Racine carrée de deux
сonstante mathématique définie comme l'unique nombre réel positif dont le carré vaut 2 De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La racine carrée de deux, notée (ou parfois ), est le seul nombre réel positif qui, lorsqu’il est multiplié par lui-même, donne le nombre 2, autrement dit . C’est un nombre irrationnel, dont une valeur approchée à 10−9 près est :
- .

Le calcul d’une valeur approchée de a été un problème mathématique pendant des siècles. Ces recherches ont permis de perfectionner les algorithmes de calculs d’extraction de racines carrées. En informatique, ces recherches se sont poursuivies afin d’optimiser ces algorithmes en réduisant les temps de calcul et la consommation de mémoire.
Géométriquement, est le rapport de la diagonale d'un carré sur son côté, c'est-à-dire le rapport de l’hypoténuse d’un triangle rectangle isocèle sur l'un des côtés de l'angle droit, ce qui est un cas particulier du théorème de Pythagore.
Le nombre est connu depuis longtemps : en Mésopotamie, les scribes savaient déjà en calculer une valeur approchée très précise, dans le premier tiers du second millénaire avant notre ère. Vraisemblablement vers le Ve siècle av. J.-C., les mathématiciens grecs ont montré que la diagonale d'un carré et son côté étaient incommensurables, ce qui revient à dire que est un irrationnel. L'étude de l'incommensurabilité a joué un rôle important dans le développement des mathématiques grecques. Pour les Grecs, ni les fractions, ni les irrationnels ne sont des nombres. Ce pas est franchi par les mathématiciens arabes à l'origine de l'algèbre.
Ce nombre intervient dans des applications de la vie courante :
- les feuilles de papier au format international (ISO 216) ont une proportion longueur/largeur approchée à ;
- en musique, le rapport des fréquences de la quarte augmentée de la gamme tempérée vaut ;
- en électricité, la tension maximale du courant alternatif monophasé domestique vaut fois la tension efficace indiquée (généralement 110 ou 230 V) ;
- en photographie, la suite des valeurs d’ouverture du diaphragme sont les valeurs approchées d’une suite géométrique de raison .
Dénomination
Résumé
Contexte

L’expression « racine carrée » est issue de la notation géométrique européenne qui prévalait avant la notation algébrique, et plus particulièrement de l’une des constructions de qui sera présentée à la section consacrée à l'historique ; en effet, les problèmes mathématiques ont souvent été présentés sous forme géométrique avant d’être ramenés à des expressions algébriques.
Le nombre 2 ayant exactement deux racines carrées réelles, et , pourrait se lire racine carrée positive de 2, ou racine carrée principale de 2. On le prononce simplement racine carrée de 2, voire racine de 2 pour simplifier. Une autre expression correcte, faisant référence au symbole , est « radical de deux », mais elle est peu courante.
On trouve parfois appelé constante de Pythagore, peut-être à cause d'une légende attribuant la découverte de l'irrationalité de à l'école pythagoricienne[1].
Le symbole a été vu pour la première fois en version imprimée sans la barre horizontale au-dessus des nombres à l’intérieur de la racine en 1525 dans Die Coss de Christoff Rudolff, un mathématicien allemand.
√2 dans la vie courante
Résumé
Contexte
Format de papier

Les formats de papier A, B et C de la norme ISO 216, d’emploi courant hors de l’Amérique du Nord, ont été conçus pour vérifier une propriété remarquable : une feuille coupée en deux parties égales par la largeur, produit deux feuilles semblables à l’original ; c’est-à-dire avec le même rapport longueur/largeur. L’aire étant diminuée d’un facteur 2, ceci n’est possible que si ce rapport vaut ; dans la pratique, les dimensions sont arrondies[2].
Ci-dessous sont données les valeurs approximatives des formats A0 à A5 en fonction de .
format | longueur (m) | largeur (m) | aire (m2) |
---|---|---|---|
A0 | |||
A1 | |||
A2 | |||
A3 | |||
A4 |
Les séries B et C diffèrent de la série A respectivement d’un facteur () et ().
Les facteurs d’agrandissement de proposés par les photocopieuses sont des approximations de qui permettent le passage à des formats de papier supérieurs ou inférieurs — que ce soit physiquement ou par impression de pages par feuille.
En mathématiques, on note plus volontiers et .
