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combat entre deux personnes De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le duel est en Occident comme en Orient une coutume de combattre par les armes, selon des règles précises, pour trancher un différend entre deux adversaires, l'un demandant à l’autre réparation d’une offense ou d’un tort. En Europe, il est précédé d'un défi, habituellement signifié par un cartel. Le combat se déroule devant des arbitres, appelés aujourd'hui « témoins », qui veillent au respect des règles ainsi que des conventions particulières fixées au préalable. Celles-ci fixent, entre autres[nb 1], éventuellement, le nombre de coups à l'arme blanche ou à feu. Dans un duel de plaisance, c'est-à-dire pour la galerie, elles fixent le nombre de touches. Si elles conviennent d'un combat à mort, on parle de duel à mort.
Le duel visait à réglementer et limiter la violence suscitée par un conflit entre deux individus. En fixant les termes de la résolution du conflit, il obligeait les parties adverses à convenir par le dialogue de conditions convenues et constituait une sorte de droit pénal contractuel, le duel judiciaire. Intégré au bas Moyen Âge à la procédure pénale par les différentes coutumes, le duel judiciaire évolue entre la guerre de Cent Ans et la Renaissance en contrat de droit privé à mesure que les parlements affinent la jurisprudence et que la monarchie se renforce. Aux temps modernes, le duel n'est plus qu'une forme de bravade à l'endroit du droit commun , le duel du point d'honneur.
Une forme de duel s'est observée dans d'autres sociétés, en particulier au Japon, mais il a été alors une pratique réservée aux militaires. Toutefois, en imposant les armes de guerre individuelles, c'est-à-dire en interdisant l'emploi des poings par exemple, le duel s'adressait de fait principalement à la noblesse, formée à l'escrime et au tir. Les gentilshommes finirent par ne condescendre à s'y prêter qu'entre eux : « Jeu de mains, jeu de vilains ». L'esprit qui le gouvernait donnait ainsi plus de prix à la dignité qu'à la vie, à la manière qu'à l'intérêt, et revendiquait la primauté de la liberté individuelle de régler ses affaires sans le recours à la justice publique. Défendu autrefois tant par des tenants d'un régime aristocratique que par des républicains, le duel est aujourd'hui proscrit dans la plupart des pays.
Duelle, mot attesté en 1556 et écrit duel à partir d'au moins 1673[1], vient du latin duellum, qui apparait dans les Annales[2], détruites dans un incendie en mais citées par Cicéron[3] dans une version reconstituée, comme une forme ancienne de bellum[4], guerre, et non une substantification de duo, deux. C'est le même sens de guerre et non de combat singulier que signifie en Licinius dans son sénatus-consulte cité par Tite-Live[5]. Bellum est un doublon apparu vers [6], qui a fini par s'imposer.
C'est au plus tard à la fin du XIe siècle en bas latin que l'archaïsme précieux duellum est repris avec le sens nouveau de combat singulier quand bellum est remplacé dans les écrits par le vieux-francique werra, qui a donné en français guerre. D'une coutume et un règlement intimement liés à une conception juridique moderne du sujet et de la liberté individuelle, cette erreur étymologique a étendu abusivement l'emploi du terme à toutes sortes de combats singuliers pratiqués à travers le monde, parfois très semblables dans les formes au code d'honneur du duel, et même, par métaphore, à toute opposition de quelque nature que ce soit entre deux personnes, tels qu'un débat télévisé ou la concurrence économique.
Le but et la signification du duel ont varié dans l’histoire.
La forme la plus ancienne connue du duel semble être le duel judiciaire pratiqué par les anciens Germains, signalé déjà par Jules César. Cette forme a lentement évolué au cours des siècles pour aboutir au duel d’honneur.
L’Antiquité romaine n’a pas connu le duel, au sens où nous l’entendons aujourd’hui.[réf. nécessaire] À cette époque, il s’agissait soit de combats singuliers — épisodes de guerre pour lesquels aucune règle n’était respectée, la victoire par tous moyens étant seule importante, comme lors du combat des Horaces et des Curiaces, soit de la représentation de ces épisodes de guerre par des gladiateurs selon des règles extrêmement codifiées. Le duel n'était donc dans ce dernier cas qu'un spectacle populaire donné par des experts chèrement entraînés mais sans droits civiques (infamie), pas même celui d'une sépulture religieuse et encore moins celui de défendre leurs droits ou leur honneur.
