Loading AI tools
pièce de théâtre de William Shakespeare De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le Roi Lear (en anglais : King Lear) est une tragédie en cinq actes en vers et en prose, qu'on suppose avoir été écrite entre 1603 et 1606 par William Shakespeare et jouée le au palais de Whitehall de Londres en présence du roi Jacques Ier d'Angleterre.
Le Roi Lear | |
Gravure anonyme représentant Ludwig Devrient dans le rôle de Lear. | |
Auteur | William Shakespeare |
---|---|
Genre | Tragédie |
Nb. d'actes | Cinq actes |
Dates d'écriture | (supposées) 1603-1606 |
Sources | Historia regum Britanniæ de Geoffroy de Monmouth |
Version originale | |
Titre original | King Lear The True Chronicle of the History of the Life and Death of King Lear and His Three Daughters (1608) The Tragedy of King Lear (1623) |
Langue originale | Anglais moderne naissant |
Pays d'origine | Royaume d'Angleterre |
Date de création | |
Lieu de création | Palais de Whitehall, Londres Angleterre |
Version française | |
Traducteur | Première éd. Pierre Letourneur Dernière éd. Olivier Py |
Lieu de parution | Première éd. Paris Dernière éd. Arles |
Éditeur | Première éd. Mérigot jeune Dernière éd. Actes Sud |
Collection | Première éd. Shakespeare traduit de l'anglois par M. Le Tourneur Dernière éd. Papiers |
Date de parution | Première éd. 1779 Dernière éd. 2014 |
Nombre de pages | Première éd. 268 pages Dernière éd. 101 pages |
ISBN | 978-2-84260-265-9 |
Lieu de création en français | Versailles puis théâtre de l'Odéon |
Compagnie théâtrale | Comédie-Française |
Représentations notables | |
|
|
modifier |
Shakespeare a placé l’action de cette pièce dans une Grande-Bretagne préchrétienne[1], soit vers 800 de notre ère[2],[3], de façon que les personnages ne puissent trouver qu’en eux-mêmes et dans leur environnement terrestre la réponse à leurs souffrances et à leurs questionnements[4]. La pièce s'inspire entre autres de l’Historia regum Britanniæ de Geoffroy de Monmouth, qui évoque la figure légendaire de Leir, roi mythique de l'île de Bretagne à l'époque celtique précédant la conquête romaine et de sa fille Cordélia. Elle contient une double intrigue (procédé habituel chez l'auteur) dont l'action secondaire contribue à renforcer les différents moments de l'action principale.
Il existe deux versions distinctes de la pièce : The True Chronicle of the History of the Life and Death of King Lear and His Three Daughters (Chronique véridique de la vie et de la mort du roi Lear et de ses trois filles), publiée en in-quarto en 1608, et The Tragedy of King Lear (La Tragédie du roi Lear), publiée dans le Premier Folio de 1623 dans une version plus adaptée au théâtre. Les deux versions sont généralement éditées en un seul texte, mais plusieurs éditeurs modernes pensent que chaque version possède ses propres mérites[5].
Après la Restauration anglaise, la pièce est remaniée par des auteurs et des metteurs en scène qui la trouvent trop sombre et affligeante. Depuis le XIXe siècle elle est cependant régulièrement donnée en exemple comme l'une des pièces les plus achevées de l'auteur, les critiques notant en particulier la véracité avec laquelle le poète exprime les souffrances humaines et les tragédies familiales.
Elle a été très souvent adaptée à la scène et à l'écran et les comédiens les plus célèbres ont incarné le rôle de Lear. La tragédie a également été source d'inspiration, parfois inaboutie, pour nombre de compositeurs.
