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La cité de Sainte-Suzanne (Mayenne), qui fait partie de la commune nouvelle de Sainte-Suzanne-et-Chammes, s'est forgée un riche passé, favorisé par une situation géographique longtemps stratégique et par la qualité des familles qui ont possédé son château.
Dans le canton de Sainte-Suzanne, les grottes ornées de Saint-Pierre-sur-Erve et de Thorigné-en-Charnie témoignent avec certitude de la présence humaine dans la région depuis 25 000 à 30 000 ans au moins.
À Sainte-Suzanne même, le dolmen des Erves constitue la première trace encore visible d'habitation de cette contrée par les hommes (IVe millénaire av. J.-C.) : il s'agit du plus ancien monument de la Mayenne.
Dans ce site des Erves on a trouvé en 1874 des ossements d'animaux quaternaires au milieu d'une couche d'argile noire reposant sur le sommet corrodé des bancs du calcaire cambrien et surmonté de sables, graviers et argiles rouges. La faune a été considérée par M. Gaudry comme antérieure à celle de l'Elephas primigenius. On a trouvé : Felix leo, Hyæna crocuta, Arctomys marmotta, Rhinoceros Maerckii, etc.[1].
L'occupation par les celtes est attestée par la présence d'un ancien mur vitrifié. Encore visible et bien que partiellement détruit au XIXe siècle, il en est fait mention depuis 1759 et de nombreux fragments en sont régulièrement mis au jour lors de fouilles ou de percements. Ainsi les fouilles archéologiques entreprises en 2006 dans la cour du château ont-elles permis de révéler, sous deux niveaux d'habitat eux-mêmes antérieurs au Moyen Âge (début de l'âge du fer ou fin de l'âge du bronze), des morceaux extraits du mur vitrifié, vestiges d'un procédé de fortification qui est longtemps passé pour énigmatique. Leur datation permettra prochainement de cerner leur âge.
Le site a ensuite été occupé par la tribu des Arviens (du nom de la rivière l'Erve), qui faisait partie du peuple gaulois des Aulerques. Ceux-ci comprenaient les Diablintes (Jublains), les Cénomans (Le Mans) et les Eburovices (Évreux). Des meules gauloises du VIe siècle av. J.-C. env., ont été trouvées lors des fouilles de 2006 ; une ancienne voie pavée mène du Pont-neuf au Tertre Ganne. Compte tenu de la proximité des villes gallo-romaines de Noviodunum (Jublains) (23 km), et Vindunum (Le Mans) (48 km), la position géographique et stratégique de Sainte-Suzanne comme "clef du Maine" n'a pas pu être négligée. Le château ayant été construit au Moyen Âge sur une structure préexistante, seules des fouilles plus approfondies permettront de dégager des vestiges plus significatifs de l'occupation gallo-romaine.
Le donjon est construit par les vicomtes de Beaumont-au-Maine, Fresnay et Sainte-Suzanne dans la première moitié ou au milieu du XIe siècle. De 1083 à 1086, Sainte-Suzanne est le lieu d'affrontement entre le vicomte du Maine, Hubert II de Beaumont, dont l'épouse Ermengarde de Nevers est l'arrière-arrière-petite-fille d'Hugues Capet, et le duc de Normandie et roi d'Angleterre, Guillaume le Conquérant. Hubert avait depuis 1063 soutenu la lutte contre Guillaume le Bâtard ; il avait dû lui rendre en 1073 les châteaux de Beaumont et de Fresnay, mais il ne désarma jamais. En 1083, il s'enferme avec sa femme Ermengarde, fille de Guillaume Ier de Nevers, (°1029 † 1083), comte de Nevers, nièce de Robert de Nevers, (°1035 † 1098), dit Robert le Bourguignon, dans le donjon de Sainte-Suzanne, y réunit une élite de chevaliers, et harcèle jusqu'au Mans les partisans du Conquérant de l'Angleterre. Celui-ci se décide en 1083 à venir au secours des siens, mais renonce à attaquer de front le château, situé au sommet d'une colline protégée par des vignes inextricables. Il installe un fort dans le val de Beugy à 800 m du château, et y laisse une troupe nombreuse et aguerrie sous les ordres d'Alain Le Roux, comte des Bretons.
