Loading AI tools
crime contre l'humanité tendant à la destruction d'un groupe De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Un génocide, dans son acception la plus répandue aujourd'hui dans la communauté académique, est un crime consistant en l'élimination concrète intentionnelle, totale ou partielle, d'un groupe national, ethnique ou encore religieux, en tant que tel, ce qui veut dire que des membres du groupe sont tués, brisés mentalement et physiquement, ou rendus incapables de procréer, en vue de rendre difficile ou impossible la vie du groupe ainsi réduit. Le génocide peut être perpétré par divers moyens, le plus répandu et le plus évident étant le meurtre collectif.
Le mot « génocide », néologisme inventé par le juriste Raphael Lemkin en 1943, avait alors un sens confus et renvoyait plus ou moins à ce que nous appelons aujourd'hui l'ethnocide, car le groupe victime pouvait être contraint à une transformation culturelle et pas, ou pas seulement, décimé. Sous l'impulsion, entre autres, de Lemkin lui-même, le mot a pris son sens de destruction physique et biologique après la Seconde Guerre mondiale et ses horreurs. Il a ensuite connu des évolutions de sens dans plusieurs directions. Certains historiens et politologues restreignent la définition en estimant notamment que le génocide est programmé, systématique, et radical dans ses intentions : le génocide arménien, la Shoah et le génocide des Tutsis au Rwanda, trois génocides reconnus par l'ensemble des spécialistes, sont en effet des exterminations planifiées par un État, indifférentes à l'âge ou au sexe des victimes. Au contraire, donner au génocide un sens plus large lui fait correspondre des éliminations sélectives telles que des politicides, des massacres et des oppressions de population y compris quand ils sont mêlés à des guerres, des épidémies et des famines, ou encore des séries de meurtres racistes plus ou moins liés, laissés impunis par une autorité et contribuant à la disparition d'un peuple, ou même à l'élimination physique et culturelle d'un groupe peut-être moins lié à l'ethnicité.
Bien avant l'apparition du néologisme « génocide », il existait dans plusieurs langues des mots qui entendaient signifier le massacre d'une population, la mort d'une nation ou le meurtre d'un peuple, si bien qu'il est possible de soutenir que le concept a une histoire ancienne[1]. En français, le terme rare « populicide », créé sous la Révolution française par Gracchus Babeuf pour désigner les massacres des populations civiles de Vendée perpétrés par les troupes républicaines, était tombé dans l'oubli. En revanche étaient et sont encore en usage le grec γενοκτονία, genoktonía, le polonais ludobójstwo ou encore l'allemand Völkermord. Ce dernier nom, employé dès 1831 par des intellectuels allemands opposés à la dure répression de l'insurrection de Novembre en Pologne, était connu par Raphael Lemkin, qui cependant l'a écarté[2]. Lemkin, professeur de droit américain d'origine juive polonaise, forge en 1943 « génocide » à partir de la racine grecque γένος, génos signifiant « naissance », « origine », « espèce », « race », mais aussi « peuple », « tribu », « nation » (sens qui la rapprochent de ἔθνος, éthnos), et du suffixe -cide, qui vient du verbe latin caedere, « frapper », « abattre », « tuer », voire « massacrer ».
Le concept de génocide est en préparation dans l'esprit de Lemkin dès 1933 lorsqu'il commence à s'intéresser au droit international, inspiré par l'actualité : le massacre de chrétiens assyriens en Irak rappelle un passé plus douloureux encore, l'élimination impunie de minorités chrétiennes de l'Empire ottoman vers 1915 (génocide arménien notamment) ; en reflet, l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler en Allemagne fait craindre un futur aussi douloureux, dont il faut prévenir ou sanctionner les crimes. Lemkin avait alors tenté, sans succès, de populariser deux idées : le « crime de vandalisme », défini comme la destruction d'œuvres d'art et de culture sous prétexte qu'elles représentent le génie d'un groupe national, religieux ou racial, et surtout le « crime de barbarie », ensemble d'actions opprimantes et destructrices dirigées contre les membres de tels groupes[3],[4].
Le mot « génocide » apparait pour la première fois dans une étude de Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe, publiée en 1944 par la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Le chapitre IX, devenu célèbre, commence par ces phrases :
« De nouvelles conceptions supposent l'adoption de nouveaux termes. Par « génocide », nous entendons la destruction d'une nation ou d'un groupe ethnique. Ce nouveau mot, forgé par l'auteur pour signifier une vieille pratique dans son évolution moderne, […] ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d'une nation, sauf lorsqu'il est réalisé par des meurtres en masse de tous les membres d'une nation. Il entend plutôt signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but d'exterminer les groupes eux-mêmes. Un tel plan aurait pour objectifs la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique de groupes nationaux, ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes appartenant à ces groupes. Le génocide vise le groupe national en tant qu'entité, et les actions en question sont dirigées contre des individus, non pas ès qualité, mais en tant que membres du groupe national[5]. »
Lemkin estime que la politique nazie de génocide en Europe occupée consiste en dénationalisation violente et mortifère de plusieurs peuples, puis en germanisation, bien que les nazis distinguent ces peuples biologiquement, plus que culturellement. Le sort des Juifs est certes spécifique, puisque la destruction physique complète est recherchée ; pourtant, au niveau des groupes et non des individus, il est similaire au sort des populations slaves par exemple : les groupes disparaissent, les individus restent ou disparaissent. Le meurtre de masse n'est donc pas central dans cette définition du génocide, la destruction des « nations » est aussi politique, religieuse, linguistique, culturelle[4]. Lemkin sera repris dans cette conception par Claude Lévi-Strauss, par exemple.
La notion de génocide ne fait pas alors l'unanimité parmi les juristes qui réfléchissent au droit international. L'un de ces principaux opposants est le juriste international Hersch Lauterpacht qui impose au même moment le concept de crime contre l'humanité, fort d'une plus longue histoire. La controverse entre Lauterpacht et Lemkin a marqué les travaux alliés sur la définition des crimes supranationaux et leur sanction. « L'être humain, l'individu… est l'ultime source de tout droit », écrit Lauterpacht en 1943. Pour celui-ci, faire intervenir la notion de groupe renforce les conflits interethniques, la sanction d'un groupe risquant d'être imputée à un groupe opposé et non aux principes du droit. Au lieu de pacifier, l'incrimination infamante de génocide susciterait des réactions de groupe contraires à l'acceptation raisonnable des décisions de justice. Évoquer le groupe serait inutile puisqu'en définitive c'est un individu qui a été privé de ses droits élémentaires. Les circonstances aident seulement à qualifier le crime mais ne changent pas sa nature[6],[7].
