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évêque constitutionnel et homme politique, abolitionniste français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Henri Grégoire, dit l'abbé Grégoire, né le à Vého, sur une partie du territoire des Trois-Évêchés rattachée par la suite au département de Meurthe-et-Moselle et mort le [3] à Paris, est un prêtre catholique, prêtre-philosophe, évêque constitutionnel et homme politique français, ainsi que l'une des principales figures de la Révolution française[4].
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Archives nationales (510AP)[1] Schomburg Center for Research in Black Culture (Sc MG 243)[2] |
Rallié au tiers état, à l'Assemblée constituante, il réclame l'abolition totale des privilèges et de l'esclavage et prône le suffrage universel masculin et l'émancipation des Juifs. Fondateur du Conservatoire national des arts et métiers et du Bureau des longitudes[5], il participe à la création de l'Institut de France, dont il devient membre.
Henri Grégoire[6] est né le à Vého, une paroisse française anciennement incluse administrativement dans la province des Trois-Évêchés, et non dans le duché de Lorraine[7]. Sa maison natale est encore habitée au début de la Première Guerre mondiale. Détruite pendant le conflit, elle est rebâtie dans la décennie 1920. Une plaque commémorative est apposée au-dessus de la porte d'entrée, toujours visible en 2024.
Son père, Bastien Grégoire[8], est un tailleur d'habits respecté, ayant eu un temps un office d'échevin, et sa mère Marguerite Thiébaut, est une femme unanimement décrite comme d'une grande piété et ayant un souci constant des choses de la religion en cette époque marquée par le caractère rural du bas clergé, fonction qui reste alors un moyen d'ascension sociale[9]. Henri Grégoire n'est pas, stricto sensu, fils unique comme il le dit toute sa vie, mais il a deux frères puînés, morts en très bas âge : Jean à l'approche de sa première année (20 janvier 1754 - 18 janvier 1755) et un autre (1756) décédé juste après son baptême[10]. Il est donc bien élevé dans sa famille comme un enfant unique.
Il commence ses études avec le curé de son village qui remarque ses dispositions intellectuelles dès l'âge de cinq ans. Lorsque celui-ci n'a plus rien à lui apprendre, il rejoint l'abbé Cherrier dans le village voisin d'Emberménil, paroisse dont dépend Vého. Il a alors huit ans. Il étudie, en compagnie de fils de hauts fonctionnaires au service du duc de Lorraine Stanislas Leszczyński, sur des livres de Jean Racine, de Virgile, mais aussi à partir de la Grammaire générale de Port-Royal[11].
Grégoire est ensuite orienté par l'abbé Cherrier pour suivre des études au collège jésuite de Nancy de 1763 à 1768. Il s'y lie avec un de ses professeurs, M. de Solignac, ancien secrétaire de Stanislas Leszczyński, qui semble avoir eu une influence intellectuelle importante sur son élève, lui faisant découvrir les idées des Lumières et lui ouvrant les portes des milieux intellectuels lorrains. Grégoire conserve un excellent souvenir de ses études chez les jésuites, même s'il a des reproches à leur faire :
« J'étudiai chez les Jésuites de Nancy où je ne recueillis que de bons exemples et d'utiles instructions. […] Je conserverai jusqu'au tombeau un respectueux attachement envers mes professeurs, quoique je n'aime pas l'esprit de la défunte société dont la renaissance présagerait peut-être à l'Europe de nouveaux malheurs[12]. »
Après le collège des Jésuites, il s'oriente vers l'université de Pont-à-Mousson. Si la Compagnie de Jésus est bannie de France en 1763, elle ne l'est de Lorraine qu'en 1768 (Édit de Louis XV du )[13], l'enseignement est alors réorganisé par le diocèse et Grégoire rejoint la toute nouvelle université de Nancy, où il a comme professeur Antoine-Adrien Lamourette, futur évêque constitutionnel de Lyon. De 1769 à 1771 il y étudie la philosophie et la théologie, pour faire suite aux humanités et à la rhétorique qu'il avait étudiées auparavant. Parallèlement, il suit des cours au séminaire de Metz tenu par les lazaristes[14].
Alors qu'il passe une année comme régent de collège hors du séminaire, Grégoire commence à se lancer dans le monde. Il consacre notamment une grande partie de son temps à la poésie. Son premier succès public est le prix de l'Académie de Nancy, décerné en 1773 pour son Éloge de la poésie (il a alors 23 ans).
Durant ses années de formation, Henri Grégoire passe par une phase de doute sur sa foi et sa vocation religieuse. S'il rend hommage au milieu profondément croyant de son enfance, il ne cache pas dans ses Mémoires avoir goûté aux philosophes des Lumières et être revenu à la foi après d'intenses réflexions : « Après avoir été dévoré de doutes par la lecture des ouvrages prétendus philosophiques, j'ai ramené tout à l'examen et je suis catholique non parce que mes pères le furent, mais parce que la raison aidée de la grâce divine m'a conduit à la révélation[15]. »
Voyageant constamment entre Nancy et Metz, il doit à l'automne de 1774, rentrer au séminaire de Metz, comme cela lui est prescrit, pour la préparation à son ordination sacerdotale : il est finalement ordonné prêtre le [16].
Les sources concernant l'abbé Grégoire sont assez abondantes. Elles décrivent aussi bien l'homme que ses idées et permettent de se faire une image assez fidèle de son allure physique. Grégoire laisse le souvenir d'un homme de caractère fortement trempé et d'une certaine prestance.
Ses camarades d'enfance laissent de lui la description d'un enfant au « front large, élevé, au regard profond », décrivant « la fierté de sa démarche », mais aussi son penchant contemplatif[17].
Du Grégoire adulte, outre les portraits, on a beaucoup de descriptions, doublées des interprétations de ces descriptions. L'engouement pour la physiognomonie à la fin du XVIIIe siècle conduit Grégoire à demander à son ami le pasteur Jean-Frédéric Oberlin de dresser par écrit son portrait détaillé, en 1787 : « Le front, le nez : très heureux, très productif, très ingénieux ; le front : haut et renversé, avec ce petit enfoncement : un jugement mâle, beaucoup d'esprit, point ou guère d'entêtement, prêt à écouter son adversaire ; idées claires et désir d'en avoir de tout ; le nez : witzig… spirituel, plein de bonnes réparties et de saillies heureuses, mais bien impérieux : la bouche : talent admirable d'un beau parleur, fin, moqueur, excellent satirique… c'est une bouche qui ne reste en dette avec personne et paye argent comptant ; le menton : hardi, actif, entreprenant[18] ». Outre ce portrait amical (certainement flatteur), fait avant la Révolution et donc dans la jeunesse de Grégoire, on dispose d'un portrait minimal pour son passeport en 1820 (il est donc alors âgé de 70 ans), lui attribuant une taille de 1,77 mètre[19], des cheveux châtains et les yeux bruns, mais également du témoignage d'une lady anglaise, qui fréquente Henri Grégoire sous la Restauration, donc dans ses vieux jours : « Dans son air, dans ses manières, jusque dans ses expressions une sorte d'originalité, un je ne sais quoi qui sortait de la ligne d'un caractère ordinaire. […] On remarque peu de vieillesse dans l'évêque de Blois, quoiqu'il approche de 70 ans. Ses manières vives et animées, son esprit actif et vigoureux, son extérieur intéressant et portant un grand caractère, tout en lui semble défier les ravages du temps et être inébranlable aux chocs de l'adversité[20]. » « Un grand caractère » : de son vivant déjà, mais également dans l'historiographie, Grégoire est vu comme ayant un caractère très affirmé. Ses amis mêmes le disent, comme Hippolyte Carnot qui note la ténacité, mais aussi la vive irritabilité de Grégoire[21]. Oberlin note que « l'acquisition de la profonde et cordiale humilité évangélique vous fera un peu de peine », façon aimable de signaler la dualité que Charles-Augustin Sainte-Beuve a exprimé plus clairement : « l'homme de bien, homme de colère, et souvent si loin du pardon[22]. »
Le caractère vif et parfois emporté de Grégoire est donc souligné, mais on met en valeur également son ouverture d'esprit : « Nous le verrons faire preuve d'un certain éclectisme », dit de lui Augustin Gazier[23], et sa carrière est marquée par une extrême diversité de centres d'intérêt.