Musique
La gamme du tempérament égal se construit ainsi : le rapport de fréquences entre les notes extrêmes de l’octave est 2 ; et la gamme est divisée en douze demi-tons de rapports de fréquence égaux . Le rapport de fréquences entre la note la plus haute et la plus basse est donc , qui vaut, comme indiqué précédemment, 2. Le demi-ton a ainsi un rapport .
Rapports de fréquences des notes de la gamme tempérée par rapport à la note la plus basse. do do♯ ré ré♯ mi fa fa♯ sol sol♯ la la♯ si do
Dans ce système, la quarte augmentée (do–fa♯) et la quinte diminuée (do-sol♭) sont égales et valent six demi-tons ; elles ont un rapport de fréquences de . Le chant grégorien utilise cet intervalle, le triton, mais à la fin du Moyen Âge celui-ci est systématiquement évité car jugé trop dissonant. Il reçoit alors le surnom de « Diabolus in Musica».
Électricité

En électricité, la tension efficace Ueff d’un courant alternatif sinusoïdal monophasé — par exemple les 110 V ou 220 V du courant domestique — est reliée à l’amplitude de la tension par
- , noté aussi ,
soit, dans la plupart des applications courantes :
Cela est valable plus généralement pour la valeur efficace des grandeurs linéaires d’une onde sinusoïdale. On remarquera aussi que
On parle de bande passante à −3 décibels.
Photographie

Les ouvertures des appareils photographiques suivent la séquence normalisée . Le rapport entre deux ouvertures consécutives est une valeur proche de , qui a été choisie de sorte que le rapport de flux lumineux soit dans un rapport 2 (flux = diamètre2). En diminuant d’un « cran » l’ouverture on double le temps de pose nécessaire ou diminue d’un facteur 2 la sensibilité de la pellicule requise[3].
Dans la pratique, l’ouverture indiquée est un arrondi ; l’ouverture réelle peut coller au plus proche de [4]. Il existe des subdivisions sur les appareils modernes, souvent dans des rapports ou .
Ouverture | ||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Diamètre | ||||||||||
Flux |
Dupliquer un carré
Résumé
Contexte

La question de la duplication d'un carré correspond à la construction d'un carré d'aire double de celle d'un carré donné. On suppose que l'on dispose d'un carré d'aire 1 et l'on cherche à construire un carré d'aire 2. Par définition, le carré d'aire 1 possède un côté de longueur 1 et le carré d'aire 2 possède la même aire que celle de deux carrés d'aire 1.
Il existe deux méthodes simples pour s'en persuader. La plus directe consiste à étudier la figure de gauche[5]. Le carré de côté 1 est composé de deux triangles, celui de côté noté est formé d'exactement quatre triangles du même type, il est donc d'aire double. Une autre manière de se rendre compte du rapport deux entre les aires des carrés de la figure est l'usage du théorème de Pythagore. Un triangle isocèle rectangle de petit côté de longueur 1 possède une hypoténuse de carré égal à . Cette hypoténuse est la diagonale d'un carré de côté de longueur 1.

L'aire d'un carré s'obtient par multiplication de la longueur du côté par lui-même. La longueur du côté du carré d'aire 2 multiplié par lui-même est donc égal à 2. Par définition de , la longueur de ce côté est .
Il est en outre possible, à l'aide d'un cercle, de dupliquer le carré sans en changer l'orientation. Dans la figure ci-contre le grand carré a une surface double du petit carré. Il suffit pour s'en convaincre de faire pivoter le petit carré d'un huitième de tour. Le rapport des côtés des deux carrés est donc de . La figure de gauche illustrera, pour les mathématiciens futurs la présence de la racine carrée de deux dans le sinus et le cosinus du huitième de tour.
Plus tard, ce tracé séduit de nombreux architectes comme Andrea Palladio dans sa Villa Rotonda ou dans l’Église ronde de Preslav. On le retrouve dans le cloître de la cathédrale de Cahors où la surface de la cour intérieure est égale à la surface de la galerie qui l'entoure[6] ou dans les carnets de Villard de Honnecourt[7].
Preuves d'irrationalité
Résumé
Contexte
Il existe de nombreuses démonstrations[8] du fait que est irrationnel. Plusieurs d'entre elles n'utilisent que des connaissances arithmétiques très minimales, d'autres se généralisent en remplaçant par où l'entier naturel n'est pas un carré parfait (voir l'article « Irrationnel quadratique »). Certaines sont des reformulations, avec les concepts et le langage mathématiques actuels, de preuves antiques ou supposées telles (cf. § Histoire).
