Cour pénale internationale
tribunal pénal international permanent De Wikipédia, l'encyclopédie libre
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La Cour pénale internationale (CPI ; en anglais International Criminal Court ou ICC) est une juridiction pénale internationale permanente, et à vocation universelle, chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l'humanité, de crime d'agression et de crime de guerre[a]. La Cour inscrit également son action dans une dimension préventive et dissuasive : l'objectif est de responsabiliser les individus, qu'il s'agisse d'autorités civiles ou militaires[b].
Cour pénale internationale (en) International Criminal Court | |
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Situation | |
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Création | : adoption du Statut de Rome : entrée en vigueur du Statut |
Type | Juridiction internationale |
Siège | La Haye (Hollande-Méridionale, Pays-Bas) |
Coordonnées | 52° 04′ 06″ N, 4° 21′ 13″ E |
Langue | de travail : anglais, français officielles : anglais, français, russe, espagnol, chinois, arabe |
Budget | 148 000 000 € |
Organisation | |
Membres | 123 États parties |
Effectifs | 900 |
Président | Tomoko Akane |
Procureur | Karim Khan |
Site web | www.icc-cpi.int |
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Le Statut de Rome est le traité international qui a fondé la Cour pénale internationale. Il est adopté lors d'une conférence diplomatique réunissant les représentants des États adhérant aux Nations unies, dite Conférence de Rome, qui se déroule du au à Rome, en Italie. Il entre en vigueur le après sa ratification par 60 États[c] : la Cour pénale internationale est alors officiellement créée. La compétence de la Cour n’étant pas rétroactive, elle traite les crimes commis à compter de cette date.
Le siège officiel de la Cour est situé à La Haye, aux Pays-Bas. Depuis le , 123 États sur les 193 États membres de l'ONU ont ratifié le Statut de Rome et acceptent la compétence de la CPI (dont tous les États de l'Union européenne). Trente-deux États, dont la Russie et les États-Unis, ont signé le Statut de Rome, mais ne l’ont pas ratifié. Enfin, certains, dont la Chine et l’Inde, n’ont pas signé le Statut.
La CPI peut en principe exercer sa compétence si la personne accusée est un ressortissant d'un État membre, ou si le crime supposé est commis sur le territoire d'un État membre, ou encore si l'affaire lui est transmise par le Conseil de sécurité des Nations unies. La Cour ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n'ont pas la volonté ou la capacité pour juger des crimes internationaux (principe de complémentarité). En d'autres termes, la Cour n'intervient que lorsque les systèmes internes sont défaillants.
À la fin de l'année 2022, la Cour a ouvert une enquête dans dix-sept situations : Ouganda (2004), République démocratique du Congo (2004), Soudan (2005), Centrafrique I (2007), Kenya (2010), Libye (2011), Côte d'Ivoire (2011), Mali (2013), Centrafrique II (2014), Géorgie (2016), Burundi (2017), Bangladesh/Birmanie (2019), Afghanistan (2020), Palestine (2021), Philippines (2021), Venezuela I (2021) et Ukraine (2022)[1]. Deux examens préliminaires sont en cours : Venezuela II (2020) et Nigeria (2020). Huit autres sont clos sans décision de poursuite[2].
Le premier procès de la CPI, celui de Thomas Lubanga, commence le . Le , il est reconnu coupable de crimes de guerre[n 1]. Il est alors le premier individu condamné par la juridiction. Depuis lors, d'autres individus sont condamnés, notamment Ahmad al-Faqi al-Mahdi tandis que certains sont acquittés, à l'instar de Jean-Pierre Bemba Gombo.
La Cour traverse trois crises : celle de l'annonce en cascade du retrait d'États de son système, une autre portant sur certaines pratiques du premier procureur, Luis Moreno Ocampo, ainsi qu'enfin une dernière relative au refus d'autoriser une enquête sur l'Afghanistan. La CPI fait également l'objet de critiques récurrentes qui sont consubstantielles, pour la plupart, à l'existence de la justice pénale internationale.
Au bout de maintes tentatives, la communauté internationale est parvenue, au XXe siècle, à un consensus concernant :
Historiquement, les violations du droit de la guerre ont quasiment toujours été jugées par des tribunaux ad hoc créés par les vainqueurs. Jules Deschênes fait remonter les prémices de la justice pénale internationale au Moyen Âge[3]. La première manifestation concrète d'une « cour criminelle internationale » se situerait précisément au XVe siècle, lorsque vingt-huit magistrats venant des États alliés du Saint-Empire romain germanique siègent dans un même tribunal pour juger Pierre de Hagenbach, accusé de crimes commis par ses subordonnés à l'occasion du siège de Breisach (viols, meurtres et pillages)[4],[5].
En , Gustave Moynier, membre du Comité international de la Croix-Rouge, propose de créer un tribunal qui serait compétent pour certaines violations du droit international humanitaire, par exemple celles issues de la 1re Convention de Genève de 1864[6]. Cette idée, novatrice pour l'époque et liée aux répercussions traumatiques de la guerre franco-prussienne de 1870, est doublée de celle d'ordonner la réparation des dommages y afférents[7]. Toutefois, elle n'est pas concrétisée.
À la fin de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles énonce en son article 227 la création d'un tribunal international en vue de mettre en accusation Guillaume II pour « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités », tribunal qui jugera « sur motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci d'assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que de la morale Internationale »[8]. Même si la formulation est imprécise d'un point de vue juridique, elle « porte le germe de la responsabilité internationale de l'individu »[9]. En toute hypothèse, cette disposition est restée sans application. En effet, Guillaume II s'est exilé aux Pays-Bas et ces derniers ont toujours refusé de le remettre[10].
L'article 228 prévoit quant à lui la possibilité, pour « les puissances alliées et associées », de juger devant leurs propres tribunaux militaires les individus accusés d'« actes contraires aux lois et coutumes de la guerre »[8]. En pratique, le résultat s'est avéré en dessous des attentes : environ huit-cent-cinquante poursuites ont été effectivement engagées mais elles ont eu lieu pour diverses raisons devant la Cour suprême de Leipzig. Seule une dizaine de personnes ont été jugées ; la moitié a été acquittée en raison de problèmes de preuves principalement[11],[12].
La lecture combinée desdites dispositions du traité de Versailles articulant deux niveaux de juridictions illustre le « scepticisme » de l'époque sur la question de savoir si, pour des crimes internationaux commis par un appareil étatique, une véritable réaction nationale aura lieu, d'où la nécessité de créer, au moins, un tribunal international compétent pour les plus hauts responsables[13].
Ce traité est enfin à l'origine du principe coutumier — repris dans le Statut de Rome — selon lequel, les chefs d’État ne bénéficient pas d'immunité de poursuite devant une juridiction internationale[14].
Durant l'entre-deux-guerres, dans la doctrine, l'existence d'une cour internationale compétente pour juger les États est désormais ancrée, tandis que celle d'une juridiction pénale internationale destinée à juger des individus demeure moderne[15] et ce même si elle se répand rapidement. Vespasian Pella est l'une des figures du développement du droit international pénal[16]. En ce sens, il élabore en un projet de codification[17].
En , un projet de traité, sous l'égide de la Société des Nations et relatif au jugement des infractions de terrorisme, est à l'ordre du jour[18] mais cette initiative n'ira pas plus loin.
Les crimes commis durant la Seconde Guerre mondiale par les nazis et les japonais seront les premiers crimes internationaux jugés comme tels. Le premier tribunal est celui de Nuremberg, créé par les Accords de Londres du qui définissent les notions de crimes contre la paix, crimes de guerre et de crimes contre l'humanité[19]. Le Tribunal de Tokyo est institué quant à lui le . Dans les deux cas, le système repose d'une part sur l'articulation avec les juridictions nationales, d'autre part sur la répression de crimes commis par des personnes physiques, « peu importe le rang militaire ou la fonction civile occupés »[20].
Bien qu'imparfaits dans leur composante internationale[21], les deux tribunaux constituent une innovation[22].