Le duel judiciaire est une des trois formes du « Jugement de Dieu », procédure qui comprend :
Les premiers textes connus réglementant cette pratique datent du début du VIe siècle, époque des grandes invasions : ce sont la loi Gombette (501) et la loi des Francs Ripuaires, toutes deux d’origine germanique. Cette pratique se répandit lors du Haut Moyen Âge. Avant ces codes, seuls les peuples germaniques d'Europe du Nord disposaient de la compensation du Wergild afin d'éviter les tueries.
Les règles formalisant le combat concernent :
Charlemagne reconnut toujours la preuve par combat, mais recommandait à ses lieutenants de faire tous leurs efforts pour résoudre autrement les conflits privés relevant de leur autorité, afin d’enrayer ces effusions de sang, ce qui montre que ce type de combat était alors une procédure trop fréquente[réf. nécessaire].
Le concile de Valence le condamna en 855, proclamant : « le survivant du duel sera considéré comme un meurtrier, le perdant comme un suicidé, et sera donc privé de sépulture[réf. nécessaire] »[8].
L’issue d’un tel combat, autorisé par la loi et consacré par des cérémonies religieuses, était regardée comme un jugement de Dieu. Le vainqueur était reconnu automatiquement innocent, et le vaincu, désigné indubitablement coupable par Dieu lui-même, devait donc subir la peine correspondant au crime commis. Seul le roi avait le droit de grâce.
Ces pratiques perdurèrent jusqu'au règne de Philippe le Bel, car l'aristocratie y trouvait le moyen de démontrer son habileté aux armes.
En 1212, la comtesse Blanche de Navarre, régente de Champagne, fait édicter les règles du duel judiciaire par les Grands Jours de Troyes devant ses trente quatre barons. En 1235, le Miroir des Saxons codifie très précisément le duel comme un prolongement de la légitime défense. En 1258, un édit de Saint Louis interdit l'ordalie et ordonne le duel judiciaire, tout en préconisant les preuves écrites et orales, notamment l'enquête de témoins et le serment purgatoire. Saint Louis et son petit-fils Philippe le Bel fixèrent des limitations visant à réduire l'usage du duel. À partir de cette époque, le duel judiciaire ne fut plus admis lorsque la culpabilité ou l’innocence de l’accusé était manifeste, lorsque les voies ordinaires de la justice permettaient l’établissement de la vérité, ou encore en temps de guerre. Dès lors, il ne fut plus question de jugement de Dieu, mais uniquement de duels judiciaires. À Paris, ceux-ci étaient organisés dans l'île Notre-Dame[10].
Les règlements de Philippe le Bel de 1306 sur le duel judiciaire déclaraient à l’égard du vaincu :
« Si le vaincu est tué, son corps sera livré au maréchal du camp, jusqu’à ce que le roi ait déclaré s’il veut lui pardonner ou en faire justice, c’est-à-dire le faire attacher au gibet par les pieds.
Si le vaincu est vivant, il sera désarmé et dépouillé de ses vêtements, tout son harnois sera jeté çà et là par le champ, et il restera couché à terre jusqu’à ce que le roi ait pareillement déclaré s’il veut lui pardonner ou qu’il en soit fait justice.
