Denis Diderot
écrivain, philosophe et encyclopédiste français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Denis Diderot, né le à Langres et mort le à Paris, est un écrivain, philosophe et encyclopédiste français des Lumières, à la fois romancier, dramaturge, conteur, essayiste, dialoguiste, critique d'art, critique littéraire et traducteur.
Denis Diderot
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Anne-Antoinette Champion (de 1743 à 1784) |
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Diderot est reconnu pour son érudition, son esprit critique et un certain génie. Il laisse son empreinte dans l'histoire de tous les genres littéraires auxquels il s'est essayé : il pose les bases du drame bourgeois au théâtre, révolutionne le roman avec Jacques le Fataliste et son maître, invente la critique à travers ses Salons et supervise la rédaction d'un des ouvrages les plus marquants de son siècle, la célèbre Encyclopédie. En philosophie également, Diderot se signale en proposant matière au raisonnement du lecteur plutôt qu'un système complet, fermé et rigide[n 1].
Mal connu de ses contemporains, tenu éloigné des polémiques de son temps, peu enclin à la vie des salons et mal reçu par la Révolution, Diderot devra attendre la fin du XIXe siècle pour recevoir tout l'intérêt et la reconnaissance de la postérité dans laquelle il avait placé une partie de ses espoirs. Certains de ses textes sont restés inédits jusqu'au XXIe siècle et l'édition moderne de ses œuvres complètes entamée par l'éditeur parisien Hermann en 1975 n'est pas encore achevée.
Biographie
Résumé
Contexte
Jeunesse (1713-1728)
La famille de Diderot est installée depuis plusieurs générations à Langres, petite ville de Champagne située à 300 km à l'est de Paris. Son grand-père Denis Diderot (1654-1726), coutelier et fils de coutelier, avait épousé en 1679 Nicole Beligné (1655-1692), issue de la célèbre maison de coutellerie Beligné[1].
Sa mère Angélique Vigneron (1677-1748) était la fille d'un maître tanneur[2]. Son père Didier Diderot (1685-1759), maître coutelier, était réputé pour ses instruments chirurgicaux, scalpels et lancettes, dont il avait perfectionné la forme. Il était respecté pour son jugement et sa probité.
Mariés en 1712, ses parents eurent neuf enfants dont quatre seulement atteignirent l'âge adulte : deux garçons et deux filles[3]. Denis naît à Langres[n 2], le , peu après la mort du premier enfant. Il est baptisé le lendemain en l'église Saint-Pierre-Saint-Paul de Langres[n 3].
Malgré les tensions que Denis aura avec son père à l'âge adulte, ce dernier lui a transmis ses préoccupations morales et un intérêt pour la technique qui l'aidera dans sa rédaction de l’Encyclopédie.

Diderot était l'aîné de la fratrie. Sa sœur Angélique (1720-1749), est entrée chez les Ursulines à l'âge de 19 ans et est devenue folle en 1748, avant de mourir un an plus tard[3]. Son histoire inspira en partie La Religieuse[4]. Son frère cadet Didier-Pierre (1722-1787) embrassa la carrière ecclésiastique et devint chanoine de la cathédrale de Langres. Les relations entre les deux frères furent conflictuelles jusqu'à la fin, Didier refusant encore tout contact avec la fille de son frère bien après sa mort[n 4]. Sa sœur Denise (1715-1797), enfin, restée à Langres, sera le lien permanent et discret entre Diderot et sa région natale.
En octobre 1723, Denis, qui avait déjà appris le latin avec un précepteur privé, est admis au collège jésuite de Langres, proche de sa maison natale. À douze ans (1725), ses parents envisageaient pour lui la prêtrise : il reçoit la tonsure de l'évêque de Langres le et prend le titre d'abbé ainsi que la tenue ecclésiastique. Il est prévu qu'il succéderait à son oncle, Didier Vigneron, frère aîné de sa mère et chanoine à Langres, mais la mort prématurée et sans testament de ce dernier ne permet pas à Denis de bénéficier de sa prébende[5],[n 5]. Le jeune Diderot termine donc ses études au collège en se distinguant à la fois comme un élève batailleur et indiscipliné mais extrêmement brillant, raflant tous les prix de fin d'année.
Premières années parisiennes (1728-1745)
Peu intéressé par la carrière ecclésiastique, ni par l'entreprise familiale et les perspectives de la vie en province, Denis décide d'aller à Paris pour devenir jésuite. Son père l'accompagne jusqu'à la grande ville en fin 1728 ou début 1729 et l'inscrit au collège d'Harcourt. Il obtient le diplôme de maïtrise ès arts trois ans plus tard, le . puis entre à la Sorbonne. Le , il reçoit une attestation de l'université de Paris confirmant qu'il a étudié avec succès la philosophie pendant deux ans et la théologie durant trois ans. Il peut donc entreprendre les démarches auprès de l'évêque de Langres afin d'obtenir un poste, mais abandonne l'idée.
De 1736-1738, Diderot travaille pour l'avocat Clément Le Ris, mais passe le plus clair de son temps à lire les auteurs grecs et latins, étudier les mathématiques et apprendre l'anglais et l'italien. L'avocat ayant alerté le père Diderot, celui-ci répond que son fils doit choisir entre trois professions : médecin, procureur ou avocat. Denis ayant répondu qu'il aimait l'étude et ne voulait aucune de ces professions[n 6], son père lui supprime sa pension et reste insensible à ses lettres. Denis se fait un peu d'argent en servant de précepteur durant trois mois chez le banquier Élie Randon de Massanes, mais abandonne cette tâche qui l'occupe du matin au soir. Il rédige des sermons pour un missionnaire. Il extorque de l'argent à Frère Ange, un carme de Langres à qui il avait promis de se faire moine.
Ses préoccupations prennent progressivement une tournure plus littéraire. Il fréquente les théâtres, apprend l'anglais dans un dictionnaire latin-anglais[6], et donne quelques articles au Mercure de France, le premier de ceux-ci étant une épître à M. Basset, en janvier 1739. À la fin des années 1730, il annote une traduction d'Étienne de Silhouette de l'Essay on man d'Alexander Pope et se tourne vers la traduction.
Mariage clandestin et premiers écrits (1743-1749)
Entre 1740 et 1746, Diderot déménage fréquemment sans jamais s'éloigner du Quartier latin[n 7]. En 1740 il se trouve rue de l'Observance puis rue du Vieux-Colombier et rue des Deux-Ponts.
En 1742, il devient amoureux de Anne-Antoinette Champion (1710-1796), une blanchisseuse de 31 ans qu'il appelle Toinette ou Nanette, et qui vivait dans l'immeuble où il logeait. Toinette, dont le père était mort quand elle avait trois ans, était d'origine noble mais vivait pauvrement en raison de désastres financiers. Elle avait été dans un couvent jusqu'à l'âge de 13 ans mais était à peine capable de lire. Pour surmonter les réticences de sa mère, Diderot se présente en habit ecclésiastique et réussit à s'entretenir avec la belle Toinette, qui accepte de l'épouser. Diderot effectue un premier retour à Langres pour solliciter auprès de son père le droit de se marier — la majorité matrimoniale étant fixée à 30 ans à cette époque —, mais il essuie un refus car son père estime que cette femme est en dessous de sa classe sociale de bourgeois. Comme Denis persiste, son père tente de bloquer ce projet de mariage en le faisant enfermer dans un monastère de Carmélites, où il est tonsuré et moqué par les moines. Après quelques jours, Denis réussit à s'échapper durant la nuit et se rend à Troyes, à 120 km de là, mais doit rester caché pour éviter d'être repris par la police. Toinette, qui avait abandonné l'idée de l'épouser à la suite d'une lettre de son père, apprend après quelques mois que Denis est très malade. Elle lui rend visite avec sa mère et l'aide à se remettre. Les deux amoureux se marient alors secrètement[n 8] en l'église Saint-Pierre-aux-Bœufs[n 9] le [n 10]. Le jeune couple s'installe rue Saint-Victor (1743)[7].
Cette union ne sera pas heureuse fort longtemps. Diderot oublie rapidement une épouse très éloignée de ses intérêts littéraires et entretient dès 1745 une première liaison connue avec Madeleine de Puisieux. Toutefois, en dépit de ses écarts conjugaux, il aura toujours soin de protéger les siens ; de son couple, naîtront quatre enfants dont seule la cadette, Marie-Angélique (1753-1824), atteindra l'âge adulte[8].
L'année 1742 marque le début de son amitié avec Jean-Jacques Rousseau qu'il rencontre au Café de la Régence, alors qu'il observait des joueurs d'échec[n 11] Très vite, ils découvrent qu'ils ont en commun l'amour de la musique, du théâtre, de la philosophie et de la littérature. Une forte amitié naît entre les deux hommes. Par l'intermédiaire de Rousseau, Diderot rencontre Condillac en 1745. Ils forment à trois une petite compagnie qui se réunit souvent[n 12].
En 1743, sa carrière littéraire débute par des traductions de l'anglais. En 1745 paraît sa traduction, largement augmentée de ses réflexions personnelles, de An inquiry concerning virtue or merit de Shaftesbury, publié sous le titre Essai sur le mérite et la vertu[n 13], premier manifeste du glissement de Diderot de la foi chrétienne vers le déisme.
En 1746, le couple s'installe rue Traversière puis, en avril, rue Mouffetard, (avril 1746), chez François-Jacques Guillotte, un officier militaire qui fournira plus tard un article à l'Encyclopédie sur la construction des ponts[9]. C'est l'année où Diderot publie sa première œuvre originale, les Pensées philosophiques.
En 1748, Diderot publie de façon anonyme Les Bijoux indiscrets, conte orientalisant mettant en scène les femmes de la cour à travers les confidences de leurs vagins. Il publie aussi Mémoires sur différents sujets de mathématiques, un ouvrage qui jette les bases de sa notoriété comme mathématicien.
Il rencontre à cette époque Jean-Philippe Rameau et collabore à la rédaction de sa Démonstration du principe de l'harmonie (1750).
Château de Vincennes (24 juillet au 3 novembre 1749)
Les positions matérialistes de sa Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient, qui paraît en 1749, achèvent de convaincre la censure que leur auteur, surveillé depuis quelque temps, est un individu dangereux. Surtout, en cette année 1749, le pouvoir et l'ordre à Paris sont menacés par des problèmes économiques qui paupérisent une partie de la population. En outre, la signature du Traité d'Aix-la-Chapelle (1748) a amené en ville nombre de militaires désœuvrés qui enlèvent, violent et tuent. Des rumeurs circulent accusant la police royale d'enlever des enfants pour les emmener à Versailles pour que Louis XV puisse se baigner dans leur sang[10]. La police se sent pressée d'agir. La Lettre sur les aveugles est condamnée et Diderot est arrêté chez lui, rue de l'Estrapade[n 14] et emmené au château de Vincennes où il sera incarcéré trois mois sur ordre du préfet de police Berryer. Selon le procès-verbal de l'interrogatoire, quand ce dernier interroge le prévenu le 31 juillet 1749, Diderot nie fermement être l'auteur de la Lettre en question[11].