Prouvant la poliorcétique (ou siège militaire) un art difficile, les faits d'armes sont presque toujours à l'avantage des assiégés, qui capturent et mettent à rançon les chefs anglo-normands. Parmi eux, plusieurs chevaliers sont tués : Robert d'Ussi, Robert de Vieux-Pont, Richer de l'Aigle (), Mathieu de Vitot (janvier 1086), Hervé Le Breton, chef de la milice. La guerre s'enlisant, et après un siège de quatre ans dont subsiste aujourd'hui le Camp de Beugy ou Camp des Anglais, les assiégeants entrent alors en pourparlers de paix et Hubert II, muni d'un sauf-conduit, traverse la Manche jurer une alliance qu'il respecte ensuite loyalement. Les héritiers de Guillaume, qui meurt en 1087, respectent aussi cette paix, faisant, de fait, de Sainte-Suzanne la seule forteresse que Guillaume le Conquérant ne parvint jamais à prendre, et citée comme telle dans l'Histoire d'Angleterre[2].
Forte de cette victoire, la forteresse militaire se développe jusqu'au XIVe siècle. En 1189, après la prise du Mans par Philippe-Auguste, le roi Henri II d'Angleterre passe à Sainte-Suzanne.
En 1241, il est fait mention du « Chemin du roy », passant par Sainte-Suzanne : Vigor, paroissien de Sainte-Suzanne, est accusé par le procureur du bailli royal d'y avoir commis un meurtre[3]. La famille de Beaumont contribue par ailleurs à la restauration de l'Abbaye Notre-Dame d'Évron (985-989), à la fondation des abbayes de Solesmes (1010) et de Vivoin (1058-1062), enfin à l'édification de l'abbaye d'Étival-en-Charnie (1109), et à celle de la Chartreuse du Parc-en-Charnie (1235-1236).
Pendant la Guerre de Cent Ans, la place est aux mains des Français avant le traité de Brétigny (signé le entre Édouard III d'Angleterre et Jean II le Bon et qui permet une trêve de neuf ans dans la guerre de Cent Ans) ; Marguerite de Valentinois, veuve de Jean II de Beaumont-Brienne, et son fils Louis II de Beaumont-Brienne, encore enfant, s'y trouvent le .
Au XIVe siècle, tous les sujets sont contraints à venir faire le guet au château, obligation contre laquelle protestent en 1369 et 1396, au nom de leurs hommes et serviteurs, les Chartreux du Parc d'Orques et les Bénédictines d'Étival. (En 1460, pour s'exempter du guet au château de Sainte-Suzanne, les habitants de Thorigné-en-Charnie, dont le château dépendait de la baronnie de Sainte-Suzanne, déclarèrent qu'ils étaient de la baronnie de Sablé...)
En 1415, les Anglais, maîtres de la Normandie, s'apprètent à envahir le Maine. Dès 1417, ils se partagent les places fortes ; John Popeham se titre capitaine de Sainte-Suzanne : c'est une menace. Tous les sujets, même ceux qui en étaient de droit exempts, se soumettent en 1419 à faire le guet au château "à cause de l'estat du temps présent et des éminents dangiers qui, à l'occasion de la guerre, pourroient avenir en la ville". Le duc Jean Ier d'Alençon (Valois), tué en 1415 à Azincourt, c'est sa femme Marie de Bretagne qui devient duchesse d'Alençon et met en état de défense ses différentes forteresses. Le commandement de Sainte-Suzanne[4] est confié en 1422 à Ambroise de Loré, compagnon de Jeanne d'Arc, qui tient bon jusqu'en 1425. La garnison opère même des sorties avec celles de Montsûrs, Laval, Château-Gontier (janvier 1423).