Dès sa 1re session en , l'Assemblée générale des Nations unies « confirme les principes de droit international reconnus par le statut de la Cour de Nuremberg et par l'arrêt de cette Cour »[23]. L'année suivante, elle demande à la Commission du droit international (CDI) d'élaborer un « projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité »[24]. En parallèle, deux comités intergouvernementaux sont respectivement chargés, en [25] et [26], de rédiger le statut d’une future cour criminelle internationale[27]. Ces deux instruments correspondent à ce qui se retrouve dans les architectures juridiques internes à savoir un code définissant les infractions et un autre rassemblant les règles qui gouvernent la procédure[28]. En , un premier rapport préconise la création d'une juridiction dans la droite ligne des dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[29]. En , un second rapport est déposé[27]. Un an plus tard, en raison de difficultés liées à la définition du crime d'agression (celui-ci étant inclus dans les travaux de la CDI), l'Assemblée générale décide de différer l'examen du projet de Code[30] puis celui du Statut de la future juridiction[31].
La Guerre froide freine finalement toutes les initiatives visant à créer une juridiction pénale internationale[32],[33]. En effet, en raison du danger de guerre fréquent, les États sont à l'époque dans une logique d'affrontement des souverainetés, Cherif Bassiouni (en) voyant même dans l'absence de coordination des travaux une volonté politique délibérée de retarder le processus[34]. Certaines voix se font cependant entendre, à l'instar de Benjamin Ferencz, enquêteur au procès de Nuremberg et procureur général des États-Unis au procès Einsatzgruppen, qui soutient l'établissement d'un corpus de règles à vocation universelle et d'une cour pénale internationale[35].
En , la Convention sur le crime d'apartheid est adoptée. Elle contient une disposition analogue à celle de 1948 sur le génocide : les accusés pourront être jugés alternativement soit par les juridictions d'un État partie, soit par un « tribunal pénal international » à la condition que leur État de nationalité ait accepté la compétence d'une telle juridiction[36].
En , l'Assemblée générale adopte la résolution 3314 (XXIX) définissant l'agression. L'obstacle juridique étant supprimé, les travaux sur le projet de Code reprennent en [37]. En parallèle, différents rapports auprès de la sous-commission des droits de l'homme, dont le rapport Whitaker en 1985, recommandent la création d'une juridiction permanente pour sanctionner les génocides.[réf. souhaitée]
La chute du Mur de Berlin et l'effondrement de l'empire soviétique permettent la levée des freins politiques. En , à l'occasion d'une initiative de Trinité-et-Tobago visant à créer un tribunal international en matière de trafics de drogue, la Commission du droit international se voit confier le projet d'élaborer les statuts d'une cour compétente pour l'ensemble des crimes internationaux[38]. Un comité ad hoc prend la suite pour aboutir au Comité préparatoire en sur la base duquel la conférence diplomatique de Rome sera convoquée en [37].
Plusieurs observateurs indiquent que la Cour permettrait de faire juger des dictateurs ou des criminels comme Idi Amin Dada, Milton Obote, Jean-Claude Duvalier, Mengistu Haile Mariam ou Alfredo Stroessner qui vivent alors en exil sans craintes de sanctions[39],[40],[41].
En parallèle des travaux menés par les comités d'experts, à la suite de la commission de crimes internationaux à différents endroits du globe, l'ONU instaure dans les années 1990-2000 des tribunaux internationaux. Ces juridictions voient leur compétence limitée dans le temps (ratione temporis), dans l'espace (ratione loci) et pour certains faits précis (ratione materiae). On dénombre - sans exhaustivité :
Les deux TPI fonctionnent selon le principe de primauté[n 2] selon lequel « à tout stade de la procédure, (ils peuvent) demander officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en leur faveur »[42].
La création des deux TPI (ceux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda) a remis à l’ordre du jour le projet de création d’une juridiction pénale universelle. En 1993, la Commission du droit international soumet à l’Assemblée générale un projet de statut d’une Cour pénale internationale sur lequel elle avait commencé à travailler en 1948, projet sur la base duquel se sont ensuite nouées des négociations intergouvernementales[44].
Les organisations non-gouvernementales ont aussi joué un rôle important dans l'avènement de la CPI puis dans le processus de ratification, en témoigne la création en 1995 de la Coalition pour la Cour pénale internationale[réf. souhaitée].
La création de la CPI s'est déroulée en deux temps :
Le marque l'entrée en vigueur du Statut de la CPI.
Le premier groupe de 18 juges a été élu par l’AEP (Assemblée des États Parties) en février 2003, et ceux-ci ont prêté serment lors de la session inaugurale de la Cour le .
Depuis le , 123 États sont parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ce qui signifie qu'ils ont ratifié ou adhéré au traité. Parmi eux :
26 États ont émis des réserves ou des déclarations au Statut de Rome. La question des réserves divisa au moment de la conception du texte, il fut décidé que le Statut ne les autoriserait pas (art. 120), y compris pour les amendements. Plusieurs pays ont émis des « déclarations interprétatives », même si le distinguo avec une réserve, selon la Commission du droit international et la convention de Vienne sur les traités, est assez controversée[46],[47].
Les États parties sont légalement tenus de coopérer avec la Cour quand elle en a besoin : arrestation et transfert des personnes inculpées ou accès à des preuves et témoins[réf. souhaitée]. Les États parties ont le droit de participer et de voter à l'AEP, organe de direction de la Cour qui élit les juges et le procureur, approuve le budget de la Cour et adopte les amendements du Statut de Rome[réf. souhaitée].
La France a signé le Statut le et l'a ratifié le [48].
Bien que cet État ait toujours œuvré pour la mise en place de juridictions pénales internationales, certaines de ses actions au moment de la Conférence de Rome et après ont suscité nombre de questions et polémiques[49],[50].
En effet, la France a maintenu coûte que coûte sa position de principe concernant l'adoption de l'article 124 du Statut de Rome. Cette disposition controversée est introduite par la délégation française lors des négociations et permet de décliner la compétence de la Cour pour les crimes de guerre, pendant sept ans, à compter de l'entrée en vigueur de l'instrument[51],[52],[53].
Jean-François Dobelle, conseiller des affaires étrangères, soutient qu'il s'agissait de vérifier, au moins au début de l'activité de la Cour, que les garanties du Statut permettaient « d'éviter les recours abusifs, à caractère politique, auxquels les pays participant aux opérations de maintien de la paix sont plus particulièrement exposés »[54].
Cette justification, reprenant l'essence du propos de Jacques Chirac tenu aux ONG en [55], n'a pas emporté l'adhésion de la doctrine pour diverses raisons : d'abord, la Cour aurait plus à perdre qu'autre chose en engageant des poursuites injustifiées ; ensuite, les pouvoirs de la Chambre préliminaire permettent précisément de contrôler les actions du Procureur ; enfin, les juridictions nationales demeurent prioritaires en vertu du principe de complémentarité[56].
Seules la France et la Colombie activent cette option lors de la ratification[57]. La France la retire en [58] tandis que les effets de la déclaration colombienne s'éteignent en [56].
En , lors de l'adoption de l'amendement relatif au crime d'agression — qui, de par sa nature, est nécessairement lié à d'éventuels crimes de guerre — la France obtient, au côté du Royaume-Uni, certains aménagements de la définition visant à s'assurer que la Cour ne puisse poursuivre des faits en lien avec le conflit armé libyen de 2011 et l'intervention militaire menée en parallèle[59].
In fine, la France se démarque par une position particulière à l'égard des crimes de guerre, reposant alternativement soit sur « une forme de résistance », soit sur une « volonté de modulation à l’égard de la mise en œuvre de l’obligation internationale de répression des violations graves du droit international humanitaire ».
Différents facteurs expliquent cette attitude — histoire (2de Guerre mondiale et guerre d'Algérie), politique étrangère (opérations militaires extérieures), politique pénale (choix des poursuites sous l'empire des qualifications juridiques de terrorisme) — qui n'a quasiment pas varié depuis la fin du XXe siècle[60].
En , l'Autorité palestinienne fait une déclaration à l'effet d'accepter la juridiction de la Cour en invoquant l'article 12 paragraphe 3 du Statut de Rome[61],[62]. Un examen préliminaire est ouvert[63].