Au surplus tous ses biens seront confisqués au profit du roi, après que le vainqueur aura été préalablement payé de ses frais et dommages. »
Avant la guerre de Cent Ans, les conflits féodaux avaient un caractère tout personnel. Durant celle-ci, l'ampleur des armées, le caractère civil d'une guerre qui impliquait la bourgeoisie, son commerce et ses finances, et également la naissance d'un sentiment national interdirent de réduire le sort des batailles au jeu privé des duels. Ce fut la raison invoquée[11] par Philippe de Valois pour refuser le cartel proposé en août 1340 à Tournai par Édouard d'Angleterre pour trancher leur conflit dynastique. L'habitude était en effet de considérer les adversaires (et les alliés) sur le champ de bataille comme autant de duels possibles. Ainsi vit on le maréchal de Clermont et Jean Chandos se défier le 18 septembre 1356, veille de la bataille de Poitiers, parce qu'ils portaient chacun dans leurs armes respectives la même Dame d'azur au soleil rayonnant[12]. Le maréchal perdit la vie le lendemain en combat singulier au milieu du massacre. Inversement, le duc de Bourgogne se vit interdire[13] par le roi de répondre au cartel que lui avait adressé oralement à Troyes en août 1380 le comte de Buckingham[14]. Cette occasion vit, par exemple, les impératifs logistiques primer sur l'honneur et le défi lancé par l'écuyer Gauvain Micaille, relevé par le maréchal FitzWalter, fut tout simplement reporté sine die par Buckingham qui ne pouvait attendre[15].
L’infaillibilité du jugement de Dieu ne fut réellement entamée que lors de l’affaire opposant Jean de Carrouges et Jacques le Gris. La dame de Carrouges, Marguerite de Thibouville, accusa Jacques le Gris, gentilhomme du comte d'Alençon, de s'être introduit, de nuit et masqué, dans son donjon afin d’abuser d’elle alors que son mari guerroyait en Écosse[16]. Le Gris protesta de son innocence mais la justice n’ayant aucun moyen de découvrir la vérité, un jugement de Dieu fut ordonné en décembre 1386. Le Gris fut vaincu et on l’acheva en le pendant au gibet. Le Gris mort innocent[réf. nécessaire], Carrouges alla se faire tuer en croisade[16].
Le dernier duel judiciaire autorisé par un roi de France eut lieu le . Connu sous le nom de coup de Jarnac, il opposa Jarnac et La Châtaigneraie. Les duels judiciaires disparurent définitivement sous Louis XIII.
Le roi de France ne donnant plus l’autorisation de se battre, on s’en passa, le duel judiciaire prenant alors une nouvelle forme au XVIe siècle, le duel du point d'honneur. Dans le désir de braver le pouvoir royal grandissant, on se battait pour n’importe quelle raison, et au besoin, on inventait un prétexte concernant son honneur (privé ou public) quand l’envie venait de vouloir simplement se mesurer les armes à la main[style trop lyrique ou dithyrambique]. Le duel devint une mode, et sous l’influence des maîtres italiens, l’épée en devint l’arme quasi-exclusive avec la dague et, parfois, la lance. Les témoins, appelés « seconds », d'acteurs passifs qu'ils étaient au départ, prirent de plus en plus part aux duels qu'ils étaient censés arbitrer. En 1652, lors du duel des ducs de Nemours et de Beaufort, il y eut dix personnes qui se battirent ensemble dans le marché aux chevaux où eut lieu la rencontre[réf. nécessaire]. Il y eut trois morts et plusieurs blessés.
Le résultat fut qu’en quelques décennies, les gentilshommes tués en duel se comptèrent par milliers, sans compter les bourgeois et les simples sujets victimes de cette pratique. Entre 1588 et 1608 ont été comptabilisés plus de dix mille gentilshommes tués pour des questions d'honneur[17], soit une moyenne de cinq cents par an ou deux par jour de semaine. On compte six mille gentilshommes victimes de cette pratique sous le règne d'Henri II, et huit mille de plus sous Henri IV ; dont deux mille en 1606 et quatre mille en 1607[18] soit plus que durant les guerres civiles de religion[19].
Devant cette hécatombe, les souverains successifs reconnurent la nécessité d’interdire cette pratique. Mais issus eux-mêmes de cette aristocratie batailleuse et sourcilleuse, et bien que défenseurs de la religion interdisant cette pratique, ils montrèrent toujours beaucoup d’indulgence envers les duellistes[style trop lyrique ou dithyrambique]. Les édits d’interdiction se multiplièrent (en 1599, 1602, 1613, 1617, 1623, etc.), mais pas autant que les lettres de grâce, annulant leurs effets : Henri IV en signa 7 000 en 19 ans.
