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romancière et dramaturge française De Wikipédia, l'encyclopédie libre
George Sand [ʒɔʁʒ sɑ̃d][1], nom de plume d'Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, par mariage baronne Dudevant, est une romancière, dramaturge, épistolière, critique littéraire et journaliste française, née le à Paris et morte le au château de Nohant-Vic. Elle compte parmi les écrivains les plus prolifiques, avec plus de 70 romans à son actif et 50 volumes d'œuvres diverses dont des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et des textes politiques.
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Amantine Aurore Lucile Dupin |
Pseudonyme |
George Sand |
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Casimir Dudevant (de à ) |
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Mouvement | |
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Personne liée | |
Influencée par |
Adam Mickiewicz, Jean-Jacques Rousseau, François-René de Chateaubriand, Aristote, Montesquieu, Blaise Pascal, Jean de La Bruyère, Michel de Montaigne, Francis Bacon, John Locke, Gottfried Wilhelm Leibniz, Virgile, Alexander Pope, John Milton, Dante Alighieri, William Shakespeare, Étienne Bonnot de Condillac |
Adjectifs dérivés | |
Archives conservées par |
À l'image de son arrière-grand-mère, Louise Dupin, qu'elle admire[2], George Sand prend la défense des femmes, prône la passion, fustige le mariage et lutte contre les préjugés d'une société conservatrice.
George Sand a fait scandale par sa vie amoureuse agitée, par sa tenue vestimentaire masculine, dont elle a lancé la mode[note 1], par son pseudonyme masculin, qu'elle adopte dès [note 2], et dont elle lance aussi la mode : après elle, Marie d'Agoult signe ses écrits « Daniel Stern »[5], Delphine de Girardin prend, en 1843, le nom de plume de « vicomte Charles de Launay »[6].
Malgré la misogynie de nombreux détracteurs comme Charles Baudelaire ou Jules Barbey d'Aurevilly[7],[note 3], George Sand contribue activement à la vie intellectuelle de son époque, accueillant au domaine de Nohant ou à Palaiseau des personnalités aussi différentes que Franz Liszt, Frédéric Chopin, Marie d'Agoult, Honoré de Balzac[8], Gustave Flaubert[note 4], Eugène Delacroix, Henri Chapu[9], conseillant les uns, encourageant les autres. Elle a entretenu une importante correspondance avec Victor Hugo bien que ces deux grandes personnalités ne se soient jamais rencontrées.
Elle s'est aussi illustrée par un engagement politique actif à partir de , inspirant Alexandre Ledru-Rollin, participant au lancement de trois journaux : La Cause du peuple, Le Bulletin de la République, L'Éclaireur, plaidant auprès de Napoléon III la cause de condamnés, notamment celle de Victor Hugo dont elle admirait l'œuvre et dont elle a tenté d'obtenir la grâce[7] après avoir éclipsé Notre-Dame de Paris avec Indiana, son premier roman.
Son œuvre est abondante[10] et la campagne du Berry lui sert souvent de cadre. Ses premiers romans, comme Indiana (1832), bousculent les conventions sociales et magnifient la révolte des femmes en exposant les sentiments de ses contemporaines, chose exceptionnelle à l'époque et qui divisa aussi bien l'opinion publique que l'élite littéraire. Puis George Sand ouvre ses romans à la question sociale en défendant les ouvriers et les pauvres (Le Compagnon du Tour de France) et en imaginant une société sans classes et sans conflit (Mauprat, 1837 ; Le Meunier d'Angibault, 1845).
Elle se tourne ensuite vers le milieu paysan et écrit des romans champêtres idéalisés comme La Mare au diable (1846), François le Champi (1848), La Petite Fadette (1849), Les Maîtres sonneurs (1853).
George Sand a abordé d'autres genres comme l'autobiographie (Histoire de ma vie, 1855) et le roman historique avec Consuelo (1843) où elle brosse, à travers la figure d'une cantatrice italienne, le paysage artistique européen du XVIIIe siècle, ou encore Les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1858) qui multiplie les péripéties amoureuses et aventureuses dans le contexte des oppositions religieuses sous le règne de Louis XIII. Vers la fin de sa vie, elle écrit une abondante œuvre théâtrale, restée largement inédite de son vivant.
Amantine Aurore Lucile Dupin[11], future George Sand, naît le à Paris[12] (anciennement au 15 rue Meslay devenu le no 46, dans le 3e arrondissement)[13]. Fille de Maurice Dupin de Francueil et de Sophie-Victoire Delaborde, elle est, par son père, l'arrière-petite-fille du maréchal de France Maurice de Saxe (1696-1750)[14],[15]. Du côté de sa mère, elle a pour grand-père Antoine Delaborde, un Parisien d'abord maître paumier[note 5] tenant un billard puis oiselier[16],[17]. Aurore a donc une double ascendance, populaire et aristocratique, qui la marque profondément. Deux origines sociales diamétralement opposées qui expliquent la personnalité d'Aurore Dupin et son engagement politique à venir[18] :
« On n'est pas seulement l'enfant de son père, on est aussi un peu, je crois, celui de sa mère. Il me semble même qu'on l'est davantage, et que nous tenons aux entrailles qui nous ont portés, de la façon la plus immédiate, la plus puissante, la plus sacrée. Or, si mon père était l'arrière-petit-fils d'Auguste II, roi de Pologne, et si, de ce côté, je me trouve d'une manière illégitime, mais fort réelle, proche parente de Charles X et de Louis XVIII, il n'en est pas moins vrai que je tiens au peuple par le sang, d'une manière tout aussi intime et directe ; de plus, il n'y a point de bâtardise de ce côté-là. »
Son père, Maurice Dupin, incorporé dans les rangs de l'armée révolutionnaire, effectue, de 1798 à 1808, toutes les guerres républicaines et impériales. Pendant les campagnes d'Italie, il s'éprend de Victoire Delaborde, qui partage alors la vie de l'intendant affecté aux subsistances, l'adjudant-général Claude-Antoine Collin, âgé de cinquante ans. Victoire suit Maurice à son retour en France. La mère de ce dernier, Marie-Aurore de Saxe, étant totalement opposée à leur mariage, ils se marient en catimini le , moins d'un mois avant la naissance de la future George Sand, à la mairie du 2e arrondissement de Paris[19].
Maurice Dupin a eu auparavant une liaison avec une domestique du château de Nohant, Catherine Chatiron (1779-1866)[note 6]. Elle avait été engagée par la mère de Maurice le pour une rémunération de 60 francs par an[24]. Le à La Châtre, Catherine accouche d'un fils naturel qui sera déclaré sous le nom de Pierre Laverdure[25]. Maurice Dupin refuse de reconnaître l'enfant qui prendra pourtant plus tard le nom d'usage d'Hippolyte Chatiron (1799-1848)[note 7]. Marie-Aurore de Saxe congédie Catherine Chatiron, mais fait élever l'enfant par le précepteur de Maurice, Jean-Louis François Deschartres[29].
Les trois premières années de la vie d'Aurore Dupin s'écoulent dans le petit logis de ses jeunes parents, rue de la Grange-Batelière. En , malgré la désapprobation de son mari vu la longueur du voyage, la situation militaire espagnole, et l'état de sa femme enceinte de sept mois, Victoire entreprend de rejoindre, avec sa fille Aurore, son mari en garnison à Madrid. Dans le palais de Godoy, Joachim Murat témoigne beaucoup d'affection à l'enfant. Le à Madrid, Victoire donne naissance à un fils, Auguste, né aveugle.
À la suite de la retraite d'Espagne, la famille retourne dans l'Indre, chez la grand-mère paternelle. Aurore découvre pour la première fois le château de Nohant. Malheureusement, son petit frère ne va pas survivre au voyage et meurt dans la propriété, le . Une semaine plus tard, Maurice Dupin meurt accidentellement d'une chute de cheval à la sortie de La Châtre, le [30],[31].
Aurore grandit à Nohant, tout d'abord avec sa mère et sa grand-mère, tiraillée entre les deux femmes, tant affectivement que éducativement. Sa grand-mère souhaite la prendre en charge mais sa mère hésite à lui laisser, souhaitant d'un coté vivre avec ses deux filles (elle a eu auparavant une fille naturelle, Caroline Delaborde) mais doutant d'un autre de sa capacité financière à leur offrir l'équivalent. Aurore est déchirée, notamment à l’idée de se séparer de sa mère :
« Aussi, dès que j’étais seule avec elle, je la couvrais de caresses, en la suppliant de ne pas me donner pour de l'argent à ma grand-mère. J’aimais pourtant cette bonne maman si douce, qui ne me parlait que pour me dire des choses tendres ; mais cela ne pouvait se comparer à l’amour passionné que je commençais à ressentir pour ma mère…[32] »
Sous l'égide de l'abbé de Beaumont, grand-oncle d'Aurore et « médiateur équitable[32] », un compromis est trouvé et l'engagement est pris par écrit le [33]. Marie-Aurore de Saxe a la responsabilité de l'éducation d'Aurore qui passera la majeure partie de l'année à Nohant, sa mère pouvant s'y rendre l'été. L'hiver, Marie-Aurore de Saxe vient passer la mauvaise saison rue Neuve-des-Mathurins à Paris, à proximité du logement de Victoire. Victoire reçoit en retour une rente de sa belle-mère, augmentée par une compensation financière[33]. La grand-mère confie Aurore au précepteur et homme de confiance Jean-Louis François Deschartres[34], qui l’élève avec son demi-frère Hippolyte. Malgré un droit de visite, la mère n'a pas la permission d'emmener sa fille chez elle. L'application des accords est encore plus restrictive vis-à-vis de Caroline Delaborde[note 8], la fille aînée de Victoire, qui ne doit pas approcher sa demi-sœur Aurore et encore moins venir au domicile parisien de Madame Dupin de Francueil. Mais un incident se produit au cours de l'hiver 1810-1811 car Caroline se présente chez Marie-Aurore malgré l'interdiction. Elle est chassée sans ménagement par la maîtresse de maison[37]. Aurore est traumatisée par cette injustice et en tombe malade. Prise de remords, Marie-Aurore décide d'emmener elle-même sa petite-fille, une fois rétablie, chez Victoire. Au moment du retour à Nohant, Marie-Aurore propose à Victoire de les accompagner, pour ne pas perturber davantage sa fille.
George Sand restera attachée toute sa vie à Nohant et à la campagne où elle peut s'échapper dans la nature pour laisser s'épanouir son imagination. Elle reprendra le thème de la vie pastorale dans ses romans champêtres[38],[39],[40],[41]. Aurore devenant peu assidue et rebelle, sa grand-mère la met en pension au couvent des Filles-Anglaises de Paris pour parfaire son enseignement, du au [33],[42],[43],[44]. Elle traverse une crise de mysticisme dans cet établissement religieux, où sa mère et sa grand-mère étaient emprisonnées sous la Terreur. Marie-Aurore de Saxe, imprégnée des idées du siècle des Lumières, ne tarde pas à la retirer du cloître et la fait revenir à Nohant. La santé de sa grand-mère décline. Consciente que son temps lui est compté, Marie-Aurore a pour dessein de marier sa petite-fille au plus tôt et de la faire son unique héritière, tant de ses biens que des terres et du domaine de Nohant[33]. Au mois de , un projet de mariage est envisagé avec l'un des cousins d'Aurore, Auguste Vallet de Villeneuve[45], veuf depuis 1812 de Laure de Ségur et propriétaire du marquisat du Blanc. Mais il est âgé de 42 ans, alors que sa promise n'a que 16 ans.
Marie-Aurore de Saxe prodigue la plus grande attention à sa petite-fille, et lui fait découvrir Jean-Jacques Rousseau. Cette affection est réciproque, Aurore apprécie sa grand-mère, à l'esprit délicat et cultivé. L'enfant complète son instruction par la lecture. Si Jean-Jacques Rousseau la fascine, d'autres philosophes captivent la jeune prodige : Chateaubriand à travers le Génie du christianisme, mais également Aristote, Condillac, Montesquieu, Blaise Pascal, Jean de La Bruyère, Montaigne, Francis Bacon, John Locke, Leibniz, ainsi que les poètes Virgile, Alexander Pope, John Milton, Dante, et William Shakespeare. Marie-Aurore de Saxe meurt le à Nohant-Vic[46],[47], quelques mois après une attaque d'apoplexie. Ses ultimes paroles sont pour sa petite-fille : « tu perds ta meilleure amie ». Au lendemain de l'enterrement de Madame Dupin de Francueil, la mère d'Aurore arrive à Nohant afin de prendre connaissance des dernières volontés de la défunte. Le frère aîné d'Auguste, le comte René, François Vallet de Villeneuve, possesseur du château de Chenonceau, est désigné pour être le tuteur d'Aurore, mineure et seule légataire à la mort de sa grand-mère. La lecture du testament provoque une violente colère de la mère d'Aurore. Toute la rancœur accumulée pendant des années se déchaîne brutalement à l'encontre de sa belle-mère et de René Vallet de Villeneuve[48]. Elle exige que sa fille vienne vivre avec elle à Paris et c'est la rupture avec la famille paternelle. Aurore quitte Nohant avec sa mère, le .
Les relations entre la mère et la fille deviennent vite conflictuelles. Au printemps 1822, Victoire confie Aurore à des amis de Maurice Dupin, James et Angèle Roettiers du Plessis, qui vivent avec leurs cinq filles dans le château du Plessis-Picard près de Melun. Elle reste plusieurs mois dans cette famille, où règne une excellente ambiance, et y rencontre François Casimir Dudevant, avocat à la cour royale, qu'elle épouse à Paris le [49]. La mère d'Aurore a la présence d'esprit d'imposer le régime dotal, Aurore conservant sa fortune personnelle de 500 000 francs[50], et doit recevoir de son mari une rente de 3 000 francs par an pour ses besoins personnels.