En évoquant, pour le génocide, l'obligation de prouver une volonté d’extermination totale, on entre dans des débats infinis sur l'intentionnalité supposée des criminels qui risquent de ralentir l'instruction des crimes et de bloquer le verdict. Faire intervenir dans le génocide la destruction de langues, de coutumes ou tout autre aspect « folklorique » appauvrit l'intensité du crime et fait entrer le droit dans des méandres dont il ne peut pas sortir. Lauterpacht estime donc que seul le crime contre l'humanité, constatant des massacres de fait hors de toute légalité internationale, doit être poursuivi. Il est un opposant ferme à l'introduction de la notion de génocide lors du procès de Nuremberg et plus tard. Dans son Traité du droit international d'Oppenheim (Oppenheim's International Law) publié en 1958, il considère encore le concept de génocide comme « gros de lacunes, d'artifices et de dangers potentiels », marquant un « recul » par rapport à la protection des droits de l'homme[6],[7].
Ainsi, au procès de Nuremberg, Lemkin, conseiller de Robert H. Jackson, membre de la Cour suprême des États-Unis et chef de la délégation américaine au tribunal, du fait de l'opposition d'autres juristes, échoue à faire entrer le crime de génocide parmi les chefs d'accusation. Même si le terme est sporadiquement employé dans les actes d'accusation britannique et français, il ne figure pas dans le jugement prononcé le car le statut du tribunal ne le mentionne pas dans les crimes relevant de sa compétence, à savoir les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité[8].
Le néologisme de Lemkin séduit néanmoins de nombreux politiciens et intellectuels, ainsi que des juristes qui pensent que « génocide » peut qualifier certains crimes odieux que la définition habituelle du crime contre l'humanité laisse de côté. L'Organisation des Nations unies, en même temps qu'elle définit la charte universelle des droits de l'homme, décide de mettre en place une organisation visant à empêcher dans l'avenir l'occurrence de génocide, en espérant que le risque de sanction internationale réfrénerait les ardeurs. Les débats auxquels participe Lemkin jugent nécessaire une modification de sa première définition. Une incrimination de génocide entre rapidement dans le droit positif avec l’adoption le à Paris, au palais de Chaillot, de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, dont Lemkin est le principal rédacteur.
Selon le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey, le mot « génocide » se fait jour en français en même temps qu'il apparaît en anglais. D'abord beaucoup employé à propos des nazis et de leur « solution finale » du « problème juif », il se dit de la destruction méthodique ou de la tentative de destruction d'un groupe ethnique, et par extension, vers 1970, de l'extermination d'un groupe en peu de temps.
La définition juridique internationale du mot « génocide », ou définition de 1948, est une définition importante, à la fois en soi (sous sa forme inchangée jusqu'à ce jour, elle sert d'incrimination de génocide pour les tribunaux internationaux) et pour les spécialistes des génocides de toutes les disciplines, qui l'ont critiquée, expliquée, adaptée, adoptée dans une littérature abondante. On la trouve dans deux documents officiels fondamentaux : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[9] adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le , et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale[10] adopté en 1998. La Convention en son article 2 et le Statut en son article 6 entendent par (crime de) génocide
« l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
- a) meurtre de membres du groupe ;
- b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
- c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
- e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »
L'élément matériel du crime, plutôt orienté vers une altération physique ou une suppression des victimes, se retrouve dans cette énumération de cinq types d'actes. Mais le cœur de la définition, sensible aux interprétations, est l'exposé de l'élément moral spécifique, souvent appelé intention génocidaire, inspiré par la première définition de Raphael Lemkin : il ne suffit pas que les actes contre des membres du groupe soient commis sciemment, pour la raison que ces individus appartiennent au groupe ; ils doivent être commis ou on doit les faire commettre en vue de la destruction du groupe en tant que groupe (« comme tel »), ils doivent en quelque sorte frapper intentionnellement le groupe à travers (certains de) ses membres.
Les actes a), b) et c), souvent qualifiés de « physiques » pour les distinguer des deux autres[11], sont les actes qui frappent durement ou mortellement des membres du groupe, de sorte qu'ils ne puissent plus participer à la vie du groupe et que celui-ci soit concrètement réduit, immédiatement ou à long terme. Qu'ils soient ou non choisis sur des critères d'âge, de sexe, de position sociale ou autres, des individus peuvent être directement tués, un à un ou ensemble, par quelque moyen que ce soit (transpercés, brûlés, fusillés, écrasés, asphyxiés, empoisonnés, dans une attaque armée confuse ou lors d'exécutions programmées…) ; ou bien ils sont blessés mortellement, torturés, violés, paralysés, mutilés, terrorisés, rendus malades ou fous ou affligés de quelque mal profond que ce soit ; ou bien ils sont affaiblis (emprisonnés, concentrés, angoissés, agressés, esclavagisés, épuisés, affamés, privés d'aide médicale…) et aléatoirement tués par le placement prolongé du groupe dans un lieu ou une situation où la survie n'est plus assurée (déportation dans un camp, expulsion vers des terres étrangères inhospitalières, ghetto misérable, « terre brûlée »…).
Les actes d) et e) sont dits « biologiques »[11], ou bien l'acte d) seul est dit « biologique » et l'acte e) est reconnu comme un reste de l'exclusion des actes de déculturation envisagés dans la première conception du génocide de Lemkin[12]. Par ces deux actes, sans que nécessairement des individus soient précipités vers la mort comme dans les trois actes précédents, le groupe est privé d'enfants et donc ne se régénère plus. L'avortement et l'abstinence sexuelle peuvent être encouragés voire exigés, les couples menacés de sanctions s'ils enfantent, des familles peuvent être méthodiquement désagrégées, les hommes et les femmes durablement séparés de force, ou certains d'entre eux stérilisés, contraints d'utiliser des moyens contraceptifs ou, dans certains cas, traités de manière à être ensuite accablés par leurs propres principes moraux (interdisant à une victime de viol une vie de famille, à une veuve un remariage…) ; ou bien des orphelins ou des enfants enlevés à leurs parents peuvent être formatés dans un autre environnement culturel, hors de leur groupe d'origine.
Lors des débats qui ont préparé la définition du génocide, les avis concernant l'élément matériel étaient divers. Le « génocide culturel », qui était dans les possibilités initiales, souffrait de plusieurs critiques et certains participants voulaient même ne garder que les actes physiques pour que le crime soit perçu comme exceptionnel et très grave. En faisant référence aux violences de la guerre civile grecque, les États-Unis et le représentant grec notamment ont fait pression pour inclure les clauses d) et e)[4].