Après son ordination et comme la majorité des jeunes prêtres à l'époque, Henri Grégoire devient vicaire de paroisse, d'abord à Château-Salins puis à Marimont-lès-Bénestroff. Ce n'est qu'en 1782 que l'abbé Cherrier, son ancien professeur à Emberménil, le désigne pour prendre la charge de ses deux paroisses d'Emberménil et de Vaucourt comme curé[24].
L'abbé Grégoire est alors très préoccupé par l'éducation de ses paroissiens. Selon lui, le curé est la pierre d'angle de l'Église mais aussi de toute la société. Il est le directeur spirituel et le guide temporel de ses paroissiens[25]. Il souhaite combattre un certain nombre de leurs préjugés, notamment en matière d'agronomie. Il aide les agriculteurs à rationaliser leur production et à l'augmenter. Il lutte également contre les almanachs, qui selon lui pérennisent les superstitions et de fausses méthodes de culture :
« Pour huit sols, chaque paysan se nantit de cette collection chiromancique, astrologique, dictée par le mauvais goût et le délire. Le débit, à la vérité, en était moindre depuis quelques années, parce que, grâce au clergé du second ordre[26], des idées plus saines de toutes espèces, pénètrent jusque dans les hameaux[27]. »
L'éducation morale et hygiénique de ses ouailles est également importante pour lui. Il a dans sa cure une bibliothèque mise à la disposition des habitants du village, et qui contient 78 ouvrages pratiques, qu'il leur laisse à la fin de sa charge[28] :
« J'avais une bibliothèque uniquement destinée aux habitants des campagnes ; elle se composait de livres ascétiques[29] bien choisis et d'ouvrages relatifs à l'agriculture, à l'hygiène et aux arts mécaniques[30]. »
Le village d'Emberménil compte alors seulement 340 communiants, ce qui permet à Grégoire d'avoir des activités annexes à sa charge pastorale. Il est connu localement comme un bon prédicateur et est souvent invité à prêcher dans les paroisses voisines. Son désir de faire sortir ses paroissiens de ce qu'il appelle l'« obscurantisme » l'a amené à aller chercher ailleurs des exemples de bons pasteurs, y compris lorsque ceux-ci sont protestants. C'est ainsi qu'il rencontre le pasteur Jean-Frédéric Oberlin, considéré comme un modèle, mais qui habite assez loin d'Emberménil. Oberlin vient visiter Grégoire en 1785, et celui-ci se rend chez son ami protestant au Ban de la Roche en 1787 pour voir sur place les résultats de la méthode d'éducation des campagnes mise en place par Oberlin[31].
En dehors de sa paroisse, et dans la lignée de son Éloge de la poésie, Grégoire mène une vie intellectuelle active. Il parle l'anglais, l'italien et l'espagnol, et dans une moindre mesure l'allemand, ce qui lui permet d'être au courant des nouveautés intellectuelles[32].
Il s'intéresse notamment au fonctionnement démocratique de la Confédération suisse. Il se rend en Suisse où il rencontre Johann Kaspar Lavater et Johannes Gessner, qui l'aident également dans ses travaux d'agronomie.
Depuis 1776 il est membre de la Société philanthropique et charitable de Nancy. Cette appartenance fait souvent dire de lui (et encore aujourd'hui) qu'il aurait appartenu à la franc-maçonnerie. On[33] prête à l’abbé Grégoire d’avoir été initié à la loge des Neuf Sœurs (dite loge des Philosophes)[34] ou encore membre de la loge l’Harmonie à l’Orient de Paris, sans apporter de preuves, ni donner de dates. Mais de l’aveu même d’historiens francs-maçons, « aucun indice ne démontre cette appartenance, même si l’abbé fréquenta à Nancy une société philanthropique, comme il en existait beaucoup à l’époque, dans laquelle les francs-maçons étaient nombreux. »[35]. Il semble donc bien qu'il n'a pas été membre d'une quelconque loge, même si les francs-maçons lui ont souvent rendu hommage et qu'une loge porte son nom[36]. L'amalgame viendrait des liens entre le philanthropisme allemand, mouvement d'origine piétiste, et la franc-maçonnerie politique française, volontiers gallicane et anti-vaticaniste.
Grégoire est également membre de la Société des philanthropes de Strasbourg, fondée par Jean de Turckheim vers 1776[37]. Ouverte à toutes les confessions, cette société a des membres à travers toute l’Europe, dont de nombreuses autorités maçonniques allemandes, françaises et suédoises. Elle s’inspire du piétisme allemand et du philanthropisme développé notamment par Basedow. Outre la pratique de la charité, on s’y intéresse à l’agronomie, à l’économie, à la géographie, à la pédagogie et on y prône la tolérance[38]. En 1778, cette société lance un concours sur l’amélioration du sort des juifs, pour lequel Grégoire rédige un mémoire, qui sert de base pour celui qu'il présentera neuf ans plus tard au concours lancé par l'Académie Royale de Metz ; un exemplaire de ce mémoire de 1778 est conservé au Musée Lorrain de Nancy. Faute d’argent, le prix n'est pas versé, mais le curé d’Emberménil dit plus tard avoir remporté ce prix.
Quoi qu'il en soit, cet intérêt pour la philanthropie lui permet de rencontrer de nombreuses personnalités, notamment protestantes. Ses activités sont principalement tournées vers le perfectionnement de l'agriculture et l'instruction des pauvres, l'abolition de l'esclavage et l'émancipation des juifs.
Les prémices de la Révolution française se font sentir avec acuité dans le clergé lorrain. En 1787, une assemblée provinciale réunissant le clergé et contrôlée entièrement par l'évêque cristallise le mécontentement des curés. L'un d'eux, Guilbert, curé de la paroisse Saint-Sébastien de Nancy, appelle ses confrères à former un syndicat de curés qui se bat pour que les prêtres aient de meilleurs revenus au détriment des évêques et des chanoines qui concentrent les richesses du clergé[39]. Il est secondé dans sa tâche par Grégoire. Ils participent à la fin de l'année 1788 à une réunion avec le tiers état à l'hôtel de ville de Nancy, où est prise la décision de dépêcher deux députés au roi pour lui demander la confirmation de la tenue des États et leur mode d'organisation. En vue de cette démarche, ils font signer une pétition aux curés, qui recueille près de 400 signatures[40].
L'action des curés lorrains a plusieurs buts : avoir des députés aux États provinciaux et généraux, mais aussi obtenir des avancées dans le mode d'organisation de ces États. Ils demandent notamment, en totale adéquation avec le tiers état, que le vote soit fait par tête et non par ordre aux États généraux. Ils renoncent également à tout privilège fiscal, solidairement avec la noblesse.
Dans cette organisation syndicale, Grégoire a le rôle de « commissaire du clergé », qu'il partage avec onze autres confrères. Il diffuse le procès-verbal de la réunion du qui a fixé les buts du clergé auprès des curés et des vicaires lorrains, en élargissant le débat : il demande à ses confrères « des observations et des mémoires sur tous les objets à traiter dans ces États », sortant clairement des simples doléances du bas-clergé. Il acquiert à cette occasion une expérience parlementaire et développe ses talents d'orateur[41].
Le mouvement des curés lorrains s'enlise ensuite dans des querelles de personnes, mais l'abbé Grégoire s'en tient prudemment éloigné, ce qui lui permet d'être élu député du clergé aux États généraux de 1789.
Il part donc pour Versailles le , accompagnant son évêque Anne-Louis de la Fare. Son mandat va bien plus loin qu'une simple représentation de son ordre, il considère qu'il a un « ministère sacré » à remplir.
En ce sens il s'inscrit parfaitement dans cette « insurrection des curés » (selon l'expression du temps) qui agite la France pré-révolutionnaire. Mais il la pousse plus loin qu'un simple mécontentement et, à l'instar de ses confrères lorrains dont la réflexion allait plus loin que dans les autres provinces, elle lui donne une « expression doctrinaire »[42]. René Taveneaux, comme avant lui Edmond Préclin[43], y voit une mise en pratique des idées richéristes et d'une démocratie inspirée par Pasquier Quesnel.
En effet, les curés remettent en cause l'ordre traditionnel à l'intérieur de l'Église, fondé sur la hiérarchie. Ils appliquent un « janséno-richérisme »[44], qui souligne le rôle spirituel fondamental des curés et leur institution divine, tout en proclamant par conséquent des revendications politiques et sociales novatrices.