Dans une longue correspondance adressée à une « belle Dame », en date du à Nohant, soit quelques jours après le mariage de la jeune Aurore, Jean-Louis Deschartres explique que la mère n'avait qu'une hâte, se délivrer de sa fille au plus tôt[51] :
« Vous auriez bien voulu Madame, entrer dans quelques détails sur les nouveaux propriétaires de Nohant […]. Vous me mandez qu'à la place de la jeune baronne, vous seriez montée chez moi, vous vous seriez jetée à mon col vous m'auriez témoigné franchise, amitié, &c. […] mais tout le monde n'a pas un cœur fait comme le vôtre ; […] il faut bien se persuader qu'entre la vieillesse et la jeunesse, l'amitié ne peut exister […]. C'est d'après ce principe que je ne suis entré en aucune discussion avec les jeunes mariés. Je ne sais sur les antécédents que ce qu'ils ont bien voulu dans la conversation me laisser connaître […]. Le jeune homme est bien fait, a la figure peu avenante quoique doux ; il a un peu la pétulance gasconne, sans en avoir la jactance. Ses parents autrefois très riches colons américains, ont cherché comme tous les propriétaires à tirer le meilleur parti possible de leur récolte en établissant des raffineries de sucre. Son père était lieutenant colonel avant la Révolution. Il a été admis chez Mme Dupin rue du roi de Sicile […]. Après sa retraite, le colonel fut député, 12 ou 15 ans ; son fils unique aura droit à la fortune paternelle qui est de 25 à 30 000 francs de revenus […]. Bref si Aurore eût pu faire un meilleur choix sous tous les rapports, elle eût pu aussi en faire un bien plus mauvais ; et vous serez étonnée que la chose n’ait pas eu lieu, lorsque vous saurez qu’après la rupture du mariage Pontcarré, la mère Mme Maurice s’adressa à M. Savin l'ami de M. de Beaumont, et lui dit de lui trouver quelques vieilles moustaches qui la débarrassent de sa fille qui était un diable […]. Savin s'est adressé à M. Roëttiers de Montaleau du Plessis, lui disant que s'il trouvait un officier à demi-solde qui pût obtenir le consentement de la jeune personne il assurait celui de la mère. Ce M. du Plessis répondit qu'il avait tout ce que l'on pouvait désirer [...]. La mère conduisit la fille au Plessis-Picard et l'y laissa seule, sans domestique : Aurore fit l'objet alors de demandes d'un aide de camp du général Jacques-Gervais Subervie, jeune turc de 45 ou 50 ans sans fortune, d'un avocat fils d'un payeur à Chalons, et d'un notaire, mais la jeune personne donna sa préférence à son mari, et Mme Maurice Dupin, oubliant les obligations d'une mère qui tient à l'honneur, à la probité, à la considération, qui si elle a le malheur d'avoir une fille répréhensible par sa légèreté, coupable dans sa conduite, doit la couvrir de son manteau, la protéger, la défendre lors encore que ses erreurs et ses fautes seraient avérées, […] par une infamie qu'on ne peut expliquer, alla calomnier sa fille, dire le plus de mal possible du jeune homme à qui a voulu l'entendre […]. M. de Beaumont ajouta foi aux rapports mensongers, et pendant que cette mère vomie par l'enfer, lui racontait qu'elle avait été indignement chassée de chez elle par les jeunes gens, elle écrivait à ces derniers les lettres les plus tendres [...]. Le caractère de duplicité paraît inhérent aux individus de cette famille. »
Victoire se désiste alors de la tutelle de sa fille le au profit de Casimir Dudevant et les époux s’installent à Nohant[52],[53]. Pour Aurore, ce mariage est l'occasion de gagner sa liberté, mais c'est oublier que les femmes mariées sont à cette époque traitées en mineures de leur mari. Aurore va vite comprendre qu'elle reste enfermée dans sa condition de vassale et que Casimir, comme ses nombreux prétendants, ne voit en elle que la riche héritière[54].
Le , Aurore donne naissance à son fils Maurice (1823-1889) à Paris[55]. En 1824, chez les du Plessis, Casimir gifle Aurore en public pour un motif futile[56].
Les premières fêlures du couple apparaissent et Aurore se rend compte que tout la sépare de son époux, grossier, peu cultivé, à l'éducation si dissemblable, dont les goûts diffèrent totalement des siens. Le hasard d'une rencontre en , lors d'un voyage avec Casimir à Cauterets dans les Pyrénées, permet à la jeune femme de renaître.
Aurore fait la connaissance d'Aurélien de Seze, avocat de talent, substitut au tribunal de Bordeaux et neveu du défenseur de Louis XVI. Séduisant, intelligent, Aurélien a conquis le cœur d'Aurore, le temps d'une courte histoire d'amour, passionnée et platonique[57]. Ils échangent une importante correspondance, mais leurs rencontres sont rares et Aurore vient de retrouver un ami de jeunesse.
Au cours de ses séjours à Nohant, elle noue une liaison avec Stéphane Ajasson de Grandsagne[58], originaire de La Châtre, de 1827 à 1828[57]. La rumeur publique rattrape les amants et compromet l'équilibre précaire des époux Dudevant. Le , à Nohant, Aurore met au monde une fille, Solange (1828-1899), dont la paternité est empreinte d'incertitude, du fait de la fréquentation d'Aurore avec Stéphane Ajasson de Grandsagne[59]. De son côté, Casimir se met à boire, devient odieux et entretient des relations avec les servantes[60].
La situation conjugale se dégrade et les époux font chambre à part. Aurore veut son indépendance, souhaite travailler et gérer ses biens propres. Au mois de , une scène éclate entre Casimir et Aurore. Elle vient de découvrir le « testament » de son mari qui se résume à des critiques venimeuses et des rancunes envers sa femme. Leur séparation est inévitable — le divorce n'existe pas à cette époque — et elle est prononcée par le tribunal de La Châtre en faveur de l'épouse le . Cette juridiction reconnaît que sont prouvés les « injures graves, sévices et mauvais traitements »[61]. Face à la grande fermeté de son épouse, Casimir Dudevant s'incline et ne veut surtout pas perdre l'usufruit des possessions d'Aurore. Elle décide de vivre alternativement entre Paris et Nohant. Casimir doit lui verser une pension de 3 000 francs prévue par leur contrat de mariage[60]. Dans un premier temps, Solange et Maurice restent auprès de leur père à Nohant. Une fois établie à Paris, Aurore emmène sa fille chez elle et Casimir Dudevant se laissera convaincre par la suite, de confier Maurice à sa mère[60]. Le demi-frère d'Aurore, Hippolyte Chatiron, semble avoir joué un rôle dans le conflit qui oppose sa sœur et son beau-frère Casimir Dudevant, dont il partage le penchant pour la boisson et les fêtes[60].
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Les 27, 28 et - journées dites les Trois Glorieuses - les insurrections parisiennes renversent les Bourbons. L'engagement politique d'Aurore Dupin et sa prise de conscience débutent véritablement à cette période. Jusqu'alors, Aurore Dupin ne s'intéresse guère à la politique. Sa sensibilité est même bonapartiste, en raison du souvenir de la carrière militaire de son père. Elle s'est opposée, avec son époux Casimir Dudevant, au candidat royaliste lors des élections censitaires de 1827 en soutenant activement le candidat républicain, Duris-Dufresne à La Châtre[62]. Le , Aurore Dupin rencontre le romancier Jules Sandeau au château du Coudray à Verneuil-sur-Igneraie. Une rencontre qui marque la jeune Aurore, et qui va influer sur sa destinée. Le , elle quitte Nohant pour rejoindre à Paris une petite société de jeunes Berrichons, férus de littérature romantique et qu'elle fréquentait déjà dans l'Indre : Charles Duvernet, Alphonse Fleury et Jules Sandeau. Dans ce Paris de 1831, en pleine effervescence romantique après la révolution de Juillet, où les jeunes artistes et poètes du quartier latin portent des costumes extravagants, Aurore mène une vie de bohème avec ses compagnons, allant dans les théâtres, les musées et les bibliothèques. Ayant obtenu de la préfecture de police de l'Indre une permission de travestissement[63],[64], elle adopte un costume masculin, plus pratique et moins coûteux. Elle endosse une « redingote-guérite », se noue une grosse cravate en laine, se fait couper les cheveux jusqu'aux épaules, et porte un chapeau de feutre mou[65],[66]. Aurore engage une idylle avec Jules Sandeau et affiche sa liaison. Ensemble, ils commencent une carrière de journalistes au Figaro, sous l'œil sévère mais bienveillant d'Henri de Latouche, le directeur du journal. Ils écrivent en commun un roman, Rose et Blanche, publié sous le pseudonyme de J. Sand[67].
Le roman Rose et Blanche est ébauché par Aurore, mais refait entièrement par Jules Sandeau. L'artiste Alcide-Joseph Lorentz, ami de George Sand, illustre la couverture de ce premier roman[note 9]. L'ouvrage se voit attribuer, par une fantaisie d'Henri de Latouche, le nom d'auteur de Jules Sand[69], qui évoque non seulement Jules Sandeau, mais aussi Karl Sand, l'étudiant bavarois assassin d'August von Kotzebue. Ce livre connaît un certain succès, au point qu'un autre éditeur se présente et commande un prochain roman sous le même nom. Aurore propose le manuscrit d'un livre qu'elle vient d'écrire à Nohant durant l'hiver 1831-1832. Elle veut le donner sous le même pseudonyme mais Jules Sandeau, par modestie, n'accepte pas la paternité d'un livre auquel il est totalement étranger. Henri de Latouche est consulté et tranche par un compromis : le nom de Sand est conservé pour satisfaire l'éditeur et le prénom est modifié pour distinguer les deux auteurs. Aurore prend celui de George, qui lui semble « synonyme de Berrichon »[70]. Étymologiquement, George signifie en effet « celui qui travaille la terre »[71]. Sans le s final du prénom, elle joue sur l'ambiguïté et l'androgynie[72]. Sa première œuvre personnelle, Indiana, est publiée le sous le nom de G. Sand et tous ses romans ultérieurs le seront sous le pseudonyme de George Sand qu'elle adopte définitivement.
Son livre Valentine, composé et achevé à Nohant pendant l'été de 1832, est édité trois mois après Indiana. Ces deux romans assurent la renommée de l'écrivain et améliorent beaucoup sa situation financière. Elle quitte son petit logement du cinquième étage du quai Saint-Michel pour aller s'installer au no 19 quai Malaquais, dans la « mansarde bleue », un appartement plus confortable, seulement au troisième étage, même si sous les toits[73]. François Buloz, le directeur de la Revue des deux Mondes, lui assure par contrat une rente annuelle de 4 000 francs en échange de trente-deux pages d'écriture toutes les six semaines. Au début de 1833, elle rompt avec Jules Sandeau, coupable d'une infidélité, mais surtout qu'elle juge « paresseux, nonchalant, sans volonté ». Elle a une brève relation avec Prosper Mérimée, très décevante et qu'elle regrette amèrement, celui-ci ayant échoué à la « guérir » de sa frigidité. Pour ne rien arranger, George a raconté ce fiasco à Marie Dorval, qui a partagé l’histoire avec Dumas père qui s’est empressé d’aller la raconter partout, causant le plus grand tort à sa réputation de virilité[74]. C'est une période sombre pour George Sand, démoralisée par ces deux déceptions. Le , paraît Lélia, une œuvre lyrique, allégorique et très originale, dont le succès est prodigieux[75].
En 1832, George Sand, passionnée de théâtre, envoie une lettre à la comédienne Marie Dorval, dont elle admire le talent[76]. Celle-ci lui répond par une invitation à dîner. C’est le début d’une profonde amitié qui lient les deux femmes. Leurs échanges de correspondance donnent la mesure de leur attachement mutuel. Ainsi le , George Sand écrit à Marie Dorval : « Je ne peux vous voir aujourd'hui, ma chérie. Je n'ai pas tant de bonheur. Lundi, matin ou soir, au théâtre ou dans votre lit, il faudra que j'aille vous embrasser, madame, ou que je fasse quelque folie. Je travaille comme un forçat, ce sera ma récompense. Adieu, belle entre toutes » et Marie de lui répondre : « Vous êtes une méchante et je comptais bien sur le bonheur de vous avoir toute la soirée dans ma loge. Nous aurions vite dîné, à cinq heures, et nous serions parties ensemble. Voyons, tâchez. Je vous ai vue hier toute la soirée, je vous ai regardée sans rencontrer vos yeux. Vous aviez l'air d'une boudeuse. C'est moi qui viendrai vous voir demain matin. Ce soir, je ne suis pas chez moi. Mon Dieu, quelle envie de causer j'ai donc ! Nous ne pourrons donc jamais nous accrocher ? »[77]. Leur relation fait l'objet de médisances à Paris, d'autant qu'elles comptent parmi les personnalités féminines les plus en vue. Gustave Planche écrit à Sand de se méfier de cette « dangereuse amitié », tandis qu'Alfred de Vigny, amant de Dorval, la conjure : « j'ai défendu à Marie de répondre à cette Sapho qui l'ennuie ! » Missive restée sans suite[78]. En effet, Marie Dorval collabore à l'écriture de Cosima[79], pièce de théâtre de George Sand créée le à la Comédie-Française, avec la célèbre comédienne dans le premier rôle[80]. La solidité de leur relation, fort probablement amoureuse au début et qui fait scandale, ne faiblira jamais et George Sand comblera de bienfaits la famille de Marie Dorval à la mort de celle-ci[81].
