couternon[35] et des environs de Chaumont[note 20] ont livré des objets lithiques ou osseux très variés : armatures de flèches triangulaires ou losangiques, grattoirs, racloirs, denticulés, éléments de faucilles, meules, broyeurs, stylets, lissoirs, poinçons... Les objets de bûcheronnage (haches et herminettes) réalisés dans des roches tenaces importées des Alpes ou des Vosges (éclogite, fibrolite et notamment métapélite[note 21] provenant de ces dernières, identifiée à la Vergentière[A 10]) témoignent, outre de l'importance des travaux de défrichement, d'un commerce à longue distance »[A 11],[B 4],[note 22]. Ces sites ont livré d'autre part une quarantaine de formes de céramique : marmites, vases à provision, bols, jarres, « plats à pain »[A 12],[B 4]...
Au « NMB » est associé un mégalithisme régional dynamique, amorcé localement par la Culture de Cerny au début du Néolithique moyen : dolmens ou cistes sous tumulus ou cairn (rond ou ovale), dolmens monumentaux, menhirs... Des vestiges mégalithiques correspondants subsistent notamment à Cohons, Arbot, Ériseul (La-Brosse), Coupray, Chambain (menhir du Cheval-gris), Andelot-Blancheville (dolmen de Fort-Bévaux[note 23]), Nogent (dolmen de la Pierre-tournante[note 24]), Vitry-lès-Nogent (dolmen de la Pierre-Alot)[A 13], Francheville[B 4], Saint-Martin-du-Mont (bois de Baribœuf), Turcey[B 5], La Villeneuve-les-Convers, Coulmier-le-Sec (menhir de la Grande-borne) ainsi qu'au sud de Langres[note 25] et dans la forêt de Châtillon-sur-Seine[22],[36].
(approximativement de -3300 à -2700)
Dans la continuité du Néolithique moyen bourguignon, le territoire est en limites d'influences des cultures de Horgen (en)[note 26] au nord-est, Seine-Oise-Marne (S.O.M.)[note 27] au nord-ouest et Ferrières-septentrionale[note 28] au sud. La culture S.O.M. à notamment laissé l'allée couverte de Vitry-lès-Nogent. Celle de Ferrières-septentrionale est identifiée par quelques armatures de flèche en ramassages de surface, témoignant des mêmes influences méridionales qu'en Franche-Comté (Clairvaux-Chalain[note 29] et Arbois[note 30])[A 10].
Sous un climat s'adoucissant sensiblement (température moyenne supérieure de 3 à 4 °C à celle du XXe siècle), la chênaie mixte (chêne, tilleul, orme et noisetier) se développe[37]. Les habitats de « surface » reconnus confirment une occupation non sélective des sols et donc l'achèvement du processus de colonisation de l'ensemble du territoire engagé dès le début du Néolithique moyen. En outre, l'importance du mégalithisme indique un peuplement dense et stable[A 10].
(approximativement de -2700 à -2300)[C 12]
Les fouilles entreprises dans les sépultures mégalithiques mettent en évidence un important « chalcolithique » local manifestant de nettes influences de la Culture de la céramique cordée et du Campaniforme[A 10].
Les sépultures mégalithiques collectives se regroupent fréquemment en nécropoles comme à Andelot-Blancheville (nécropole tumulaire de Fort-Bévaux[note 31]), Francheville[B 4], Saint-Martin-du-Mont (bois de Cestre)[B 6] et Fleurey-sur-Ouche (Zone tumulaire des Roches)[38],[note 32].
L'industrie lithique voit se généraliser les armatures de flèche triangulaires à pédoncules et ailerons ainsi que les racloirs à encoches latérales et les poignards, ces derniers étant fréquemment taillés dans le silex importé du Grand-Pressigny (identifié notamment à Nicey, Balot et Vannaire)[B 6]. Les poteries en forme de gobelet sont décorées de lignes ou de bandes tracées à la cordelette ou au peigne à dents carrées sur la pâte fraîche. Ces gobelets sont généralement accompagnés in-situ d'objets de cuivre ou de bronze comme la petite plaque de Ternant ou l'alène de Fleurey-sur-Ouche[B 6]. Outre l'apparition de ces petits objets funéraires métalliques, la diffusion du métal sur le territoire originel des Lingons se manifeste par quelques objets plus significatifs tels que la grande hache plate en cuivre d'Auxonne[B 7] ou celle plus petite de Duesme.
(approximativement de -2300 à -950)
(approximativement de -2300 à -1650)
(approximativement de -2300 à -2000)
L'ouverture du milieu naturel se trouve facilitée par la réalisation de haches métalliques plus performantes. Le cycle des jachères s'accélère; les champs, friches et pâtures priment sur la forêt de feuillus (chêne, orme, tilleul, hêtre et noisetier); aulnes, joncs et roseaux envahissent les fonds de vallées[24]. Des fermes isolées exploitent des petits terroirs de quelques dizaines d'hectares[39],[40].
(approximativement de -2000 à -1650)
De nouveaux objets en bronze tels que la hallebarde d'Euffigneix apparaissent[41].
(approximativement de -1650 à -1350)
Au début du Bronze moyen centreuropéen, la culture centreuropéenne des « Tumuli orientaux » s'étend au centre-est de la France. Cette culture, caractérisée par l'inhumation sous tumulus déjà pratiquée régionalement au Néolithique moyen, prend place sur un substrat culturel du Bronze moyen héritant de l'extension occidentale de la Culture d'Unétice, aux confins des aires de diffusion de l'Épicampaniforme rhôdano-rhénan et du Groupe des urnes à décor plastique. Le territoire lingon voit de nombreux tumuli s'y ériger, particulièrement dans les secteurs correspondant à l'arrondissement de Langres[21] et au Châtillonnais[22],[36],[note 33]. Les inventaires archéologiques de ces sépultures révèlent une modification régionale de la circulation du métal. Vers -1450, une évolution artistique se dessine dans la production d'objets d'apparat tels que ceux de la tombe-A de la Combe-Bernard à Magny-Lambert : paire de jambières à double spirale, épingle à fût côtelé, bracelets torsadés, torque filiforme, bague spiralée, applique discoïde[42]...
(approximativement de -1350 à -950)
(approximativement de -1350 à -1150)
L'évolution artistique de la période précédente s'affirme, à l'instar de la remarquable paire de jambières de bronze à double spirale et jambard décoré de motifs géométriques livrée par la fouille de la « sépulture féminine 1 » de Veuxhaulles-sur-Aube ainsi que de la magnifique céramique de la « grotte de Roche-chèvre » à Barbirey-sur-Ouche[27].
(approximativement de -1150 à -950)
Les fouilles du tumulus de Chaume-lès-Baigneux, daté de la fin de la « Culture Rhin-Suisse-France orientale » (RSFO)[43], ont livré outre un monument funéraire, une riche céramique cinéraire (dont une coupe en terre cuite incrustée d'étain[note 34]) et un rasoir ainsi que des perles en or et pâte de verre[44].
(approximativement de -950 à -780)[note 35]
Les profits résultant de la diffusion des objets manufacturés développés lors de la précédente période et la spécialisation du travail correspondante induisent une nouvelle structure sociale, augurant de la forte hiérarchisation de la société du Hallstatt[45],[46].
Des ensembles d’armement[47] se multiplient dans les sépultures et dépôts[48],[note 36] tels que celui de Marmesse ayant livré en particulier plusieurs cuirasses[note 37] ou ceux de Chaugey, Cérilly et Buchères[note 38] ayant livré notamment des haches à douille. La quantité et la diversité de provenances d'objets « d'origine étrangère » retirés de ces sépultures et dépôts, ainsi que l'aire de diffusion d'un bon nombre d'objets d'origine lingonne, font apparaître le territoire lingon originel comme une zone d'échanges culturels et économiques en marge occidentale d'un « Complexe techno-économique nord-alpin »[49],[50], au carrefour des routes de l'ambre et de l'étain entre Bassin méditerranéen, Europe centrale et Arc Atlantique[51].
Concomitamment à l'affirmation du territoire lingon en tant que zone d'échange de biens culturels, son organisation agraire se renforce par l'implantation de centres d'exploitation agricole structurés, comme l'atteste notamment le Site des Corvées à Lavau[52].
(approximativement de -780 à -125)
(approximativement de -780 à -480)
(approximativement de -780[53] à -750)
Au début de la phase initiale du Hallstatt, la structure sociale de l'espace culturel centreuropéen, auquel sont directement associés les Lingons[54], s'apparente à une « chefferie » : une communauté agro-pastorale sous l'autorité d'une élite de cavaliers-guerriers s'imposant à un groupe social de quelques milliers de personnes au plus[55].
L'aristocratie guerrière, héritière de la transformation sociale de la fin de l'âge du bronze centreuropéen[53], dispose d'un nouvel armement[56], comme en témoignent en territoire lingon les épées de « type Tachlovice » trouvées à Aubepierre-sur-Aube et Humes-Jorquenay[57] ainsi que celle de « type Morenges » trouvée à Rolampont[58],[53]. Des éléments de harnachement équestre tels que les mors de dressage trouvés à Chalindrey attestent d'autre part une maîtrise de l'équitation.