Dans un contexte lorrain marqué pendant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle par une lutte entre, d'une part, l'évêque et les curés, et, d'autre part, le clergé régulier et le clergé séculier, les idées quesnelliennes sur l'importance des curés comme conseils de leur évêque ont fait florès. Les mauvaises conditions économiques de la décennie pré-révolutionnaire touchent de plein fouet les curés des paroisses modestes et accentuent une aigreur qui se fait plus grande encore quand la réaction nobiliaire ferme l'accès aux évêchés et même aux chapitres cathédraux (celui de Metz est anobli en 1780)[45].
Telle est l'analyse d'Edmond Préclin et de René Taveneaux, qui expliquent la colère des curés par une individualisation du jansénisme et une rencontre profonde avec le richérisme, formant un corps de pensée politique et moins religieux. Cette analyse a été cependant combattue par l'historien américain William H. Williams : il considère que cette tendance au corporatisme, doublée d'une nostalgie de l'Église primitive, n'est pas véritablement janséniste mais plutôt une exaltation de l'utilité sociale du curé. Il nomme l'ensemble « parochisme », en ce sens que pour les curés de l'époque pré-révolutionnaire, la paroisse est l'unité de base de la vie religieuse, fer de lance de la lutte contre des Lumières anticléricales. Il pense que, si jansénisme il y a, celui-ci est profondément religieux et verse plutôt vers le conservatisme anti-révolutionnaire[46].
Dale Van Kley, dans sa somme sur Les Origines religieuses de la Révolution française, reprend cependant l'analyse de Taveneaux en soulignant le profond lien entre théologie et politique dans la jansénisation des curés français à la fin du XVIIIe siècle. Il montre comment le jansénisme de cette époque, nourri de gallicanisme, de richérisme et de « patriotisme » (au sens de l'époque) mène à la fois vers un engagement révolutionnaire, comme pour Grégoire, et parfois à l'engagement inverse (c'est le cas d'Henri Jabineau)[47].
L'intégration d'Henri Grégoire dans le personnel révolutionnaire dès le début des événements n'est donc pas un hasard. Il part à Versailles soutenu par ses confrères et nourri par des années de réflexion théologico-politique. Il retrouve également à Versailles un certain nombre de confrères imprégnés des mêmes idées.
Élu député du Premier Ordre (le Clergé qui avait 291 élus) en 1789 par le clergé du bailliage de Nancy aux États généraux, Henri Grégoire se fait rapidement connaître en s'efforçant, dès les premières sessions de l’Assemblée, d’entraîner dans le camp des réformistes ses collègues ecclésiastiques et de les amener à s'unir avec le tiers état.
Il contribue à la rédaction de la Constitution civile du clergé et parvient, par son exemple et par ses écrits, à entraîner un grand nombre d’ecclésiastiques hésitants. Il est ainsi considéré comme le chef de l'Église constitutionnelle de France. Il est le premier à prêter serment[53], devenant ainsi un prêtre jureur ou assermenté.
Après la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes-en-Argonne, dans le débat sur la question de l’inviolabilité de la personne du roi qui s'ensuit, Grégoire se prononce vivement contre le monarque, et demande qu’il soit jugé par une Convention.
L’Assemblée constituante est dissoute le 30 septembre 1791 et le 1er octobre est ouverte l'Assemblée législative à laquelle tous les députés de la Constituante sont inéligibles. C’est alors que Grégoire remplit totalement son office d’évêque de Blois, d’où il continue son œuvre politique. De son diocèse, il multiplie « les lettres pastorales comme autant de tribunes dédiées à la voix de la révolution »[54].
C'est ainsi qu’en mars 1792, il fait un discours[55] dans la cathédrale de Blois devant un parterre de notables à l'occasion d'un hommage funèbre à Simonneau, pour prendre la défense de ce maire d'Étampes, tué le 3 mars par des manifestants pour avoir voulu imposer la loi martiale alors que celle-ci est proclamée par l'Assemblée législative, en raison de graves troubles liés à la hantise des disettes et famines de ces années difficiles. En effet en 1792, la valeur de l’assignat commence à chuter et les récoltes sont très mauvaises, les produits de première nécessité subissent la spéculation financière et l'inflation déclenche des émeutes populaires pour obtenir la limitation des prix[54].
Dans la région d'Étampes, des groupes organisés de villageois viennent rançonner les fermiers pour obtenir d'eux des produits de base au juste prix'[56]. Le maire Simonneau essaie de faire appliquer la loi pour protéger les paysans et les marchands d'Étampes en refusant de les obliger à diminuer le prix de leur blé et du pain. Il est alors frappé de coups de bâtons au milieu de son escorte militaire qui s'enfuit et il meurt de coups de fusil[57].
C’est donc à l’opposé des prises de position de beaucoup de jacobins dont Robespierre, que Grégoire prend sa défense. Mais ce discours de Grégoire est à double face. Il s'exprime au nom de la loi, car pour lui elle garantit la constitution et la république – et en cela il présente « une position inhabituelle pour un défenseur du peuple et de ses révoltes contre l’oppression dans la mesure où il prend le parti de la répression »[54] – mais sans approuver la répression de la liberté illimitée du commerce votée en 1789 par l'assemblée constituante et le sacro-saint principe de la propriété. Ses positions montrent la complexité du personnage Grégoire[54]
Le département du Loir-et-Cher l’élit député à la Convention nationale. Dès la première séance, le , fidèle à ses prises de position antérieures, il monte à la tribune pour défendre avec vigueur la motion sur l’abolition de la royauté proposée par Collot d’Herbois, et contribue à son adoption. C'est dans ce discours que l'on a retrouvé cette phrase mémorable : « Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre naturel ».
Élu le 17 octobre, il refuse de siéger au comité de sûreté générale, ainsi que huit autres élus[58]. Élu président de la Convention, entre le 15 et le 29 novembre 1792, l'abbé Grégoire la préside en tenue épiscopale.
À la question de savoir si Grégoire a été de ceux des députés de la Convention qui ont votés - ou non - la mort du roi, la réponse reste controversée jusqu'aux historiens actuels. L'historienne française Françoise Hildesheimer n'entend pas « tirer une conclusion décisive » dans son ouvrage[59], argumentant que la réponse peut reposer sur un parti pris plus ou moins politique (de droite ou de gauche), ou selon que l'on est détracteur ou louangeur de Grégoire[60].
Après la Révolution, et jusqu'à sa mort, l'abbé Grégoire se défend de l'accusation de régicide portée par des royalistes ou des épiscopaux au second concile de Paris de 1801 (peut-être même au premier de 1797). Ses dénégations ont été validées sur parole par de nombreux historiens au nom de sa religion ou de sa philosophie abolitionniste qui lui interdiraient de verser le sang. Quoi qu'on puisse penser en bien ou en mal des votes de qui aboutissent à l'exécution du roi, la pensée (Voulait-il la mort du roi ?) et l'action (A-t-il voté ou non sa mort ?) de l'abbé sont controversées de son vivant et le restent aujourd'hui pour les spécialistes dont les avis divergent.
Au moment des votes pour ou contre la mort du roi, Grégoire n'est pas présent à Paris, et ne participe donc pas au vote sur la mort de Louis XVI : il est noté absent pour commission à l'appel nominal ; en effet il est alors envoyé en mission pour régler différentes questions relatives au rattachement de la Savoie et du Comté de Nice à la France. Trois collègues l'accompagnent : Marie-Jean Hérault de Séchelles, Philibert Simond et Grégoire Jagot. À la fin février 1793 ils se séparent par groupe de deux : Hérault et Simond restent dans le Mont-Blanc tandis que Grégoire et Jagot prennent le chemin des Alpes-Maritimes. Ce département est créé en 1792, composé du comté de Nice détaché du royaume de Sardaigne et réuni à la France, ainsi que de la principauté de Monaco, qui comporte à l'époque Monaco, Roquebrune-Cap-Martin et Menton, annexée.