À son domicile, la police saisit toutefois le manuscrit de La Promenade du sceptique[12] mais cherche vainement le manuscrit de L'Oiseau blanc : conte bleu. Toutefois, le policier se rend chez Laurent Durand, imprimeur de cet ouvrage, qui se montre nettement plus coopératif[13]. Après quatre semaines de cellule, Diderot change de stratégie et écrit une longue lettre à Berryer pour faire amende honorable et tenter de l'apitoyer. En outre, il écrit au comte d'Argenson, alors ministre de la censure et de la guerre, une lettre assez flatteuse dans laquelle il lui annonce que, en tant qu'éditeur de l'Encyclopédie, il avait envisagé de lui dédicacer cet ouvrage — ce qu'il fera d'ailleurs deux ans plus tard. N'ayant pas de réponse de Berryer, il lui écrit une autre lettre dans laquelle il avoue être l'auteur des Pensées philosophiques, des Bijoux indiscrets et de la Lettre sur les aveugles. Berryer lui donne alors une cellule beaucoup plus confortable ainsi qu'un droit de visite.
Durant sa détention, Diderot reçoit la visite à plusieurs reprises de son ami Jean-Jacques Rousseau qui, en chemin, a un jour la fameuse illumination qui l'amènera à écrire, sans doute avec l'aide de Diderot, son Discours sur les sciences et les arts[14].
Outre la visite de sa femme Toinette et de Madame de Puisieux, il a des réunions de travail avec ses éditeurs et se remet à l'Encyclopédie avec son co-éditeur d'Alembert et Louis-Jacques Goussier, responsable des illustrations[15]. Il reçoit aussi le soutien de Voltaire et d'Émilie du Châtelet qui parvient à faire assouplir ses conditions de détention. Libéré après 102 jours de prison, il s'engage à modérer ses écrits et sera désormais d'une grande prudence dans ses publications, préférant même réserver certains de ses textes à la postérité ou à jouer de discrétion afin de contourner la censure. Cette lutte, qui sera incessante jusqu'à la fin de la publication de l'Encyclopédie, est le premier positionnement de Diderot à l'égard du pouvoir[16].
L'Encyclopédie (1747-1772)
À l’origine, l’Encyclopédie ne devait être que la traduction en français de la Cyclopædia d’Ephraïm Chambers, dont la première édition date de 1728, mais Diderot, auteur polygraphe dont la pensée philosophique ne cesse de s'accentuer dans le sens de l'athéisme, du matérialisme, mais aussi de la théorie de l'évolution, préfère se lancer dans ce qui sera l'œuvre d'une vie[17].
L'année 1747 marque le début des pleines responsabilités de Diderot dans le vaste projet éditorial de l'Encyclopédie. Il s'installe alors rue de l'Estrapade sur la montagne Sainte-Geneviève. Deux ou trois fois par semaine, il se réunit avec Rousseau au Panier fleuri, petite auberge sur la rive gauche, près du Pont Neuf. Condillac se joindra bientôt à ces rencontres et influencera grandement l'orientation théorique du projet, même si, sans doute par prudence, il n'y écrira aucun article. Le jeune prodige d'Alembert, membre de l'Académie royale des sciences depuis 1741, est le dernier à se joindre au groupe[18].
Le Prospectus paraît en 1750 suivi du premier volume un an plus tard. Au total, Diderot consacrera 25 ans de sa vie à ce projet qu'il n'achève qu'en juillet 1772, rempli de l'amertume due au manque de reconnaissance, aux errements de l'édition et au comportement des éditeurs (Le Breton en particulier).
Pour contourner la censure de l'époque, lui et les éditeurs de l'Encyclopédie ont inséré des renvois et des références croisées dans leurs articles, préfigurant ainsi les liens hypertextes modernes pour transmettre des idées critiques, notamment à l'égard du dogme religieux, de manière indirecte[19].
Cette période de travail intense, avec ses charges, ses menaces, ses satisfactions et ses déceptions est également marquée par quelques événements privés importants.

En 1750, il est nommé à l'Académie royale des sciences de Prusse. Et en 1753 naît Marie-Angélique, le seul de ses enfants qui lui survivra.
Les finances s'améliorent et, en 1754, la famille Diderot s'installe aux 4e et 5e étages d'un logis de la rue Taranne et n'en bougera plus[n 15].
En 1755, il rencontre Sophie Volland, peut-être par l'intermédiaire de Rousseau. Il entame avec elle une liaison clandestine qui se prolongera jusqu'à la mort de celle-ci et qui est à l'origine d'une abondante correspondance, aujourd'hui considérée comme essentielle pour la connaissance de l'écrivain.
À partir de 1757, ses idées commencent à diverger de celles de Jean-Jacques Rousseau, entre autres sur la question de la valeur de l'homme dans la société. Diderot en effet comprend mal la volonté de solitude exprimée par Rousseau et écrit dans Le Fils naturel, que « l'homme de bien est dans la société, et qu'il n'y a que le méchant qui soit seul. » Rousseau se sent attaqué et s'offusque[20]. La brouille a également pour origine les indiscrétions que Rousseau attribue à Diderot sur la liaison qu'il avait avec Louise d'Épinay[21].
À la suite de cela, dans la version de 1760 du Contrat social dite « Manuscrit de Genève », Rousseau introduit une réfutation de l'article « Droit naturel » publié en 1755 dans l'Encyclopédie. La polémique avec Diderot[22] le conduit à supprimer le chapitre « La Société générale du genre humain », contenant la réfutation[23]. C'est le début d'un éloignement qui ne fera que se marquer davantage.
Le décès de son père, en 1759, impose à Diderot un voyage à Langres pour régler la succession. C'est l'occasion pour lui de retrouver sa terre natale et de repenser à l'intégrité de son père. Il en sortira des textes importants, comme le Voyage à Langres et l'Entretien d'un père avec ses enfants.
Le critique d'art et l'impératrice (1765-1773)
À partir de 1769, Grimm confie plus largement la direction de la Correspondance littéraire à Diderot[24] et Louise d'Épinay. Ce sera l'occasion pour Diderot de développer une activité de critique tant dans le domaine littéraire qu'artistique grâce à ses neuf comptes-rendus des salons qu'il rédigera entre 1759 et 1781. La Correspondance littéraire sera également le premier mode de diffusion, manuscrit et très restreint, de nombreux textes du philosophe.
Les divergences avec Rousseau s'affirment depuis quelques années déjà, la dispute s'amplifie jusqu'à la rupture totale en 1770. Rousseau considère dès lors Diderot comme un ennemi. L'un et l'autre éprouveront une grande amertume à la suite de cette rupture. Ainsi, dans sa Lettre sur les spectacles, Rousseau écrit : « J'avais un Aristarque sévère et judicieux, je ne l'ai plus, je n'en veux plus ; mais je le regretterai sans cesse, et il manque bien plus encore à mon cœur qu'à mes écrits ». Et Diderot répond, dans l'Essai sur les règnes de Claude et de Néron : « Demandez à un amant trompé la raison de son opiniâtre attachement pour une infidèle, et vous apprendrez le motif de l'opiniâtre attachement d'un homme de lettres pour un homme de lettres d'un talent distingué ».

Au printemps 1769, Diderot devient l’amant de Jeanne-Catherine Quinault (dite madame de Maux, du nom de son mari), nièce de la comédienne Jeanne-Françoise Quinault et amie de Louise d'Épinay.
En janvier 1765, Diderot laisse entendre à ses amis qu'il serait prêt à vendre sa bibliothèque pour doter correctement sa fille — qui n'a alors que 12 ans. Son ami Grimm en informe le chambellan de la reine de Russie, Catherine II. Celle-ci en fait aussitôt l'achat pour 15 000 tout en insistant pour que Diderot la garde en viager et qu'il soit rémunéré comme bibliothécaire de ce fonds à raison de 1 000 par an. À la suite d'un retard de paiement, l'impératrice lui paie même 50 années d'avance, soit formatnum équivalant à 700 000 en 2019[25]. Diderot est également nommé membre de l'Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg en 1767. Ces largesses permettront au philosophe de mettre sa fille et ses vieux jours à l'abri du besoin, et auront un impact important sur la réception de son œuvre.
À la suite de la vente de sa bibliothèque[n 16], Diderot se considère comme l'attaché culturel de l'impératrice et convainc plusieurs artistes de s'installer à Saint-Pétersbourg, notamment son ami le sculpteur Étienne Maurice Falconet qui érigera la statue en bronze de Pierre le Grand installée devant le sénat de Saint-Pétersbourg. Il négocie aussi pour l'impératrice l'achat de tableaux et de sculptures. Grande amatrice d'art, Catherine II chargeait ses principaux contacts, dont Diderot, d'acheter des œuvres européennes alors introuvables en Russie. C'est Diderot, par exemple, qui négocie avec Louise Crozat de Thiers dite « la Maréchale » l'achat des 500 tableaux de la « galerie Thiers », comprenant des œuvres de Raphaël, Rembrandt, Titien, Véronèse, Rubens, etc. ; l'accord est signé le 4 janvier 1772 pour 460 000 livres[26]. Cette vente suscita bien des critiques, mais le roi de France était incapable de surenchérir en raison du piteux état des finances publiques dû à un contexte économique et géopolitique désastreux[27].
Le 9 septembre 1772, sa fille unique se marie avec Abel François Nicolas Caroillon de Vandeul.
Voyage à Saint-Pétersbourg (1773-1774)

Depuis plus de 10 ans, Diderot était invité par Catherine II dont les largesses à son égard méritaient sa reconnaissance. Peu enclin aux mondanités et d'un caractère casanier, ses obligations éditoriales et familiales incitaient Diderot à reporter le déplacement. Ce n'est qu'en 1772, après avoir terminé l'Encyclopédie qu'il envisagea enfin ce voyage[n 17]. Il avait aussi marié sa fille Angélique le 9 septembre 1772 avec le fils d'un industriel de Langres, mais cela n'avait pas été sans lui causer beaucoup de chagrin[n 18]. Enfin, il lui était d'autant plus facile de quitter Paris que sa vie amoureuse était en panne, tant du côté de Sophie Volland que du côté de Madame de Maux[28].