George Sand rencontre pour la première fois Alfred de Musset le , lors d'un dîner organisé par François Buloz pour ses collaborateurs de la Revue des deux Mondes, au restaurant Lointier, no 104 rue Richelieu à Paris[82]. À la fin du mois de juillet, ils sont amants et Musset s'installe chez George Sand, quai Malaquais. Le couple se rend à Fontainebleau où ils séjournent du 5 au à l'hôtel Britannique au no 108 rue de France[83]. Une nuit, lors d'une promenade en forêt aux gorges de Franchard, Musset est la proie d'une hallucination, croyant voir apparaître son double. Cette scène est évoquée dans le roman Elle et Lui et décrite également par Musset dans la Nuit de Décembre[84].
Ils conçoivent le projet d'un voyage en Italie. Ils partent le et font une partie de la traversée en compagnie de Stendhal, rencontré à Marseille et qui rejoint son poste de consul à Civitavecchia. À Gênes, George Sand souffre de fièvre et dysenterie. Ils parviennent à Venise le et descendent à l'hôtel Danieli, le . Alors que George Sand est toujours souffrante et doit rester alitée deux semaines, Musset reprend sa vie de noctambule et s'abandonne à tous les plaisirs. Déjà à Gênes et à Florence, George Sand s'est plainte des inconduites de son compagnon et décide de lui fermer sa porte à Venise[85]. Alfred de Musset tombe gravement malade à son tour, atteint d'une fièvre accompagnée de crises de délire. Les ressentiments oubliés en de tels instants, George Sand est à son chevet[86]. Elle fait appel aux soins d'un jeune médecin, Pietro Pagello, qui diagnostique une fièvre typhoïde. George Sand s'éprend de Pagello, alors que la santé de Musset s'améliore. Sa guérison assurée, Pagello lui avoue sa passion pour George Sand. Musset, stoïque, leur conserve son amitié, quitte Venise le et rentre en France[87]. Il continue néanmoins d'entretenir une correspondance avec George Sand et celle-ci, restée avec Pagello, travaille à plusieurs ouvrages[88]. Elle écrit Mattea, Leone Leoni, André, Jacques, les premières Lettres d'un voyageur, puis revient en France avec Pagello.
Le , ils arrivent à Paris et Musset informé de leur retour, supplie George Sand de lui accorder une entrevue. Elle exauce son vœu et le revoit dès le . Chacun se reproche d'avoir perdu le bonheur par sa propre faute. Les remords de George Sand sont tels qu'elle songe au suicide[89]. Conscients de ne pouvoir revenir en arrière, ils décident de s'éloigner l'un de l'autre et de quitter Paris le , Musset à Bade et Sand à Nohant. Quant à Pagello, malgré une invitation pour accompagner la romancière au Berry, il choisit de rester dans la capitale. De son exil en Allemagne, Musset envoie des lettres enflammées à George Sand qui renoue avec le poète de retour en France, le . Pagello, jaloux, repart pour l'Italie. Mais leur nouvelle liaison ne fait que raviver les souffrances, les querelles et les reproches, qui les consument. Leur union n'est plus supportable et c'est Musset, fatigué, qui rompt le premier, le [90]. George Sand est désespérée, tente une réconciliation mais Musset ne répond pas à ses lettres. Elle décide de couper ses cheveux dans un accès romantique et de lui envoyer cette preuve d'amour, gage de sa peine profonde.
Elle rencontre, à la fin du mois de , le peintre Eugène Delacroix, à la suite d'une demande de son éditeur François Buloz. Ce dernier souhaite en effet faire connaître à ses lecteurs, par un portrait, la romancière qui écrit dans son journal depuis 1833. Delacroix immortalise George Sand, le visage empreint de tristesse. L'écrivaine est vêtue en costume d'homme et montre ses cheveux coupés. Au cours de cette période douloureuse, George Sand tient un journal intime ; en date du , elle s'adresse directement à Musset[91],[92] :
« Ce matin, j'ai posé chez Delacroix. J'ai causé avec lui en fumant des cigarettes de paille délicieuses. Il m'en a donné […] Je ne guéris pourtant pas ! Eh bien, eh bien, comme vous voudrez, mon Dieu! Faites de moi ce qui vous plaira. Je racontais mon chagrin à Delacroix ce matin, car de quoi puis-je parler, sinon de cela ? Et il me donnait un bon conseil, c'est de n'avoir plus de courage. Laissez-vous aller, disait-il. Quand je suis ainsi je ne fais pas le fier ; je ne suis pas né romain. Je m'abandonne à mon désespoir. Il me ronge, il m'abat, il me tue. Quand il en a assez, il se lasse à son tour, et il me quitte. Le mien me quittera-t-il ? Hélas ! Il augmente tous les jours. »
À la réception du colis et de son contenu, Alfred de Musset fond en larmes. En ce début du mois de , Sand et Musset renouent leur idylle. Sand, triomphante, écrit à Alfred Tattet, le confident de Musset : « Alfred est redevenu mon amant »[93]. Le , le couple assiste à une représentation de Chatterton de Vigny à la Comédie-Française. Leur relation se poursuit, marquée par des plaintes, des remontrances, des récriminations, jusqu'à une nouvelle rupture le , à l'initiative de George Sand cette fois-ci[94].
Cette relation inspire à George Sand les trois premières Lettres d'un voyageur et à Musset La Confession d'un enfant du siècle ainsi qu'Adieu. Après la mort d'Alfred de Musset, George Sand fait paraître en 1859 Elle et lui pour raconter leur histoire. Le frère d'Alfred, Paul de Musset, riposte en publiant Lui et elle et Louise Colet, qui eut une liaison avec Alfred de Musset, renchérit par un Lui.
George Sand entreprend les procédures judiciaires à l'encontre de son mari, Casimir Dudevant. Les rapports entre les époux se sont envenimés à cause du train de vie dispendieux de Casimir qui s'est engagé dans des opérations hasardeuses. George Sand craint à juste titre, qu'il ne provoque sa ruine. Des amis lui recommandent le célèbre avocat républicain Louis Michel, pour plaider sa séparation définitive avec le baron Dudevant. L'avocat, plus connu sous le pseudonyme de sa ville, Michel de Bourges, est doué d'un grand talent oratoire et intervient dans les procès politiques de la monarchie de Juillet. Le , George Sand le rencontre dans l'ancienne capitale du Berry et lui expose son affaire. Michel venait de lire son roman Lélia et sous le charme de George Sand, lui offre une plaidoirie impressionnante, en arpentant les rues de Bourges toute une nuit. La séduction est réciproque, George Sand le retrouve en mai à Paris et ils deviennent amants[95]. Avec Michel de Bourges commence une double passion, amoureuse et politique. Avec lui, envolée cette « frigidité » imprudemment avouée dans la première édition de Lélia, vite expurgée[96]. Michel convertit également George Sand, déjà sensible aux opinions républicaines, aux idées socialistes[97]. L'engagement de cette dernière est tel que son appartement parisien est transformé en cénacle républicain et par voie de conséquence, sous surveillance policière. Michel gagne le procès en séparation de George Sand, au terme d'une longue procédure, le [98]. Il promet à George Sand de vivre avec elle, mais c'est un homme marié et qui va le rester. En raison de sa peur de sa femme et de la forte personnalité de la romancière, il rompt leur liaison délétère en . Cette séparation douloureuse déstabilise George Sand et les liaisons qui suivent restent sans lendemain : Félicien Mallefille le précepteur de son fils Maurice[95], Charles Didier, ou l'acteur Bocage. Ce dernier lui restera fidèle en amitié.
George Sand dédie la sixième des Lettres d'un voyageur à Éverard, surnom qu'elle donne à Michel de Bourges. Il lui inspire également le personnage de l'avocat Simon, dans le roman du même nom en 1836[99]. Un autre ouvrage intitulé Engelwald le Chauve n'est pas sans évoquer Michel de Bourges, mais l'œuvre ne sera jamais publiée et le manuscrit est détruit en 1864 par l'auteure[100].
Durant cette période George Sand se rapproche de Frédéric Girerd. Il est déjà un ami de Michel de Bourges et, comme lui, est avocat et homme politique. Il devient un ami et confident de George Sand et ils conserveront leurs liens par la suite[101],[102],[103].
Alfred de Musset présente George Sand à Franz Liszt, compositeur, pianiste virtuose, professeur de musique d'Herminie, la sœur du poète. Franz Liszt est transporté par le mouvement de 1830, influencé par les idées saint-simoniennes et enthousiasmé par Lamennais. La lecture de Leone Leoni, transposition de Manon Lescaut dans le mode romantique, a fait de lui un admirateur de George Sand[104]. Leur relation restera purement amicale. Le célèbre pianiste a un élève de talent, Hermann Cohen, qu'il introduit dans le cercle parisien où se retrouvent écrivains et musiciens. En 1834, George Sand et l'abbé Lamennais font ainsi la connaissance du protégé de Liszt, qui s'accroche à son mentor, et sont tous deux charmés par le jeune garçon[105]. Franz Liszt le surnomme Puzzi, traduction de « mignon » en allemand et la romancière commence à parler de lui comme le mélancolique Puzzi. L'enfant, promis à une brillante carrière artistique, rencontre régulièrement George Sand qui lui prodigue beaucoup d'affection et le considère comme un second fils[105].
Le , George Sand part de Nohant avec ses enfants, pour se rendre en Suisse où l'attendent ses amis Franz Liszt et Marie d'Agoult[95]. Marie a quitté son mari et sa fille pour rejoindre Franz Liszt à Genève en et la passion qui les unit plaît à George Sand. Il s'agit du second séjour de l'écrivain dans les Alpes. Franz et Arabella, pseudonyme romantique de Marie d'Agoult, accompagnent George Sand dans son périple qui commence par l'étape de Chamonix, avec leur protégé Hermann Cohen. Adolphe Pictet, professeur d'Histoire des littératures modernes à l'Académie de Genève et major d'artillerie de l'armée Suisse, se joint également au groupe. Cette excursion de quinze jours à dos de mulet se déroule en divers lieux : Genève, Chamonix, le glacier des Bossons, le précipice de la Tête-Noire par le Col de la Forclaz, Martigny, Fribourg et sa cathédrale Saint-Nicolas aux orgues réputées, et la Mer de Glace[106].
Au mois d', George Sand s'installe à l'hôtel de France, rue Laffitte à Paris, où résident Liszt et Marie d'Agoult. Le salon de la comtesse d'Agoult est fréquenté par Lamennais, Heine, Mickiewicz, Michel de Bourges, Charles Didier et Frédéric Chopin[107]. En février-mars et mai-, Franz Liszt et Marie d'Agoult séjournent à Nohant[95]. Elle y reçoit également le peintre paysagiste Paul Huet avec qui elle correspond[108].
C'est à Franz Liszt que George Sand adresse la septième des Lettres d'un voyageur, sur Lavater et la maison déserte[109]. Liszt lui répond par ses trois premières Lettres d'un bachelier ès musique[110]. En 1838, George Sand donne à Balzac le sujet d'un roman, les Galériens ou les Amours forcés. Ces Galériens de l'amour, sont Franz Liszt et Marie d'Agoult. C'est pourquoi George Sand ne peut écrire ce roman elle-même et le confie à Balzac. L'ouvrage figure dans la collection de La Comédie humaine sous le titre de Béatrix[111]. Le personnage de la comtesse d'Agoult est celui de Béatrix et Liszt, celui du compositeur Conti. Quant à George Sand, elle apparaît dans le roman sous le nom de Félicité des Touches ou par son nom de plume androgyne, Camille Maupin. Les personnages sont parfaitement transparents et dans l’œuvre Félicité des Touches est toujours comparée à Béatrix et lui est préférée. On voit que l'amitié des deux femmes s'est refroidie, à cause de l'engouement de George Sand pour Frédéric Chopin[112].
L'abbé Félicité de Lamennais devient le démocrate chrétien qui trouve dans l'Évangile la loi de liberté, d'égalité et de fraternité, loi recueillie par les philosophes et proclamée par la Révolution. Il est excommunié après la parution de son livre Paroles d'un croyant. Lamennais a une grande influence sur Franz Liszt et George Sand[113] qui manifeste son enthousiasme pour ce prêtre dans Histoire de ma vie[114]. Elle lui déclare : « Nous vous comptons parmi nos saints... vous êtes le père de notre Église nouvelle ». Lamennais se fixe à Paris, fonde un journal, Le Monde, auquel George Sand collabore bénévolement. Elle y publie en 1837 Ingres et Calamatta, un article destiné à faire connaître le graveur Luigi Calamatta qui réalise des portraits d'elle et la gravure Une visite aux Catacombes. Puis elle y publie un petit fragment poétique et enfin les célèbres Lettres à Marcie[115]. Dans ces dernières, George Sand exprime ses idées sur le mariage, l'affranchissement de la femme et son égalité avec l'homme[116]. L'audace de cette œuvre a dû effaroucher Lamennais, pour qu'il commente son auteure en ces termes : « Elle ne pardonne pas à saint Paul d'avoir dit : Femmes, obéissez à vos maris ! »[117]. Finalement, la publication s'interrompt lorsque Lamennais abandonne la direction du Monde[118].
Lamennais inspire à George Sand, dans son roman Spiridion, le personnage du moine fondateur d'un couvent, chercheur intransigeant de la vérité[119]. Le philosophe Pierre Leroux marque également de son empreinte cet ouvrage.
Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), critique et écrivain, est le conseiller littéraire de George Sand. Il est aussi son confident, particulièrement au moment de ses amours avec Alfred de Musset. George Sand toujours en quête d'idéal et de ferveur réformatrice, demande son avis à Sainte-Beuve dans ce domaine[122]. Après Félicité de Lamennais, elle cherche un nouveau mentor qui pourrait satisfaire son ardeur politique. En se tient à Paris le procès de 10 000 insurgés, à la suite de la révolte des Canuts et aux insurrections de 1834 qui ont éclaté dans la capitale et différentes grandes villes de France. Ce procès monstre offre une tribune inespérée à l'opposition républicaine et les convictions de George Sand s'affirment lors de son déroulement. Face à l'échec des révoltes, elle interroge Sainte-Beuve sur « la révolution à faire ». Celui-ci l'oriente vers deux hommes de doctrine : Pierre Leroux et Jean Reynaud qui participent à l’élaboration de l'Encyclopédie nouvelle. George Sand demande à rencontrer Pierre Leroux et au mois de , elle lui pose « la question sociale ». Leroux subjugue George Sand et « elle ne jure plus que par lui ». Une profonde amitié naît de leur admiration mutuelle, le philosophe trouvant auprès de l’écrivain une aide matérielle importante. Elle découvre dans les principes de Pierre Leroux une synthèse des dogmes épars qu'elle emprunte au christianisme, à Jean-Jacques Rousseau, au saint-simonisme, à Michel de Bourges et à Lamennais[123]. Compte tenu de l'influence des idées de Pierre Leroux sur l'œuvre de George Sand, il n'est pas inutile de résumer ici sa doctrine :
Leroux s'intéresse particulièrement de ce point de vue à certaines sectes médiévales comme les Lollards, les Hussites et surtout les Taborites[124].
Les idées de Pierre Leroux se manifestent dans toute une série de romans de George Sand : Spiridion, Consuelo, La Comtesse de Rudolstadt, Jean Zyska, Procope le Grand, Le Meunier d'Angibault, Le Péché de Monsieur Antoine, Horace, Le Compagnon du tour de France, Jeanne. Tous ces ouvrages apparaissent comme la mise en œuvre du programme de Leroux : lutte contre le triple abus de caste, de famille, et de propriété, et prédication de la doctrine du progrès continu et de la « vie de l'homme dans l'humanité »[125]. La rencontre de George Sand avec l'écrivain prolétaire Agricol Perdiguier lui inspire le personnage de Pierre Huguenin, le héros de son roman Le Compagnon du tour de France, publié en 1840[126]. Ce roman prêchant l'un des dogmes de la théorie de Leroux, la guerre aux préjugés de caste et l'abolition des différends entre groupes sociaux, François Buloz, le directeur de la Revue des deux Mondes, propose tant de changements et de coupures que George Sand préfère reprendre son manuscrit et le publier en volume. Un an plus tard, il refuse de faire paraître dans sa revue son nouveau roman, Horace[127].
En 1841, George Sand fonde avec Pierre Leroux et Louis Viardot La Revue indépendante[128]. De 1841 à 1844, elle publie dans cette revue des romans : Horace, Consuelo, Jean Zyska, Procope le Grand, La Comtesse de Rudolstadt, Isidora, ainsi que divers articles[129]. Elle se lie d'amitié avec des poètes prolétaires, comme le maçon Charles Poncy de Toulon, le père Magu et son gendre, le serrurier Jérôme Gilland, pour lesquels elle écrit des préfaces à leurs ouvrages. Ils apparaissent comme une preuve visible de la théorie de Leroux sur le progrès continu et la perfectibilité de l'humanité[130]. Le père Magu inspire à George Sand le personnage d'Audebert dans son roman La Ville noire, publié en 1860[131].
George Sand rencontre Frédéric Chopin dans les tout derniers mois de 1836, par l'intermédiaire de Franz Liszt et de Marie d'Agoult. Leur liaison commence au mois de . À cette époque, Eugène Delacroix peint le double portrait de Sand écoutant Chopin au piano[132].
À la fin de l'année 1838, George Sand et ses deux enfants partent pour Majorque et Frédéric Chopin les rejoint au cours de leur trajet à Perpignan[133]. À Barcelone, George Sand visite le palais de l'Inquisition en ruines. Impressionnée par les lieux, elle y fait allusion dans son roman La Comtesse de Rudolstadt[134]. Arrivés à Palma de Majorque, les voyageurs sont ravis par le cadre enchanteur de l'île, mais ils éprouvent de grandes difficultés pour se loger, en raison de l'absence d'hôtels et de chambres meublées. Tuberculeux, Chopin voit sa santé se détériorer. Les visiteurs sont chassés de leur logement par les Majorquins, qui craignent le caractère contagieux de la maladie. Le , George Sand et Frédéric Chopin se rendent à l'ancienne Chartreuse de Valldemossa, où ils sont hébergés dans des cellules monacales. Le site est magnifique, mais l'approvisionnement en nourriture est difficile, d'autant plus que les voyageurs sont en butte à l'hostilité des insulaires parce qu'ils n'assistent pas aux offices religieux. Le , ils quittent l'île, rejoignent Barcelone après un périple éprouvant au cours duquel la santé de Chopin se dégrade encore. Leur séjour à Marseille permet au musicien de se rétablir et à la fin du mois de mai, ils arrivent à Nohant où ils passent tout l'été[135]. George Sand publie un récit de ce voyage : Un hiver à Majorque (sur ce que révèle cette expédition, se reporter au chapitre : Le voyage à Majorque).
George Sand et Chopin résident l'été à Nohant et l'hiver à Paris, d'abord rue Pigalle, puis à partir de l'automne de 1842, au square d'Orléans, rue Taitbout. En raison de la maladie de Chopin, leur liaison se transforme en une relation mère-fils[75]. Grâce à Chopin, le cercle des amis de George Sand s'élargit encore. Chopin reçoit des écrivains : Adam Mickiewicz, Julien-Ursin Niemcewicz, des musiciens : Giacomo Meyerbeer, Joseph Dessauer, Pauline Viardot et des membres de l'aristocratie polonaise en exil : Adam Jerzy Czartoryski, Delfina Potocka[137].
Mais Frédéric Chopin se comporte comme un compagnon absorbant et tyrannique[75]. Les malentendus deviennent fréquents, d'autant plus que les enfants de George Sand grandissent et s'imposent comme des individualités[138]. Maurice prend à cœur tous les désaccords entre sa mère et Chopin et les rapports entre le musicien et Maurice deviennent hostiles. À partir du printemps de 1846, George Sand héberge à Nohant une jeune cousine de sa famille maternelle, Augustine. Sa fille Solange et Chopin détestent Augustine, tandis que Maurice, son ami d'enfance, est toujours prêt à prendre sa défense[139].
Sur ce fond de discordes, des moments de détente sont privilégiés : pendant que Chopin improvise au piano, Solange, Augustine, et Maurice, miment des scènes et dansent des ballets comiques. Les hôtes séjournant à Nohant, comme Emmanuel Arago et Louis Blanc participent aussi à ces divertissements. Après le départ de Chopin pour Paris, ces pantomimes prennent le caractère de véritables pièces de théâtre, dans le genre de la Commedia dell'arte. Elles seront publiées en recueil[140] et sont à l'origine du théâtre de Nohant. Ce même théâtre est décrit en détail par George Sand dans son roman Le Château des Désertes, où Maurice Sand lui inspire le personnage de Celio Floriani et Augustine celui de Cécile, qui interprète le rôle de la Donna Elvira[141]. Citons également Frédéric Chopin, reconnaissable à travers le personnage du prince Karol, dans l'ouvrage de George Sand, Lucrezia Floriani, édité en 1846[142].
Un projet de mariage s'ébauche au mois de , entre Solange Sand et un hobereau berrichon, Fernand des Préaulx[143]. En , George Sand est présentée au sculpteur Auguste Clésinger pendant un séjour à Paris et elle visite son atelier. En février, George Sand et sa fille se voient proposer la réalisation de leur buste par l'artiste. Celui-ci s'éprend de Solange et la réciprocité est immédiate, alors que dans le même temps, George Sand prépare l'union de sa fille avec Fernand des Préaulx. Quelques semaines plus tard, Solange rompt ses fiançailles la veille de signer son contrat de mariage et impose son nouveau prétendant, malgré le désaveu de sa mère[144]. George Sand s'incline et le et Solange épouse Auguste à Nohant[145]. Le , le couple très endetté demande en vain une aide financière à George Sand. À la suite de sa décision, une violente altercation se produit entre Auguste Clésinger et Maurice Sand et ce, malgré l'intervention de la romancière. George Sand congédie sur-le-champ sa fille et son gendre[146]. En raison de sa méfiance maladive, Frédéric Chopin donne crédit aux calomnies rapportées par Solange sur sa mère et met fin à sa liaison de dix années avec George Sand[147],[148].
L'esprit imaginatif de George Sand transpose le tempérament de sa fille et le traitement qu'elle inflige à son premier fiancé dans Mademoiselle Merquem en 1868. Dans cet ouvrage, une jeune fille, dont le prénom masculin est féminisé, Erneste du Blossay, ressemble à Solange sous une forme caricaturale et aux traits forcés : ambitieuse, capricieuse, têtue et rusée. C'est une constante chez George Sand de faire apparaître dans son œuvre littéraire des jeunes femmes qui ne sont pas sans rappeler la personnalité de Solange[149].
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Des relations amicales s'établissent entre Louis Blanc et George Sand, qui songe même à lui faire épouser sa fille, mais ce projet échoue[150]. George Sand écrit également deux articles sur l'Histoire de la Révolution de Louis Blanc, en 1847 dans le Siècle et en 1865 dans l'Avenir national[151]. Au mois de , Louis Blanc prie George Sand de collaborer au journal qu'il a fondé, la Réforme[152]. Dans ce journal paraît successivement en 1845, son roman Le Meunier d'Angibault, l'article sur la Réception de Sainte-Beuve à l'Académie et en 1848, celui sur l'Élection de Louis-Napoléon à la présidence de la République[151]. À cette époque, George Sand noue des relations épistolaires ou personnelles avec Barbès, Mazzini, Bakounine, Louis Bonaparte, Pauline Roland, les frères Étienne et François Arago[153].
George Sand se réjouit de la chute du roi Louis-Philippe et de la fin de la Monarchie de Juillet le , affichant son engagement politique socialiste. La deuxième République est proclamée. La romancière arrive à Paris le [154] et participe aux nouveaux journaux républicains comme le Bulletin de la République, la Cause du peuple avec Louis Viardot et la Vraie République. Une émeute se produit à la suite de la manifestation du 15 mai 1848 et l'Assemblée constituante nouvellement élue, conservatrice, est envahie par la gauche républicaine. Cette insurrection est réprimée et les dirigeants socialistes sont arrêtés, dont Armand Barbès, Auguste Blanqui, Alexandre Martin surnommé « l'ouvrier Albert », François-Vincent Raspail, Pierre Leroux. Ce sont les premières arrestations politiques du régime. Face à l'échec de cette journée, George Sand se retire à Nohant le , alors que ses amis souhaitent pour assurer sa sécurité, qu'elle quitte la France pour l'Italie[155]. Même si George Sand se défend de toute participation à la protestation du [155], son départ est d'autant plus nécessaire que les incarcérations se poursuivent. George Sand réside à Nohant pendant plus d'un an, où elle bénéficie de la protection bienveillante d'Alexandre Ledru-Rollin. Les événements politiques se précipitent avec la fermeture des ateliers nationaux qui engendre une insurrection le . L'armée commandée par le général Eugène Cavaignac, ministre de la Guerre investi des pleins pouvoirs par l'Assemblée, écrase dans le sang avec l'appui de la Garde nationale les insurgés du 23 au . L'échec de la Révolution de 1848 marque l'arrêt de l'activité militante de George Sand et amorce ses désillusions. Avec l'arrivée au pouvoir de Louis Napoléon Bonaparte et son coup d'État du 2 décembre 1851, ce sont de nouveau les arrestations, les déportations, la censure, qui s'abattent sur le pays. Deux cents députés sont emprisonnés dont Adolphe Thiers. George Sand décide alors de prendre fait et cause pour les condamnés et prisonniers politiques. Elle entreprend de multiples démarches en leur faveur, au cours des mois de janvier et . Elle écrit plusieurs lettres à l'Empereur qui finit par lui accorder deux audiences dont la première a lieu le [156]. George Sand plaide pour une amnistie générale. Son geste sera vain, Napoléon III lui accorde de rares remises de peine. La censure empêche l'écrivain de s'exprimer dans la presse. De ce fait, elle manifeste sa pensée à travers ses romans, sa correspondance et le théâtre. Elle s'intéresse par ailleurs aux révoltes des peuples européens, en particulier celles d'Italie.
En 1849, « mon cœur est un cimetière »[157], montre l'amertume de George Sand. La rupture avec sa fille Solange en 1847 est un véritable drame pour la romancière. Les disparitions se succèdent autour d'elle. Sa petite-fille Jeanne meurt en bas âge le à Pompiey, son demi-frère Hippolyte Chatiron le à Montgivray, son amie l'actrice Marie Dorval le à Paris, son ancien compagnon Frédéric Chopin le suivant, à Paris également. Après les législatives de 1849, les idées progressistes sont étouffées et la répression est féroce : interdiction des clubs, suspension des députés républicains, restrictions à la liberté de la presse, etc.[158].
George Sand se replie sur elle-même. L'existence lui est cruelle et ses pensées s'assombrissent. Elle écrit à Bocage : « La vie est une longue blessure qui s’endort rarement et ne se guérit jamais »[159]. Elle termine cependant un nouveau roman champêtre, La Petite Fadette et une rencontre fin va à nouveau bouleverser sa vie : Maurice Sand présente à sa mère un ami graveur et auteur dramatique, Alexandre Manceau.