Dans la grande salle du palais des rois de l'île de Bretagne, le vieux roi Lear réunit ses filles, leurs maris et son fidèle ami le comte de Kent. Il annonce son désir de se retirer du pouvoir et sa décision de diviser son royaume entre ses trois filles, Goneril mariée au duc d'Albany, Régane épouse de Cornouailles et Cordélia, la plus jeune, courtisée par le duc de Bourgogne et le roi de France. La plus large part sera offerte à celle qui saura lui déclarer qu'elle l'aime le mieux. Alors que les deux aînées n'hésitent pas à jouer la carte de la flagornerie, Cordélia se montre sobre et sincère en affirmant qu'elle devra un jour la moitié de son affection à un futur mari bien qu'elle aime profondément son père. Blessé par cette réserve qui pique d'autant plus son orgueil qu'elle émane de son enfant préférée, Lear déshérite Cordélia, partage le royaume entre les deux autres sœurs, la chasse impitoyablement et annonce qu'il ira vivre alternativement sur les terres de Goneril et de Régane avec sa suite d'une centaine de chevaliers. Le comte de Kent, proche du roi, s'oppose à ce traitement injuste et tente de faire entendre raison au souverain qui, excédé, le bannit également. Apprenant l'infortune de Cordélia, le duc de Bourgogne renonce à ses vues mais le roi de France, sa passion raffermie par tant de vertus qu'il juge plus précieuses qu'une dot, annonce que Cordélia régnera sur la belle France où elle trouvera mieux que ce qu'elle a perdu.
Parallèlement se déroule au château du comte de Gloucester une seconde intrigue sur le même thème de l'amour filial. Le comte a deux fils, Edgar, l'enfant légitime, et Edmond, son bâtard. Ce dernier trahit son père et son frère par ambition et pour gagner l'héritage auquel son statut de bâtard ne lui donne pas droit. Il déclare ainsi à la scène 2 « Ainsi donc, Edgar le légitime, il faut que j’aie votre patrimoine [...] Que je [le] doive à mon esprit, sinon à ma naissance ! »[8]. Par une fausse lettre, qu'il révèle soi-disant contre son gré, Edmond démontre à Gloucester qu'Edgar cherche à usurper la succession tout en se montrant habilement le défenseur de son frère qu'il semble vouloir protéger du courroux de ce père. Dans un jeu de dupes, il pousse Edgar à se sauver pour mieux convaincre ensuite son père, en se blessant lui-même, que la raison de cette fuite est la lutte entre les deux frères provoquée par Edgar en raison du refus d'Edmond d'attenter à la vie du comte. Tous les hommes d'armes étant à sa recherche et les ports surveillés, Edgar trouve refuge dans la lande sous les oripeaux du pauvre Tom, mendiant de Bedlam.
Cependant, Kent, décidé à protéger son roi, retourne déguisé au palais et, se présentant sous le nom de Caius, se fait engager comme serviteur par Lear. Il aide le roi à corriger Oswald, l'intendant de Goneril, qui, sur ordre de sa maîtresse se refusait à servir Lear. Celui-ci commence à réaliser l'ascendant que Goneril a pris sur son père : elle ne le respecte plus, lui ordonne de se mieux comporter et de réduire sa suite qu'elle accuse de se quereller avec ses gens. Le fou se moque des malheurs du roi et de cette inversion des rôles. Furieux, Lear annonce qu'il part pour la maison de Régane dont il pense qu'elle lui réservera une affection et un sort meilleur. Albany, pris à témoin, tente de raisonner son épouse mais Goneril lui reproche sa « douceur d'agneau » et envoie Oswald prévenir sa sœur par un courrier. De son côté Lear fait porter une lettre à Cornouailles par Caius (Kent).