Même s'il est arrivé dans l'histoire universelle que des groupes humains soient annihilés, le génocide n'est pas l'extermination effective mais la tentative, réussie ou pas, d'extermination d'un groupe, voire d'une partie déterminée du groupe. Il est difficile de reconnaître un génocide factuellement peu meurtrier, comme il est difficile de déterminer l'intention et l'état mental d'un criminel. Par définition, sans intention génocidaire, un acte de l'élément matériel du crime ne constitue pas un génocide. Un dictateur pourrait, sans la moindre intention génocidaire, ordonner un massacre dans un village et systématiquement limiter les naissances dans une région qu'il contrôle. Cela sera considéré comme criminel par certaines législations, mais pour qu'il y ait génocide, en tout cas selon la définition de 1948, il faudrait en plus que l'auteur ait « l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Ces deux derniers mots soulignent la vraie cible du génocide : le groupe lui-même. Restent les autres mots, plus discutés par les spécialistes.
« … l'intention… » : Un agent ne peut pas perpétrer un génocide par imprudence ni par négligence, son action doit être accompagnée de connaissance et de volonté. Peu importe ce qui le motive (la haine, la cupidité, le pouvoir, la survie…), l'acte tend sciemment à la destruction du groupe[13]. Étant donné que le génocide est perçu comme « le crime des crimes » et que sa définition insiste sur l'intention, il est difficile de ne pas associer intention et planification, autrement dit de ne pas faire de la destruction du groupe le but d'un plan préparé. Un génocide que l'auteur n'a pas lui-même planifié, ou qui n'a pas du tout de plan, ou qui n'est que « dans les plans », qu'une conséquence horrible, prévue et acceptée très tôt ou un peu plus tard par l'auteur, d'actions visant d'autres buts, semble perdre un peu de son caractère criminel. Ce point délicat est débattu[14], d'autant plus que l'intention est une composante de la plupart des définitions du génocide adaptées au passé lointain. L'intention génocidaire d'un agent se déduit parfois de ses déclarations publiques ou privées, permettant d'identifier un génocide en cours dans l'oppression d'une population ou son massacre très partiel. Lorsqu'un tyran raciste massacre en peu de temps tout un peuple et seulement les membres de ce peuple, la preuve de l'existence d'un plan génocidaire est apportée par ces faits et par l'idéologie raciste : le tyran ne peut pas ignorer que la fin brutale de ce peuple est ce qu'il a conçu et ordonné, même si ses déclarations publiques sont rassurantes. Qu'en est-il alors, par exemple, de la destruction des Taïnos des Grandes Antilles par les conquistadors, longue, aux multiples acteurs, où les épidémies ont joué un rôle, mais criminelle à nos yeux, totale et irréversible[15] ? Sans plan repérable, la conjecture du génocide « collatéral » est risquée. Pourtant, les genocide studies gardent à l'esprit la tragédie des Taïnos.
« … de détruire… » : La destruction du groupe comme tel, qui est soit le résultat immédiat de l'effort criminel, soit un résultat progressif ou attendu dans le cours normal des événements, est de même nature que les actes contre les individus, c'est-à-dire physique et biologique : le groupe décline ou meurt par la mort de (certains de) ses membres, des morts provoquées par le génocidaire ou par toute autre cause et pas assez remplacées par des naissances ou des apports extérieurs. Le génocidaire peut aussi détruire des biens du groupe, déplacer ou faire fuir des membres, ou bien les incorporer à un autre groupe, mais de tels actes sont extérieurs au génocide proprement dit s'ils ne sont pas calculés pour in fine détruire le groupe physiquement et biologiquement. La clause e) de la définition (« transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ») a incité certains auteurs à penser que le nettoyage ethnique et la déculturation pouvaient être des aspects de la destruction du groupe selon la définition onusienne, même si son énoncé de l'élément matériel ne les explicite pas[12]. Lors des procès, cette vision « sociale[14] » de la destruction est très souvent refusée, ou ainsi corrigée : le nettoyage ethnique, tout comme le massacre, n'est pas en soi un génocide, mais s'il permet au persécuteur de tuer en masse des membres du groupe ou encore de réduire son taux de natalité, en vue de sa destruction physique et biologique, il s'intègre au plan génocidaire[11]. Autre exemple : le massacre d'une partie d'un groupe religieux peut contraindre les survivants à la conversion religieuse, donc faire disparaître le groupe comme tel sans autre effusion de sang ; pourtant, même souhaitée par le persécuteur, ce genre de fin n'est pas une destruction selon l'interprétation majoritaire de l'incrimination de génocide ; seul ce massacre partiel aux raisons religieuses peut candidater au rang de destruction génocidaire si l'on considère qu'il est calculé pour affecter l'ensemble du groupe.
« … en tout ou en partie… » : Ces cinq mots apportent une précision sur la destruction envisagée par le génocidaire et non sur sa concrétisation ; en d'autres termes, ils disent de l'intention spécifique qu'elle n'est pas toujours la volonté d'exterminer la totalité du groupe victime. En convoquant l'idée d'une somme d'individus, l'expression semble s'opposer d'une certaine manière à « groupe comme tel ». Elle incite d'abord à penser que le génocide frappe des individus pour la raison qu'ils appartiennent au groupe. La plupart des analystes tiennent cette « raison » pour implicite dans la définition du génocide, et généralement cela ne gêne pas l'étude de cas. Pourtant, le génocide au Bangladesh par exemple ou, plus encore, le Porajmos remettent en cause cette opinion[16]. Mais le problème difficile posé par l'idée d'une destruction partielle est : quelle est la taille minimale de la partie du groupe vouée à disparaître, pour qu'il y ait génocide ? Bien qu'elle soulève de nouvelles questions dans les études récentes, une solution s'est peu à peu imposée chez les juristes et de nombreux chercheurs : le génocidaire vise le groupe entier, veut produire des effets, faire peser une menace sur tout le reste du groupe grâce à la destruction de la partie ; celle-ci doit donc être substantielle, la quantité des individus dépendant de leur qualité, dépendant aussi de la taille totale du groupe et de la place de la partie en son sein, et satisfaisant le génocidaire. La substantialité est aussi à l'appréciation des juges et des analystes[17]. Même si l'attaque odieuse de simples civils renseigne sur une intention génocidaire, les représentants politiques, les intellectuels, les soldats sont des exemples d'individus « de qualité », dont la perte est plus significative en tant qu'elle compromet la cohésion, l'identité et la sécurité du groupe, ce qui ne veut pas dire que défaire une armée et soumettre un peuple reviendrait à le génocider.