Puis, Richelieu fut appelé à gouverner par Louis XIII. Le ministre avait éprouvé dans sa chair la mort de son frère aîné, Henri, tué en duel. Il fit paraître un nouvel édit le 2 juin 1626, prévoyant la suppression des charges et pensions pour les contrevenants saisis les armes à la main, et la peine capitale en cas de mort ou de rencontre organisée avec des seconds. Le Parlement jugea la disposition qui visait la noblesse d'épée trop clémente, et le roi dut l'imposer par lettre de jussion[20]. Dès 1602 avait été introduite autour d'un Tribunal du point d'honneur, une législation qui finit sous Louis XIII par assimiler le duel à un crime de lèse-majesté, celui-ci étant une violation manifeste d'un ordre royal. Cette législation fut appliquée avec la dernière rigueur. La sanction la plus spectaculaire fut, le 21 juin 1627, la décapitation de François de Montmorency-Bouteville, qui avait choisi par bravade de se battre en plein jour, place Royale, avec François d'Harcourt, marquis de Beuvron, qui s’enfuit en Angleterre. Le scandale d'une jeunesse se tuant pour des raisons frivoles fut dénoncé au cœur même de la Cour par Malherbe[21] dont le fils, lui-même duelliste, qui avait bénéficié d'une grâce, fut assassiné le 13 juillet 1627 pour avoir empêché un duel.
Le duel devint alors une forme de revendication de l'indépendance de l'aristocratie contre la monarchie absolue. Déjà en 1625, 200 gentilshommes manifestaient contre la condamnation d'un des leurs[22]. En 1679, Louis XIV crut pouvoir déclarer « le duel aboli », mais entre 1685 et 1716, le nombre de morts ne « chuta » qu'à quelque quatre cents, pour dix mille duels comptabilisés au sein de l'armée, sans compter les morts par blessures intervenues hors champ[23]. Certaines années ont lieu plus de 7 000 duels[24].
Si les duels se firent plus discrets, ils se poursuivirent comme une mode, gagnant les ecclésiastiques issus de l'aristocratie (le cardinal de Retz en était friand) et comme un fantasme, en étant attribués à des femmes.[citation nécessaire] Fougeroux de Campigneulles relate notamment les duels prêtés à la cantatrice Julie d'Aubigny et le duel au pistolet de 1718 entre la marquise de Nesle et la vicomtesse de Polignac, toutes deux cousines et amantes du maréchal de Richelieu[25].
Entre juin 1643 et octobre 1711, Louis XIV ne promulgua pas moins de onze édits interdisant le duel et renforçant les peines, sans pour autant faire cesser cette pratique. Louis XVI, poursuivant cette politique, prononça quelques exils. La maréchaussée restait souvent impuissante quand les duels étaient organisés dans des lieux offrant une immunité de fait. La cour des miracles ou les lieux privés laissés ouverts au public, tels Le Temple, le Palais-Royal, les ruines du château de Madrid[26].
À la Révolution, l’Assemblée législative rendit un décret d’amnistie générale concernant le duel. Un projet de loi contre le duel n’eut pas de suite. On en revint à un régime de tolérance, avec pour conséquence une démocratisation et une recrudescence des duels d’honneur.
À partir de la Révolution, les maitres d'armes régimentaires détourneront la pratique à leur avantage en instaurant une compétition entre les conscrits fortunés et en suscitant entre eux des duels sans cause réelle. Plus tard se développent les « duels de corps », qui opposent successivement les meilleurs épéistes ou sabreurs de deux régiments. Jacques François Griscelli se vante d'avoir participé à une rencontre opposant 7 champions du 60e de ligne à un nombre identique du 30e, à Lyon le 30 décembre 1836[27].
À la chute du Premier Empire, les « crânes », officiers démobilisés et autres demi-soldes (tel le légendaire[28] Surcouf face à douze Prussiens ou quelques Russes) n'hésitent pas à provoquer en duel les occupants, puis sous la Seconde Restauration à régler sur la place publique leurs fréquents différends avec les légitimistes.