Grégoire se prononce une première fois avant son départ en Savoie le 25 brumaire an I (). Il s'exprime en faveur de l'abolition de la peine de mort (mais pas du pardon chrétien, du fait même de sa volonté de juger et de punir Louis XVI). Mais loin de demander que Louis XVI bénéficie le premier de cette abolition, dans le cadre d'une peinture au vitriol de la royauté, il entend a priori mettre le roi à égalité avec tous les autres repris de justice et se demande même s'il ne faut pas faire une exception : « Et moi aussi je réprouve la peine de mort ; je l'espère ce reste de barbarie disparaîtra de nos lois. Il suffit à la société que le coupable ne puisse plus nuire : assimilé en tout aux autres criminels, Louis partagera le bienfait de la loi si vous abrogez la peine de mort, vous le condamnerez alors à l'existence afin que l'horreur de ses forfaits l'assiège sans cesse et le poursuive dans le silence de la solitude… Mais le repentir est-il fait pour les rois ? »[61]
De nombreux conventionnels abolitionnistes (Robespierre, Saint-Just, Jeanbon Saint-André, Marat, Joseph Lequinio, Lepeletier de Saint-Fargeau) votent inconditionnellement pour la mort du roi, considérant que de toute façon en comme la peine de mort est encore dans la loi, la république ne peut faire d'exception pour Louis XVI[62]. Le problème se pose aussi pour Grégoire ce fameux .
En janvier, ses trois collègues commissaires envoient de Chambéry à Paris une lettre pour demander « la condamnation à mort de Louis Capet par la Convention nationale sans appel au peuple ». Mais selon les allégations post-révolutionnaires de Grégoire, c'est-à-dire postérieures au 18 brumaire an VIII (), publiées pour la première fois en novembre 1801 dans Les Annales de la religion par son ami François-Xavier Moïse, il aurait fait retirer de cette lettre les mots « à mort » avant de la signer. Cette lettre est aujourd'hui perdue. Pas moyen de vérifier. La réalité est peut-être autre.
Le lundi matin 28 janvier 1793, un bulletin jacobin bi-quotidien de quatre pages, le Créole Patriote[63] de Claude Milscent, publie avec un mot d'accompagnement de André Jeanbon Saint-André, député montagnard du Lot, une note de Hérault de Séchelles, Grégoire, Simond et Jagot. Elle indique leur « vœu formel », censé dissiper l'ambiguïté des termes, « pour la condamnation de Louis Capet sans appel au peuple » (et dénoncée à ce titre au club des jacobins) : « Pour la mort de Louis sans appel au peuple ».
Un second document, autographe lui, daté du 16 février 1793 montre Saint-André écrire aux quatre commissaires pour les informer qu'en réaction à des insinuations négatives relatives à l'équivoque d'une lettre officielle ne comprenant pas la mention "à mort", il fait précisément publier dans le Créole Patriote leur note informant la Convention de leur vrai but pour la mort de Louis sans appel au peuple. Or dans ses Mémoires en 1808 tout en niant avoir voulu la mort du roi, Grégoire reconnaît l'existence d'une intervention en faveur des quatre députés missionnaires, effectuée par Jeanbon Saint-André au club des jacobins[64],[65],[66], en même temps qu'il se refuse « à émettre une opinion sur ses collègues régicides qui ont suivi la voix de leur conscience »[67].
D'après Eugène Welvert[68] et Jean-Daniel Piquet, l'abbé Grégoire n'ayant pas protesté dans ses Mémoires contre les interventions de Jeanbon Saint-André, il y a lieu de croire qu'elles correspondaient à ses opinions du moment. Le il reproche aux « législateurs » d'avoir « royalisé » ces contrées « par la longueur de vos discussions sur le compte d'un tyran qu'il fallait se hâter d'envoyer à l'échafaud » (pour Grégoire, l'appel au peuple, l'amendement Mailhe, le sursis sont des atermoiements qui mettent le peuple du côté du roi et la république en danger)[69]. Il regrette donc, comme Jeanbon Saint-André l'avait dit le 30 novembre 1792, que l'on n'ait pas été plus expéditif à l'égard de Louis XVI dont la vie et le procès même, à leurs yeux, mettaient en danger la république.
Bernard Plongeron conteste ces éléments, estimant que la note co-signée par Grégoire a été seulement insérée dans Le Créole Patriote, journal à ses yeux "très confidentiel", et qu'on ne saurait à ce titre promouvoir au rang de "sources" et de pièce à conviction. Le document autographe de Saint-André envoyé aux commissaires n'est pas commenté. Bernard Plongeron s'étonne par ailleurs qu'on puisse soupçonner Grégoire de s'être comporté comme une girouette entre novembre 1792 et janvier 1793 ; eu égard à l'intrépidité du personnage dans ses combats sous la Restauration et de ses démentis constants de l'accusation de régicide[70].
À partir des attaques dont Grégoire fait l'objet au club des Jacobins et du fait que son avis n’est pas pris en compte par la Convention, l'historienne américaine, Allyssa Goldstein Sepinwall[71] jette à son tour, le doute sur l'authenticité de la signature de Grégoire dans la note publiée par le Créole Patriote. Ses trois collègues auraient pu signer la note à son insu en son nom après qu'il les a forcés à refaire la lettre sans la mention "à mort". Mais Chez Grégoire, d'après elle, l'équivoque et la girouette n'en priment pas moins : « On peut dire avec certitude que Grégoire s'essaya dans les deux voies. En 1792 il s'opposa à la peine de mort pour apaiser sa conscience religieuse, mais il demeura ambigu, à propos de ses véritables sentiments lorsque le verdict fut rendu, et il soutint l'exécution qui s'ensuivit afin de s'assurer de la punition du roi et de conserver son influence politique. L'ambiguïté présumée de la lettre (après tout il aurait pu choisir l'expression plus explicite de condamné à vie) dans le contexte de ses déclarations violemment antimonarchiques lui permit de garder de bonnes relations avec les patriotes de la Révolution sans toutefois avoir l'impression de violer ses croyances chrétiennes. Par conséquent lorsque Grégoire déclare n'avoir jamais changé d'opinion, il dissimule en réalité des choix stratégiques qu'il dut faire à des moments précis »[72]. Cette auteure fait cependant l'impasse sur le mot d'accompagnement de Jeanbon Saint-André à la note parue dans le Créole Patriote du 28 janvier 1793-matin[63], sur la lettre de confirmation qu'il a envoyée aux commissaires le 16 février 1793 et sur la mention de son nom par Grégoire comme leur défenseur au club des Jacobins, dans ses Mémoires.
D'après Louis Maggiolo[73], les termes assez violents de la lettre officielle contre « ce roi parjure » laissent difficilement croire à une interprétation clémente du mot condamnation, et toujours d'après lui ses discours ultérieurs « lui donnèrent durant la Terreur le bénéfice et la sécurité du régicide »[74].
Françoise Hildesheimer, qui ne se prononce pas péremptoirement sur la question du régicide[59], souligne le bien-fondé des remarques d'Allyssa Goldstein Sepinwall et de Louis Maggiollo et admet, sur la base de recherches érudites condamnées par les laudateurs de Grégoire, « quelques accommodements opportunistes » contraires à « la vertu morale » qu'ils célèbrent en lui. Elle s'interroge également, à partir du cahier de correspondance d'Hérault de Séchelles sur la version de Grégoire quant à la mention « à mort » retirée d'un texte originel rédigé et signé par ses trois collègues[75]. Françoise Hildesheimer relève que l'original du texte lu à la Convention le 19 janvier s'y trouve « identique et unique, sans rature aucune ni autre jet contenant l'expression condamnation à mort de Louis Capet »[76]. Elle pose alors la question :
« Grégoire aurait-il réécrit l'histoire et se serait-il inventé une attitude vertueuse ? »[77]
Elle relève que certains historiens, tels que Bernard Plongeron, « à la réaction indignée et méprisante », Rita Hermon-Belot et quelques autres, qui « avaient largement ignoré les documents exhumés par Eugène Welvert, contestent ces pièces »[78]. À leurs yeux ils alimentent une « légende noire » mettant le personnage en contradiction avec ses principes religieux. Mais ces historiens, relève-t-elle, ne discutent pas de la « légende dorée » qu'ils avaient au contraire créée ou validée, erreurs à l'appui, lors du bicentenaire de la Révolution. Ainsi, en se basant sur l'article de François Moise, Bernard Plongeron, qu'elle considère comme « l'historien autorisé », a invoqué en 1989, au côté de la lettre collective du 13 janvier l'existence d'une missive personnelle de Grégoire où il indiquerait que « s'il reconnaissait à la Convention le droit de juger Louis XVI, sa religion lui défendait de répandre le sang des hommes »[79]. Or F. Hildesheimer après vérification a relevé que cette lettre n'a, au contraire, pas été signalée par l'article de Moise[80], qu'elle est restée « introuvable », alors même qu'elle « l'aurait lavé de tout soupçon »[81].