Tout semble pourtant les opposer. Il est âgé de trente-deux ans et elle de quarante-cinq. Lui est inconnu et fils d'un marchand limonadier. Elle, descendante du maréchal de Saxe, même si d'une filiation d'origine populaire par sa mère, est au faîte de sa célébrité. Alexandre Manceau se montre très attentif auprès de celle qu'il admire. Il est très vite intégré au cercle fermé de l'écrivain et participe activement aux activités théâtrales de Nohant. Intelligent, prévenant et patient, Alexandre attend son heure. George Sand officialise sa nouvelle liaison dans une correspondance adressée à son éditeur, Pierre-Jules Hetzel, à la fin du mois d'[160] :
« Oui, je l'aime lui ! C'est un ouvrier qui fait son métier en ouvrier parce qu'il veut et sait gagner sa vie. Il est incroyablement artiste par l'esprit. Son intelligence est extraordinaire mais ne sert qu'à lui. Qu'est ce que ça me fait après tout, qu'il ne plaise pas aux autres, pourvu qu'il me plaise à moi. Lui, il pense à tout ce qu'il faut, et se met tout entier dans un verre d'eau qu'il m'apporte ou dans une cigarette qu'il m'allume […] Quand je suis malade, je suis guérie, rien que de le voir me préparer mon oreiller et m'apporter mes pantoufles. Moi, qui ne demande et n'accepte jamais de soins, j'ai besoin des siens, comme si c'était dans ma nature d'être choyée […] Enfin je l'aime, je l'aime de toute mon âme, avec ses défauts, avec les ridicules que les autres lui trouvent, avec les torts qu'il a eus et les bêtises qu'il a faites et que je sais par lui. […] Je suis comme transformée, je me porte bien, je suis tranquille, je suis heureuse, je supporte tout, même son absence, c'est tout dire, moi qui n'ai jamais supporté cela […] Je l'aime avec tout ce qu'il est, et il y a un calme étonnant dans mon amour malgré mon âge et le sien […] Car il aime, il aime, voyez-vous, comme je n'ai vu aimer personne. »
George Sand s'installe dans une relation apaisée avec Alexandre Manceau et il sera, pendant quinze ans, à la fois son amant et son secrétaire[157]. Manceau rédige un journal sur des agendas à partir de 1852 et qui, pour la postérité, seront connus par ce nom (voir le chapitre : Agendas). Il commence bien souvent le texte par un « Madame va bien » et consigne le quotidien de ce ménage hors norme. George Sand complète les recueils par quelques notes. Cette liaison est prolifique pour George Sand et elle écrit, au cours de cette période, près de cinquante ouvrages, dont une vingtaine de romans et des pièces de théâtre[161]. Il lui offre une chaumière à Gargilesse, sur les bords de la Creuse, pour abriter leurs amours. Mais c'est sans compter sur l'animosité du fils « adoré », Maurice Sand. Ce dernier n'a jamais accepté la relation entre son ami et sa mère et exige le départ de Manceau. Le couple quitte donc Nohant pour se réfugier à Palaiseau en . Malheureusement, ils ne profitent pas longtemps de cette intimité retrouvée. Alexandre Manceau a contracté la tuberculose depuis plusieurs années et sa fin est proche. Jusqu'au bout, George Sand soigne et veille Alexandre, son dernier bien-aimé. Il meurt à six heures du matin le lundi à Palaiseau, après avoir murmuré quelques mots[157].
Alexandre Manceau est inhumé civilement dans le cimetière de l'église Saint-Martin, le mercredi , en présence d'une centaine d'ouvriers venus lui rendre un dernier hommage. Maurice a fait le voyage et soutient sa mère mais Solange est absente. Quant à la mère d'Alexandre, elle ne s'est pas déplacée, parce que son fils ne s'est pas confessé[157]. En 1867, George Sand se réinstalle définitivement à Nohant et choisit pour chambre celle qu'occupait Manceau. Au mois d', elle vend la maison de Palaiseau. En 1886, le cimetière de Palaiseau est déplacé et la tombe d'Alexandre Manceau est détruite. Jusqu'au bout, le sort se sera acharné sur l'infortuné graveur[162].
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Pour se tirer d'embarras financiers, George Sand se contraint à écrire pour le théâtre. À Nohant, il lui arrive même d'exercer les fonctions de médecin de village, ayant étudié avec son premier précepteur, le docteur Deschartres, l'anatomie et les remèdes à base de plantes. Mais elle ne se cantonne pas à Nohant, voyageant aussi bien en France, notamment chez son grand ami Charles Duvernet au château du Petit Coudray, qu'à l'étranger.
George Sand rencontre pour la première fois Gustave Flaubert, son cadet de 17 ans, le au Théâtre de l'Odéon. Mais c’est seulement en 1863 qu’ils font connaissance lors d'un des célèbres dîners littéraires au restaurant Magny. George Sand est la seule femme admise à ces fameux repas, au cours desquels elle retrouve Théophile Gautier, les frères Jules et Edmond Goncourt, Ernest Renan, Hippolyte Taine et ce sont Alexandre Dumas fils et Charles-Augustin Sainte-Beuve qui les présentèrent l'un à l'autre. Leur correspondance assidue débute cette même année et une formidable amitié s'établit entre les auteurs de Consuelo et de Madame Bovary. Un attachement indéfectible qui prend naissance à la fin de l'année précédente, en , date à laquelle est publié le roman historique Salammbô de Flaubert. Le , George Sand fustige les critiques de ses confrères, dont Sainte-Beuve, en prenant la défense de l'écrivain normand par un article enthousiaste sur trois colonnes paru dans La Presse dont le directeur est Émile de Girardin : « Oui mon cher ami, j'aime Salammbô, parce que j'aime les tentatives et parce que… j'aime Salammbô. J'aime qu'un écrivain lorsqu'il n'est pas forcé par les circonstances ou entraîné par son activité à produire sans relâche, mette des années à faire une étude approfondie d'un sujet difficile, et le mène à bien sans se demander si le succès couronnera ses efforts. Rien n'est moins fait pour caresser les habitudes d'esprit des gens du monde, des gens superficiels, des gens pressés, des insouciants en un mot, c'est-à-dire de la majorité des lecteurs, que le sujet de Salammbô. L'homme qui a conçu et achevé la chose a toutes les aspirations et toutes les ferveurs d'un grand artiste »[163],[164]. Flaubert très touché par sa prise de position, l'en remercie vivement et George Sand lui écrit en retour, l'invitant à venir la voir.
Elle refuse la Légion d'honneur en 1873 et répond avec humour au ministre Jules Simon qui lui propose la décoration[165] :
« Ne faites pas cela, cher ami ; non, ne faites pas cela, je vous en prie ! Vous me rendriez ridicule. Vrai, me voyez-vous avec un ruban rouge sur l'estomac ? J'aurais l'air d'une vieille cantinière ! »
Ironiquement, son ancien époux Casimir Dudevant se la verra refuser, alors qu'il l'avait demandé quatre ans plus tôt, le , par une lettre écrite à l'empereur Napoléon III[166],[167],[168] :
« Le baron Casimir Dudevant, ancien officier du premier Empire à Sa Majesté l'Empereur des Français […] J'ai pensé que l'heure était venue de m'adresser au cœur de votre Majesté pour en obtenir la récompense honorifique que je crois avoir méritée. Sur le soir de mes jours, j'ambitionne la croix de la Légion d'Honneur. C'est là, la faveur suprême que je sollicite de votre magnificence impériale. En demandant cette récompense, je m'appuie non seulement sur mes services depuis 1815, au pays et au pouvoir établi, services sans éclat, insignifiants peut-être, mais encore sur les services éminents rendus par mon père depuis 1792 jusqu'au retour de l'île d'Elbe. Bien plus, j'ose encore invoquer des malheurs domestiques qui appartiennent à l'Histoire. Marié à Lucile Dupin, connue dans le monde littéraire sous le nom de George Sand, j'ai été cruellement éprouvé dans mes affections d'époux et de père, et j'ai la confiance d'avoir mérité le sympathique intérêt de tous ceux qui ont suivi les événements lugubres qui ont signalé cette partie de mon existence. »
Bien entendu, Napoléon III ne donne pas suite à la demande du baron, dont la dernière motivation de son courrier au sujet des malheurs conjugaux est pour le moins surprenante. À la décharge de Casimir Dudevant, la maladie altérait ses facultés intellectuelles et devait l'emporter deux ans plus tard[169], le à Barbaste.
George Sand continue d'écrire un à deux romans par an, mais commence à souffrir de douleurs abdominales. Le , elle complète son testament du . Au mois d'avril son mal empire mais elle n'en parle encore à personne. Le , elle écrit à son médecin, Henri Favre : « Je me demande où je vais et s'il ne faut pas s'attendre à un départ subit un de ces matins. J'aimerais mieux le savoir tout de suite que d'en avoir la surprise »[170]. Le , les douleurs s'accentuent, la souffrance est difficilement supportable. Son fils Maurice arrive à Nohant et demande l'intervention du docteur Gustave Papet, l'ami fidèle de George Sand. La famille se rend également au domaine. D'abord sa fille Solange Clésinger, puis les neveux de la romancière, Oscar Cazamajou, fils de Caroline Delaborde et René Simonnet, fils de Léontine Chatiron. George Sand est à présent alitée et les médecins se succèdent à son chevet[171]. Leurs soins soulagent la douleur, mais de manière ponctuelle. La fin est proche, George Sand en est consciente. Le , elle fait venir auprès d'elle ses deux petites-filles, Aurore et Gabrielle. À partir du , les symptômes s'aggravent. Le , les fidèles sont présents, tels qu'Edmond Planchut, Émile Aucante et Henri Amic. Le , George Sand est toujours lucide et demande une dernière fois ses petites-filles pour les embrasser. Le soir de ce même , elle murmure à Solange, qui lui prodigue les soins, et à sa belle-fille Lina Calamatta : « Adieu, adieu, je vais mourir »[171]. Le , vers 6 heures du matin, elle cherche du regard la lumière, Solange positionne alors le lit de sa mère vers la fenêtre. George Sand a encore la force de prononcer quelques mots et perd connaissance[171]. Son agonie dure près de quatre heures. Elle meurt d'une occlusion intestinale dans sa 72e année et son décès est constaté à dix heures du matin[172], le jeudi au château de Nohant.
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George Sand est la seule femme du premier groupe d'écrivains du XIXe siècle qui ont pu vivre de leur plume en France[173]. Pouvoir vivre de sa plume est la conséquence de l'alphabétisation de la population grâce aux lois successives en faveur de l'éducation, dont les plus importantes voient le jour avec la loi Guizot à partir de 1833, et la création des écoles dans les communes de plus de 500 habitants. Tout au long de ce siècle, l'illettrisme va reculer et l'accès pour tous à l'école connait son apogée avec les lois de Jules Ferry. Dès la monarchie de Juillet, ce nouveau lectorat , composé notamment de la classe ouvrière, souhaite acquérir des ouvrages au moindre coût[174]. L'industrialisation de l'imprimerie, parallèlement avec les nouvelles innovations techniques, va permettre au plus grand nombre de pouvoir lire[175]. Ce lectorat populaire est friand de roman, ouvrage qui permet de rêver, de s'identifier, et d'oublier des conditions de vie misérables[176]. Ces envies reçoivent un écho favorable avec l'émergence de nouveaux écrivains comme Victor Hugo, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas ou George Sand[175],[176] qui, à travers leurs fictions, expriment aussi des prises de positions politiques et sociales contre l'ordre établi[177] : « Il n'y a que deux puissances au monde, le sabre et l'esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l'esprit » selon la citation célèbre de Napoléon Ier ou cette maxime de l'auteur britannique Edward Bulwer-Lytton en 1839 pour sa pièce, Richelieu : « la plume est plus puissante que l'épée ».
L'œuvre de George Sand est impressionnante et elle écrit sans discontinuer de 1830 jusqu'à sa mort, survenue en 1876. Sa création littéraire ne se limite pas à ses soixante-dix romans. Elle écrit aussi nombre de nouvelles, contes, pièces de théâtre[178], textes politiques et articles de presse.
Élève au couvent des Anglaises, la jeune Aurore Dupin adapte une pièce de Molière, Le Malade imaginaire qui lui permet d'organiser des soirées théâtrales devant la communauté religieuse[179]. Quelques années après son mariage avec François Casimir Dudevant, Aurore Dupin annonce à sa belle-mère, Gabrielle Louise de la Porte de Sainte-Gemme, baronne Dudevant (1772-1837), son intention d'écrire. Gabrielle de la Porte n'a jamais manifesté le moindre sentiment d'affection envers sa belle-fille et elle lui a interdit de compromettre son nom sur les couvertures de ses livres : « Vous ne le ferez pas sous notre nom, ma fille ? », Aurore lui répond : « N'ayez crainte, ma mère »[180].
En 1829, elle fait ses premiers essais littéraires avec successivement : Voyage chez Mr. Blaise, Voyage en Auvergne et Voyage en Espagne. Cette même année au mois d'août, elle réalise un ouvrage pour une ancienne camarade de couvent, Jane Bazouin, sous le titre de La Marraine. Au début de 1830, elle écrit Histoire du rêveur et Aimée l'année suivante. Aurore demande l'avis d'un homme de lettres à la mode, Auguste Hilarion de Kératry, qui désapprouve le livre. De rage, elle brûle l'œuvre[181].