En , le Bureau du Procureur considère que le statut de l'entité ne lui permet pas d'adhérer au traité et qu'il ne lui appartient pas de décider si la Palestine pourrait être considérée comme un État au sens du droit international public[64],[65]. Jean Salmon dénote des « ambiguïtés » dans cette position en considérant qu'au regard de la pratique antérieure, la qualité d’État membre au sein d'une institution spécialisée de l'ONU, à savoir l'UNESCO, aurait pu suffire à ce que la Palestine accède au Statut de Rome
[66]. Quelques mois plus tard, la Palestine obtient le statut d' « État observateur non membre » à l'ONU ce qui relance le débat[67].
En , l'Autorité palestinienne est officiellement devenue un État membre de la Cour[68],[69] ouvrant un nouveau front dans sa « guerre diplomatique » contre Israël étant précisé que cette adhésion l'expose elle aussi à des risques de poursuites pénales pour les crimes commis de son côté[70].
La Palestine allègue que des crimes de guerre ont été commis, dans les territoires occupés, par leur adversaire pendant la guerre de Gaza en 2014[71]. Amnesty International détaille, pour sa part, dans un rapport, une opération menée en représailles à la capture d'un soldat israélien qui pourrait constituer un crime contre l'humanité au vu du « caractère systématique et délibéré de l’attaque terrestre et aérienne menée contre Rafah »[72]. En , de nouvelles informations transmises à la Procureure dénoncent d'éventuels crimes contre l'humanité (en l’occurrence apartheid)[73].
31 États ont uniquement signé le Statut de Rome sans le ratifier.
De façon générale, il n'existe pas d'opposition de principe à la justice pénale internationale de la part des États-Unis, en témoigne la création des autres juridictions (TPIY, TPIR, TSSL)[74].
Les États-Unis rejettent l'idée qu'une entité puisse « entraver » leurs choix de recourir à la force armée.
Ce pays d’Amérique du nord s'oppose aussi à d'éventuelles poursuites visant les militaires nationaux en opérations extérieures[75]. Enfin, très soucieux « de préserver leur justice de toute influence extérieure », les États-Unis ont pu redouter dès le début que la Cour enquête sur le traitement des détenus de Guantanamo dans le cadre de la lutte antiterroriste[76].
Malgré une opposition pendant tout le processus de négociation et au moment de l'adoption[77], motivée notamment par le fait que la future cour risquerait d'interférer sur le « maintien de la paix et de la sécurité internationales » — domaine réservé au Conseil de sécurité[78] — le , soit le dernier jour avant la fermeture pour signer le Statut de Rome, Bill Clinton signe le traité[79],[80].
Selon Le Temps, ce changement de cap est le « tour le plus spectaculaire » laissé par Clinton à son successeur.
Cet événement constitue aussi un énième désaveu à l'égard du secrétaire à la Défense — William Cohen — tandis que le camp Albright a gagné. La colère des républicains est immédiate[81].
En , sous l'impulsion du président George W. Bush, les États-Unis décident de retirer leur signature[82].
Colin Powell précise : « il convient, parce que nous avons de sérieux problèmes avec la CPI, de notifier le dépositaire […] que nous n'avons pas l'intention de le ratifier et en conséquence nous ne sommes plus liés en aucune manière à son but et objectif »[83].
La même année, l'American Service-Members' Protection Act est promulguée[84]. Cette loi permet de soustraire de la compétence de la CPI les ressortissants américains résidant sur leur territoire d'origine ainsi que ceux qui seraient éventuellement remis par un autre État à la Cour[85].
Avant que soixante états ne ratifient le statut[n 3], les États-Unis exercent des pressions importantes (interruption de l'aide économique ou militaire, fin d'avantages douaniers) auprès des états s'apprêtant à reconnaître la compétence de la future juridiction[86],[87].
Le Brésil, le Pérou, le Costa Rica, l’Équateur, la Bolivie et l’Uruguay sont ainsi sanctionnés par Washington[88].
Par ailleurs, les États-Unis établissent des accords bilatéraux avec des états parties au statut de Rome garantissant que les américains qui seraient amenés à répondre de leurs actes devant la CPI soient rapatriés dans leur pays d'origine[89].
En , HRW recense une vingtaine d’états ayant signé tandis qu'une quarantaine a refusé après avoir été contacté[90].
Le changement d'administration et l'arrivée au pouvoir de Barack Obama mettent un terme à la relation d'hostilité ouverte entre les États-Unis et la CPI[91]. En 2009, déclarant regretter la position de l'administration précédente, Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, assure : « nous aurions pu résoudre certains défis qui se posent concernant notre adhésion »[92].
Réagissant à cette déclaration, le Washington Post considère qu'Hillary Clinton a, en réalité, entrepris peu d'actions concrètes pour dialoguer avec la Cour[93]. Finalement, progressivement, le pouvoir démocrate adopte une démarche plus constructive avec la CPI sans pour autant chercher à adhérer au traité[94].
La donne change à nouveau avec l'élection de Donald Trump ; les relations avec la Cour se tendent graduellement. En , à propos d'une potentielle enquête sur des crimes de guerre présumés commis en Afghanistan par l’armée américaine, mais aussi s'agissant d'éventuelles poursuites dirigées contre Israël dans le cadre du conflit l'opposant à la Palestine, le conseiller à la sécurité nationale, John R. Bolton, qualifie la CPI d’« inefficace, irresponsable et carrément dangereuse »[95].
Il indique également que différentes mesures pourront être prises contre les juges et le procureur, dont l'interdiction d'accès au territoire et le gel des avoirs, en concluant : « Nous laisserons la CPI mourir seule. Après tout, et pour ainsi dire, la CPI est déjà morte à nos yeux »[96].
En , les menaces sont renouvelées[97].
Le , la Cour ayant décidé d’ouvrir une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Afghanistan, Mike Pompeo, secrétaire d'État des États-Unis, qualifie la cour d' « institution politique irresponsable se faisant passer pour un organisme juridique » et déclare : « Les États-Unis prendront les mesures nécessaires pour protéger leur souveraineté et pour protéger notre peuple »[98].
En , Donald Trump signe un ordre exécutif afin d'autoriser, d'une part, des sanctions économiques (blocage des biens et avoirs) et d'autre part, des restrictions de visa, l'ensemble des mesures étant applicable aux personnels de la Cour et à leur famille[99].
De plus, Mike Pompeo qualifie la Cour de « kangaroo court »[100]. Le jour de l'annonce, la Cour répond que cet acte n'est que le dernier « d'une série d'attaques sans précédent » qui « constitue une escalade et une tentative inacceptable de porter atteinte à l'état de droit et aux procédures judiciaires »[101].
O-Gon Kwon (en), président de l'AEP, dit « regretter vivement » le décret entériné et rappelle que « le système du Statut de Rome reconnait que c'est aux États qu'il revient en premier lieu d'enquêter et de poursuivre les crimes d'atrocité. En tant que cour de dernier ressort, la CPI est complémentaire aux institutions judiciaires nationales. C'est là une pierre angulaire du Statut »[102].
L'Union européenne fait part de son inquiétude et réitère son soutien à la juridiction internationale[103] tandis que la France affiche sa « consternation »[104].
A contrario, Benjamin Netanyahou salue la décision de son homologue en insistant sur une « chasse aux sorcières » menée contre Israël et les États-Unis[105]. De l'avis de certains juristes, cet événement est inédit puisque le décret élève la question au rang d’urgence nationale avec un cadre posé et « une palette de sanctions très large » pouvant aller jusqu'à viser quiconque coopérerait avec la Cour, ONG comprises.
En outre, bien que l'argument du lawfare soit récurrent de la part de l'administration Trump (accusations de manipulation par la Russie), le travail du Procureur est en réalité fondé essentiellement sur « les conclusions de commissions d’enquête, dont celle du Sénat, qui ont rendu des rapports critiques sur les « mémos » torture pris par l'administration Bush dans le cadre de la « guerre » contre le terrorisme »[106].
Début , la Procureure et l'un de ses subordonnés sont inscrits sur une liste noire américaine bloquant leurs avoirs[107],[108]. Les mesures entravent également l'entrée sur le territoire américain sauf pour New York qui dispose d'un statut spécial en raison de la présence des Nations Unies dans la ville[109].
En , Joe Biden révoque le décret signé par son prédécesseur qui mettait en place des sanctions contre le personnel de la Cour ; la diplomatie américaine précise néanmoins qu'elle est toujours opposée aux enquêtes relatives à l'Afghanistan et à Israël[110].