« … un groupe national, ethnique, racial ou religieux… » : Cette donnée de quatre types de groupements humains circonscrit les « groupes protégés » par la convention sur le génocide contre des intentions destructrices. Ces quatre types représentent bien les groupes considérés en 1948, par Raphael Lemkin notamment, comme des « minorités nationales » ou des « peuples », c'est-à-dire soit des nations souveraines, soit des collectivités ou des ensembles de familles distingués culturellement au sein d'un ou de plusieurs États ou territoires et susceptibles d'avoir des sentiments nationaux. Les classes sociales et les partis politiques sont plus difficilement associables à ces caractéristiques : la définition de 1948 exclut de tels groupes, ce qui a toujours fait débat. La taille d'un groupe protégé importe peu ; il est simplement plus facile de génocider un petit groupe. Les tentatives des experts pour définir objectivement chacun des quatre types n'aboutissent pas, ce qui n'a jamais posé de vrais problèmes lors des procès. Après des hésitations dues en partie à la notion aujourd'hui controversée de « groupe racial », le Tribunal pénal international pour le Rwanda a jugé qu'au moment du génocide des Tutsi, ceux-ci formaient un groupe ethnique distinct ; une chambre de première instance a suggéré que tout groupe « stable et permanent » est protégé par la convention sur le génocide, un avis peu repris ailleurs. Il est de plus en plus admis que les groupes sont déterminés avec une part de subjectivité, les auteurs de génocide amenant leurs propres critères[18]. Toutefois, les travaux préparatoires de la convention refusent l'approche négative du groupe protégé, qui serait défini par l'absence de caractéristiques (nationales, ethniques…)[19]. Par exemple, un tyran qui extermine une population parce qu'elle n'est pas de sa tribu ou de son ethnie n'est pas un génocidaire si en même temps il ne cible pas un ou des groupes protégés précis.
Cette question n'est pas une controverse, sa réponse est fonction de la définition des termes employés : en droit international, le génocide et le crime contre l'humanité ont des incriminations distinctes ; mais ce dernier a aussi un sens large, embrassant alors des crimes comme le génocide.
Les catégories et les définitions du Statut de la Cour pénale internationale, créées et séparées à dessein lors de la conférence de Rome en 1998, sont sans ambiguïté : le génocide n'est un cas particulier, ni de crime contre l'humanité, ni de crime de guerre. Les génocides, qui peuvent être commis en temps de paix ou en temps de guerre, n'ont pas besoin du contexte d'une « attaque généralisée ou systématique », comme l'exigent les crimes contre l'humanité selon l'article 7 du Statut ; ils ne relèvent pas de la compétence de la Cour « en particulier lorsqu'ils s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou d'une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle », tel qu'exprimé dans l'article 8 sur les crimes de guerre[20]. Mais dans les faits, un acte criminel peut être perpétré avec la condition spéciale des crimes contre l'humanité et en même temps avec une intention génocidaire. La Shoah et beaucoup d'autres génocides sont aussi des crimes contre l'humanité au sens du droit international, c'est-à-dire des ensembles de meurtres et de persécutions systématiques menés par un État contre les civils d'un groupe ethnique ou religieux. Autrement dit, génocide et crime contre l'humanité sont des catégories qui se chevauchent partiellement sans que l'on puisse exactement subsumer l'une dans l'autre[21].
Pourtant, avant la rédaction du Statut, il était fréquent de faire du génocide un fléau mondial et finalement un crime « contre l'humanité ». La Convention de 1948 affirme que « le génocide est un crime du droit des gens, en contradiction avec l'esprit et les fins des Nations unies et que le monde civilisé condamne, […] à toutes les périodes de l'histoire le génocide a infligé de grandes pertes à l'humanité, […] pour libérer l'humanité d'un fléau aussi odieux la coopération internationale est nécessaire ». La Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, adoptée en 1968, distingue à peine les crimes contre l'humanité et le génocide, réunis dans un ensemble de crimes très graves mais dissociés des crimes de guerre. Depuis 1994, la législation française appelle « crimes contre l'humanité » le couple formé par « le génocide » et « les autres crimes contre l'humanité »[22].
Le langage courant et parfois la littérature scientifique renoncent difficilement aux habitudes prises par le passé : le sens englobant, voire fourre-tout, de « crimes contre l'humanité », qui permet aussi de placer le génocide au sommet de la hiérarchie des crimes et des horreurs, persiste. En France, cette persistance au sein même de la législation interne est, relativement aux définitions internationales, une source de confusion selon certains juristes[23].
L'extension de la définition aux groupes sociaux et politiques est une question récurrente. Déjà, la résolution 96 (I) de l'ONU, adoptée le , concevait le génocide comme le déni du droit à l'existence de « groupes humains », c'est-à-dire « raciaux, religieux, politiques ou autres ». La définition de la convention de 1948 ne fait plus allusion au fait politique. L'URSS, qui a persécuté des militants politiques et des populations prétendument hostiles au projet communiste, était favorable à cette exclusion[24]. Cependant, même si certains historiens évoquent en particulier une pression soviétique, l'abandon des groupes politiques était soutenu par Raphael Lemkin[18], ainsi que par nombre de rédacteurs de la convention, dont l'argument était que le groupe politique est un ensemble en manque de stabilité et d'homogénéité, si bien que son insertion dans la définition risquerait de conduire à des interprétations larges et abusives[11].
Alors que les définitions du crime de guerre et du crime contre l'humanité ont été modernisées, la définition internationale du génocide a été reprise dans l'article 6[25] du Statut de Rome le , l'acte fondateur de la Cour pénale internationale. Lors de la conférence de Rome, Cuba avait proposé, sans succès, d'étendre la définition aux groupes sociaux et politiques[26].
Les États du monde ont des expériences différentes et des relations différentes avec le meurtre de masse : le génocide intègre parfois les législations nationales avec des définitions subtilement modifiées, qui ont déjà eu des conséquences.
Le code pénal français, entièrement renouvelé en 1994 par Robert Badinter après la suppression du Code pénal de justice militaire et du tribunal aux armées de Paris, prévoit un chapitre intitulé « Les crimes contre l'humanité », lui-même divisé en deux parties, « Le génocide » et « Autres crimes contre l'humanité », ce dernier sous-chapitre évoquant les crimes contre l'humanité au sens du droit international. Les incriminations sont proches des définitions internationales mais ne les reproduisent pas au mot près, un fait pas totalement expliqué qui alerte plusieurs juristes et militants des droits de l'homme en France et ailleurs[23].