Diderot effectue ainsi l'unique voyage de sa vie hors de France, du au . Ce voyage sera marqué d'un séjour à Saint-Pétersbourg, de ses entretiens avec Catherine II[n 19] et deux longs séjours à La Haye, dans les Provinces-Unies de l'époque[29].
Avant son départ, Diderot avait pris avec son ami Jacques-André Naigeon les dispositions nécessaires en cas de décès. Il revint indemne, des projets plein la tête, mais très affaibli ; les conditions du voyage et les rigueurs de l'hiver russe ont pu écourter sa vie de quelques années...
À l'aller et au retour de son voyage, Diderot passe deux longs séjours à La Haye, dans les Provinces-Unies[30]. Son Voyage en Hollande est une synthèse de ses observations et, surtout, de ses lectures sur le pays.
Premier séjour à La Haye (juin à août 1773)
Il séjourne une première fois à La Haye du au , chez l'ambassadeur de Russie Dimitri Alexeïevitch Galitzine et sa femme Amélie Galitzine[31] à l'ambassade de Russie, Kneuterdijk, no 22[32]. Dès son arrivée, il va voir la mer pour la première fois. Il apprécie la nourriture et les multiples sortes de poissons.
Lors de ce séjour, Diderot rencontre notamment le philosophe François Hemsterhuis et visite Haarlem, Amsterdam, Zaandam et Utrecht[33]. Il rencontre aussi des professeurs de lycée à l'Université de Leyde[34]. C'est durant ce séjour qu'il termine le brouillon d'un de ses essais les plus importants : Paradoxe sur le comédien[35].
Séjour à Pétersbourg (octobre 1773 à mars 1774)

Le 20 août, Diderot et le chambellan de l'impératrice, Aleksei Vasilievich Narychkine, quittent La Haye pour Pétersbourg, avec des arrêts à Duisbourg, Leipzig et Dresde. Sur la route, Diderot travaille à un essai sur l'histoire de la police en France et compose des poèmes licencieux. Ils arrivent à Saint-Pétersbourg le 8 octobre. Diderot, malade, se décrit comme « plus mort que vivant ». Il devait être hébergé dans la maison de son ami le sculpteur Falconet, rue Millionaya, près du palais, mais le fils de celui-ci, rentré un peu plus tôt de Londres, occupait la chambre réservée au philosophe. Finalement, Diderot va passer cinq mois dans la maison de Narychkine au centre de la ville. La présentation à l'impératrice a lieu le 15 octobre, lors d'une fête costumée : Diderot portait son costume noir et on lui prêta une perruque[n 20]. Les entretiens avec Catherine commencèrent les jours suivants et ils eurent lieu trois fois par semaine, entre trois et six heures de l'après-midi, dans les appartements privés. Entre deux rencontres, Diderot travaille fiévreusement à rédiger un total de 65 mémoires pour l'impératrice, regroupés sous le titre Mémoires pour Catherine II, conservés aux Archives centrales historiques de Moscou[36],[37].
La correspondance de Diderot révèle le grand sérieux des sujets abordés : la valeur de la libre concurrence dans le commerce et le gouvernement, la nécessité de régler la succession au trône russe, la commission législative que Catherine avait assemblée en 1767, le luxe, le divorce et les académies, le rapport du trône avec la religion, la méritocratie en Russie, la situation des Juifs, la tyrannie, l’importance des écoles publiques, l’administration de la justice, les universités, la littérature, etc. Diderot incite aussi Catherine à réinstaller sa capitale à Moscou et à réduire considérablement les dépenses du palais[38]. Catherine est vivement impressionnée par l'imagination de son invité et le décrit dans une lettre à Voltaire comme « l'homme le plus extraordinaire qu'elle ait jamais rencontré ». Diderot, pour sa part, considérait l'impératrice comme une femme éminemment supérieure à lui, avec l'âme de César et les charmes de Cléopatre. Tout en l'écoutant avec attention, l'impératrice le reprend fermement lorsqu'il s'aventure à lui suggérer de mettre fin à la guerre avec la Turquie qui durait depuis cinq ans[39].
Diderot espère aussi faire démarrer la traduction et l'adaptation de l'Encyclopédie en russe. Vers le 5 novembre 1773, il reçoit une première pression politique par le biais de l'ambassadeur de France à Pétersbourg, François-Michel Durand de Distroff, pour essayer d'améliorer l'attitude de la souveraine vis-à-vis de la France. Au cours de son séjour, il visite les environs de la ville impériale, assiste à des représentations théâtrales et devient membre étranger de l’Académie russe des sciences.
Après quelques mois, Diderot prend conscience que l'impératrice ne compte pas, en réalité, mettre en pratique les réformes qu'il lui propose. La cabale des courtisans contre lui prend de la force lorsque arrivent au palais des copies des Nouvelles littéraires (décembre 1773). Ce magazine contenait un article du roi de Prusse Frédéric II qui éreintait la carrière littéraire de Diderot afin de se venger qu'il ait refusé son invitation[40].

Diderot quitte la ville le 5 mars 1774, après plusieurs semaines de problèmes intestinaux, période pénible, humide et froide, durant laquelle il a peu produit[41]. Pour le chemin du retour, l'impératrice lui accorda une somme de 3 000 roubles et lui fournit une voiture équipée d'un lit. Surtout, en présence de sa cour, elle retira de son doigt une bague qui comportait son portrait en miniature et demanda à son chambellan de la remettre à Diderot au moment de son départ[42]. Fidèle à la promesse qu'il avait faite à Catherine de ne jamais la critiquer publiquement ni son gouvernement, il brûlera avant son départ toutes les notes qu'il avait prises sur son expérience de la capitale russe[43].
Second séjour à La Haye (avril à octobre 1774)
Sur le chemin du retour de Russie, alors que le cocher avait engagé sa voiture sur une rivière gelée, la glace céda et les occupants n'échappèrent que de peu à la noyade. Après 2 400 km de route, Diderot arriva à La Haye le 5 avril et séjourna à nouveau chez Galitzine, jusqu'au 15 octobre 1774 — soit 6 mois et 17 jours. Il entreprend alors de s'acquitter de la publication en français des édits et plans de Catherine en matière d'éducation publique. Il se met aussi à retravailler ses manuscrits en vue d'une édition complète de ses œuvres et rencontre à cette fin l'éditeur Marc-Michel Rey. Mais ce projet ne verra pas le jour[n 21]. De même son projet de traduction en russe de l'Encyclopédie, qu'il comptait faire plus audacieuse que la première édition et pour laquelle il espérait recevoir 200 000 livres dut être abandonné faute d'intérêt de la part de Catherine[44].
Il travaille aussi à un ouvrage satirique « Principes de politique des souverains » contenant des maximes dignes de Machiavel à l'usage des autocrates. Diderot avait en tête Frédéric II, mais bien des maximes s'appliquaient aussi à Catherine[45].
Durant son séjour, il rédigea aussi des Observations fort critiques sur le Nakaz ou recueil d'instructions de Catherine (voir ci-contre), mais son hôte à La Haye lui déroba le manuscrit et le brûla, sans doute sur ordre de l'impératrice[45].
Dernières années (1774-1784)

Dès son retour à Paris, Diderot ralentit progressivement sa vie sociale car sa santé se dégrade et il l’accepte mal. Il multiplie et allonge les séjours à Sèvres, dans la maison de son ami le joaillier Étienne-Benjamin Belle[46] où il se rend régulièrement pendant les dix dernières années de sa vie, ainsi qu'au château du Grandval[47] (Sucy-en-Brie), chez d'Holbach, parfois avec sa famille.
Toujours au service de l'impératrice, Diderot rédige à sa demande un Plan d’une université pour le gouvernement de Russie (1775), mais qui restera lettre morte.
Entre 1776 et 1784, il écrit la comédie Est-il bon? Est-il méchant? dans laquelle il explore l'idée que la volonté de faire le bien peut parfois entraîner de sérieux manques d'éthique[48]. Cette même année, il collabore un peu à l'Encyclopédie méthodique de Charles-Joseph Panckoucke et Jacques-André Naigeon.
En 1778, Diderot rencontre finalement Voltaire avec qui il avait échangé quelque neuf lettres au cours des trente dernières années. Leur conversation porta essentiellement sur l'art du théâtre et notamment s'il était possible de préférer Shakespeare à Racine ou Virgile. Diderot répondit en exaltant l'immense supériorité de Shakespeare, au grand déplaisir de Voltaire[49].
Cette même année, il publie un Essai sur la vie de Sénèque qui sera considérablement revu et augmenté sous le titre Essai sur les règnes de Claude et de Néron paru en 1782. Il y prend la défense du philosophe, même si celui-ci s'est enrichi considérablement, en contradiction avec ses positions théoriques et, surtout, bien qu'il ait été le tuteur de Néron. En même temps, Diderot consacre une part considérable de cet essai à critiquer Rousseau :
« Mais après avoir vécu vingt années avec des philosophes, comment Jean-Jacques devint-il antiphilosophe? Précisément comme il se fit catholique parmi les protestans, protestant parmi les catholiques, & qu’au milieu des catholiques & des protestans il professa le déisme ou le socinianisme. Comme il écrivait dans la même semaine deux lettres a Geneve par l’une desquelles il exhortait les concitoyens à la paix, & par l’autre il soufflait dans leurs esprits la vengeance & la révolte. Comme il écrivit contre les spectacles, après avoir fait des comédies[50]. »
Les Confessions parurent peu de temps après cette cinglante tirade.
Ayant collaboré à la seconde édition de la très importante Histoire des deux Indes (1774) de l'abbé Raynal, Diderot est de nouveau sollicité pour sa troisième édition (1780). Il fournit à celle-ci ses contributions les plus importantes, donnant « à l'ouvrage de l'abbé philosophe son orientation ouvertement anticolonialiste et révolutionnaire[51] », avec une critique fort appuyée de l'esclavage, réfutant l'idée qu'un être humain puisse être traité comme une propriété[n 22]. Les centaines de pages de contributions anonymes que Diderot a faites à cette encyclopédie en dix volumes représentent plus de 20% de sa matière et en accentuent considérablement la force et l'impact. Le pouvoir révolutionnaire se servira de cet ouvrage comme référence dès 1789[52]. Très intéressé par le mouvement d'indépendance des colonies américaines, Diderot fournit aussi dans cet ouvrage un sommaire enthousiaste des fondements politiques et idéologiques de la jeune nation. Il traduit des passages de l'ouvrage de Thomas Paine Common Sense et résume les points principaux de la Déclaration d'indépendance des États-Unis[53].