Seul élément authentique apparemment à décharge pour Grégoire dans ce dossier, invoqué par Grégoire et ses défenseurs, François Moise en 1801, puis Pierre Fauchon et Georges Hourdin en 1989, la réaction de l'abbé Claude Fauchet, député girondin du Calvados, publiée dans son périodique le Journal des Amis du 2 février 1793. Hostile à tout procès et à toute condamnation du roi, Fauchet s'abstient sur la culpabilité, vote pour l'appel au peuple, pour la détention durant la guerre, le bannissement à la paix, puis pour le sursis et considère que Grégoire n'a pas voulu la mort du roi à la lecture de la lettre officielle du 13 janvier 1793.
Selon Rita Hermon - Belot et la préfacière de son livre, Mona Ozouf, de tels commentaires témoignent assurément de l'opinion générale de la Convention Nationale à l'égard de la position de Grégoire sur le sujet, quelle qu'ait été celle-ci : tout le monde considérait qu'il s'opposa à la mort du roi en janvier 1793[82].
Françoise Hildesheimer infléchit cette interprétation :« Selon lui [Fauchet] Grégoire a écrit avec les autres commissaires du Mont-Blanc, qu'il votait pour que Louis fut jugé sans appel par la Convention Nationale ; mais la nature de la peine à infliger n'est point marquée dans cette lettre »[83]. Il reste que, si Fauchet a cru devoir faire cette mise au point, c'est que la lettre du quatuor était ambiguë[83].
De son côté en étudiant sa proximité en 1793 et 1794 avec les milieux jacobins et montagnards sur l'affaire du régicide et des questions coloniales Jean-Daniel Piquet relève que les allégations de Fauchet présentées comme assurées, débutent par « je pense que » et relèvent donc d'une interprétation personnelle dénuée de toute preuve documentaire ou même de témoignage oculaire[84],[85]. Et l'intervention du montagnard jacobin Jeanbon Saint-André est là pour démontrer que les députés qui votent dans une écrasante majorité — à la différence de Fauchet — pour la culpabilité de Louis XVI, contre l'appel au peuple pour la mort et contre le sursis, sont désormais convaincus, comme le député du Lot, que Grégoire et ses trois collègues missionnaires s'étaient prononcés « pour la mort de Louis sans appel au peuple ». Jean-Daniel Piquet a également relevé que Fauchet entend peut-être répondre à d'autres brissotins, qui ont interprété la lettre apparemment ambiguë du 13 janvier comme un appel clair à la mort de l'accusé. Ainsi en a-t-il été de Antoine-Joseph Gorsas qui vote l'appel au peuple et le bannissement. Dans le numéro du 20 janvier 1793 de son journal, le courrier des quatre-vingt-quatre départements, Gorsas écrit à propos des quatre commissaires, « qu'ils sont convaincus de ses crimes, et qu'ils votent pour la condamnation à mort, sans appel au jugement du peuple. Cette lettre, signée Grégoire, Hérault, Jagot et Simon (sic), obtient le décret de mention honorable »[86].
À propos de l'épithète « régicide » ou « non régicide », basée sur le critère strict du vote parisien à la Convention, Jean-Daniel Piquet considère que « si Grégoire n'est pas de ceux qui ont contribué à faire périr le roi de par son son statut d'"absent pour commission", pour la même raison il n'est pas de ceux, minoritaires mais nombreux, qui tentèrent de le sauver »[87].
En sous la Législative, à Blois dans son discours sur Simonneau, alors très remonté depuis contre la monarchie, il commence par dénoncer les rois comme « bourreaux du peuple », « fainéants titrés », « brigands couronnés », « fléaux de la terre », « tyrans »[88].
Sous la Convention dans le Mont-Blanc dès l'annonce en de la mort de Louis XVI, Grégoire s'inscrit dans le double concept religieux et antique du « tyrannicide ». Ainsi écrit-il dans une adresse aux habitants du Mont-Blanc :
« Grâce au Ciel, on ne jurera plus fidélité à un roi, puisque le fléau de la Monarchie a été anéanti ainsi que le tyran qui en était revêtu. Désormais les ecclésiastiques doivent jurer de maintenir la liberté, l’égalité ou de mourir en les défendant en y joignant la clause de veiller fidèlement sur les fidèles confiés à leurs soins[89]. »
Visiblement Grégoire exprime un soulagement religieux à l’annonce de l’échec cinglant de l’ultime tentative de sauvetage du roi : le sursis[90]. À l’instar de certains montagnards, il clame vis-à-vis de ses coreligionnaires « liberté, égalité ou la mort ». Certains analystes tels que Rita Hermon-Belot et Mona Ozouf ont distingué sa haine viscérale de la monarchie, ses appels au meurtre des rois étrangers, d'une aspiration à la clémence pour Louis XVI ou d'une hésitation sur le sujet[91]. Ce texte écrit juste après l’exécution de Louis XVI et publié dans les œuvres de Grégoire, fragilise le bien-fondé des doutes émis par certains quant à l'authenticité de la note publiée dans le Créole Patriote du -matin ou sur la falsification éventuelle de sa signature personnelle. Il a été par ailleurs relevé ultérieurement tout à la fois sa haine, en l'an II, de la tyrannie monarchique et son opinion clairement assumée en faveur des régicides historiques du et du ; chacune des deux journées qui voient les exécutions de Louis XVI et de Charles Ier :
« Tout ce qui est royal ne doit figurer que dans les archives du crime. La destruction d’une bête féroce, la cessation d’une peste, la mort d’un roi, sont des moments d’allégresse pour l’histoire de l’humanité. Tandis que par des chansons triomphales nous célébrons l’époque où le tyran monta sur l’échafaud, l’Anglais avili porte le deuil anniversaire de Charles 1er, l’Anglais s’incline devant Tibère et Sejan»[92]. »
L'abbé Grégoire s'associe donc pleinement en 1794 aux célébrations nationales du premier anniversaire de la journée du ; mais aussi par la négative du premier martyr de la Montagne, Lepeletier de Saint-Fargeau, assassiné le pour avoir voté la mort de Louis XVI. Il lui compare le tyrannicide Harmodius, qui malgré ses origines aristocratiques mourra en martyr pour avoir tué un tyran. D'après l'abbé Grégoire, Harmodius a exécuté « Pisistrate[93], le Capet d'Athènes qui avait à peu près l'âge et la scélératesse de celui que nous avons exterminé »[94].
Entre-temps, le , juste après l'expulsion des ténors de la Gironde, sur laquelle il ne se prononce cependant pas, il clame la nécessité de faire un « exemple terrible » en punissant « du supplice du tyran le chef de la force armée qui menaçait la Convention »[95].
Relevons quand même que si sa haine de la tyrannie est intransigeante, celle des monarques n'est pas aussi absolue. Au moment de quitter Blois pour Paris à l'été 1792, il prononce un sermon dans lequel il admet que deux rois de France sur les soixante-dix ayant régné méritaient considération[96]. Il s'agissait de saint Louis et de Charles V[97].
La notion de vandalisme est démocratisée par les écrits de l'abbé Grégoire dans un rapport adressé à la Convention nationale en , en pleine Révolution française, après Chute de Robespierre en thermidor an II. Il met en avant la destruction massive et impunie des monuments et objets qu'il considère « nationaux ». Il participe à la sauvegarde contre les pillages de certains lieux, comme la basilique de Saint-Denis, au motif qu'ils font partie de l'histoire de France. Il joue un grand rôle dans la prise de conscience patrimoniale et demande la conservation des monuments de l'ancienne France monarchique, pourtant cibles des émeutes. Cette notion de vandalisme puisait ses origines sémantiques et étymologiques dans le mot vandales, un peuple germanique acteur des grandes invasions du Ve siècle, considéré depuis le Haut Moyen Âge comme un peuple barbare. Dans ses Mémoires, l'abbé Grégoire revendique la paternité de ce néologisme, et déclare l'objectif de sa démarche :
« Je créai le mot pour tuer la chose »
— Henri Grégoire, Mémoires de Grégoire, ancien évêque de Blois, 1837[110],[111]
Cet engagement préfigure la création du statut de monument historique, qui est effective à partir de 1840. Cependant, là non plus, il ne faut pas prendre à la lettre ses déclarations post-thermidoriennes[Lesquelles ?], comme l'ont montré James Guillaume[112] puis Serge Bianchi[113]. D'après le premier, notamment, en l'an II, Grégoire agit en osmose avec le comité de salut public (qu'il accuse par la suite d'avoir organisé le vandalisme) : protection des monuments patrimoniaux exigée par le comité mais destruction de toutes les pièces royales, sous réserve qu'elles ne symbolisent pas un acte régicide. Ainsi le 14 fructidor an II- (donc après la chute de Robespierre) Grégoire qualifie d'agents de l'Angleterre des vandales qui venaient de détruire une estampe représentant l'exécution en 1649 de Charles Ier, et regrette l'absence d'estampes de ce type pour chacun des rois de France[réf. nécessaire].