Pour éviter de recevoir son père, Régane se rend avec le duc de Cornouailles au château de Gloucester où Caius (Kent) et Oswald se rencontrent, attendant les réponses aux missives. Kent invective l'intendant et tire l'épée contre le couard qui en appelle à l'aide de ses maîtres. Cornouailles, malgré les protestations de Gloucester, fait enferrer Kent dans les ceps. Lorsque Lear arrive chez le comte de Gloucester, il ne peut croire que la mise au pilori de son cher serviteur soit le fait de sa fille. Or celle-ci et Cornouailles se prétendant épuisés par leur voyage refusent de lui parler et n'acceptent de descendre que sur l'intercession de Gloucester. Goneril qui est venue rejoindre sa sœur se ligue avec elle et Cornouailles pour refuser au vieux roi, non plus la moitié de son escorte, non plus vingt-cinq chevaliers mais ne lui accordera désormais plus un seul homme puisque ses gens se querellent avec ceux de la maison de ses filles. Accablé par la dureté et l'ingratitude de ses enfants auxquelles il a tout donné, il quitte le château sous la tempête, accompagné du fou. Avant de les rejoindre, Caius (Kent) confie à un gentilhomme de confiance la mission de rejoindre Douvres où Cordélia, informée du sort réservé à son père et des dissensions qui se font jour entre Albany et Cornouailles, a débarqué avec l'armée du roi de France.
Dans la lande dévastée par la tempête et l'orage, le roi délire en écho aux sentences du bouffon. Caius (Kent) retrouve le fou et Lear et les conduit jusqu'à une hutte où ils pourront se mettre à l'abri pendant qu'il ira forcer l'hospitalité du comte. La hutte est occupée par un être hirsute que le fou prend pour un fantôme et qui dit se nommer « le pauvre Tom ». Il s'agit d'Edgar quasiment nu, hors une couverture autour des reins, et tenant des propos incohérents que Lear qualifie de « philosophie ». À l'exemple du pauvre hère, le roi, toujours plus divaguant, déchire ses vêtements imaginant que si « le pauvre Tom » en est réduit à ce triste état, lui-même ne peut à son tour que se dépouiller. Gloucester parti à leur recherche les retrouve et persuade Lear de venir s'abriter dans une dépendance du château ce que le roi n'accepte qu'à la condition que son nouvel ami, son « bon Athénien » – dans lequel Gloucester n'a pas reconnu Edgar – les accompagne. Avant que Lear ne s'abandonne à un peu de repos, le roi, le fou et le « philosophe », sous le regard désolé de Kent, et pendant que Gloucester les abandonne un moment, organisent un simulacre de procès où des tabourets tiennent le rôle de Goneril et Régane.
Gloucester ne tarde pas à revenir, les pressant de s'enfuir vers Douvres afin d'échapper à un complot qu'il vient de découvrir, visant à tuer le roi et ses défenseurs. Toujours dupe d'Edmond, le comte de Gloucester lui avait confié, avant de partir à la recherche du roi dans la lande, l'existence d'une lettre l'informant de la connaissance par le roi de France des dissensions entre Albany et Cornouailles et du débarquement des troupes françaises envoyées pour venger l'offense faite à Lear par ses filles. Toujours avec la même duplicité, Edmond se lamente auprès de Cornouailles d'être le fils d'un traître et de devoir par loyauté en être le délateur. Le duc lui renouvelle sa confiance et, pour lui éviter d'assister à ce qui attend son père, l'envoie avec Goneril et Oswald rejoindre Albany. Dès après leur départ Gloucester est arrêté, sa barbe blanche arrachée par Régane et ses yeux crevés par Cornouailles. Un serviteur du comte ayant osé s'interposer, outré de l'injustice de l'acte barbare, blesse mortellement Cornouailles et il est sur le champ tué par Régane.
Au château d'Albany, Goneril apprenant par Oswald l'opposition de son mari à l'offense faite à Lear renvoie Edmond chez Cornouailles après avoir échangé avec lui serments et baiser. Le duc d'Albany paraît alors et reproche à Goneril sa monstruosité de femme et de fille de roi tandis qu'elle le traite avec mépris d'« Idiot, et puéril ! ». Un messager apporte la nouvelle de la mort de Cornouailles et de la torture subie par Gloucester dénoncé par son fils. Albany est atterré et jure vengeance. Goneril s'inquiète de se retrouver en concurrence avec sa sœur maintenant veuve et de perdre Edmond. De son côté Régane apprend d'Oswald que celui-ci est chargé par Goneril d'apporter une lettre à Edmond et confie à son tour un présent pour le fils de Gloucester en faisant comprendre à l'intendant que Goneril ferait bien d'abandonner ses projets et en lui suggérant de supprimer le comte de Gloucester sur le sort duquel trop de monde s'apitoie.