À partir de 1783, Diderot met de l'ordre dans ses textes et travaille avec Naigeon à établir trois copies de ses œuvres : une pour lui, une pour sa fille et la dernière pour Catherine II. Sophie Volland meurt le 22 février 1784. Le 15 mars 1784, le décès prématuré de sa petite-fille lui est peut-être caché pour le ménager. Durant ces années, il continue de travailler au manuscrit des Éléments de physiologie qu'il avait commencé en 1774 et dans lequel il expose sa conception purement matérialiste de la vie, expliquant qu'il ne faut pas craindre la mort vu que cela ne fait que gâter le moment présent et affirmant : « Il n'y a qu'une vertu, la justice; et un seul devoir, se rendre heureux[54]. » Diderot met aussi la dernière main à son roman Jacques le Fataliste et son maître, qu'il avait commencé en 1765 et publié en feuilleton dans la Correspondance littéraire entre 1778 et 1780. La philosophie matérialiste et déterministe du personnage principal, annoncée dans le titre, est nuancée par une trame narrative toute en rebondissements et en récits annexes à portée ludique[55].
Le , Diderot fait un accident vasculaire cérébral qui entraîne quatre jours de délire. Pour échapper aux efforts du clergé qui veut le ramener à la foi, il va séjourner durant deux mois à Sèvres chez son ami Étienne-Benjamin Belle[56], puis emménage à la mi-juillet dans un luxueux appartement de l'hôtel dit de Bezons[n 23], au 39 rue de Richelieu à Paris, acquis grâce aux bons soins de Melchior Grimm et de Catherine II qui souhaitaient lui éviter de gravir les quatre étages d'escalier de son logis de la rue Taranne. Il ne profitera que deux semaines de ce confort car il meurt le 31 juillet 1784, probablement d'un autre accident vasculaire. À sa demande répétée, il est autopsié[57]. Dans la soirée du dimanche , son cercueil de plomb est descendu et un cortège funèbre constitué de cinquante prêtres engagés par les Vandeul l'accompagne jusqu'à l’église Saint-Roch, où il est placé dans la crypte sous la chapelle de la Vierge. Contrairement à certaines paroisses de Paris qui refusaient d'enterrer des athées déclarés[n 24], la paroisse de Saint-Roch avait accueilli nombre de philosophes et d'écrivains[58]. Naigeon semble être le seul homme de lettres à avoir suivi le convoi.
« L’an 1784, le 1er août, a été inhumé dans cette église M. Denis Diderot, des académies de Berlin, Stockholm et Saint-Pétersbourg, bibliothécaire de Sa Majesté Impériale Catherine seconde, impératrice de Russie, âgé de 71 ans, décédé hier, époux de dame Anne-Antoinette Champion, rue de Richelieu, de cette paroisse, présents : M. Abel-François-Nicolas Caroilhon de Vandeul, écuyer, trésorier de France, son gendre, rue de Bourbon, paroisse Saint-Sulpice ; M. Claude Caroilhon Destillières, écuyer, fermier général de Monsieur, frère du Roi, rue de Ménard[n 25], de cette paroisse ; M. Denis Caroilhon de la Charmotte, écuyer, directeur des domaines du Roi, susd. rue de Ménard, et M. Nicolas-Joseph Philpin de Piépape, chevalier, conseiller d’État, lieutenant général honoraire au bailliage de Langres, rue Traversière, qui ont signé avec nous […], Marduel, curé. »
— Extrait du registre paroissial de l'église Saint-Roch à Paris[n 26].
Après 1784
En juin 1786, sa bibliothèque et ses archives sont envoyées à Saint-Pétersbourg. Elles n'y recevront pas l’attention accordée à celles de Voltaire : les pertes, les disparitions et l'absence de tout inventaire nuiront également à la connaissance et la bonne réception de l'œuvre de Diderot[59].
En 1793, des voleurs profanèrent les tombes de l’église Saint-Roch à la recherche d'objets précieux et laissèrent les corps éparpillés sur le parvis, qui furent ensuite jetés à la fosse commune[60]. La sépulture et la dépouille de Diderot ont donc disparu, contrairement à celles de Voltaire et Jean-Jacques Rousseau, tous deux inhumés au Panthéon de Paris comme l'indique Raymond Trousson.
Idées
Résumé
Contexte
Communément désigné par ses contemporains comme « le Philosophe », Diderot est avant tout un penseur. Il ne poursuit en effet ni la création d'un système philosophique complet, ni une quelconque cohérence. Il utilise le roman et le dialogue pour remettre en question, éclairer un débat, soulever des paradoxes. Intellectuel accompli, il reconnaît cependant l'importance de l'émotion :
« Les vérités de sentiment, disait-il à Falconet, sont plus inébranlables dans notre âme que les vérités de démonstration rigoureuse, quoiqu'il soit souvent impossible de satisfaire l'esprit sur les premières... Le cœur et la tête sont des organes si différents. Et pourquoi n'y aurait-il pas quelques circonstances où il n'y aurait pas moyen de les concilier[61]? »
Le dialogue lui permet ainsi de « donner tour à tour la parole aux vérités de la tête et à celles du cœur[62]. »
Religion et morale
La position de Diderot à l'égard de la religion évolue dans le temps, en particulier dans sa jeunesse. Ses parents le vouaient à une carrière ecclésiastique et il reçut la tonsure de l'évêque de Langres. Arrivé à Paris, son parcours académique se fait dans des institutions d'obédience catholique, comme la Sorbonne. C'est au gré de ses lectures que sa foi va s'étioler et qu'il semble évoluer vers le théisme, le déisme, et enfin souscrire aux idées matérialistes. C'est cette évolution que l'on constate des Pensées philosophiques à la Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient. Plus tard, ces positions sont confirmées dans le Supplément au voyage de Bougainville qui évoque la religion naturelle et dans un dialogue très représentatif, l'Entretien d'un philosophe avec la maréchale de ***. Diderot rejette autant les excès de la religion que la religion elle-même en tant que système fondé sur la croyance en un être supérieur. Toute sa vie, il fut en conflit avec son frère sur ces questions.
Au XVIIIe siècle, la morale est vue comme indissolublement liée à la religion et on estime que si celle-ci disparaît la société sombrera dans l'immoralité[63]. La question de la morale est une préoccupation récurrente de Diderot, disséminée dans de nombreux écrits mais sans jamais être exposée de façon systématique[64]. Le thème apparaît dans ses critiques artistiques, dans son théâtre, et dans plusieurs contes et dialogues.
Tout en étant nettement opposé à la religion, qu'il rend responsable d'engendrer la désunion et la haine, Diderot mettait le bien général au-dessus du bien individuel et estimait que la vertu seule peut engendrer le bonheur[65], tandis que « les méchants [sont] assez punis par leur méchanceté même » ainsi qu'il l'écrit à Sophie Volland[66]. Dans une autre de ces lettres, il écrit « Aimer ou faire le bien, c’est, comme vous savez, ma devise »[67].
Politique
La politique est, avec la religion, un thème majeur chez Diderot, ainsi qu'il l'annonce dès 1747 dans La Promenade du sceptique : « Imposez-moi silence sur la religion et le gouvernement, et je n’aurai plus rien à dire[68]. »
Expansion coloniale et esclavage
Dans ses contributions à la troisième édition de l'Histoire des deux Indes de l'abbé Raynal, Diderot s'oppose au principe même de la colonisation, à une exception près : « Une contrée déserte et inhabitée est la seule qu'on puisse s'approprier[69]. ». S'appuyant sur l'exemple de l'Espagne et du Portugal au siècle précédant, il montre que l'exploitation de colonies tend à miner l'activité intérieure du pays colonisateur : « Les mines exotiques ruinent les nations; les mines indigènes ne seront jamais préférables à l'agriculture, aux manufactures et au commerce[70]. »
Diderot est aussi radicalement opposé à l'esclavage car il rejette comme immorale et contraire à la nature l'idée qu'un être humain puisse être traité comme une propriété[71]. Dans l'Histoire des deux Indes, il dresse un portrait sans concession du négociant-armateur, « courbé sur son bureau, règle, la plume à la main, le nombre des attentats qu'il peut faire commettre sur les côtes de Guinée ; qui examine à loisir, de quel nombre de fusils il aura besoin pour obtenir un nègre, de chaînes pour le tenir garrotté sur un navire, de fouets pour le faire travailler ; qui calcule, de sang-froid, combien lui vaudra chaque goutte de sang, dont cet esclave arrosera son habitation ; qui discute si la négresse donnera plus ou moins à la terre par les travaux de ses faibles mains que par les dangers de l'enfantement »[72],[73]. Mais au lieu de réclamer simplement l'interdiction de la traite des noirs, il demande l'abolition totale de l'esclavage dans les colonies. Comme les riches planteurs qui pratiquaient l'esclavage avaient l'appui du pouvoir en raison des bénéfices économiques du commerce de la canne à sucre en provenance des Antilles, Diderot en arrive à soutenir une position révolutionnaire et « envisage la violence insurrectionnelle comme seule force capable de libérer les esclaves[74]. » Ces positions susciteront d'importants débats au sein de l'Assemblée nationale dès 1789[75] et l'abbé Raynal sera parfois accusé de vouloir « semer le désordre dans les colonies »[n 27] avant d'être reconnu comme un héros[n 28]. Les mouvements d'insurrection dans les colonies et l'évolution des esprits amèneront l'abolition de l'esclavage le .
Type de gouvernement
Diderot pose la liberté de l'homme comme un bien naturel, ainsi qu'il l'explique dans l'article « Autorité politique » du volume 1 de l'Encyclopédie (1751) : « Aucun homme n’a reçû de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, & chaque individu de la même espece a le droit d’en joüir aussi-tôt qu’il joüit de la raison. » Il en découle que « La puissance qui s’acquiert par la violence, n’est qu’une usurpation ». Le pouvoir ne tire sa légitimité que du « consentement de ceux qui s’y sont soûmis par un contrat fait ou supposé entr’eux, & celui à qui ils ont déféré l’autorité[76] ». Dès lors, le roi ne tire pas son autorité du droit divin mais de la volonté du peuple — qui n'a toutefois pas le droit de résistance. À cette époque, Diderot est donc un ferme partisan de la monarchie absolue et il s'accommode fort bien du despotisme pourvu qu'il soit éclairé[77].