Le Code pénal de 1810 n’ayant pas traité explicitement du duel, ce fut la jurisprudence de la Cour de cassation, établie avec beaucoup d’hésitations[nb 2],[29], qui fut employée : la peine d'assassinat en cas de mort d’homme, de tentative d’assassinat lorsque le duel avait été convenu à mort, et, dans le reste des cas, de coups et blessures volontaires. Dans la réalité, bien peu de duellistes furent poursuivis, et encore moins condamnés, tandis qu’une véritable rage du duel s’emparait du XIXe siècle.
Le duel entra dans les mœurs et devint une sorte d’institution propre à la noblesse et à la bourgeoisie, bénéficiant de la bienveillance des autorités. Il devint l'apanage des parlementaires et des journalistes, en quête de légitimité. Lors du duel opposant Clemenceau et Déroulède, les gendarmes étaient bien présents mais non pour arrêter les participants. Ils s’employèrent à contenir la foule trop nombreuse des curieux. Une codification de plus en plus stricte s'élabora, comme en témoigne la publication de nombreux manuels de duels (le plus célèbre étant l’Essai sur le Duel du comte De Chateauvillard en 1836) qui précisent les procédures :
La plupart des grands noms de ce siècle (Théophile Gautier ou Alexandre Dumas père qui popularisent le roman de cape et d'épée), des personnes qui montrèrent par ailleurs leur intelligence et leur réflexion (Proudhon, « l'homme aux vingt duels » Henri Rochefort) se retrouvèrent sur le terrain à risquer leur vie parfois pour des prétextes futiles. L’effet de mode et la pression sociale expliquent ces conduites. Le « monsieur qui ne se bat pas » devenait un poltron infréquentable, et cette peur de l’exclusion de la société, de la ruine d’une réputation, fit, pour une bonne part, accepter un combat où l’on n’était pourtant pas sûr de briller. La phrase de Pierre Nicole dans ses « Essais de morale » restait d’actualité : « Combien de gens s'allaient battre en duel, en déplorant et en condamnant cette misérable coutume et se blâmant eux-mêmes de la suivre ! »
Victor Hugo, dans une lettre à sa fiancée Adèle Foucher, résume bien le dilemme posé par le duel aux hommes de ce temps : « Quand un homme raisonnable a eu le malheur de se battre en duel, il doit s’en cacher ou s’en accuser comme d’une mauvaise action ou d’une extravagance.... Le duel ne cesse d’être méprisable qu’en devenant odieux. Voilà toute ma pensée. Je dois cependant pour la compléter ajouter qu’il est des cas où le plus honnête homme ne peut se dispenser d’avoir recours à ce sot préjugé. » Il venait lui-même de se battre quelques mois plus tôt.
Entre 1826 et 1834, il y a en France plus de 200 morts par duel. De nombreuses personnalités comme Évariste Galois, Armand Carrel, Alexandre Pouchkine y laissent la vie. Aux États-Unis, l'interdiction votée par le Congrès en 1839 à l'instar de la Loi anti-duel, adoptée par la Virginie en 1810, n'a quasiment aucun effet. Entre 1798 et le début de la guerre de Sécession, la Marine américaine perd les deux tiers de ses officiers dans des duels, la plupart des morts étant des midships ou de récents officiers[31],[32]. La rengaine des prêches publiés à foison contre ce scandale ne fait que renforcer l'esprit de contradiction des aspirants.
Dans les universités autrichiennes et allemandes, une forme de duel au sabre apparue au XVIIIe siècle, la mensur, devient au cours du XIXe siècle une sorte de rite initiatique censé prouver le courage du duelliste et son intégration à la société, fut contestée, en particulier pour des motifs religieux. C'est un combat spectaculaire réglé uniquement de coups de taille au terme duquel l'étudiant arborera ses cicatrices comme un défi à la mort. À la suite de l'accident mortel d'Adolph Erdmannsdörffer (de) en 1845, cette pratique perd de sa force, mais elle est toujours observée de nos jours dans certaines fraternités d'étudiants.
