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4e élection présidentielle française de la Ve République De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L'élection présidentielle française de 1974 est la quatrième élection présidentielle sous la Ve République et la troisième au suffrage universel direct. Elle se tient les 5 et . Il s'agit d’un scrutin anticipé faisant suite à la mort du président Georges Pompidou le mois précédent.
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Élection présidentielle française de 1974 | ||||||||||||||
(1er tour) (2d tour) |
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Débat(s) | (2e tour) | |||||||||||||
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Corps électoral et résultats | ||||||||||||||
Population | 52 647 616 | |||||||||||||
Inscrits au 1er tour | 30 602 953 | |||||||||||||
Votants au 1er tour | 25 775 743 | |||||||||||||
84,23 % 6,6 | ||||||||||||||
Votes exprimés au 1er tour | 25 538 636 | |||||||||||||
Blancs et nuls au 1er tour | 237 107 | |||||||||||||
Inscrits au 2d tour | 30 600 775 | |||||||||||||
Votants au 2d tour | 26 724 595 | |||||||||||||
87,33 % 18,5 | ||||||||||||||
Votes exprimés au 2d tour | 26 367 807 | |||||||||||||
Blancs et nuls au 2d tour | 356 788 | |||||||||||||
Valéry Giscard d'Estaing – FNRI | ||||||||||||||
Voix au 1er tour | 8 326 774 | |||||||||||||
32,60 % | ||||||||||||||
Voix au 2e tour | 13 396 203 | |||||||||||||
50,81 % | ||||||||||||||
François Mitterrand – PS | ||||||||||||||
Voix au 1er tour | 11 044 373 | |||||||||||||
43,25 % | ||||||||||||||
Voix au 2e tour | 12 971 604 | |||||||||||||
49,19 % | ||||||||||||||
Jacques Chaban-Delmas – UDR | ||||||||||||||
Voix au 1er tour | 3 857 728 | |||||||||||||
15,11 % | ||||||||||||||
Résultats du premier tour par département et région | ||||||||||||||
Résultats du second tour par département et région | ||||||||||||||
Président de la République française | ||||||||||||||
Par intérim | Élu | |||||||||||||
Alain Poher CD |
Valéry Giscard d'Estaing FNRI | |||||||||||||
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Le premier tour est marqué par l'opposition entre l'ancien Premier ministre gaulliste Jacques Chaban-Delmas, le ministre des Finances, Valéry Giscard d'Estaing, et le premier secrétaire du Parti socialiste et candidat de l'union de la gauche, François Mitterrand.
Au second tour, Valéry Giscard d'Estaing l'emporte avec 50,81 % des suffrages exprimés (425 000 voix d'avance) face à François Mitterrand. Cette élection présidentielle est, à ce jour, la plus serrée de l'histoire de la Ve République.
À la suite des événements de Mai 68, la France connaît de profondes mutations politiques. En raison d'une majorité absolue de « non » avec 52,4 % des votes exprimés au référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation, Charles de Gaulle démissionne de la présidence de la République le , comme il avait annoncé qu’il le ferait en cas de refus de son projet.
Lors de l'élection présidentielle anticipée de 1969, l'ancien Premier ministre gaulliste Georges Pompidou est élu au second tour face au centriste Alain Poher, président du Sénat et président de la République par intérim.
Dans sa déclaration de politique générale prononcée le , le nouveau chef du gouvernement, Jacques Chaban-Delmas, présente son propre projet d'inspiration centriste de « nouvelle société ». En 1972, il doit démissionner en raison de désaccords politiques avec le chef de l’État et une partie de la majorité, plus conservatrice que lui. Il est remplacé par Pierre Messmer. À gauche, le Parti communiste français, le Parti socialiste et le Mouvement des radicaux de gauche concluent en 1972 une alliance électorale fondée sur un programme commun de gouvernement.
Survenant le , le décès du président Georges Pompidou, malade depuis plusieurs années, entraîne l'organisation d’une nouvelle élection présidentielle anticipée.
Conformément à l'article 6 de la Constitution, le président de la République française est élu pour un mandat de sept ans[1]. Si aucun candidat ne recueille la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour de scrutin, un second tour a lieu quatorze jours plus tard : seuls peuvent alors se présenter les deux candidats arrivés en tête au premier tour ou après un éventuel retrait de candidats mieux placés. Les dates du scrutin sont fixées en Conseil des ministres et publiées au Journal officiel[2]. Le scrutin est fixé pour le (premier tour) et le (second tour).
Chaque candidat doit satisfaire plusieurs conditions :
La Constitution prévoit que[1] :
Le Conseil constitutionnel est, selon l'article 58 de la Constitution, garant de la régularité de l'élection, de l'examen des réclamations et de la proclamation des résultats.
Jacques Chaban-Delmas, député et maire de Bordeaux, est âgé de 59 ans. Président de l'Assemblée nationale de 1958 à 1969 puis Premier ministre de Georges Pompidou de 1969 à 1972, il peut incarner une fidélité au gaullisme qui ne se résout pas au passéisme – il reprend sous forme de slogan de campagne le thème qui avait déjà été le fil directeur de son passage à Matignon : la « Nouvelle société ».
Le 4 avril, deux jours à peine après le décès du président Pompidou, le jour même de l'inhumation, Jacques Chaban-Delmas déclare sa candidature. La dépêche de l'AFP tombe sur les téléscripteurs à 16 h 9, pendant qu'on prononce à l'Assemblée l'éloge funèbre du défunt. Valéry Giscard d'Estaing ne manque pas d'exploiter à son profit cette maladroite précipitation[3].
Le fait est que Chaban-Delmas a de bonnes raisons de vouloir aller vite. Même si ses entreprises pour rassembler derrière lui le parti gaulliste ont porté leurs fruits les mois précédents (son proche Roger Frey a obtenu la présidence du groupe parlementaire, et il a pu pousser Alexandre Sanguinetti, un gaulliste « historique » critique envers le Président Pompidou, au secrétariat général du parti), il sait que d'autres ambitions peuvent le concurrencer au sein du mouvement gaulliste. Et c'est en effet la cacophonie dans ce camp : Christian Fouchet, au nom de la fidélité absolue à de Gaulle, a été le premier à se lancer dès le 3 avril[4], alors que, le [5], c'est l'inconstant Edgar Faure qui fait aussi connaître son intention de concourir. Mais la candidature la plus préjudiciable à Jacques Chaban-Delmas serait celle du Premier ministre en poste, Pierre Messmer, au nom de l'héritage du Président défunt, avec la légitimité que peut lui conférer sa fonction.
Or un groupe « pompidolien » mené par le ministre de l'Intérieur Jacques Chirac et deux conseillers du président Pompidou, Marie-France Garaud et Pierre Juillet, pousse en ce sens un Pierre Messmer conscient de son manque de charisme et peu enclin à se lancer dans la bataille. Ce dernier annonce le 9 avril son intention de se lancer si cela permet de faire l'unité de la majorité, puis se retire le soir même après avoir constaté ne pas être suivi (sinon par Edgar Faure, qui en profite pour se retirer avec panache d'un combat mal engagé pour lui). Jacques Chaban-Delmas, qui a obtenu le 7 avril le soutien du comité central et des groupes parlementaires de l'UDR, est donc définitivement le candidat unique du parti gaulliste[6]. Il obtient également le soutien du petit Centre démocratie et progrès de Jacques Duhamel le 9 avril (un comité directeur approuve ce soutien par 35 voix contre 7 abstentions)[7]. Mais sa légitimité est minée par le trop-plein de candidatures déclarée au cours de la semaine.
Parallèlement, selon Le Monde, le patronat se divise aussi, « les personnalités les plus conservatrices » soutenant « le plus vigoureusement » Giscard d'Estaing, et « les plus progressistes » le candidat gaulliste[8].
La publication le du « Manifeste des 43 », appel de quatre ministres et 39 parlementaires UDR ou proches de l'UDR, sape encore sa candidature. Au-delà de la langue de bois du texte, une chose est claire : celui-ci ne mentionne pas le nom de Chaban-Delmas et désavoue donc la candidature que les signataires sont supposés soutenir. Jacques Chirac avait demandé à Chaban-Delmas de retirer sa candidature après avoir consulté un rapport des renseignements généraux prédisant un échec, mais les historiens sont toujours divisés sur les intentions de la manœuvre[9].
Dès lors, le cours de la campagne de Chaban se résume à une dégringolade continue dans les sondages. Les coups bas d'une partie de l'UDR n'expliquent peut-être pas tout : plusieurs commentateurs[10] attribuent aussi son échec au choix stratégique d'une campagne axée sur des thèmes sociaux, qui effarouche la droite sans mordre sur l'électorat de François Mitterrand. Son programme présidentiel est une mise au goût du jour des idées développées lors de sa présence à l'hôtel Matignon. Il prêche de tribune en tribune les bienfaits de cette nouvelle société qui verrait se réconcilier patronat et travailleurs. Son « plan de 30 mois de lutte contre la menace de crise et pour le progrès économique et social », présenté lors d'une conférence de presse le , s'appuie sur l'infléchissement du modèle de développement dans le sens d'une meilleure utilisation des ressources, la participation des partenaires sociaux aux responsabilités économiques, une politique vigoureuse des prix garantissant le pouvoir d'achat, une répartition juste de la charge fiscale ou l'amélioration des bas salaires.
Chaban organise ce qui s'avérera une maladresse tactique. Il invite André Malraux à participer à son spot de campagne officielle. Celui-ci est très malade et l'apparition de ce vieil homme au visage secoué de tics qui tient un discours prophétique inintelligible où il invoque les mânes de Jules Ferry entache l'image de Chaban-Delmas[11]. Enfin, l’affaire de sa « feuille d’impôt », dévoilée par Le Canard enchaîné en 1972, ne favorise pas le candidat gaulliste.
Valéry Giscard d'Estaing, fréquemment désigné par ses initiales, « VGE », est depuis 1962 ministre de l’Économie et des Finances (avec une interruption de trois ans, entre 1966 et 1969). Il n’en demeure pas moins, avec ses 48 ans, le plus jeune des trois candidats susceptibles de l’emporter.