Son premier roman, Rose et Blanche, narre l'histoire d'une comédienne et d'une religieuse avec un personnage principal au caractère déterminé. L'ouvrage projette l'amour au premier plan et le développement de l'individu au second plan. Quant aux héroïnes, leur opposition emprunte aux contradictions de l'auteure qui vient à peine de choisir entre le couvent où elle a connu une crise de mysticisme et le monde extérieur. Le roman a pour cadre les Pyrénées, où l'auteure a fait la connaissance, à Cauterets, en juillet-, d'un jeune substitut de vingt-six ans habitant Bordeaux, Aurélien de Seze. Ils se retrouvent au pays d'Albret où elle effectue plusieurs séjours à partir du mois de , dans le château de Guillery à Pompiey près de Nérac, propriété de la famille Dudevant. En marge des lieux qui servent de fond au roman Rose et Blanche, la liaison avec de Seze donne l'occasion à la jeune baronne Aurore Dudevant d'écrire le l'histoire détaillée, sur dix-huit pages grand format, de son roman d'amour avec Aurélien, intitulée : Confession de Madame Dudevant à son mari (collection Charles de Spoelberch de Lovenjoul).
Rose et Blanche est écrit de septembre à avec la participation de Jules Sandeau, amant d'Aurore. L'ouvrage est signé sous le pseudonyme de J. Sand qui évoque Jules Sandeau[182].
Toujours en 1831, la collaboration avec Sandeau donne le jour à la publication de plusieurs nouvelles : Molinara (non signée, publiée dans Le Figaro le ), Vision (non signée, publiée dans Le Figaro le )[183], La Prima Donna (signée J. Sand, dans la Revue de Paris en avril), La Fille d’Albano (signée J.S., dans La Mode du ) et Le Commissionnaire, œuvre posthume d'Alphonse Signol (publiée en septembre). Elle ébauche aussi au mois de un drame, Une conspiration en 1537.
La question du nom d'emprunt se pose avec le nouveau roman Indiana que George Sand écrit seule à Nohant au printemps 1832. La publication a lieu le . L'éditeur, pour des raisons commerciales évidentes, souhaite reprendre le pseudonyme Jules Sand, mais Jules Sandeau est d'un avis opposé. Henri de Latouche est sollicité et décide par un arrangement : le nom de Sand est préservé et un autre prénom serait attribué à Aurore. Cette dernière s'était pourtant rangée à l'avis de l'éditeur mais comme elle s'en explique[184] :
« Le nom que je devais mettre sur des couvertures imprimées ne me préoccupa guère. En tout état de choses, j'avais résolu de garder l'anonyme. Un premier ouvrage fut ébauché par moi, refait en entier ensuite par Jules Sandeau, à qui Delatouche fit le nom de Jules Sand. Cet ouvrage amena un autre éditeur qui demanda un autre roman sous le même pseudonyme. J'avais écrit Indiana à Nohant, je voulus le donner sous le pseudonyme demandé ; mais Jules Sandeau, par modestie, ne voulut pas accepter la paternité d'un livre auquel il était complètement étranger. Cela ne faisait pas le compte de l'éditeur. Le nom est tout pour la vente, et le petit pseudonyme s'était bien écoulé, on tenait essentiellement à le conserver. Delatouche, consulté, trancha la question par un compromis : Sand resterait intact et je prendrais un autre prénom qui ne servirait qu'à moi. Je pris vite et sans chercher celui de George qui me paraissait synonyme de Berrichon. Jules et George, inconnus au public, passeraient pour frères ou cousins. »
De la carrière littéraire de George Sand, quatre périodes sont à distinguer :
Ainsi Gustave Kahn[187] écrit-il : « George Sand, ce grand lac tranquille où se mirèrent tant de reflets, traduisit les idées de Pierre Leroux ; l’intention du roman social et du roman socialiste exista chez elle, après qu’elle eut terminé sa série de romans féministes. ».
Chez les romantiques, au moment où Sand commence à écrire, « la vision de la femme [...] est avant tout essentialiste : la femme est fondamentalement différente de l'homme, parce que la nature lui a donné un autre rôle, une autre fonction »[189]. Indiana va à l'encontre de cette manière de voir. À travers son personnage principal, l'auteure dénonce la place réservée à la femme dans le couple bourgeois. Elle s'affirme comme la voix d’un féminisme moderne pour lequel elle ne cesse de combattre. Le roman obtient un succès immédiat.
Le est publié Lélia, une œuvre lyrique, allégorique et très originale, mais qui déchaîne les passions et par voie de conséquence, bouleverse l'existence de George Sand jusque-là si discrète. Elle est sollicitée, courtisée, enviée ou observée avec curiosité et devient un écrivain à la mode[190]. Dans ce roman, George Sand transpose son amitié pour Marie Dorval qui sert à élaborer le personnage de Pulchérie.
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En 1844, George Sand fonde un journal local, l'Éclaireur de l'Indre, dont le premier numéro paraît le [191]. Elle publie dans ce journal plusieurs articles en 1844 et 1845, notamment la lettre d'introduction aux fondateurs le , sur les ouvriers boulangers de Paris le , la lettre d'un paysan de la Vallée Noire aux rédacteurs de l'Éclaireur écrite sous la dictée de Blaise Bonnin les 5 et , la lettre au sujet de la pétition pour l'organisation du travail le , trois articles sur la politique et le socialisme les 16, 23 et , un compte rendu de l'Histoire de dix ans de Louis Blanc le , la préface du livre de Jules Néraud : Botanique de l'enfance le suivant[192].
La liste des œuvres est présentée comme une bibliothèque numérique, avec des liens permettant de lire en ligne et de télécharger la quasi-totalité des œuvres de George Sand.
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De son vivant, George Sand fait l'objet d'attaques misogynes d'une grande virulence, caractéristiques des jugements masculins de l'époque sur les femmes qui prétendaient faire œuvre littéraire. Silvia Lorusso distingue trois types de misogynie littéraire. Le premier a une motivation sociale : la femme doit se consacrer entièrement à la sphère domestique et toute activité littéraire est pour elle une distraction coupable. Le deuxième montre une motivation morale : les romans écrits par des femmes étalent nécessairement des sentiments excessifs et des passions dangereuses contraires à la morale, puisque susceptibles de faire l'apologie de l'adultère. Le troisième s'enracine dans une conception sexiste des capacités de l'esprit des deux sexes : le génie littéraire ne peut être que mâle. L'ensemble de ces critiques misogynes tendent à confondre l'œuvre et l'auteure : Sand est accusée d'être animée par des passions excessives.
De grandes voix du XIXe siècle tinrent sur George Sand ce type de propos.
Chateaubriand lui reconnaît un génie qui « a quelque racine dans la corruption » et qui ne saurait excuser « la dépravation », « l’insulte à la rectitude de la vie » qu’on trouve dans ses ouvrages, tout ce qui en somme « blesse la morale »[193].
Charles Baudelaire, dans Mon Cœur mis à nu : « […] Elle n'a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a dans les idées morales la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues »[194]. Il ajoute, non sur l'auteur, cette fois, mais sur la femme : « Que quelques hommes aient pu s'amouracher de cette latrine, c'est bien la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle »[194]. L’idée baudelairienne d’un « style coulant » qui flatterait la bourgeoisie a aussi été mise en avant par Barbey d’Aurevilly. Dominique Laporte infirme une telle idée reçue en montrant comment Sand, dans Mont-Revêche, déploie « une écriture subversive qui travaille à mettre en cause la consécration des valeurs bourgeoises au lendemain du coup d'État du 2 décembre 1851 »[195].
Eugène Delacroix apprécie la personne mais fait peu de cas de l'auteure. Il note en 1855 que « la pauvre femme a bien besoin d'argent », ce qui explique qu’elle « écrit trop et pour de l'argent ». La dramaturge, quant à elle, est fort médiocre car elle se montre incapable de tirer parti des situations, intéressantes par ailleurs, qu'elle met en scène : « cette obstination à poursuivre un talent qui paraît lui être refusé […] la classe, bon gré, mal gré, dans un rang inférieur »[196].
Edmond de Goncourt, à propos de La Mare au diable, dans le diariste, en , voit la preuve irréfutable que « les femmes ont le génie du faux »[197]. Le , dans un accès de misogynie, il écrit : « […] Si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand, Mme Viardot, etc… on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parents de nos verges »[198].
Dans Une Chambre à soi, l'auteure Virginia Woolf la cite au côté de George Eliot, comme un exemple regrettable de ces femmes auteures, prisonnières des conventions sociales, qui firent le choix d’adopter un nom de plume masculin [199].
En 1902, Charles Maurras consacre son ouvrage Les Amants de Venise, à la relation que George Sand entretient avec Alfred de Musset. Analysant avec bienveillance les affres de leur passion, il décèle dans son issue tragique, la preuve des dérèglements du romantisme qui ne recherche l'amour que pour ses transports. Pour Maurras, les âmes éduquées par la société et élevées par la religion ne doivent s'adonner à l'amour qu'à des fins supérieures[200].
Il n'est pas exceptionnel, au XIXe siècle, qu'une femme écrivain prenne un pseudonyme masculin pour écrire, les femmes auteures étant méprisées[201]. En revanche, George Sand est la seule écrivaine de son siècle dont les critiques parlaient au masculin et qui était classée non pas parmi les « femmes auteurs », mais parmi les « auteurs », au même rang que Balzac ou Hugo.
De même, George Sand n'était pas la seule femme de son époque à s'habiller en homme afin de forcer les limites imposées aux femmes et d'accéder à des lieux interdits - fosses de théâtre, bibliothèques restreintes, procès publics, etc.[201]. Elle dut pour cela obtenir une permission de travestissement[202]. D'ailleurs, George Sand, dans son autobiographie Histoire de ma vie, explique que ce fut d'abord pour des raisons pécuniaires qu'elle se mit à s'habiller en homme, ayant de très faibles moyens à son arrivée à Paris (son mari avait gardé l'autorité sur sa fortune et sa propriété de Nohant). Les frais d'habillement étant moindres pour les hommes que pour les femmes, il lui fut plus économique d'avoir quelques habits d'homme[201]. Cependant, ces travestissements n'étaient pas du tout une habitude quotidienne et elle tenait beaucoup à conserver une féminité pour plaire aux hommes. De plus, son costume masculin ne dissimulait pas sa féminité : la veste était cintrée et moulait son buste et ses hanches. Son allure filiforme évoquait le raffinement d'un dandy. Son gilet blanc, sa lavallière soigneusement nouée, sa canne, ses bottes vernies, son haut-de-forme luisant, la confondaient par l'apparence avec les hommes des milieux d'artistes et d'intellectuels qu'elle aimait à fréquenter[203].
S'il n'était pas exceptionnel qu'une femme se déguise en homme pour forcer les portes, la liberté d'esprit et de mœurs, la farouche indépendance, le refus total de l'idéal féminin imposé par les hommes de l'époque, le rejet du mariage (elle mariera toutefois sa fille Solange, son fils Maurice, ainsi qu'Augustine Marie Brault — Mme Charles de Bertholdi — une petite-cousine qu'elle a recueillie en 1845), la force inaltérable de sa volonté, toutes ces caractéristiques de Sand, tenaient, elles, de l'exceptionnel et révélait une personnalité hors du commun. Elle provoqua également le scandale par ses positions anticléricales, par sa demande en séparation de corps d'avec son mari, l'avocat Casimir Dudevant, ou en fumant en public cigarettes et cigares[204].
Apparaissant aujourd'hui comme « la bonne dame de Nohant », douce et sans danger, ce n'était pas le cas à son époque ou elle faisait scandale et peur. Le scandale concernait d'ailleurs moins ses attitudes que ses écrits : ses trois premiers romans, Indiana, Valentine et « l'abominable Lélia », comme l'appelait le critique Jules Janin dans son feuilleton du Journal des Débats, sont trois brûlots contre le mariage, dans lequel le mari est trompé, l'amant apparaît comme un lâche, et la femme magnifiée par sa révolte contre les conventions sociales et le pouvoir masculin. Engagés pour la « réhabilitation de la femme », ainsi que George Sand le formulait, ses romans s'ouvrent ensuite à la révolte sociale en faveur des ouvriers et des pauvres (Le Compagnon du Tour de France), à la révolte politique contre la royauté et pour la République.
Des aspects de l'œuvre de George Sand ou de son caractère sont cependant à nuancer. George Sand est désenchantée par son déplacement en Espagne en 1838, tant par l'accueil de ses habitants que par les conditions matérielles[205]. Dans son récit Un hiver à Majorque, la romancière manifeste son incompréhension par une description négative. Elle se livre à une charge en règle et peu objective contre les Majorquins, donnant ainsi à voir une forme d'intolérance[205], penchant qu'elle prétend pourtant combattre. Une posture qui élève une vague de protestations en Espagne, notamment celle de José María Quadrado[206] ou plus récemment, de l'auteur Llorenç Villalonga[207]. Des journalistes soulignent également ce fait, comme Jules-Hippolyte Percher et Joséphine de Brinckmann[208].
D'autre part, George Sand « a dû contracter auprès de Chopin une part de l'antisémitisme que ce dernier a rapporté de Pologne »[209], comme elle l'exprime dans sa correspondance[210] et son ouvrage, Un hiver à Majorque, au moment de sa relation amoureuse avec le musicien.
La base documentaire et des recherches de George Sand pour l'élaboration de cette œuvre sont empruntées à la Bibliothèque nationale, notamment les écrits de Joseph Tastu[211].