À l'article 211-1 du nouveau Code pénal, l'incrimination de génocide expose à peu de chose près l'élément matériel en cinq types d'actes de la définition de 1948, et remplace l'élément moral spécifique par la condition suivante : l'acte doit être commis « en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ». Cette extension aux groupes arbitrairement déterminés engendre les commentaires propres à ce genre de modification dans d'autres législations nationales, et pas de critiques particulières. Les critiques se concentrent sur le « plan concerté », qui fait nécessairement de la destruction du groupe le but ultime de l'activité criminelle, qui oblige à penser le génocide comme prémédité et pas seulement prévu.
Introduite dans le statut du Tribunal de Nuremberg, la notion de plan concerté est absente du Statut de la Cour pénale internationale[27]. En 2008, le Sénat français adopte un projet de loi portant « adaptation du droit pénal français à l'institution de la Cour pénale internationale », qui prévoit l'introduction des crimes de guerre dans le Code pénal et la modernisation du chapitre sur les « crimes contre l'humanité ». De nombreuses organisations non gouvernementales, dont la Coalition pour la Cour pénale internationale et la Conférence des Églises européennes qui dénonce un texte de loi « qui rendrait impossible la poursuite en France des auteurs présumés de crimes internationaux », jugent insuffisants les efforts des législateurs[23]. Ceux-ci tiennent peu compte des recommandations de la commission des Affaires étrangères et, en 2010, le projet de loi est adopté par l'Assemblée nationale et le Code pénal est modifié. Inchangée, l'incrimination de génocide contient toujours la condition spéciale du plan concerté, également présente dans l'incrimination, pourtant modernisée, relative aux « autres crimes contre l'humanité »[27].
Plusieurs sénateurs et députés français avaient pourtant évoqué la dissemblance avec les définitions internationales, la possibilité de perpétrer des crimes sans plan concerté, ou encore le problème probatoire posé par l'exigence d'un tel plan : augmenter la difficulté de prouver l'intention criminelle rend incertaine la répression de faits très graves. Mais d'autres parlementaires ont défendu l'idée du plan concerté en soutenant que celui-ci est ce qui distingue les crimes contre l'humanité des crimes de guerre et des infractions de droit commun, et en assurant que l'existence d'un plan peut être déduite, que la prouver ne nécessite pas la production en justice d'un écrit[27].
Dans la loi canadienne, le génocide est un fait « commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe identifiable de personnes et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un génocide selon le droit international » : la loi dépend donc d'une définition internationale supposée évolutive et s'ouvre déjà vers un minimum de restrictions concernant les groupes protégés[26].
En 2019, dans un rapport commandé par le gouvernement canadien, une commission d'enquête publique qualifie de génocide les assassinats et enlèvements de femmes autochtones commis depuis des décennies et qui se poursuivent encore dans le pays ; elle explique notamment que le phénomène est dû à des décisions de l'État inspirées de l'idéologie colonialiste. Controversé, cet emploi du mot « génocide » est toutefois accepté par le Premier ministre Justin Trudeau[28].
Rares sont les États qui, ayant connu un régime communiste brutal et mortifère, adaptent la définition du génocide. En droit éthiopien, l'incrimination inclut l'élimination de groupes politiques. ce qui a permis en 2006 la condamnation pour génocide de l'ex-dictateur Mengistu Haile Mariam et de dizaines de responsables du régime, en poste lors de la meurtrière Terreur rouge de 1977-1978. Certains étaient jugés par contumace, Mengistu lui-même avait fui au Zimbabwe, où il vit encore aujourd'hui[29].
Dans le code pénal roumain, le génocide est la destruction totale ou partielle « d'une collectivité ou d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Censé élargir la définition, le terme « collectivité » la rend plus ambiguë et fait prendre un risque à qui veut faire condamner des criminels de l'ère communiste, dans ce pays où des politiciens assimilent la répression communiste à un génocide. Incités en 2013 à poursuivre pour génocide d'anciens membres de la Securitate, des procureurs roumains ont préféré les chefs d'accusation de crimes contre l'humanité et d'homicide[30].
Souvent, les accusations de génocide en Amérique latine méconnaissent ou font fi des limites de la définition. Ainsi, une telle accusation a permis aux autorités boliviennes de renforcer une demande d'extradition de l'ancien président Gonzalo Sánchez de Lozada, qui a fui aux États-Unis pour éviter un procès concernant la répression sanglante d'une manifestation en 2003 pendant la « guerre du gaz »[31]. Au Pérou, État dont la législation admet les génocides de groupes sociaux, une plainte pour génocide déposée en 2020 contre le président Martín Vizcarra par une de ses adversaires politiques dénonce sa gestion désastreuse de la crise sanitaire de la Covid-19[32].
Le mot « génocide » a été utilisé par des autorités ou par des juges contre des tortionnaires et de hauts responsables des anciennes dictatures des années 1970 et 1980, comme les régimes d'Augusto Pinochet au Chili ou de Jorge Rafael Videla en Argentine, qui ont persécuté des activistes de gauche sur le critère de leurs opinions politiques[33]. Cependant, lorsque l'ancien dictateur guatémaltèque Efraín Ríos Montt, responsable de nombreux massacres anticommunistes, est condamné en 2013 dans son pays, c'est pour la destruction d'un groupe ethnique, les Ixils, un génocide selon la définition internationale de 1948[31].
L'élargissement de la définition juridique du génocide suscite des réticences par crainte de banaliser le terme. Cela a pour conséquence d'en exclure :
… bien que pour ce type de mortalité de masse, le nombre de victimes pourrait dépasser celui des victimes des génocides reconnus, ou encore celui des victimes collatérales d'invasion ou de crimes contre l'humanité (disparition de peuples migrants, traites négrières)[36].
D'autres historiens pensent que cette discrimination négative banalise encore davantage les massacres de masse que ne le ferait un élargissement officiel de la définition. Le débat en cours entre historiens a débordé dans le champ médiatique et politique, avec parfois des excès et des dérives[37].
Mais le débat purement méthodologique est biaisé par celui sur les massacres de masse qui ont été commis au nom de croyances, de convictions ou d'États qui existent toujours actuellement, car dans ce cas, la qualification de génocide (revendiquée par les survivants des groupes-victimes) est contestée par les membres ou les ressortissants d'ethnies, confessions, partis politiques ou États tenus pour responsables, ou encore par divers historiens ou auteurs soutenant les points de vue de ces groupes jugés responsables. Quelques exemples :
On assiste à ce que l'écrivain Norman Manea et le sociologue Nicolas Trifon appellent « l'engrenage de la concurrence mémorielle »[55] : un groupe de victimes a tendance à se comparer aux victimes de génocides reconnus et à exiger une reconnaissance, lorsque la gravité du crime est minimisée par les bourreaux ou les responsables. La minimisation du crime confine dans certains cas à la négation des faits. Mais le négationnisme vise aussi les génocides unanimement reconnus. Un exemple fameux est la négation de la Shoah : alors que le génocide juif est reconnu par divers pays dont l'Allemagne et étudié en profondeur par les historiens, seuls des extrémistes religieux ou politiques[56] et quelques auteurs incompétents que l'historien Pierre Vidal-Naquet appelle « assassins de la mémoire »[57] tentent de propager leur falsification des données historiques.
