Hubert Lyautey, né le à Nancy (Meurthe-et-Moselle) et mort le à Thorey (Meurthe-et-Moselle), est un général, maréchal de France et membre de l’Académie française. Sa notoriété reste liée à son action au Maroc.
Hubert Lyautey | ||
Surnom | Lyautey l’Africain | |
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Nom de naissance | Louis Hubert Gonzalve Lyautey | |
Naissance | Nancy (France) |
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Décès | (à 79 ans) Thorey (France) |
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Origine | France | |
Arme | Armée de terre | |
Dignité d'État | Maréchal de France | |
Années de service | 1873 – 1925 | |
Commandement | 10e corps d'armée, Rennes | |
Conflits | Guerres coloniales Première Guerre mondiale |
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Faits d'armes | Conquête du Maroc | |
Distinctions | Maréchal de France Médaille militaire (1915) Grand-croix de la Légion d'honneur (1913) Grand-croix de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand |
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Hommages | Inhumé aux Invalides depuis 1961. | |
Autres fonctions | Résident général de France au Maroc (1912 - 1925) Ministre de la Guerre (décembre 1916 - mars 1917) Élu à l'Académie française (1912, fauteuil 14) |
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Famille | Hubert Joseph Lyautey (grand-père) Inès de Bourgoing (épouse) |
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Officier de cavalerie pendant les guerres coloniales, il sert notamment sous les ordres de Joseph Gallieni au Tonkin (1894-1897) et à Madagascar (1897-1902). Il y pratique une « politique d’alliance ». Il va l'appliquer par la suite. Au grade de général, il sert en Algérie (1903-1910). Il est chargé de la pacification de la région frontalière algéro-marocaine. Après le traité de Fès de mars 1912, il devient le premier résident général du protectorat français au Maroc. Il met en oeuvre une politique de collaboration avec les élites religieuses et civiles. Grand-croix de la Légion d’honneur en 1913, il est élevé à la dignité de maréchal de France en 1921. En désaccord avec le cartel des gauches à propos de la guerre du Rif, il quitte ses fonctions en 1925.
De 1927 à 1931, il organise l'exposition coloniale internationale de Vincennes.
Il est brièvement ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, de décembre 1916 à mars 1917. Académicien, élu en 1912 et reçu en 1920, il est aussi président d'honneur des trois fédérations des Scouts de France.
Biographie
Une éducation militaire
Louis Hubert Gonzalve Lyautey est issu d'une famille d'origine franc-comtoise (commune de Vellefaux), qui s'est illustrée lors des campagnes du Premier Empire. Par sa mère, il descend des Grimoult de Villemotte, famille de la noblesse normande venue s'enraciner en Meurthe-et-Moselle à Crévic. Il a hérité d'eux une grande maison de maître connue sous le nom de château de Crévic, où il entasse ses souvenirs. Les Allemands, au début de la guerre, vont incendier sa maison pour se venger de son rôle au Maroc[1]. La famille Lyautey compte de nombreux officiers. Son arrière-grand-père, Pierre Lyautey, était ordonnateur en chef des armées de Napoléon. Il a eu quatre fils : Just, capitaine, mort au combat; Antoine Nicolas, général de brigade d'artillerie; Charles René, intendant général, et Hubert Joseph Lyautey, général de division d'artillerie et sénateur du second Empire[2] (grand-père d'Hubert Lyautey). Hubert-Joseph L. a eu pour fils Just Lyautey, polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées.
Hubert Lyautey avait un frère, Raoul Aimé Lyautey (29 juillet 1856-15 mars 1935), également dans la carrière militaire. Elève de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr puis de l'École de cavalerie de Saumur et de l'École de guerre, officier de cavalerie, il servit dans les chasseurs à cheval et les hussards et acheva sa carrière comme colonel de cuirassiers. Il effectua une carrière exclusivement métropolitaine, dans l'est de la France. Il a participé à sa première campagne en 1914-1919. Il était commandeur de la Légion d'honneur et titulaire de la croix de guerre, de la croix du combattant, de la médaille commémorative de la guerre de 1914 et de la médaille interallié. Il était domicilié à Nancy. Il était le père de l'écrivain Pierre Lyautey (1893-1976).
Hubert Lyautey naît le au 10 rue Girardet à Nancy[3]. En , à l'âge de dix-huit mois, il fait une chute du balcon du premier étage de l'hôtel de la Reine à Nancy, maison de sa famille maternelle[4]. La blessure à la tête détourne l'attention, on s'aperçoit quatre ans plus tard que la colonne vertébrale est atteinte[5]. Soigné par le chirurgien Velpeau[6], Hubert Lyautey doit rester alité deux ans. Il subit plusieurs interventions chirurgicales, porte des béquilles et un corset de fer garni de cuir pendant dix ans. Il reste fréquemment alité, et se met à la lecture[7]. — l'hypothèse a été émise que l'atteinte de la colonne vertébrale n'était pas directement la conséquence de l'accident mais un mal de Pott[5] —. Il lit des livres d'histoire : l'épopée napoléonienne, des récits d'explorateurs, de voyageurs et de missionnaires. Dans le même temps, il subit l'influence de sa tante Berthe, fervente catholique et royaliste[8].
Just Lyautey, muté à Dijon, place en son fils Hubert au lycée[9] de cette ville. Il y passe le baccalauréat en 1872[10]. Après une nouvelle mutation à Versailles[10], son père l'inscrit au lycée Sainte Geneviève, tenu par des jésuites, et situé alors à Paris dans le 5e arrondissement. Il y prépare le concours d'entrée à l'École polytechnique pour devenir ingénieur[11]. Marqué par la défaite française de 1870 et l'invasion prussienne — qu'il a vue de près à Dijon — en octobre 1873, Lyautey intégre l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, promotion archiduc Albert (1873-1875). Ses résultats sont excellents. Lyautey y nourrit sa réflexion de rêves de grandeur et d'une profonde recherche spirituelle[11].
Il rencontre Prosper Keller, Olivier de Fremond, Antonin de Margerie et Albert de Mun. Sorti de l'école, il mène à Paris la vie mondaine d'un jeune officier. En pleine quête spirituelle, Lyautey est séduit par le catholicisme social d'Albert de Mun.
Albert de Mun est l'initiateur d'un mouvement de pensée qui s'oppose aux excès du libéralisme mais refuse les solutions révolutionnaires. Il a créé en 1871 l'Œuvre des cercles catholiques d'ouvriers pour défendre les intérêts matériels et moraux des ouvriers et éviter des épisodes comme la Commune de Paris. Il correspondra jusqu'à sa mort avec Lyautey[12].
La France est devenue républicaine et anticléricale[13]. Monarchiste de raison, légitimiste par romantisme, Lyautey ne cache pas ses opinions catholiques et royalistes. D'après Edward Berenson, il aurait envisagé la vocation religieuse ; il fait à deux reprises une retraite au monastère de la Grande Chartreuse[14].
Débuts de carrière
En 1875, classé 29e sur 281, il sort de Saint-Cyr. En , il est admis à l'École d'application d'État-major, de Paris. Deux ans plus tard, il est lieutenant. A l'occasion d'un congé, il part deux mois en Algérie avec ses camarades de promotion Prosper Keller et Louis Silhol.
De retour en France, il est affecté au 2e régiment de hussards en . Il est transféré en Algérie à la fin de l'année. Il y passe deux ans, d'abord à Orléansville, puis à Alger. Il critique la politique coloniale française et prône un « système plus civilisé et plus humain ».[réf. souhaitée]
En 1882, promu capitaine, il est muté au 4e régiment de chasseurs à cheval à Bruyères, dans les Vosges. Il est envoyé en Italie pour rédiger un rapport sur la cavalerie de ce pays. En route vers Rome, il fait un détour par Göritz en Autriche. C'est le lieu de l'exil du comte de Chambord. Celui-ci, averti des rumeurs de prochain ralliement du Pape à la République, charge Lyautey d'une mission auprès de Léon XIII. Il est reçu en audience le . Pour lui, l'opinion du pape est déjà faite.
À l'occasion d'une revue militaire, Lyautey rencontre le général L'Hotte, inspecteur de la cavalerie en résidence à Tours et ancien écuyer en chef du Cadre noir. L'Hotte le choisit comme aide de camp. Il passera quatre années auprès de lui, voyagera à travers la France et ses villes de garnison, et s'initiera à la tactique militaire, alors en complet renouvellement.
À cette époque, Lyautey se laisse gagner par un certain scepticisme religieux. Ses années passées en garnison, son retour au contact de la troupe, son affectation en 1887 au 4e régiment de chasseurs à cheval (basé à Saint-Germain-en-Laye), ont mûri ses idées novatrices sur la fonction de l'armée. Au 1er escadron qu'il commande, il bouleverse les habitudes. Avec l'accord de son chef de corps, le colonel Donop, il décide de créer :
- un réfectoire, (jusque-là, les soldats n'avaient aucun endroit pour manger) ;
- un foyer pour les soldats, avec bibliothèque, billard et jeux ;
- des cours pour les illettrés ;
- une commission consultative pour permettre aux soldats de donner leur avis.
Ces nouveautés transforment son 1er escadron en escadron modèle. Proche de Paris, il a des contacts avec le milieu intellectuel. Le diplomate et écrivain Eugène-Melchior de Vogüé joue un rôle clé auprès de lui, comme autrefois Albert de Mun. Il rencontre François Coppée, José-Maria de Heredia, Henri de Régnier, Ferdinand Brunetière, Paul Desjardins, Paul-Gabriel d'Haussonville[15]… Séduit par sa conception de l'armée nouvelle, par ses réformes, Vogüé lui demande en 1891 d'écrire un article pour la célèbre Revue des deux Mondes. Il sera intitulé Du rôle social de l'officier dans le service militaire universel. Il sera réédité ensuite sous le titre le Rôle social de l'officier[16].