Madame Dupin de Francueil transmet à sa petite-fille Aurore les idées philosophiques du siècle des Lumières et « la met en garde contre les dogmes et les superstitions […] Aurore fit sa première communion après une rapide instruction religieuse. Toutefois, en dépit de cette atmosphère peu propice aux convictions religieuses, l’enfant s’était créé une divinité, Corambé, tantôt homme, tantôt femme, qui tenait le milieu entre le christianisme et les dieux de l’Iliade et de l'Odyssée […] Au contact des réalités de l’existence, les convictions religieuses acquises au couvent des Augustines anglaises à la suite d’une expérience mystique vont s’effriter progressivement »[212]. Les sentiments de George Sand à l'égard de la religion transparaissent sans détour, dans l'une de ses correspondances[213] :
« Nohant, le 13 novembre 1844. À M. …, curé de …[214] »
« Monsieur le desservant. Malgré tout ce que votre circulaire a d'éloquent et d'habile, malgré tout ce que la lettre dont vous m'honorez a de flatteur dans l'expression, je vous répondrai franchement, ainsi qu'on peut répondre à un homme d'esprit.
Je ne refuserais pas de m'associer à une œuvre de charité, me fût-elle indiquée par le ministère ecclésiastique. Je puis avoir beaucoup d'estime et d'affection personnelle pour des membres du clergé, et je ne fais point de guerre systématique au corps dont vous faites partie. Mais tout ce qui tendra à la réédification du culte catholique trouvera en moi un adversaire, fort paisible à la vérité (à cause du peu de vigueur de mon caractère et du peu de poids de mon opinion), mais inébranlable dans sa conduite personnelle. Depuis que l'esprit de liberté a été étouffé dans l'Église, depuis qu'il n'y a plus, dans la doctrine catholique, ni discussions, ni conciles, ni progrès, ni lumières, je regarde la doctrine catholique comme une lettre morte, qui s'est placée comme un frein politique au-dessous des trônes et au-dessus des peuples. C'est à mes yeux un voile mensonger sur la parole du Christ, une fausse interprétation des sublimes Évangiles, et un obstacle insurmontable à la sainte égalité que Dieu promet, que Dieu accordera aux hommes sur la terre comme au ciel.
Je n'en dirai pas davantage ; je n'ai pas l'orgueil de vouloir engager une controverse avec vous, et, par cela même, je crains peu d'embarrasser et de troubler votre foi. Je vous dois compte du motif de mon refus, et je désire que vous ne l'imputiez à aucun autre sentiment que ma conviction.
Le jour où vous prêcherez purement et simplement l'Évangile de saint Jean et la doctrine de saint Jean Chrysostome, sans faux commentaire et sans concession aux puissances de ce monde, j'irai à vos sermons, monsieur le curé, et je mettrai mon offrande dans le tronc de votre église ; mais je ne le désire pas pour vous : ce jour-là, vous serez interdit par votre évêque et les portes de votre temple seront fermées.
Agréez, monsieur le curé, toutes mes excuses pour ma franchise, que vous avez provoquée, et l'expression particulière de ma haute considération. George Sand »
Selon Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS, « George Sand exprime dans sa correspondance comme dans son œuvre un antisémitisme qui lui semble naturel[215] ».
Ainsi, dans une lettre datée du et adressée à Charlotte de Folleville, épouse de Manuel Marliani, George Sand raconte son séjour en Espagne « où Chopin a été bien soigné […] mais toujours persécuté et contristé par la bêtise, la juiverie et la grossière mauvaise foi de l'Espagnol »[216]. Dans cette même lettre, elle met en garde sa correspondante contre le baron Ferdinand d'Eckstein : « Soyez prudente, c'est un espion. Savant et philosophe autant qu'on voudra, mais juif, et saluant trop bas »[216].
En 1848, dans une lettre adressée à son oncle René Vallet de Villeneuve, George Sand affirme que « la France est entre les mains juives, et si Jésus revenait, ces gens-là le remettraient en croix »[217].
En 1857, dans une lettre adressée à son ami Victor Borie, George Sand caractérise le juif « par sa dureté de cœur pour quiconque n'est pas de sa race » et qui est « en train de devenir le roi du monde », tout en pronostiquant : « dans cinquante ans, la France sera juive. Certains docteurs israélites le prêchent déjà »[217].
Dans le reste de son œuvre, le thème du Juif honni est récurrent.
Dans Lélia, roman de 1833, on trouve : « Il naquit riche, mais riche comme un prince, comme un favori, comme un juif. Ses parents s’étaient enrichis par l’abjection du vice[218]. »
Dans Les Mississippiens (1840), proverbe en trois actes de George Sand, le personnage juif de Samuel Bourset dont le patronyme transparent fait référence à la Bourse, vend sa fille Louise au plus offrant. Selon Chantal Meyer-Plantureux, professeure à l'université Caen-Normandie : « le juif de George Sand est un traître et qui plus est un juif qui ruine la France » et « qui préfigure tous les banquiers véreux »[219]. En effet George Sand fait dire à Julie, la femme de Samuel Bourset : « Je vous ai aidé jusqu’ici dans vos projets de fortune – dit-elle à son mari – ; j’ai partagé vos richesses et votre enivrement. J’ai même été vaine, ambitieuse, et j’en rougis ; mais vous aviez ennobli ce vice à mes yeux en me faisant croire que nous accomplissions une grande œuvre, que notre luxe faisait prospérer la France, et que nous étions au nombre de ses bienfaiteurs. Si je restais votre dupe un jour de plus, je serais forcée de me regarder comme votre complice, car je sais que nous ne sommes plus que des spoliateurs […]. Vous reprendrez tous les diamants que vous m’avez donnés ; je ne veux plus rien qui me rappelle que ces misérables jouets ont ruiné plus de cent familles[220]. »
En 1861, dans le roman Valvèdre, George Sand fait dire à l'un des personnages : « Le juif a instinctivement besoin de manger un morceau de notre cœur, lui qui a tant de motifs pour nous haïr »[210].
Dans ses Lettres d’un voyageur de 1836, elle écrit : « Un agioteur juif aura beau imiter scrupuleusement l’élégance d’un dandy, on ne le confondra jamais avec le plus simplement vêtu des descendants d’une antique famille[221]. »
En 1842, George Sand publie Un hiver à Majorque, décrivant son séjour avec Chopin. Elle y estime que les juifs s'emparent de la richesse de l'île : dans vingt ans, ils « pourront s'y constituer à l'état de puissance comme ils l'ont fait chez nous[222]. »
George Sand, républicaine et socialiste en 1848, rejoint en 1871 les écrivains qui condamnent la Commune de Paris, comme Gustave Flaubert, Edmond de Goncourt, Théophile Gautier, Maxime Du Camp, Charles Marie René Leconte de Lisle, Alexandre Dumas fils, Ernest Renan, Alphonse Daudet, Ernest Feydeau, Émile Zola. Pour eux ce mouvement est source de désordre : « La secousse brutale que constitua la Commune pour la société bourgeoise du XIXe siècle, si bien incarnée par Thiers, ne pouvait en effet manquer d'amener les gens de lettres à réagir, à la fois en tant qu'individus appartenant à une classe sociale donnée, quoiqu'ils s'en défendent, et en tant qu'artistes, dont la conception de l'art est liée à un certain état social, à certaines valeurs remises en question par le mouvement révolutionnaire »[223].
George Sand manifeste une forte hostilité au mouvement de la Commune de Paris[224]. Elle apprend également que son appartement a été endommagé par l'explosion de la poudrière du Luxembourg[note 10]. Elle se démarque de Victor Hugo qui prend la défense des insurgés et n'hésite pas à critiquer sa prise de position. Les termes employés par George Sand sont extrêmement durs : « Tout va bien pour les Versaillais. La déroute des Fédérés est complète. On ne peut plaindre l'écrasement d'une pareille démagogie […] Les exécutions vont leur train. C'est justice et nécessité, mais que devient la civilisation ? »[227].
Le , George Sand cherche à justifier son attitude dans un article du journal Le Temps, en reprenant les arguments des conservateurs. La romancière propose comme solution l'éducation pour tous, afin d'éviter les dérives révolutionnaires.
Mais la virulence des propos exprimés par les écrivains de l'époque, surprend encore aujourd'hui. George Sand redoute un retour de la monarchie et ne comprend pas que la Commune puisse prendre les armes contre la République naissante, même bourgeoise. Ses convictions légalistes ne voient dans la Commune que les destructions, les incendies et les exécutions des otages. Son soutien à Thiers et à la République conservatrice resteront incompris. C'est aussi le fossé qui se creuse entre Paris et la Province, entre les grandes cités et le monde rural. L'échec de la Révolution de 1848, les désillusions, le poids des années et la perte de la foi politique entraîneront George Sand vers un repli sur elle-même.
Georges Le Rider, historien et administrateur général de la Bibliothèque nationale de France, résume bien les différentes approches que l'on peut avoir de l'écrivain[228] :
« Le fait même qu'on porte sur elle, aujourd'hui encore, des jugements contradictoires témoigne de la richesse de sa personnalité et du caractère toujours actuel des problèmes qu'elle a posés. »
Même si la science n'est à l'époque pas ouverte aux filles, dès l'enfance elle est passionnée par les sciences naturelles. Devenue adulte elle va gérer les terres de son domaine de façon scientifique, se renseignant dans les livres et les musées et s'entourant de spécialistes : médecins, botanistes, géologistes, ingénieurs, entomologistes, etc.[229].
En 1872, alors que le gouvernement d'Adolphe Thiers projette de supprimer une partie de la forêt de Fontainebleau, forêt pourtant protégé par décret impérial comme « réserve artistique », George Sand utilise la biologie, l'entomologie, la géologie, ainsi que les sciences de l'ingénieur, pour écrire un plaidoyer de douze pages demandant l'abandon du projet[230],[231]. Elle y écrit : « Si on n’y prend garde, l’arbre disparaîtra et la fin de la planète viendra par dessèchement, sans cataclysme nécessaire, par la faute de l’homme ». Elle initie ainsi les règles d'une exploitation forestière respectueuse et sauve la première réserve naturelle au monde[229].
Quatre ans plus tard, ses derniers mots seront encore pour la nature, souhaitant la laisser libre sur sa tombe, elle dit : « Verdure… Laissez verdure… »[229].
George Sand s'est nourrie de l'ouvrage de Lavater : L'art de connaître les hommes par la physionomie (1806), dans lequel l'auteur expose sa théorie de l'écriture comme geste psychologiquement expressif. De là, elle fait l'admiration des salons en décrivant une personnalité d'après son écriture.
Le précurseur en France de la graphologie, l'abbé Michon, dit de la romancière qu'elle est « très forte en graphologie intuitive »[232]. Elle se flatte, écrit-il dans sa revue graphologique, « de diagnostiquer le caractère et le tempérament de la première personne venue au seul vu de son écriture »[233]. Elle se soumet dans cette édition à un portrait psychologique de l'abbé qui en reconnaît toute la justesse.
Le , la fille de George Sand, Solange (1828-1899) écrit à Émile Aucante (1822-1909), un ami très proche de la famille Sand[240]. Malgré des relations difficiles, Solange a aimé sincèrement sa mère, comme en témoigne cette correspondance. En 1883, Solange a 55 ans et elle vit dans la maison familiale à Nohant. George Sand est morte depuis sept ans et les souvenirs sont intacts[241],[242] :
« On a beau faire, les années s'accumulent et on est saisi par l'immense vide de cette gigantesque personnalité disparue. Une morne et incommensurable tristesse emplit cette maison, ce jardin, ces prairies. Derrière chaque porte qu'on ouvre, on s'attend à la voir. Au détour de chaque allée, on se dit : Où est-elle ! Pourquoi ne vient-elle pas ! Le soir surtout, sur cette terrasse, et le long de cette avenue du pavillon, quand l'ombre se fait sous les incertaines lueurs de la lune, on se figure qu'elle va enfin apparaître, cherchant un papillon ou une fleur préférée. Attente atroce qu'on sait vaine. Alors l'effroi de cette implacable absence vous glace. Le cœur se serre d'angoisse et de regret, dans la désespérance de l'impitoyable néant où s'est englouti un être si précieux, une âme si vaste et si élevée. Être à jamais perdu, génie pour toujours disparu ! Nohant est lugubre. Nohant sans George Sand, c'est la rivière sans eau, la prairie sans soleil, la montagne sans forêt, une chose matérielle, assez laide, sans poésie, sans attrait, sans rien qui fasse endurer une souffrance incessante et cruelle. »
— Solange Dudevant épouse Clésinger.
Aurore, Amantine Lucile Dupin de Francueil, épouse le à Paris dans le 1er arrondissement ancien (8e arrondissement actuel), François dit Casimir Dudevant. C'est le fils naturel mais reconnu qu'a fait Jean-François Dudevant, chef de brigade du 14e régiment de chasseurs à cheval, colonel de cavalerie, député de Lot-et-Garonne, fait baron d'Empire en 1811, à sa servante Augustine Soulé. Il est né le 17 messidor An 3, soit le , à Pompiey et mort le à Barbaste (acte de décès no 13), village de Lot-et-Garonne. François Dudevant est élevé par l'épouse légitime, Gabrielle Louise de La Porte. De cette union avec Aurore Dupin, sont nés deux enfants :
La descendance de George Sand ne serait pas complète sans la mention de la fille naturelle et supposée de Maurice, Jean-François Arnauld Dudevant avec une domestique du château de Nohant, Marie Caillaud. Solange Dalot[254], enseignante, directrice d'école et écrivain, après de nombreuses recherches, apporte plusieurs éléments étayant cette filiation[255].