Outre leur hiérarchisation marquée, les sociétés du Hallstatt se caractérisent par un changement des pratiques funéraires se singularisant par la réapparition de l'inhumation et sa coexistence avec la crémation pratiquée lors de la période précédente ainsi que par la réapparition du phénomène tumulaire en sépulture individuelle, particulièrement en territoire lingon[59],[21] où l'usage des tumuli est établi de manière plus ou moins continue depuis le Néolithique moyen bourguignon. Certains défunts sont incinérés, comme au « tumulus-2 » des Tillies au pied du Mont Lassois[60], ou bien inhumés, comme au « tumulus Jean-Jacques » à Villecomte ou à celui de Bressey-sur-Tille[61].
(approximativement de -750 à -630) Les « tombes à armement » des élites masculines guerrières[note 39],[62] se multiplient en territoire lingon (une trentaine pour le seul Pays Châtillonnais[63]). Ces sépultures privilégiées disposent d'un mobilier funéraire associant parfois à l'armement du défunt et ses objets personnels tels que le rasoir en bronze, de la vaisselle à boisson métallique et des vases en céramique[64] comme à Poiseul-la-Ville-et-Laperrière[65],[66], Minot et Magny-Lambert[42],[note 40].
La situle du « Tumulus du Monceau-Laurent » à Magny-Lambert ainsi que la situle[note 41] et les phiales de deux des sépultures de Poiseul-la-Ville-et-Laperrière sont originaires d'Italie[67], ces dernières révélant en particulier des relations avec la Culture de Villanova[66]. L'origine de ces objets atteste les échanges à très longue distance qui contribueront à asseoir la structure sociale du Hallstatt[68].
Les dépôts votifs du Hallstatt moyen des sources de la Seine, de la Marne, du Corgebin, de la Coquille et particulièrement de la Douix témoignent de l'ancienneté des cultes voués par les Lingons aux divinités hydronymiques[3].
(approximativement de -630 à -480)
Le phénomène de complexification sociale, amorcé en Europe centrale au Bronze final (vers -950), atteint son apogée à la fin du premier âge du fer centreuropéen. Une organisation socio-politique pré-urbaine se met en place sur une aire géographique couvrant toute la partie occidentale de la culture hallstattienne (du Bade-Wurtemberg au centre de la France), alors que s'intensifient les contacts avec les Grecs et les Étrusques[69], via Marseille ou la Culture de Golasecca[70]. Ce processus, se traduisant par un contrôle accru du territoire, favorise l'émergence de « complexes aristocratiques » tels que ceux de Vix / Mont-Lassois[note 42] et Lavau[note 43],[note 44], au carrefour des routes de l'étain et de l'ambre[71],[72]. Concernant l'économie vivrière, l'optimisation de l'espace agraire résultant du renforcement du contrôle territorial, à l'instar du site de « Peute-combe »[note 45](Plombières-lès-Dijon / Talant), permet d'élargir sensiblement la diversité des espèces végétales exploitables : orge commune, blé tendre, blé dur, épeautre, millet commun, millet des oiseaux, amidonnier, engrain, avoine, seigle, lin, caméline, lentille, vesce erviliaire, pois, fenouil, aneth, noisetier commun, yèble, prunellier[73]...
L'usage des tombes à char réservées aux personnalités de marque, parmi lesquelles apparaissent des femmes, s'étend au territoire lingon : Vix[74], Lavau, Nijon[75], Veuxhaulles-sur-Aube, Creney-près-Troyes, Savoyeux[note 39]... Ces tombes, recouvertes d'un tumulus monumental, sont dotées d'un char d'apparat à quatre roues[note 46] et d'un très riche mobilier[76],[77], notamment à Lavau et au mont Lassois[note 47]: sépultures féminines de Vix[78],[79] ainsi que de la Garenne et la Butte à Sainte-Colombe-sur-Seine[80].
Les services à vin des tombes à char de Vix[81],[82], du Moutot à Lavau[note 48](cratères originaires de Grande-Grèce et d'Étrurie, œnochoés, coupes attiques...) et de la Garenne à Sainte-Colombe-sur-Seine (notamment le lébès de facture étrusque[83])[note 49], ainsi que les amphores en céramique de la tombelle de Mantoche, illustrent les relations avec les comptoirs grecs et l'Étrurie[84]. Les produits méditerranéens, tels que le vin et le corail rouge, sont échangés contre l'étain d'Armorique et des îles Britanniques nécessaire à la fabrication du bronze, l'ambre de la Baltique et l'or recueilli dans certaines rivières de la région rhénane ainsi que les armes et autres objets en acier dans la production desquels les métallurgistes du Hallstatt excellent[85]. Cette maîtrise du métal se manifeste particulièrement au travers d'un véritable Art hallstattien se diffusant notamment en territoire lingon[86]; comme en témoignent le bracelet à triscèle de Montsaugeon ainsi que les très belles orfèvreries et joailleries des sépultures de Vix[87],[88], du « Tumulus de la Butte » à Sainte-Colombe-sur-Seine[89],[90],[note 50] et de celui de Courtesoult-et-Gatey[91]. L'Art du Hallstatt en territoire lingon s'exprime aussi dans l'abondante production de poteries peintes, telles que celles du Mont-Lassois[92] et de Bouranton / La-Louvière[note 51].
Les peuples occupant les points de passage obligés entre les zones septentrionale et méridionale de l'Europe, dont les Lingons sur le Seuil morvano-vosgien[93], prennent une position commerciale stratégique qu'il convient de défendre[94]. Cette position explique la multiplication des habitats de hauteur puissamment fortifiés[95] comme ceux du mont Lassois[96],[note 52], de la colline Sainte-Germaine[97], de Crécey-sur-Tille (« Camp de Fontaine-Brunehaut »)[98], du Mont-Avrollot (en limite du territoire sénon)[33], du Châtelet d'Étaules[99] et de celui de Gourzon (ces quatre derniers sites ayant été occupés de façon continue depuis le Néolithique moyen[31]) en territoire lingon[100],[46]. Certaines de ces « citadelles » comportent un enclos cultuel, à l'instar de celui des « Herbues » au Mont Lassois où l'élite locale est héroïsée[101].
À la fin du Hallstatt final et au début de la période suivante, le dépôt cinéraire en ciste métallique (tel que pratiqué à Gomméville, Courcelles-en-Montagne, Bouranton et Montarlot-lès-Champlitte) ou en lécythe funéraire (tel que pratiqué à Mantoche) succède localement à l'inhumation[102].
(approximativement de -480 à -125)
(approximativement de -480 à -390)
À partir d'environ -480, la culture de la Tène se diffuse en territoire lingon. Cet apport culturel[103] est marqué à son début par une mutation de la société du Hallstatt final, conséquence d'une crise interne[104], de la réorganisation des circuits commerciaux ou des luttes entre Grecs et Étrusques pour le contrôle des échanges commerciaux[105]. Les « citadelles » du premier âge du fer, poumons des relations commerciales, sont abandonnées au profit d'un mode de vie plus rural dominé par une chefferie guerrière[106]. Certains territoires, dont celui des Lingons, apparaissent comme de nouveaux pôles de développement économique et culturel du « Monde celtique centreuropéen »[107].
Une lente évolution se produit dans les coutumes et les productions, de nouveaux objets d'apparat comme le stamnos cinéraire[note 53] et le miroir étrusque ainsi que le canthare attique prennent place dans les tombes de prestige telles que celle de la Motte-Saint-Valentin[108],[note 54] en territoire lingon. Les mobiliers funéraires laissent entrevoir une moindre disparité sociale entre les puissants et le peuple[109] ainsi que le font apparaître les fouilles des tumuli lingons de Perrogney-les-Fontaines[62], Maigrefontaine[110], Vesvres-sous-Chalancey, Cohons, Cusey, Prauthoy, Fleurey-sur-Ouche[38]...
Les importations méditerranéennes décroissent, les bijoux sont moins somptueux, les sépultures des personnalités de haut-rang perdent de leur monumentalité tout en conservant leur mobilier type[64]: le poignard de parade fait place à la panoplie guerrière complète[111], le char à deux roues, plus léger et plus rapide, y succède à celui à quatre roues (tombe à char de Michaulot à Bouranton[112])[113]. Les longues épées de fer à tranchants parallèles (telle que celle dite de Langenlonsheim mise au jour à la Motte-Saint-Valentin[114]), caractéristiques de l'équipement militaire laténien[note 55], supplantent les armes de la période antérieure. De nouveaux types de fibules apparaissent. Les récipients destinés au vin tels que le tonneau et les vases en céramique, bien que ces derniers soient encore inspirés des œnochoés étrusques, sont fabriqués par des artisans locaux. Un art décoratif original s'affirme[115], dont la contribution des Lingons est attestée par des objets telle que la rouelle de Balesmes-sur-Marne[89].