Le , Thomas Montaigu, Comte de Salisbury attaque Le Mans, vaillamment défendue par Ambroise de Loré pendant 20 jours. Sainte-Suzanne, où Loré s'est renfermé, est finalement prise le par les Anglais, emmenés par une armée considérable. Salisbury s'installe au Tertre Ganne et utilise l'artillerie pour détruire les remparts. Avant le 30 août, on mène en trois charrettes, d'Argentan à Alençon, une grosse somme de deniers... pour les soudoyers estans aux sièges de Sainte-Suzanne et autres places du pays du Maine. Salisbury est en personne, le , au siège devant Sainte-Suzanne, où il reçoit des lettres du receveur général. La brèche faite dans les remparts, Loré, gouverneur de la cité, prisonnier avec la garnison, doit se rendre et payer une rançon de 2000 écus d'or. Sainte-Suzanne reste alors anglaise durant quatorze ans, et doit payer à Jean de Lancastre duc de Bedford, comte du Maine, des « sauvegardes, appatis ou bullettes, et obtenir des anglais des sauf-conduits ou congés ». Loré se retire à Sablé pour reprendre la lutte sans défaillance.
En 1426, Ambroise de Loré avec un détachement de 150 hommes en vue de Sainte-Suzanne, surprend entre le lieu-dit La Crousille et le village d'Ambriers, un détachement de 200 à 240 Anglais commandés par un neveu de Falstaff, l'écuyer Henry Branch qu'il capture avec sa troupe. Il pousse même une pointe hardie jusque dans les faubourgs du Mans, qui tombent un instant entre ses mains. Mais Sainte-Suzanne, garnie des 2 000 à 3 000 soldats de Falstaff, reste aux mains des Anglais.
Le , c'est Jean II d'Alençon lui-même, accompagné du sire André de Lohéac et du baron de Coulonces, encouragés par leurs succès militaires depuis deux ans, qui tente d'assiéger Sainte-Suzanne pour reprendre son propre château ; la frayeur est grande dans la ville et dans les autres garnisons anglaises (Alençon, Fresnay, Argentan, Louviers, Le Mans, Rouen, et même Paris), priées par Thomas Gowen, gouverneur d'Alençon, de se porter au secours des anglais de Sainte-Suzanne. Le roi Henri VI d'Angleterre demande d'urgence des renforts au bailli de Rouen. Mais les Français ne peuvent livrer d'assaut décisif avant l'arrivée des renforts et battent en retraite : Le soir du , on vit briller des feux et paraître des enseignes de secours en divers lieux sur les hauteurs voisines : le coup était manqué pour cette fois, et les Anglais maintinrent d'importants renforts à Sainte-Suzanne.
La ville n'est reprise qu'en décembre 1439 par les Français emmenés par Jean V de Bueil, un soir que le commandant Matthew Gough est absent, grâce à la complicité d'un soldat anglais John Ferremen, marié à une Suzannaise. Mais le Sire de Bueil s'installe au détriment de la famille d'Alençon, ses légitimes propriétaires. En mars 1441, le roi Charles VII de France lui fait enjoindre de restituer la cité. La ville n'est véritablement rendue à la famille d'Alençon qu'en mars 1447 : le , la duchesse d'Alençon reçoit à Sainte-Suzanne l'Hommage de ses sujets. Les Anglais quittent en 1448 une région profondément ravagée.
L'église de Sainte-Suzanne est rebâtie sur l'emplacement de l'ancienne dans les années 1526-1536 ; elle est consacrée le par Jean VIII Jouvenel des Ursins, évêque de Tréguier (en résidence au Mans), coadjuteur de Jean du Bellay (1492-1560).
En effet, par mariages et héritages successifs, la forteresse est passée aux Beaumont-Brienne, puis à la famille d'Alençon. Charles IV d'Alençon se marie en 1509 avec Marguerite de France (1492-1549), laquelle se remarie en 1527, après son veuvage d'avec Charles IV, avec Henri II de Navarre, père de Jeanne d'Albret.