Elles procèdent souvent en utilisant simplement la définition de la négation[9], en supposant que est, au contraire, rationnel, c'est-à-dire qu'il peut s'écrire sous la forme pour certains entiers et , puis en déduisant une contradiction de cette hypothèse , qui s'écrit aussi .
Par parité
Soit le plus petit entier strictement positif tel que soit le double d'un carré, et soit l'entier positif tel que . Alors, (puisque ) et est pair (puisque son carré l'est). En notant et en simplifiant par 2, l'équation se réécrit , avec , ce qui contredit la minimalité dans le choix de .
Une variante consiste à pratiquer une descente infinie à partir d'une (hypothétique) solution : on construit comme ci-dessus, puis , etc. tels que , , , … et , ce qui est absurde puisqu'il n'existe pas de suite infinie strictement décroissante d'entiers positifs.
Par soustractions réciproques
Soient à nouveau et entiers strictement supérieurs à tels que avec le plus petit possible ou, ce qui revient au même, le plus petit possible. On déduit de que , d'où en posant[10]
- et :
, ce qui contredit la minimalité de , puisque .
En résumé : soit le plus petit entier strictement supérieur à tel que est entier, alors est encore un tel entier qui est strictement inférieur à , d'où une contradiction[11].
(On peut, comme précédemment, transformer ce raisonnement en une descente infinie.)
Par un argument géométrique

Démontrer l'irrationalité de revient à démontrer que, pour une unité donnée, il n'existe pas de triangle isocèle rectangle dont les côtés sont chacun de longueur un nombre entier d'unité.
Si un tel triangle existe, alors il en existe nécessairement un plus petit dont les côtés sont aussi de longueur entière (sa construction est donnée sur le dessin ci-contre et détaillée ci-dessous). Or si un tel triangle existe, il en existe nécessairement un minimal ayant cette propriété (celui dont le côté de l'angle droit, par exemple, est minimal) d'où une contradiction.
Soit un triangle isocèle rectangle en et de côtés entiers. Alors, le cercle centré en de rayon la longueur du petit côté coupe l'hypoténuse en un point tel que soit encore de longueur entière, puisque et le sont. La perpendiculaire menée en à l'hypoténuse coupe le côté en . Le triangle est isocèle rectangle en , puisque l'angle en est droit et l'angle en est celui du triangle d'origine. Les droites et sont les tangentes issues de au cercle de centre et de rayon , et donc , donc , et est de longueur entière[12]. On peut aussi interpréter la construction comme le pliage du triangle dans lequel on ramène le côté sur l'hypoténuse[13].
On peut, en explicitant les calculs des côtés du triangle, donner une version purement arithmétique de cette preuve qui est alors celle du paragraphe précédent (prendre et ).
Par le lemme de Gauss
Soit le plus petit entier strictement supérieur à tel que le nombre soit entier, alors est premier avec , or il divise . Il est donc égal à 1, et , ce qui est impossible. C'est, particularisé à 2, un argument général qui montre que la racine carrée d'un entier qui n'est pas un carré parfait est irrationnelle.
Par le théorème fondamental de l'arithmétique
Le couple tel que étant cette fois arbitraire (i.e. non nécessairement minimum), la contradiction vient de ce que dans la décomposition en produit de facteurs premiers, a un nombre pair de facteurs et un nombre impair. Une variante est de compter seulement les facteurs égaux à 2. Cet argument, là encore, s'adapte immédiatement à la racine carrée d'un entier qui n'est pas un carré parfait.
Par les congruences
Avec et premiers entre eux comme plus haut, donc non tous deux divisibles par , ne peut pas être nul puisque[14] modulo , il est congru à ou ou , c'est-à-dire à . (En utilisant la notion d'inverse modulaire, on peut, dans cette méthode, remplacer[14] par n'importe quel nombre premier tel que 2 n'est pas un carré modulo , c.-à-d. P congru à 3 ou 5 modulo 8).
Constructions géométriques
Construction de √2 à la règle et au compas

Comme toute racine carrée de nombre entier, est constructible à la règle et au compas ; a contrario, ce n’est pas le cas de la racine cubique de 2 (c'est le problème de la duplication du cube.