Alors que l'usage du tumulus se perpétue dans la partie méridionale du territoire lingon, des nécropoles de tombes plates sans tumulus, destinées aux défunts des catégories populaires, se développent sous l'influence de la « culture Marnienne » dans les hautes vallées de la Marne et de l'Aube. Les femmes portent des agrafes de ceinture, des fibules, des torques. Les fantassins sont inhumés avec leur armement[116] : épée, lance, javelot, cotte de mailles[117]... Cette dernière deviendra la lorica hamata, à la suite de son adoption par l'Armée romaine après les raids gaulois en Italie péninsulaire auxquels participeront les Lingons[118].
(approximativement de -390 à -190)
Alors que le « Monde celte » apparaît globalement stable au milieu du Ier millénaire av. J.-C., les IVe et IIIe siècles av. J.-C. voient d'importants groupes de populations relevant de cette entité culturelle se mettre en mouvement vers la plaine Padane, la Pannonie, le bassin des Carpates, les Balkans et la Grèce puis l'Asie Mineure[119],[120].
Au début du IVe siècle av. J.-C. se produisent des incursions gauloises dans la péninsule italienne, demeurées célèbres en raison de la victoire remportée en -387 sur les Romains lors de la bataille de l'Allia et de l'épisode des oies du Capitole suivi du célèbre « Vae victis » lancé par Brennus aux vaincus. Des groupes migrants de Lingons, Sénons, Boiens et Cénomans s'établissent en force en Italie du Nord. Au côté des Insubres et Taurins y étant déjà établis depuis au moins le VIe siècle av. J.-C., ils constituent la Gaule transpadane. Les Lingons prennent alors possession de la partie sud-est de la Plaine padane située entre le sud du delta du Pô et les Apennins du Nord, notamment de la cité étrusque de Spina dans l'actuelle province de Ferrare[121],[note 56].
La troisième guerre samnite voit la défaite de la coalition constituée par les Sénons, Samnites, Étrusques et Ombriens devant les Romains à la Bataille de Sentinum en -295. Malgré cette défaite des Sénons, les Gaulois cisalpins, dont les Lingons du delta du Pô, parviennent à contenir les Romains au prix des batailles d'Arretium en -284 et du Lac Vadimon en -283[122].
En dépit de leur pugnacité, les Sénons doivent se retirer d'Étrurie et se replier sur la Plaine padane en -232. En -225 les Insubres sont défaits à la bataille de Faesulae et perdent Mediolanum. Après l'échec de leur contre-offensive à Télamon la même année malgré le renfort des Gésates, les Gaulois cisalpins ne parviennent pas à contenir la poussée de Rome, les Insubres étant défaits à Clastidium en -222. Lors de la deuxième guerre punique, les Gaulois cisalpins s'allient à Carthage (excepté les Taurins s'étant opposés au passage des troupes d'Hannibal sur leur territoire). L'issue du conflit n'ayant pas été favorable à la Cisalpine gauloise, les Romains défont de nouveau les Gaulois cisalpins à Betriacum en -200, bataille à l'issue de laquelle seuls les Boïens et Insubres opposent une résistance. Après la reddition de ces derniers à Mutina en -194, les Boïens résistent face à Rome jusqu'en -191. Dès lors, la Gaule cisalpine tombe sous la dépendance de la République romaine[123],[124],[125].
(approximativement de -190 à -125)
La Civilisation des oppida s'étend à la Gaule transalpine[126]. Elle se caractérise par la réinstallation de places fortes qui, outre leur fonction militaire, sont des centres de commerce sur d'importantes voies de communication[127],[95]. De puissants pouvoirs locaux, politiques et religieux, s'y affirment[note 57]; on y frappe la monnaie dont la circulation et le rôle dans les échanges s'accroissent rapidement, particulièrement entre Lingons, Éduens, Séquanes et Leuques[128]. Un monde nouveau apparaît ainsi sur des sites dont certains ont été occupés de manière plus ou moins continue depuis le Néolithique : éperons barrés de Langres[note 58], de la colline Sainte-Germaine (Segessera)[97],[note 59], du « Camp de Barcena » à Eburobriga (Mont-Avrollot, en limite du territoire sénon)[33],[note 60], du Châtelet de Gourzon et de Boviolles ainsi que de Flavignerot au Mont Afrique[129],[130]; enceintes à murus gallicus du plateau de Vertault (Vertillum)[131],[132], du dun du Mont-Lassois[133],[134],[135] ainsi que des oppida de Châteaubeau à Terrefondrée, du Plain de Suzâne, de Châté à Recey-sur-Ource[136]...
Concernant les rites funéraires, le rituel de l'inhumation perdure en territoire lingon, comme l'attestent les fouilles des cistes de l'enclos funéraire des Tillies au mont Lassois. Cette pratique se différencie de la seule crémation pratiquée alors par les peuples gaulois voisins des Lingons[102]. En outre, les enclos rituels tels que celui de Mirebeau-sur-Bèze (remontant à la Tène moyenne)[137],[note 61]se multiplient, particulièrement dans le Lassois[138]. À l'instar de celui de Mirebeau-sur-Bèze, sur un bon nombre de ces enclos seront édifiés des sanctuaires gallo-romains (fana, voire « temple romain » comme à Mirebeau), auxquels succéderont parfois des édifices chrétiens[139].
L'espace agraire s'étend sensiblement au détriment de la forêt, entraînant la mise en place d'un découpage parcellaire, canevas de celui de l'époque romaine[note 62]; haies et fossés apparaissent, tant sur les terres agricoles qu'en forêt (notamment dans celle de Châtillon-sur-Seine[note 33]). L'activité agricole affectant rapidement et à grande échelle coteaux et plateaux provoque une érosion des sols dont les limons s'accumulent en fond de vallées, conduisant au comblement des zones humides qui laissent place à la prairie[140], Sur les espaces ainsi ouverts de nombreux établissements ruraux s'implantent, aux emplacements desquels succèderont pour certains des villas rurales gallo-romaines[141], comme en témoignent les traces de leurs substructions apparaissant à la photographie aérienne[142].
Les mutations de la Tène finale révèlent une nouvelle organisation de la société gauloise, marquée par l'influence grandissante des druides et l'autorité de l'aristocratie militaire incarnée par les vergobrets. Il apparaît aussi que la royauté, familière aux Gaulois au cours des siècles précédents, a désormais disparu au profit des oligarchies dominantes des diverses cités. Les profondes transformations de la société gauloise et les migrations des Belges ont sérieusement ébranlé un « Monde celtique » dont le centre de gravité se trouve à ce moment-là en Gaule transalpine, laquelle doit compter avec la pression des Germains au nord-est et l'implantation romaine au sud[143].
Partenaires économiques de leurs voisins Éduens et Mandubiens dans la « Zone du Denier »[32],[144], les Lingons de Gaule transalpine contrôlent les échanges commerciaux au carrefour des axes Rhône-Saône-Meuse et Seine-Marne[145], entre le Bassin méditerranéen et le nord de l'Arc Atlantique[146].
Outre leur position commerciale résultant du contrôle de l'aire de ruptures de charges entre les batelleries de la Seine, de la Marne, de la Saône et de la Meuse[51]; les Lingons du territoire originel disposent de gisements de minerai de fer (minières de la Forêt d'Arc-en-Barrois[147], des Lacets de Mélaire...) dont ils maîtrisent parfaitement l'extraction et le processus sidérurgique[148] ainsi que la métallurgie[149]. Le savoir-faire des métallurgistes lingons, remontant au moins au Bronze ancien[note 63], s'est transmis au moins jusqu'à l'Époque moderne : forge de l'abbaye de Fontenay, forges de Buffon, fonderies et forges de Dommartin-le-Franc et de la vallée de la Blaise[note 64], fonderies du Val d'Osne (fontes d'art de Mathurin Moreau, Isidore Bonheur, Hector Guimard...), forges de Marnaval, industrie métallurgique du Châtillonnais (notamment la Compagnie des forges de Châtillon-Commentry et Neuves-Maisons[note 65])[150], coutelleries de Nogent et Langres[151]... Ce savoir-faire se traduit aussi dans les productions d'objets en bronze et de bijoux, comme en témoignent notamment les moules de bronziers trouvés à Langres ainsi que les bronzes d'art (notamment le « Bacchus »[note 66]), la chaudronnerie-dinanderie[152],[153],[note 67] et la bijouterie de Vertillum[note 68].
La Lingonie originelle est par ailleurs réputée pour sa richesse en céréales[note 69] et bois (à l'instar de l'exploitation forestière actuelle du Châtillonnais) ainsi que pour son élevage ovin[154],[155],[note 70]. En plus de leur production métallurgique, les Lingons de Transalpine produisent d'autres produits manufacturés dont la qualité est reconnue[156]: maroquinerie de Dijon[157], étoffes[158] et Bardocucullus de Langres[159](sorte de coule ou de saie à capuche très portée en Gaule et exportée depuis Marseille, Arles et Narbonne dont ils se partagent le marché avec les Santons[154]).