Quelques années plus tard, en 1604, Guillaume Fouquet de la Varenne, homme d'État et ministre de Henri IV, achète à la première épouse du roi, Marguerite de France (1553-1615) dite la Reine Margot, les ruines de la vieille forteresse pour transformer l'ancien château en demeure résidentielle. Ce projet n'est pas achevé, car l'assassinat du roi en 1610 amène progressivement la déchéance de Guillaume Fouquet de la Varenne, Il reste cependant de cette période le logis, un beau corps de bâtiment dans le plus pur style du début du XVIIe siècle.
Sainte-Suzanne, devenue baronnie puis marquisat, passe ensuite, après la descendance de Fouquet de la Varenne, à la famille de Champagne de Villaines, puis à celles de César Gabriel de Choiseul-Praslin et de Charles de Beauvau-Craon et enfin à Ange Hyacinthe Maxence, baron de Damas. En juillet 1661 des lettres patentes signées de Louis XIV concèdent « Foires & marchez pour la Ville de Saincte Suzanne le premier mardi de janvier, le mardi de la semaine Sainte, le jour de la Saint Mathieu, le jour de la Saint Eutrope, le jour de la Sainte Suzanne et le lendemain de la fête de tous les Saints". L'économie (agriculture, élevage, artisanat : meunerie, tannerie, papeterie, fabrique de cartes à jouer...) devient active.
Sainte-Suzanne connait aux XVIIe et XVIIIe siècles une vie administrative et juridictionnelle active. Les notables sont donc nombreux à Sainte-Suzanne sous l'ancien Régime. Les maisons bourgeoises qu'ils construisent intra muros traduisent encore aujourd'hui cette activité qui déclinera après la Révolution française.
Le grenier à sel de La Gravelle ayant été supprimé en 1725, il en fut formé un la même année à Sainte-Suzanne[8]. Le tribunal établi pour juger des différends qui survenaient entre les Traiteurs qui avaient la ferme du sel et les habitants, et pour poursuivre toutes les fraudes qui pouvaient se commettre relativement à l'impôt des gabelles, était composé à Sainte-Suzanne d'un président, d'un grenetier, d'un contrôleur, d'un procureur du roi, ayant tous la qualité de Conseillers du Roi, d'un greffier et d'un huissier. Le greffier et le contrôleur remplissaient au tribunal les fonctions de conseillers auprès du président : ils étaient tenus d'être présents quand on apportait le sel au grenier et pendant la distribution qu'on faisait aux habitants[9]. Mais les fermiers généraux mettaient ces deux conseillers dans leurs intérêts en leur attribuant, comme à leurs propres agents, une gratification proportionnelle au bénéfice résultant de l'excédent trouvé à la fin de l'exercice dans le grenier à sel. Il en résultait que les intérêts des habitants pouvaient souffrir de la parcimonie avec laquelle on leur distribuait ce qu'ils achetaient réellement.