Les règlements en vigueur imposent une autorisation : il ne l'a pas réclamée. Le texte n'est pas signé. Mais son auteur est vite connu. Un débat se crée sur l'action éducatrice de l'armée au-delà de sa fonction purement militaire. Lyautey veut dépasser les rapports de classes. Il voit le service militaire universel comme l'unique moyen de former la jeunesse sur une base égalitaire[17]. Le battage autour de cet article fondateur fait affluer de toute la France des lettres d'encouragement et des dons. André Le Révérend note qu'avec les sommes reçues, Lyautey peut financer l'achat de 133 000 livres pour les bibliothèques de soldats qui se créent dans les régiments[18]. Les amis de Vogüé décident la même année de créer une association pour promouvoir leurs idées : "l'Union pour l'action morale", fondée le , est présidée par Desjardins. Lyautey est un des quinze membres fondateurs[19]. C'est l'occasion pour lui de faire la connaissance de jeunes gens de son âge. Ils feront des carrières brillantes et deviennent ses amis : outre Desjardins, Henry Bérenger, Max Leclerc, l'éditeur, Victor Bérard, helléniste, Arthur Fontaine, Henri Lorain, l'homme des Semaines sociales, Jean, André et Max Lazard[17](162). Deux d'entre eux, Arthur Fontaine et Max Lazard, comptent parmi les pères fondateurs de l'Organisation internationale du Travail.
Lyautey est nommé chef d'escadron au printemps 1893. Il est affecté au 12e hussards, à Gray. A l'automne, il est à l'état-major de la 7e division de cavalerie. En , le général de Boisdeffre veut l'éloigner des remous causés par son article. Lyautey part pour l'Indochine[15]:27.
Il s'attend à trouver une garnison de plus, l'exotisme en prime. Dès les escales de Suez et de Singapour, il remarque l'activité des troupes anglaises, et l'état d'esprit de leurs officiers[15]:27-28. À Saïgon, il est reçu par le gouverneur général Lanessan. Ce dernier lui explique qu'il ne faut pas détruire les cadres du pays conquis mais gouverner avec le mandarin, non contre le mandarin ; qu'il faut respecter les traditions et s'efforcer de se rallier les élites[15]:29. Il esquisse pour Lyautey tout un pan de la doctrine que ce dernier appliquera au Maroc[20].
Il rejoint l'état-major du corps d'occupation à Hanoï, au Tonkin. Il y fait une deuxième rencontre décisive : Gallieni. Fort de ses vingt ans de colonies, Gallieni lui expose sa doctrine : « la conquête civilisatrice ». Pour lui, le succès militaire est nécessaire, mais il n'est rien si on ne lui ajoute pas un travail simultané d'organisation : routes, télégraphe, marchés, cultures. La pacification avance comme une tache d'huile, comme une grande bande de civilisation[15]:32. Lyautey le suit en campagne et le voit pacifier des régions frontalières, construire des villes. Nommé Gouverneur général par le gouvernement, Gallieni doit partir pour Madagascar où la situation est mauvaise. En 1896, il rend à Armand Rousseau, gouverneur du Tonkin, un rapport issu de son expérience : il assigne à tout officier colonial un triple rôle : diplomatique, politique et militaire[21].
Gallieni fait appel à Lyautey qui arrive à Tananarive en . Sa première mission est de pacifier la zone dissidente du nord. Il a carte blanche de Gallieni. Il en profite pour construire des routes ou créer des villes (sa passion d'enfance) comme Ankazobe, épargner un chef rebelle. il compare ses cinq ans de proconsulat avec la situation qu'il retrouve en France à chaque permission : le scandale de l'affaire Dreyfus ne fait que s'étendre. Guillaume Jobin dit à cet égard qu'il est un des rares officiers d'état-major dreyfusards[22]. Maurois le voit plutôt écartelé[15]:45-46.
En , lors d'une de ces permissions, il tient une conférence sur le thème de la politique coloniale. Elle paraît aussi dans la Revue des Deux-Mondes sous le titre « Du rôle colonial de l'armée ». Il y insiste sur l'importance d'une bonne administration des territoires conquis.
En 1900, Lyautey est nommé colonel et Gallieni lui confie le commandement de la province du sud, avec mission de la pacifier. Sa campagne durera deux ans. Sa tâche accomplie, il rentre en France début 1902 et prend le commandement du 14e hussards, basé à Alençon.
Il ronge son frein. A l'été 1903, il est invité chez son ami Jules Charles-Roux. Il y rencontre le gouverneur général de l'Algérie, Charles Jonnart. Ce dernier lui parle de l'insécurité qui règne à la frontière algéro-marocaine : des tribus dissidentes y lancent des razzias en Algérie et retournent se mettre à l'abri au Maroc. À sa demande, Lyautey lui expose les méthodes utilisées à Madagascar. Jonnart approuve. Il se lie d'amitié avec Eugène Étienne, député d'Oran, franc-maçon et plusieurs fois ministre[23]. Peu après, de nouvelles attaques meurtrières ont lieu. Le poste d'Aïn Sefra est menacé. En septembre, Lyautey est nommé en Algérie, réclamé par le gouverneur général.
Installé à Aïn Sefra, promu général de brigade, il constate que de nombreux services lui échappent : artillerie, convois, intendance. Il réclame de les avoir tous sous ses ordres. Il réclame aussi et obtient le droit de correspondre directement avec le ministre en cas d'urgence, sans passer par la hiérarchie[15] :53-55. Au cours de l'hiver 1903-1904, il découvre les traditions berbères et les décors du bled, à Figuig et ailleurs. L'immobilisme lui pèse. Il installe un camp au Maroc à Berguent (Aïn Beni Mathar). Paris n'admet pas qu'il ait franchi la frontière, et, le , lui ordonne de se replier. Il demande un sursis à exécution car il a donné sa parole aux tribus locales de les protéger. Il met sa démission dans la balance. Les Affaires étrangères sont vent debout. Sur fond de crise ministérielle, Jonnart finit par faire admettre la solution proposée par Lyautey : ajouter à ses forces un détachement marocain pour sauver la face vis-à-vis des grandes puissances[15] :65-67.
La conférence d'Algésiras n'accorde à la France que des droits limités au Maroc. Lyautey est nommé à la tête de la division d'Oran en 1907. Sur ordre de Paris, il occupe Oujda, réprime un soulèvement des Beni Snassen et parvient à pacifier la zone frontière. Début 1908, les tribus se sont soulevées au Maroc à l'instigation de Moulay Hafid. Le général d'Amade est bloqué à Casablanca. Clemenceau envoie Lyautey en mission sur place. À son retour, ce dernier plaide la cause de d'Amade devant Clemenceau : il lui a conseillé d'attendre avant de procéder à l'évacuation de Settat qui lui était prescrite, lui explique l'importance de cette position. Clemenceau cède et annule l'ordre[24]:103-107. Lyautey est rappelé fin 1910, pour prendre le commandement du corps d'armée de Rennes.
En Algérie, il a rencontré Charles de Foucauld[14] et Isabelle Eberhardt. Celle-ci fut sa médiatrice auprès des tribus arabes. Il appréciait son non-conformisme et sa liberté d'esprit. Lyautey est affecté par sa disparition prématurée[25] le à la suite d'une crue[26]. Il fera en sorte que sa dépouille et ses manuscrits soient retrouvés dans sa maison d'Aïn Sefra. Il avait connu Charles de Foucauld jeune officier lors de son premier séjour en Algérie. Il l'a reçu à Aïn Sefra, est allé le voir à Béni Abbès. En Algérie, il a fait la connaissance d'Henry de Castries, explorateur et géographe : il avait cartographié les confins du Maroc et commencé à écrire sur l'histoire du pays. Lyautey l'a fait nommer colonel dans la territoriale, affecté en 1910 à Tanger, avec mission de continuer ses recherches.
Résident général au Maroc (1912-1916)
Lyautey reste moins de deux ans à Rennes. Il suit les cours du Centre des hautes études militaires, et participe à des manœuvres avec Joffre.
En , à la suite du coup d'Agadir, Joseph Caillaux et Jules Cambon négocient un accord avec l'Allemagne. Cet accord est ratifié en . Il est urgent d'établir le protectorat. Les tribus se sont soulevées quand le sultan Moulay Hafid a confié le poste de grand vizir à Si Madani El Glaoui [n 1] chef de la tribu des Glaoua. Ce dernier a été destitué en 1911 mais la révolte continue. Les troupes françaises ont du mal à la contenir.
En , le ministre de France à Tanger, Eugène Regnault est destiné à être le premier Résident. Il fait signer au sultan Moulay Hafid un traité de protectorat. Ce traité reconnaît la souveraineté du Sultan, mais il n'a pas l'initiative des lois. Il n'a que le droit de s'y opposer en refusant de signer les dahirs. En échange, la France l'appuiera contre les dangers possible. En outre, le maintien de l'ordre, la défense, les finances, les relations extérieures lui échappent[27]. En avril de la même année, une révolte des troupes marocaines à Fès oblige le gouvernement français à changer ses plans. Il envisage un Résident militaire plutôt qu'un civil. Le choix se porte sur Lyautey. Par un décret du [28], il devient le premier résident général de France au Maroc.
Il débarque le à Casablanca en compagnie de sa nouvelle recrue, Henry de Castries, et est accueilli par le colonel Gouraud. A Fès, il doit se présenter au sultan. En cours de route, il rencontre l'architecte et aquarelliste, Maurice Tranchant de Lunel. Il l'embauche pour en faire son directeur des Antiquités, Beaux-Arts et Monuments historiques du Maroc. À Fès, il trouve une ville en révolution et s'attend au pire. Une attaque des tribus est imminente. Ses officiers réussissent à desserrer l'étau et à mettre en fuite les tribus. Lyautey accepte que le Sultan quitte Fès pour Rabat. Fès était minérale, resserrée dans ses remparts et enserrée dans les montagnes, il s'y est senti prisonnier. La nouvelle capitale du Maroc, le siège de la Résidence, devient Rabat. C'est une ville ouverte sur l'océan, verdoyante et disposant de larges espaces. Ce transfert n'a pas calmé Moulay Hafid, en dépression, et qui finit par abdiquer. Il est remplacé par son demi-frère, Moulay Youssef. La continuité de l'administration du Sultan est assurée par le grand vizir El Mokri, nommé en 1911, qui servira toute la dynastie alaouite jusqu'en 1955.
Les premiers problèmes que Lyautey doit affronter sont territoriaux : trois zones de dissidence échappent à son contrôle et menacent la stabilité du pays : à l'est, la poche de Taza bloque l'accès à l'Algérie et lui coûtera son poste ; au centre, la rébellion des Zaïans autour de Khénifra ; au sud, le prétendant El Hiba vient d'entrer dans Marrakech et a pris des otages français. Après avoir reçu des assurances du Glaoui, Lyautey envoie le colonel Mangin affronter les dix mille guerriers d'El Hiba le . Avec l'aide de l'artillerie, il les met en déroute. Le 1er octobre, Lyautey fait son entrée triomphale à Marrakech, ses palais et ses jardins.