Dès la fin du XIXe siècle, cet usage déclina : le « duel au premier sang » (majoritairement au pistolet peu précis) devint de plus en plus une mise en scène raillée dans des journaux ou romans. En 1870, l'affaire Victor Noir jette un certain opprobre sur les adeptes du duel. En Angleterre, contrairement à ce qui s'est passé en France, le duel, perçu comme la coutume d'une classe aristocratique restée en place, a très tôt fait l'objet d'une réprobation morale, en particulier de sociétés de vertu très actives. Dès 1903, tuer un adversaire au cours d'une rencontre est passible de la peine de mort, et plusieurs duellistes furent, à ce titre, pendus[34]. Le dernier duel qui s'y solda par un décès fut celui de deux Français exilés à Englefield Green en octobre 1852[35], entre le blanquiste Emmanuel Barthélemy (en) et l'organisateur de la résistance au coup d'État du , Frédéric Cournet[36].
En Belgique la loi du 8 janvier 1841 interdit définitivement les duels, punissant également les témoins d'emprisonnement. En Italie, la loi du 26 avril 1875 proscrit le duel, qui restera toutefois impuni par le règlement militaire jusqu'à la loi no 1938 du 19 octobre 1930.
En Bade en 1890, le duel Vering-Salomon (de), provoqué par une injure antisémite, remet en cause la politique d'assimilation d'une Allemagne à peine unifiée. La complaisance des milieux conservateurs, soutenus par l'Empereur, dont des proches adhèrent à des sociétés d'étudiants, est alors pointée du doigt. La crédibilité de la famille impériale est directement mise en question en 1895 quand, pour clore l'affaire Kotze (de), le Chambellan de l'Empereur provoque en duel deux de ses détracteurs. L'année suivante, la mort du juriste Zenker, tué en duel par un lieutenant de l'équipage personnel de l'Empereur, Ketelhodt, ajoute au scandale, malgré le soutien à l'institution du duel qu'exprime à cette occasion le chef du Parti national libéral, Rudolf von Bennigsen. Il faudra attendre la mort en duel en janvier 1902 du fils de celui-ci, le sous-préfet Adolf von Bennigsen (de), pour que soit créée une Ligue anti-duel.
À la veille de la Première Guerre mondiale, le duel parisien n'est guère plus qu'un spectacle que se donne à lui-même un milieu interlope, tel celui auquel assiste Pierre Lestringuez au Moulin-Rouge[37]. Les deux guerres mondiales relèguent l'honneur militaire individuel. Les officiers, pour qui la guerre est une forme de duel, ne peuvent rester debout face au feu des canons ennemis[38].
En 1919, le pacifiste Alain, dénonçant la lâcheté des gouvernements et des états majors ayant conduit à la barbarie de la Première Guerre mondiale et préconisant une éthique du courage en forme de dissuasion face à la mauvaise foi et l'irresponsabilité individuelle, est un des derniers à défendre l'institution du duel « civilisé » : « que celui qui célèbre la guerre fasse la guerre aussitôt. »[39].
Les duels ne sont pas rares dans l'entre-deux-guerres[40]. C'est l'Occupation allemande qui y met un terme bien qu'entre janvier et avril 1947, neuf duels avaient eu lieu, et une soixantaine depuis 1939[41]. La judiciarisation de la diffamation le fait tomber complètement en désuétude après la Seconde Guerre mondiale. Il n'en reste que le « duel des avocats ».
En France, les derniers duels connus sont ceux de Serge Lifar et du marquis de Cuevas en 1958 et de Gaston Defferre et René Ribière en 1967 après une altercation entre les deux hommes dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale[42], combat toujours considéré comme « le dernier duel pour l'honneur en France »[43].
En 1967, le président de l'Uruguay Óscar Diego Gestido reçut l'autorisation du Sénat uruguayen pour se battre en duel contre son ancien ministre des Finances Amilcar Vasconcellos, mais une cour d'honneur refusa le duel pour cause de motif insuffisant[44],[45],[46].
En 1990, Saúl Clavería, commandant de police, provoqua en duel à mort Federico Fasano, directeur de La República de Montevideo, qui l'avait accusé, dans un article, d'être impliqué dans le narcotrafic[47],[48].
En droit pénal canadien, l'infraction de duel a seulement été abrogée en décembre 2018[49]. Avant cette date, elle était à l'article 71 du Code criminel[50].