À l’origine, membre d’un parti de droite de tradition orléaniste, le CNIP d’Antoine Pinay, Giscard a quitté ce mouvement en 1962 lorsque celui-ci est entré en conflit avec le président Charles de Gaulle. En 1966, il peut néanmoins manifester sa différence par rapport au gaullisme le plus orthodoxe en proclamant : « Nous sommes l’élément centriste et européen de la majorité. » Sa formation politique, la Fédération nationale des républicains indépendants, devient d'ailleurs une force incontournable de la majorité, contrebalançant le poids de l'UDR dans la majorité. Osant se distinguer encore davantage en appelant à voter « non » au référendum du 27 avril 1969 et participant ainsi à la chute de De Gaulle, il n’en est pas moins ministre de tous les gouvernements sous la présidence Pompidou.
Resté dans un silence décent pendant la période de deuil national, Giscard se lance en campagne le 8 avril. C’est de son fief provincial, la mairie de Chamalières (une petite ville de la banlieue de Clermont-Ferrand), qu’il en fait l’annonce en déclarant vouloir « regarder la France au fond des yeux »[12].
Valéry Giscard d’Estaing est dès le début de sa campagne capable de fédérer derrière son nom la quasi-totalité des non-gaullistes de droite et de centre-droit (modérés du Centre démocrate de Jean Lecanuet). Il a désormais à faire campagne dans la situation a priori malaisée de ministre sortant[13] en incarnant le renouveau sans pour autant renier l’héritage ; pour exprimer cette ambivalence, il réutilise un slogan qui avait déjà été celui de Georges Pompidou en 1969 : « Le changement dans la continuité ».
C’est le 10 avril que le Centre démocrate apporte son soutien à la candidature giscardienne, à laquelle Jean Lecanuet s’est rallié sans hésitation (un conseil politique extraordinaire approuve cette décision à 157 voix contre 84 et 7 abstentions)[14]. Du côté du minuscule Centre républicain, le parti centriste de Michel Durafour, on est également giscardien. En revanche le Centre national des indépendants et paysans d’Antoine Pinay, qui n’est plus que l’ombre de lui-même sous la direction de Camille Laurens, ne sera pas unanime à se ranger derrière son ancien membre, et adoptera une attitude variable d’un département à l’autre[15]. Il reçoit également le soutien des membres de l'UDR hostiles à la candidature de Jacques Chaban-Delmas, tout particulièrement des signataires du « manifeste des 43 » menés par Jacques Chirac.
Valéry Giscard d’Estaing mène une campagne d’image extrêmement cohérente jusqu’au second tour, sans jamais infléchir sa stratégie : viser au centre. Bien caractéristique de ce positionnement est cette citation de son discours du meeting de Nantes du 1er mai : « La lutte est entre le centre et l’extrême-gauche ». Son programme est à coloration nettement sociale : priorité à l'aide aux personnes âgées, généralisation de l'assurance maladie, projet de loi sur les personnes handicapées, promotion de la femme et de la famille, association plus dynamique des travailleurs dans l'organisation de leur travail, meilleure information des cadres ou abaissement de l'âge de la retraite.
Vis-à-vis de la candidature Chaban, la tactique est de l’ignorer. Aucun positionnement ne répond à ceux de son concurrent de la majorité. Dans la dernière semaine avant le premier tour, au vu des sondages qui lui assurent avoir vaincu ce premier obstacle, Valéry Giscard d’Estaing peut s’offrir le luxe de faire allusion à sa participation passée au « gouvernement Chaban-Delmas » comme si ce nom était celui d’un honorable retraité[16].
Contre Mitterrand, il s’agit de jouer sur la différence de génération. L’idée force de la campagne, c’est qu’il s’agit d’un homme de la défunte Quatrième République[17] ; on ironise donc sur « l’homme du passé ». Le thème naturel de l’anticommunisme, que les auditoires acquis des meetings aiment à entendre, ne sera utilisé que précautionneusement : ce sont les seconds rôles qui s’en chargent, Michel Poniatowski tout particulièrement, ou davantage encore les documents de campagne anonymes[18]. Le candidat, qui doit apparaître comme un homme de rassemblement, se garde bien quant à lui de participer aux polémiques agressives.
Ce qui importe avant tout, c’est de donner aux Français l’image personnelle d’un homme de tête et de cœur. Après cinq ans aux finances, le candidat a déjà forgé une image de technicien à l’intelligence supérieure ; il s’agit de capitaliser sur celle-ci en l’infléchissant pour apparaître plus humain. Pendant la campagne, VGE joue de l’accordéon ou au football[19], et c’est dans la même logique que les enfants du candidat sont utilisés dans la construction de l’image de leur père (Jacinte, âgée de treize ans, figure sur la grande affiche de campagne aux côtés de Valéry[20]). Le candidat va aussi exploiter sa relative jeunesse : il est photographié aux commandes d’un hélicoptère, et même torse nu dans les vestiaires à l’issue de la petite démonstration footballistique. Enfin, dernier atout sur Mitterrand qu’il faut mettre en valeur, la reconnaissance internationale du candidat est mise en relief, quand bien même la politique étrangère est-elle presque absente des débats. Les photos des documents de campagne représentent le ministre-candidat aux côtés des grands de ce monde ; au meeting de Marseille du 27 avril deux phrases suffisent pour évoquer qu’il a fréquenté Richard Nixon, Léonid Brejnev, Konrad Adenauer et Willy Brandt[21].
Une fois passé le premier tour, les petits candidats de droite et du centre, Jean Royer, Jean-Marie Le Pen et Émile Muller appellent tous sans réserve leurs électeurs à se reporter sur Valéry Giscard d’Estaing. Jacques Chaban-Delmas est un peu plus prudent verbalement dans un premier temps (il « confirme son opposition résolue à la candidature » de François Mitterrand), mais le 13 mai formalise plus nettement son appel à voter pour Valéry Giscard d’Estaing[22]. On peut ajouter à ces soutiens celui désormais formalisé du CNIP et surtout celui du Parti radical « valoisien » de Jean-Jacques Servan-Schreiber qui abandonne le 14 mai sa posture attentiste et se range dans le camp giscardien (par 70 pour, 18 contre et 1 abstention[23]).
Aucune rupture de style entre les deux tours. Tout au plus le candidat de la droite met-il un peu plus en valeur le thème de la « sécurité »[24], susceptible de séduire les derniers hésitants à droite sans effrayer le centre. Il rappelle aussi qu’il ne remettra en cause ni les institutions gaulliennes de la Ve République, ni la politique de défense. Mais ce n’est pas l’essentiel ; l’objectif reste le même : convaincre les derniers électeurs hésitants qu’il est un homme d’avenir face à l’homme du passé et de proposer aux Français un « changement sans risque »[25].
Alors âgé de 58 ans, François Mitterrand, député de la Nièvre, a déjà une longue expérience politique puisqu’il a été huit fois ministre et trois fois secrétaire d’État sous la Quatrième République, et qu’il a été le candidat unique de la Gauche à l’élection présidentielle de 1965, mettant en ballottage Charles de Gaulle.
Depuis qu’il a pris le contrôle du nouveau parti socialiste au congrès d’Épinay en 1971 puis signé le Programme commun de gouvernement avec le Parti communiste français et le petit Mouvement des radicaux de gauche, il est le leader incontesté de la gauche parlementaire et sa candidature s’impose par elle-même.
Pendant les jours qui suivent le décès du Président Pompidou, François Mitterrand, fin tacticien, est injoignable. Il sait que ses relations avec le Parti communiste seront exploitées par ses adversaires et il joue de son savoir-faire politicien pour donner l’image de la plus grande indépendance. Lorsque le 4 avril, il ne peut éviter de rencontrer brièvement le premier secrétaire du Parti communiste français Georges Marchais à l’Assemblée nationale, dans le bureau de Gaston Defferre[26], il refuse fermement d’entrer en pourparlers pour organiser son plan de campagne. S’ensuit une demande écrite du leader communiste de solenniser par une déclaration commune des trois partis de gauche sa candidature, à laquelle il prend soin de ne pas répondre tout en chargeant le numéro deux du parti Pierre Mauroy de renvoyer une réponse dilatoire. Après avoir joué sur les nerfs de ses partenaires sans rien céder, François Mitterrand peut ainsi procéder au lancement de sa candidature en homme libre[27],[28],[29].
Comme pour celle de Valéry Giscard d'Estaing, c'est le 8 avril que la candidature est mise sur orbite. Un congrès extraordinaire du Parti socialiste est réuni salle de la Mutualité à Paris ; il désigne François Mitterrand comme candidat à l’unanimité des 3 748 mandats. Ce n’est que dans un second temps que les autres partis de l’Union de la gauche sont invités à soutenir cette candidature par une déclaration commune[30].
Entre-temps la direction nationale du Parti socialiste unifié a décidé la veille 7 avril, comme le préconisait Michel Rocard, de se rallier à la candidature Mitterrand et de renoncer à présenter la candidature du syndicaliste Charles Piaget (à une majorité de 48 voix contre 35 et une abstention).
Enfin plusieurs syndicats professionnels apportent dans les jours qui suivent leur soutien à la candidature de François Mitterrand : en premier lieu la CGT et la CFDT, mais également la FEN et le MODEF.
Contrairement à VGE, Mitterrand n’a donc pas d’adversaire à gérer dans son propre camp mais un partenaire, ce qui n’est pas forcément plus facile. Les relations avec le PCF semblent bonnes pendant la campagne[31]. Il est entendu que la campagne des partis reste indépendante de celle du candidat ; les deux représentants du PCF, dont François Hincker, admis en observateurs au siège de campagne, tour Montparnasse n’ont pas de bureau, ne figurent pas sur l’organigramme, et on leur demande même de garder secrète leur présence[32]. Lorsque le 16 avril Mitterrand annonce qu’en cas d’élection il choisira un Premier ministre socialiste, ses partenaires communistes se plaignent poliment de n’avoir pas été prévenus de sa déclaration, mais ne manifestent pas une excessive irritation[33].