Israël a signé le traité en , mais ne l'a pas ratifié[111] avec les arguments suivants :
« Le droit international reconnaît depuis longtemps qu'il existe des crimes d'une telle gravité qu'ils devraient être considérés comme des « crimes internationaux ».
Ces crimes ont été établis dans des traités tels que la Convention sur le génocide et les Conventions de Genève […] Les principaux motifs inquiétant Israël sont les suivants :
L'ouverture d'un examen préliminaire portant sur des crimes de guerre présumés en Palestine déclenche la colère d'Israël en janvier 2015 qui qualifie la décision de « scandaleuse »[113].
En réponse aux allégations palestiniennes relatives à la guerre de Gaza en 2014, Israël a affirmé que le Hamas et ses milices avaient violé le droit international humanitaire en procédant à des tirs indiscriminés de roquette visant des lieux habités par la population civile[114]. Amnesty International a conclu dans le même sens dans l'une de ses publications au printemps 2015[115].
En mai 2015 un nouveau rapport relate des faits d'exécutions arbitraires et de tortures attribuables au Hamas[116].
La Russie signe le traité le mais l'Assemblée fédérale ne le ratifie pas. Si certains obstacles juridiques existent effectivement au regard de la Constitution russe, ils ne sont pas insurmontables. La raison est donc avant tout d'ordre politique[117].
En La fédération de Russie use, conjointement avec la Chine, de son droit de véto pour bloquer un projet de résolution initié par la France et tendant à déférer les crimes commis dans le cadre de la guerre civile syrienne au Procureur de la CPI[118],[119].
Dans une tribune publiée sur Le Monde, Laurent Fabius — alors ministre des Affaires étrangères — se défend de toute posture politicienne et indique que le texte proposé au Conseil de sécurité « vise tous les crimes commis en Syrie, quels qu'en soient les auteurs […] Si le régime syrien s'est couvert de sang, cette résolution n'omet pas les crimes commis par d'autres groupes »[120].
En , Vladimir Poutine signe un décret pour retirer la signature[121] en réponse à l'autorisation d'ouvrir une enquête concernant des faits commis en Ossétie du sud au cours de l'année 2008[122].
Quelques jours plus tard, le dépositaire du traité reçoit la notification suivante : « J’ai l’honneur de vous informer de l’intention de la Fédération de Russie de ne pas devenir partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale […] » ; selon le rédacteur de la notification, cette déclaration correspond à l'article 18 alinéa a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités[123].
Cependant, il n'existe aucune procédure de la sorte dans cette convention car au sens strict, l'état « n’a pas manifesté son consentement à être lié. La démarche russe constitue donc un nouvel exemple d’instrumentalisation du droit international »[124].
Le 17 mars 2023, les juges de la cour pénale émettent un mandat d'arrêt sur le président de la fédération de Russie Vladimir Poutine et Maria Alexeïevna Lvova-Belova car ils sont présumés responsables du crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et de transfert illégal de population (enfants) des zones occupées d'Ukraine vers la fédération de Russie[125].
La Russie réplique en lançant un mandat d'arrêt contre le procureur et trois juges de la cour pénale internationale[126],[127],[128],[129],[130].
Le 19 mai 2023, le ministère de l'Intérieur russe publie une notice de recherche et d'arrestation contre Karim Khan en représailles à la procédure lancée contre Vladimir Poutine[131].
Le Soudan a signé le Statut le , en précisant le qu'il n'avait pas l'intention de devenir partie[132]. Cette déclaration faisait suite à la demande en du Procureur d'émettre un mandat d'arrêt contre le président Omar el-Béchir[133]. Le , les juges accèdent à cette requête (ce qui fait de ce mandat le premier délivré contre un chef d'État en exercice dans l'histoire de la CPI)[134],[135] en visant les chefs de crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au Darfour[136]. Pendant l'été, l'Union africaine vote une résolution indiquant que les États membres n'exécuteront pas le mandat émis[137]. En , un nouveau mandat d'arrêt est délivré et inclut cette fois les charges de génocide[138].
Omar el-Béchir est destitué en [139]. Le gouvernement de transition se serait engagé, en , à la remettre à la Cour[140]. En juin de la même année, Ali Kosheib — l'un des plus redoutés chefs de milices janjawids — est transféré à la Cour par les autorités centrafricaines, pays dans lequel il s'était réfugié depuis janvier[141]. L'opération d'identification qui a permis l'arrestation a été menée conjointement avec la MINUSCA[142].
De tous les États qui sont membres des Nations unies, des observateurs de l'Assemblée générale des Nations unies ou autrement reconnus par le secrétaire général des Nations unies en tant qu'États ayant des compétences d'élaboration des traités complets[pas clair], 42 États n'ont ni signé ni adhéré au Statut de Rome.
La Chine a participé à la Conférence diplomatique mais a voté négativement à la fin du processus[143]. La liste d'arguments ci-après est non exhaustive :
L'Inde s'est abstenue lors du vote de l'adoption du Statut de Rome en 1998 ; elle a avancé différents arguments (liste non exhaustive)[146],[147] :
La compétence et les critères préalables sont définis par le Statut de Rome.
La compétence matérielle de la Cour porte sur quatre types de crimes[d] :
Sur ces trois premières infractions, adoptées par consensus en , il n'y a pas de spécificité majeure par rapport aux statuts des deux TPI (Ex-Yougoslavie et Rwanda)[148].
Le terrorisme, en tant que crime autonome, n'a pas été retenu dans la compétence de la Cour. Cependant, la juridiction est compétente pour certains actes sous-jacents de crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui pourraient s'analyser en acte de terrorisme[152].
Seuls des individus peuvent être poursuivis devant la Cour pénale internationale[l]. La compétence à l'égard des personnes morales de droit privé (sociétés par exemple) a été étudiée dans les travaux préparatoires et introduite lors de la Conférence de Rome, mais la proposition n'a pas été retenue en raison de divergences dans les législations nationales[153]. Le Statut de Rome retranscrit ainsi l'une des formules du Tribunal militaire international de Nuremberg selon laquelle : « Ce sont des hommes et non des entités abstraites qui commettent les crimes dont la répression s’impose […] »[154].
En outre, aucune personne ne peut voir sa responsabilité engagée devant la juridiction si elle « était âgée de moins de 18 ans au moment de la commission prétendue d’un crime »[m].
Sa compétence n'est pas rétroactive[n]: les crimes doivent avoir été commis après l'entrée en vigueur de son statut (). Il n'y a pas de prescription pour les crimes commis après l'entrée en vigueur de son statut[o].
La Cour n'est compétente que si l'une des trois conditions suivantes est remplie :
En outre, en vertu du principe de complémentarité[p], les États conserveront à titre principal la responsabilité de poursuivre et juger les crimes les plus graves. La CPI n'exercera pas sa compétence « si un tribunal national a la capacité et la volonté » d'exercer la sienne[155]. La Chambre préliminaire I, dans l'affaire Thomas Lubanga Dyilo a précisé que pour qu'une affaire soit déclarée irrecevable devant la Cour, il fallait que les poursuites visent la même personne et concernent les mêmes faits. [réf. souhaitée]
La CPI peut-être saisie par un État partie (c'est-à-dire qui a ratifié le statut de Rome) ou par le Conseil de Sécurité de l'ONU qui « défère » une « situation » concernant des crimes présumés commis et relevant de la compétence matérielle de la Cour. Le procureur peut également procéder à une saisine de sa propre initiative dite proprio motu.
Outre le Statut de Rome, la Cour dispose d'autres instruments juridiques qui prévoient les règles générales applicables à l'institution[156]. On retrouve notamment :
La CPI est composée de quatre organes[q].
Elle se compose d'un président et des premier et second vice-présidents[r]. La présidence est chargée de trois domaines principalement : premièrement la bonne administration de la Cour - à l'exception du bureau du procureur de manière à garantir son indépendance (par exemple, superviser le travail du Greffe), deuxièmement les relations extérieures (par exemple représenter la Cour lors de réunions avec les Nations unies ou encourager les relations avec d'autres partenaires), troisièmement les affaires juridiques et judiciaires (par exemple négocier et conclure des accords bilatéraux ou examiner certains recours)[157].