Bien que ces fonctions ou charges publiques si multipliées puissent être cumulées, et que quelques-unes des moins importantes le fussent en effet, elles avaient eu pour résultat de former et de maintenir à Sainte-Suzanne une nombreuse bourgeoisie. Le curé Jean-François Marquis-Ducastel notera ainsi les noms de ces familles : Aveneau, Bassoin, Bésognard, Coignard, Coutelle de la Houssaye, Coutelle de la Tremblaye, Fauvelais, Marsollier, Mustière, Olivier, Panais, Pélisson, Provost, Riballier, Saudubray, Sorin. Une des plus considérables paraît avoir été la famille Pélisson qui avait plusieurs branches : les Pélisson du Bois, Pélisson de Gennes, Pélisson du Defay, Pélisson de la Pommeraye, Pélisson de la Touche et Pélisson du Vernay. On sait que, sans être noble, une personne pouvait posséder une propriété nobiliaire donnant droit à un titre; la bourgeoisie était très désireuse de cette distinction, qui la rapprochait de la noblesse; et ceux même qui ne possédaient pas de propriétés nobles prenaient volontiers le nom d'une de leurs terres. Outre les Pélisson et Coutelle ci-dessus, on trouve encore Bassoin, sieur de la Hervoyère, Sorin, sieur des Hardouinières, Panais, sieur de la Durairie, ou Hodé de la Huberdière, premier huissier du grenier à sel[10]. Le président du bailliage en 1605, Jean Delavigne, prendra le nom de de Lavigne de Sainte-Suzanne ou de Lavigne Sainte-Suzanne[11]
Deux manoirs (dont l'un, Renaissance, jouxtant la tour du château, fut sans doute la demeure des premiers sénéchaux et gouverneurs de la cité, puis celle des présidents du grenier à sel et du bailliage; l'autre, situé derrière l'hôtel de ville, appartint à la famille Provost puis à la famille Ollivier, avocats) et de nombreuses maisons cossues apparaissent alors dans la cité, destinés à cette bourgeoisie liée à l'administration et à la fiscalité royales; on compte alors plusieurs notaires, et même un chirurgien. Ces demeures remplacent des masures datant du Moyen Âge, dont les plus belles pierres de granit ou de grès roussard sont toutefois réutilisées pour les entourages des portes et des fenêtres des nouvelles demeures. À la Révolution, le grenier à sel sera pillé par la population (en octobre 1790)[12].
Il est alors composé de Juliot-Morandière aîné (président), de Pré-en-Pail, de Provost des Vignes, Berthelot (notaire à Izé), Bourmault (procureur à Évron), Le Sueur, (procureur à Beaumont-le-Vicomte et Jean-Baptiste Jouannault (greffier). Au XIXe siècle est mise en place une justice de paix.
En 1789, le curé écrit en marge des registres paroissiaux d'État-civil que l'année est la plus remarquable du siècle présent, par les évènements rares qu'elle nous présente en abondance. L'hiver a été le plus rigoureux qu'on ait jamais senti dans nos climats : il a commencé dès le et il a continué jusqu'au 18 janvier suivant. La rivière a été prise de glace durant tout ce temps, en sorte que les papeteries ont été arrêtées. Les moulins à farine ne pouvaient moudre. On a été sur le point d'éprouver la plus grande disette. On s'est servi des moulins à tabac pour moudre les grains. Les forêts ont éprouvé de grands ravages, et beaucoup de bois ont péri... Et, en mai 1789 : Les États généraux sont assemblés à Paris. Les Assemblées ordinaires se tiennent à Sainte-Suzanne pour le canton. Elles forment les électeurs pour l'Assemblée du Mans. Dix députés sont envoyés du Clergé, de la Noblesse et du Tiers état. L'on prend les armes dans toutes les villes et dans tous les bourgs...
Les cahiers de doléances des communes du canton se bornent à demander la réforme des impôts (et surtout la suppression de la Gabelle du sel), l'amélioration des chemins, l'établissement de Sœurs de Charité. Pourtant, les délits réprimés par les magistrats du bailliage et de nombreux textes laissent imaginer la souffrance du peuple en cette fin de XVIIIe siècle[15].
Le 14 juillet, la prise de la Bastille n'émeut pas de manière apparente la population, mais par contre, en septembre, l'abandon du marché accordé en 1661 par Louis XIV, et les entraves éprouvées dans les marchés voisins par les boulangers et les cultivateurs jettent quelque trouble dans les esprits... Ce calme apparent s'explique en partie par la situation isolée de la petite ville. Cependant, une bonne partie de la population du Bas-Maine et la bourgeoisie de Sainte-Suzanne ont déjà embrassé avec ardeur les idées nouvelles.
La cité abrite une garnison républicaine; le capitaine de la garde nationale, Delelée, envoie le une adresse enflammée à l'Assemblée nationale. En octobre, la population pille le grenier à sel.