Dans sa conférence de presse du , il présente ses propositions qui sont la reprise des mesures annoncées par le programme commun de 1972 conjuguées à certains idéaux socialistes. La mise en œuvre de ce programme particulièrement vaste serait organisée en trois temps : d'abord, un plan de six mois autour de mesures économiques et sociales (l'échelle mobile des salaires, indexation de l'épargne sur les prix, relèvement du SMIC à 1 200 francs...) ; ensuite, un plan sur dix-huit mois destiné à lutter contre les causes structurelles des inégalités et de l'inflation (retraite à soixante ans, cinquième semaine de congés payés, réduction du temps de travail, restructuration industrielle, nationalisations, maîtrise du crédit...) ; enfin, un plan de cinq ans chargé d'adapter la société à de nouveaux concepts et droits (droit de vivre, temps de vivre). François Mitterrand prend la précaution de riposter aux attaques de la majorité présidentielle sortante en affirmant le maintien de la France dans l'Alliance Atlantique tout en prévoyant une « Charte des libertés », interdisant quiconque de lui jeter la liberté au visage.
Tout comme Giscard, François Mitterrand est conscient que l’élection se jouera au centre et s’efforce donc d’attirer à lui cette frange de l’électorat. Il se réfère le moins possible au « Programme commun » qui lie les partis de l’Union de la Gauche — ou se borne à renvoyer aux « orientations » de ce programme — et, comme d’ailleurs son principal adversaire, évite la démagogie et se garde bien de formuler des promesses trop précises quant aux décisions qu’il prendrait, une fois élu.
L’équipe de François Mitterrand a fait appel à des sondeurs pour tester l’image du candidat et la perception des thèmes de campagne par l’opinion publique, et servir de base à l’élaboration de la stratégie. Pour le premier tour, conscient d’être en retard sur Giscard pour ce qui est de l’image, on choisira d’orienter tant que possible la campagne sur le terrain politique plutôt que personnel. Comme le principal adversaire est le ministre sortant de l’Économie et des Finances, on l’affaiblira en rappelant ses résultats, tout en se réfrénant des attaques contre sa personne : d’où l’importance donnée aux thèmes de la hausse des prix et des inégalités sociales.
Pour le second tour, il y a quelques inflexions : pour séduire les modérés, les problèmes sociaux sont évoqués sous la thématique de la « paix sociale » plutôt que celle des inégalités ; pour séduire les gaullistes on met en avant le thème de l’« indépendance nationale ». On se préoccupe davantage de construire une image concurrençant celle de Giscard : comme ce dernier est mis en avant l’entourage familial. Enfin on se permet un peu plus d’agressivité envers le concurrent, dont il convient de casser l’image consensuelle en le présentant comme un « homme de la droite » dans ce qu’elle a de plus rétrograde. Ont été identifiées trois catégories d’électeurs parmi lesquelles une marge de progression existe, et qui devront être séduites en priorité : les personnes âgées, les cadres, les femmes[34]. De son côté, Georges Marchais déclare le : « il n' y a pas un gouffre entre les gaullistes et la gauche. Il y en a un entre les gaullistes et les giscardiens »[35]. Le , il ajoute que le Parti communiste ne demande pas de poste clé au potentiel futur gouvernement de gauche (Intérieur, Défense, Affaires étrangères). Cette précision renvoie à la situation politique de la Libération, lorsqu'en 1945 des ministres gaullistes et communistes travaillaient ensemble[36].
Après le 5 mai, les petits candidats de la gauche et de l’écologie appellent tous les trois à soutenir François Mitterrand, en termes plus ou moins contournés mais sans ambiguïté : Arlette Laguiller déclare que « les voix de l’extrême-gauche font partie des voix de la gauche », René Dumont « choisit l’espoir en votant François Mitterrand, à titre personnel », Alain Krivine appelle à « battre la droite par tous les moyens »[37]. Sur le papier, en supposant les reports parfaits, François Mitterrand dispose donc de 47,3 % des suffrages. Si les reports se font suffisamment mal à droite, la victoire est possible. Les évolutions individuelles de gaullistes, même marginaux, sont dès lors de première importance : on note donc avec intérêt le ralliement à François Mitterrand des anciens ministres Jean-Marcel Jeanneney et Edgard Pisani ou d’anciens de la Résistance comme Jacques Debû-Bridel et Romain Gary, ou l’appel à voter blanc lancé par le mouvement de jeunesse gaulliste, l’Union des jeunes pour le progrès. Un peu déçu semble-t-il à l’issue du premier tour, François Mitterrand, dans les derniers jours, commence à croire à la possibilité d’une victoire[38].
Le maire de Tours, par ailleurs ministre des Postes et Télécommunications dans le gouvernement Messmer est âgé de 53 ans. Gaulliste convaincu sans être membre de l’UDR, il est connu des Français pour son combat inlassable contre la pornographie, un thème qui n’est pas marginal au début des années 1970 où prolifère soudain le cinéma érotique[39]. Fameux pour ses arrêtés d’interdiction des films coquins dans sa bonne ville de Tours[40], Jean Royer l’est aussi pour son passage récent au ministère du Commerce et de l’Artisanat où il est à l’origine d’une loi qui porte son nom et qui limite le développement des grandes surfaces.
C’est sur ces thèmes qu’il construit sa campagne ; il s’y ajoute celui de l’opposition catégorique à toute libéralisation de l’avortement. Avec un tel programme, il n’est pas surprenant que Jean Royer excite le sens de la formule des commentateurs : Franz-Olivier Giesbert y voit le « prophète solennel des boutiquiers et des dames de piété », le Nouvel Observateur un « Savonarole des boutiques », tandis que Libération décrit ainsi son positionnement : « Royer, c’est l’homme politique de Pierre Bellemare et de Michel Sardou, un président qui sent la frite[41] ».
Dès ses premières décisions, Jean Royer — qui cultive une image justifiée de totale rigueur morale — se distingue en ne faisant rien comme tout le monde, et ceci bien souvent parce que ces décisions sont autant d’erreurs grossières. Il commence par démissionner de son ministère (Valéry Giscard d’Estaing se garde bien d’en faire autant), estimant incompatible le statut de candidat et celui de ministre. Plus curieusement, il se refuse à toute déclaration avant le 19 avril date d’ouverture de la campagne officielle[42]. La couleur de fond choisie pour son affiche de campagne est le marron foncé, et sa photo n’y figure pas. Le candidat, qui ne supporte pas l’avion, a loué un autorail de deux voitures et effectue ses déplacements à travers la France par ce moyen de transport ; de ce fait il ne peut de toute la campagne remettre les pieds à son quartier général, qu’il a eu de surcroît la fort peu judicieuse idée de baser à Tours et non à Paris comme tous ses concurrents. Enfin si les jeunes opposants à Jean Royer font tourner par leurs pitreries sa campagne à la pantalonnade, il n’est pas pour autant aidé par sa propre épouse dont l’interview sur Europe 1 contribue à rejeter sa candidature dans le registre du comique grivois[43].
Hélas pour Jean Royer, ce qu’on va retenir de sa campagne, c’est surtout la perturbation de ses meetings par des opposants hilares, qui scandent « Royer, Pétain, même combat » et « Royer, puceau, le peuple aura ta peau »[44]. Sans service d’ordre digne de ce nom, le candidat ne peut qu’encaisser et fait l’erreur de riposter vivement aux perturbateurs (ainsi à Nice : « Vous n’avez sans doute pas grand-chose à faire de la journée, vous n’avez rien inventé »), les excitant encore davantage. Le sommet est atteint au meeting de Toulouse du 25 avril où une jeune femme se dévêt et danse une demi-heure la poitrine nue, pour le plus grand bonheur des photographes de presse et des caméras de télévision[45]. Le 27 avril à Lyon, Royer confirme ne pas retirer sa candidature mais explique qu’il renonce aux réunions publiques pour se rabattre sur la radio et la télévision et les réunions sur invitation. Son score est très décevant, le capital de sympathie dont il disposait dans les premiers sondages ayant fondu au fur et à mesure de sa désastreuse campagne : avec 3,2 % des suffrages exprimés, il n'est guère en mesure de peser sur le second tour.
La jeune Arlette Laguiller — elle a trente-quatre ans — n’est pas tout à fait inconnue du public, puisque sa formation politique Lutte ouvrière l’a promue « porte-parole » du parti aux législatives de 1973, lors desquelles elle a recueilli dans une circonscription du XVIIIe arrondissement de Paris 2,47 % des suffrages exprimés.
Lorsque décède le président Pompidou, une grève initiée au Crédit lyonnais embrase le secteur bancaire depuis le 1er février. Permanente syndicale à Force ouvrière chargée de ce secteur, Arlette Laguiller est montée en ligne, s’opposant à la CGT, et s’est de nouveau trouvée sous les projecteurs des médias ; ainsi un reportage de Paris Match la compare-t-elle le 23 mars à un autre syndicaliste fameux : « On l’appelle la Piaget des banques en révolte[46] ».
Lorsque son parti la désigne pour le représenter à la candidature à la présidentielle[47], Arlette Laguiller est donc par ses actes en totale cohérence avec son discours : l’objectif d’une candidature est avant tout d’éveiller la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière et son programme est d’abord de « donner une voix et un visage à tous ceux qui se taisent ». Si ses concurrents directs du Front communiste révolutionnaire peuvent fustiger dans Rouge son « électoralisme »[48], le pari est réussi : son résultat électoral, 2,33 % des suffrages exprimés, est des plus réjouissants pour un parti jusqu’alors peu médiatique. Sans doute, comme les études des transferts de voix le montrent (un quart des électeurs d’Arlette Laguiller déclare se reporter sur Valéry Giscard d’Estaing au second tour), une partie non négligeable de son électorat a-t-il été motivé par la sympathie pour une femme du peuple et non par ses appels à la Révolution. Néanmoins, le parti trotskiste sait construire sur ce premier socle et « Arlette » mène cinq autres candidatures consécutives qui s’échelonnent jusqu’en 2007.
La nébuleuse écologiste, qui a vécu sous la présidence Pompidou une période d’intense développement, est bien déterminée à manifester sa vitalité dans cette élection. Après avoir envisagé plusieurs candidatures, c’est finalement René Dumont, un agronome renommé retraité de soixante-dix ans, qui porte les couleurs de l’écologie.
Sa campagne iconoclaste est très remarquée[49], le candidat se distinguant par son aspect vestimentaire (un fameux pull rouge), ses déplacements à vélo, ses formules qui détonnent du discours politique traditionnel (« La voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con…[50] »). Son équipe sait inventer des « coups » médiatiques qui animent la très morne campagne officielle : le quartier général de campagne est installé sur un bateau-mouche, le candidat apporte à la télévision une pomme et un verre d’eau qu’il boit devant les téléspectateurs pour illustrer la crise écologique.