La pensée politique de Diderot évoluera toutefois, ainsi que le révèle l'article « Oppresseur » dans le volume 11 de l'Encyclopédie (1765), dans lequel il reconnaît au peuple le droit à l'insurrection s'il est écrasé par un pouvoir tyrannique[78] : « A la longue, on perd tout sentiment ; on s’abrutit, & l’on en vient jusqu’à adorer la tyrannie, & à diviniser ses actions les plus atroces. Alors il n’y a plus de ressource pour une nation, que dans une grande révolution qui la régénere. Il lui faut une crise[79]. »
Au fil de sa collaboration à l'Histoire des deux Indes, de 1772 à 1780, sa pensée se précise et il condamne sans ambiguïté le despotisme éclairé. Son réformisme a cédé la place à la subversion : « Le philosophe est à présent convaincu que le changement social ne se fera pas sans l'intervention brutale et concertée du troupeau d'esclaves[80]. »
« Cependant, vous entendrez dire que le gouvernement le plus heureux, seroit celui d’un despote juste, ferme, éclairé. Quelle extravagance ! ne peut-il pas arriver que la volonté de ce maître absolu, soit en contradiction avec la volonté de ses sujets ? Alors, malgré toute sa justice & toutes ses lumières, n’auroit-il pas tort de les dépouiller de leurs droits, même pour leur avantage ? Est-il jamais permis à un homme, quel qu’il soit, de traiter ses commettans comme un troupeau de bêtes[81]? »
De même, dans son Essai sur Sénèque, il cite son ouvrage sur la colère et « affirme que le courroux est conforme à la nature de l'homme » et que le ressentiment est une façon de « suppléer au défaut de la loi »[82]. Et dans son Essai sur les règnes de Claude et Néron, il pose que le peuple a le droit de juger ses oppresseurs[83]. Diderot affirme en effet la primauté absolue de la loi dans la vie sociale : « La loi ne commande à personne ou commande à tous. Devant la loi, ainsi que devant Dieu, tous sont égaux[84]. ».
L'organisation sociale a pour principale fonction de favoriser le bonheur des citoyens : « Il n'y a proprement qu'une vertu, c'est la justice; et qu'un devoir, c'est de se rendre heureux[85]. ». Cette notion de droit au bonheur revient également dans le Supplément à l'Encyclopédie (1776), ainsi que le note René Tarin[86].
Diderot défend aussi le droit d'auteur sans porter préjudice à la circulation du savoir[87].
Esthétique

Les contacts de Diderot avec les peintres et leurs œuvres lors des salons parisiens l'amènent à développer une pensée sur l'art pictural qu'il expose dans ses Essais sur la peinture et ses Pensées détachées sur la peinture. Il a ainsi « créé l' esthétique comme science ou tentative de science, la critique d'art (avec les Salons) et la critique théâtrale[88]. » Il s'est beaucoup interrogé sur la nature du beau. Dans le long article de l'Encyclopédie consacré à ce concept, il expose d'abord plusieurs définitions, telle celle d'Augustin d'Hippone, pour qui « c’est l’unité qui constitue, pour ainsi dire, la forme & l’essence du beau en tout genre », puis les théories de Wolf, disciple de Leibniz, du père André, de Crousaz et des empiristes anglais Shaftesbury et Hutcheson. Diderot développe ensuite sa propre conception où il se montre très sensible à l'harmonie générale[89]: « J’appelle donc beau hors de moi, tout ce qui contient en soi de quoi réveiller dans mon entendement l’idée de rapports ; & beau par rapport à moi, tout ce qui réveille cette idée[90]. » Il revient sur ces questions dans son Essai sur la peinture et son Traité du beau.
Grand admirateur de l'art antique, il est extrêmement critique de l'art religieux de la chrétienté et « dénonce l'esprit de mortification dans ces compositions où le peintre a décharné ces bras, déchiré ces épaules[91] »[n 29]. Convaincu de la finalité sociale de l'art et de la nécessité de l'offrir à tous, il critique la représentation du libertinage et des mœurs aristocratiques corrompues car il estime que la toile « doit susciter une émotion morale[92] » : « Rendre la vertu aimable, le vice odieux, le ridicule saillant, voilà le projet de tout honnête homme qui prend la plume, le pinceau ou le ciseau[93]. »
Il dit ainsi de François Boucher (voir ci-contre) :
« La peinture a cela de commun avec la poésie, et il semble qu’on ne s’en soit pas encore avisé, que toutes deux elles doivent être bene moratœ il faut qu’elles aient des mœurs. Boucher ne s’en doute pas ; il est toujours vicieux, et n’attache jamais. Greuze est toujours honnête ; et la foule se presse autour de ses tableaux. J’oserais dire à Boucher : « Si tu ne t’adresses jamais qu’à un polisson de dix-huit ans, tu as raison, mon ami, continue à faire des culs, des tétons ; mais, pour les honnêtes gens et moi, on aura beau t’exposer à la grande lumière du Salon, nous t’y laisserons pour aller chercher dans un coin obscur ce Russe charmant de Le Prince, et cette jeune, honnête, innocente marraine qui est debout à ses côtés.»[94]. »

En revanche, Diderot accorde une place importante à Greuze[95] dont il dit qu'il est « le premier qui se soit avisé parmi nous de donner des moeurs à l'art, et d'enchaîner des êvénemens d'après lesquels il seroit facile de faire un roman[96]. »
Selon René Tarin, Diderot a la conviction que « les formes les plus achevées de l'activité humaine témoignent de l'effort continu et obstiné des hommes pour comprendre et dominer la matière, se rendre maîtres et possesseurs du monde, L'œuvre d'art est un langage de signes particuliers. A la fois signifiants et signifiés spécifiques, cette tentative d'interprétation du monde témoigne de la volonté d'émancipation de l'homme. Dans ce sens, même lorsqu'il reproduit la réalité, l'artiste est aussi celui qui dévoile[97]. »
Loin de vouloir enfermer les œuvres dans des collections privées, Diderot « invite ses lecteurs à fréquenter les œuvres; à juger directement par eux-mêmes les toiles exposées au Salon » et il milite en faveur d'un art accessible à tous, qui présente une image réaliste du monde[98] : « Une composition, qui doit être exposée aux yeux d’une foule de toutes sortes de spectateurs, sera vicieuse, si elle n’est pas intelligible pour un homme de bon sens tout court[99]. »
Le philosophe Henri Lefebvre a souligné les contradictions de ses positions théoriques : « il définit le beau artistique comme beau relatif, et cependant il en cherche une définition absolue, qu'il trouve dans l'imitation de la nature, se rendant incompréhensible l'imaginaire, la fiction, le merveilleux[100]. » Le philosophe reconnaît en même temps que le mérite de Diderot est d'avoir « apporté une première conscience des problèmes » qui sont toujours d'actualité.
Éducation
Diderot a consacré de nombreux écrits à des questions d'éducation. Il critique l'enseignement religieux traditionnel, tout comme le fait D'Alembert[101]
Sciences
Diderot est également auteur ou coauteur de quelques ouvrages scientifiques. En tant que matérialiste, la compréhension des phénomènes naturels est une préoccupation importante que l'on retrouve à travers toute son œuvre[102].
Œuvre
Résumé
Contexte
Diderot a touché à tous les genres littéraires, en s'y montrant souvent novateur. Curieusement, sur les huit mille pages de ses Œuvres complètes, plus de la moitié des textes étaient restés inconnus de ses contemporains et n'ont été publiés que bien après sa mort[103]. Écrivain célèbre, il se défend pourtant de l'être dans la préface de son Essai sur les règnes de Claude et de Néron : « Je ne compose point, je ne suis point auteur ; je lis ou je converse ; j’interroge ou je réponds[104]. »
Traductions
Diderot a entamé sa carrière littéraire par des traductions, qui lui permirent de subvenir initialement aux besoins de sa famille. En 1742, il obtient le contrat pour traduire The Grecian History de Temple Stanyan.
Puis il entreprend la traduction, avec François-Vincent Toussaint et Marc-Antoine Eidous, des six volumes du Medicinal Dictionary de Robert James (1746-1748). En même temps, il traduit An Inquiry Concerning Virtue or Merit de Shaftesbury sous le titre Essai sur le mérite et la vertu, dont la parution en 1745 marque ses débuts d'intellectuel public[105].
Encyclopédie
À partir de 1747, à 34 ans, Diderot dirige et rédige, avec D'Alembert, l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. En plus de diriger le projet jusqu'à la fin, en 1772, il s'investira dans la rédaction, la collecte, la recherche et la réalisation des planches. Il a personnellement rédigé le Prospectus (paru en 1750) et plus d'un millier d'articles.
Essais philosophiques et scientifiques
En 1746, il publie de façon anonyme Pensées philosophiques, sa première œuvre personnelle, qu'il a peut-être publiée sur les instances de sa maîtresse de l'époque, Madeleine de Puisieux[106]. Loin de la sombre vision des Pensées de Pascal, Diderot distingue trois voies possibles dans la vie : celle des épines (christianisme), celle des châtaigniers (philosophie) et celle des fleurs (plaisir charnel). Dans ses mémoires, Turgot estime que le poison de cette œuvre est le plus dangereux car il est enrobé des plaisirs de l'imagination et des gratifications de l'esprit[107].
En 1747, Diderot travaille au manuscrit La Promenade du sceptique. En 1749, il publie sa Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient, dans laquelle il étudie comment des aveugles de naissance réagissent lorsqu'ils recouvrent la vue. L'objectif premier de Diderot apparaît lorsqu'un des personnages de l'essai conteste l'existence de Dieu parce qu'il était né aveugle. Cet ouvrage vaudra à son auteur d'être interné à Vincennes.
En 1751, il obtient la permission de publier sa Lettre sur les sourds et muets, un ouvrage philosophique qui explore les origines gestuelles du langage.
En 1753, il publie anonymement Pensées sur l'interprétation de la nature, un recueil de 58 pensées plaidant pour une démarche scientifique qui soit véritablement à la recherche de la vérité, sans volonté apologétique ni parti pris initial[108].
En 1769, il rédige Paradoxe sur le comédien : un essai sur le jeu de l'acteur d'abord conçu sous la forme d'un compte rendu critique mais qu'il transformera en un dialogue entre un deux interlocuteurs entre 1773 et 1777. Cet ouvrage publié à titre posthume est considéré comme un des plus importants ouvrages théoriques sur le jeu de l'acteur. Diderot y développe notamment la théorie du quatrième mur, un mur imaginaire situé sur le devant de la scène, séparant la scène des spectateurs et au travers duquel ceux-ci voient les acteurs jouer : « Imaginez sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas. » L'acteur, selon Diderot, ne doit pas jouer avec sa sensibilité mais avec sa tête, de sang-froid : « Mais, dit-on, un orateur en vaut mieux quand il s’échauffe, quand il est en colère. Je le nie. C’est quand il imite la colère[109]. ».