Malgré la Terreur, il ne cesse de siéger à la Convention en habit ecclésiastique et n'hésite pas à condamner vigoureusement la déchristianisation des années 1793 et 1794. Plusieurs fois, il échappe de peu à une arrestation. Il n'en continue pas moins de se promener dans les rues en tenue épiscopale et à célébrer tous les jours la messe chez lui. Sans doute est-il soutenu à la Convention montagnarde par Robespierre et par Danton qui prononcent chacun en l'an I, le 1er frimaire an I () et le 6 frimaire an I (), un discours en faveur de la liberté des cultes. Le 15 pluviôse an I () Grégoire, Hérault de Séchelles, Simond et Jagot ont, sous le sceau du secret, écrit une lettre alarmiste à Danton dont ils connaissaient déjà l'esprit de tolérance religieuse et sa compétence missionnaire, pour l'informer de leur isolement et leur impopularité dans le département du Mont-Blanc[114]. Les facteurs d'opposition locale aux commissaires étaient alors nombreux : « opposition nobiliaire, cléricale, hostilité larvée des municipalités et des administrateurs provisoires, fidélité douteuse des Jacobins locaux, enfin et surtout hostilité générale des populations, chose terrible pour celui qui se croyait libérateur et se voit assimilé à un occupant »[115]. il y avait aussi espionnage « du Maire jusqu'au Mendiant », refus de « ne rien nous communiquer »[116]. Quant au secret du document « il s'explique probablement par la crainte d'un renforcement de l'anticléricalisme girondin que réprouvaient Danton et Robespierre[117]. »
On n'oubliera pas non plus la convergence sur le régicide[pas clair], Danton s'étant prononcé après son retour de mission pour la mort et contre le sursis puis fait repousser le jour du suffrage sur la peine une décision prise à la majorité des 2/3 des voix, proposée par le brissotin Lanjuinais[118]. Danton aurait même dit à la fin novembre 1792 : « Il ne faut pas juger le roi mais simplement le tuer[119] ».
Mais après la chute de Robespierre en juillet 1794, il acquiert l'hôtel particulier de Robespierre[réf. souhaitée] dans la rue du Pot-de-Fer dite du Verger (actuelle rue Bonaparte) et maintient cette pratique[Laquelle?]. Plutôt en contradiction avec ses autojustifications ultérieures d'un homme qui n'aurait pas voulu verser le sang d'un homme, le 13 thermidor an II/31 juillet 1794 il se félicite auprès de ses administrés des journées des 9 et 10 thermidor, des exécutions des frères Robespierre (Maximilien et Augustin), de Saint-Just, de Couthon et de Lebas[120]. Ce qui a fait dire à Françoise Hildesheimer : « Ni regret ni déploration du sang versé dans ce cas aussi »[121]. Ensuite, le , devant la Convention, Grégoire prononce sous les huées son Discours sur la liberté des cultes[122] où il demande la liberté pour les cultes et la réouverture des églises : « Pendant de longues années, je fus calomnié pour avoir défendu les mulâtres et les nègres, pour avoir réclamé la tolérance en faveur des juifs, des protestants, des anabaptistes. J’ai décidé de poursuivre tous les oppresseurs, tous les intolérants ; or je ne connais pas d’êtres plus intolérants que ceux qui, après avoir applaudi aux déclarations d’athéisme faites à la tribune de la Convention nationale, ne pardonnent pas à un homme d’avoir les mêmes principes religieux que Pascal et Fénelon[123]. »
La constitution de l'an III ( 22 août 1795) le fait entrer au conseil des Cinq-Cents (député de l'Hérault) ; le coup d'État du 18 Brumaire (9 novembre 1799) le porte au Corps législatif comme député de Loir-et-Cher[réf. nécessaire].
Présenté par le Corps législatif, le Tribunat et le Sénat conservateur, pour faire partie de ce dernier corps, ce n'est qu'après une assez longue hésitation qu'il accepte ces hautes fonctions le 4 nivôse an X ()[réf. nécessaire].
Il s'engage contre le rétablissement de l'esclavage par Napoléon après son coup d'État de 1799, quand « la censure et la propagande officielle »[124] du nouveau régime « imposent une idéologie massivement inégalitaire »[124], à une opinion publique souvent hostile, selon les rapports de police, via de nombreux articles de presse, brochures et gros ouvrages souhaitant rejeter l'apport des Lumières, « ouvertement au profit de théories pseudoscientifiques visant à classer et hiérarchiser »[124] les « races » humaines, « tout en proclamant hautement la vocation » des « êtres supérieurs » à « civiliser » les autres hommes[124], selon les analyses détaillées des publications de l'époque réunies par l'historien Yves Benot dans un livre de 1992[125]. Au même moment se manifeste la persistance de « pôles de résistance »[124],[125] à la censure, émanant d'anti-esclavagistes, pas seulement les plus connus, comme l'abbé Grégoire, mais également d'autres libéraux plus modérés incluant Amaury Duval, Pierre-Louis Ginguené, Jean-Baptiste Say, Joseph-Marie de Gérando, Dominique Dufour de Pradt et Antoine Destutt de Tracy[124],[125].
Malgré son opposition à Napoléon, il est nommé membre de la Légion d'honneur le 9 vendémiaire an XII () et commandant de l'Ordre le 25 prairial suivant. Il devint comte de l'Empire en 1808.
Pendant l'Empire et sous la Restauration, il écrit de nombreux ouvrages, notamment une Histoire des sectes en deux volumes (1810). Il fait partie, au Sénat conservateur, des rares opposants irréductibles à Napoléon Ier. Il fut l'un des cinq sénateurs qui s'opposèrent à la proclamation de l'Empire. Il s'oppose de même à la création de la nouvelle noblesse d’Empire puis au divorce de Napoléon Ier et de Joséphine.
Le , Grégoire est l’un des 64 sénateurs qui répondent à la convocation de Talleyrand pour proclamer la déchéance de Napoléon. Depuis le mois de janvier, il participe régulièrement à des réunions avec Lanjuinais, Garat et Lambrechts pour préparer un plan : ils envisagent la création d’un gouvernement provisoire et la réunion d’une assemblée constituante en cas de défaite de l'Empereur[126].
À la première Restauration, Grégoire veut que le Sénat déclare que la nation française choisit pour chef un membre de l'ancienne dynastie, et qu'elle se réserve de présenter une constitution libérale à l'acceptation et au serment du roi élu par lui. Sa proposition fut rejetée[127] et son auteur n'est alors pas compris dans la liste des nouveaux pairs.
L'ordonnance d'épuration de l'Institut de France qui frappe Carnot, Monge et quelques autres, ne peut pas épargner Grégoire.
Il est retiré à Auteuil[Où ?], lorsqu'à l’occasion des élections partielles du , qui constituent une victoire pour les libéraux (35 sièges remportés sur 55 à pourvoir), Henri Grégoire est élu député de l’Isère. Sa candidature a été soutenue par le journal Le Censeur, et par le comité directeur du parti libéral. Il doit son élection au report des voix ultraroyalistes, contre Rogniat, le candidat soutenu par le ministère. Par cette manœuvre, les ultras montrèrent à la fois leur opposition au gouvernement, et leur rejet de la loi électorale[128].
Chateaubriand écrit dans Le Conservateur : « Le mal est dans la loi qui couronne, non le candidat régicide, mais l’opinion de ce candidat, dans la loi qui peut créer ou trouver cinq cent douze électeurs décidés à envoyer à Louis XVIII le juge de Louis XVI »[129]. À l'autre bord, c'est bien « l'ancien juge de Louis XVI » déterminé dans les grandes occasions à verser le sang, que Stendhal vient soutenir à Grenoble quand il le qualifie de « plus honnête homme de France ». Car dans sa correspondance avec Adolphe Mareste, le il écrit : « Le bon entre amis c'est d'être francs ; comme cela on se donne le plaisir de l'originalité. Donc à l'âge près, je voudrais être Grégoire. Je ne trouve rien de plus utile qu'un twenty one j(anvier).(sic) Sans cela on n'aurait peut-être (sic) la const(itut)ion. Mon seul défaut est de ne pas aimer the Blood. »[130],[131],[132]
Cette élection crée un choc, d’autant plus que Grégoire conserve une réputation, méritée ou non, de régicide. Fraçoise Hidelsheiemer repose la question : « Il (Grégoire en octobre 1820) affirme enfin et surtout que dans la lettre écrite aux Archives il aurait exigé la radiation des mots "à mort", affirmation dont on a vu qu'elle posait un réel problème"[133] ».