Étant donné un segment de longueur unité, voici les différentes étapes pour construire un segment de longueur avec une règle non graduée et un compas :
- Tracer le symétrique de par rapport à
- Tracer le cercle de centre et de rayon , il coupe la demi-droite en
- Tracer la médiatrice de
- Tracer le cercle de centre et de rayon
- Tracer le cercle de centre et de rayon , il coupe en deux points, et
- Tracer le segment il intersecte en un point .
À cette étape le segment de longueur est construit.
Construction de √2 au compas seul

Comme tout nombre constructible à la règle et au compas, est constructible au compas seul. Les étapes d’une construction possible sont :
- Tracer quatre sommets consécutifs de l’hexagone régulier de centre et de sommet ; ceci permet de construire , l’unité étant la longueur .
- Tracer le cercle de centre et de rayon ;
- Tracer le cercle de centre et de rayon , il coupe en deux points, soit l’un d’entre eux ;
- Tracer le cercle de centre et de rayon , il coupe en et ;
- Tracer le cercle de centre et de rayon , il coupe en et ;
- Construire un triangle rectangle d’hypoténuse () ; est l’un des deux points tel qu' et (sachant que ).
- Tracer le cercle de centre et de rayon ;
- Tracer le cercle de centre et de rayon (), il coupe en .
À cette étape le segment de longueur est construit.
Histoire
Résumé
Contexte
La période paléo-babylonienne

La culture mathématique de la période paléo-babylonienne est avant tout algorithmique. Elle dispose d'un système de numération en notation positionnelle[15]. Certaines tablettes, comme celle notée BM 13901, montrent une bonne connaissance des questions du second degré, probablement traitées à partir de méthodes géométriques simples, par copié-collé d'aires rectangulaires[16]. En plus de disposer de méthodes de résolution, les Babyloniens savent calculer des approximations de racines carrées. La tablette YBC 7289, rédigée dans le premier tiers du second millénaire avant notre ère, donne une approximation de , interprétée comme le rapport de la diagonale du carré au côté, sous la forme suivante[17] :
Cette écriture correspond à la meilleure approximation possible de avec quatre chiffres significatifs en numération babylonienne (base ). L'approximation est précise au millionième. Elle dénote la connaissance d'un algorithme d'approximation de racine carrée, mais on ignore lequel. Il pourrait être de type méthode de Héron[17], encore aujourd'hui l'une des plus efficaces[18].
L'Inde védique
Les Śulba-Sūtras, des textes rituels indiens de l'époque védique énoncent des règles géométriques pour la construction d'autels sacrificiels. La date de leur composition est difficile à déterminer, les plus anciens pourraient avoir été composés entre 800 et 500 av. J.-C.[19]. Ils donnent un énoncé de ce que nous appelons maintenant le théorème de Pythagore, y compris le cas particulier de la diagonale du carré, qui permet de doubler son aire[20]. Ils fournissent également une règle pour le calcul de la longueur de cette diagonale en fonction du côté, qui équivaut à une approximation rationnelle de remarquablement précise :
- [20],
soit environ , une valeur précise à un peu plus de 2 millionièmes près. L'un des Śulba-Sūtras, celui de Kātyāyana, précise qu'il ne s'agit que d'une valeur approchée[21]. Les traités ne donnent aucune indication sur la façon dont a été dérivée cette formule[22], même si plusieurs méthodes ont été proposées par les historiens[23].
Grèce antique
Les mathématiciens de la Grèce antique ont découvert et démontré l'irrationalité de à une époque qu'il est difficile de déterminer, au plus tard dans les premières décennies du IVe siècle av. J.-C., et vraisemblablement pas avant le Ve siècle av. J.-C.[24]. Ils ne l'exprimaient pas de cette façon : pour eux il n'est pas question d'un nombre , mais de rapport (au sens d'une relation) entre la diagonale et le côté du carré, et ils montrent que ceux-ci sont incommensurables, c'est-à-dire que l'on ne peut trouver de segment unité, aussi petit soit-il avec lequel mesurer de façon exacte ces deux longueurs.
La découverte de l'irrationalité, sa date, les circonstances qui ont amené à celle-ci, ses conséquences, la nature des premières démonstrations… tout ceci a suscité beaucoup de travaux chez les historiens[24], sans pour autant que ceux-ci arrivent à un consensus[25].