Cette même année, il écrit Le rêve de D'Alembert, un dialogue philosophique dans lequel il explore les notions de réalité et d'illusion, et expose son matérialisme. Il avance en passant l'hypothèse du transformisme : « Les organes produisent les besoins, et, réciproquement, les besoins produisent les organes[110]. ». Cet ouvrage ne sera publié qu'en 1830.
De 1774 à 1780, il travaille au manuscrit des Éléments de physiologie, qui ne paraîtra qu'en 1875. Cet ouvrage constitue « une somme de sa pensée philosophique et scientifique ; comme une tentative de définition de la nature (phusis) humaine, répondant aux problèmes posés par Helvétius[111]. » Dans cette réflexion sur le vivant, Diderot envisage l’espèce et l’individu comme des aspects provisoires d’un processus généalogique central, comme c'est le cas dans l'ontophylogenèse, ainsi que le montre François Pépin[112].
Roman, conte et théâtre
En tant qu'écrivain de fiction, Diderot s'est surtout illustré dans le roman et le conte : Jacques le Fataliste, Ceci n'est pas un conte, La Religieuse et Le Neveu de Rameau, son texte le plus célèbre[113].
En 1757, il ouvre la voie à un nouveau genre théâtral, le drame bourgeois, avec la représentation de sa pièce Le Fils naturel ou Les épreuves de la vertu, dont la publication est suivie d'un texte théorique Entretiens sur Le Fils naturel[103]. Une phrase de cette pièce — « Il n'y a que le méchant qui soit seul » — sera vue par Rousseau, qui vit alors en ermite, comme une attaque personnelle et il s'en plaint à Diderot, qui lui répond de façon assez cavalière. Ulcéré, Rousseau met fin à leur amitié[114]. En 1758, Rousseau rompt avec D'Alembert avec une Lettre sur les spectacles à laquelle il ajoute une note où il rompt publiquement avec Diderot. Cette note blessera profondément Diderot, qui réagit dans son carnet de notes privé intitulé Tablettes en faisant une violente critique de son ancien ami, qu'il traite de menteur, d'hypocrite, de vaniteux et de monstre[115].
En 1758, il publie une autre pièce : Le père de famille qui se base sur sa propre expérience amoureuse à l'époque où il courtisait Toinette, qu'il nomme Sophie, alors que l'amoureux s'appelle Saint-Albin, et que son père tentait de le dissuader d'un mariage en dessous de son statut. La pièce est bien accueillie par le public : en 1761, elle avait été jouée à Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille, Hambourg, Francfort et Vienne[116].
Ces deux pièces « sont depuis longtemps devenues aussi illisibles qu'injouables » selon le verdict que posait déjà Jean Thomas en 1958[103].
Critique d'art et de littérature
Diderot a rédigé de nombreux comptes rendus d'expositions de peinture sous le titre Salons, pour la Correspondance littéraire, philosophique et critique de son ami Friedrich Melchior Grimm, dont le tirage était fort restreint. Ce faisant, il a introduit la critique d'art dans la littérature[117]. Il s'est également interrogé sur le beau en littérature, qu'il voit comme un beau relatif car il ne se comprend que dans un contexte particulier[118]. Il a aussi écrit des ouvrages théoriques : Essais sur la peinture (1765) et Traité du beau.
Il a aussi écrit des réflexions critiques sur son propre théâtre Entretiens sur Le Fils naturel (1757), Discours sur la poésie dramatique (1758). Il a aussi fait un Éloge de Richardson (1762).
Écrits sur l'éducation
- Plan d'une université (réd. 1775). Il s'agit d'un plan idéal des études commandé par Catherine II. Transmis par l'intermédiaire de Grimm, elle semble ne jamais l'avoir lu, au grand regret de Diderot.
- Lettre sur l'éducation des enfants à la princesse Nassau-Saarbruck, 1758.
- Lettre à la comtesse de Forbach sur l'éducation des enfants (réd. vers 1772)
- Réfutation d'Helvétius (réd. 1773-1778, Corr. 1783-1786)
- Il aurait également contribué à la rédaction de De l'éducation publique, Dominique-François Rivard[119].
Politique et économie
Diderot s'est peu engagé directement dans les débats politiques de son temps et on ne trouve pas non plus chez lui de traité politique ou d'ouvrage qui synthétise ses idées. Les réflexions et ses idées politiques se découvrent donc à travers sa vie et l'ensemble de son œuvre, jusque dans les écrits esthétiques. On trouve ainsi des allusions hostiles au premier partage de la Pologne dans Les Pensées détachées sur la peinture. L'édition Hermann (dite DPV) de ses œuvres complètes propose un volume qui porte le titre général de « Politique » (n° XXIV) ; il contient le Voyage de Hollande, les Observations sur Hemsterhuis, et la Réfutation d’Helvétius[120].
À côté des textes personnels, il faut isoler quelques écrits qui portent sur des questions politiques concrètes ou des projets et qui sont des œuvres de commande - comme la Première lettre d'un citoyen zélé (1748), écrite pour M.D.M. (parfois identifié avec Sauveur-François Morand).
Dans ses entretiens avec Catherine II (1773-1774), il tente de lui faire adopter une constitution éclairée mais est fortement déçu lorsqu'il reçoit le texte final de la Constitution Nakaz qui établit en fait un régime autocratique.
Son Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778) est, selon Henri Lefebvre, son texte « le plus virulent, le plus éloquent, le plus satirique[121]. ». À titre d'exemple, sa critique de la dégradation du discours sous la tyrannie :
« La tyrannie imprime un caractère de bassesse à toutes sortes de productions ; la langue même n'est pas à couvert de son influence : en effet, est-il indifférent pour un enfant d’entendre autour de son berceau le murmure pusillanime de la servitude, ou les accens nobles & fiers de la liberté? Voici les progrès nécessaires de la dégradation : au ton de la franchise qui compromettrait, succède le ton de la finesse qui s'enveloppe, & celui-ci fait place a la flatterie qui encense, à la duplicité qui ment avec impudence, à la rusticité révoltée qui insulte sans ménagement, ou à l’obscurité circonspecte qui voile l’indignation[122]. »
Correspondance
Selon un critique, « La gloire de Diderot se fonde surtout sur la correspondance que, pendant quarante ans, il a entretenue avec ses amis, sa famille et sa maîtresse[123]. » Le corpus principal est formé de 187 lettres adressées à son amante, Sophie Volland : « les lettres les plus charmantes et les plus tendres que la littérature amoureuse nous ait conservées[123]. »[124] Dans l'une d'elles, datée du , Diderot aurait enrichi la langue française du mot calembour[n 30]. Un autre important corpus est constitué par ses échanges avec Falconet sur l'immortalité de l'artiste, l'art et la postérité. Certaines de ces lettres sont de véritables essais.
Contributions
Travailleur infatigable, sans doute éternel insatisfait, relecteur attentif, toujours prêt à rendre service, par amour, amitié ou obligeance, ou à encourager le débutant, Diderot a consacré une grande énergie aux œuvres d'autrui. Une part de son œuvre est ainsi éparpillée, voire difficilement discernable dans les publications de son entourage littéraire : l'abbé Raynal, Madeleine de Puisieux, D'Holbach, Galiani, Madame d'Épinay, etc. Diderot ne manque toutefois pas de nier sa contribution, ou d'en réduire l'importance, de bonne ou mauvaise foi.
Style
Résumé
Contexte
Dialogue
Loin de la recherche d'un système philosophique cohérent, Diderot rassemble les idées et les oppose. Sa pensée, qui a été qualifiée d’« associative », est loin de viser « la réduction du complexe au simple » : elle cherche plutôt à maintenir « le complexe en tant que sens locaux et multiples, comme réseau »[125]. Son œuvre est donc surtout, plus qu'une exposition de ses idées personnelles, une incitation à la réflexion. Cette démarche, volontaire, se retrouve dans la forme dialoguée qu'il donne à ses œuvres principales (Le Neveu de Rameau, Le Rêve de D'Alembert, Supplément au Voyage de Bougainville) avec cette particularité qu'aucun des personnages ne représente à lui seul la pensée de l'auteur. Cette pluralité se retrouve d'ailleurs dans ses titres (pensées, principes). Quand il ne conçoit pas de dialogue, il répond — fût-ce fictivement —, ajoute (Supplément au voyage de Bougainville), renie (Réfutation d'Helvétius). Diderot retravaille aussi fréquemment ses textes, et même, dans la seconde moitié de sa vie, rédige quelques Additions (aux Pensées philosophiques, à la Lettre sur les aveugles notamment) pour rendre compte de l'évolution de ses propres réflexions.
Commentaire
Diderot développe souvent ses œuvres à partir du canevas de l'œuvre d'un tiers, pour le commenter - ce n'est d'ailleurs qu'un cas particulier de dialogue. C'est le cas du Paradoxe sur le comédien où Diderot développe ses idées sur le théâtre à partir de Garrick ou Les acteurs anglais de Sticotti ; c'est le cas des Salons qui suivent le catalogue de l'exposition. Dans le même esprit, Diderot s'appuie souvent sur l'œuvre d'un tiers pour développer ses idées, pour contredire (Supplément au Voyage de Bougainville), pour s'inscrire dans un contexte ou une polémique (Suite de l'Apologie de M. l'abbé de Prades).
Digression
La digression est le principe même de Jacques le Fataliste que l'on pourrait centrer sur des amours que Jacques ne raconte jamais et autour desquelles gravitent une série de récits qui constituent l'œuvre.
La digression c'est aussi des détails sans rapport avec le contenu du texte et qui servent à l'introduire, à alléger le propos. Ainsi, la première réplique du Paradoxe sur le comédien est : « N'en parlons plus ».
Mise en abyme
La mise en abyme est utilisée par Diderot afin de mener de front l'exposition d'une théorie et son application. Le Fils naturel en est un exemple flagrant ; s'y trouvent en effet mêlés la pièce et son commentaire. La pièce de théâtre constitue en fait une incise au sein de l'exposé d'une théorie du théâtre (Entretiens sur Le Fils naturel). Diderot d'ailleurs se met en scène occupé à assister à une représentation théâtrale privée à laquelle participe la personne avec laquelle il discute.
Réception critique et postérité
Résumé
Contexte
De son vivant
La réception de l'œuvre Diderot a une histoire particulière car l'image du philosophe a évolué avec le temps, au gré de la révélation progressive de son œuvre. Cette révélation progressive apparait clairement dans le tableau de synthèse de l'article Œuvres de Denis Diderot.