Le résultat n’est pas à la hauteur des espoirs que l’intérêt du public et des médias pour sa campagne novatrice pouvait permettre de nourrir. Le score obtenu (1,3 % des suffrages exprimés) déçoit[51].
Jean-Marie Le Pen est le président du Front national, un parti créé en 1972. Cette candidature s'inscrit dans un contexte particulier au sein de l'extrême droite française. Le Front national sort en effet avec difficulté d'une scission particulièrement violente vidant le parti d'un certain nombre de ses cadres et militants qui accusent Jean-Marie Le Pen de manœuvrer son mouvement uniquement pour servir ses ambitions personnelles.
Une fraction nationaliste-révolutionnaire menée par Alain Robert et Pascal Gauchon, et soutenue par François Brigneau (éditorialiste de Minute), se réorganise au sein du groupe Faire front (matrice du futur Parti des forces nouvelles) qui concurrence sérieusement le jeune Front national et mise sur le soutien à Valéry Giscard d’Estaing plutôt que sur une candidature Le Pen qui n'aurait aucune chance d'obtenir un résultat significatif[52].
Outre l'absence du soutien du groupe Faire front, Jean-Marie Le Pen est lourdement handicapé par la très droitière candidature de Jean Royer (qui obtient lui-même le soutien de l'avocat Jacques Isorni et de l’association Pétain-Verdun, et est le candidat des cercles catholiques traditionalistes[53]). Dans ces conditions, le candidat du Front national, qui se présente comme le seul candidat de droite[54],[55], centre sa campagne sur la lutte contre le communisme et les grèves, contre l’avortement et pour la défense des retraités. Il obtient un score dérisoire (0,75 % des suffrages exprimés, à rapporter aux 5,27 % de Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965) : pour la droite nationaliste, les années 1970 sont une période difficile sur le plan électoral.
Au centre, presque toutes les tendances se sont rapprochées de l’un ou l’autre des trois candidats principaux : le Mouvement des radicaux de gauche de Robert Fabre adhère depuis 1972 au programme commun de la gauche et soutient donc François Mitterrand ; le Centre Démocratie et Progrès de Jacques Duhamel et Joseph Fontanet soutient Jacques Chaban-Delmas ; c’est Valéry Giscard d’Estaing qui a le mieux réussi dans les appels de pieds aux centristes, puisque le Centre démocrate de Jean Lecanuet et le Centre républicain de Michel Durafour se rallient aussitôt à sa candidature, tandis que le Parti radical « valoisien », dirigé par Jean-Jacques Servan-Schreiber, le favorise en sous-main en réservant toutefois la déclaration de son soutien formel à l’après premier tour. Seul le petit Mouvement démocrate socialiste de Max Lejeune et Émile Muller fait le choix de l’autonomie. C’est donc le maire de Mulhouse, Émile Muller qui représente à ce scrutin une alternative centriste en dehors de la bipolarisation politique droite-gauche. Se prévalant du soutien de Max Lejeune, député-maire d'Abbeville et ancien ministre, il espère mobiliser en sa faveur l'électorat centriste mêlé aux socialistes qui observent avec méfiance l'alliance du Parti socialiste avec les communistes. Son programme politique reprend de vieux thèmes chers aux sociaux-démocrates tels que l'encouragement d'une déconcentration et d'une décentralisation administratives ou l'union politique et économique de l'Europe. Peu connu des Français en dehors de son bastion mulhousien, Émile Muller mène une campagne assez terne et voit sanctionnée par les urnes sa stratégie d’autonomie, qui ne reçoit l’appui que de 0,69 % des votants.
L’extrême gauche trotskyste part divisée. Outre la candidature d’Arlette Laguiller déjà évoquée plus haut, Alain Krivine, le leader du Front communiste révolutionnaire est là pour proposer une alternative révolutionnaire. Son parti a d’abord envisagé le soutien à une « candidature de luttes » du syndicaliste autogestionnaire Charles Piaget puis, celle-ci ne se concrétisant pas, fait le choix de la candidature autonome en préférant finalement Alain Krivine malgré ses origines « bourgeoises » à l’ouvrier André Fichaut. Malgré la forte notoriété acquise par sa participation aux événements de mai 1968 puis sa candidature de 1969, son échec est retentissant : 0,36 % des suffrages, deux fois moins de voix qu’à la présidentielle précédente et surtout six fois moins que l’autre candidate trotskyste Arlette Laguiller[56].
Enfin trois autres candidats — le royaliste « de gauche » Bertrand Renouvin pour la Nouvelle Action française, et les deux « fédéralistes européens » Jean-Claude Sebag (Mouvement fédéraliste européen) et Guy Héraud (Parti fédéraliste européen) — se singularisent surtout pour avoir obtenu les trois scores les plus faibles de tous les temps à une élection présidentielle française au suffrage universel, tant en nombre de voix qu’en pourcentage des exprimés[57].
Bertrand Renouvin se déclare candidat « à titre personnel », bien qu'il dirige la Nouvelle Action française depuis 1971. Son message lors de sa campagne insiste moins sur des thèmes habituels des milieux monarchistes que sur une réflexion sur l'indépendance de l'État vis-à-vis des partis et des puissances financières et la reconquête des libertés par les citoyens. Bien que n'ayant expressément sollicité aucun suffrage, il obtient 0,17 % des voix.
Le mouvement fédéraliste européen fait son apparition, mais divisé. D'un côté, l'historique Mouvement fédéraliste européen, section française de l'Union des fédéralistes européens créée en 1948 pour défendre la construction d'un État fédéral en Europe et donc renforcer l'aspect supranational de la CEE, présente son secrétaire général, l'avocat Jean-Claude Sebag, qui à 30 ans est le benjamin de l'élection, qui ne recueille que 42 007 voix (soit 0,16 % des suffrages) et arrive en avant-dernière position.
L'ancien président du Mouvement fédéraliste européen et professeur de droit public spécialisé dans la défense des minorités, cultures et langues régionales européennes, Guy Héraud, entre quant à lui dans la campagne sous l'étiquette « Parti fédéraliste européen ». Mêlant fédéralisme européen et régionalisme, la construction d'une Europe fédérale doit, pour lui, permettre le délitement de l'échelon national et donc l'émancipation et une forte autonomie des régions. Il arrive en dernière position avec 19 255 bulletins, soit 0,08 % des voix, ce qui constitue à ce jour le score le plus bas jamais obtenu par un candidat à une élection présidentielle sous la Cinquième République[58].
À ces douze candidats on doit ajouter un certain nombre de personnalités qui ont manifesté leur intention de concourir mais n’ont soit pas rempli les conditions juridiques exigées des candidats, soit manifesté leur intention dans le seul but de recueillir des « signatures » destinées à d'autre candidats ou possibles candidats. Il s'agit de[59][source insuffisante] :
Nom | Commentaire |
---|---|
Robert-Élie Azoulay | Président du parti libéral français |
Stéphane Baumont | Secrétaire général du comité pour le développement du sport scolaire et universitaire |
Louis Belmonte | Chef d’entreprise à Toulouse - Maire de Tignac 09 |
Jean-François Besson | Directeur de société |
Marie Bonnafous | « féministe et pacifiste » |
Jean-Marc Bourquin | Militant LCR à Saint-Denis (93) |
Alain Bousquet | – |
Jean-Pierre Brissaud | Extrême gauche |
Jean-Paul Carteron | Avocat au Barreau de Paris[60] |
Jacques Deschanel | Restaurateur |
Léopold Elbazé | Avocat |
Michel Fayolas | Président du Comité des rentiers viagers |
Dominique Gallet | – |
Maurice Gardet | Candidat de « la joie de vivre en France » |
Gisèle Guisette | Environnementaliste |
M. Henninot | Candidat de « la classe moyenne » |
Henri Jannès | Rassemblement des usagers et contribuables |
Djellali Kamel | En soutien aux 37 travailleurs immigrés en grève de la faim rue Dulong pour exiger leur régularisation[61] |
Robert Lafont | Régionaliste occitan |
Huguette Leforestier | Féministe |
Michel Prigent | Jeune démocrate |
Georges Rico | – |
André Roustan | Président du Parti communiste révolutionnaire (marxiste-léniniste), maoïste |
Chariton Salkazanov[62] | « Ambassadeur des étoiles » |
Jean-Louis Savignet | Pour une « monarchie républicaine » |
Toussaint Védèche | Ancien maire de Laviolle, défenseur des communes rurales |
Georges Wambergue | « Pacifiste et visionnaire » |
Comme dit plus haut, le camp gaulliste n’est pas uni derrière Jacques Chaban-Delmas. Un groupe mené par Jacques Chirac, Pierre Juillet et Marie-France Garaud conspire pour torpiller sa candidature[63].
Certains commentateurs, en premier lieu, attribuent des intentions malveillantes au ministre de l’Intérieur Jacques Chirac dans son choix des dates du scrutin. Alors que la législation électorale lui laissait le choix entre deux dates, il a proposé au conseil des ministres la plus tardive ; peut-être parce qu’il pense qu’une campagne longue est plus à même de voir s’effondrer les intentions de vote pour Chaban.
En revanche, il ne fait guère de doute que les pressions de ce groupe ont concouru à l’épisode Messmer du 9 avril 1974. Poussé par ses amis à assurer une relève pompidolienne, Pierre Messmer annonce dans la matinée[64] l’éventualité de sa candidature dans des termes soigneusement pesés :
« Devant la situation provoquée par plusieurs candidatures de la majorité de Georges Pompidou, en raison du risque que cela fait courir à la France, je me suis résolu à me présenter aux suffrages des Français si ces candidats se retirent. Je le leur demande »
Edgar Faure, qui a compris dès les premiers sondages qu’il va dans le mur, profite de l’occasion pour retirer sa candidature à 11 h 30 ; Christian Fouchet fait savoir à 12 h 45 qu’il maintient la sienne.
La balle est alors dans le camp des deux principaux candidats. Jacques Chaban-Delmas rend visite au Premier ministre à l’hôtel Matignon vers quinze heures. L’entretien ne dure que trois minutes, le maire de Bordeaux se maintient.