Certaines interprétations de l'emploi du terme génocide par Raphael Lemkin, ainsi que des travaux philosophiques comme ceux de Jacques Derrida, mettent en avant la notion controversée de génocide animal.
L'ONU n'a pas vocation de « reconnaître » des génocides, en particulier pour des événements antérieurs à sa constitution, mais à faire poursuivre ceux qui viendraient à survenir soit par exemple via des juridictions spéciales qui adopteront leur propre définition dans leur Statut. Il n'y a pas eu de séance de l'ONU « reconnaissant » tel ou tel génocide.
En revanche plusieurs massacres de masse ont été évoqués comme génocide dans le cadre des travaux des instances internationales dépendant de l'ONU ou de juridictions nationales se rapportant directement aux textes de l'ONU :
Le génocide des Juifs, commis par les nazis en Allemagne, en Pologne, en Union soviétique et en France (en Alsace au Struthof), a mis en avant le terme de génocide lors du procès de Nuremberg organisée par le Royaume-Uni, la France, l'URSS et les États-Unis en 1945. Contrairement à une croyance fréquente, l'inculpation de génocide, figure dans certains actes d'accusation mais n'est pas présent dans le jugement du tribunal de Nuremberg. Les condamnations ont été prononcées sur les chefs d'inculpation suivants : Crimes contre la paix, préparation de guerre d'agression, crimes de guerre, crimes contre l'humanité[8]. Cependant, dès , l'Assemblée générale de l'ONU adoptait la résolution 96, qui affirmait que le génocide « nie le droit à l'existence de groupes humains entiers » et qu'il est « un crime au regard du droit international ». Le fut adoptée la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[8].
Le génocide arménien, commis par l'Empire ottoman. Le caractère génocidaire des massacres du peuple arménien en 1915-1916 a été cité dans un rapport de l'ONU sur la question de la prévention et de la répression du crime de génocide établi par la Commission des droits de l'homme – Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités – lors de la 38e session du Conseil économique et social de l'ONU[58]. Le rapport Whitaker, du nom de son rapporteur Benjamin Whitaker, a fait l'objet d'une résolution par la Commission des droits de l'homme de l'ONU le [59] qui a pris note du rapport et ne l'a pas transmis à la Commission des droits de l'homme. Cette décision n'offre donc qu'une reconnaissance indirecte, les différents cas historiques cités dans le rapport Whitaker[60] ayant pour but de servir d'exemples pour justifier la création de la Cour pénale internationale confirmant la suggestion faite en ce sens précédemment dans le Rapport de Nicomède Ruhashyankiko[61].
Le vote ne peut être considéré comme un acte juridique positif de l'ONU sur le cas arménien ni d'ailleurs sur les autres cas évoqués (le massacre des Herreros de 1904, le pogrom ukrainien de 1919, le massacre des indiens Ache au Paraguay, la tuerie des baha'is en Iran) qui n'ont pas eu de suites judiciaires. Mais il range ce crime de masse parmi les exemples des crimes collectifs qu'il faut sanctionner à l'avenir et qui justifient la constitution d'un tribunal international poursuivant le crime de génocide.
Le génocide des Tutsis au Rwanda, commis par les milices hutues extrémistes créées par le régime Habyarimana, a été reconnu par l'ONU, dans le rapport de sa Commission des droits de l'homme le , puis lors de la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (résolution 955 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le [62]. Cette résolution confirme la résolution 935[63] de la même année). Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a reconnu le viol comme moyen de perpétrer un génocide dans l'affaire Akayesu en 1998[64].
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a qualifié de génocide le massacre de Srebrenica — massacre d'environ 8 000 hommes bosniaques[65] commis par des Serbes de Bosnie en pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Cette qualification a été prononcée lors du jugement de Radislav Krstić, le [66] (décision confirmée lors du passage en appel de la même affaire le ). Cette qualification a été confirmée également par la CIJ, qui a cependant jugé que la Serbie en tant qu'État n'en était pas le responsable.
Le , l'homme d'affaires hollandais Van Anraat voit commencer son procès devant le Tribunal du district de La Haye sous l'accusation de crime de guerre et de génocide lié au gazage de populations kurdes en Irak. L'accusation de génocide est devenue recevable au titre de la « compétence universelle » reconnue par l'ONU. Van Anraat est reconnu coupable de complicité de crime de guerre et condamné à 15 ans de prison. La Cour ne le condamne pas pour génocide car elle estime que Van Anraat ne pouvait pas connaître les « intentions génocidaires » du régime. Elle affirme cependant que le gazage des Kurdes constitue bien un crime de génocide. Avec ce jugement, le gazage des Kurdes est pour la première fois qualifié de génocide par un tribunal[67].
L'instruction des crimes commis au Cambodge par le tribunal ad hoc créé par l'ONU (chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens) a vu apparaître l'incrimination de génocide à l'encontre de Khieu Samphân, ancien chef de l'État du « Kampuchea démocratique », portant notamment sur la destruction des minorités ethniques (Chams, …) dans l'esprit de « purification » propre à l'idéologie de ce mouvement. Contraints par la définition de 1948, qui a fait disparaître de la définition initiale du génocide la notion de « classe » sociale, les procureurs n'ont pu retenir cette qualification pour l'essentiel des massacres de la population khmère, se contentant de l'incrimination comme Crimes contre l'humanité. Mais le terme de génocide est couramment employé de par le monde pour qualifier ces massacres de masse qui ont vu la disparition de 1 700 000 personnes, près du quart de la population du pays.
La cour d'appel de Kiev a retenu le caractère de génocide d'Holodomor, les grands massacres notamment par famine perpétrés entre 1931 et 1933 par l'Union soviétique en Ukraine en se référant explicitement aux définitions de l'ONU, mais ici encore il ne s'agit que d'un rattachement indirect aux travaux de l'ONU, le terme de génocide étant reconnu par certains états et refusé par d'autres, notamment la Russie. Le gouvernement « Orange » d'Ukraine cherchera mais en vain à faire reconnaître Holodomor comme génocide à l'ONU, l'ONU refusant d'évoquer directement des crimes antérieurs à sa création.