Portrait | Identité | Nationalité | Période | |
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Début | Fin | |||
Philippe Kirsch | Canadien | |||
Song Sang-hyun[158] | Sud-coréen | |||
Silvia Fernández de Gurmendi[159] | Argentine | |||
Chile Eboe-Osuji[160] | Nigérian | |||
Piotr Hofmański[161] | Polonais | |||
Tomoko Akane[162] | Japonaise | En cours |
Organisées en section, elles se chargent des fonctions judiciaires[s]. Les sections sont au nombre de trois :
Il se compose du Procureur, de procureurs adjoints et des équipes (enquêteurs, juristes, etc). Il gère en autonomie son budget et son organisation. De façon générale, son rôle est[aa] :
Identité | Pays | Période |
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Luis Moreno Ocampo | Argentine | — |
Fatou Bensouda | Gambie | — |
Karim Khan | Royaume-Uni | — ... |
Il comprend le Greffier et éventuellement un adjoint[ad]. Sous l'autorité du Président de la juridiction, le service est chargé « des aspects non judiciaires de l’administration et du service de la Cour » avec une obligation de neutralité en toutes circonstances[165]. Concrètement, il a pour mission d'organiser la tenue de procès publics, équitables et rapides. Par exemple, il aide la Défense à remplir sa mission[ae], assiste les victimes dans leur participation aux procès, ou encore fournit des services de traduction. En outre, il est amené à collaborer avec l'extérieur (établissement des contacts régulier avec les ONG ou le monde universitaire ; mise en œuvre de la logistique relative à l'exécution des peines avec les États candidats ; établissement de documentation à destination du public).
Identité | Pays | Période |
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Bruno Cathala | France | — |
Silvana Arbia | Italie | — |
Herman von Hebel | Pays-Bas | — |
Peter Lewis | Royaume-Uni | — |
Osvaldo Zavala Giler (en) | Équateur | — ... |
La Cour est composée de 18 juges au moins, chacun de nationalité d'un des États parties[af]. Pour se porter candidat, il est nécessaire d'une part de posséder des compétences dans les domaines qui intéressent le travail de la Cour (droit pénal / procédure pénale ; droit international - droit international humanitaire / droits de l'homme), d'autre part de démontrer une expérience de praticien (juge, avocat, procureur, juriste)[ag]. Les juges sont élus lors de l'AEP à bulletin secret[ah]. En principe, le mandat est de neuf ans non renouvelable[ai].
Le Procureur ainsi que ses procureurs adjoints sont élus lors de l'AEP par bulletin secret à la majorité absolue pour une durée de 9 ans non renouvelable[aj].
À la date du :
Identité | Nationalité | Mandat |
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Tomoko Akane[166] | Japon | — Présidente de la Cour depuis le |
Rosario Salvatore Aitala (en)[167] | Italie | — Premier vice-président de la Cour depuis le |
Reine Alapini-Gansou[168] | Bénin | — Seconde vice-présidente de la Cour depuis le |
Luz del Carmen Ibáñez Carranza (en)[169] | Pérou | — |
Solomy Balungi Bossa (en)[170] | Ouganda | — |
Kimberly Prost (en)[171] | Canada | — |
Joanna Korner (en)[172] | Royaume-Uni | — |
Gocha Lordkipanidze (en)[173] | Géorgie | — |
Socorro Flores Liera[174] | Mexique | — |
Sergio Gerardo Ugalde Godinez (en)[175] | Costa Rica | — |
Miatta Maria Samba (en)[176] | Sierra Leone | — |
Althea Violet Alexis-Windsor (en)[177] | Trinité-et-Tobago | — |
Keebong Paek (en)[178] | Corée du Sud | — |
Erdenebalsuren Damdin (en)[179] | Mongolie | — |
Iulia Motoc[180] | Roumanie | — |
Haykel Ben Mahfoudh (en)[181] | Tunisie | — |
Nicolas Guillou (en)[182] | France | — |
Beti Hohler (en)[183] | Slovénie | — |
En 2016, l'Association du Barreau près la Cour Pénale Internationale est créée « dans un contexte de vives tensions avec des barreaux nationaux et associations professionnelles », ces derniers lui reprochant son absence d'indépendance[184].
La présomption d'innocence s'applique pendant toute la procédure[ao]. Le Statut de Rome prévoit, en plus de ce principe cardinal, un régime complet de droits accordés aux personnes qui l'ont l'objet de poursuites[ap]. Par exemple, « le droit d’être informé des charges qui pèsent contre elle, de disposer de temps et de services pour préparer sa défense et être jugée sans retard excessif, de choisir librement un avocat, d’interroger des témoins et de présenter des éléments de preuve, de ne pas être forcé de témoigner contre elle-même ou de se s’avouer coupable, de garder le silence, de recevoir du Procureur les éléments de preuve dont celui-ci estime qu’ils disculpent l’accusé ou tendent à atténuer sa culpabilité, d’être en mesure de suivre les procédures dans une langue qu’elle comprend parfaitement et donc de bénéficier des services d’un interprète et de traductions dans la mesure nécessaire »[185].
La peine de mort n'a pas été retenue comme pour les deux TPI (ex-Yougoslavie et Rwanda)[186]. La Cour peut prononcer une peine d'emprisonnement maximale de 30 ans ou un emprisonnement à perpétuité « si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient »[aq]. Elle peut ajouter à ces peines privatives de liberté une amende ou « la confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime […] »[ar].
Avant et pendant le procès, les individus sont détenus dans une aile de la prison de Schéveningue[187] appartenant à l'État néerlandais[188]. Le lieu peut paraître luxueux[189]. Toutefois, la Cour est liée par le droit international des droits de l'homme et à ce titre, elle doit respecter certains standards, non sans points de divergence avec d'autres juges parfois[190]. Les peines prononcées sont en principe accomplies dans un État désigné par la Cour conformément à liste de pays candidats[191]. En d'autres termes, la Cour est tributaire de la coopération des États[192].
Des réparations en faveur des victimes (restitution, indemnisation, réhabilitation) sont prononçables[as]. Cette possibilité représente l'une des innovations de la CPI par rapport aux autres juridictions pénales internationales ; elle s'inscrit dans la volonté de donner une place accrue aux victimes dans la procédure pénale[193].
Le budget-programme de la CPI pour est de 148 millions d'euros[194]. À titre comparatif, il était de 53 millions d'euros pour [195]. Lors de l'AEP de , onze États ont souhaité limiter le budget de l'année suivante eu égard, selon eux, à la crise économique mondiale et à certains mécanismes de fonctionnement de la Cour inefficaces. Cette initiative a été critiquée par certains puisque dans le même temps, le groupe d'États appelait la Cour à ouvrir de nouvelles enquêtes, notamment hors d'Afrique[196].
Situation | État en | ||||||||||||||||||||
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Ukraine / Russie crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et de transfert illégal de population (enfants) des zones occupées d’Ukraine vers la fédération de Russie dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie de 2022 Région concernée : Donbass Ukrainien[197] |
Saisine de la Cour en par le gouvernement Ukrainien. Ouverture d’une enquête en .
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Ouganda crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis en Ouganda depuis le dans le contexte d’un conflit opposant l’Armée de résistance du seigneur (ARS) aux autorités nationales Région concernée : nord du pays[198] |
Saisine de la Cour en par le gouvernement ougandais. Ouverture d’une enquête en .
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République démocratique du Congo crimes de guerre dans le contexte d'un conflit armé en RDC et crimes contre l'humanité qui, tous deux, auraient été commis depuis le Régions concernées : est du pays, région de l'Ituri, provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu[201] |
Saisine de la Cour en par la RDC. Ouverture d’une enquête en .
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République centrafricaine I crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans le contexte d’un conflit en RCA depuis le ; atteintes à l'administration de la justice Région concernée : ensemble du territoire[208] |
Saisine de la Cour en par le gouvernement centrafricain. Ouverture d’une enquête en .
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Soudan génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Darfour (Soudan) depuis le Région concernée : Darfour[211] |
Situation déférée par le Conseil de sécurité en . Ouverture d’une enquête en .