Après que son rival se fut ainsi prononcé, l’occasion est alors trop belle pour VGE de se donner l’image d’un candidat d’union : à 16 h 30, son secrétariat produit un communiqué rappelant qu’il est :
« prêt à s'effacer devant le Premier ministre nommé par le président Pompidou. »
La manœuvre a réussi, le ballon d’essai Messmer n’a rien changé, si ce n’est — mais c’est essentiel — dans la perception des candidatures par l’opinion publique. Il ne reste plus au Premier ministre qu’à se retirer :
« Les conditions n'étant pas réunies, j'ai décidé de ne pas poser ma candidature à la Présidence de la République. Ma décision est irrévocable. »
Nouvelle attaque contre la candidature Chaban, le 13 avril en soirée est diffusé un appel dit « Manifeste des 43 » signé de quatre ministres (Jacques Chirac, Jean-Philippe Lecat, Jean Taittinger et Olivier Stirn), trente-trois parlementaires UDR et six parlementaires divers droite. Écrit dans un style particulièrement insipide, ce « manifeste » (qui sera publié le lendemain 14 avril, jour de Pâques, par le Journal du dimanche) rappelle les principes de la philosophie politique gaullienne et salue la démarche de rassemblement de Pierre Messmer ; les signataires concluent ainsi :
« En conséquence, ils arrêteront ensemble et en conscience une position concertée en faveur de la solution qui leur paraîtra le mieux assurer le respect de ces principes en faisant échec à toute candidature socialo-communiste, qui remettrait en cause l'avenir de la France et le bonheur des Français. »
Le nom de Chaban-Delmas n’est nulle part cité. Les observateurs de la vie politique ne s’y trompent pas : c’est un coup de poignard dans le dos[65] rédigé en termes diplomatiques, et une opération à peine camouflée de soutien à Valéry Giscard d’Estaing[66]. À Beaune, Jean-Philippe Lecat ira jusqu’à fonder et présider simultanément deux comités de soutien, l'un à Chaban et l’autre à Giscard[67].
Nouvelle manifestation du pouvoir de nuisance du ministère de l’Intérieur Jacques Chirac, France-Soir publie le 20 avril un sondage réalisé par les Renseignements Généraux qui montre VGE prendre une avance définitive sur Chaban. Une fois encore les observateurs ne s’y trompent pas : il doit y avoir du Chirac là derrière[68].
Le 21 avril, Pierre Messmer reprend la parole pour préciser son soutien à la candidature Chaban en précisant agir « par discipline ».
Alors que les États-Unis ont veillé à garder la plus stricte neutralité dans cette campagne, conscients que tout geste à l’appui ou en défaveur d’un candidat serait totalement contre-productif, l’ambassadeur d’Union soviétique à Paris, Stepan Tchervonenko, rend une visite très publique à Valéry Giscard d’Estaing le 7 mai, deux jours après le premier tour, sous le prétexte de faire avancer divers dossiers concernant la coopération économique franco-soviétique.
Une première interprétation littérale de ce geste, celle par exemple de Philip Short[69], est d’y voir un soutien implicite de l’Union soviétique au candidat de la majorité qui reste en lice pour le second tour : une fois éliminé le gaulliste Chaban-Delmas, sans doute le candidat préféré de Moscou[70], on préférera Giscard à Mitterrand, soupçonné de trop d’atlantisme[71].
Mais, réaction inattendue, le bureau politique du Parti communiste français publie dès le lendemain 8 mai un communiqué désapprouvant cette immixtion dans la campagne[72]. On peut de fait s’interroger sur les motivations réelles de Stephan Tchervonenko ; sans d’ailleurs pouvoir exclure la simple gaffe (après tout le même Stepan Tchervonenko a déjeuné avec François Mitterrand dans les premiers jours d’avril), l’hypothèse d’un geste à l’intention des communistes français plutôt que de l’opinion publique, dans une période de relatives tensions entre le PCF et le PCUS ne peut être exclue[73].
Dernier épisode le 17 mai où un fonctionnaire de second plan de l’ambassade soviétique réagit avec vivacité à des propos anticommunistes du lieutenant de VGE, Michel Poniatowski, propos qui avaient auparavant suscité une protestation du PCF. La presse couvre abondamment l’incident apparemment mineur ; il est vrai que l’ambassade s’est donné la peine de contacter téléphoniquement les rédactions pour leur souligner l’émission du communiqué. Selon la lecture des diplomates américains, il pourrait s’agir là d’une concession soviétique au mécontentement des communistes français, faite en geste d’apaisement des tensions suscitées par la visite du 7 mai[74].
Le KGB intervient lors de la campagne pour influencer celle-ci. Son directeur, Iouri Andropov, donne l'ordre à Philippe Grumbach, directeur de L'Express et l'un des principaux espions soviétiques en France, de transmettre de faux documents à Chaban-Delmas et Mitterrand afin d'incriminer Giscard d'Estaing. Le but est alors d'éviter une union de la droite et d'en faire profiter le candidat de gauche Mitterrand, allié aux communistes. L'affaire n'est révélée qu'en [75],[76].
Le , les candidats au second tour acceptent, pour la première fois en France, de débattre à la télévision, sur le modèle des débats organisés aux États-Unis. Le débat est diffusé par l'ORTF et retransmis sur France Inter, ainsi que sur une douzaine de télévisions européennes et des radios périphériques. Il est suivi par 20 à 25 millions de téléspectateurs[réf. nécessaire].
Les conditions du débat sont négociées par les équipes des candidats. Le format retenu privilégie un seul débat, d'une durée de deux heures, dans lequel les animateurs n'interviennent pas. Un tirage au sort préalable à la retransmission donne la parole en premier à Giscard d’Estaing, la conclusion revenant à François Mitterrand.
Le débat est animé par les journalistes Alain Duhamel et Jacqueline Baudrier. Le choix des sujets appartient aux candidats et les journalistes n'interviennent que pour leur rappeler leurs temps de parole.
L’émission s'oriente sur la politique du gouvernement alors que Valéry Giscard d'Estaing est ministre des Finances, ainsi que sur le programme commun de la gauche et l'intégration de ministres communistes dans le gouvernement, défendus par François Mitterrand. Valéry Giscard d'Estaing reproche à son adversaire d'être « l'homme du passé », en référence aux onze postes ministériels occupés par François Mitterrand sous la Quatrième République.
Le débat est marqué par la petite phrase de Valéry Giscard d'Estaing sur le monopole du cœur. Certains commentateurs[Lesquels ?] y voient une phrase déterminante du débat ; d'autres[Lesquels ?] remarquent que Valéry Giscard d'Estaing a mieux su réagir aux propos de son adversaire par des mimiques, qu'il attirait l'attention par des phrases courtes, lui donnant un image plus vivante et plus réactive[réf. nécessaire]. François Mitterrand analyse ce débat dans son ouvrage La Paille et le Grain.
Un sondage Sofres réalisé le lendemain enregistre une légère hausse des intentions de vote pour Valéry Giscard d’Estaing, à 51,5 %, qui reviennent à 50 % dans les jours qui suivent.
Les luttes d’influence pour contrôler les votes dans quelques territoires d’outre mer (Territoire des Afars et des Issas, Comores notamment) sont moins suivies des médias, mais les observateurs avertis — les candidats notamment, mais aussi le Président par intérim Alain Poher ou l’ambassadeur des États-Unis — savent bien que ces territoires peuvent être un enjeu essentiel dans un scrutin qui s’annonce serré.
Dans La Paille et le grain, publié en 1975, François Mitterrand pose crûment le problème : à Djibouti, Ali Aref contrôle 30 000 voix, aux Comores Ahmed Abdallah Abderamane environ 70 000[77]. S'il s'agit des allégations d’un candidat malheureux, les plus hautes autorités de l’État ont les mêmes inquiétudes : Alain Poher fait connaître en privé à plusieurs personnalités le souci que lui inspirent ces manœuvres[78].
Jacques Foccart, avec un sens certain de l’ellipse, est assez transparent à ce sujet dans son journal : « Je vois Ahmed Abdallah, assez longuement. Pour les Comores, cela va marcher » (en date du 9 avril) ; « Je vois Pascal, qui s’occupe des questions de finances dans les DOM-TOM pour le compte de Chaban » (en date du 22 avril) ; on lit aussi la relation d’un coup de téléphone reçu de VGE le 8 mai au matin, suivi l’après-midi d’un rendez-vous au sujet des TOM avec Victor Chapot, trésorier de la FNRI, Foccart concluant la narration de sa journée en spécifiant que « c’est réglé » avec Aref et Abdallah. Mitterrand, pour sa part, prétend qu’Abdallah lui a directement rapporté avoir négocié en tête-à-tête avec Giscard d'Estaing l’apport des voix sous son contrôle en échange de l’indépendance des Comores[79].
C’est dans ce contexte qu’on peut apprécier un incident à la limite du juridique et du politique. La Commission nationale de contrôle — un organisme composé de cinq magistrats, et dont le rôle est de veiller à l’impartialité de l’État dans la campagne — ayant décidé d’envoyer des observateurs outre-mer[80], il s’ensuit un conflit de compétences entre celle-ci et le Conseil constitutionnel, qui proteste contre cette initiative[81].
Hors les trois territoires très sous-développés des Comores, des Afars et des Issas et de Wallis-et-Futuna, les résultats du second tour outre-mer ne divergent pas de façon patente de ceux de métropole et que François Mitterrand l’emporte même à La Réunion et en Polynésie française.
En tout état de cause, ce ne sont pas les territoires d'outre-mer qui font la différence : même si les comportements pointés par ces quelques observateurs ont pu influer sur une centaine de milliers de voix, on est nettement en dessous de l’écart qui sépare in fine les deux candidats, et Valéry Giscard d’Estaing est également victorieux sur la seule France métropolitaine, de 350 000 voix environ.
Les observateurs notent en 1974 la pénétration des techniques issues de la publicité dans la conception des campagnes électorales[82]. Cependant, les mêmes références étaient citées en 1965, notamment pour décrire la campagne de Jean Lecanuet. On est dans une logique de progression lente du marketing politique sur un long terme et il n’y a pas de rupture nette en 1974, sauf peut-être sur quelques points précis, notamment l’irruption remarquée des sondages dans la campagne[83].