L'élection de Grégoire provoque un retournement d’alliance au gouvernement, obligeant le centre alors aux affaires à s’allier à la droite. L’historien Benoît Yvert écrit : « L’élection de Grégoire annonce par conséquent la fin de la Restauration libérale[134] ». Ouverte le , la nouvelle session parlementaire s’enlise dès le dans un débat sur la manière d’exclure Grégoire de l’assemblée. Les libéraux, qui l’ont soutenu, essayent d’obtenir de lui sa démission, qu’il leur refuse. Une commission formée pour l’occasion découvr un vice de forme, mais on renonce à l’employer car il s’appliquerait de même à un grand nombre de députés. Finalement, le député Ravez propose de statuer sur l’exclusion en renonçant à lui donner un sens acceptable par tous les partis : elle est votée à l’unanimité moins une voix, celle du député du Nord Lambretchts[135],[128].
Il vit dès lors dans la retraite mais, toute pension - même celle d'ancien sénateur - lui étant supprimée, il est contraint de vendre sa bibliothèque. Malade, vraisemblablement atteint d'un cancer généralisé[136], sentant la fin de sa vie proche, il demande les secours de la religion. L'archevêque de Paris – le très légitimiste Hyacinthe de Quélen – y met pour condition que Grégoire renonce au serment prêté à la Constitution civile du clergé. L'ex-évêque, fidèle à ses convictions, refuse tout net. L'archevêque lui refuse donc l’assistance d’un prêtre et toute messe funéraire.
Passant outre les ordres de l’archevêché, l'abbé Guillon, confesseur de la reine[137], pourtant son opposant à la constitution civile du clergé, lui délivre néanmoins les derniers sacrements par charité chrétienne[138], dont l’extrême-onction. Ces sacrements, bien qu'illicites en raison de l'interdit prononcé par la hiérarchie de l'Église, ont néanmoins été administrés et célébrés en violation du droit canonique. Ce fait vaut à Guillon l'évêché de Beauvais où il vient d'être nommé[51].
Âgé de 80 ans, l'abbé Grégoire meurt à Paris dans l'hôtel particulier de l'actuel 44 rue du Cherche-Midi, le .
Une messe de funérailles est célébrée le 31 mai dans l’église de l’Abbaye-aux-Bois au 16 rue de Sèvres[139], réquisitionnée par le roi Louis-Philippe, puisque l'église lui refusait des obsèques catholiques[136]. Crémieux[140] et Bissette[141] prononcent l'éloge funèbre. L’étole de l’évêque de Blois et la cravate de commandant de la Légion d’honneur sont posées sur le cercueil qui est mis sur un catafalque, dont des jeunes gens détachent les quatre chevaux pour le tirer eux-mêmes[136]. Le corps de l’évêque humaniste et gallican est ainsi conduit au cimetière du Montparnasse accompagné par vingt à vingt-cinq mille personnes, pour l'essentiel des ouvriers et des étudiants qui en font une grande manifestation politique[142],[51], mais aussi par des notables en particulier par quelques irréductibles de la Convention, tel La Fayette. Au cimetière, plusieurs discours sont prononcés, dont celui, violent, de Thibaudeau où il « jure de consacrer sa vie au culte de la patrie et de la liberté[51],[143] ». Selon le vœu de Grégoire, sur la croix de sa tombe, sont gravés ces mots : « Mon Dieu, faites-moi miséricorde et pardonnez à mes ennemis »[136].
Cette croix et la grille qui entoure la pierre tombale sont transportées en 1990 (après le transfert de la dépouille au Panthéon) à la commune d'Emberménil qui l'érige au pied de l'arbre de la liberté, à gauche de l'église et à quelques mètres du mémorial de l'abbé Grégoire[144].
Un des traits majeurs de l’œuvre de Grégoire durant toute sa vie publique est son combat constant, opiniâtre, passionné, contre l'esclavage et contre le racisme et pour l'émancipation des juifs. Sa vision d'une église revenant à la simplicité évangélique, remettant en cause le fonctionnement hiérarchique de l'église venant du haut avec une coupure entre haut clergé proche de la noblesse, et bas clergé épousant les intérêts du tiers état, l'a poussé à adopter une position proche du richérisme, du jansénisme et du gallicanisme et à s'investir de toute son âme dans l'organisation de l'église constitutionnelle.
Grégoire multiplie les écrits favorables aux Noirs[48]. Lui qui était fils unique se fait curieusement accuser en 1790 par des membres du club Massiac d'agir pour les métis parce qu'il serait le beau-frère d'une femme de couleur. Cette erreur s'explique peut-être par une confusion avec un collègue homonyme, également jureur, l'abbé Louis Chrysostome Grégoire, vicaire de Villers-Cotterêts, qu'avait connu dans son enfance Alexandre Dumas père[145]. Henri Grégoire contribue au vote le aboutissant à la première abolition de l'esclavage qui sera rétabli par Napoléon Bonaparte à la suite de la loi du 20 mai 1802, aboli partiellement par un décret d'abrogation de la traite des noirs lors des Cent-Jours le 29 mars 1815, puis complètement par le décret du 27 avril 1848 de Victor Schœlcher.
En , en relation avec la publication de son premier mémoire sur la question des hommes de couleur, il adhère à la Société des amis des Noirs de Brissot de Warville qui milite pour l'égalité des droits des blancs et des hommes de couleur libres (des mulâtres propriétaires d'esclaves pour la plupart), l'abrogation immédiate de la traite des Noirs et la suppression progressive de l’esclavage dans les Antilles. Il demande aussi que les propos et actes de discriminations racistes à l'encontre des métis soient sanctionnés pénalement : « Défense de reprocher aux sang-mêlés leur origine sous peine d'être poursuivi pour injures graves. »[146]
L'abbé Grégoire se fait ainsi l'apôtre avec près de deux siècles d'avance de la loi Pleven du 1er juillet 1972, sanctionnant l'incitation à la haine raciale. La publication de deux autres mémoires s'ensuit en et : le racisme et l'antisémitisme ne doivent donc pas être considérés comme des opinions mais comme des délits punis par la loi. Il prononce également un discours longtemps inédit au club des Jacobins le , contre la prochaine révocation par le comité des colonies de l'assemblée constituante — dominé par Barnave — des droits des mulâtres apparemment acquis le [147]. Mais comme il le craint, ces droits sont abrogés par l'assemblée constituante le . Ils ne seront rétablis que par l'assemblée législative en .
Le à la Convention, il soutient une délégation sans-culotte, dirigée par Pierre Gaspard Chaumette, qui accompagne une vieille femme de couleur dans le but de faire abolir l'esclavage. Son intervention est appuyée par des Montagnards tels que Robespierre et Jeanbon Saint-André[148]. À nouveau soutenu par Jeanbon Saint-André (sous la présidence de Danton), il demande et obtient le 27 juillet 1793 (jour où Robespierre entre au comité de salut public) l'abrogation des primes accordées par la monarchie aux armateurs trafiquants d'esclaves depuis 1784.
À l'opposé de ce qu'il écrit en 1807 dans ses Mémoires quand il affirma avoir jugé — en tant qu'ancien membre de la Société des Amis des Noirs — comme une catastrophe ce décret d'abolition immédiate, les 4 et il participe aux débats sur sa promulgation, en se faisant le porte-voix à la Convention avec René Levasseur, Georges Danton et Jean-François Delacroix de ses partisans les plus radicaux ; au côté également de certains déchristianisateurs de base, comme le journal, Le Sans-Culotte Observateur, qui l'avait attaqué en . Il saisit l'occasion de la préparation de son rapport sur l'anéantissement des patois pour demander le 16 prairial an II- l'instruction des anciens esclaves et leur maîtrise parfaite de la langue française :
« Les nègres de nos colonies dont vous avez fait des hommes, ont une espèce d'idiome pauvre comme celui des Hottentots, comme la langue franque qui dans tous les verbes ne connaît guère que l'infinitif[149]. »
Sous le Directoire, le 7 germinal an IV () 27 mars 1796 il salue le décret du 16 pluviôse an II () comme une victoire de la Raison : « Le doute méthodique en déblayant les idées reçues a émoussé le glaive de l'intolérance, éteint les bûchers de l'inquisition et affranchi les nègres »[150].