Le prétendant El Hiba, en contestant la nomination du Sultan, remettait en cause un des piliers de la politique de Lyautey : s'appuyer sur les autorités légales, obtenir leur adhésion en montrant qu'il les respectait et les protégeait. La protection était dans le texte même du traité signé en début d'année. Quant au respect, Lyautey porte une attention méticuleuse pour recréer la dignité du sultan Moulay Youssef. Il écrit à Albert de Mun : « J'ai écarté soigneusement de lui toutes les promiscuités européennes, les automobiles et les dîners au champagne. Je l'ai entouré de vieux Marocains rituels. Son tempérament de bon musulman et d'honnête homme a fait le reste. Il a restauré la grande prière du vendredi, avec le cérémonial antique. Il a célébré les fêtes de l'Aïd el-Seghir avec une pompe et un respect des traditions inconnus depuis Moulay Hassan… »[29].
Il est élu à l'Académie française le 1912 (Il ne sera reçu qu'après guerre). Il est fait grand-croix de la Légion d'honneur l'année suivante. Les hommes politiques français le pressent d'en finir avec les autres rébellions. Il refuse, économe du sang de ses soldats. Il préfère user de patience et de persuasion et obtenir le ralliement des rebelles, qui sera d'autant plus solide. Il écrit : « Ce pays-ci ne doit pas se traiter par la force seule… Je me garderais bien d'aller m'attaquer à des régions qui sont “en sommeil”, qui se mettraient en feu si j'y pénétrais, en me coûtant beaucoup de monde et de peine… Si l'opinion impatiente préfère les coups d'éclat prématurés à cette méthode plus lente mais si sûre, on n'avait qu'à ne pas m'envoyer ici »[30].
Voilà énoncé un deuxième fondement de la doctrine de Lyautey. Un moyen de pacification privilégié est l'utilisation des goums. Ils sont créés en 1908, recrutés dans les tribus marocaines. Lyautey fixe leur statut en 1913. Ces formations militaires doivent faire le lien avec la population indigène, faciliter l'administration des tribus, voire aider à établir des contacts avec les tribus rebelles.
Son projet de liaison ferroviaire avec l'Algérie se heurte au verrou de la poche de Taza. Il faut engager l'armée pour sécuriser le parcours. C'est à Gouraud qu'il revient en de commander les troupes. Il réussit au prix de durs combats et est rejoint par les forces venues d'Algérie que commande le général Baumgarten[24]:178. Dans la foulée, en juin, le général Henrys réduit le bastion zaïan et libère Khénifra. En juillet, Gouraud est rappelé à Rabat par Lyautey : la guerre est déclarée.
Informé par Paris, Lyautey écrit : « Mais ils sont fous ! Une guerre entre Européens, c'est une guerre civile… C'est la plus énorme ânerie que le monde ait jamais faite[15]:118,[31] ! »
L'entrée en guerre de la France implique pour le Maroc : l'envoi de troupes, et envoi de fournitures agricoles massives. Une partie du territoire est occupé et on manque de bras dans les régions agricoles. Lyautey s'engage à envoyer immédiatement vingt bataillons et six batteries. L'état-major veut dégarnir le pays pour se replier sur la côte. Lyautey sait le risque d'embrasement qui pourrait suivre le retrait total des troupes qui sont au contact des rebelles, à Taza et autour de Khenifra[n 2]:124. Il refuse, l'état-major laisse faire[24]:191. C'est la stratégie de la « coquille d'œuf » : une armature légère pour donner l'impression que les forces sont toujours là, armature souvent faite de territoriaux venus de France ou de colons en uniformes de légionnaires ou de zouaves[15]:121. Les fournitures agricoles s'élèvent à 100 000 quintaux de blé en 1915, 235 000 en 1916, plus encore pour l'orge et la laine[24]:192.
Lyautey a créé en 1914 une direction de l'architecture et constitué une équipe placée sous la houlette d'Henri Prost, architecte urbaniste. Prostest chargé des plans des villes nouvelles : Rabat (à partir de 1914) et Casablanca (à partir de 1917)[32] en respectant les cœurs de ville anciens, et construisant au dehors des médinas. Et au besoin, mettre en valeur les monuments anciens . La tour Hassan à Rabat est dégagée et mise en perspective[33]. Dans l'équipe, on trouve aussi Tranchant de Lunel[n 3], déjà cité. Une série d'architectes vont passer par l'agence d'Henri Prost avant de s'établir à leur compte[34]. Au premier rang Albert Laprade[35], constructeur de la Résidence (actuel ministère marocain de l'Intérieur) et de la poste à Rabat. Ou Adrien Laforgue (frère de Jules)[34], à qui l'on doit la gare, la cathédrale Saint-Pierre de Rabat aux tours en forme de minaret, le Palais de Justice (actuel Parlement) et d'autres immeubles à Casablanca et à Rabat. Enfin, Antoine Marchisio, futur constructeur avec Prost de l'hôtel de la Mamounia à Marrakech, et Joseph Marrast, concepteur du Palais de Justice de Casablanca.
En 1913, Lyautey recrute un spécialiste des espaces verts publics pour une mission de conseil temporaire. Le jardinier en chef de la ville de Paris Jean-Claude Forestier est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet[36]. Au terme de sa mission, Forestier remet un rapport de 69 pages sur la politique à suivre en matière d'urbanisme[34],[37]. Il recommande un verdissement des grandes villes marocaines. Sauf Marrakech, les villes étaient pauvres en espaces verts publics. Il demande que les villes nouvelles soient distinctes des médinas. Il veut imposer le respect de l'environnement aux architectes-urbanistes : ils devront inclure dans leurs plans des parcs et des promenades. Lyautez lui confie la conception de deux des nouveaux parcs de Rabat : le jardin du Belvédère, emplacement choisi pour ses vues[37], et le jardin d'Essais botaniques qui accueillera une collection de plantes rares[38]. Saïd Mouline nous apprend en outre qu'il a suggéré à Lyautey le nom d'Henri Prost[37] ! En 1915, Tranchant de Lunel dessine les plans du jardin andalou de la casbah des Oudayas. En 1924, Marcel Zaborsky, élève d'Édouard André, sera chargé du jardin du Triangle de vue, à Rabat (depuis jardin Nouzhat Hassan)[39]. En 1916, Albert Laprade réalise le grand parc Lyautey de Casablanca, depuis parc de la Ligue arabe. Ces espaces verts ont été repris en main et restaurés sous le règne de Mohammed VI.
L'entrée en guerre supprime les contraintes imposées par la conférence d'Algésiras (interdiction de construire des chemins de fer à voie normale (en outre, ceux à voie étroite devaient être réservés aux usages militaires) ; obligation de lancer des adjudications internationales pour les achats de matériels ou les grands travaux). Lyautey lance l'électrification du pays par centrales thermiques, en attendant les premiers barrages. Il programme la construction de routes[15]:128 et de ports. Des gisements de phosphate ont été découverts qui les nécessitent. Un consortium est formé en 1913 pour le port de Casablanca, en chantier depuis 1900, mais dont chaque tempête démolit les digues. Il comprend Schneider, la Compagnie marocaine et la société de travaux publics des frères Jean et Georges Hersent. Une énorme digue parallèle à la côte, le brise-lames, délimite un plan d'eau accessible aux plus gros cargos de l'époque, ainsi qu'aux navires à passagers de la Compagnie Paquet. Le port sera inauguré en 1923. Les Hersent construisent celui de Fedala (depuis, Mohammédia). À Kénitra, au nord de Rabat et à l'embouchure du Sebou, un port fluvial est créé et une ville moderne édifiée : ce sera Port-Lyautey.
Lyautey s'appuie sur les institutions du Maroc traditionnel : administration du sultan (Makhzen), administration des Habous, assemblées de notables et tribus. Il développe le corps des officiers des Affaires indigènes, héritiers des Bureaux arabes d'Algérie[40], pour des tâches civiles et de renseignement. Il s'inspire d'une expérience tunisienne pour implanter au Maroc en 1913 le corps des contrôleurs civils (appelés par les Marocains sidi el Hakem[41]), poste doté d'un prestige certain (beaucoup finissent préfets ou ambassadeurs). Deux administrations coexistent, l'une militaire, l'autre civile, selon un découpage du Maroc en zone militaire (zone tribale et confins), et zone civile (Rabat et le Rharb, Casablanca et la Chaouia)[42]. Les officiers des affaires indigènes opèrent en zone militaire, les contrôleurs civils dans les grandes régions centrales. Lyautey précise leur mission : adapter graduellement le pays aux formes modernes de civilisation, effectuer une mission de conseil et d'assistance, pas d'administration directe, travailler en coopération avec les autorités locales, pachas et caïds[43], qui ont des compétences étendues en matière de justice et d'impôts. Lyautey impose sa vision aux partisans d'une administration directe.
Lyautey crée en le Service des Beaux-Arts, Antiquités et Monuments historiques. Il est confié à Tranchant de Lunel. Il est composé d'architectes et de peintres. Ses missions :
- la sauvegarde des monuments historiques de l'antiquité (essentiellement romaine) et de la période islamique ;
- le relevé des inscriptions historiques ;
- la sauvegarde des objets d'art et d'ameublement ;
- la conduite des fouilles archéologiques[44].
Ce service est aidé par les militaires des services topographiques et du génie[45] et par des artisans locaux recrutés et formés spécialement aux styles anciens (almohades, mérinides, etc.) dans des ateliers d'art indigène[46]. Tranchant est assisté par son confrère Maurice Mantout, futur architecte de la Grande Mosquée de Paris, et par Prosper Ricard, chargé de l'enseignement des arts indigènes. Pendant la guerre, les territoriaux, les blessés, les mobilisés sont réclamés par Lyautey : les peintres Joseph de La Nézière, Henri Avelot et Gabriel Rousseau, les photographes Jean Rhoné et Lucien Vogel, les architectes Georges Beaumet, Marcel Rougemont et Léon Dumas, l'archéologue Maurice Pillet[47].
Bénéficient du classement et d'un programme de restauration : les médersas de Meknès, Marrakech (médersa Ben Youssef) et Fès (médersas Bou Inania et Attarine).
Lyautey impose une consultation du service des Beaux-Arts sur tous les projets de construction dans ou hors des médinas. Pour ces dernières, il impose le respect des règles ancestrales[48]. Il favorise les artisans marocains à travers des ateliers d'art indigène. Il sauvegarde les branches d'activité non concernées par la restauration des monuments.