On ne possède pas de témoignages archéologiques analogues aux tablettes d'argile des Babyloniens, pour les mathématiques de la Grèce antique, mais de textes transmis par la tradition, par copie et recopie. Les premiers à nous être parvenus datent du IVe siècle av. J.-C., dans des œuvres dont les mathématiques ne sont pas l'objectif premier, les écrits de Platon, puis ceux d'Aristote.
Platon et Aristote
Dans un passage très connu du Ménon, Platon met en scène Socrate faisant découvrir à un jeune esclave la duplication du carré, par la construction d'un carré sur la diagonale. Socrate veut convaincre Ménon que le jeune esclave retrouve une connaissance qui est déjà en lui. Mais, pour David Fowler qui date le texte de 385 av. J.-C., c'est aussi le premier témoignage substantiel direct de la pratique des mathématiques grecques[26].
La première mention connue de l'incommensurabilité est également due à Platon, dans une œuvre plus tardive, le Théétète[27], où il décrit Théodore de Cyrène exposant ce qui correspond à l'irrationalité des racines carrées des nombres de à qui ne sont pas des carrés parfaits[28],[29]. On déduit de ce passage que l'irrationalité de est bien connue à l'époque où Platon écrit, voire à celle où Théodore est censé enseigner[30], soit les premières décennies du IVe siècle av. J.-C..
Dans l'Organon, Aristote prend pour exemple de raisonnement par contradiction celui qui conduit à l'incommensurabilité de la diagonale[31], et précise (à deux endroits) que l'hypothèse de la commensurabilité conduit à ce qu'un nombre pair soit égal à un nombre impair[32]. L'indication est imprécise, mais c'est la plus ancienne que l'on ait d'une démonstration. Aristote prend par ailleurs régulièrement pour exemple dans ses œuvres l'incommensurabilité de la diagonale au côté[31],[33].
Euclide
Dans les Éléments d'Euclide — le premier traité mathématique qui nous soit parvenu, écrit vers -300 — le traitement de l'incommensurabilité est déjà très élaboré. L'incommensurabilité est définie et traitée au livre X, et la proposition 2 en donne une caractérisation par un procédé de soustractions alternées, l'anthyphérèse, analogue à ce que nous appelons aujourd'hui algorithme d'Euclide en arithmétique (une division peut être vue comme une suite de soustractions) et fraction continue pour les nombres réels[34] (les grandeurs sont incommensurables s'il y a toujours un reste, le procédé continue indéfiniment). La proposition 9 permet le rapport avec les propriétés arithmétiques traitées aux livre VII et livre VIII[35]. Certaines éditions anciennes du livre X donnent bien en appendice une proposition (parfois numérotée 117) qui traite directement l'irrationalité de (l'incommensurabilité de la diagonale du carré et de son côté) par un argument de parité et une descente infinie. Mais celle-ci ne s'intègre pas au reste du texte, elle a pu être ajoutée pour son intérêt historique, et très possiblement après Euclide[36]. Elle semble être postérieure[37] d'une autre démonstration, toujours reposant sur un argument de parité, donnée en commentaire de l'un des passages d'Aristote cité ci-dessus par Alexandre d'Aphrodise au IIe siècle (apr. J.-C.)[38], la plus ancienne complète et vraiment datable qui nous soit parvenue (pour l'incommensurabilité de la diagonale du carré et de son côté)[39].
Hypothèses et reconstructions
Ce que l'on peut savoir au sujet de la découverte de l'irrationalité dépend, en plus de ces éléments, de fragments de textes anciens chez des auteurs plus tardifs, en particulier ceux d'une histoire (perdue) d'un élève d'Aristote, Eudème de Rhodes, et plus généralement de textes historiques tardifs, dont la fiabilité n'est pas évidente.
Aussi existe-t-il plusieurs thèses tant pour, le contexte, et les causes de la découverte de l'incommensurabilité, que pour sa ou ses premières démonstrations, les historiens en étant réduits à reconstituer celles-ci, de façon cohérente avec les connaissances (supposées) de l'époque. Ces reconstructions spéculatives développées à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle[40], sont loin d'être convergentes et font toujours l'objet de débats[41].