La viniculture sera maîtrisée en Lingonie transalpine au plus tard vers 50[160], comme l'attestent les datations des bourbes du pressoir de la villa gallo-romaine vinicole des Tuillières à Selongey[161]. Le développement vinicole de la Civitas des Lingons est en outre confirmé par les fouilles de celles de Rouvres-en-Plaine[162] et de La-Rente-de-Mars à Brognon[163] ainsi que par la fouille du vignoble gallo-romain de Gevrey-Chambertin[note 71],[note 72],[note 73]. À Andemantunnum, l'activité viti-vinicole sera évoquée au moins sur deux bas-reliefs : l'un représentant un enfant tenant une grappe de raisin, l'autre un chariot transportant un tonneau[164],[165]. Quant au commerce du vin, il sera attesté notamment par le « Monument du Marchand de vin » du Clos-Lieutet à Til-Châtel[166],[note 74].
Les nombreuses monnaies frappées par les Lingons transalpins identifiées dans le nord et l'est de la France ainsi qu'en Suisse témoignent de leur dynamisme économique[167],[168],[169],[170],[171],[172],[note 75].
La soumission de la Gaule cisalpine au pouvoir de Rome en -191, suivie de l'implantation romaine en Gaule-transalpine à partir de -125, marque le début du recul géostratégique du « Monde celtique » qui va subir la pression conjuguée des Germains, Romains et Daces...
À partir de -121 la limite nord de la Gaule narbonnaise, dépendant de Rome, correspond à la rive gauche du Rhône comprise entre le Lac Léman et le confluent avec la Saône. Avec cette proximité géographique les Lingons transalpins et les Éduens, intermédiaires traditionnels des Romains dans les échanges commerciaux avec l'Europe septentrionale et l'Arc atlantique, voient leur position commerciale renforcée, le Couloir Saône-Rhône constituant alors une « zone de libre-échange » dite du Denier à l'est de la Gaule chevelue[173],[174],[175].
La « Zone du Denier », de laquelle relèvent les Lingons[176], prend une importance géostratégique avec la guerre des Cimbres voyant ces derniers et leurs alliés la traverser vers -110 avant de s'imposer en Gaule chevelue et Narbonnaise[177]. Cette importante violation de la souveraineté territoriale de Rome prend place dans une crise politique affectant la République romaine. Pour repousser les « barbares », Caius Marius modifie les règles du recrutement militaire, ses victoires contre Jugurtha et la qualité de son commandement lui conférant un grand prestige et un important pouvoir politique. Cela subordonne à la réussite militaire l'ascension politique à Rome. Dès lors, une compétition pour l'accès aux postes clés de l'armée romaine s'engage entre les plus grands aristocrates tel que Jules César, lequel sera confronté à la pression des Germains sur le nord-est de la Gaule transalpine et ses conséquences[178].
Durant leur périple à travers la future Germanie et en Norique, les Cimbres et leurs alliés ont bousculé les populations des territoires traversés, dont celles d'une bonne partie des « peuples celtiques » d'Europe centrale et de l'important « groupe germanique » des Suèves, ce dernier occupant alors un vaste territoire au nord-est de l'actuelle Allemagne[177]. Au début du Ier siècle av. J.-C. une grande partie des Suèves se met en mouvement vers le sud-ouest et se heurte aux « peuples celtiques » des marges méridionales et occidentales de l'Espace germanique dont certains, en dépit de leur résistance, doivent migrer vers des territoires moins exposés[179]:
Poursuivant leur avancée dans les Champs Décumates, les Suèves s'adjoignent les Vangions avec lesquels ils atteignent le Rhin vers -65. Au nord, ils sont confrontés pour un temps à la résistance des Ubiens qui parviendront à se maintenir sur la rive-droite du Rhin jusqu'en -39 ainsi qu'à celle des Usipètes et Tenctères qui devront trouver refuge sur le territoire des Ménapiens en -55[179].
Solidement établis sur la moyenne vallée du Rhin[181], Suèves et Vangions sont au contact des Séquanes alors que ces derniers et leurs alliés Arvernes sont en guerre contre les Éduens auxquels ils disputent ainsi qu'à leurs alliés Lingons le contrôle des péages de la Saône[182],[note 77]. Les Séquanes pactisent avec le chef suève Arioviste, duquel ils obtiennent une assistance militaire contre les Éduens, pendant que Rome doit mater la révolte des Allobroges en Narbonnaise. Comme tribut de ce soutien, les Germains colonisent une grande partie du territoire des Séquanes, lesquels renversent leur alliance en se coalisant avec les Éduens pour les repousser... Après l'échec de la coalition gauloise (Bataille de Magetobriga ?) entérinant la colonisation germanique du territoire séquane, Éduens et Séquanes sollicitent l'intervention de Rome. En tant que proconsul de la Narbonnaise, Jules César est mandaté par le Sénat romain pour contrer la menace germanique, Suèves et Vangions ayant été rejoints par les Harudes (en), Triboques, Marcomans, Némètes et Sédusiens[183]. Refusant la proposition de partition de la Gaule entre Romains et Germains faite par Arioviste, César défait les troupes germaniques fin -58 lors de la bataille de l'Ochsenfeld. Excepté les Triboques ayant pris les deux tiers nord de la plaine d'Alsace au Médiomatriques[181], les Germains rescapés dont Arioviste se replient outre-Rhin[184],[185],[186].
Dans le même temps la Rhétie-Vindélicie où sont établis les Rhètes, les Vendéliques et depuis peu les Helvètes voit s'y réfugier les Latobices, les Rauraques et les Tulinges déplacés du sud-ouest des Champs décumates par les Suèves ainsi que les Boïens expulsés de Pannonie supérieure par Burebista puis de Norique par les Taurisques… La pénurie alimentaire résultant de cette concentration de populations est très vraisemblablement la cause de la tentative de migration des Helvètes, Tulinges, Rauraques, Boïens et Latobices vers l'ouest de la Gaule-transalpine cette même année -58[187]. Pour éviter que cette migration permette l'installation des Germains au nord de la Narbonnaise[188], les troupes de César interviennent avec l'appui des Lingons et Éduens afin de contenir les populations déplacées sur le territoire des Ambarres[179]. En dépit de cette intervention, les migrants pénètrent en territoire éduen où ils sont mis en déroute devant Bibracte, les rescapés se réfugiant en territoire lingon[189],[note 78]. Excepté les Boïens établis aux confins des territoires éduen, arverne et biturige (actuel Bourbonnais), ces rescapés sont expulsés au-delà du massif du Jura sur le Plateau suisse où ils formeront l'Helvétie[184],[185],[186].
Le double succès diplomatico-militaire de César conforte son ambition politique ainsi que son alliance avec les Lingons, Éduens et Séquanes. Disposant d'une vaste zone sécurisée s'interposant entre les Germains et la Narbonnaise, il en fait une tête de pont pour lancer ses légions à l'assaut du reste des Gaules.
(-58 à 235)
Intermédiaires commerciaux de longue date de Rome puis alliés de Jules César depuis ses interventions contre les Suèves[note 80] et les Helvètes[190], les Lingons le demeurent lors de la Guerre des Gaules[note 81]. Au cours de celle-ci, le territoire lingon héberge épisodiquement l'état-major de campagne de César et sert de base logistique à ses légions, particulièrement l'hiver -52/-51[note 82] avant que la cavalerie lingonne l'aide à réprimer le soulèvement des Bellovaques[note 83],[191].
En contrepartie de leur alliance avec Rome et forts d'une certaine puissance militaire[note 84] les Lingons obtiennent, comme compensation de la perte de leur indépendance politique résultant de la victoire romaine en Gaule, le statut de peuple fédéré[192].
Le fœdus associant les Lingons à l'Empire romain est notamment symbolisé par l'édification dès les années -20 de la « Porte augustéenne » de Langres, un des plus anciens arcs romains de Gaule chevelue[155]; de même que l'architecture, la décoration et l'épigraphie du grand mausolée de Faverolles témoignent pour l'époque augustéenne de la richesse de certains aristocrates lingons et de leur capacité à adopter le vocabulaire formel romain[193].
Consécutivement à la recomposition des provinces décidée par Auguste, Marcus Vipsanius Agrippa modifie les répartitions territoriales et les finages des civitates du quart nord-est de la Gaule transalpine. Celle des Lingons est intégrée vers -15 à la Gaule belgique (après avoir été brièvement rattachée à la Gaule lyonnaise[194]) ainsi qu'augmentée du territoire des Mandubiens[195] et amputée d'une petite partie de son quart nord-ouest (correspondant approximativement aux moitiés est de l'ancien arrondissement d'Arcis-sur-Aube et du territoire du Grand Troyes), cette portion de la Pertica des Lingons et celle soustraite de celle des Sénons formant désormais la Civitas des Tricasses[196].