Constatant qu'il ne restait plus que deux vieux relieurs à Fès, il les incite à former des apprentis pour perpétuer leur métier[49]. Sauvegarder des objets d'art et d'ameublement implique la création de musées. Il fait acheter plusieurs collections ethnographiques et dès 1915, deux musées voient le jour : celui des Oudayas à Rabat, dirigé par Prosper Ricard, et le musée du Batha à Fès[50].
L'arrivée de Lyautey a provoqué un appel d'air en France et en Afrique du Nord : les colons sont arrivés par milliers chaque mois avant la guerre[15]:116. Au début les infrastructures et les logements manquent. Il refuse la colonisation de peuplement pour éviter l'accaparement des terres. Le dahir (décret royal) du interdit l'aliénation des terres collectives[51] et rend difficile leur acquisition par les colons. Il réserve en priorité aux Marocains les postes dans l'administration et les entreprises, pour assurer leur promotion[52] et s'oppose aux arrivées massives de nouveaux venus. Les résistances sont considérables et cette politique sera abandonnée par la suite. Cet afflux va assurer le développement économique du pays.
En agriculture, il suit une double politique : encourager les grosses exploitations confiées à des colons (le pays devient autosuffisant et à l'abri des famines), mais aussi fournir des aides aux petits agriculteurs et éleveurs marocains, sous forme de prêts sans intérêt.
Dès 1912, il crée le service forestier, dirigé pendant des décennies par Paul Boudy[53]. L'industrie de transformation prend le relais avec la création de cotonneries, huileries, minoteries, conserveries et scieries[n 4]. À l'entrée en guerre, on découvre dans le consulat allemand abandonné les éléments d'une remarquable organisation commerciale : des échantillons de tout ce que pouvait produire le Reich…, des échantillons aussi des produits souhaités par le Maroc[15]:128-129. Lyautey décide de promouvoir la production locale et nationale. Une grande foire a lieu à Casablanca en 1915. Une troisième foire aura lieu en 1917 à Rabat, sur le plateau de l'Agdal[54].
Ministre de la Guerre
Le , Lyautey reçoit un télégramme d'Aristide Briand, président du Conseil. Il lui propose le poste de ministre de la Guerre. Philippe Berthelot a suggéré son nom[15]:134. Lyautey hésite : la situation s'est tendue au Maroc : un sous-marin a amené des émissaires allemands auprès d'El Hiba (expédition menée par Edgar Proebster). D'autre part, la situation du front est catastrophique. Les pertes sont énormes. Lors d'une permission en 1915, Lyautey avait pu mesurer l'ampleur des pertes ; il avait parlé de « gaspillage effréné et désordonné » en raison de l'éparpillement des responsabilités et de l'absence de direction d'ensemble[24]:199-201. Briand lui propose de le remplacer par Gouraud en qui il a toute confiance. Il finit par accepter. Il quitte le Maroc le , passe par Madrid saluer le roi Alphonse XIII, et arrive à Paris le .
Il réclame l'unité de commandement. Or, un comité de guerre de cinq membres est créé. Et sont détachés du ministère de la Guerre : le Ravitaillement, confié à Herriot, les Fabrications de Guerre confiées à Albert Thomas, les Transports et le Service de Santé transformés en sous-secrétariats d'État.
Joffre est remplacé par Nivelle, face à un Pétain plus réservé[55](41). Le 23, Lyautey reçoit Nivelle qui lui soumet son plan d'attaque. Plus tard, Lyautey déclare au colonel Renouard, envoyé par Nivelle : « Voyons mon petit, c'est un plan pour l'armée de La Grande-duchesse de Gérolstein »[n 5]. Le 25, il reçoit Joffre, qui parle de démission[55](49). Le , Lyautey part pour Rome, assister à une importante conférence interalliée sur le front d'Orient. Lyautey revoit le comte de Linange, Autrichien, en résidence surveillée en tant qu'ennemi, vieil ami de Lyautey qui se souvient de ses attaches lorraines… Il va prier à Saint-Pierre pour, confie-t-il à Wladimir d'Ormesson, protester contre la fermeture de l'ambassade de France près le Saint-Siège[55](57-58) ! La conférence n'aboutit à rien.
Fin janvier, il constate l'éparpillement des pouvoirs : l'état-major n'est plus au ministère, rue Saint-Dominique à Paris, mais au Grand Quartier Général basé à Chantilly, et se comporte comme un second ministère[55]:72 : le G.Q.G. formule directement ses demandes d'approvisionnement et de transport aux directions concernées, sans coordination avec la rue Saint-Dominique. Lyautey veut mettre sur pied un pilotage centralisé de l'administration de la guerre : « Avant toute chose, ne fallait-il pas connaître l'ensemble des besoins, apprécier l'urgence relative de ces besoins, réduire, au besoin, tel ou tel transport ? Il en allait de même des questions relatives à l'utilisation des effectifs, et surtout de celles qui s'appliquaient au ravitaillement général des armées et de la nation »[55](73).
Le , Lyautey reçoit rue Saint-Dominique le colonel Renouard, chargé de lui expliquer dans le détail le plan de l'offensive Nivelle. Renouard avoue à son ministre qu'il ne croit pas plus à ce plan[15]:151. Cette entrevue a été décrite par Maurois et reprise par tous les biographes de Lyautey.
Lyautey veut renvoyer Nivelle et le remplacer par Foch. Briand s'y oppose.[24]:218.
Janvier et : nombreuses inspections du front. , exercice de tanks près de Compiègne avec Nivelle et Franchet d'Espèrey.
, Dunkerque : il visite l'armée belge et salue le « roi-soldat », Albert Ier. Il dîne avec le Premier ministre belge, Charles de Broqueville.
, il remet à Foch la médaille militaire et à Guynemer une décoration anglaise. En passant rapidement au milieu des ruines de Crévic.
23 et 24 février, il parcourt le front britannique, rencontre le maréchal Douglas Haig et le Prince de Galles.
26 février, Calais : importante conférence franco-anglaise, en présence de Briand et Lloyd George[55](81).
La défection de l'allié russe est de plus en plus évidente. Lyautey reporte ses espoirs sur les Etats-Unis pour assurer ses approvisionnements. Max Lazard, à chaque retour de voyage, lui fait des rapports détaillés[n 6],[55](109) sur la mission militaire de la France aux États-Unis.
Depuis son arrivée à Paris, les parlementaires de gauche le présentent comme une sorte de Bonaparte au retour d'Égypte, prêt à fomenter un coup d'État[15]:154.
Ils sont d'autant plus irrités qu'il brouille les cartes : il passe pour de droite, mais affiche des préoccupations sociales; il refuse de mettre au pas le Maroc, conflit qui sera récurrent jusqu'à son départ en 1925. Lyautey crée une direction de l'Aviation[55](86). Le général Guillemin est nommé. L'opposition organise un débat en comité secret à partir du . Lyautey n'en veut pas. Le résultat de ces réunions est connu des Allemands. Du 11 au 14 au matin, il est à Londres pour des discussions avec les Anglais sur la nécessaire unité de commandement[55](89). L'après-midi du 14, devant les députés réunis en comité secret (tribunes évacuées), une bronca interrompt son discours. Il démissionne le soir même. Il dit à Guillaume de Tarde : « Tu avais raison, je n'ai jamais rien compris à cette race »[15]:156.
Lyautey envoie le texte de son discours aux responsables politiques ; seul Gaston Doumergue répond qu'il l'approuve entièrement[55](110).
Deux jours après, Briand démissionne. Il est remplacé par Alexandre Ribot, avec Paul Painlevé comme ministre de la Guerre.
Le , le nouveau chef du gouvernement demande à Lyautey de reprendre son poste au Maroc. L'offensive Nivelle, déclenchée en avril, est un désastre. Fin avril, Painlevé décide l'unité de commandement. Il appelle Foch au commandement suprême des armées et Pétain au poste de chef d'état-major général chargé de faire le lien avec les Alliés.
Début mai, il est de retour à Paris, rencontre Ribot, Painlevé, Poincaré, Foch et Pétain[55](123). Clemenceau revient au pouvoir à la fin de l'année. Il avalise ces décisions et, pour certaines, les renforce[55](103-104 & 122).
Lyautey quitte Paris le . Il s'arrête à Madrid pour s'entretenir avec le roi et le chef du gouvernement. Alphonse XIII lui fait discrètement savoir qu'il aimerait le voir soutenir l'idée d'une paix séparée avec l'Autriche. L'empereur Charles Ier et l'impératrice Zita y travaillent. Il refuse de s'engager[55].
Retour au Maroc (1917-1925)
Poursuite du programme
Le , selon Maurois, il échappe à une torpille. Arrivé à Casablanca, il retrouve une équipe de fidèles. Sur la photo de 1925, on peut voir, debout de gauche à droite : le capitaine Pélier,le colonel Huot (l'homme de l'ombre est dans l'ombre),le Maréchal,Pierre de Sorbier,le commandant Ract-Brancaz,le capitaine Fouques-Duparc,Émile Vatin-Pérignon,le capitaine Deschanel,le comte de Saint-Quentin,le capitaine Bourgin. Assis, à l'extrême-gauche : le lieutenant Durosoy et, au premier plan au centre, Gaston Palewski.
Voir en note[56] la liste complète de ses collaborateurs.
Lyautey aime à s'entourer de jeunes gens[57].
Trois militaires ont succédé à Lyautey comme résident général : Charles Noguès, Alphonse Juin[58], qui l'ont servi au plus près, et Augustin Guillaume, brièvement au cabinet de Lyautey.
Parmi les anciens membres de l'équipe, quatre lui ont consacré des livres : Guillaume de Tarde, Wladimir d'Ormesson, les généraux de Boisboissel et Durosoy.
Les phosphates et l'électricité
L'économie du Maroc est stimulée après guerre par une découverte en 1917 : les phosphates de Khouribga. Lyautey prend une décision : l'exploitation sera confiée à l'Office chérifien des phosphates, créé en 1920[59],[60].
Naissance de l'aviation marocaine.
En 1916, Lyautey obtient l'envoi de deux escadrilles (reconnaissance et le bombardement).
En 1918, il subventionne des liaisons aériennes entre la France et le Maroc pour le transport du courrier[61] en collaboration avec l'industriel Pierre-Georges Latécoère.
À l'été 1922, il confie la reconnaissance des futures escales vers Dakar au capitaine Joseph Roig[62], chef d'escale de Latécoère au Maroc, ainsi qu'à un officier de goumiers qui sert d'interprète[n 7].
Gestion des terres
Au total, 200 000 ha de lots de terre sont rachetés par Lyautey[63]
Trois corps sont créés pour développer l'agriculture : officiers des eaux et forêts, ingénieurs du génie rural et inspecteurs de l'agriculture[64].