Entre-temps, le comte de Gloucester qui avait été jeté dans la lande après sa mutilation est pris en charge un bout de chemin par un vieux paysan puis par « le pauvre Tom » (Edgar) auquel il demande de le conduire et de le laisser au bord de la falaise de Douvres. Arrivé là, Gloucester, voulant se suicider, croit se jeter de toute sa hauteur dans la prairie mais en fait ne fait que s'évanouir. Edgar, prenant cette fois la voix d'un paysan lui fait croire qu'il a survécu miraculeusement à cette chute d'une hauteur de « dix mâts mis bout à bout ». Lear, toujours enfermé dans sa douloureuse démence croise leur chemin. C'est pour chacun un redoublement de chagrin de constater la souffrance de l'autre. Les paroles de folie succèdent aux discours de révolte et aux propos désespérés. Un gentilhomme de la suite de Cordélia ramène enfin le roi auprès de sa fille. Survient alors Oswald ravi de trouver sur sa route Gloucester dont la tête est mise à prix. Il tire son épée pour le tuer mais Edgar, sous la forme d'un paysan, s'interpose et lui porte un coup mortel. Oswald lui demande avant de périr de remettre à Edmond la lettre de sa maîtresse. Malgré ses scrupules, Edgar ouvre la lettre pour découvrir que Goneril se promet à Edmond en échange de l'assassinat de son mari, le duc d'Albany.
Dans le camp français près de Douvres, Caius (Kent) apprend à un gentilhomme que Lear rôde dans la région tout en refusant de voir sa fille tant la honte et le remords le rongent. Cordélia ordonne qu'on le recherche. Un messager vient annoncer que l'armée anglaise est en marche. Lorsque Lear est enfin ramené, le médecin lui administre le seul remède capable d'apaiser sa douleur, des simples qui vont lui accorder un repos réparateur. Pendant son sommeil, Cordélia l'embrasse et lui déclare sa tendresse. À son réveil Lear s'agenouille pour implorer son pardon pendant que Cordélia lui demande sa bénédiction. Après ces soins et ces paroles apaisantes, le roi retrouve peu à peu ses sens et apprend qu'il se trouve sur ses terres et non en France.
L'armée britannique est déjà proche de Douvres. Albany déclare que sa préoccupation n'est pas la révolte, qu'il considère légitime, des partisans de Lear mais l'invasion du pays par le roi de France. Goneril et Régane se jaugent pendant qu'Edmond tergiverse à part sur le parti à prendre entre les deux sœurs, dont il n'aime manifestement aucune, sans mettre en péril la totalité du gain, le bénéfice du royaume dans son entier. Avant d'entrer dans la tente où doivent se décider les plans de la bataille, Albany est rejoint par Edgar, toujours déguisé en paysan. Ce dernier lui remet la lettre de Goneril destinée à Edmond et lui déclare que s'il est toujours vivant après la bataille, il lui suffira de faire appeler, par la sonnerie de la trompe, le champion que lui-même se charge d'envoyer pour faire droit à Albany dans l'intrigue que lui révélera la lettre.