L'allégeance des Lingons au pouvoir central de Rome[197] s'affirme lors de la Révolte de Sacrovir en 21 sous Tibère et de la rébellion de Vindex contre Néron en 68[198], les Lingons prenant part avec les Trévires et Rèmes à la Bataille de Vesontio aux côtés des légions de Lucius Verginius Rufus[199].
La Guerre civile met un terme au légitimisme des Lingons qui ne reconnaissent pas le pouvoir de Galba après le suicide de Néron. Cette prise de position entraîne la rupture du fœdus par Galba, la Civitas devenant alors une colonie romaine[200]. Après l'assassinat de ce dernier, Othon octroie la citoyenneté romaine aux Lingons pour s'assurer de leur soutien politique[201], lesquels prennent le parti de Vitellius en dépit de cette faveur[202]. Les Lingons laissent alors la Ve légion, emmenée par Fabius Valens depuis la Germanie inférieure pour tenter de porter Vitellius au pouvoir à Rome[203], traverser librement leur territoire et s'adjoindre les huit cohortes Bataves y étant stationnées[204],[note 85].
La désorganisation politique à la tête de l'Empire conduit les Lingons menés par Julius Sabinus à se joindre au Soulèvement des Bataves fomenté par Caius Julius Civilis en 69[205]. La coalition formée par Civilis et Sabinus ainsi que les trévires Julius Tutor et Julius Classicus remporte plusieurs victoires avant que cette révolte soit réprimée par Petilius Cerialis[206]. Sabinus, qui se dit descendre de Jules César en personne, s’autoproclame « César » quand sa tentative de créer un Imperium Galliarum tourne court[207].
Après la défaite des Lingons de Sabinus devant les Séquanes et les légions d'Appius Annius Gallus (Legio I Germanica, Legio VIII Augusta[note 86] et Legio XI Claudia)[208], Vespasien retire la citoyenneté romaine aux Lingons dont la Civitas passe du statut de Colonie romaine à celui de Colonie latine[209]. Ces derniers doivent en outre livrer 70 000 guerriers à Frontin[210] qui les place sous la surveillance directe de la VIIIe-légion Augusta[211]cantonnée à Mirebellum (qu'elle quittera pour Argentoratum vers 90)[212],[213],[214].
(70 à 235)
La Révolte de 69-70 a pour conséquences militaires une réorganisation et un redéploiement des troupes auxiliaires de l'Armée romaine en Gaule, Germanie et Bretagne[215]. Cinq cohortes d'élite (ailes milliaires) sont levées chez les Lingons[note 87] qui contribuent ainsi à l'expansion puis à la défense de l'Empire romain[216]: quatre cohortes de cavalerie lingonnes participent aux opérations militaires dans l'Île de Bretagne[217] où elles se fixent[note 88]; la « Cinquième cohorte de Lingons » trouvant avec Trajan sa garnison définitive en Dacie[218], après avoir servi aussi dans l'île de Bretagne[219],[note 89]. Il est à noter que l'engagement militaire des Lingons au service de l'Empire semble s'être prolongé jusqu'au règne de Constance II, d'après les Annales de Jean Zonaras relatant leur fait d'armes dans la défense d'Amida (assiégée par les Perses sassanides de Shapur II en 359)[220].
Dans le cadre de la réorganisation de la Germanie romaine par Domitien vers 90, la Civitas lingonenses est détachée de la Gaule belgique et intégrée à la Germanie supérieure. Concomitamment, l'étendue de sa pertica est diminuée :
Entre la fin de leur rebellion en 70 et la fin de la dynastie des Sévères en 235, les Lingons bénéficient de la « Paix romaine », malgré la recrudescence de la pression germanique sur le Limes à partir de 167 et la « Deuxième année des quatre empereurs » en 193.
La Pax-romana confirme la position de carrefour routier majeur occupée par la Civitas-lingonum à l'intersection des axes Lyon-Trèves[223],[note 90] et Rome-Boulogne du réseau Agripa[224], comme l'indiquent la Table de Peutinger et l'Itinéraire d'Antonin[225]. Les importants vestiges du relais routier d'Andilly-en-Bassigny, entre les voies Langres-Metz et Auxerre-Strasbourg[note 91], et les nombreux restes de voies tels que ceux de Faverolles (« voie de la Blaise » sur l'axe Langres-Reims)[226] ainsi qu'un bon nombre de bornes milliaires[227],[228] et leugaires[note 92] témoignent de cette importance routière[229],[230].
Outre les restes de voies ainsi que de nombreux artéfacts[note 93] et une abondante épigraphie[231],[232], de très nombreux vestiges architecturaux témoignent du développement urbain de la civitas[233],[note 94],[note 95], particulièrement les suivants :
Avec ses deux nécropoles[274] et le culte voué à Videtillus[275], Dijon était un site religieux lingon notable, tout comme Bourbonne-les-Bains. Cette station thermale a livré une importante épigraphie votive[231] dédiée à Borvo et sa parèdre Damona[276], La diversité d'origines des dédicants, attestée tant par l'épigraphie que par l'importance du trésor monétaire votif et la variété de ses monnaies[277], fait de ce site un haut-lieu du thermalisme religieux gallo-romain. Outre Bourbonne-les-Bains, le culte de Damona est identifié en territoire lingon à Balesmes-sur-Marne et Châtillon-sur-Seine[278]. En marge de ce territoire, Grand était un important sanctuaire consacré à Grannos.
Outre ces lieux de culte, les vestiges des fana (dont la plupart ont été édifiés à l'emplacement d'anciens nemetons) du Tremblois à Villiers-le-Duc[245], de Dampierre[note 134], de Dampierre-et-Flée / Fontenelle, de Lux, de La-Cave à Essarois[246],[note 111], du Champ-de-la-Tuile à Agey, de Vertault, de Gourzon et de Mirebeau-sur-Bèze[279] ainsi que les artéfacts des sanctuaires de source[3] tels que ceux de la Seine[note 135](notamment les bois sculptés)[280],[note 136], de la Marne à Balesmes-sur-Marne[281], du Corgebin à Semoutiers-Montsaon[note 137], de la Coquille à Étalante[note 138] et de la Douix (dont les dépôts votifs[note 139] sont attestés depuis le Hallstatt moyen[282]) témoignent de la spiritualité lingonne[283].
La statuette découverte sur la Côte d'Alun, dite « Dieu d'Euffigneix »[note 140], est très vraisemblablement une effigie de Lug[284]. Son interpretatio romana, Mercure, est identifié localement sous le théonyme de Moccus (en). « Lug-Moccus » est notamment reconnu par des sculptures à Langres[285] et au sanctuaire de Dampierre[note 141] ainsi que par des dédicaces à celui de Lux. La toponymie le mentionne par ailleurs au « Mont-Mercure » de Barjon et à celui d'Andilly-en-Bassigny (« Mont-Moque » ou « Mont-Mercœur »)[286]. Outre la parèdre de ce dernier, Rosmerta, d'autres divinités étaient vénérées par les Lingons : la grande déesse gauloise Epona[287], Belisama, Sukellos[288] et sa parèdre Nantosuelta (dont une stèle à son effigie a été notamment mise au jour dans les vestiges de la villa urbana de La-Goulotte à Liffol-le-Grand[note 142])[289], Vindonnus (à Essarois[290],[291]), Rigani ainsi que ses époux Taranis[292] et Ésus-Cernunnos (les vestiges du sanctuaire de Mirebellum[note 143] révélant le culte lingon de ce dernier[293])...
À l'instar d'Atesmerta au sanctuaire du Corgebin[note 137], de Sirona à Mâlain[294] et de Ianuaria au fanum du Tremblois[295], les divinités topiques des Lingons les plus représentatives sont les nymphes hydronymiques[note 144]Sequana[note 145] et Matteronna (respectivement tutélaires de la Seine[296],[297] et de la Marne) ainsi que Divona[298](tutélaire de la Douix et vraisemblablement de la Fosse Dionne à Tonnerre[3]).
La vitalité du panthéon gaulois en Lingonie transalpine laisse peu de place au syncrétisme gallo-romain durant la Pax Romana, comme l'attestent les très nombreux ex-voto de cette période inventoriés sur son territoire ainsi que l'onomastique et la toponymie locales[299]. Cette vitalité demeure au Bas-Empire malgré l'influence des cultes orientaux, notamment de Mithra et d'Isis ainsi que dans une moindre mesure d'Harpocrate et de Sol Invictus[300], le Christianisme tardant à supplanter les cultes indigènes des Lingons[301] dans les zones rurales en dépit de l'Édit de Thessalonique en 380[302].