Le pair et l'impair
Le plus souvent, (la diagonale du carré) tient le premier rôle, en particulier car une démonstration par parité (le principe en est celui de la première démonstration d'irrationalité ci-dessus) demande pour seule connaissance arithmétique la dichotomie entre nombres pairs et impairs, et peut se reconstituer à partir des connaissances arithmétiques que les historiens jugent pouvoir être celles des mathématiciens grecs du Ve siècle av. J.-C.[42]. Ce serait alors à celle-ci que fait allusion Aristote.
L'anthyphérèse
Une autre possibilité est de s'appuyer sur la proposition X,2 d'Euclide (citée ci-dessus) qui pourrait témoigner d'anciennes démonstrations particulières d'irrationalité par anthyphérèse[43] (soustractions alternées à la façon de l'algorithme d'Euclide). Cependant de telles démonstrations n'apparaissent pas dans Euclide, ni dans aucun texte grec ancien qui nous soit parvenu[44]. Mathématiquement le principe en est celui exposé ci-dessus à la seconde (version arithmétique) et la troisième démonstration (version géométrique)[45]. Le fait de retrouver la même figure dans la version géométrique, montre que le procédé de soustractions réciproques continue indéfiniment donc de conclure par la proposition X,2. Il faut cependant admettre qu'un segment est divisible à l'infini, et pour cela Euclide appuie sa proposition X,2 sur la proposition X,1 (qui traite de la dichotomie), et utilise l'« axiome d'Archimède », attribué à Eudoxe et présent dans les Éléments[46]. Une telle répétition se produit pour tout irrationnel quadratique, elle correspond au développement périodique de sa fraction continue. Cette périodicité rend la caractérisation d'Euclide opératoire pour les rapports correspondant à ces nombres[47]. Dans le cas de , elle est immédiate, en une étape, et s'illustre facilement géométriquement. C'est le cas aussi pour la proportion en extrême et moyenne raison (notre nombre d'or), qui est le rapport entre une diagonale et le côté du pentagone, ce qui a conduit certains historiens à envisager que ce rapport, plutôt que , ait conduit à la découverte de l'irrationalité[48].
Ces possibilités ne sont pas nécessairement contradictoires, la découverte de l'irrationalité ayant pu se faire à propos de la diagonale du carré et/ou de celle du pentagone par un procédé semblable à l'anthyphérèse et la ou les premières démonstrations procéder par le pair et l'impair[49].
Vers le nombre √2

L'histoire de la racine de deux se confond alors avec celle de la racine carrée et plus généralement des irrationnels, en quelques lignes :
- les Grecs, avec le livre V des Éléments, conçoivent ce que nous appelons les rationnels ou les réels comme des proportions, et non pas des nombres[50], théorie « subtile mais non directement opératoire »[51] ;
- alors que la tradition arithmético-algébrique, de Diophante à Al-Khawarizmi, au début du IXe siècle, est restreinte aux nombres rationnels positifs, les mathématiciens du monde arabo-musulman comme Abu Kamil dès le Xe siècle, puis Al-Karaji et Al-Samaw'al, développent une algèbre et un calcul qui comprend les nombres irrationnels, ce dernier et Al-Kashi utilisent des approximations décimales dans le cas des irrationnels[52] ;
- Omar Khayyam développe au XIe siècle une théorie des proportions où celles-ci sont des nombres, même si les incommensurables sont encore appelées impropres, travail que prolonge Nasir al-Din al-Tusi au XIIIe siècle[53] ;
- L'Europe n'assimile ces notions que tardivement, les travaux des mathématiciens du monde arabo-musulman, en particulier ceux d'Al-Tusi, sont connus en Europe au XVIe siècle, qui est une période de polémique pour savoir si les irrationnels méritent le statut de nombre[54], c'est à cette époque que l'usage du symbole se répand[55] ;
- même si le débat se poursuit au XVIIe siècle, il finit par se régler avec le développement du calcul algébrique et du calcul infinitésimal, le cadre théorique ne sera cependant défini que dans la seconde moitié du XIXe siècle, concurremment par plusieurs mathématiciens, Dedekind, Weierstrass, Cantor et Méray (voir construction des nombres réels)[56].
Dedekind pourra ainsi affirmer en 1872 quand il publiera son traité sur la construction des réels, que jusqu'alors, jamais l'égalité n'avait été démontrée rigoureusement[57].