Passionné d'équitation, Lyautey confie le service de l'élevage, à un vétérinaire militaire, repéré en 1912, le colonel Théophile Monod, avec en ligne de mire les pur-sang arabes[65].
En 1914, Monod crée le haras de Meknès.
Les Beaux-Arts.
Le service des Beaux-Arts est étoffé en 1918[66] avec la création d'un Office des arts indigènes, confié à Joseph de La Nézière. En 1919, il est rattaché à la direction de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Monuments historiques à la tête de laquelle vient d'être nommé Georges Hardy. Puis en 1920, l'ensemble du service des Beaux-Arts est réorganisé[67].
En 1923, le service est en crise : Lyautey doit renvoyer son chef, Tranchant de Lunel[68]. Il n'est remplacé qu'en 1924, par Jules Borély.
À son retour en 1917, Lyautey invite le Lorrain Jacques Majorelle à venir.
Henry de Castries retrouve son service historique, érigé en Institut historique du Maroc[69].
En 1922, l'Association des peintres et sculpteurs du Maroc est créée, sous la tutelle de Georges Hardy[70].
En 1923, un musée d'art moderne est créé à Rabat[71]. Il est baptisé "Eugène Delacroix", dont les carnets du Maroc sont célèbres[72].
De 1917 à 1925, un nouveau contingent d'architectes arrive au Maroc[73], dont Auguste Cadet, Bernard Boutet de Monvel, affecté en 1917 à la base aérienne de Fès, qui fera le portrait en pied du maréchal[74].
Lyautey est frappé par le rôle que Loti a pu jouer vis-à-vis de la Turquie[n 8] Il s'implique dans une autre forme de mise en valeur du Maroc : le recours aux écrivains[75]. Il invite André Maurois[76], Paul Desjardins, l'homme des décades de Pontigny[77], André Gide, Jean Giraudoux[78], et d'autres[79].
Cadeau de départ du service au maréchal en 1925 : le beau livre de Jean Gallotti Le Jardin et la maison arabes au Maroc (deux tomes) illustré par Albert Laprade[80].
Le programme de pacification
Lyautey rêvait de reformer l'empire chérifien du temps de Moulay Ismaïl, de la Méditerranée au Sénégal[24]:243:267-280.
En 1920, des tribus entrent en rébellion dans le Rif, vers Taza, dans le Moyen-Atlas et dans le Sud.
Les caïds alliés, Goundafi et Glaoui, sont mis à contribution pour affronter la rébellion du Souss, où des tribus sont restées fidèles à El Hiba.
En 1918, le général Aubert sécurise la zone de Taza, le général Maurial fait de même dans le Moyen-Atlas, le colonel Doury écrase une harka qui menaçait le Tafilalet.
En , dans une région du Rif, Ouezzane est un des sanctuaires les plus vénérés du Maroc, Des tribus révoltées l'interdisent au Makhzen. Lyautey envoie des troupes commandées par Poeymirau et, en même temps, engage des négociations. Elles sont couronnées de succès. En octobre, Lyautey entre à Ouezzane, aux côtés du sultan qui reçoit un accueil triomphal et peut aller faire ses dévotions au mausolée du saint et ancien grand maître du soufisme[24]:244-248.
À la même époque, Lyautey envoie deux colonnes dans le grand sud contre des tribus insoumises de la région de Tarfaya (Cap Juby),zone d'influence espagnole. Il est stoppé net par Paris[24]:280-281.
Au printemps 1923, nouvelle campagne pour réduire la tache de Taza, qui bloque le passage vers l'Algérie. Elle est menée par Poeymirau et donne lieu à de violentes batailles. Combattent sur le terrain Henri de Bournazel (et sa légendaire tunique rouge), Durosoy (pas encore aide de camp de Lyautey), Blacque-Belair (laissé pour mort à El Mers[81]), et un jeune et brillant capitaine : Jean de Lattre.
Difficultés de santé
Durant son second séjour, Lyautey doit composer avec une santé de plus en plus chancelante : crises de foie à répétition. Une en 1915 ; une autre après son départ du ministère, qui l'a obligé à faire un mois de cure à Vichy[55](112).
En , il revient en voiture d'Alger à Fès gravement atteint ; les médecins diagnostiquent une crise de vésicule biliaire nécessitant une opération[15]:161[82]. Il part à Paris se faire opérer.
Début 1924, nouvelle crise et nouvelle opération. Il passe plusieurs mois à Paris. À Lucien Saint qui l'accompagne à la gare de Lyon, il dit : « Je ne retourne à Rabat que pour faire mes malles… les élections, ma santé, c'est bien fini »[24]:303-304.
Difficultés politiques
Lors de son second séjour, Lyautey rencontre plusieurs difficultés : l'opposition grandissante des colons, l'administration qui lui échappe, et le gouvernement français de plus en plus hostile. Il présente trois fois sa démission : fin 1923, après le départ ou la disparition de plusieurs de ses fidèles ; en , après le départ d'Alexandre Millerand qui le soutenait; et en 1925 après la nomination de Pétain pour diriger les opérations militaires[83].
Lyautey n'a pu s'opposer au déferlement des premières années de son proconsulat. Il était hostile à la colonisation de peuplement, à cause des risques de conflit avec la population locale sur l'appropriation des terres ou des emplois; et à cause de ceux qui, venant du reste de l'Afrique du Nord, voulaient transposer au Maroc le régime algérien de l'administration directe.
Le problème avec les colons se double d'un problème avec l'administration. Ses cadres français ne comprennent pas la nécessité de partager le pouvoir avec des indigènes. Ils ont tendance à l'accaparer. D'où un dérapage continu pendant la guerre.
En 1920, Lyautey écrit au président du Conseil, le [84] :
« Voici le moment de donner un sérieux coup de barre au point de vue de la politique indigène et de la participation de l'élément musulman aux affaires publiques. Il faut regarder bien en face… la situation du monde musulman et ne pas se laisser devancer par les événements. Ce n'est pas impunément qu'ont été lancées à travers le monde les formules du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et les idées d'émancipation… Il faut bien se garder de croire que les Marocains échappent ou échapperont longtemps à ce mouvement général… Ce serait absolument une illusion de croire que les Marocains ne se rendent pas compte de la mise à l'écart des affaires publiques dans laquelle ils sont tenus. Ils en souffrent et ils en causent… Ils ne sont ni barbares, ni inertes… Il se forme chez eux une jeunesse qui se sent vivre et veut agir, qui a le goût de l'instruction et des affaires. À défaut des débouchés que notre administration lui donne si maigrement et dans des conditions si subalternes, elle cherchera sa voie ailleurs… Il faut donc entrer résolument et vite dans une nouvelle voie »
Lyautey commence à percevoir des revendications d'indépendance. Il préconise la formation d'élites marocaines, qui prendraient peu à peu la relève.
Autour de 1914, Lyautey fonde des collèges musulmans à Fès (collège Moulay Idriss) et à Rabat (collège Moulay Youssef), puis en 1918 à Meknès (école militaire de Dar El-Beïda[85]. L'intégration d'élèves officiers de Dar El-Beïda dans l'armée est facilitée. Leur inconvénient est qu'ils ne permettent pas de passer le baccalauréat.
En 1916, il propose de former des jeunes issus des collèges musulmans, de leur procurer des stages dans la fonction publique. Cette proposition restera lettre morte.
En 1920, il crée l'Institut des Hautes Études marocaines à Rabat. L'animateur est le grand arabisant Évariste Lévi-Provençal. Il a pour mission d'acculturer à petites doses l'élite de la société[86]. Aux congrès de l'Institut, Lévi-Provençal d'ailleurs s'exprime en arabe.
En 1921, Lyautey décide que les trois premiers de chaque promotion de Dar El-Beïda se verront offrir des postes à la Résidence, au Makhzen et au renseignement. Il organise pour chaque promotion des stages et voyages en France, avec visite des principales institutions de la République et rencontres avec les hauts responsables de l'État[87].
La classe politique n'est pas prête à entendre ce discours. Ces réformes ne suffiront pas à vaincre les résistances de l'administration, renforcées par l'arrivée de nouveaux résidents généraux.
La guerre du Rif
En 1924, le cartel des gauches arrive au pouvoir. Il envoie de nouvelles instructions à Lyautey : « Le Maroc a assez coûté, il faut maintenant qu'il rapporte[24]:305 ». On veut qu'il passe à l'administration directe.
Lyautey refuse en s'abritant derrière les traités. Ses crédits sont rognés, ses décisions critiquées[24]:306.
Il envoie sa démission.
Abd El Krim, en révolte depuis trois ans contre l'Espagne dans les montagnes du Rif[88], invite ses compatriotes à se retourner contre la France[89].
Le gouvernement change de discours. Lyautey défait ses bagages.
Début 1924, Abd El Krim établit une ligne de postes fortifiés face aux Français.
En avril, premières attaques dans la région de l'Ouergha. Les troupes résistent péniblement.
Deuxième offensive au début de l'été, visant l'est et l'ouest du premier front : Taza et Ouezzane ; offensive à nouveau stoppée.
Abd El Krim se vantait d'être à Fès le , il n'y est pas. Le sultan Moulay Youssef, en revanche, y vient et exhorte son peuple à la résistance[90]. Une grande partie des tribus est restée fidèle au Makhzen[24]:337,
A l'automne, Lyautey reçoit un renfort de onze bataillons[24]:322. Il est très fatigué, dort quatre heures par nuit, demande qu'on lui envoie un général pour assurer la conduite des opérations[91]. Le gouvernement choisit le général Naulin.
Lyautey souhaite ménager Abd El Krim[92]. Attitude incompréhensible pour le gouvernement : il décide de décharger Lyautey de toute responsabilité militaire. Il nomme Pétain commandant en chef des forces armées.
Pétain est envoyé au Maroc en juillet 1925 pour évaluer la situation, y revient le avec les pleins pouvoirs[93].
Il retire à Lyautey son état-major et lui signifie « que son temps est révolu et qu'il ne va pas tarder à être remplacé par un Résident civil »[24]:344.
Démission et retour
Il est convoqué à Paris fin août, a confirmation qu'on veut sa tête et repart sans avoir vu les ministres.
Le [24]:345, il rédige sa lettre de démission[94].
Le maréchal entame une tournée d'adieux de dix jours[95]. Sa dernière entrevue, le , est pour le Sultan[15]:179-180.
Le à Casablanca[24]:348, il embarque sur l'Anfa[96].