Marie Caillaud ou Cailleau[note 11], fille de Pierre Cailleau et de Jeanne Foulatier, est née le à Nohant-Vic[261]. Elle entre au service de George Sand en 1851, à l'âge de 11 ans et la romancière se charge de son éducation. Marie Caillaud devient par la suite la gouvernante de George Sand et une actrice du théâtre de Nohant. Elle meurt le à son domicile, au no 24 rue Nationale à La Châtre. Le , Marie Caillaud donne naissance à une fille naturelle, Marie-Lucie, à Nohant-Vic[262]. Marie-Lucie Caillaud épouse le à La Châtre[263], Ernest Marie Guillotin Sainte-Marie (1858-1918). Ce dernier n'est pas l'arrière petit-fils de Joseph Ignace Guillotin (1738-1814) contrairement à l'affirmation de Solange Dalot dans son ouvrage, Marie des poules : Marie Caillaud chez George Sand[264]. En effet, le célèbre docteur est mort sans enfants[265],[266].
Solange Clésinger-Sand fait une double donation à Marie-Lucie, lors du contrat de mariage en 1887 et au moment de sa succession. Marie-Lucie meurt le et a une nombreuse descendance.
Sources :
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Le , George Sand écrit à Nadar pour le féliciter des photographies qu'il a prises d'elle[268],[269] :
« Mon cher Nadar, j'ai encore besoin de deux belles épreuves retouchées de mon grand portrait de face. Je charge mon ami Maillard de vous les payer, si c'est abuser de vos dépenses comme je le crains. Mais choisissez-les-moi bien belles et remettez-les au dit Maillard. Mes enfants sont dans le ravissement de mes photographies, et ils vous remercient de les avoir faites et ils me remercient de vous les avoir fait faire. Détruisez donc l'affreuse photographie Richebourg – sur l'honneur ! »
Le daguerréotype de 1852 pris par Pierre-Ambroise Richebourg (1810-1875) ne flatte guère la romancière et elle gardait un mauvais souvenir de ses premiers contacts avec ce nouvel art. Afin de contenir la diffusion du premier portrait photographique, George Sand correspond en 1863 avec le maître en la matière Félix Tournachon dit Nadar : « Le véritable remède ne serait-il pas d'en faire une meilleure ? ».
Elle se rend au mois de mars 1864 dans l'atelier du photographe, au no 35 boulevard des Capucines à Paris. Nadar, admirateur de la femme de lettres, réalise de multiples essais dont celui où George Sand apparaît coiffée d'une perruque « Grand Siècle ». Satisfaite, elle invite son dernier compagnon, le graveur Alexandre Manceau (1817-1865) à poser également. Les séances de pose se renouvellent en 1869, puis en 1874. George Sand noue de solides liens d'amitié avec la famille Nadar comme l'attestent une trentaine de lettres[268]. La dernière photographie de l'écrivain est prise par un castelroussin, Placide Verdot (1827-1889), à Nohant, en 1875. Peu enclin au déplacement, Nadar ne s'est jamais rendu en terre berrichonne.
Le peintre et sculpteur Louis Gallait réalise en 1840 un portrait en buste de George Sand dans un bas relief ovale en terre cuite. Cette œuvre a fait l'objet d'une exposition à Uzès le dans le cadre d'une vente aux enchères. Une reproduction est publiée dans La Gazette Drouot. L'artiste a également peint un portrait de Frédéric Chopin en 1843, montré au musée de la Vie romantique à Paris du au lors de l'exposition « Frédéric Chopin, la note bleue ».
En 1905 le sculpteur François Sicard réalise une statue de George Sand qui orne le jardin du Luxembourg à Paris.
À l'occasion du bicentenaire de la naissance de George Sand, le peintre péruvien Herman Braun-Vega réalise, à la demande des Musées de Châteauroux[270], un portrait de George Sand intitulé George Sand dans l'atelier de Delacroix avec Musset, Balzac et Chopin[271], qui représente George Sand un cigare entre les doigts, posant pour Delacroix. Le tableau est exposé en 2004-2005 au Couvent des Cordeliers de Châteauroux.
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Les registres paroissiaux et d'état civil à Paris sont détruits lors de l'incendie de l'hôtel de ville, le , lors de la Commune de Paris. George Sand entreprend les démarches nécessaires afin de reconstituer, dans la mesure du possible et en fonction des documents en sa possession, l'état civil de sa famille parisienne, ainsi que ses propres actes de naissance et de mariage. A cette occasion la romancière qui se pensait née découvre que c'était en fait le . Cette date erronée a pour origine une conversion incorrecte entre le calendrier républicain et grégorien. Son fils Maurice Sand perpétue cette erreur dans l'acte de décès de sa mère le , jusqu'à l'inscription sur la tombe de George Sand.
Notaire | Période d'exercice | Étude | Adresse | Paroisse | Quartier | Ville | Notes |
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Me Charles Nicolas Denis de Villiers | au |
XXIX | rue des Boucheries au faubourg Saint-Germain 3 rue de Grenelle-Saint-Germain |
Saint-Sulpice | Saint-Germain-des-Prés | Paris | Notaire d'Aurore de Saxe, rue des Boucheries de 1780 à 1785 et 3 rue de Grenelle-Saint-Germain de 1786 à 1822. |
Me Achille Nicolas René Tourin | au |
XXIX | 3 rue de Grenelle-Saint-Germain | Saint-Sulpice | Saint-Germain-des-Prés | Paris | Aurore Dupin de Francueil et future George Sand, prend comme notaire Me Achille Nicolas René Tourin, successeur de Me Charles Nicolas Denis de Villiers, à Paris. |
AN | MC | RE | ET | Chiffres romains |
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Archives Nationales | Minutier Central | Cote du répertoire | Cote de la Minute | Étude notariale |
Date | Notaire | Acte notarié | Cote du document | Lien Archives nationales | Notes |
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Charles Nicolas Denis de Villiers | Origine de la propriété de Nohant | AN - MC - XXIX - ET- 619 | « Acquisition du domaine de Nohant par Marie-Aurore de Saxe » | Le , vente à Marie-Aurore de Saxe, veuve de Louis-Claude Dupin de Francueil, de la terre de Nohan[note 12]. Marie-Aurore de Saxe achète le domaine de Nohant pour un montant de 230 000 livres à Pierre Philippe Péarron de Serennes, ancien officier d'infanterie et gouverneur de Vierzon, cousin de la famille Dupin de Francueil. Acte déposé chez Me Charles Nicolas Denis de Villiers, notaire. | |
Charles Nicolas Denis de Villiers | Succession de Marie-Aurore de Saxe | AN - MC - RE - XXIX - 12 | « Inventaire après décès de Marie-Aurore de Saxe » | Marie-Aurore de Saxe meurt au château de Nohant, le . Le , inventaire après décès de Marie-Aurore de Saxe, veuve de Louis-Claude Dupin, receveur des finances à Metz et en Alsace, chevalier. Domicile : no 12 rue Neuve des-Mathurins à Paris. L'inventaire est déposé chez Me Charles Nicolas Denis de Villiers, notaire. Le , renonciation à bénéfice d'inventaire. Document Archives nationales, sous la cote : AN - ET - XXXII - 376. | |
Achille Nicolas René Tourin | Délivrance de legs de Marie-Aurore de Saxe (testament) | AN - MC - ET - XXIX - 879 | « Délivrance de legs de Marie-Aurore de Saxe » | Le , délivrance de legs de Marie-Aurore de Saxe par Antoinette Sophie Victoire Delaborde, établi chez Me Achille Nicolas René Tourin, notaire. Intitulé du document : Saxe (Marie-Aurore de) veuve de Louis-Claude Dupin. § Délivrance de legs de Marie-Aurore de Saxe par Antoinette Sophie Victoire Delaborde, veuve de Maurice-François-Élisabeth Dupin, demeurant rue des Mathurins, tutrice d'Armandine-Aurore-Lucile Dupin, sa fille mineure, légataire universelle de défunte Marie-Aurore de Saxe son aïeule. | |
Achille Nicolas René Tourin | Contrat de mariage entre François Dudevant et Aurore Dupin | AN - MC - ET - XXIX - 879 | « Contrat de mariage entre François Dudevant et Amantine-Lucile-Aurore Dupin » | Le , contrat de mariage entre François, baron Dudevant, et Amantine-Lucile-Aurore Dupin de Francueil, rédigé chez Me Achille Nicolas René Tourin, notaire. Intitulé du document : Contrat de mariage entre François Dudevant et Amantine-Lucile-Aurore Dupin dite George Sand. François Dudevant est licencié en droit, ancien officier au 10e régiment d'infanterie, demeurant no 1 rue du Hazard, fils du baron Jean-François Dudevant, ancien colonel de Cavalerie, ancien député, chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, officier de l'Ordre royal de la Légion d'honneur. Aurore Dupin épouse le à Paris dans le 1er arrondissement ancien (8e arrondissement actuel), François Dudevant (né le à Pompiey et mort le à Barbaste, village de Lot-et-Garonne). Le mariage religieux est célébré à l'église Saint-Louis-d'Antin à Paris. Le contrat de mariage est numérisé par les Archives nationales : « accès en ligne vers le document notarié ». | |
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Les agendas de George Sand contenant les détails de sa vie quotidienne sont rédigés par Alexandre Manceau pendant 13 ans, puis par la romancière. La numérotation des volumes présentée dans ce chapitre tient compte de l'agenda complémentaire comportant trois parties et daté des années 1858, 1859 et 1860. Son journal intime commence le et se termine à la date du . Le lendemain, , George Sand est prise de violentes douleurs abdominales. Elle meurt le jeudi , à Nohant (voir le chapitre : Les dernières années).
Les textes sont transcrits et annotés par Anne Chevereau dans cinq volumes, accompagnés d'un sixième, avec l'index des patronymes :
Les ouvrages de George Sand sont dans le chapitre : Œuvres. L'autobiographie de la romancière, Histoire de ma vie, est à la fin de ce chapitre. Classement par ordre alphabétique pour les auteurs et en ordre décroissant pour l'année de parution des livres.
Institution | Lien internet | Description |
---|---|---|
Ministère de la Culture | « Biographie de George Sand » | L'histoire de George Sand avec sa famille, son entourage, les amours, les lieux, l'écrivain, l'artiste romantique, les combats, les théâtres, la musique. |
Ministère de la Culture | « Base de données George Sand » | Documents, images, photographies, en provenance de plusieurs sites tant du ministère de la culture que de bases partenaires. |
Bibliothèque nationale de France | « George Sand (1804-1876) » | Data.bnf.fr est le catalogue numérique de la Bibliothèque nationale de France. Il regroupe les œuvres et les thèmes d'un auteur et permet d'accéder à une sélection de références bibliographiques et de liens à des documents. |
Bibliothèque nationale de France | « Œuvres de George Sand » | Cette bibliographie recense 1 478 documents sur George Sand en tant que : auteur, préfacier, compositeur, dessinateur… Parmi ces ouvrages en ligne, figurent les correspondances et biographies. |
Bibliothèque nationale de France | « George Sand sur Gallica » | Base de données George Sand : romans, œuvres, biographies, journal intime de George Sand… À consulter sur le site de la bibliothèque numérique Gallica. |
Calames | « George Sand sur Calames » | Catalogue en ligne des archives et des manuscrits de l'enseignement supérieur sur George Sand. |
Centre des monuments nationaux | « Maison de George Sand » | Visite de la maison de George Sand grâce au site photographique Regards, des monuments nationaux. Possibilité de recherches à travers plusieurs thèmes concernant George Sand. |
Internet Archive | « Base de données George Sand » | Bibliothèque numérique d'Internet Archive digital library à l'Université de Toronto, se rapportant aux ouvrages de George Sand et aux différentes biographies qui lui sont consacrées. |
Open Library | « George Sand sur Open Library » | Open Library est un projet de l'Internet Archive et a pour mission de répertorier tous les ouvrages publiés dans une base de données. |
Bibliothèque Électronique du Québec | « Œuvres de George Sand » | Bibliothèque numérique des œuvres de George Sand : romans, contes, récits, nouvelles, pièces de théâtre et textes autobiographiques. |
Projet Gutenberg | « Base de données George Sand » | Le projet Gutenberg offre une collection d'ouvrages de George Sand et de biographies consacrées à la romancière, à télécharger. |
Réunion des musées nationaux | « Dupin Aurore dite George Sand » | Un album photographique et d'images, dédié à George Sand à partir d'une sélection de thèmes, de parcours, pour découvrir la romancière. |
Portail Joconde | « Musée George Sand » | Le musée George Sand à La Châtre, reverse une partie de ses collections sur la base nationale des musées de France, Joconde. |
Musée de La Châtre | « Musée George Sand et de la Vallée Noire » | Collections du musée de La Châtre. George Sand à travers son œuvre, ses souvenirs, des éditions originales, lettres autographes, manuscrits, photographies, portraits. |
Portail Persée | « Index des publications » | Index des recherches, publications, comptes-rendus, articles, concernant George Sand sur le site de Persée. Portail en libre accès de revues scientifiques. |
Assemblée nationale | « George Sand à l'Assemblée nationale » | Chronologie de l'écrivain avec les repères biographiques. |
Assemblée nationale | « 2004, année George Sand » | Document pdf, publié lors du bicentenaire de la naissance de George Sand. |
Sénat | « Colloque, Femmes et pouvoirs » | Colloque sur le thème des « femmes et pouvoirs » au cours du XIXe et XXe siècles. Conférencière : Martine Reid, professeur(e) de langue et littérature françaises. |
Institut national d'histoire de l'art | « Lettres d'Eugène Delacroix à George Sand » | 85 lettres autographes, signées par Eugène Delacroix et adressées à George Sand de 1837 à 1863, précédées d'une lettre d'Aurore Lauth-Sand authentifiant la correspondance. |
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