Autres propriétés
Résumé
Contexte
Normalité
La normalité est un concept se basant sur la distribution des chiffres du développement décimal d’un nombre irrationnel, à savoir si tous les chiffres de 0 à 9 apparaissent dans ce développement et avec la même fréquence. En ce qui concerne , on ignore s’il est normal dans le système décimal ou dans toute autre base de numération.
Degré algébrique et degré d'irrationalité
est un nombre algébrique de degré 2, dit entier quadratique, car solution de l’équation polynomiale du second degré à coefficients entiers et de monôme dominant de coefficient égal à 1, mais d’aucune de degré 1 de par son irrationalité. On sait ainsi qu’il est difficilement approchable par une suite rationnelle ; l’erreur est au mieux en
Comme pour tout nombre algébrique irrationnel, sa mesure d'irrationalité est 2.
Développement en fraction continue
La partie entière de est et sa partie décimale est donc , soit encore . On peut écrire ce résultat sous la forme :
En remplaçant dans le membre de droite par , on obtient successivement
Ceci fournit le développement en fraction continue périodique de

ainsi que quelques valeurs approchées de ce nombre :
est relié à un certain nombre de développements en fractions continues périodiques, par propriété des entiers quadratiques.
Pour entiers strictement positifs tels que , on a le développement suivant
Ce développement se note couramment de manière plus concise :
- .
On en tire les valeurs suivantes de :
- ,
- .
Plus généralement, pour entiers strictement positifs tels que , on a la fraction continue généralisée suivante :
que l'on note sous forme plus concise
On en déduit les quelques développements de suivants :
Éléments de démonstration : soit la suite définie par la relation de récurrence et soit . Alors on peut montrer que , avec si est suffisamment proche de .
Développements en série et produit infini
Produits infinis
L’identité et la représentation en produit infini du sinus et du cosinus mènent aux développements suivants
Le dernier produit peut s’écrire de manière équivalente :
Séries
Le nombre peut aussi être évalué sous forme de série en utilisant le développement de Taylor d’une fonction trigonométrique en :
On peut aussi utiliser la fonction √1 + x en :
La convergence de la dernière série peut être accélérée par le biais d’une transformation d’Euler pour donner :
Développement en série de Engel
Le développement en série de Engel est :
Développement en cotangente continue de Lehmer
Méthodes numériques d'approximation
Résumé
Contexte
vaut approximativement 1,414 213 562 373 095 048 801 688 724 209 698 078 569 671 875 376 948 073 176 679 737. Pour plus de décimales, voir la suite A002193 de l'OEIS.
Le calcul d’une valeur approchée de a été un problème mathématique pendant des siècles. Ces recherches ont permis de perfectionner les algorithmes de calculs d’extraction de racines carrées. En informatique, ces recherches se sont poursuivies afin d’optimiser ces algorithmes en réduisant les temps de calcul et la consommation de mémoire[58].
À l'exclusion de l'algorithme de la potence, les méthodes numériques d’approximation présentées ci-dessous sont destinées au calcul d’un nombre important de décimales. Elles se basent généralement sur une suite convergente de nombres rationnels ; ainsi l’itération s’affranchit du coût de calcul sur des nombres à virgule flottante — dont il faudrait en plus connaître la précision a priori. Les meilleures approximations par une suite rationnelle donnent une erreur en , une propriété de l’approximation diophantienne des entiers quadratiques.
Méthodes à convergence linéaire
Algorithme de la potence
Cette méthode ancienne (on la trouve en Chine dans Les Neuf Chapitres sur l'art mathématique[59] au IIIe siècle et en Inde dans l'Āryabhaṭīya[60] au Ve siècle) permet de déterminer à la main les décimales successives d'une racine carrée, mais les divisions à effectuer augmentent rapidement de taille. Ci-dessous, l'algorithme de la potence pour le calcul des cinq premières décimales de .
1,41421 | ||||||||||||
1×1=1 | ||||||||||||
24×4=96 | ||||||||||||
281×1=281 | ||||||||||||
2824×4=11296 | ||||||||||||
28282×2=56564 | ||||||||||||
282841×1=282841 | ||||||||||||
Méthode de Théon de Smyrne
On doit à Théon de Smyrne ces deux suites et définies par récurrence :
- ;
- .
Ces suites sont à valeur entière strictement positive, donc strictement croissantes par récurrence, et vérifient
de sorte que tend vers .