Les rites funéraires des Lingons gallo-romains[303],[304] sont rapportés par l'abondante épigraphie des stèles et cippes des nécropoles de Langres[note 146],[note 147], Dijon[305], Bourbonne-les-Bains[244] et Nod-sur-Seine[231]. Celle de cette dernière a livré en particulier le « Testament du Lingon »[note 148] énonçant les ultimes volontés d'un riche testamentaire concernant notamment les objets devant être incinérés avec lui[306], l'architecture de son monument funéraire et les repas rituels devant y être célébrés. Outre les monuments funéraires de la nécropole de Nod-sur-Seine, dont celui du « Lingon »[307],[242], et les pyramidions de celles de Dijon[237], l'architecture funéraire de la civitas est particulièrement bien représentée par les vestiges du mausolée de Faverolles[308] et par le « Monument du Marchand de vin » du Clos-Lieutet à Til-Châtel[166],[note 74].
(235 à 587)
(235 à 406)
Profitant de l'affaiblissement du Limes de Germanie consécutivement à l'anarchie militaire dans l'Empire romain depuis la fin des Sévères en 235, les Alamans se relèvent de leur défaite devant Caracalla en 213 en le franchissant en 258 puis en se lançant dans des raids dévastateurs en Gaule, Italie et Hispanie. Selon Jacques Vignier[309] et d'après les Analecta Bollandiana, les Alamans de Chrocus Ier auraient mis à sac Langres cette même année 258[310]. Au terme d'un répit lors de l'Empire des Gaules et sous Aurélien qui fait notamment ériger le Castrum Divaniense de Divio (Dijon), la Civitas lingonensis subit d'autres incursions alamaniques après l'assassinat de ce dernier en 275, et ce jusqu'à la fin du IIIe siècle[note 149].
D'après Adrien Valois dans sa Notitia galliarum[note 2], la Lingonie transalpine est partitionnée lors de la division de l'Empire romain par Dioclétien en 293. Trois des provinces consulaires relevant du Diocèse des Gaules[note 150], dont l'administration prétorienne est à Trèves, se partagent ce territoire : le tiers nord entre les provinces de Belgique première et seconde, les deux tiers sud revenant à la Première-lyonnaise. La disparition concomitante de l'ordo municipal aboutit à une mise sous tutelle totale du territoire de la Civitas lingonensis, le Solum lingonum, dont l'un des principaux fonctionnaires, l’évêque, survivra à l'effondrement de l’Empire[311].
Au terme de sa campagne contre les Francs de 293-295, Constance Chlore installe des lètes hattuaires sur une partie du territoire lingon dépeuplée par les ravages alamaniques et une épidémie de peste[312],[313],[314]. Établie sur la marge orientale du Plateau de Langres et ses vallées ainsi que dans la plaine de la Vingeanne et la partie lingonne de celle de la Saône, la colonie de peuplement hattuaire est à l'origine du Pagus Attoariensis, l'Attouar, qui deviendra l'Atuyer de la Bourgogne carolingienne[185]. En 298, Constance Chlore défait les Alamans devant Langres[315]; l'issue de cette bataille les conduisant à se replier an nord du Plateau suisse, où à la faveur d'une trêve d'un demi-siècle se constituera le noyau du futur Royaume alaman.
En 352, Alamans et Francs coalisés ravagent l'ancienne Lingonie transalpine lors d'un raid les conduisant jusqu'en Val de Loire. En 356, les Alamans la traversent de nouveau avant d'assiéger Autun puis Sens dans laquelle le César des Gaules Julien s'est retranché. Après les avoir tenu en échec avec sa garnison dans Sens, ce dernier se met en campagne pour les repousser à partir du plateau de Langres et fait réaliser la voie Julienne[note 151] destinée à acheminer ses troupes depuis Langres vers le sud du massif des Vosges[316]. Pendant que la Lingonie transalpine subit la pression des Alamans, une unité militaire lingonne se distingue aux confins orientaux de l'Empire dans la défense d'Amida assiégée par les Perses sassanides de Shapur II en 359[317],[220]. En dépit du dispositif défensif mis en place par Julien et de sa victoire contre les Alamans à la bataille d'Argentoratum en 357, les incursions germaniques se poursuivent épisodiquement durant la seconde moitié du IVe siècle[318],[316].
Selon la Notitia Dignitatum, la majeure partie de la portion du territoire de la Lingonie transalpine qui avait été intégré à la Première-lyonnaise sous la Tétrarchie est rattachée à la Maxima Sequanorum, après la réforme territoriale de Théodose Ier vers 380[319].
(406 à 486)
Lors du déclenchement des grandes migrations européennes en 406, l'ancienne Lingonie transalpine est traversée par des groupes de Suèves, Quades et Marcomans[316]. Entre 407 et 411 elle est en partie ravagée par les Vandales[320], qui s'en prennent notamment au clergé de Langres en 411, dont l'évêque Dizier (Desiderius)[note 152] et l'archidiacre Valère, et de nouveau assaillie par les Alamans[302]. En contrepartie d'un second fœdus leur ayant été accordé par Aetius (en 438 ou 443), les Burgondes ont notamment pour mission de contenir la pression de ces derniers[321]. Selon Jacques Vignier[309], Langres aurait été en partie détruite par l'armée coalisée hunno-germanique lors de l'expédition conduite par Attila en 451 (laquelle aurait contraint Loup, évêque de Troyes, à se réfugier sur le Mont Lassois). C'est vraisemblablement à la suite de cet évènement que les Lingons se seraient placés sous la tutelle des Burgondes en 457[322].
Pour contrer la rébellion d'Ægidius dans les Gaules en 461, le patrice Ricimer accorde des concessions territoriales au roi burgonde Gondioc avec lequel il a passé une alliance familiale[323]. Eu égard à sa fidélité, Gondioc est fait Magister militum des forces romaines en Gaules par l'empereur romain d'Occident Libius Severus et voit ses possessions territoriales étendues. À la mort de Gondioc (vers 463 ou 473[note 153]), son frère cadet Chilpéric Ier lui succède comme seul roi des Burgondes. De fait, la majeure partie sud de l'ancienne Lingonie transalpine est incluse dans le Royaume burgonde jusqu'au nord de Langres[324],[325], la partie septentrionale étant dans l'éphémère Domaine gallo-romain depuis la sécession d'Ægidius en 461. Comme l'avait fait son frère aîné Gondioc et comme le fera son neveu Gondebaud avec la Loi gombette, Chilpéric Ier s'emploie à renforcer la cohésion entre Burgondes et Gallo-romains. À sa mort vers 476, son fils cadet Godégisile hérite de la moitié nord du Royaume burgonde, dont la Lingonie burgonde. De confession arienne, il prend pour épouse une catholique en gage d'allégeance des Gallo-romains. Dès son début de règne, Godégisile doit contenir les Alamans qui menacent le Royaume burgonde et investissent la Lingonie. Comme en 258[310], Langres est prise par ces derniers en 484, l'évêque Apruncule devant se réfugier à Dijon[note 154],[326]. Cette pression des Alamans perdurera jusqu'à leur défaite devant Clovis Ier à Tolbiac (en 496 ou 506).
La partie septentrionale de l'ancienne Lingonie transalpine, relevant du Domaine gallo-romain avant d'être occupée par les Alamans, entre dans le Domaine franc lors de la conquête du Domaine gallo-romain par le roi des Francs saliens Clovis Ier entre 481 et 486[327]. Vers 485-486, un raid des Francs Ripuaires atteint Langres[328]. En 486, la chute du royaume de Syagrius devant les Francs saliens au terme de la bataille de Soissons marque la fin de la Gaule romaine. En revanche, elle ne signifie pas la fin de la « Cité gallo-romaine ». Le centre de pouvoir local gallo-romain qu'est le diocèse, héritier du pouvoir patricien de la Civitas, conserve en effet son autonomie politique et administrative longtemps après cet évènement, en particulier pour celui de Langres[329].
(486 à 587)
Godégisile, duquel dépend la Lingonie burgonde, s'allie en 499 avec Clovis Ier pour s'emparer du territoire de son frère Gondebaud. En 500 ou 501, ce dernier est défait par Clovis Ier et Godégisile à la bataille de Dijon[note 155]. Contraint d'abandonner son royaume et de s'exiler en Avignon[330], Gondebaud parvient à le reconquérir avec l'appui des Wisigoths. En 501, il prend Vienne dans laquelle son frère s'est retranché et le fait exécuter[331].
Devenu souverain du Royaume burgonde, Gondebaud est à l'origine de la Loi gombette. Cette loi, associant Droit romain et Droit germanique, sera complétée par ses successeurs Sigismond et Godomar III[332]. Outre le fait qu'elle préfigure le Droit romano-germanique, en entérinant la politique de renforcement des liens entre Burgondes et Gallo-romains conduite par leurs prédécesseurs, elle prépare la fusion des deux communautés, creuset de la future Bourgogne[327]. Aux Gallo-romains, dont ceux de la Lingonie franque, Clovis Ier fait appliquer le Bréviaire d'Alaric[333].