Omar el-Béchir, le président soudanais, est depuis sous le coup d'un mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité au Darfour, inculpation qui a été complétée en d'un chef de génocide. Le conflit du Darfour aurait fait 300 000 morts selon l'ONU, 10 000 selon Khartoum[68],[69],[70],[71]. Les magistrats de la Chambre préliminaire 1 de la Cour pénale internationale (CPI) ont validé la requête du procureur Luis Moreno-Ocampo qui leur demandait d'inculper le président soudanais Omar El-Béchir de génocide en considérant qu'il y a « des motifs raisonnables de croire en sa responsabilité pénale pour trois chefs de génocide à l'encontre des groupes ethniques des Four, Masalit et Zaghawa : génocide par meurtre, génocide par atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale, et génocide par soumission intentionnelle de chaque groupe ciblé à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique ».
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand des tribunaux ont commencé à juger les crimes collectifs (crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crimes contre la paix), le concept de génocide n'était pas encore juridiquement défini. Le terme sera employé pendant les débats du tribunal de Nuremberg et connaîtra une reconnaissance mondiale au fur et à mesure que les conditions de l'extermination des juifs par les Nazis y seront révélées. La sanction des génocides sera d'abord le fait de tribunaux ad hoc puis l'ONU reconnaîtra la « compétence universelle » des tribunaux nationaux à poursuivre tout acte de génocide où qu'il ait eu lieu, tout en créant une instance internationale spécialisée, la Cour pénale internationale.
Des procès, relevant de cette compétence dite « universelle », ont eu lieu en Belgique, en Suisse et au Canada pour des crimes relevant du génocide au Rwanda, ou encore aux Pays-Bas pour le gazage d'un village irakien.
Des lois, appelées « dispositions non codifiées relatives aux violations graves du droit international humanitaire », donnent compétence aux tribunaux français de juger aussi des crimes de génocide commis dans d'autres pays dans certaines circonstances. Des instructions sont en cours contre des ressortissants rwandais accueillis en France, et des plaintes déposées contre X (des militaires français) par des Rwandais vivants au Rwanda sont à l'étude au tribunal aux armées à Paris à la suite de deux décisions de la cour d'appel de Paris en mai et [72].
En dépit de la ratification par la France du Statut de Rome de la Cour pénale internationale le [73], aucune loi n'a à ce jour été votée par le Parlement français[74] qui permettrait d'instaurer la compétence universelle des juridictions françaises pour connaître des crimes relevant de la compétence de la Cour : le crime de guerre, le crime contre l'humanité et le génocide[75],[76].
Il s'agit de tribunaux qui ont été créés de toutes pièces pour juger certains crimes de génocide :
L'une des particularités de cette Cour est qu'elle ne se substitue en aucune manière aux tribunaux nationaux, ce qui n'est pas le cas des tribunaux ad hoc. La CPI n'intervient que lorsque les tribunaux nationaux ne sont pas en mesure de juger les crimes pour lesquels elle est compétente, à partir du , date d'entrée en vigueur du statut de la CPI.
Une des difficultés de ce tribunal est qu'il ne peut traiter que de crimes récents dont les auteurs ont perdu le pouvoir, qui ne sont pas poursuivis par les successeurs ou qui n'ont pas été renvoyés devant des cours spéciales, ce qui limite à l'extrême son activité.
Les mots « génocide » et « génocidaire », termes juridiques du XXe siècle, peuvent être utilisés rétrospectivement et précautionneusement, avec des critères précisément définis, pour apporter une analyse nouvelle de certains événements historiques, dont les meurtres collectifs massifs[77]. Certains historiens préfèrent travailler avec la notion moins polémique de massacre, ou préfèrent se concentrer sur les génocides étendus et systématiques contemporains, mais la grande majorité reconnaissent aujourd'hui, comme jadis Raphael Lemkin ou encore la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[78], que certains peuples anciens ont été décimés parce que des tyrans ou des conquérants ont voulu qu'ils disparaissent avec leur culture, pour des raisons complexes, sans que la destruction soit leur première motivation[79].
Il est impossible d'énumérer tous les nombreux massacres génocidaires de l'histoire, ces tragédies où une unité militaire ou une foule en colère a fait périr des centaines de membres d'une collectivité humaine désignée à la vindicte, qui représentaient une petite partie locale du groupe entier. Les massacres génocidaires, ainsi que les politicides et les grands effondrements de populations, ne sont évoqués dans la liste qui suit que s'ils permettent d'éclairer les « vrais » génocides ou s'ils ont été couramment appelés « génocides » par des journalistes, des politiciens ou des militants et ont pénétré les études académiques. Les événements désignés ci-dessous en caractères gras (à partir du XIXe siècle) sont des génocides très étudiés et reconnus par une nette majorité de spécialistes[80].
Les articles Révolte des Pueblos, Révolte de Túpac Amaru II, Massacres de 1804 en Haïti, Révolte des cipayes présentent des exemples de massacres génocidaires dits « génocides subalternes » ou « génocides par les opprimés »[81]. Pour un célèbre exemple de « génocide réciproque » ou « rétributif » où deux collectivités s'entretuent[82], voir l'article Partition des Indes.
Il demeure également impossible de s'assurer de l’existence d'évènements historiques assimilables à un génocide avant l'Antiquité, faute de vestiges archéologiques probants[83]. Les récits antiques relatent des faits très exagérés, impliquant des forces surnaturelles et relevant du mythe, à l'image de l'anéantissement de Troie chez Homère, ou de celui de Jéricho dans l'Ancien Testament ; cela montre déjà, selon l'historien Norman Naimark, que les Anciens croyaient que les relations entre les peuples, mêlées de décisions divines, pouvaient conduire à des désastres radicaux et marquants[84]. D'autres récits d'atteinte à la vie de communautés humaines sont réalistes, convaincants, voire vérifiables. Plus la victime ressemble à une cité-État jadis rayonnante, plus le niveau de destruction dépasse les standards de l'époque, plus le terme « génocide » devient pertinent ; cependant, ce qui déshonore à nos yeux le bourreau et ne le rend pas plus riche, est souvent pour lui un moyen d'accroître ou d'afficher son pouvoir[85].
— Antienne attribuée à Caton le Censeur, parfois considérée comme la première incitation au génocide enregistrée par l'histoire[94].