A l'arrivée à Marseille[55](196-199), aucune troupe, aucun officiel, juste les amis[97].
le 21 septembre 1925, pendant cette période où Lyautey est encore résident général, Urbain Blanc, Secrétaire général du Protectorat, promulgue l'interdiction du commerce public des esclaves et précise les conditions de leur affranchissement[98].
La fin de sa vie en Lorraine
Les troupes allemandes ayant incendié et pillé la propriété familiale à Crévic[99], le maréchal Lyautey décide de s'installer à Thorey. Le village adjoint à son nom celui de son célèbre résident.
À partir de 1922, il y fait construire par Albert Laprade un château sur l'édifice d'une gentilhommière héritée de sa tante maternelle, Mlle de Villemotte, dont il était proche[100].
Il s'y installe en 1925, à 71 ans.
Il décide de s'intéresser de près à sa province de naissance[101].
Chaque année, il fait dire une messe annuelle à la mémoire des ducs de Lorraine[102] en l'église des Cordeliers de Nancy[n 9].
Le , a lieu l'inauguration de la Grande Mosquée de Paris[103],[104]. Lyautey n'y est pas invité[105],[106],[107].
En 1927, il accepte le poste de commissaire général de l'Exposition coloniale qui se tiendra à la Porte Dorée à Paris en 1931[108].
33 millions de billets sont vendus[15]:188.
Au milieu de ces constructions éphémères trône le Palais de la Porte Dorée, un chef-d'œuvre art déco signé d'Albert Laprade, architecte de Lyautey au Maroc.
Après l'exposition, le palais abrite un musée des colonies, remplacé récemment par un musée de l'Histoire de l'immigration.
Le bureau de Lyautey, quintessence de l'art déco, a été conservé, mais sans son portrait par László, transféré au musée du Quai Branly. Il reste sur place une attraction voulue par lui : l'aquarium tropical.
En 1928, Lyautey préside le comité chargé de construire le monument Barrès (une lanterne des morts) sur la colline de Sion, voisine de Thorey. Il est inauguré en .
En 1929, de concert avec Foch et Fayolle, il encourage le colonel de La Rocque[55](203), à prendre la tête des Croix-de-Feu[109]. Dans son importante étude sur les Croix-de-Feu, Albert Kechichian parle à propos de La Rocque de « ses nombreuses et chaleureuses séances de travail au domicile » [parisien] « du maréchal Lyautey, avec Robert Garric et Georges Lamirand, entre 1931 et 1933 »[110]. Lyautey est très intéressé à discuter du programme des Croix-de-Feu mais reste prudent[111], selon Nobécourt, à l'égard du mouvement auquel il n'adhère pas[112]. La Rocque,par contre[113], cherche à le récupérer[114].
Jusqu'au début des années 1930, Lyautey est membre du conseil d'administration de l'École libre des sciences politiques[115].
Il meurt à Thorey le [116], âgé de 79 ans.Quinze jours auparavant, il avait reçu la visite du Sultan du Maroc, accompagné de son jeune fils Hassan. À l'annonce de sa mort, le Sultan, sur le point d'embarquer à Marseille, revient s'incliner devant la dépouille du grand homme : « Il pleurait » dit André Maurois[15] :189.
Lyautey a demandé que ses obsèques aient lieu à Nancy et son inhumation au Maroc. Le gouvernement lui accorde des obsèques nationales[117].
Un an après, sa dépouille est inhumée à Rabat[24]:377-378, dans un mausolée[118].
En 1961, le Maroc s'inquiète du sort du mausolée de Lyautey[119].
Le roi Mohammed V ne veut pas risquer que le tombeau soit profané. Il demande le rapatriement de la dépouille du maréchal. Son homme de confiance, Si Mammeri, vient à Paris et suggère que Lyautey repose aux Invalides. Le général de Gaulle accepte[24]:383-384.
Les inscriptions suivantes, tirées de déclarations du maréchal, sont gravées sur les côtés de son tombeau[n 10] :
- D'un côté en Français : « Être de ceux auxquels les hommes croient ; dans les yeux desquels des milliers d'yeux cherchent l'ordre ; à la voix desquels des routes s'ouvrent, des pays se peuplent, des villes surgissent »[n 11].
- De l'autre côté, en Arabe : « Plus je vis au Maroc, plus je suis persuadé de la grandeur de ce Pays »[120].
Parcours religieux
Dans les années 1880, le capitaine Lyautey est gagné par un certain scepticisme religieux. Il entame un cheminement spirituel. Il se soumet[121] à un questionnement intense. Il ne s'éloigne pas définitivement de l'idée de Dieu. Il garde son admiration pour l'Église. Il en reste proche et partage la plupart de ses positions morales, sociales et politiques.
Il est très lié à son condisciple, le docteur Paul Michaux. C'est une figure emblématique de l'intelligentsia catholique parisienne. Il a fondé en 1898 la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France.
L'approfondissement se construit pour Lyautey en trois étapes :
- recherche et questionnement de jeunesse face à son scepticisme naissant (« Je voudrais aimer Dieu, mais je n'arrive pas à le faire par gratitude » - ),
- fascination dans sa vie d'homme pour le Dieu des idées (« Mais l'admiration n'est pas l'amour »),
- redécouverte apaisée du Dieu-Amour dans sa vieillesse[122].
À côté de Thorey se trouve la « colline inspirée », Sion, lieu de pèlerinage depuis des siècles. Le maréchal fréquente assidûment le monastère qui y existe depuis le milieu du XIXe siècle ; il reçoit chez lui les frères missionnaires oblats qui en ont la charge.
Lyautey achève sa réconciliation avec l'Église le jeudi saint 1930 () : après s'être confessé, il reçoit la communion du curé de Thorey. C'est une immense joie qui ne le quitte plus jusqu'à sa mort. Il s'en ouvre quelques jours plus tard à son ami Wladimir d'Ormesson[55](222).
Dès 1930, il redécouvre la foi par le scoutisme. Il fait la connaissance du futur père Patrick Heidsieck, chef scout en route vers le sacerdoce[123]. Une correspondance naît entre le jeune prêtre et le vieil officier. Grâce à ces échanges, Lyautey reprend le chemin de l'Église après une longue traversée du désert.
Vie privée
Selon les historiens
En 1907, le général Lyautey fait la connaissance d'Inès de Bourgoing. Il épouse deux ans plus tard, le , à Paris.
La maréchale Lyautey est issue d'une vieille famille du Nivernais. A 18 ans, elle a épousé en premières noces le capitaine d'artillerie Joseph Fortoul qui se suicidera en 1900[124].
Elle fait preuve d'un grand dévouement, œuvre de concert avec son mari. Lyautey l'appelle « son meilleur collaborateur ».
Homosexualité
L'homosexualité de Lyautey semble avérée[n 12],[n 13]. Certains auteurs parlent plutôt d'une « sensualité homophile ». Nombre de ses biographes esquivent cet aspect afin de ne pas entacher sa réputation, selon Arnaud Teyssier[125].
À partir des années 1970, différents ouvrages français sur l'homosexualité font mention d'une telle inclination dans les écrits de l'officier[126].
L'historien militaire Douglas Porch souligne le paradoxe des fréquentations de ce conservateur, proche de cercles artistiques dont les vues politiques étaient assez éloignées des siennes[127].
On prête à Clemenceau un "bon mot" sur l'orientation sexuelle de Lyautey. Un certain nombre d'auteurs s'en sont emparés. Christian Gury en parle dans son livre Lyautey-Charlus[128].
Gury essaie de montrer comment Lyautey aurait pu servir de modèle au baron de Charlus, le célèbre personnage d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Le modèle le plus généralement reconnu de Charlus est Robert de Montesquiou et la vie parisienne de Lyautey a été très limitée.
Guy Dupré évoque l'homosexualité de Lyautey dans son livre Les Manœuvres d'automne[129] et Angelo Rinaldi en fait état à plusieurs reprises dans Service de presse[130].
Jean Cocteau[131] a rapporté que Lyautey lui avait demandé un exemplaire de son Livre blanc[132].
Lyautey est au centre de deux intrigues publiées sous forme de polars ésotériques (en tenant compte de la rareté de ce genre littéraire au Maroc) :
- Elmehdi Elkourti, Les Cinq Gardiens de la parole perdue, éditions Casa Express, 2013 (ISBN 9789954912256) (finaliste Prix Grand Atlas 2014) ;
- Noureddine Hany, Esprit chasseur : Le Secret des Maures vivants, éditions Aquila, 2019, p. 390 (ISBN 9789920684002) (répertorié par la Bibliothèque de l'Académie française des Sciences d'Outre-mer sous la cote 63.172 (recension d'octobre 2020)..
Lyautey et les affaires étrangères
Parallèlement à ses activités officielles, Lyautey s'intéresse à trois dossiers : la Turquie, l'Europe et les pays méditerranéens.
La Turquie
Il suit le dossier turc depuis l'entrée en guerre des puissances alliées contre ce pays. Le sultan Mehmed V n'est pas seulement un chef politique, il est aussi le Calife de l'Islam[n 14]. Les Allemands l'ont poussé à déclarer la guerre sainte.
En 1920, Lyautey mesure les conséquences du traité de Sèvres, imposé à la Turquie : l'Empire ottoman est dépecé ; de nombreux pays sont créés artificiellement en application des accords Sykes-Picot de 1916 ; la Turquie, amputée de larges parties de son territoire, est mise sous tutelle.
Les Turcs se révoltent sous la conduite de Mustafa Kemal, qui refuse le traité, va destituer le sultan, et installe sa capitale à Angora (future Ankara).
Le , pour sauver l'amitié franco-turque et à travers elle l'amitié franco-arabe, Lyautey, envoie une lettre au président du Conseil, Georges Leygues. Il critique le fait que les lieux saints soient passés sous le contrôle d'un État vassal des Occidentaux, fait part de l'inquiétude que ce conflit a suscitée chez les Marocains et réclame qu'une paix véritable soit recherchée avec la Turquie, qui serait accueillie au Maroc avec un véritable soulagement[24]:290.
Par l'intermédiaire d'une amie, Berthe Georges-Gaulis[n 15], il entre en contact avec Mustafa Kemal et tient le gouvernement au courant de ces échanges. Il obtient d'Aristide Briand l'envoi d'une mission parlementaire à Ankara, conduite par Henri Franklin Bouillon. Cette mission propose que la France se retire de la coalition des ennemis de la Turquie, considère le traité de Sèvres comme nul et non avenu, et accorde au peuple turc une paix équitable et l'indépendance[24]:291.