L’équipe de Valéry Giscard d’Estaing s’installe dans un immeuble de bureaux, au 41, rue de la Bienfaisance, dans le VIIIe arrondissement de Paris, non loin de l’église Saint-Augustin.
Pour sa part, François Mitterrand jette son dévolu sur un étage de la tour Montparnasse, sur la rive gauche. Ces locaux avaient initialement été réservés par Edgar Faure, qui les a libérés en renonçant le 9 avril à sa candidature.
Du côté de l’équipe giscardienne, un rôle tout particulier est en premier lieu confié au ministre de la Santé Michel Poniatowski. Hors organigramme, il est le proche lieutenant du candidat, celui qui doit être consulté sur toutes les questions importantes. Au même niveau, le numéro un de l’équipe de la rue de la Bienfaisance est Michel d’Ornano, qui en dirige la réflexion politique assisté d’une équipe rapprochée de trois collaborateurs : Jacques Dominati (par ailleurs chargé de la campagne en région parisienne), Jean-Pierre Soisson (pour la campagne en province et outre-mer) et Roger Chinaud à l’organisation générale. Pour l’assister, une « cellule idées » est animée par Christian Bonnet et Jean Serisé, tandis que Lionel Stoléru s’occupe des sondages.
Sur le plan de l’organisation matérielle, Roger Chinaud est spécifiquement chargé des réunions publiques. Trait remarquable de la campagne giscardienne, les services axés sur la communication sont confiés à des techniciens et non à des politiques : un service de relations avec la presse est dirigé par Maurice Dalinval, mais c’est surtout au niveau de la cellule de préparation des documents de propagande que VGE a fait un choix remarquable : c’est un publicitaire professionnel, Jacques Hintzy de l’agence Havas Conseil qui a la charge de ce secteur.
En revanche, la tâche très politique du service d’ordre des réunions doit revenir à un homme de confiance. C’est Hubert Bassot qui en est responsable. Cet ancien de l’Algérie française sait utiliser les services des groupes de combat de l’extrême droite. La direction effective du service d’ordre est confiée à un ancien « dur » de l’OAS, Pierre Sergent qui, selon Jacques Berne, partagerait même le bureau de Michel d’Ornano[84]. Les nervis qui veillent au grain dans les meetings se font remarquer par des violences dont la presse de gauche fait ses choux gras ; ainsi notamment dans les deux meetings bretons du : à Rennes un perturbateur doit être hospitalisé inconscient, à Brest un médecin en situation de handicap qui a pris verbalement la défense d’un perturbateur tabassé est lui-même roué de coups et jeté au sol depuis un escalier et doit être hospitalisé pour une quadruple fracture de l’avant-bras[85]. Le Figaro, qui il est vrai roule plutôt pour Chaban, écrit dans ses colonnes sous la plume de Patrice Delage : « L’extrême-droite assure la sécurité de M. Giscard d’Estaing et de ses meetings. Il fallait le dire ».
Chez François Mitterrand, André Rousselet est chargé des finances et de la coordination générale épaulé par Georges Beauchamp à la coordination et Pierre Joxe au financement, de Georges Dayan aux contacts politiques, de Louis Mermaz à l’action départementale, de Charles Hernu aux relations avec les élus, de Jacques-Antoine Gau à celles avec les parlementaires, de Paul Legatte à la documentation, de Georges Fillioud aux contacts avec la presse. L’avocat Robert Badinter représente le candidat auprès de la Commission Nationale de Contrôle. Le poste sensible de la gestion des meetings et de leur service d’ordre échoit à Joseph Franceschi. Jean-Pierre Cot et Pierre Guidoni conduisent l’analyse politique.
Pour la conception du matériel de propagande, François Mitterrand n’est pas allé aussi loin que Valéry Giscard d’Estaing et n’a pas fait appel à un professionnel du marketing politique ; toutefois il n’a pas lui non plus confié cette responsabilité à un politique, puisque c’est Claude Perdriel, le directeur général du Nouvel Observateur qui en a la tâche. Celui-ci a néanmoins à justifier ses choix auprès des « politiques » qui l’entourent et on lui laisse sans doute moins la bride libre qu’à son homologue du camp d’en face.
Les partis ne sont pas représentés en tant que tels. Toutefois Claude Estier, formellement là pour représenter le journal l'Unité, est de fait le contact auprès du Parti socialiste, tandis que deux représentants communistes (dont François Hincker) sont admis tour Montparnasse, mais sans bureau et hors organigramme.
Enfin deux autres personnalités participent activement à la campagne également hors structures. Jacques Attali d’abord, sous le pseudonyme de Simon Ther, représente personnellement le candidat dans les négociations difficiles (avec le PSU, mais aussi pour prendre des contacts secrets avec le gouvernement allemand en vue de prévenir d’éventuelles spéculations contre le franc)[86]. Enfin un ami personnel du candidat, François de Grossouvre le suit « comme une ombre » et est pour lui « tout à la fois confident, garde du corps et médecin »[87].
Il y a d’abord les slogans brefs, ceux qu’on inscrit au-dessus des tribunes, et pour Giscard sur les tee-shirts. Pour François Mitterrand, c’est « Mitterrand Président » ; pour Valéry Giscard d'Estaing, c'est « Giscard à la barre », slogan inventé, selon les sources, par Anne d'Ornano[88] ou par Jacques Hintzy et Louis de Funès[89].
Puis il y a les slogans utilisés sur les affiches officielles. Au premier tour, on raconte une anecdote instructive sur la campagne de François Mitterrand : alors que Claude Perdriel a suggéré d’utiliser la formule percutante « Changez la France avec François Mitterrand », les politiques de la campagne le lui auraient refusé pour y préférer le lourd : « La seule idée de la droite, garder le pouvoir. Mon premier projet, vous le rendre[90] ». Sur les affiches de VGE, on lit simplement : « Un vrai Président ».
Au second tour, la coïncidence des slogans sur les affiches apposées côte-à-côte est presque cocasse : « Un Président pour tous les Français » pour Mitterrand voisine avec « Le Président de tous les Français » pour Giscard.
Enfin sur le plan des « petites phrases », à long terme, c’est Giscard qui l’aura emporté, puisque deux de ses formulations restent longtemps dans la mémoire collective : le « regarder la France au fond des yeux » de sa déclaration de candidature et bien sûr le fameux « Monsieur Mitterrand, vous n'avez pas le monopole du cœur » du débat télévisé du second tour.
Pour Valéry Giscard d’Estaing, deux fleurs sont mises côte à côte pour évoquer le « changement dans la continuité » : le myosotis, symbole de fidélité, et le muguet, fleur du renouveau. Le 1er mai, c’est Johnny Hallyday qui vient, devant les objectifs des photographes, offrir le muguet traditionnel à Anne-Aymone[91]. D'autres personnalités du monde du spectacle soutiennent par ailleurs médiatiquement le candidat, notamment afin de casser son image de technocrate[92].
Du côté de François Mitterrand, pas de surprise : la rose, emblème de son parti, est aussi l’emblème de sa campagne. À la fin de chacun de ses meetings, tandis que l'Internationale retentit, le candidat prend une rose et la brandit[93].
Un « gadget » inventé par l’équipe giscardienne a laissé un souvenir durable[94] : les tee-shirts qui affichent le slogan « Giscard à la barre » et que portent ses jeunes partisans dans les meetings. Il n’y a pas que le menu fretin pour porter ces tee-shirts : Brigitte Bardot elle-même le revêt. Elle sera d’ailleurs priée par le président de son bureau de vote à Saint-Tropez d’aller se changer avant d’effectuer son devoir électoral… sous l’œil des photographes de presse[95].
À gauche, pas d’innovations aussi mémorables. On s’essaie bien à lancer des « caravanes » sur le modèle de celles qui sillonnent les plages l’été à fins publicitaires, qui parcourent entre les deux tours les départements où les experts électoraux ont décelé des réserves de voix plus abondantes. L’une visite la côte Atlantique, l’autre les villes moyennes à une centaine de kilomètres de Paris. Plus remarquable est l’utilisation dans la campagne de Mitterrand d’un mailing, initiative novatrice à l’époque : pour appeler à dons, on prospecte spécifiquement les cadres supérieurs connus des fichiers détenus par le Nouvel Observateur, que Claude Perdriel met à la disposition du candidat.
Enfin on s’efforce d’accumuler les soutiens de personnalités célèbres. Il n’y a pas que Brigitte Bardot à être sollicitée pour une campagne. Comme jamais, les deux candidats du second tour ont cherché à rassembler des signatures de soutien, parmi les écrivains et les acteurs (pour Giscard Marcel Jouhandeau et Alain Delon, pour Mitterrand Vladimir Jankélévitch ou Françoise Sagan), mais aussi parmi le show-business (Stone et Charden ou Sylvie Vartan derrière Giscard, Serge Reggiani et Dalida avec Mitterrand)[96].
Aucune information publique crédible n’est disponible sur ce sujet ; à cette époque l’essentiel du financement politique est occulte, et les quelques sources qui ont cherché à reconstituer le coût réel des campagnes obtiennent des résultats qui varient du tout au tout. Enfin à peu près rien n’est accessible au public qui permette d’analyser l’origine des recettes des candidats.
Entre les deux tours, François Mitterrand publie un compte de campagne sommaire, qui ferait apparaître un budget inférieur à 3 millions de francs[97]. Même une observatrice qui ne fait pas mystère de sa sympathie pour ce candidat, Sylvie Colliard, ne peut être dupe ; elle estime pour sa part le coût réel de la campagne du candidat de la gauche à 7 millions environ. Jacques Berne, qui a eu connaissance de cette estimation, évalue pour sa part le budget de VGE à peu près au double, soit à 15 millions de francs[98].
D’autres analystes ne voient pas le même ordre de grandeur : Jacques Gerstlé[99] estime la campagne de chacun des finalistes du second tour à 40 millions de francs ; c’est aussi l’estimation de l’hebdomadaire Valeurs actuelles[100]. Christian Garbar, qui a suivi la campagne bien plus réduite de Jean Royer a obtenu des collaborateurs de ce candidat une estimation du coût de celle-ci à 2 millions de francs (et il laisse entendre qu’il y a là aussi une certaine sous-estimation) ; on a dès lors peine à juger vraisemblables les estimations modérées de Sylvie Colliard et même de Jacques Berne[101].