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Kenya crimes contre l'humanité qui auraient été commis dans le contexte des violences postélectorales au Kenya en 2007-2008 atteintes à l'administration de la justice Régions concernées : Nairobi, vallée du Rift Nord, vallée du Rift central, vallée du Rift Sud, province de Nyanza et province Occidentale[218] |
Autorisation de l'ouverture d’une enquête proprio motu en .
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Libye crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui auraient été commis dans le contexte de la première guerre civile libyenne depuis le Région concernée : ensemble pays, notamment Tripoli, Benghazi et Misrata[224] |
Situation déférée par le Conseil de sécurité en . Ouverture d’une enquête en .
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Côte d'Ivoire crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis dans le contexte des violences postélectorales en Côte d’Ivoire en 2010 et 2011, mais aussi du à ce jour Régions concernées : ensemble du pays, y compris Abidjan et l’ouest[228] |
Déclaration d'acceptation de la compétence par la Côte d'Ivoire en . Autorisation de l'ouverture d’une enquête proprio motu en . Elargissement du champ temporel de l'enquête autorisé en . Ratification du Statut de Rome en .
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Mali crimes de guerre qui auraient été commis au Mali depuis janvier 2012 Régions concernées : essentiellement au nord (Gao, Kidal et Tombouctou) et, dans le sud (Bamako et Sévaré)[231] |
Saisine de la Cour en par le gouvernement malien. Ouverture d’une enquête en .
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République centrafricaine II crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans le contexte de la recrudescence des violences en RCA à partir de 2012 Région concernée : ensemble du pays[234] |
Saisine de la Cour en par le gouvernement centrafricain. Ouverture d’une enquête en .
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Géorgie crimes contre l'humanité et les crimes de guerre qui auraient été commis dans le contexte d'un conflit armé international entre le et le . Régions concernées : Ossétie du sud et ses environs[238] |
Ouverture d'un examen préliminaire en . Autorisation d'ouvrir une enquête proprio motu en . | ||||||||||||||||||||
Burundi Crimes contre l'humanité qui auraient été commis au Burundi ou par des ressortissants burundais à l'extérieur de leur pays depuis le et jusqu'au . Régions concernées : intérieur et extérieur du Burundi[239]. |
Ouverture d'un examen préliminaire en . Autorisation d'ouvrir une enquête proprio motu en . | ||||||||||||||||||||
Bangladesh / Birmanie (Myanmar) crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis à l'encontre des Rohingya ou d'autres personnes à partir du . Régions concernées : en particulier dans l'État de Rakhine (Myanmar)[240]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en . Autorisation d'ouvrir une enquête proprio motu en . | ||||||||||||||||||||
Afghanistan crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis sur le territoire national depuis le et crimes suffisamment liés à la situation de conflit armé en Afghanistan présumés commis sur le territoire d'autres États parties depuis le [241]. |
Ouverture d'un examen préliminaire rendu public en 2007. Rejet de la demande d'ouverture d'enquête proprio motu en . Infirmation lors de l'appel en : autorisation d'ouverture d'enquête. | ||||||||||||||||||||
Palestine Crimes présumés commis sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, depuis le [242]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en ; ouverture d’une enquête en . | ||||||||||||||||||||
Philippines crimes présumés commis depuis le au moins et jusqu'au dans le contexte de la campagne de « guerre contre la drogue »[243]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en ; ouverture d'une enquête en septembre 2021. | ||||||||||||||||||||
Venezuela I Crimes présumés qui auraient été commis depuis au moins, dans le contexte des manifestations et des troubles politiques y afférents ; porte également su toutes les enquêtes et poursuites dignes d'intérêt à l'échelle nationale[244]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en ; ouverture d'une enquête en novembre 2021. | ||||||||||||||||||||
Ukraine Crimes présumés commis dans le cadre de la situation en Ukraine depuis le [245]. |
Ouverture d'un examen préliminaire en avril 2014 ; ouverture d'une enquête en mars 2022. |
Pays / Nationalité | État en |
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Nigeria crimes contre l'humanité ou crimes de guerre prétendument commis dans le Delta du Niger, dans les États du centre du pays et dans le cadre du conflit armé au Nigéria entre Boko Haram et les forces de sécurité nationales[247]. |
Ouverture d’un examen préliminaire rendu public en . Clôture en avec une base raisonnable de croire que lesdits crimes ont été commis. |
Pays / Nationalité | État en |
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Irak / Royaume-Uni crimes de guerre prétendument commis par des ressortissants du Royaume‑Uni dans le cadre du conflit en Irak et de l'occupation ultérieure de 2003 à 2008[248]. |
Ouverture d’un examen préliminaire (date inconnue). Clôture en . Rouvert en sur la base de nouveaux éléments. Clôture en en raison du fait qu'aucune affaire susceptible d'en découler ne serait recevable à cette date. |
Venezuela crimes contre l'humanité qui auraient été commis contre des opposants politiques[249]. |
Ouverture d'un examen préliminaire à une date inconnue. Clôture en . |
Corée du Sud crimes prétendument commis en mer Jaune en mars et [250]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en . Clôture en . |
Honduras crimes contre l'humanité prétendument commis dans le cadre du coup d'État du au Honduras[251]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en . Clôture en en raison de l'absence de base raisonnable permettant de croire que des crimes contre l'humanité - au sens du Statut de Rome - ont été commis même après le . |
Les navires battant pavillon comorien, grec et cambodgien (flottille pour Gaza)[252]. | Ouverture d’un examen préliminaire en à la suite du renvoi par les Comores. Clôture en . En puis , la Ch. préliminaire ordonne au Procureur de procéder à une nouvelle révision de sa décision de ne pas enquêter ; ordre confirmé en appel en . |
Gabon crimes présumés commis depuis , notamment dans le contexte des élections présidentielles qui se sont déroulées le [253]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en à la suite du renvoi de la situation par le gouvernement gabonais. Clôture en en raison de l'absence de base raisonnable permettant de croire que des crimes contre l'humanité ou un génocide - au sens du Statut de Rome - ont été commis. |
Colombie crimes de guerre prétendument commis depuis le et crimes contre l'humanité prétendument commis depuis le en Colombie, dans le contexte du conflit armé entre et au sein des forces gouvernementales, des groupes armés paramilitaires et des groupes armés illégaux ; porte également sur l'existence et l'authenticité de procédures nationales relatives à ces crimes[254]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en . Clôture en octobre 2021 en raison de l'absence motifs raisonnables de penser que les affaires pouvant découler d'une enquête sur la situation en cause seraient recevable. |
Bolivie crimes présumés qui auraient été commis sur le territoire bolivien en [255]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en . Clôture en février 2022 en raison de l'absence de base raisonnable permettant de croire que des crimes relevant de la compétence ratione materiae de la Cour avaient été commis dans l'État plurinational de Bolivie |
Guinée crimes contre l'humanité prétendument commis dans le cadre du « massacre du » 2009 au stade de Conakry en Guinée[256]. |
Ouverture d’un examen préliminaire en . Clôture en septembre 2022 en raison de l'absence de motifs raisonnables de penser que les affaires pouvant découler d'une enquête sur la situation en cause seraient recevable. |
En 2020, on dénombre (données publiques) :
En , le Burundi annonce à la suite d'un vote de son Parlement qu'il se retire de la Cour, devenant ainsi le premier État à prendre une telle décision depuis l'entrée en fonction de la Cour[258]. Les autorités justifient cette décision par la « politisation de l’action de la CPI » devenue, selon eux, « un instrument de pression sur les gouvernements des pays pauvres ou un moyen de les déstabiliser sous l’impulsion des grandes puissances », alors que l'opposition y voit une volonté d'échapper à d'éventuelles poursuites[259]. Quelques semaines plus tard, l'Afrique du Sud et la Gambie annoncent à leur tour leur retrait de la CPI, déclenchant une crise au sein de l'institution[260]. En , la Namibie déclare qu'elle conditionne son maintien dans le système de la Cour à l'adhésion au traité constitutif des États-Unis[261].