Sainte-Suzanne prend le nom de Mont-d'Erve[16]; à partir de 1793, les Chouans sillonnent la campagne et la forêt de la Charnie. Le 2 avril, on assure que depuis quelque temps se forme une espèce d'attroupement dans les bois de Montecler et de La Chapelle-Rainsouin, et qu'un citoyen de Châtres-la-Forêt y a été désarmé par neuf personnes. Le lendemain, un nouveau rassemblement est signalé... De jour en jour, les succès de la Vendée surexcitent davantage les partisans de la Révolution... Des détachements de volontaires se forment pour marcher les uns aux frontières, les autres au secours du département de Maine-et-Loire...
Le , une troupe de 1 200 hommes se concentre dans la ville, dont on répare les brèches à la hâte, par peur des Vendéens. Cette garnison se porte sur Le Mans le . Le 13 au soir, lendemain de la bataille du Mans, François-Joseph Westermann, surnommé « le boucher des Vendéens », qui a massacré les fuyards dans sa course depuis Le Mans[17], couche à Sainte-Suzanne.
Le , René Jean Baptiste Serveau[18], qui en 1788 avait pris à ferme avec Mathurin Julien Dalibourg le domaine de Sainte-Suzanne, offrit au directoire d'Évron de lui en livrer le chartrier qu'il avait entre les mains, pour le jeter aux flammes. Le brûlement de 439 liasses regroupant 3347 documents est mentionné dans un acte du [19].
De nombreuses escarmouches ont lieu de 1794 à 1799 entre les gardes nationaux et les chouans de la Charnie. Une jeune fille républicaine de 19 ans de Thorigné-en-Charnie, Perrine Dugué, est assassinée par trois Chouans le , et donne naissance à un curieux "culte".
En raison des malheurs qui arrivent continuellement dans le canton, ordre est donné le de faire des patrouilles pendant la nuit et de tenir les portes de ville fermées. Le , la situation du canton n'est pas rassurante... Les patriotes prennent peur . Le , ordre est donné par le Département de se tenir en garde contre un coup hardi que doivent tenter les brigands.
Les sympathies napoléoniennes de la cité lui valent ensuite pendant les Cent-jours le surnom de l'Île d'Elbe. À la fin des Cent-jours, un détachement royaliste, commandé par Camille de Pontfarcy, vient le pour s'emparer de Sainte-Suzanne, et veut livrer l'assaut. La population, rejointe par des réfugiés, se barricade dans la cité, prête à résister. Mais il y a seulement quelques coups de fusil, et les royalistes se retirent à Évron sur ordre venu de Laval. Le 13 juillet, le maire ayant fait dire que la ville se rendait sans condition et que les réfugiés l'avaient quittée, Eugène Boullier vient en prendre possession. Les habitants « reçurent les royalistes avec un morne silence et une tristesse marquée ». Jacques Marquis-Ducastel, frère de l'ancien curé, est nommé maire en juillet 1815 en remplacement d'Edouard Delespinasse, aux sympathies napoléoniennes sans doute trop marquées, qui est aussi régisseur du château. Le bruit court que de sinistres complots se trament encore. Si ces bruits sont vains, il est certain que la classe dirigeante n'est pas gagnée à la légitimité, et que l'on salue avec joie fin juillet 1830 (Trois Glorieuses) la chute de Charles X.
Les années 1830 - 1850 sont marquées par le déclin économique (fermeture des papeteries, tanneries...), alors que la cité n'a jamais compté autant d'habitants. L'apparition, en 1845, d'une fabrique de briques, ne compense que très faiblement ces disparitions. Les journaliers agricoles, qui constituent l'essentiel de la main d'œuvre, ne sont pas facilement employables l'hiver; il est indispensable de fournir du travail à ces ouvriers sans ouvrage, et de quoi leur procurer du pain, alors même que les céréales sont devenues très chères par suite d'hivers rigoureux. La population aisée devra donc se montrer charitable envers les indigents, aussi bien par esprit de solidarité que par réflexe de défense, pour éviter les dangers de la mendicité. En 1847, le Conseil municipal crée un atelier de charité destiné à employer les ouvriers à réparer les rues et à refaire des chemins de communication. Les habitants fortunés sont appelés à favoriser la poursuite de ces travaux sous forme de souscription.