La ratification de cet accord a lieu en octobre 1921. Le de la même année, Mustafa Kemal écrit à Lyautey[24]:292 :
« Parmi ceux qui, dans une claire vision des intérêts supérieurs de la France et de la situation qu'elle occupe dans la Méditerranée, se sont déclarés pour le maintien de la politique traditionnelle de la France au Proche-Orient, Votre Excellence figure au premier rang et nul ne doute que votre haute intervention ait fait pencher la balance dans ce sens. »
L'Europe
Guillaume de Tarde dit de Lyautey jeune : « Spectacle étonnant que celui de ce capitaine de cavalerie qui a horreur de la guerre et qui considère que le Pouvoir a pour objectif essentiel de l'éviter »[133].
Lyautey lutte toute sa vie pour la paix en Europe. En 1897, il estime fratricide la guerre de 1870, «qui avait brisé dans l'œuf l'Europe unie, logique, historique que préparait le long travail des siècles»[16]. En 1914, il qualifie la guerre de « guerre fratricide, ou de guerre civile européenne »[134].
Le il écrit à sa sœur après l'armistice[24]:237 :
« On se grise follement de Metz et Strasbourg en perdant de vue tout ce qui importe le plus pour la reconstruction de demain. Je n'ai aucune confiance dans notre Premier [Clemenceau] pour le trop connaître… Sa haine jacobine des trônes l'emporte et lui a fait faire la pire faute, l'insulte gratuite à l'empereur d'Autriche il y a dix mois [le rejet de ses offres de paix, voir note 134] et ensuite la dislocation de cette même Autriche, sur qui il fallait construire notre point d'appui européen. Nous allons nous retrouver dans le vide entre l'Allemagne reconstituée en démocratie industrielle et impérialiste, l'Italie si fortifiée et que nous retrouverons avant peu recollée à l'Allemagne sans le contrepoids de l'Autriche, l'Espagne hostile par notre faute. »
Il fait des propositions en vue du traité de Versailles, création d'un état indépendant en Sarre[135], demande que le Maroc participe à la signature du traité, elles sont refusées.
En 1926, retraité à Thorey, avec son ancien collaborateur Pierre Viénot, il crée un Comité franco-allemand d'information. Son but est de lutter contre l'esprit revanchard de part et d'autre du Rhin, contre les campagnes de presse hostiles dans les deux pays et de tenter un rapprochement entre eux[136]. Il est prévu que le comité siège au Luxembourg, hébergé par le groupe de Colpach du grand Européen Émile Mayrisch, dont Viénot va épouser la fille[55](206-207).
Dans le même temps, il accepte la présidence du Comité français de propagande aéronautique fondé par André Michelin. Il va militer pour que la France ne se laisse pas distancer par l'Allemagne, tant en ce qui concerne l'aviation militaire que civile.
Il crée une émanation de ce comité en 1929 qui s'occupera de défense passive contre les bombardements aériens : la Commission de défense aérienne. Elle sera transformée en 1931 en Ligue de défense aérienne, et est présidée par La Rocque[137].
En 1933, le danger nazi est prégnant ; Charles Maurras et ses troupes prennent parti contre le nazisme. Un éditeur maurassien, Fernand Sorlot, décide de traduire Mein Kampf sans l'autorisation de Hitler et sans faire de coupes[138]. La LICA, ancêtre de la LICRA, offre de partager le tirage.
Lyautey approuve l'opération. La traduction paraît en aux Nouvelles Éditions latines avec un bandeau en couverture : « Tout Français doit lire ce livre, signé Lyautey »[139].
À tous, il paraît essentiel que les Français soient mis au courant du programme liberticide et raciste d'Hitler et de sa haine de la France. Nombreux sont aveuglés par le pacifisme.
Les avocats d'Hitler obtiennent la saisie du livre avant la parution d'une édition expurgée en 1938.
Le Maghreb
En 1915, Lyautey songe à l'instauration d'un califat occidental, selon Jalila Sbai[140].
Mille ans auparavant, un tel califat a existé à Cordoue, porté par une branche des Omeyyades. Les saadiens descendant du Prophète par la branche dite chérifienne, l'un d'entre eux, Ahmed al-Mansour tente de se présenter comme calife[141].
A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, pour faire pièce au sultan ottoman, les Anglais souhaitent nommer calife le chérif de La Mecque, Hussein ben Ali, appartenant à la dynastie hachémite[142].
Les Français, craignant que ce calife n'étende son pouvoir à l'Afrique du Nord, reprennent l'idée d'un califat occidental. Il pourrait étendre son influence aux nouveaux territoires sous mandat français du Proche-Orient.
Les responsables algériens s'y opposent, y voyant une tentative hégémonique de la France.
En 1916, Lyautey et les Anglais lancent une intervention militaire sur le Hedjaz. Elle est supervisée par un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, spécialiste des questions religieuses : Si Kaddour Benghabrit[143] : « Sur des instructions confidentielles de Lyautey, il va jouer un rôle à la fois d'ambassadeur informel de France à La Mecque, et surtout de véritable commissaire politique et religieux du détachement français. »[144].
Cette expédition a trois objectifs :
- militaire : stopper et même repousser les Ottomans, qui ont le contrôle de la région ;
- religieux : faciliter les pèlerinages vers les lieux saints. En l'absence de toute hygiène et de toute structure médicale, les épidémies prolifèrent et l'infrastructure hôtelière y est très insuffisante ;
- politique : aider matériellement le chérif des lieux saints, Hussein ben Ali. Contrôler à deux le futur calife limiterait les risques.
Le chef de la mission militaire est le colonel Édouard Brémond, ancien du Maroc de 1907 à 1914. Il a sous ses ordres une cinquantaine d'officiers et sous-officiers, dont plusieurs sont musulmans. Un millier d'hommes est tenu en réserve du côté de Suez.
Le déroulement et le bilan de la mission sont décrits par Pascal Le Pautremat dans son article[145].
L'accueil des pèlerins est un succès : Si Kaddour arrive à contourner l'interdiction d'acheter des immeubles faite à des chrétiens. Une société ad hoc est créé, la Société musulmane des Habous des lieux saints, contrôlée par des musulmans d'A.F.N.. Elle va racheter les immeubles à transformer en hôtel, à Médine et à La Mecque. Les premiers pèlerinages commencent en ; le paquebot Orénoque est affrété pour les transporter. Si Kaddour aura fort à faire : un agitateur a distribué aux pèlerins une brochure expliquant que les Français ont l'intention de s'emparer de la Kaaba pour la transporter au Musée du Louvre[146] !
La mission échoue sur les plans politique et militaire. Le chérif Hussein avait demandé l'aide des Français, autorisé une force militaire à opérer sur place, mais il revient sur sa décision. Et Lawrence d'Arabie considère que la France opère sur sa chasse gardée, et s'ingénie à entraver son action. En conséquence, en 1917, le gouvernement transfère son effort militaire du Hedjaz à la Palestine. Lyautey en gardera une certaine amertume à l'égard de nos alliés[147].
Après la guerre, en 1922, profitant de l'effacement de l'Allemagne et du mandat français au Liban, Lyautey souhaite lancer une fédération franco-musulmane des pays de la Méditerranée[24]:294-297. Cette proposition n'aura pas de suite[148]. Lyautey obtient néanmoins de Millerand l'institution d'une conférence annuelle des gouverneurs et résidents généraux d'Afrique française du Nord destinée à coordonner leurs actions[24]:298.
Opinions et citations
Lyautey est d'origine aristocratique par sa mère, et descendant de Saint Louis. D'opinion monarchiste, il défend la cause légitimiste. Son père est orléaniste.
L'aïeule de Lyautey, pour ses 80 ans, aurait déclaré devant sa descendance rassemblée : « Vous êtes ici plusieurs centaines, et je bénis le ciel que, s'il y a des légitimistes, des orléanistes, des bonapartistes, il ne se trouve pas un seul républicain »[149].
Il a une forte inclination pour le « comte de Chambord ». Au Maroc, il fréquente les membres de la famille d'Orléans qui y résident. Il a des liens d'amitié et d'estime avec le roi Alphonse XIII d'Espagne. Il a aussi du respect, comme certains Lorrains, pour les descendants de leurs anciens ducs, membres de la Maison de Habsbourg-Lorraine[149].
A la fin des années 1890, il a un entretien privé avec le pape Léon XIII. Il se rallie alors à la République, accepte de la servir sans renier ses convictions.
En 1897, il affirme que la France est forte malgré la République, à cause de la qualité de son peuple : « Il faut que la pâte individuelle française soit d'une rude qualité pour avoir résisté à un régime pareil »[150].
« Moi, je suis un homme du Nord, un Lorrain, un Normand, un Rhénan ; il y a de tous ces sangs-là dans mon sang ; mais rien qui vienne d'au-dessous de la Loire… Je n'ai jamais pu regarder un Toulousain comme un compatriote. »
« […] Dieu sait si j'aime la Lorraine – c'est mon pays… Mais quand je sortais de Lorraine pour aller en Alsace, je trouvais un ordre, une propreté, une discipline qui contrastaient avec le fumier des rues de nos villages, le laisser-aller. L'Alsace m'offrait le spectacle de tout ce que j'aime dans la vieille France et de tout ce que j'admire dans l'Allemagne – ce qu'il y a de meilleur dans l'une et dans l'autre… Je n'aime pas la Prusse. Mais l'Allemagne, c'est un grand peuple et qui a fait de grandes choses. Et j'espérais que tout cela serait maintenu dans l'Alsace, étendu à toute la France pour son profit… »
L'Alsace, la Lorraine – les « pays », quoi… c'est du réel, de l'humain… Après la guerre, j'avais cru, j'avais espéré qu'en respectant là-bas ce qu'il fallait respecter, on pourrait faire quelque chose d'intéressant, de neuf, dont le reste du pays aurait pu ensuite s'inspirer et aurait recueilli le bénéfice. Un régionalisme vivant, souple, aéré… Mais non ! Il fallait tout centraliser, tout unifier, tout ramener au gabarit, et cette illusion-là est allée rejoindre les autres illusions de la victoire »[151]
En 1895, Lyautey doute de la culpabilité de Dreyfus : « Ce qui ajoute à notre scepticisme, c'est qu'il nous semble discerner là une pression de la soi-disant opinion ou plutôt de la rue, de la tourbe […] Elle hurle à la mort contre ce Juif, parce qu'il est Juif et qu'aujourd'hui, l'antisémitisme tient la corde »[152].