L'esclavage se rencontre dans toute l'Antiquité mais il est difficile de savoir si les chasseurs de « sauvages » et de « barbares » ont conscience que des tribus et leur culture peuvent disparaître lors des opérations de grande envergure. L'expansionniste République romaine commence à profiter de telles opérations en , quand 85 000 esclaves de Sardaigne et d'Istrie remplissent les marchés ; 150 000 Épirotes s'ajoutent dix ans plus tard. La méthode consiste à massacrer jusqu'à inhiber la population, qui se laisse asservir[85]. Mais les Romains désanonymisent les tribus qui leur opposent une forte résistance, comme en Gaule. En outre, la République affronte des puissances orientales, comme le royaume du Pont de Mithridate VI qui planifie en des actions coordonnées pour massacrer rapidement les migrants romains et italiens dans des cités d'Asie Mineure : ces Vêpres asiatiques font peut-être 100 000 victimes. Ainsi, à la fin de l'Antiquité pèse la menace de génocides comparables à ceux de l'époque moderne : les victimes ne sont pas ou pas complètement rassemblées, mais soit éparpillées sur de grands espaces ruraux, soit mêlées à la population urbaine protégée par le génocidaire.
« César envoie des messagers aux peuples voisins, excite chez eux l'espoir du butin et appelle tout le monde au pillage […], il voulait qu'en punition d'un tel forfait cette grande invasion anéantît la race des Éburons et leur nom même. »
— Jules César, La Guerre des Gaules, VI, 34[96].
Si des génocides ou des crimes similaires surviennent dans d'autres parties du monde, la difficulté est toujours d'avoir des récits fiables. En Chine, les Seize Royaumes, surtout connus par le tardif Livre des Jin, ont engendré un événement étonnant. Vers , un général du Zhao postérieur nommé Ran Min, d'origine han mais élevé parmi les Jie, tribu originaire d'Asie centrale dont une famille dirige ce royaume, massacre cette famille après avoir vraisemblablement développé un sentiment identitaire pernicieux, prend le pouvoir avec ses subordonnés han, puis concrétise un projet génocidaire : tuer massivement les « barbares » et donc, principalement, les Jie dont les visages ont des traits caractéristiques. Ran Min récompense les têtes coupées de barbares, ce qui entraîne une journée de violence insoutenable à Ye, la capitale, puis il affronte des armées barbares venues à sa rencontre. Il sera finalement vaincu par le chaos qu'il a provoqué. Peut-être 200 000 Jie sont morts, si l'on croit les textes anciens[99].
Durant le haut Moyen Âge, les génocides, s'il y en a, appartiennent à des séries d'événements très mal connus. Même en analysant la dévastation du Nord de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant au début du Moyen Âge central, l'historien C. P. Lewis souligne que les horreurs de la guerre ne sont pas nécessairement les signes d'un génocide, et que trouver des preuves dans des récits trop tardifs est impossible[100]. Dès la fin du XIIe siècle, des invasions musulmanes de certaines régions de l'Inde présentent un caractère génocidaire. Des questions économiques et de pouvoir, ainsi qu'une question de différences ethniques et religieuses, motivent ces conflits. Mais ce sont les croisades médiévales qui marquent le plus une transition entre le génocide utilitaire qu'on trouve beaucoup dans l'Antiquité et le génocide idéologique moderne[101].
« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. »
— Ordre d'extermination probablement apocryphe, attribué au légat pontifical Arnaud Amaury ; il justifie un massacre indiscriminé, la justice divine étant censément capable d'éradiquer l'hérésie albigeoise tout en sauvant les bons chrétiens.
« Ces Indiens de Caribana ont mille fois mérité la mort, car c'est une race détestable. […] Aussi ce que je propose n'est pas de les faire esclaves, ils sont trop mauvais pour cela, mais de les brûler tous, grands ou petits, pour qu'il ne reste pas trace de si vilaines gens. »
— Vasco Núñez de Balboa, Lettre à Ferdinand le Catholique du [112].
« [Les Renards] ne sont plus en état de donner des inquiétudes, il n'en sera pas longtemps question, toutes les nations étant actuellement en campagne pour en éteindre la race […] je ne pense pas qu'il soit question d'aucun Renard l'année prochaine. »
— Charles de La Boische, gouverneur de la Nouvelle-France, sur la « question » des Renards, Lettre au Ministre du [119].
« Il faut s'attendre à ce qu'une guerre d'extermination se poursuive entre les races jusqu'à l'extinction de la race indienne. »
— Peter Burnett, premier gouverneur de Californie, Governor's Annual Message to the Legislature, January 7, 1851[136].
« Je considère que la nation Héréro comme telle doit être annihilée ou, si ce n'est tactiquement pas faisable, expulsée hors du territoire par tous les moyens possibles. […] J'estime le plus approprié que la nation périsse[148]. »
— Général Lothar von Trotha, dans une lettre à un officier, .
« Nous avions le droit moral, nous avions le devoir envers notre peuple, de détruire ce peuple qui voulait nous détruire. Mais nous n'avons pas le droit de nous enrichir […]. Nous ne voulons pas à la fin, parce que nous avons exterminé un bacille, être infecté par ce bacille et en mourir. »
— Heinrich Himmler fantasmant la nocivité extrême des Juifs pour justifier l'injustifiable, Discours de Posen du [172].
« Tuez-en trois millions, et le reste nous mangera dans la main. »
— Muhammad Yahya Khan, président du Pakistan, devant des généraux, le [192].
« Nous ne pratiquons pas une politique de la terre brûlée, nous pratiquons une politique de communistes brûlés. »
— Ríos Montt, lors d'une conférence de presse le [211].
« L'on doit comprendre, moi, j'estime qu'au lieu de fuir, mieux vaudrait mourir […] nous devons donc combattre les Inkotanyi, en finir avec eux, les exterminer, les balayer, dans tout ce pays… parce qu'il n'y a pas de refuge, pas de refuge alors ! »
— Kantano Habimana, animateur de la radio des Mille Collines, demandant au gouvernement rwandais de ne rien céder à un ennemi mortel tutsi, le [217].
« La continuelle existence des yézidis jusqu'à ce jour est une situation que les musulmans devraient remettre en cause puisqu'ils seront interrogés là-dessus au jour du Jugement, étant donné qu'Allah a révélé le verset de l'épée il y a plus de 1 400 ans. »
— Extrait du quatrième volume du magazine de propagande Dabiq[224], suggérant que les yézidis qui n'ont pas voulu se convertir depuis 1 400 ans devraient maintenant être éliminés par tous les moyens indiqués dans le verset 5 de la neuvième sourate du Coran.
Seamless Wikipedia browsing. On steroids.
Every time you click a link to Wikipedia, Wiktionary or Wikiquote in your browser's search results, it will show the modern Wikiwand interface.
Wikiwand extension is a five stars, simple, with minimum permission required to keep your browsing private, safe and transparent.