Rien d'étonnant dans ce contexte à ce que la cité affirme ses sympathies à la Révolution française de 1848.
En 1852, on distribue aux pauvres une somme qui était destinée aux fêtes publiques. En 1855, le Préfet incite les communes à créer des sociétés de secours mutuels. Le Conseil municipal, « tout en reconnaissant l'utilité de pareilles sociétés, a décidé que le moment ne lui paraissait pas opportun pour en créer une actuellement en la commune, à raison de l'extrême détresse où se trouve la classe ouvrière par suite de la cherté des denrées aliementaires, ce qui l'empêcherait de fournir aucune cotisation, et parce que la souscription qui vient d'avoir lieu pour former un bureau de charité serait aussi un obstacle à ce que les personnes aisées contribuassent à former le fonds social. Il existe d'ailleurs dans la commune une Société de dames charitables pour le soulagement des pauvres malades. Elles font elles-mêmes la quête, le dimanche, à l'église, et avec les ressources qu'elles se procurent ainsi, elles distribuent aux malades les secours dont ils ont besoin en pain, viande, vin, linge et médicaments ».
Les marchés hebdomadaires et les 8 foires annuelles sont, en revanche, plus florissants. À chaque foire sont présentés en moyenne entre 400 et 600 bovins, 100 à 350 équins, 100 à 400 porcins, et 80 à 100 ovins, la foire du rassemblant par exemple 1350 animaux.
Lors de la Guerre de 1870, la commune est occupée du dimanche 15 au mardi par les uhlans, qui réquisitionnent habitations, vivres et fourrage. Abandonnée par les débris du 17e corps (Colomb), la municipalité avait fait arborer le drapeau blanc. Deux reconnaissances des Français le 16 et le 23 constatent que la ville est évacuée, mais le lendemain 24, le 6e hussards de Silésie s'y installe et ne se retire qu'à l'armistice, la ville étant comprise dans la zone neutre. Une chronique au jour le jour de l'occupation prussienne a été tenue par l'Abbé Julien Monguillon, curé de Sainte-Suzanne de 1865 à 1877[20].
Lors de la Grande Guerre, Sainte-Suzanne perd 59 de ses enfants, Morts pour la France.
À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, Sainte-Suzanne est libérée les 6- par la 90e division d'infanterie américaine (bataillon du Lieutenant-colonel Edward Hamilton, 357e régiment d'infanterie du Colonel Georges H. Barth). Les combats font 18 morts du côté américain, et 25 à 30 du côté allemand. Plusieurs avions américains de la 47th escadrille de chasse (fighter group) rattachée à la 9. Army Air Force, poursuivis par un groupe de 25 avions de chasse Messerschmidt allemands, s'étaient écrasés le en forêt de Charnie: un avion de chasse P-38 à proximité de Saint-Denis-d'Orques près de la ferme de l'Émerillonnière (Lieutenant Charles Patton, mort lors du crash) et un B-17 G près de la ferme de Beausoleil. L'un des pilotes, survivant, le lieutenant James Banks, fut récupéré, caché et soigné par la Résistance, et rallia le régiment d'Hamilton lors de son arrivée à Sainte-Suzanne dix jours plus tard.
Les 9 et , le Général de Gaulle, qui se rend à Mayenne à une réunion de présentation de son parti, le RPF, est accueilli à Sainte-Suzanne par les anciens résistants qui ont œuvré pendant la guerre dans les maquis de la région. Il passe la nuit dans la Maison Gauvin, rue du Champatoire.
Par ventes successives, le château devient au XIXe siècle propriété de Marie-Louise de Girardin (d'Ermenonville), des Vicomtes de Vaulogé (de Fercé-sur-Sarthe), puis par mariages, du Prince Philippe de Carini, et de sa fille Marie-Béatrice, comtesse de Livonnière. Le château est loué, puis sert de colonie de vacances ou de lieu de séjour d'enfants réfugiés, puis sombre dans l'oubli et le silence.