La bataille a eu lieu. Les Anglais sont victorieux. Lear et Cordélia sont emprisonnés. Edmond ordonne à un capitaine de les suivre et d'exécuter la mission inscrite sur l'ordre écrit qu'il lui remet. Albany réclame que le roi et la reine lui soient remis pour être traités selon leur rang. Edmond, bien que vassal d'Albany, refuse et voit sa défense prise tant par Régane que par Goneril qui, toutes deux, se glorifient d'avoir investi de leur propre pouvoir l'homme dont elles se disputent l'illusoire affection. Albany les pousse dans leur retranchement, incitant leur opposition, met fin à la sinistre comédie en mettant Edmond aux arrêts pour haute trahison et fait sonner la trompette et quérir le champion promis par Edgar. Celui-ci se présente masqué, sans révéler encore son identité, les deux frères combattent, Edmond tombe et Edgar se nomme enfin. Il conte alors comment il a secouru son père jusqu'à ce que le cœur du vieil homme ne cède en apprenant, avant son départ pour le combat, que « le pauvre Tom » et le paysan secourable ne faisaient qu'un avec son fils légitime injustement banni. Il conte aussi comment Kent, sous les traits du serviteur Caïus, a assisté Lear et comment le comte de Gloucester a sombré sans connaissance à force de chagrin. On vient annoncer la mort de Goneril et de Régane : la première a empoisonné l'autre et s'est poignardée. Kent qui a repris son identité arrive et demande à voir Lear. Edmond avoue avant de mourir à son tour avoir avec Goneril donné l'ordre de pendre Cordélia dans sa cellule et de prétendre à un suicide. On se précipite à la prison mais il est trop tard. Lear apparaît, le corps de Cordélia dans ses bras et s'illusionne en voyant bouger une plume au souffle de son enfant. Mais Cordélia est morte et le cœur de Lear se brise. Le roi meurt. Albany déclare un deuil général et confie le pouvoir à Kent et Edgar chacun apportant une réponse à la hauteur de son chagrin :
« KENT. - Monsieur, j'aurai bientôt un voyage à faire.
Mon maître me fait signe : je ne dois pas dire non. »
« EDGAR. - Au fardeau de ces tristes jours nous devons faire allégeance.
Parlons selon nos cœurs et non la bienséance !
Les plus vieux ont le plus souffert. Nous les cadets,
Jamais n'en verrons tant, ni ne vivrons tant d'années[10]. »
Les corps sont emportés sur une marche funèbre.
Le personnage de Lear dans la pièce de Shakespeare est fondé sur différents récits décrivant la figure légendaire de la mythologie celtique de Lir ou Llŷr (en). La deuxième édition de The Chronicles of England, Scotlande, and Irelande de Raphael Holinshed, publiée en 1587 est considérée comme la source principale de Shakespeare. Holinshed lui-même a utilisé la trame de l'Historia regum Britanniæ écrite par Geoffroy de Monmouth au XIIe siècle. Dans La Reine des fées d'Edmund Spenser, publiée en 1590, on trouve également un personnage du nom de Cordélia qui meurt de pendaison comme dans Le Roi Lear. Il existe également un célèbre conte de fée (Princesse Peau de souris) dans lequel un père rejette sa plus jeune fille parce que la déclaration d'affection qu'elle lui adresse ne lui convient pas[11].
D'autres sources possibles sont A Mirror for Magistrates (en) (1574), de John Higgins ; The Malcontent (en) (1604), de John Marston ; The London Prodigal (en) (1605) ; les Essais de Montaigne, traduits en anglais par John Florio en 1603 ; An Historical Description of Iland of Britaine, de William Harrison (en) ; Remaines Concerning Britaine, de William Camden (1606) ; Albion's England, de William Warner (en), (1589), et A Declaration of egregious Popish Impostures, de Samuel Harsnett (1603), qui a fourni une partie de la langue utilisée par Edgar lorsqu'il feint la folie.
Outre l'intrigue secondaire impliquant le comte de Gloucester et ses fils Edgar et Edmond dont la source se trouve, pour les grandes lignes, dans un conte de Philip Sidney, Countess of Pembroke's Arcadia (en) (1580-1590), narrant l'histoire d'un roi aveugle de Paphlagonie et de ses deux fils, Leonatus et Plexitrus[12], la principale innovation de Shakespeare est la mort de Cordelia et de Lear à l'issue de la tragédie. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, cette fin tragique a été vivement critiquée et transformée par des versions dans lesquelles les personnages survivent et Edgar et Cordélia sont mariés.