La télévision n’est plus une nouveauté, et tous les candidats savent bien que le choix de l’électeur dépendra pour une bonne part de leurs prestations dans la petite lucarne. Valéry Giscard d’Estaing semble toutefois davantage avoir misé sur ce média que son adversaire : il expose à son équipe de campagne[102] ses priorités : « ce qui compte, c’est le style du candidat à la télévision ».
Si le débat du second tour est un événement marquant de la campagne, les émissions de la campagne officielle eurent aussi de l'importance[103] : tout en cultivant son image de « grosse tête », Valéry Giscard d’Estaing est le candidat qui a le mieux compris que la communication à une très large audience exige d’être simple pour être clair. Quoique parlant plus vite que François Mitterrand (115 mots à la minute contre 99) il n’utilise sur l’ensemble des émissions que 1 247 mots différents, contre 1 611 pour son adversaire.
Cette étude a également noté la différence d’usage des pronoms entre les trois candidats principaux : chez Giscard c’est le « Je » qui domine (73 % des utilisations d’un pronom personnel), contre le « Vous » chez Chaban (49 %) et, de façon bien moins nette, le « Nous » pour Mitterrand (à 32 %).
Là encore, c’est Valéry Giscard d’Estaing qui innove en choisissant d’exposer aux projecteurs ses quatre enfants, qui forment une pièce importante du système que monte l’équipe giscardienne pour construire l’image du candidat. Ainsi sa fille Jacinthe figure-t-elle à ses côtés sur l’une des grandes affiches de sa campagne[104] tandis que l’aînée Valérie-Anne, étudiante à Sciences Po, est particulièrement active dans l’équipe de campagne et présente dans les pages photo des magazines. La jeune Jacinthe, qui n’a que treize ans, sera même présentée au public au meeting de Poitiers du 11 mai.
François Mitterrand, semble-t-il, traîne un peu des pieds pour suivre la même voie. Il se résout après le premier tour à faire quelques concessions au nouveau goût du jour. Son épouse Danielle vient donc à ses côtés se présenter aux Français lors du premier spot de la campagne officielle pour le second tour, et c’est la photo en grand format de la famille Mitterrand, avec ses enfants Gilbert et Jean-Christophe et leur chien, posant devant la maison de campagne de Soustons, qui occupe la place d’honneur en première page du document de campagne imprimé à plusieurs millions d’exemplaires pour le second tour.
L’élection présidentielle de 1974 donne lieu à un contentieux relativement peu abondant, et n’est pas à l’origine de décisions juridictionnelles notables.
Elle offre néanmoins au Conseil constitutionnel l’occasion de réaffirmer sa compétence pour constater la vacance de la présidence de la République. Comme il l’avait fait à l’occasion de la démission du général de Gaulle[105], le Conseil se réunit et fait publier une déclaration[106].
Le Conseil réaffirme en outre sa jurisprudence « Ducatel c/ Krivine » du [107] et admet la recevabilité de réclamations dirigées contre la liste des candidats. Ainsi, dans une décision répondant à une réclamation du candidat maoïste André Roustan il réaffirme l’inéligibilité des faillis judiciaires[108] ; il confirme par ailleurs sur réclamation du candidat régionaliste Robert Lafont que celui-ci n’a pas reçu cent présentations valides : parmi les cent quatorze signatures dont il se targue, dix-huit proviennent d’élus qui ont parrainé plusieurs candidats[109]. Dans cette dernière décision, les commentateurs notent un léger infléchissement de jurisprudence : alors qu’en 1969 en cas de présentation multiple par un même signataire, le Conseil constitutionnel avait retenu la première présentation reçue[110], il considère désormais la totalité des présentations émanant d’un même élu comme nulles.
Dans la même logique, le Conseil constitutionnel admet la recevabilité d’une réclamation de François Mitterrand contre la liste des symboles attribués aux candidats (il conteste l’attribution de la croix de Lorraine à Jacques Chaban-Delmas), tout en la rejetant sur le fond[111].
Pour sa part, la Commission nationale de contrôle, outre ses interventions dans la campagne outre-mer, prend quelques initiatives dans le cadre de sa mission de contrôle de la campagne télévisée. Elle autorise le débat du second tour en direct (alors que les émissions de la campagne officielle sont en différé, et font l’objet d’un examen avant diffusion) ; dans le cadre de la campagne officielle, sans censurer strictement aucun message programmé par tel ou tel candidat, elle « recommande » à Arlette Laguiller de modifier une formulation sur la « domination coloniale » outre-mer ; elle refuse à Alain Krivine et à Guy Héraud la participation à leurs spots de personnalités n’ayant pas la nationalité française[112].
Les décisions de proclamation des résultats des deux tours de scrutin évoluent aussi. Alors qu’en 1965 et 1969 le Conseil constitutionnel s’était borné à faire état de « rectifications d’erreurs matérielles » ou de « redressements jugé[s] nécessaires », il détaille désormais des « annulations » de suffrages, qui concernent deux bureaux au premier tour, et treize au second (cinq totalement, huit partiellement) en exposant par quelles irrégularités le scrutin a été vicié dans chacune des communes concernées[113].
Enfin le Conseil prend une initiative plus singulière, qu’il répète à partir de 1988 à chaque scrutin présidentiel, et étend ensuite aux référendums et élections parlementaires : il rend publique une déclaration du (non publiée au Journal Officiel mais reprise dans le Recueil des décisions édité par le Conseil) où il suggère aux pouvoirs publics diverses réformes qui lui paraissent utiles pour garantir la régularité du scrutin[114]. Si certaines sont techniques (l’obligation d’envoyer les signatures de présentation des candidats sur des « formulaires officiels »), l’une au moins est plus directement politique puisque le Conseil recommande d’augmenter le nombre de présentations requises pour autoriser une candidature. La plupart de ses suggestions seront suivies, par voie de révision constitutionnelle ou de loi organique, et à partir de 1981 ce seront cinq cents signatures d’élus qui seront nécessaires pour figurer sur la liste des candidats à l’élection présidentielle.
La banalisation des sondages est une des ruptures les plus marquantes de cette élection par rapport au passé. C’est presque quotidiennement que la presse publie des pronostics de résultats à l’intention de ses lecteurs-citoyens. Tant au premier tour qu’au second les prédictions se sont révélées très proches du verdict des urnes ; en conséquence la confiance en la scientificité et la fiabilité des sondages est forte à la sortie de la campagne et les commentateurs les utilisent sans émettre de doutes sur les éclairages qu’ils peuvent offrir.
Certains journaux, notamment Le Nouvel Observateur tentent de briser la monotonie de ces listes de prévisions en publiant des sondages plus spécialisés. Pour cet hebdomadaire de gauche, la Sofres étudie les reports entre candidats d’un tour à l’autre, ou l’attitude des Français devant la campagne télévisée.
Enfin, invisibles du public, d’autres sondages éclairent les candidats et les aident à affiner leur stratégie en fonction des réactions de l’électorat. Dans l’équipe Giscard, Lionel Stoléru gère une « cellule sondages » ; l’équipe Mitterrand commande deux études détaillées[115] pour apprécier les atouts et les points faibles du candidat. Même Jean Royer, avec un budget de campagne d’un autre ordre, commande une étude pour construire son positionnement.
Deux incidents impliquent le quotidien populaire France-Soir. Le premier concerne la publication surprenante par ce journal, le 20 avril[116] d’un sondage émanant des Renseignements généraux. Bien qu’il ne fasse pas état pour le premier tour d’une chute des intentions de vote pour Chaban significativement plus forte que ceux qu’on a pu lire les jours précédents, ce sondage marque un tournant : dans les estimations de second tour, il donne Mitterrand gagnant contre Chaban mais perdant contre Giscard. Plusieurs auteurs voient dans cette fuite bien opportune la patte de Jacques Chirac.
Deuxième incident : la non-publication par France-Soir de son sondage du 17 mai, avant-veille du scrutin, dont les résultats auraient dû figurer dans l’édition du lendemain. Le Président du Sénat, Alain Poher, qui assure l’intérim de la Présidence de la République, prend l’initiative d’écrire personnellement au directeur général du quotidien, Henri Amouroux, pour lui demander de renoncer à cette publication en raison de l’influence qu’elle pourrait avoir sur la sincérité du scrutin. France-Soir défère à la demande du Président par intérim et ne publie les résultats de l’enquête qu’un an plus tard, le . Alain Poher avait tort de craindre une manipulation : le sondage prévoyait un match nul entre les deux candidats du second tour.
Le rôle des sondages dans la campagne fait l’objet d’innombrables commentaires[117], le Conseil constitutionnel s’en fait l’écho dans sa « déclaration » du 24 mai et suggère l’instauration d’un « véritable statut de la pratique des sondages d’opinion en période électorale ». Une loi[118] vient en 1977 donner suite à cette suggestion et encadrer désormais la publication de sondages électoraux dont la publication sera désormais interdite dans la semaine précédant chaque tour de scrutin.
Évolution des intentions de vote |
Sondeur | Date | |||||
---|---|---|---|---|---|---|
François Mitterrand | Valéry Giscard d'Estaing | Jacques Chaban-Delmas | Jean Royer | Edgar Faure | ||
Ifop | 45 % | 30 % | 15 % | 4 % | - | |
Ifop | 42 % | 31 % | 18 % | 3 % | - | |
TNS Sofres | 29- | 44 % | 31 % | 17 % | 3 % | - |
Ifop | 42 % | 31 % | 18 % | 3 % | - | |
Ifop | 41 % | 26 % | 23 % | 6 % | - | |
TNS Sofres | 42 % | 28 % | 24 % | 4 % | - | |
Ifop | 42 % | 25 % | 23 % | 5 % | - | |
Ifop | 43 % | 27 % | 25 % | 5 % | - | |
TNS Sofres | 12- | 40 % | 28 % | 26 % | 5 % | - |
Ifop | 40 % | 27 % | 29 % | - | - | |
TNS Sofres | 8- | 36 % | 27 % | 26 % | - | 8 % |
Évolution des intentions de vote |
Sondeur | Date | ||
---|---|---|---|
Valéry Giscard d'Estaing | François Mitterrand | ||
TNS Sofres | 50 % | 50 % | |
Ifop | 50 % | 50 % | |
TNS Sofres | 51,5 % | 48,5 % | |
TNS Sofres | 51 % | 49 % | |
TNS Sofres | 51 % | 49 % | |
TNS Sofres | 52 % | 48 % |
Ce sondage, publié par Le Nouvel Observateur, est réalisé par la Sofres[119].