Diderot, de son vivant, s'est montré prudent face à la censure. Après son incarcération de 1749, il ne voulait plus prendre de risque ni en faire courir à sa famille. Il va donc lui-même reporter la publication de certains textes, parfois de plusieurs années après les avoir écrits. Par ailleurs, certains textes ne sont parus que dans la Correspondance littéraire de Grimm. La publication manuscrite de ce périodique ne permettait pas d'assurer une connaissance publique de l'œuvre de Diderot.
Dès 1755, Charles Palissot avait présenté une pièce dans laquelle il ridiculisait les philosophes. En 1757, il publia Petites lettres sur de grands philosophes où il attaquait notamment Le Fils naturel de Diderot. En 1759, il réussit à faire jouer à la Comédie-Française sa pièce Les Philosophes, dans laquelle il fait une satire des positions des philosophes en vogue : Rousseau présenté à quatre pattes pour retourner à l'état primitif, Helvétius, Charles Pinot Duclos et Diderot. Ce dernier est attaqué le plus férocement, étant présenté comme le leader de la secte, un plagiaire et un être dénué de morale et de patriotisme. Après un vif succès initial, la pièce tombe dans l'oubli six mois plus tard[126]. Diderot réagira en présentant Palissot sous un jour très défavorable dans Le neveu de Rameau : « Que penser des autres, tels que le Palissot, le Fréron, le Poinsinet, le Baculard qui ont quelque chose, et dont les bassesses ne peuvent s’excuser par le borborygme d’un estomac qui souffre ?[127] ».
En 1765, Catherine II de Russie, bibliophile, achète à Diderot sa bibliothèque personnelle en viager contre 15 000 livres et une pension annuelle de trois cents pistoles[128]. Diderot en garda l'usage et perçoit une rente en tant que bibliothécaire, mais l'accord impliquait que le fond et tous ses manuscrits seraient transférés à Saint-Pétersbourg à sa mort. Ce qui fut fait en juin 1786. Cet éloignement n'a pas favorisé la publication des textes soigneusement cachés par Diderot. De plus, sur place, les documents n'ont pas eu les égards de ceux de Voltaire (transférés dans des circonstances similaires), n'ont pas été catalogués et se sont éparpillés. Certains n'ont réapparu qu'au XXe siècle…
De son côté, sa propre fille, catholique et conservatrice, a sans doute, malgré l'admiration qu'elle vouait à son père, cherché à orienter la publication de ses œuvres, « corrigeant » si nécessaire les textes qui ne respectaient pas assez ses valeurs, la bienséance ou les intérêts commerciaux de son mari. Un exemple concret[129] est le grattage systématique des noms de personnes dans les manuscrits de Ceci n'est pas un conte. Dans d'autres textes, certains noms seront remplacés ou ramenés à leur initiale. Même le fidèle secrétaire, Naigeon n'obtiendra pas sa collaboration pour l'édition des Œuvres complètes qu'il préparait avec Diderot à partir de 1782 et qui ne paraitra qu'en 1800 (voir ci-dessous).
Révolution française
Durant la Révolution, Diderot tombe en une longue défaveur en raison de son athéisme et de son matérialisme. Robespierre, outre le fait qu'il ne voulait pas heurter les masses dont le sentiment religieux était très fort, estimait que la croyance en une divinité suprême était nécessaire pour garantir la morale publique et qu'elle justifiait la Terreur visant à purifier la société[130]. Diderot et les encyclopédistes furent donc décrétés contrerévolutionnaires, parce que corrompus, immoraux, et contaminés par leur proximité avec les aristocrates : la relation de Diderot avec Catherine de Russie pèsera lourdement contre lui[131].
Après la mort de Robespierre, en fin 1795, le Directoire fait publier le Salon de 1765 qui consiste en un long essai sur la peinture déjà évoqué plus haut et dont le souci moral est maintenant parfaitement en accord avec la volonté politique d'une régénération de l'art au service de la Révolution[132],[133].
Ce retour en grâce ne dure guère. Jean-François de La Harpe publie en 1795 un livre dans lequel il impute à Diderot la responsabilité des pires crimes de la Terreur; la parution en 1796 d'un ancien poème de Diderot dans l'ouvrage Abdication d'un roi de la fève ou Les Éleuthéromanes fournit à ses ennemis une preuve supplémentaire de sa responsabilité dans cette période sombre[134].
Lorsque le Directoire est secoué par des débats sur la propriété, Babeuf attribue à Diderot un ouvrage intitulé Le code de la nature — qui est en fait du philosophe Étienne-Gabriel Morelly — et s'en réclame pour faire abolir la propriété individuelle. Après l'échec de la Conjuration des Égaux, Babeuf est guillotiné en mai 1797. Dans la foulée, Jean-François de La Harpe mène une attaque en règle contre Diderot dont il dénonce l'influence subversive et en qui il voit « l'inspirateur de toutes les menées révolutionnaires[135]. » Afin de dissiper l'équivoque et de sauver la réputation de son ami, Jacques-André Naigeon publie en 1798 l'édition des Œuvres de Diderot[136].
La parution en 1796 de Jacques le fataliste et de La Religieuse suscite une violente polémique de la part des milieux catholiques à un moment où les milieux de droite relevaient la tête. Les deux romans sont déclarés obscènes ou indécents. Une fois de plus, « Diderot est rendu responsable de tous les excès de la Révolution[137]. » Cette réputation sulfureuse poursuivra le philosophe durant tout le XIXe siècle.
XIXe et XXe siècles
Dans la première partie du XIXe siècle, les œuvres de Diderot sont toujours contestées et interdites à de nombreuses reprises. C'est ainsi que, le , le Tribunal Correctionnel de la Seine ordonne la destruction du roman Jacques le Fataliste et son maître et condamne l'éditeur à un mois de prison. D'autres œuvres de Diderot connaîtront la censure étatique pour outrage à la morale publique dont La Religieuse (en 1824 et 1826), ou encore Les Bijoux indiscrets (en 1835)[138].
Il faut en fait attendre 1913, qui marque le bicentenaire de sa naissance, pour observer un regain d'intérêt et avoir une vision plus complète de ses écrits. En 1949, la découverte du fonds Vandeul par Herbert Dieckmann apporte un nouvel éclairage beaucoup plus riche, ainsi que des inédits[139].
L'image de Diderot a donc évolué avec le temps en fonction de l'idée que l'on pouvait se faire de l'intégralité de son œuvre. Ses contemporains le connaissaient essentiellement comme l'éditeur de l'Encyclopédie, le promoteur d'un nouveau genre théâtral (le « drame bourgeois »), l'auteur d'un roman libertin (Les Bijoux indiscrets) et de quelques textes philosophiques critiqués. Après sa mort, il est assez symptomatique de voir les éditions d'« Œuvres complètes » s'enrichir avec le temps.
À l'occasion du tricentenaire de la naissance de Diderot en 2013, sa ville natale, Langres, inaugure la Maison des Lumières Denis Diderot, seul et unique musée consacré à l'encyclopédiste, bien que ce dernier n'y soit revenu que quatre fois après s'être installé à Paris, en raison notamment des relations conflictuelles avec son frère[140].
Adaptation de son œuvre
Au cinéma
Au théâtre
- Parmi de nombreux dramaturges, Eric-Emmanuel Schmitt a consacré en 1997 une pièce à Diderot, Le Libertin, sur le problème de l'impossible morale diderotienne[141].
- Milan Kundera a écrit une pièce intitulée Jacques et son maître, hommage à Denis Diderot en trois actes, Gallimard, Le Manteau D'Arlequin, 1981 (ISBN 2-070-26357-6). Créée à Paris au Théâtre des Mathurins le , dans une mise en scène de Georges Werler[142].
Entourage
Résumé
Contexte
Voir aussi : Personnalité liée à Denis Diderot et L'Académie de Berlin.
Sa fille
Sa fille, Marie-Angélique (1753-2 décembre 1824) est aimée de son père et lui témoigne une grande admiration[143]. Elle donne en 1797 une notice historique sur Sedaine, à la Correspondance littéraire[144]. Il existerait (ou aurait existé) un portrait d'elle par Jacques Augustin Catherine Pajou et Louis Léopold Boilly. Claveciniste talentueuse, son père lui rapportera des partitions inédites de Carl Philipp Emanuel Bach, rencontré à Hambourg en revenant de Saint-Pétersbourg. Pieuse et soucieuse des intérêts financiers de son mari (Abel Caroillon de Vandeul), elle finira par nuire volontairement à la réception de l'œuvre de son père. Il existe une copie manuscrite (inédite) de 160 de ses lettres adressées à son ami Drevon[n 31], juge du tribunal à Langres entre 1805 et 1822[n 32].
Amitiés et relations
Diderot a entretenu plusieurs relations extraconjugales, notamment avec Sophie Volland, Madeleine de Puisieux, Madame de Maux et Anne-Gabrielle Babuty (qui épousa en 1759 le peintre Jean-Baptiste Greuze)[n 33].
Outre les proches, amis et collaborateurs déjà mentionnés, notamment les encyclopédistes, Diderot admirait Voltaire à qui il a adressé le 11 juin 1749 sa Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient et qui a fourni quelques articles à l'Encyclopédie. Diderot lui a également écrit le 19 février 1758, le 28 novembre 1760, le 29 septembre 1762, et en 1766. En dépit d'un respect mutuel, les historiens ne peuvent pas confirmer leur unique rencontre, en 1778. Dans une lettre à Palissot du 4 juin 1760, Voltaire dit : « sans avoir jamais vu M. Diderot (...) j'ai toujours respecté ses profondes connaissances. »
Diderot avait des relations d'amitié avec Melchior Grimm, rencontré en 1749 et qui partageait sa passion pour la musique et la peinture[145]. Grimm lui servira d'intermédiaire avec Catherine de Russie dans des moments difficiles et a dirigé la Correspondance littéraire, philosophique et critique de 1753 à 1769 avant de partager la direction avec Diderot. Il se rend parfois au château de la Chevrette à Deuil-la-Barre, propriété de Louise d'Épinay, maîtresse de Grimm et amie de Rousseau.
Diderot a fréquenté le baron d'Holbach et a séjourné dans son château à Granval (Sucy-en-Brie, où il fut invité en 1759.
En 1765, à la suite de la pièce le Philosophe sans le savoir de Michel-Jean Sedaine, il se lie avec le dramaturge. Il est aussi en relation avec François Tronchin dont il remanie la pièce Catilina au point que l'auteur décide d'en changer le titre en Terentia en 1775.