Clemenceau s'en est souvenu. Il soutient souvent Lyautey au cours de sa carrière ministérielle et à la présidence de la Commission des armées.
Le général Mordacq, chef de cabinet de Clemenceau et connaissant le maréchal depuis le Tonkin en 1895[153]: « « le Tigre » aurait regretté la mise à l'écart de Lyautey puis son départ du Maroc lors de la guerre du Rif, où le gouvernement dit du « cartel des gauches » lui adjoignit sur le plan militaire Philippe Pétain, ce qui le poussa à donner sa démission. »
Il dit de l'État-major : « Coteries d'admiration mutuelle, adorateurs des clichés et des formules, à l'écart des grands courants sincères que la troupe seule révèle, forts en thème, portant au Ministère, près du haut commandement, les petites vilenies de collège, flatteries au pion, recherche du satisfecit, rétractation de la personnalité et de l'indépendance d'esprit. C'est pourquoi, il y a quatre ans, sitôt le pied sur le bateau, il m'a paru que je m'échappais d'une geôle »[15]:46.
Il déclare à Albert Laprade : « Quelle chance vous avez d'être architecte ! Au moins de vous il restera des pierres, des arbres énormes. Tandis que de moi, il ne restera rien. Les hommes sont des ingrats »[154].
Il déclare au député Birot qui considère le Maroc comme une « colonie française » : « Alors que nous sommes en Algérie depuis plus de quatre-vingt ans, en Tunisie depuis trente-cinq ans, nous n’avons pris pied au Maroc qu’il y a huit ans, et notre protectorat y date de moins de quatre ans »
Devise
Sa devise est attribuée au poète anglais Percy Bysshe Shelley[155], mais en fait tirée de William Shakespeare[n 16] : « La joie de l'âme est dans l'action. »
Distinctions, décorations et honneurs
Académies
Il est élu (avec 27 voix) à l'Académie française le au fauteuil 14. Il y est reçu après la guerre, le . L'historien moderniste Louis Duchesne prononce son discours de réception.
Il est associé-correspondant de l'académie de Stanislas depuis 1900.
Il est à l'origine de la fondation de l'académie des sciences d'outre-mer en 1923, et y est élu membre titulaire[156].
Décorations françaises et étrangères
Le , il est fait grand-croix de la Légion d'honneur.
Le , il reçoit la médaille militaire.
Parmi ses autres décorations : officier du Mérite agricole, grand cordon de l'Ordre de Léopold de Belgique, officier de l'Ordre du Soleil levant (Japon), chevalier de l'Ordre du Christ (Portugal) et de l'Ordre de Saint-Stanislas de Russie, commandeur de l'Ordre royal du Cambodge, de l'Ordre du Dragon d'Annam et de l'Ordre de l'Étoile d'Anjouan. Au Maroc, il a reçu la médaille coloniale avec barrettes, la médaille commémorative du Maroc, l'Ordre du Mérite militaire chérifien et le grand cordon du Ouissam Alaouite.
Le , il est élevé à la dignité de maréchal de France.
Le même jour, il reçoit[n 17] du prétendant orléaniste au trône de France, Philippe d'Orléans, la plaque de l'ordre du Saint-Esprit[n 18].
En 1930, il est élevé à la dignité de grand-croix de l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand (Vatican).
Décorations françaises
- France
- Protectorat français du Cambodge
- Indochine française
- Colonie de Madagascar et dépendances
- Décoration dynastique
- Modèle:Déco Chevalier de l'ordre du Saint Esprit[n 20]
Décorations étrangères
- Vatican
- Belgique
- Royaume d'Espagne
- Grand-croix avec collier de l'Ordre de Charles III
- Portugal
- Empire du Japon
- Empire chérifien
- Empire russe
Fonctions honorifiques
En 1911, il est membre du comité de patronage des Éclaireuses Éclaireurs de France, ainsi que de celui des Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France,
En 1922, il entre au Conseil supérieur de la guerre.
En 1926, il est président du Comité français de propagande aéronautique créé à l'initiative d'André Michelin.
En 1927, il est commissaire général de l'exposition coloniale internationale. Elle se tient en 1931. Il fait construire le Palais de la Porte Dorée. Son portrait par Laszlo était accroché dans ce bâtiment.
Le , il est élu membre du Jockey Club, parrainé par le duc de Doudeauville et par le général de Mac Mahon, duc de Magenta.
En 1929, il est président d'honneur des scouts de France. Le château de Thorey-Lyautey abrite aujourd'hui un musée du scoutisme.
Héritage
Dans une déclaration faite le au conseil de politique indigène, Lyautey déclare[157] :
« Il est à prévoir… que dans un temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome se détachera de la Métropole. Il faut qu'à ce moment-là - et ce doit être le but suprême de notre politique - cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent toujours à se tourner avec affection vers la France… Je n'ai pas cessé d'espérer créer entre ce peuple et nous un état d'âme, une amitié, une satisfaction intime qui font qu'il restera avec nous le plus longtemps possible, mais qui auront pour résultat final que si les événements le détachent politiquement de nous, toutes ses sympathies resteront françaises. C'est la pensée avec laquelle je vis, qui me porte. »
Homme politique classé à gauche et ancien ministre, Théodore Steeg succède à Lyautey en 1925. Il rétablit la primauté des civils sur les soldats, amplifie la colonisation officielle financée par l'État et ouvre grand les vannes du fonctionnariat. Entre le départ de Lyautey jusqu'à l'indépendance, les terres de colonisation vont presque doubler[158].
Lucien Saint lui succède : responsable du dahir berbère de 1930, il applique le diviser pour régner et suscite des réactions nationalistes.
En 1936, Pierre Viénot, ancien de Lyautey, est désigné comme ministre de tutelle. Il nomme deux de ses collègues au Maroc : Charles Noguès comme Résident général et Aimery Blacque-Belair comme directeur du Tourisme, avec pour mission secrète de maintenir des contacts avec les nationalistes[159].
Hommages
En 1931, à Paris, le sultan Mohammed ben Youssef déclare[55](212-3) :
« En venant admirer l'Exposition Coloniale, cette belle réussite de votre génie, il nous est particulièrement agréable de profiter de cette occasion pour apporter notre salut au grand Français qui a su conserver au Maroc ses traditions ancestrales, ses mœurs et ses coutumes, tout en y introduisant cet esprit d'organisation moderne sans lequel aucun pays ne saurait vivre désormais. Pouvons-nous oublier, en effet, qu'à votre arrivée au Maroc, l'empire chérifien menaçait ruine. Ses institutions, ses arts, son administration branlante, tout appelait un organisateur, un rénovateur de votre trempe pour le remettre dans la voie propre à le diriger vers ses destinées. »
Le , à l'occasion du transfert des cendres du maréchal aux Invalides, le général de Gaulle déclare :
« Dans un monde où tout change, la flamme qui l'animait est vivante, l'exemple qu'il donna reste bon, la leçon qu'il a léguée demeure féconde. Vingt sept années après sa mort… voici qu'il nous apparaît comme un homme d'à présent, car ce que fit ce grand romantique de la pensée et de l'action porte l'empreinte d'une œuvre classique, c'est-à-dire valable en tous cas et en tous temps parce que ce fut une œuvre immense. »
La compagnie Paquet, qui dessert le port de Casablanca depuis Marseille, a lancé en 1924 un paquebot Maréchal Lyautey. Il est construit aux chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. Il est remplacé en 1952 par un paquebot Lyautey, construit aux mêmes chantiers.
Le , par arrêté viziriel[160], la ville marocaine de Kénitra, à 30 km environ au nord de Rabat), objet de tous les soins du maréchal (urbanisme et port fluvial), devient Port-Lyautey, jusqu'à la fin du protectorat. Elle fut ensuite rebaptisée « Kénitra ». En 1936, Marcel L'Herbier y tourne le film Les Hommes nouveaux, d'après le roman de Claude Farrère, avec Gabriel Signoret dans le rôle de Lyautey.
Au Maroc, le lycée Lyautey de Casablanca est l'un des plus grands lycées français de l'étranger. La direction commande un portrait du maréchal Lyautey. Il est réalisé dans les années 1990. Il soulève un débat parmi les élèves quant au regard à porter sur l'œuvre et les responsabilités du maréchal Lyautey.
Un hôpital militaire à Strasbourg a porté le nom de Lyautey. Il est aujourd'hui fermé.
Dans le foyer étudiant du GEC à Nancy, un bâtiment porte son nom ainsi que sa signature gravée sur le béton, ainsi que des écoles élémentaires à Allonnes, Caen, Riedisheim et Vichy, et un collège à Contrexéville.
La corniche Lyautey du lycée militaire d'Aix-en-Provence est placée sous son patronage depuis 1956.
La 17e promotion du collège interarmées de défense porte son nom[161], ainsi que le 1er escadron du 4e régiment de chasseurs basé à Gap (Hautes-Alpes) (qui a été commandé par lui).
Plusieurs troupes de scouts portent son nom[162].
En 1947, Fernand Chaussat écrit une pièce radiophonique en deux actes consacrée à Lyautey[163]. En 1980, Gilles Grangier réalise un téléfilm en plusieurs épisodes intitulé L'Aéropostale, courrier du ciel. Le rôle de Lyautey est expliqué. Le téléfilm est diffusé de à .
Devant l'ancienne gendarmerie de Nancy, s'élève une statue d'Hubert Lyautey sculptée par François Cogné[164].
Œuvres
- Le rôle social de l’officier, 1891
- Du rôle colonial de l'armée, 1900, lire en ligne sur Gallica
- Dans le Sud de Madagascar, pénétration militaire, situation politique et économique, 1903, lire en ligne sur Gallica
- Lettres du Tonkin et de Madagascar : 1894-1899, tome I, 2e édition 1920, lire en ligne sur Gallica
- Paroles d'action : 1900-1926, 1927
- Lettres du Tonkin , 1928, illustrée par Jean Bouchaud - éditions nationales (Paris), lire en ligne sur Gallica
- Lettres de jeunesse : 1883-1893, 1931
- Vers le Maroc : lettres du Sud-Oranais : 1903-1907, posthume, 1937, lire en ligne sur Gallica
- Notes de jeunesse : 1875-1877, dans Rayonnement de Lyautey, posthume, 1947
- Albert De Mun - Hubert Lyautey : Correspondance (1891-1914), Paris, Société de l'Histoire de France, 2011.
Armoiries
Figure | Blasonnement |
D'azur à une foi d'or sommée d'un soleil du second et soutenus de trois cinquefeuilles d'argent.[165] |
Notes et références
Voir aussi
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