Les dates de l'écriture du Roi Lear ne sont pas précisément connues ; cependant de nombreuses éditions la situent entre 1603 et 1606. Cette dernière date découle de l'enregistrement dans le Registre des Libraires (Stationers' Register en anglais) d'une représentation le . La date de 1603 trouve son origine dans les mots utilisés pour les tirades d'Edgar qui pourraient être tirés de l'ouvrage de Samuel Harsnett, Declaration of Egregious Popish Impostures (1603)[13]. Dans son édition Arden, Reginald A. Foakes (en) plaide en faveur de la période 1605-1606, car l'une des sources de Shakespeare, The True Chronicle History of King Leir, n'a été publiée qu'après 1605 ; l'étroite correspondance entre cette pièce et celle de Shakespeare, suggère qu'il aurait travaillé à partir d'un texte plutôt que de la remémoration d'une représentation[14]. À l'inverse, Frank Kermode, dans la Riverside Shakespeare, estime que la publication de Leir pourrait avoir été une réponse aux représentations de la pièce déjà écrite par Shakespeare ; sur la base d'un sonnet de William Strachey présentant des similitudes textuelles avec Lear, Kermode conclut que « 1604-1605 semble être le meilleur compromis »[15].
Toutefois, avant que Kenneth Muir (en) ne plaide en faveur du lien de la pièce avec le texte de 1603 de Harsnett, une minorité de spécialistes la pensaient bien plus ancienne. En 1936, Alfred S. Cairncross soutenait que « la relation entre les deux pièces Leir et Lear a été inversée : Lear de Shakespeare est antérieur et l'anonyme Leir n'en est qu'une imitation »[16]. Un élément justifiant ce point de vue est que, en 1594, King Leir est entré au Stationers' Register (bien que jamais publié), tandis que la même année une pièce intitulée King Leare était enregistrée par Philip Henslowe comme ayant été représentée au théâtre The Rose[17]. Cependant, selon une opinion majoritaire, les deux références ne seraient qu'une simple variante orthographique de la même pièce, King Leir[18]. Par ailleurs, Eva Turner Clark, une chercheuse oxfordienne (en) sur la question de la paternité des œuvres attribuées à Shakespeare a observé de nombreux parallèles entre les pièces et les événements de 1589-1590, comme celui entre l'intrigue secondaire du bannissement Kent et l'exil de Francis Drake par Élisabeth Ire d'Angleterre en 1589[19].
Le texte moderne de King Lear découle de trois sources : deux in-quarto, publiés respectivement en 1608 (Q1) et 1619 (Q2)[20] et la version du Premier Folio (First Folio en anglais) de 1623 (F1). Les différences entre ces versions sont importantes. Le Q1 contient 285 lignes qui n'existent pas dans le F1 et à l'inverse, cent lignes du F1 sont absentes du Q1. De même, au moins un millier de mots diffèrent d'un texte à l'autre ; la ponctuation des deux est totalement dissemblable et environ la moitié des lignes en vers du F1 sont soit imprimées en prose soit coupées différemment dans le Q1. Les premiers éditeurs, à commencer par Alexander Pope, ont tout simplement mixé les deux textes, créant la version moderne demeurée quasiment universellement ainsi depuis des siècles. Cette version amalgamée est née de la présomption que Shakespeare avait écrit un seul manuscrit original, aujourd'hui malheureusement perdu, et que les versions in-quarto ou en folio sont des déformations de l'original.