Le lierre et la végétation envahissent le château, le donjon, le pont-levis et les remparts. En 1960, plus de 40 maisons sont à vendre. En décembre 1961 se crée l'association des Amis de Sainte-Suzanne, destinée à sauver, sauvegarder et faire connaître l'histoire et les monuments de la cité. La commune choisit à partir de 1965 le développement touristique, et l'association organise avec elle en août 1965 un spectacle nocturne, amorce d'un spectacle Son et Lumière qui réunit durant tout l'été 1966 et 1967 plus de 130 figurants et acteurs bénévoles (soit une part importante de la population active), attirant des milliers de spectateurs. Parallèlement, dès l'automne 1965, commence le débroussaillage de la colline et du château, et le délierrage des remparts : durant une dizaine de journées de travail échelonnées sur quelques mois, plus de quarante suzannais bénévoles entreprennent et réussissent ce sauvetage. La commune acquiert la tour d'orientation et le Tertre Ganne. Le château devient lieu de promenade, de spectacles, de concerts et d'expositions. Sainte-Suzanne est lauréate régionale du concours "Village que j'aime", obtient le coq d'argent et une mention nationale, pour la participation de la population au renouveau de la cité. Un village de vacances vvf est construit en 1970-1971, tandis que le château, acheté en 1969 par Aude Fonquernie, est restauré et devient un lieu d'expositions prestigieuses (Picasso, Matisse, Giacometti, Árpád Szenes, Jeux et jouets du XIXe siècle, etc.) En 1973, l'association achète une maison, ancien auditoire de justice, pour y créer le Musée de l'auditoire, qui retrace les trois mille ans d'histoire de la cité. Il est devenu communal en 2012.
La commune, malgré sa taille modeste, se porte progressivement acquéreur d'autres sites emblématiques de son histoire : le château en 1980, le Camp de Beugy en 1992, le manoir de la Butte-verte en 2000 par exemple. Elle aménage la rivière (régularisation du cours de l'Erve, plan d'eau du Pont-neuf, étang des Chauvinières), construit une piscine, un village de vacances, un camping, des terrains de tennis, une salle socio-culturelle en 2005. Depuis 2009 la Commune abrite le siège de l'Office de Tourisme de Sainte-Suzanne - Les Coëvrons, et, à travers l'association Médiéville53, organise dans la cité des animations médiévales, des visites guidées, des actions pédagogiques et touristiques nombreuses. Le château est enfin acquis en 1999 par le département de la Mayenne, qui réalise, de 2000 à 2009, des travaux considérables sur le donjon, le pont-levis, la porte de fer, les remparts et enfin le logis. Le CIAP Centre d'Interprétation de l'Architecture et du Paysage du Pays d'art et d'histoire Coëvrons-Mayenne et du département de la Mayenne y est installé depuis le .
En 2009, la Commune reçoit au Sénat le diplôme de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France pour la restauration du manoir de la Butte-verte.
Sainte-Suzanne entre le parmi Les Plus Beaux Villages de France et reçoit le pour le Camp de Beugy le label "Architecture de terre remarquable en Europe" terra [in]cognita décerné par l'ICOMOS (International Council on Monuments and Sites). En 2011, la cité est classée par la Préfecture Commune touristique; elle reçoit le Trophée de l'eau du Bassin Loire-Bretagne, un classement 1 Fleur et le Prix régional du Patrimoine au titre du Concours des villes et villages fleuris. Le Grand-Moulin est restauré en 2012-2014 par la Communauté de communes des Coëvrons et un papetier professionnel (métiers d'Art) s'y installe en 2017. Elle obtient sa 2e fleur en 2013, et les rubans du patrimoine en 2015 pour la restauration du grand-Moulin. En 2017, la Commune et l'Association des Amis de Sainte-Suzanne restaurent la chapelle de la Croix-couverte dédiée à Saint Eutrope de Saintes (retable de 1706 inscrit M.H.).
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