On ne sait pas si l’intention de Théon de Smyrne était de calculer une valeur approchée de .
Solutions de l'équation diophantienne a²− 2b² = k
Les solutions entières de l’équation sont engendrées par récurrence
à partir des valeurs initiales pour et pour .
Cette méthode se déduit de celle de Théon : chaque itération de la présente correspond à deux itérations de celle-là. Ainsi, tend linéairement vers .
Les premières solutions sont :
- ,
- .
Méthode de Théon généralisée
On se donne , obtenu par la méthode de Théon, qui est donc solution de l’une des deux équations diophantiennes précédentes , avec et . On peut alors écrire
Les suites et définies par
- ;
- .
vérifient
- ,
et donc, de la même façon que ci-dessus, la suite converge vers . De plus, si , cette suite est croissante donc approche cette valeur par défaut, et si , elle est décroissante donc approche cette valeur par excès.
On peut utiliser cette relation pour estimer l’erreur :
et c’est une majoration si . La convergence est donc linéaire : elle fait gagner un nombre à peu près constant de décimales à chaque itération.
Cette méthode correspond à une généralisation de la méthode du paragraphe précédent au radical . Pour plus grand, la suite croit plus rapidement, donc la convergence est accélérée.
Premières approximations de par approximation linéaire de . Les paramètres sont . On a
(avant approximation décimale des quotients).itération valeur fractionnaire décimales exactes 0 1 2 3 4
Développement en fraction continue
Une autre méthode consiste à approcher par sa fraction continue généralisée pour solution de l’équation diophantienne , avec :
- est approximé à l’aide de la suite déterminée par la relation de récurrence
L’erreur vérifie asymptotiquement
Premières approximations de par approximation linéaire de . Les paramètres sont . itération valeur fractionnaire décimales exactes 0 1 2 3 4
Développement en série entière
On se donne solution de l’équation diophantienne , avec . On peut alors écrire comme somme d'une série via le développement en série entière de (ou la formule du binôme généralisée, simple variante d'exposition).
et utiliser .
Avec (soit ) et donc , les premiers termes de la série sont particulièrement simples, comme l’a fait remarquer Leonhard Euler en 1755[61] :
Approximation par le développement en série entière du radical fractionnaire. Les paramètres sont . itération valeur fractionnaire décimales exactes 0 1 2 3 4
Dichotomie
Il est possible d’approcher par bissection. Cette méthode est de convergence linéaire lente : on gagne trois décimales à chaque dizaine d’itérations.
Méthode à convergence quadratique
La méthode de Newton appliquée à la fonction racine carrée permet de calculer une valeur approchée de de manière itérative avec une convergence quadratique, c’est-à-dire doublant le nombre de décimales à chaque itération. La récurrence a la forme
Cet algorithme s’appelle méthode de Héron ou méthode babylonienne car il semble que ce soit celle utilisée par les Babyloniens pour trouver des valeurs approchées de racines carrées.
Si l’on s’intéresse aux fractions successives à partir d’une valeur initiale et , la récurrence sur le numérateur et le dénominateur sont
Premières approximations de données par la méthode de Newton. itération valeur fractionnaire décimales exactes 0 1 2 3 4 5
Méthodes cubiques
Méthode de Halley
La méthode de Halley est un exemple de méthode cubique. Elle cherche le zéro de en utilisant les deux premières dérivées. La solution itérative est
soit en posant :
Cette méthode est de convergence cubique : le nombre de décimales exactes triple à chaque itération.
Premières approximations de données par la méthode cubique. itération valeur fractionnaire décimales exactes 0 1 2 3 4 —
Méthode de Householder
L’itération de Householder appliquée à donne une suite convergeant vers :
Méthodes d'ordre supérieur
On utilise une méthode de Newton modifiée[62] pour trouver le zéro de . Cela donne la suite récurrente :
avec
Cette méthode est de convergence quartique, c’est-à-dire d’ordre : le nombre de chiffres significatifs corrects quadruple (asymptotiquement) à chaque itération.
Premières approximations de données par la méthode quartique. itération valeur fractionnaire décimales exactes 0 1 2 3 —
Il existe des méthodes d’ordre supérieur[63], notamment parmi les méthodes de Householder.
Notes et références
Bibliographie
Voir aussi
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