Vers 506-507 l'évêque Grégoire de Langres, futur arrière-grand-père de Grégoire de Tours, fonde l'Abbaye Saint-Bénigne de Dijon. Il participera au concile d'Épaone en 517 et à celui de Clermont en 535. En 538, il se fera représenter au IIIe concile d'Orléans,
Les Alamans s'étant définitivement sédentarisés en Alémanie à la suite de leur défaite devant Clovis Ier à Tolbiac (en 496 ou 506), ce dernier s'empare de la majeure partie des territoires du royaume Wisigoth en Gaule à l'issue de la bataille de Vouillé en 507. À la mort de Clovis Ier en 511, ses fils Thierry Ier, Clodomir, Childebert Ier et Clotaire Ier se partagent un Regnum francorum couvrant désormais la majeure partie de la Gaule. Thierry Ier hérite d'un domaine comprenant un grand quart sud-ouest de cette dernière et un territoire correspondant approximativement à la future Austrasie dans lequel est notamment incluse la Lingonie franque. En 523, Clodomir, Childebert Ier et Clotaire Ier s'attaquent au royaume burgonde de Sigismond, Thierry Ier renonçant à combattre son beau-père[note 156]. Lorsque Thierry Ier meurt en 534, son fils Thibert Ier hérite du royaume de Reims qui devient celui de Metz. Cette même année 534, ce dernier s'engage dans la guerre de Burgondie aux côtés de Clotaire Ier et Childebert Ier avec lesquels il défait Godomar III.
À l'issue de la guerre de Burgondie, les trois vainqueurs se répartissent le territoire du royaume burgonde, Thibert Ier adjoignant son tiers nord au royaume de Metz (future Austrasie). L'ancien territoire de la Civitas des Lingons recouvre alors pour une ultime fois son unité territoriale, jusqu'au partage en 561 du Regnum francorum réunifié par Clotaire Ier en 558. Dans le cadre de ce partage, les territoires du royaume d'Orléans et de l'ancien royaume burgonde sont attribués à Gontran, celui de l'ancien royaume de Metz étant attribué à Sigebert Ier. La limite définie entre ces deux derniers étant approximativement la même qu'avant la guerre de Burgondie, la majeure partie sud de l'ancien territoire des Lingons se voit réintégrée dans la Burgondie[334],[325].
En 587 le fils de Sigebert Ier, Childebert II, et sa mère Brunehilde rencontrent Gontran pour tenter d'établir une paix durable entre leurs royaumes respectifs. Cette rencontre a lieu à Andelot en Bolènois, au nord de l'ancien territoire lingon, entre l'Austrasie et la Burgondie. Au terme des négociations, le traité d'Andelot fixe notamment les possessions territoriales des parties, la limite entre Burgondie et Austrasie telle qu'avant le traité étant entérinée[335]. Cette limite territoriale correspond à la limite septentrionale du diocèse de Langres qui demeurera inchangée jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. De la fin de la Gaule romaine au traité d'Andelot, les évêques de Langres ont pris sporadiquement résidence en l'Abbaye Saint-Étienne de Dijon, au gré des évènements ayant affecté leur épiscopat.
(587 à 1245)
(587 à 752)
À partir de l'Édit de Thessalonique en 380, les évêques reprennent progressivement à l'échelon du diocèse les pouvoirs administratifs, financiers et politiques des magistrats laïcs[336]. Durant la formation de la Gaule mérovingienne, une aristocratie ecclésiastique locale issue très majoritairement de la Nobilitas gallo-romaine se constitue[337]. Particulièrement à Langres, cette aristocratie s'instaure en oligarchie municipale prenant le relais de l'ancien Municipe, à l'instar de l'épiscopat de Grégoire de Langres à partir de 506, lequel serait à l'origine de l'abbaye Saint-Bénigne de Dijon. En outre, la théocratie lingonne accueille très favorablement le Christianisme celtique apporté par Colomban de Luxeuil à partir de 585, renouant en cela avec certaines des pratiques religieuses locales antérieures à la romanisation... Dans le prolongement de l'essor des écoles chrétiennes sous Gondebaud[338], la prééminence intellectuelle et l'influence politique de la Nobilitas sont confortées par Brunehilde lors de sa seconde régence entre 596 et 613[339], date à laquelle elle est exécutée sur l'ancien territoire lingon à Renève[note 157], la Burgondie étant concomitamment annexée à la Neustrie par Clotaire II.
Après un plein exercice du pouvoir par Dagobert Ier, ses successeurs ne sont plus que des « rois fainéants », les maires du Palais se disputant le pouvoir palatin. Les prélats vont alors asseoir l'autorité de l'Église et reprendre à leur compte le pouvoir politique laissé vacant. Profitant de l'affaiblissement des Francs, les Sarrasins remontent la vallée du Rhône puis celle de la Saône. En 725 ou 731, ils pillent notamment Langres. Devant la passivité de la noblesse de Burgondie face aux razzias sarrasines, Charles Martel la destitue au profit de celle de Neustrie. Les évêchés ne sont pas épargnés, celui de Langres étant alors placé par ce dernier sous la coupe d'un de ses fils, Rémi, demi-frère du futur premier roi de la dynastie des Carolingiens, Pépin le Bref[340]. Bénéficiant notamment de l'usufruit de l'abbaye de Bèze. Rémi dispose de ses revenus pour mener une vie dissolue, provoquant ainsi le départ de la plupart des moines de celle-ci pour le monastère de Luxeuil. En 752, il transmet les revenus de l'abbaye de Bèze à sa maîtresse, une femme mariée dénommée Angla[341]...
(752 à 938)
La perte provisoire de son autonomie politique n'enraye pas le développement culturel et économique du diocèse de Langres[342], placé sous le saint-patronage de Mammès de Césarée. Revitalisée par l'Admonitio generalis, la « Romanité » se régénère dans les communautés ecclésiastiques[338], qu'elles soient épiscopale à Saint-Mammès de Langres ou monachistes comme à l'École monastique de Bèze ainsi qu'à celles de Saint-Jean-de-Réome et de Saint-Seine. De 774 à 780, cette dernière accueille l'un des principaux acteurs de la Renaissance carolingienne : Benoît d'Aniane. La règle de saint Benoît est instituée par l'évêque de Langres, Albéric, à l'abbaye Saint-Pierre de Bèze en 826.
Lors d'un concile provincial à Langres en 830 Louis le Pieux confirme à ce dernier, en présence du futur Lothaire Ier, les libéralités accordées à son prédécesseur Belto. Les possessions territoriales et bénéfices ecclésiastiques de l'Évêché de Langres sont dûment inventoriés par polyptyque et pouillé. Entre 857 et 874 ces prérogatives sont étendues, les évêques adjoignant notamment à leur ministère la charge de Missi dominici. En 863, Girart de Roussillon fonde l'abbaye bénédictine de Pothières[note 158]. Par une charte de 871, l'évêque de Langres Isaac redynamise celle de Saint-Bénigne à Dijon en la plaçant sous la direction du chorévêque Bertilon et en y faisant restaurer la basilique. En 874, Charles II le Chauve accorde aux clercs de Saint-Mammès de Langres le droit d'émettre leur propre monnaie. Avec le capitulaire de Quierzy en 877, l'autonomie politique et la puissance économique du diocèse de Langres se renforcent, certains de ses évêques cumulant leur fonction ecclésiastique avec le titre héréditaire de comte. En 879, lors de sa tentative de restauration du royaume de Burgondie, Boson de Provence nomme un abbé de confiance, Gilon de Tournus, comme évêque de Langres, cette charge épiscopale étant confirmée par Carloman II en 880. En 887, Charles III le Gros rétablit officiellement l'épiscopat de Langres dans son autorité politique.
La production écrite des évêques langrois au IXe siècle nous renseigne sur leur pouvoir. Ils interviennent majoritairement entre Langres et Dijon, qui semble constituer le cœur de leur pouvoir. Fin IXe siècle, les évêques ont acquis l'essentiel de leur pouvoir politique en plus de leur autorité spirituelle, notamment par des diplômes royaux confirmant leurs droits dans la région. Il s'agit par exemple des droits comtaux. De fait, ils ne font plus appel aux rois au cours du Xe siècle, signe de leur autonomie. Cette autonomie s'est accompagnée de la mise en place d'une chancellerie en charge de la production écrite des prélats : les actes épiscopaux mentionnent toujours un rédacteur, possède une forme particulière (dans l'ordonnancement de l'écriture et dans le contenu), ainsi que des souscriptions autographes des personnes impliquées dans l'acte[343].
En dépit des raids dévastateurs des Normands de 888 à 894, l'évêché de Langres accroît sa prospérité par des acquisitions domaniales successives, son territoire comptant six archidiaconés en 903. En 924, l'évêque de Langres Gosselin II de Bassigny participe à une expédition punitive qui défait le chef normand Ragenold de Nantes. À partir de 927, les évêques de Langres nomment les gouverneurs militaires de la place.
Hugues le Noir retranché dans Langres doit capituler devant le roi de Francie occidentale Louis IV de France et Hugues le Grand en 936. Le Traité de Langres en 938 entérine le partage du duché de Bourgogne entre Hugues le Grand, Gilbert de Chalon et Hugues le Noir qui conservent tous trois le titre de Duc de Bourgogne, ce dernier devant prêter serment de fidélité à Louis IV de France[344].