Il a aussi été en relation avec plusieurs peintres : Étienne Maurice Falconet, Anna Dorothea Therbusch, Charles van Loo, Jean-Honoré Fragonard, Claude Joseph Vernet (qui lui offre son tableau Fin de tempête en 1768) et Allan Ramsay (rencontré en septembre 1765).
Diderot entretint une amitié de quarante ans avec Étienne-Benjamin Belle[n 34], décédé, sans union connue ni enfant, le 6 fructidor an III (23 août 1795). Il avait acquis - voire avait fait construire ou surélevé, selon certaines sources - en 1766, une maison face à l'ancien pont de Sèvres (bien marquée sur le plan cadastral), aujourd'hui rue Troyon, no 26, où Diderot séjourna à plusieurs reprises. Ses neveu (Alexandre) et nièce (Marie-Anne Belle, veuve Labanche, manufacturier de Sedan) héritèrent de ses biens et les revendirent rapidement. Étienne-Benjamin était le frère d'un joaillier mort à Paris vers 1777.
Diderot fut par ailleurs lié à Jacques-Henri Meister, Galiani[146], Damilaville, Guillaume Le Monnier, l'abbé Raynal, André Le Breton, madame Geoffrin qui lui offre fin 1768 la trop luxueuse robe de chambre qui lui fera regretter l'ancienne, l'orfèvre Étienne-Benjamin Belle, chez qui il fera quelques séjours (à Sèvres), David Garrick, Roland Girbal (son copiste[147]), la princesse de Nassau-Sarrebruck, Julie de Lespinasse (amie de D'Alembert, qui s'offusquera d'être un personnage du Rêve de d'Alembert), Suzanne Curchod, Jacques-André Naigeon son éditeur, Jean Jodin[148], Léger Marie Deschamps, moine bénédictin, auteur d’un Vrai système, rencontré en 1769 et que Diderot critique sévèrement dans la Correspondance littéraire pour ne pas avoir assez lu entre les lignes, comme lui expliquera l’auteur.
Diderot ne semble pas vraiment avoir eu des ennemis personnels, mais plutôt des opposants à l'Encyclopédie et au parti philosophique en général : Charles Palissot de Montenoy, Élie Fréron, Abraham Chaumeix[149].
Iconographie et représentations
Résumé
Contexte
Devenu célèbre grâce à l'Encyclopédie, Diderot a souvent été représenté à partir des années 1760. Les nombreux portraits réalisés de lui en gravure, peinture ou sculpture témoignent de l'intérêt marqué que Diderot portait à la diffusion de son propre visage de son vivant et à sa transmission à la postérité[150]. On trouvera ci-dessous une liste chronologique – dont il est difficile de garantir l'exhaustivité – des portraits effectués de son vivant et parfois, quand l'original fait défaut, des gravures qui en découlèrent. Les représentations sont accompagnées de l'avis du modèle sur son image, quand il nous est connu[151].
Jean-Baptiste Garand, 1760[152]. « Je n'ai jamais été bien fait que par un pauvre diable appelé Garand, qui m'attrapa, comme il arrive à un sot qui dit un bon mot. Celui qui voit mon portrait par Garand, me voit »
Claude Bornet, portrait, 1763[153].
Carmontelle, Grimm et Diderot, dessin à la mine de plomb et aquarelle, 1760[154].
Étienne Maurice Falconet, buste, antérieur à 1767. « Je dirais seulement de ce mauvais buste, qu'on y voyoit les traces d'une peine d'âme secrète dont j'étais dévoré quand l'artiste le fit »
Jean-Baptiste Greuze : dessin, 1767, musée Greuze de Tournus; dessin, New York, Pierpont Morgan Library.
- Gravure de Pierre Chenu (1760) d'après Jean-Baptiste Garand
- Gravure de Pierre François Bertonnier d'après le portrait d'Anna Dorothea Therbusch, vers 1800
- Claude Bornet, 1763
- Jean-Baptiste Greuze, vers 1767 (Pierpont Morgan Library)
Marie-Anne Collot, différents bustes antérieurs à 1767. « Il[155] est bien, il est très bien. Il a pris chez lui[156] la place d'un autre, que son maître, M. Falconet[157], avait fait, et qui n'était pas bien. Lorsque Falconet eut vu le buste de son élève, il prit un marteau, et cassa le sien devant elle »
Louis Michel van Loo, portrait, 1767.
« Moi, j’aime Michel, mais j’aime encore mieux la vérité. Assez ressemblant; très vivant ; c’est sa douceur, avec sa vivacité ; mais trop jeune, tête trop petite, joli comme une femme, lorgnant, souriant, mignard, faisant le petit bec, la bouche en cœur ; et puis un luxe de vêtement à ruiner le pauvre littérateur, si le receveur de la capitation vient l’imposer sur sa robe de chambre. L’écritoire, les livres, les accessoires aussi bien qu’il est possible, quand on a voulu la couleur brillante et qu’on veut être harmonieux. Pétillant de près, vigoureux de loin, surtout les chairs. Du reste, de belles mains bien modelées, excepté la gauche qui n’est pas dessinée. On le voit de face; il a la tête nue; son toupet gris, avec sa mignardise, lui donne l’air d’une vieille coquette qui fait encore l’aimable; la position d’un secrétaire d’État et non d’un philosophe. La fausseté du premier mouvement a influé sur tout le reste. C’est cette folle de madame Van Loo qui venait jaser avec lui, tandis qu’on le peignait, qui lui a donné cet air-là et qui a tout gâté. […] Il fallait le laisser seul et l’abandonner à sa rêverie. Alors sa bouche se serait entrouverte, ses regards distraits se seraient portés au loin, le travail de sa tête fortement occupée se serait peint sur son visage, et Michel eût fait une belle chose. Mon joli philosophe, vous me serez un témoignage précieux de l’amitié d’un artiste, excellent artiste, plus excellent homme. Mais que diront mes petits-enfants, lorsqu’ils viendront à comparer mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, efféminé, vieux coquet - là ! Mes enfants, je vous préviens que ce n’est pas moi. J’avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j’étais affecté. J’étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste ; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là. J’avais un grand front, des yeux très vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait du caractère d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps. »
« Je n'ai pas encore vu les Vanloo, mais je les verrai demain. Michel m'a envoyé le beau portrait qu'il a fait de moi ; il est arrivé, au grand étonnement de Madame Diderot qui le croyait destiné à quelqu'un ou quelqu'une. Je l'ai placé au-dessus du clavecin de ma petite bonne [sa fille]. Je l'aimerais bien autant ailleurs. Mme Diderot prétend qu'on m'a donné l'air d'une vieille coquette qui fait le petit bec et a encore des prétentions. Il y a bien quelque chose de vrai dans cette critique. Quoi qu'il en soit, c'est une marque d'amitié de la part d'un excellent homme, qui doit m'être et me sera toujours précieuse. »
— Lettre à Sophie Volland, 11 octobre 1767.
Louis Michel van Loo, dessin sur papier brun, sans date, musée du Louvre[158].
Anna Dorothea Therbusch, représentation de Diderot torse nu, vers 1767. Le portrait original est perdu mais il a été reproduit en émail par Pierre Pasquier et gravé ensuite par Pierre François Bertonnier pour l'édition Brière des Œuvres de Diderot (1825). Brière a offert l'émail de Pasquier à M. François Guizot[n 35].
« Ses autres portraits sont froids, sans autre mérite que celui de la ressemblance, excepté le mien, qui ressemble, où je suis nu jusqu'à la ceinture, et qui, pour la fierté, les chairs, le faire, est fort au-dessus de Roslin et d'aucun portraitiste de l'Académie. Je l'ai placé vis-à-vis celui de Van Loo, à qui il jouait un mauvais tour. Il était si frappant, que ma fille me disait qu'elle l'aurait baisé cent fois pendant mon absence, si elle n'avait pas craint de le gâter. La poitrine était peinte très-chaudement, avec des passages et des méplats tout à fait vrais »
Jean-Antoine Houdon : a) buste, 1771, musée du Louvre[159]; b) buste, vers 1771; c) 1773, Langres; d) buste, 1775, musée du Louvre (Lens)[160]. Le 30 avril 1780, la ville de Langres organise un banquet inaugural d'un des bustes de Diderot par Houdon que le philosophe venait de lui offrir.
Marie-Anne Collot, buste en marbre, 1772, Musée de l'Ermitage[161]
Jean Huber : Un dîner de philosophes[162], 1772 ou 1773. Il s'agit d'une scène fictive mais Diderot est reconnaissable, de profil à droite du tableau. Le souper des philosophes[163], eau-forte sur papier bleu. Scène fictive. Bien que manifestement inspiré par le tableau précédent (Un dîner de philosophe), Diderot n'est pas aussi clairement reconnaissable, à gauche du tableau. Jean Simon Berthélemy, non daté (XVIIIe siècle, sans doute après 1770), musée Carnavalet (Paris)[164].
Anonyme, XVIIIe siècle, musée Antoine Lécuyer (Saint-Quentin)[165].
Dmitri Levitsky, 1773 ou 1774[166], huile sur toile, 58 × 48,5 cm, Musée d'Art et d'Histoire de Genève[167].
- Louis Michel van Loo, dessin
- Dmitri Levitsky, vers 1773-1774
- Jean-Antoine Houdon, 1775
- Jean Simon Berthélemy, après 1770
Jean-Baptiste Pigalle, buste, bronze, 41 cm (h.) x 34 cm (l.) x 25 cm (p.), 1777, musée du Louvre[168]. Au revers, cette inscription « En 1777. Diderot par Pigalle, son compère, tous deux âgés de 63 ans. »
Gabriel-Jacques de Saint-Aubin, portrait d'après Louis Michel van Loo, connu d'après une gravure anonyme non datée conservée au musée national de la Coopération franco-américaine (Blérancourt)[169].
Jean Honoré Fragonard, portrait désormais rejeté[n 36], huile sur toile, vers 1769, musée du Louvre[170].

Au-delà de 1784, il faut signaler quatre représentations majeures de Diderot.
- Statue de Diderot à Langres, réalisée par Auguste Bartholdi en 1884.
- Statue par Léon Lecointe, acquise par la ville de Paris en 1884 et installée au square d'Anvers en 1886[171]
- Statue par Jean Gautherin, installée à Paris, boulevard Saint-Germain, no 145 en 1886.
- Alphonse Camille Terroir, monument À Diderot et aux Encyclopédistes, installé à Paris au Panthéon en 1913.
- Jean-Baptiste Pigalle, 1777
- Gravure de Dupréel (1797) d'après Louis-François Aubry
- Portrait supposé à tort (c. 1769) d'après Jean Honoré Fragonard
Notes et références
Voir aussi
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