Dès 1931, Madeleine Doran (en) suggérait cependant que la provenance des deux textes était fondamentalement différente, et que leurs divergences étaient particulièrement édifiantes. Cet argument n'avait toutefois pas reçu un très large écho jusqu'à la fin des années 1970 où il a été repris, principalement par Michael Warren et Gary Taylor (en). Leur thèse, bien que controversée, a obtenu une reconnaissance significative. Elle pose, en substance, le postulat de ce que le in-quarto proviendrait d'une sorte de « version de travail (en) » (en anglais foul papers) et le folio serait d'une certaine manière issu de la brochure du souffleur préparée pour la représentation par la compagnie théâtrale de Shakespeare ou une autre troupe. En bref, le Q1 serait la version « littéraire » et le F1 la version « théâtrale ». La montée de la « révision critique » a fait partie de la tendance conduisant le milieu de la critique à s'éloigner du formalisme du milieu du siècle. The New Cambridge Shakespeare a publié des éditions distinctes du in-quarto et du folio ; la plus récente édition de la Pelican Shakespeare contient à la fois les textes du Quarto de 1608 et du Folio de 1623 ainsi que d'une version mixée ; la nouvelle édition Arden par RA Foakes n'est pas la seule édition récente à proposer le texte mixte traditionnel.
La seule représentation de King Lear donnée à l'époque de Shakespeare dont la date soit connue avec certitude parce qu'enregistrée au Stationers' Register est celle du . Reprise après la restauration de 1660, dès la réouverture des théâtres fermés sous le protectorat d'Oliver Cromwell, la tragédie est jouée dans sa forme originale jusqu'en 1675.
L'intense désir de changement caractérisant cette époque a bien évidemment touché les pièces de Shakespeare, Le Roi Lear comme ses autres œuvres. En 1681, Nahum Tate en a réalisé une adaptation, The History of King Lear (en), donnant à la pièce un happy end, avec le mariage d'Edgar et de Cordélia et le retour de Lear sur le trône ; le personnage du fou disparaît complètement, remplacé par celui d'Arante, confidente de Cordélia[21]. Cette version, interprétée par Edmund Kean, Thomas Betterton ou David Garrick a reçu les louanges de Samuel Johnson.
Le gouvernement britannique ne pouvant admettre de voir la folie d'un monarque portée à la scène à une époque où le roi George III souffrait de déficience mentale, la pièce est retirée du répertoire entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle[22]. Le texte original ne réapparaît sur la scène londonienne qu'en 1838 avec la création de William Charles Macready[23].
Edwin Booth, Samuel Phelps (en), entre autres comédiens fameux, ont également interprété de façon mémorable le rôle du roi Lear au XIXe siècle.
Le Roi Lear fait partie des œuvres les plus populaires de Shakespeare à avoir été représentées au XXe siècle. La mise en scène la plus célèbre est celle réalisée par Peter Brook en mai 1962, avec Paul Scofield dans le rôle de Lear et Alec McCowen dans celui du fou. Lors d'un sondage d'opinion en 2004 auprès de membres de la Royal Shakespeare Company, le Lear de Scofield a été désigné comme la plus grande interprétation d'une pièce de Shakespeare de toute l'histoire de la RSC[24]. Cette version a été immortalisée sur pellicule en 1971.
La plus longue durée d'une production du Roi Lear à Broadway est celle de 1968 avec Lee J. Cobb (Lear), Stacy Keach (Edmond), Philip Bosco (Kent), et René Auberjonois (le fou). Elle a tenu l'affiche durant soixante-douze représentations : aucune autre production de la pièce à Broadway n'avait jamais dépassé les cinquante soirées.
Timothy J. Reiss, professeur émérite de l'Université de New York, affirme qu'il n'y a pas chez Shakespeare de personnage aussi complètement détruit « dans son être même » que Lear[35].
Seamless Wikipedia browsing. On steroids.
Every time you click a link to Wikipedia, Wiktionary or Wikiquote in your browser's search results, it will show the modern Wikiwand interface.
Wikiwand extension is a five stars, simple, with minimum permission required to keep your browsing private, safe and transparent.