En , la Gambie annonce qu'elle demeure membre de la CPI à la suite de l'arrivée au pouvoir du nouveau président Adama Barrow[262]. En conséquence, la procédure de retrait est arrêtée. De son côté, la Haute Cour de Pretoria rend un jugement début par lequel elle invalide la sortie de l'Afrique du Sud de la CPI pour vice de procédure, le gouvernement ayant omis de consulter le Parlement[263]. En conséquence, le gouvernement annonce qu'il renonce – au moins provisoirement – tout en précisant qu'il réfléchira à toutes les options possibles[264],[265]. Un an après la notification de retrait au dépositaire du traité, soit en , le Burundi est officiellement sorti du système du Statut de Rome ; ceci n'a aucune conséquence juridique sur l'examen préliminaire en cours[266].
Début , la CPI ouvre un examen préliminaire relatif à la « guerre contre la drogue » lancée par les Philippines[267], politique qui, selon un rapport de Human Rights Watch en , aurait fait au moins 7 000 morts[268]. En réaction, le président Rodrigo Duterte annonce le retrait des Philippines du système de Rome[269]. Celui-ci est effectif le [270].
En , le réseau European Investigative Collaborations publie des documents confidentiels révélant certaines pratiques discutables de l'ancien procureur Luis Moreno Ocampo, durant et après son mandat[271] : redevenu avocat dans le secteur privé après avoir quitté la CPI, il aurait par exemple indirectement rémunéré des membres du personnel de la Cour pour que ceux-ci y fassent du lobbying en faveur de ses clients[272]. Il est également mis en cause pour des conflits d'intérêts relatifs à la situation libyenne[n 4], éléments qu'il réfute soutenant qu'il a précisément mis en garde l'un de ses clients pour ses liens avec le maréchal Haftar[273],[274].
Face aux révélations, Fatou Bensouda annonce l'ouverture d'une enquête interne[275]. Deux collaboratrices de la Cour, soupçonnées d'avoir été impliquées dans lesdites affaires, sont suspendues à titre conservatoire[276]. Quelques mois plus tard, l'ONG Norwegian Helsinki Committee (en) demande que, d'une part, « des enquêtes larges et transparentes sur les violations des normes professionnelles et éthiques commises par des membres de la Cour » soient diligentées et, d'autre part, que les rôles de l'ancien Procureur et celui de son chef de cabinet de l'époque, Silvia Fernández de Gurmendi, soient précisés[277].
Deux ans plus tard, des experts nommés par la Cour concluent à une « organisation inefficace » du bureau du procureur ainsi qu'à l'autoritarisme de Luis Moreno Ocampo. Une absence de professionnalisme vis-à-vis des pressions exercées sur les témoins kényans, ce qui a causé en grande partie l'échec de la procédure, est aussi pointée[278].
En , l'une des Chambres préliminaires rejette la requête du Procureur demandant l'autorisation d'ouvrir une enquête sur l'Afghanistan[279]. Selon les juges, s'il existe « une base raisonnable permettant de considérer que des crimes relevant de la compétence de la CPI [y] auraient été commis », la procédure a cependant peu de chances d'aboutir en raison de différents facteurs dont l'instabilité du pays et le contexte politique international, y compris concernant les États non parties au Statut. Il existe ainsi un risque de créer un sentiment de « frustration », voire d'« hostilité » de la part des victimes. En conséquence, l'ouverture d'une enquête est contraire aux « intérêts de la justice »[at],[280]. Cette décision s'inscrit dans un contexte de tensions grandissantes avec les États-Unis, le visa de la Procureur ayant notamment été révoqué la semaine précédente[281]. De plus, les promesses d'enquête sur les faits allégués, par exemple par les autorités britanniques, ne sont suivies d'aucun effet depuis l'été 2018[282]. Partant, l'examen préliminaire ouvert depuis 2006 semble constituer la seule voie judiciaire ouverte pour les exactions commises par les forces internationales, les talibans et celles soutenant le gouvernement afghan[283].
Nombre d'ONG réagissent en émettant de vives critiques[284],[282]. HRW évoque un « déni de justice » estimant qu'il s'agit d'« une invitation lancée aux gouvernements à entraver l’action de la CPI »[285]. Pour Amnesty International, ceci « affaiblit davantage encore la crédibilité de cette institution » et la politique, davantage que le droit, a guidé l'action de la Cour[286] tandis que la FIDH fustige un « abandon » des victimes[287].
Les universitaires s'interrogent également sur les conséquences de ce choix. D'un côté, une approche dite des « petits pas », c'est-à-dire se concentrant d'abord sur les situations à l'égard desquelles un soutien est assuré, est justifiable dans la mesure où l'institution, relativement récente, ne peut se permettre sur le long terme des échecs particulièrement coûteux quant à sa légitimité[288]. De l'autre côté, même si l'approche « réaliste » n'est pas dénuée de fondement, l'absence de coopération est une difficulté récurrente sans pour autant qu'il y ait eu, par le passé, un refus d'autoriser une enquête comme en témoigne la Géorgie ou le Burundi. Par conséquent, cette décision illustre les propres limites de l'action de la Cour à l'égard des grandes puissances et amplifie par la même occasion les critiques portant sur le fossé les ambitions affichées et la réalité des poursuites intentées[289]. Sur un autre terrain, il est relevé qu'en cédant finalement aux menaces américaines, les juges de la Chambre préliminaire oublient que leur rôle ne se limite pas à évaluer les chances concrètes de réussite d'une procédure et que leur crédibilité s'évalue également au regard de leur capacité à adresser des « mises en garde » en cas d'abus commis par des États puissants, dimension jusqu'ici inédite pour une juridiction pénale internationale[290].
L'efficacité de la CPI a été questionnée au vu du nombre d'individus effectivement jugés (verdict de condamnation ou d'acquittement)[291],[292]. En , Antoine Garapon préconise « une politique de poursuite plus déterminée, des procédures simplifiées et des moyens d’action allégés »[293]. Raphaëlle Nollez-Goldbach relève que la lenteur des procédures et la longueur des décisions s'expliquent notamment par le rythme des audiences (et la nécessité de traduction en temps réel), la complexité des affaires (crimes multiples à l'échelle d'une région voire d'un pays, nombre de témoins ou de victimes élevé) ou encore les règles juridiques afférentes aux preuves (phase procédurale pré-procès, possibilité d'appel sur de nombreuses décisions intermédiaires)[294]. Bruno Cotte, ancien juge à la Cour, témoigne pour sa part des différences de méthode, de culture juridique, voire de rythme de travail entre le personnel de la Cour auxquelles il a dû s'habituer[295],[296]. Depuis les répercussions de la crise économique de 2008 en particulier, les dépenses liées aux procès sont questionnées. En , Philippe Sands relève cependant l'action de la Cour s'inscrit sur le long terme et qu'il est hors de propos de « comparer le coût de la justice pénale internationale à des courses dans un supermarché »[297]. In fine, les critiques relatives à la longueur des procédures devant la Cour font écho à celles que le TPIY et le TPIR ont pu rencontrer[298]. En ce sens, Maître François Roux regrette que le modèle procédural accusatoire prime majoritairement dans les juridictions pénales internationales malgré quelques correctifs apportés au fil du temps[299].
Par ailleurs, le travail de la CPI doit s'évaluer à l'aune des difficultés relatives à la coopération internationale. En effet, la Cour, comme les autres juridictions pénales internationales, ne dispose pas de « moyens de contrainte et d'exécution »[300]. Par conséquent, elle est dépendante de la bonne volonté des États à respecter leur obligation de coopérer pendant toute la procédure (recueil de preuves, arrestation des suspects, protection des témoins, etc.)[301]. Cette caractéristique est aussi à prendre en compte dans le débat récurrent s'agissant de la sélectivité des poursuites connu sous l'expression des « gros et petits poissons »[302].
Selon un adage traditionnel, Justice must not only be done; it must also be seen to be done
. Or, les procès devant les juridictions internationales sont délocalisés du lieu de commission des actes : la CPI et le TPIY se trouvent à La Haye tandis que le TPIR est situé à Arusha. C'est la raison pour laquelle le statut des victimes a progressivement été créé en droit international pénal afin que celles-ci puissent participer aux procédures[303]. Pour répondre aux critiques, la Cour développe aussi de nombreuses actions de « sensibilisation »[304],[305].