Reports | Électeurs de Jacques Chaban-Delmas | Électeurs de Jean Royer | Électeurs d'Arlette Laguiller |
---|---|---|---|
Report sur Valéry Giscard d'Estaing | 83 % | 80 % | 24 % |
Report sur François Mitterrand | 11 % | 10 % | 68 % |
Abstention ou pas de réponse | 6 % | 10 % | 8 % |
Candidats | Partis | Premier tour | Second tour | |||
---|---|---|---|---|---|---|
Voix | % | Voix | % | |||
François Mitterrand | PS[alpha 1] | 11 044 373 | 43,25 | 12 971 604 | 49,19 | |
Valéry Giscard d'Estaing | FNRI[alpha 2] | 8 326 774 | 32,60 | 13 396 203 | 50,81 | |
Jacques Chaban-Delmas | UDR[alpha 3] | 3 857 728 | 15,11 | |||
Jean Royer | DVD | 810 540 | 3,17 | |||
Arlette Laguiller | LO | 595 247 | 2,33 | |||
René Dumont | ECO[alpha 4] | 337 800 | 1,32 | |||
Jean-Marie Le Pen | FN | 190 921 | 0,75 | |||
Émile Muller | MDSF | 176 279 | 0,69 | |||
Alain Krivine | LCR | 93 990 | 0,37 | |||
Bertrand Renouvin | NAF | 43 722 | 0,17 | |||
Jean-Claude Sebag | MFE | 42 007 | 0,16 | |||
Guy Héraud | PFE | 19 255 | 0,08 | |||
Votes valides | 25 538 636 | 99,08 | 26 367 807 | 98,66 | ||
Votes blancs et nuls | 237 107 | 0,92 | 356 788 | 1,33 | ||
Total | 25 775 743 | 100 | 26 724 595 | 100 | ||
Abstention | 4 827 210 | 15,77 | 3 876 180 | 12,67 | ||
Inscrits / participation | 30 602 953 | 84,23 | 30 602 953 | 87,33 |
À l’issue du premier tour, François Mitterrand et les trois candidats d’extrême gauche et écologiste totalisent 47,3 % des suffrages, Valéry Giscard d'Estaing et les quatre candidats qui se désistent en sa faveur en réunissent 52,3 %. Selon Jean-Jacques Becker, la gauche est en léger recul par rapport à ses performances de l’élection législative de 1973[122].
Plusieurs politologues se sont penchés sur les résultats détaillés et ont étudié les transferts de voix entre les deux tours. Lucien Boucharenc et Jean Charlot pensent pouvoir affirmer que les électeurs de droite de la législative de 1973 se sont abstenus à 13 % au premier tour de la présidentielle alors que ceux de gauche n’ont déserté les urnes qu’à raison de 4,5 %[123]. Selon eux, la victoire de Giscard s’expliquerait par la mobilisation de cette réserve d’abstentionnistes : dans leur lecture, parmi le million de nouveaux électeurs venus participer au second tour en ayant négligé le premier, les deux tiers environ auraient choisi Valéry Giscard d’Estaing. Par d’autres méthodes, Alain Lancelot estime que parmi ces abstentionnistes repentis, il y en aurait cinq sur huit qui auraient choisi le président élu[124]. Dans les deux cas de figure, les reports gaullistes auraient été suffisamment imparfaits pour que, sans ce renfort de dernière minute, on eût été extrêmement proche d’une victoire de François Mitterrand.
Les rares succès de Jean Royer sont très localisés. Il parvient à obtenir 33,8 % des suffrages exprimés dans son fief d’Indre-et-Loire ; dans les départements voisins, les scores restent honorables, particulièrement dans les terres très catholiques de l’Anjou. Dans le reste de la France, il réalise des scores très faibles.
En métropole, Jacques Chaban-Delmas ne dépasse Valéry Giscard d'Estaing que dans sa base électorale de Gironde et dans trois départements limitrophes : les Landes, la Dordogne et la Charente auxquels il faut ajouter la Corse (il est en revanche en tête des deux candidats de la majorité dans tous les départements et territoires d’outre-mer). Si on descend un peu plus bas dans les scores, jusqu’aux zones où il dépasse les 30 % des voix de droite, on distingue clairement d’une part le midi languedocien et d’autre part les régions situées au nord de Paris. En région parisienne ses meilleurs scores sont obtenus dans les banlieues populaires autour de Saint-Denis. Il n’est pas simple de savoir si on doit lire dans cette géographie le maintien d’un « noyau dur du gaullisme »[125] ; ce qui est indéniable c’est que ces régions sont toutes des régions favorables à la gauche : sauf exceptions localisées, les endroits où le score de Chaban est honorable au premier tour, ce sont des endroits où François Mitterrand sera en tête au second tour[126].
Les principales zones de vote pour Arlette Laguiller peuvent sembler surprenantes[127][non neutre]. Ce n’est pas du tout dans les départements ouvriers que la candidate de la classe ouvrière réalise ses meilleurs scores (sur les 19 départements où elle réalise des scores supérieurs à 3 % des exprimés, il n’y en a que 3 dans le tiers nord du pays), mais dans les zones rurales les plus dévitalisées, selon une grande tache qui recouvre le Massif central et en déborde sur les campagnes du Berry au nord, ou du midi toulousain au sud, se riant d’ailleurs des déterminismes politiques traditionnels de ces pays : ses deux meilleurs scores, elle les obtient dans la rouge Creuse (4,15 %) et dans le très conservateur Cantal (4,03 %).
Enfin, les meilleurs scores réalisés par René Dumont sont en Île-de-France, en Rhône-Alpes (notamment en Isère et en Haute-Savoie), en Alsace et en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes notamment)[128],[129]. Il obtient globalement des meilleurs scores dans les villes que dans les campagnes[128].
Au second tour[130], on retrouve une France divisée selon un schéma qui rejoint celui des élections de la Quatrième République : le Nord et le Sud sont favorables à la gauche — avec quelques bastions de droite qui s’y intercalent dans les Pyrénées-Atlantiques, les Alpes et la Corse — l’Ouest et l’Est votent nettement à droite, tandis que le Massif central se divise entre les deux camps selon des traditions politiques départementales bien installées et l’agglomération parisienne répartit ses suffrages sur une base sociologique, les quartiers populaires votant à gauche et les quartiers bourgeois à droite.
Le phénomène déjà constaté aux législatives de 1973 se poursuit : c’est la reconquête du Nord-Pas-de-Calais, de la Picardie et des Ardennes par la gauche. Le gaullisme avait nettement séduit ces départements ouvriers, le Parti socialiste et dans une moindre mesure son allié communiste bénéficient de son reflux.
Deux tendances longues apparaissent moins directement, car les départements qu’elles concernent n’ont en général pas encore basculés, mais n’en sont pas moins très perceptibles si on compare les résultats du scrutin à ceux de la présidentielle de 1965, voire aux élections législatives de 1973. La première est la poursuite du recul de la gauche sur la côte méditerranéenne et en Provence, gigantesque si on se réfère à 1946 (jusqu’à -16 % dans le Var) mais qui est sensible en plusieurs départements (Bouches-du-Rhône, Pyrénées-Orientales, Corse) même en prenant 1973 pour référence. La seconde est au contraire la progression de la gauche dans les centres urbains de l’Ouest : si les cartes dressées à l’échelle départementale font encore apparaître une droite dominante presque partout dans cette région, les grands centres urbains de Nantes, Rennes, Caen votent de moins en moins comme les campagnes environnantes et la domination de la droite sur ces régions va être mise en cause à terme ; le basculement est déjà apparent dans la Seine-Maritime qui à partir de cette élection rentre durablement dans la famille des départements favorables à la gauche.
Une autre clé d’analyse géographique des votes[131] est la différenciation entre le vote urbain et le vote rural : Valéry Giscard d’Estaing l’emporte à 55 % dans les agglomérations de moins de 20 000 habitants, alors que sur celles de plus de 100 000 (hors région parisienne) c’est Mitterrand qui est gagnant à 56 %. Sur l’ensemble de l’agglomération parisienne, les candidats sont à peu près à égalité.
Un sondage réalisé par la Sofres du 20 au détaille le profil sociologique des électeurs des candidats au second tour[132] en fonction de la catégorie socio-professionnelle, de l'âge et de la pratique religieuse. Valéry Giscard d'Estaing recueille plus de 60 % des suffrages chez les agriculteurs, les cadres supérieurs, les commerçants et artisans, chez les catholiques pratiquant régulièrement et chez les plus de 65 ans. Il obtient la majorité des suffrages chez les plus de 34 ans. François Mitterrand obtient la majorité des suffrages chez les ouvriers, les employés et cadres moyens, ainsi que chez les moins de 34 ans et chez toutes les personnes qui ne se définissent pas comme catholiques pratiquant régulièrement.
Catégories | Valéry Giscard d'Estaing | François Mitterrand |
---|---|---|
Professions | ||
Inactifs | 55 % | 45 % |
Agriculteurs | 70 % | 30 % |
Cadres supérieurs | 63 % | 37 % |
Commerçants et artisans | 61 % | 39 % |
Cadres moyens et employés | 48 % | 52 % |
Ouvriers | 33 % | 67 % |
Sexe | ||
Femmes | 53 % | 47 % |
Hommes | 48 % | 52 % |
Religion | ||
Catholiques pratiquants réguliers | 80 % | 20 % |
Catholiques pratiquants non réguliers | 48 % | 52 % |
Catholiques non pratiquants | 28 % | 72 % |
Autres religions | 46 % | 54 % |
Sans religion | 18 % | 82 % |
Tranches d'âge | ||
65 ans et plus | 61 % | 39 % |
50 à 64 ans | 53 % | 47 % |
35 à 49 ans | 51 % | 49 % |
21 à 34 ans | 42 % | 58 % |
Valéry Giscard d'Estaing : (50,81 %) |
François Mitterrand : (49,19 %) | ||
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