(938 à 1035)
Succédant à la Renaissance carolingienne, la Renaissance ottonienne insuffle un renouveau culturel dont les réseaux intellectuels monachistes puis épiscopaux sont les vecteurs. L'évêque de Langres Brunon de Roucy établit en 989 l'ordre de Cluny à l'Abbaye Saint-Bénigne de Dijon, laquelle se donne pour abbé Guillaume de Volpiano. Vers l'An mil, Brunon de Roucy fonde la collégiale Saint-Vorles de Châtillon-sur-Seine, dont l'école canoniale formera Bernard de Clairvaux. Lui-même ancien élève de Gerbert d'Aurillac, Brunon de Roucy institue en outre l'École cathédrale de Langres, qui forme notamment deux futurs archevêques de Lyon : Halinard qui sera auparavant abbé de Saint-Bénigne de Dijon[345] et de Saint-Pierre de Bèze[346], et Odolric qui sera auparavant Archidiacre de Saint-Mammès de Langres. En 1020, l'évêque de Langres Lambert de Bassigny consacre l'Église Saint-Michel de Dijon. De 997 à 1035, les abbayes de Saint-Léger-de-Champeaux, Saint-Jean-de-Réome, Saint-Bénigne de Dijon et Bèze accueillent successivement l'un des principaux chroniqueurs de l'An mil : Raoul Glaber[347].
(1035 à 1245)
L'influence politique grandissante malgré la Réforme grégorienne, le développement économique et le rayonnement culturel de l'évêché de Langres à la faveur des renaissances médiévales successives, parallèlement à celle de la Féodalité, font de Langres une puissante Cité du Moyen Âge classique, héritière de la Civitas des Lingons[336].
Bénéficiant pleinement de la Renaissance du XIIe siècle, le diocèse de Langres devient un duché pairie, ses évêques étant à la fois ducs et pairs de la Couronne de France[note 159]: en 1179, Hugues III de Bourgogne octroie le titre de Comte de Langres à son oncle l'évêque Gauthier, Louis VII de France y ajoutant la pairie et Philippe-Auguste accordant en 1200 le titre de duc aux évêques en confirmant cette dernière.
Outre son important essor épiscopal, le diocèse contribue très largement à celui du monachisme cistercien. Terre natale de Bernard de Clairvaux, qui y reçoit sa formation à l'école canoniale de la collégiale Saint-Vorles à Châtillon-sur-Seine, il est le foyer de l'Ordre cistercien avec l'Abbaye Notre-Dame de Molesme ainsi que celle de Citeaux fondées par Robert de Molesme respectivement en 1075 et 1098. Il voit aussi s'y ériger la plupart des premières « filles » de cette dernière avec notamment les abbayes de Pontigny, Clairvaux, Morimond, Fontenay, Tart et La-Bussière. Très vite, la majeure partie de ces dernières établit son ordre dans d'autres abbayes ou fonde ses propres établissements dans le Diocèse de Langres : Belmont, La-Crête, Auberive, Beaulieu, Boulancourt, Longuay[note 160], Lieu-Dieu, Quincy, La-Charité-les-Lézinnes, Theuley[348]... À partir de 1110, une communauté de moniales cisterciennes succède aux bénédictines en l'abbaye Saint-Pierre de Poulangy.
Les Prémontrés fondent en 1125 l'Abbaye Saint-Nicolas de Septfontaines. En 1136 le neveu de Bernard de Clairvaux, Robert de Châtillon, fonde l'Abbaye de Noirlac[349],[350]. Sous l'impulsion de Bernard de Clairvaux est fondée la même année l'abbaye Notre-Dame de Châtillon, pour y accueillir une communauté de chanoines réguliers de Saint-Augustin. L'ordre cistercien est en outre établi en 1147 à l'Abbaye Saint-Pierre de Poulangy lors de l'abbatiat d'Adeline, nièce de Bernard de Clairvaux, avec le soutien de l'Évêque de Langres et ancien prieur de l'abbaye de Clairvaux : Geoffroy de La Roche-Vanneau[351]. Concomitamment, ce dernier donne l'abbaye de Vaux-la-Douce aux moines cisterciens de l'abbaye de Clairefontaine et fait entreprendre la reconstruction de la cathédrale Saint-Mammès de Langres, laquelle reçoit en 1209 une relique de Mammès de Césarée. Par ailleurs, la toute première abbaye de l'ordre des Écoliers du Christ est fondée en 1212 à Verbiesles; Guillaume de Joinville, évêque de Langres, approuvant en 1215 cet ordre dont la règle sera ratifiée par le pape Grégoire X en 1219.
Le diocèse de Langres est aussi l'un des bastions de l'ordre du Temple[352],[353],[354],[note 161], dont la création est particulièrement soutenue par Bernard de Clairvaux avec son Éloge de la Nouvelle milice. À la suite du concile de Troyes auquel il participe en 1129, Bernard de Clairvaux contribue en outre largement à la rédaction de la règle de la Milice des pauvres chevaliers du Christ[355]. Cofondateur de l'ordre du Temple et oncle de ce dernier, André de Montbard en devient le cinquième Maître en 1154. En outre, le futur dernier maître de l'ordre du Temple, Jacques de Molay, voit le jour sur le territoire du Diocèse de Langres vers 1244/1245.
Par ailleurs, le territoire du diocèse verra s'y ériger un bon nombre de commanderies et maisons du Temple[356],[357]: Langres, Dijon, Genrupt, Mormant, Ruetz, Voulaines, Bure, Châtillon-sur-Seine, Fontenotte, Fauverney, Saint-Philibert, Ruffey-lès-Echirey, Magny-Lambert, Montmorot, Valeure, Talant, Vele-sous-Gevrey, Curtil-Saint-Seine, Saint-Marc, Thors, Marsoif, Épailly, Is-sur-Tille, de La Romagne, Le-Corgebin, Le-Perchoy, Autrey-lès-Gray, Avalleur[358],[359]...
En qualité de troisième duc et pair ecclésiastique, l'évêque de Langres détient le sceptre royal durant le sacre du roi de France (avec préséance sur son métropolitain, le primat des Gaules). Au cours de cette cérémonie, il présente aussi la couronne royale avec les onze autres grands pairs de France au-dessus du chef royal avant que l'archevêque de Reims l'y dépose. Issu d'une illustre famille originaire du Vallage au nord de l'ancien territoire des Lingons (et futur oncle du biographe de Louis IX de France : Jean de Joinville[note 162]), Guillaume de Joinville devient évêque de Langres en 1210. Nommé Archevêque de Reims en 1219, il a le privilège de coiffer de la couronne royale Louis VIII le Lion en la cathédrale Notre-Dame de Reims le . À la fois grands vassaux et grands pairs de France, les ducs-évêques de Langres sont partie prenante dans les affaires générales du royaume de France en tant que membres du Parlement du roi et nombre de grands seigneurs leur doivent l'hommage féodal.
Sous l'épiscopat de Pierre de Pardaillan de Gondrin, dit Mgr d'Antin, les bourgeois de Dijon obtiennent en 1731, grâce au crédit du prince de Condé, la réalisation d'un projet qu'ils soutenaient depuis deux siècles: l'érection de leur ville en siège épiscopal.
Le diocèse de Langres était alors composé de six archidiaconés : 1° celui de Langres (doyenné de Langres et du Moge) ; 2° l'archidiaconé de Tonnerre (doyennés de Tonnerre, de Molème, de Réomé, et de Saint-Vinnemer ; 3° l'archidiaconé du Barrois (doyennés de Bar-sur-Aube et de Chaumont) ; 4° archidiaconé de l'Auxois (doyennés de Bar-sur-Seine et de Châtillon) ; 5° l'archidiaconé du Bassigny (doyennés d'Is-en-Bassigny et de Pierrefaite) et 6° celui de Dijon (comprenant les doyennés de Dijon, de Bèze, de Saint-Seine, de Grancey et de Fouvent).
Le nouveau diocèse de Dijon comprenait l'archidiaconé de Dijon, à l'exception du doyennés de Grancey (rattaché à l'archidiaconé de Langres) et d'une partie de celui de Fouvent (rattaché à l'archidiaconé de Bassigny), soit cent trente paroisses, deux cent vingt-sept succursales, et sept abbayes dont deux à Dijon.
Alors l'évéché de Langres cessa de représenter le territoire des ancciens Lingons.
À la suite du concordat de 1801, par la bulle Qui Christi Domini du [360], le pape Pie VII supprime le diocèse de Langres et partage son territoire entre celui de Dijon et celui de Troyes. À la suite de la signature du concordat de 1817, Pie VII prévoit de rétablir le diocèse de Langres. Mais le concordat n'est pas ratifié. Ce n'est que par la bulle Paternae charitatis du [361] que Pie VII rétablit le diocèse.
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