L'éventuelle partialité de la juridiction a été mise en cause à l'occasion du procès du président Laurent Gbagbo, en particulier par ses soutiens[306]. Bien qu'à la date du seul l'ex-président ait été jugé, les faits commis par les partisans d'Alassane Ouattara, éventuels actes constitutifs de crimes internationaux, demeurent sous enquête[307].
Plus largement, la justice pénale internationale fait très souvent l'objet de critiques en ce qu'elle serait une « justice des vainqueurs »[308],[309]. La sociologue Nathalie Heinich critique fortement l'un des ouvrages soutenant cette thèse en indiquant que « la conclusion de chacun des articles aboutit invariablement aux mêmes poncifs : le droit ne serait que la dissimulation de la force, et les puissants ont, de toute façon, toujours tort. En outre, les sophismes et manipulations rhétoriques abondent, qui lui permettent de tordre une réalité complexe dans le sens qui conforte sa vision du monde »[310].
William Schabas établit un parallèle entre la CPI et la Cour internationale de justice en expliquant que cette dernière a été confrontée à des défis similaires sur le plan de la « crédibilité » s'agissant de faire appliquer le droit international par les États puissants, et partant de condamner leurs éventuelles violations. En ce sens, il rappelle que la décision de 1966 relative à l'occupation sud-africaine de la Namibie a provoqué nombre de déceptions et qu'il a fallu attendre l'année 1985, avec la condamnation des États-Unis liée à leur soutien aux Contras, pour que la Cour trouve son rythme de croisière. Il conclut : « Au meilleur d'elle-même, la justice internationale est capable de contraindre les Etats et les individus à se comporter conformément aux mêmes règles que celles qu'ils souhaitent tant faire appliquer à ceux qui sont petits et faibles »[311].
Les liens entre certaines ONG et le Bureau du Procureur font l'objet de critiques portant sur l'indépendance puisque ce dernier s'appuie notamment sur les rapports de Human Rights Watch pour les dossiers d'accusation[259]. Sur ce point, la Cour a précisé dès 2008 que l'enjeu se situait autour de la valeur probante des éléments et non de leur admissibilité en indiquant tenir compte « notamment de la cohérence intrinsèque des informations et de leur concordance avec l’ensemble des preuves, considérées comme un tout, de la fiabilité de la source et de la possibilité pour la Défense de contester la source »[312].
En 2015, l'avocat Toby Cadman évoque « l'héritage Ocampo » en soutenant qu' « un grand nombre des ONG qui fournissent des témoins à la CPI ont reçu des subventions de la part de gouvernements européens qui financent aussi la Cour »[313].
Le Conseil de sécurité peut demander à la Cour de suspendre une enquête ou des poursuites pendant douze mois en vertu d'une résolution adoptée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies ; la demande étant renouvelable dans les mêmes conditions[au]. Cette disposition a constitué « l'une des clefs des négociations » à Rome, en particulier pour les États participant de façon significative aux opérations de maintien de la paix. Ceux-ci souhaitaient en effet conserver une marge de manœuvre certaine afin de limiter le risque de poursuites, de leurs propres militaires, par la Cour[314]. Utilisée à cinq reprises[n 5], cette possibilité soulève des interrogations au regard d'une part de la sélectivité des poursuites qu'elle engendre, d'autre part du risque de confusion ainsi créé entre la mission d'un organe politique, le Conseil, et celle d'un organe judiciaire, la Cour[315]. En outre, eu égard à la « liberté d'appréciation » laissée, le Conseil de sécurité a pu s'écarter de la lettre et de l'esprit du texte[316],[317].
Le dilemme paix-justice est consubstantiel au droit international pénal. Généralement, la mise en œuvre d'un processus judiciaire peut bloquer l'apparition d'autres mécanismes de règlement des différends. À moyen terme, il existe un risque de complexifier le retour à la paix[318],[319]. En outre, de par la nature même de la Cour — permanente et à vocation universelle —, celle-ci est amenée à intervenir au cours de conflits[320]. Or, « la justice ne peut qu’imputer un crime collectif à quelques hommes […] : on ne peut lui demander d’arrêter la guerre et donc de poursuivre une autre fin que la justice. Lorsque le juge veut empêcher la guerre, dire l’histoire ou honorer la mémoire, il cherche un autre objectif que celui de la justice au sens strict »[321]. La question a été notamment soulevée s'agissant de la répercussion des mandats d'arrêt lancés contre Joseph Kony et quatre autres hauts gradés de la LRA sur les pourparlers de Juba (en)[322] avec des positions antagonistes entre médiateurs et ONG[323],[324]. Quelques années plus tard, d'aucuns ont soutenu que les poursuites engagées contre Uhuru Kenyatta lui ont permis de gagner des voix lors de la présidentielle de 2013 en se faisant passer pour la « victime d’un tribunal principalement financé par l’Occident »[325].
C'est la raison pour laquelle certains plaident en faveur des Commissions vérité et réconciliation[326] tandis que d'autres se montrent plus réticents en relevant que ce type de mécanisme « peut générer une forme de ressentiment et d'insécurité »[327]. Dans le même ordre d'idées, l'expérience des Gacaca au Rwanda[328] a permis une certaine réconciliation en parallèle des poursuites menées par le TPIR[329] bien que le fonctionnement de ces tribunaux populaires ne soit pas exempt de critiques[330],[331]. Enfin, l'aide au développement traditionnelle (sécurité, économie) peut tout autant être mobilisée[332]. Enfin, une part minoritaire adopte une position radicale vis-à-vis de la justice pénale internationale en considérant que celle-ci « tend à renforcer le pouvoir des criminels de guerre et à supprimer les incitations à la capitulation ou à une sortie négociée »[333].
En toute hypothèse, les mécanismes alternatifs de règlement des conflits qui pourraient par exemple inclure l'amnistie générale ne doivent pas mener à une impunité de fait difficilement acceptable pour les populations[334]. De plus, au regard du droit international conventionnel et coutumier, il existe une obligation de réprimer et de poursuivre les crimes internationaux les plus graves[335].
Certains États africains accusent la CPI de mener une politique judiciaire néo-colonialiste[336]. L'un des principaux arguments au soutien de cette thèse est le suivant : pendant les premières années d'existence, les poursuites se sont concentrées sur le continent africain[337],[338]. Par exemple, à l'occasion du premier mandat d'arrêt délivré contre Omar El Beshir, Jean Ping – à l'époque président de la Commission de l'UA – a regretté « que la justice internationale ne semble appliquer les règles de la lutte contre l'impunité qu'en Afrique comme si rien ne se passait ailleurs, en Irak, à Gaza, en Colombie ou dans le Caucase »[339]. Par la suite, le ministre gambien de l'information a accusé la Cour de passer sous silence « les crimes de guerre commis par les pays occidentaux »[340]. Le Président namibien Hage Geingob s'est dit pour sa part favorable à la création d'une Cour de justice africaine qui remplacerait « celles imposées par des pays étrangers »[341].
Face à ces critiques, Fatou Bensouda a reconnu qu'il existait un « malaise » des États africains[342]. De leurs côtés, le Sénégal, le Mali ou encore le Lesotho – tous partisans de la juridiction – ont estimé qu'elle présentait des « dysfonctionnements »[343]. Enfin, le Président de l'AEP, Sidiki Kaba, a considéré que le retrait d'un État ou de plusieurs « constituerait un recul dans la lutte contre l'impunité » et a plaidé pour l'ouverture d'un dialogue[344].
Les travaux des chercheurs sont également partagés sur la question. Certains réfutent l'idée selon laquelle la CPI serait « une justice de “blancs” » en rappelant que les premières procédures ont été lancées par les États africains eux-mêmes et en considérant que la rupture proviendrait en réalité des poursuites visant des chefs d'État à l'instar d'el-Bechir, Kadhafi et Kenyatta[345],[346]. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer propose différentes pistes pour sortir de la crise : renforcer les capacités des juridictions nationales sur le continent, créer des structures intermédiaires et mobiliser davantage la société civile[347]. A contrario, Sara Dezalay soutient que le « biais africain » s'expliquerait notamment par la « faiblesse structurelle » de la justice pénale internationale et par la place qu'occupent les juristes occidentaux ainsi que ceux issus de l'élite africaine (par exemple, Fatou Bensouda) dans l'architecture et la pratique de l'institution[348].
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