En droit civil québécois, le duel était également défendu jusqu'en décembre 1993 par les règles de responsabilité civile du Code civil du Bas-Canada. D'après le juge Jean-Louis Baudouin de la Cour d'appel du Québec, « le second alinéa de l'article 1056 du Code civil du Bas-Canada qui, en cas de duel, permettait de diriger la poursuite non seulement contre l'adversaire mais aussi contre les seconds et les témoins »[51].
En 1999, l'Italie a en quelque sorte dépénalisé le duel en ne prévoyant de sanction qu'en cas de lésion.
Cependant, l'interdiction n'est plus universelle depuis que la Suisse a abrogé les articles 130, 131 et 132 de son Code pénal réprimant le duel (respectivement sur la provocation en duel, le duel, et l'excitation au duel). Depuis le , ce mode de règlement y est ainsi à nouveau légal, sous réserve de ne pas tomber sous le chef d'inculpation d'assassinat ou de tentative d'assassinat, en vertu du principe pénal « Tout ce qui n'est pas interdit est permis. »[52]
Le dernier pays à avoir interdit le duel fut l'Uruguay en 1992, qui l'avait autorisé en 1920[53]
Majoritairement une « affaire d'hommes », souvent centrée sur des querelles exacerbées par une conception très datée du sens de l'honneur et de la virilité, le duel a, parfois, été aussi une affaire de femmes.
En 1848, la justice a à connaître d'une affaire pour le moins inhabituelle : une lingère de trente-deux ans, Adèle Boche, intente un procès en correctionnelle à un homme qui l'a doublement humiliée, d'abord en l'éconduisant (il a refusé un bouquet de violettes qu'elle lui offrait) puis en refusant de réparer cet outrage en duel (au pistolet) après qu'il l'eut giflée. Le tribunal condamnera le jeune homme à vingt-cinq francs de dommage et intérêts.
Plus en accord avec la tradition de duel pour motifs idéologiques et politiques de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe, en juin 1911, la journaliste et militante féministe Arria Ly (de son vrai nom Joséphine Gourdon), collaboratrice régulière du Rappel de Toulouse, publie dans la revue Rénovation Morale un article défendant ses conceptions assez extrêmes du combat féministe (virginité militante et création d'un service militaire féminin), ce qui lui vaut de se faire accuser de lesbianisme par le rédacteur en chef de La Dépêche de Toulouse, nommé Prudent Massat. Elle le provoque en duel en lui envoyant deux témoins (deux femmes). Arria Ly n'en est pas à son coup d'essai : en 1904, elle a déjà affronté en duel un médecin, le Dr Girard, qu'elle accusait d'avoir provoqué la mort de son père par incompétence professionnelle… et lui a tranché la moitié d'une oreille d'un coup de taille. Lâcheté ou conception personnelle de la galanterie, Massat refuse de se battre en duel avec une femme… mais se déclare prêt à affronter un chevalier servant. L'affaire fera grand bruit dans la presse et à défaut de se terminer par un duel, elle provoquera un débat sur les limites du combat féministe.
La presse et l'opinion jugeront défavorablement l'attitude peu courageuse de Prudent Massat et Arria Ly y gagnera d'être surnommée « la Cadette de Gascogne » dans la presse.
Autre pionnière du féminisme, la journaliste Séverine avait adopté une attitude différente. Au cours d'un échange polémique violent avec des partisans du boulangisme, elle avait envoyé son compagnon, Georges de Labruyère, ancien sous-officier de spahis, défendre sa cause en duel. Georges de Labruyère fut brocardé par la presse boulangiste, qui le surnomma « Séverin »... tandis qu'une féministe et escrimeuse, Marie-Rose Astié de Valsayre, fondatrice de la Ligue pour l'Émancipation des femmes, critiquait vivement Séverine pour son manque de courage[176].
Aux antipodes sociales, mais à la même époque, deux figures du demi-monde et du spectacle de la Belle Époque, La Goulue et Aïcha, se battirent en duel au surin sur le pont métallique qui enjambe le cimetière de Montmartre. D'après Armand Lanoux (dans son livre Amours 1900), le duel fut interrompu par plusieurs apaches venus en spectateurs alors que La Goulue, blessée, était sur le point de tomber dans le vide.
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