La restauration de l'esclavage, devenue officielle avec la loi du 20 mai 1802 ne l'empêche pas de continuer à militer pour son abolition, comme en témoignent les nombreux ouvrages qu'il consacre à ce sujet. Ainsi, en 1808, l’abbé Grégoire publie l’un de ses textes les plus importants, De la littérature des nègres, manifeste contre le rétablissement de l’esclavage et de la traite négrière, mais aussi gage de la fidélité aux combats abolitionnistes menés au sein des Sociétés des Amis des Noirs. Le fondement philosophique de la position de Grégoire est l’unité du genre humain, qui lui permet de concilier la proclamation révolutionnaire des droits de l’homme et le message évangélique. L’ouvrage reçoit un accueil discret, mais provoque des réactions indignées du parti colonial qui le présente comme un manifeste du nigrophilisme, un néologisme alors très péjoratif. Le livre est dédié « à tous les hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux noirs et sang-mêlé, soit par leurs ouvrages, soit par leurs discours dans les assemblées politiques, pour l’abolition de la traite, le soulagement et la liberté des esclaves[151]». L'ouvrage connaît un large succès d’estime à l’étranger. Il est traduit d’abord en allemand, puis en anglais.
Puis il lance un appel au congrès de Vienne (1815) : De la traite et de l’esclavage des Noirs. À l'approche de la mesure, il édite une apologie de Las Casas abordant indirectement le problème : blanchir l'évêque du Chiapas de l'accusation d'avoir défendu les droits des Indiens en plaidant la mise en esclavage des Noirs. Sous la Restauration, cette notice fait débat chez ses co-religionnaires anti-esclavagistes[152].
Dans un virulent pamphlet publié en 1822 sous le titre Des peines infamantes à infliger aux négriers, il lance sa fameuse apostrophe[153] : « J’appelle négrier, non seulement le capitaine du navire qui vole, achète, enchaîne, encaque et vend des Noirs, ou sang-mêlés, qui même les jette à la mer pour faire disparaître le corps du délit, mais encore tout individu qui, par une coopération directe ou indirecte, est complice de ces crimes. Ainsi, la dénomination de négriers comprend les armateurs, affréteurs, actionnaires, commanditaires, assureurs, colons-planteurs, gérants, capitaines, contre-maîtres, et jusqu’au dernier des matelots, participant à ce trafic honteux. » Il faut cependant relever que contrairement à ce qu'il peut penser en 1793 et écrire dans ses Mémoires en 1808 et à ce que la plupart des historiens écrivent, le décret du 27 juillet 1793 relatif à la suppression des primes négrières, relève seulement d'une confirmation d'un premier décret promulgué l'année précédente. C'est alors l'aboutissement des combats du député-journaliste Condorcet, du maire de Paris, Jérôme Pétion, tout à la fois jacobins, brissotins et anciens membres de la Société des Amis des Noirs. Ce décret est voté le 11 août 1792 par l'assemblée législative sans la participation de l'abbé Grégoire, qui ne peut pas y être élu puisque les membres de la Constituante ne peuvent pas être élus à l'assemblée législative[154],[155].
Il plaide vigoureusement la cause des juifs. Il est un des principaux artisans de leur émancipation, c'est-à-dire la reconnaissance de leurs droits civiques et politiques comme ceux de tout autre citoyen (décret du ).
L'intérêt de Grégoire pour la cause des juifs est déjà très ancien au moment de la Révolution. Il trouve vraisemblablement son origine dans sa participation aux sociétés philanthropiques d’inspiration piétiste[37] que fréquentent aussi des juifs, mais aussi dans le fait de l'importance de la communauté juive en Lorraine, et notamment dans le Saulnois où il a débuté son ministère comme vicaire. En effet alors que les juifs sont bannis de France depuis 1394, leurs communautés sont tolérées en Lorraine, terre d'Empire, à condition de vivre dans des ghettos et encore y subissent-ils bien des vexations, interdictions en tous genres, impôts « exorbitants »[156], taxes spécifiques aux juifs (en particulier taxe Brancas[157]) et persécutions diverses.
Ont déjà été évoquées (voir le paragraphe sur la vie intellectuelle et la philanthropie), alors qu'il est encore curé d'Emberménil, l'appartenance de Grégoire à la société des philanthropes de Strasbourg ouverte à toutes les confessions et sa participation en 1778, au concours qu'elle a proposé sur le thème de l'amélioration du sort des juifs. Le mémoire qu'il a alors rédigé lui sert de base, presque dix ans plus tard, pour s'inscrire au concours organisé par l'Académie royale de Metz en 1787 pour lequel il faut répondre à la question suivante : « Est-il un moyen de rendre les juifs plus utiles et plus heureux en France ? ». Le jury exceptionnellement ne donne pas de verdict et demande aux candidats de retravailler leur sujet pour l'année suivante afin de mieux expliciter les mesures pratiques à mettre en œuvre. C'est donc une seconde fois que Grégoire reprend son mémoire en le remaniant à nouveau. C'est son « Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs» de 1788. Il partage le prix avec deux autres candidats, un juif d'origine polonaise, Zalkind Hourwitz, et l'avocat nancéien protestant Claude-Antoine Thiéry.
Dans cet essai, Grégoire affirme qu'il tient une partie de sa documentation de ses relations dans le milieu des érudits juifs, et notamment de Berr Isaac Berr et Simon de Gueldres, deux rabbins qui le conseillent et lui font connaître la presse juive éclairée de Berlin[158]. Il argumente l'absurdité d'une discrimination fondée sur des préjugés, il fustige l'attitude des gouvernements européens qu'il accuse de cruauté et d'injustice envers les israélites. Il considère que la discrimination qui frappe les juifs est contraire à l'utilité sociale. Il plaide également pour une « tolérance » religieuse, qui se comprend non comme un relativisme religieux, mais comme une humanité dans les rapports avec les juifs, à l'image du message du Christ dans les Évangiles. Si pour lui le peuple juif est un « peuple témoin » dont la dispersion a été un événement fondamental de l'histoire humaine, conformément à la doctrine augustinienne, son but est la conversion des juifs. L'essai est un succès et il est traduit dès l'année suivante en Angleterre[159].
Dans le même esprit, il a déjà prononcé un sermon dans l'église Saint-Jacques de Lunéville en 1785, à l'occasion de l'inauguration de la synagogue de la ville. Il y a développé le thème de la conversion des juifs dans une vision figuriste qui tendait à le rapprocher dès cette époque du mode de pensée janséniste[160]. Le texte de ce sermon a été perdu, mais Grégoire en parle dans plusieurs courriers et dans son Histoire des sectes religieuses en 1810.
En 1789, dans une logique continuité, il s'inscrit contre l'antisémitisme dans une « motion en faveur des juifs »[161], comme il l'avait fait juste avant pour les Noirs, afin que la loi punisse le fait de reprocher aux juifs leur identité sous peine d'être poursuivi pour injures graves[162]. C'est en grande partie par la force de ses convictions et de son argumentaire, réunie à celle d'autres conventionnels tels Mirabeau, Robespierre, Barnave et le comte de Clermont-Tonnerre qu'enfin en 1791 les juifs obtiennent leur émancipation et deviennent, en France, des citoyens à part entière après que, le 27 septembre, Duport déclare en tribune : « Je crois que la liberté de culte ne permet aucune distinction dans les droits politiques des citoyens en raison de leur croyance. La question de l'existence politique [des juifs] a été ajournée. Cependant, les Turcs, les musulmans, les hommes de toutes les sectes, sont admis à jouir en France des droits politiques. Je demande que l’ajournement soit révoqué et qu'en conséquence il soit décrété que les juifs jouiront en France des droits de citoyen actif. » Cette proposition est acceptée par l'assemblée qui adopte la loi le lendemain, 28 septembre 1791. Le 13 novembre, Louis XVI la ratifie, déclarant les juifs citoyens français[163].
Grégoire participe aux travaux de la commission qui aboutit au décret du 12 juillet 1790 formant la Constitution civile du clergé. Il est le premier à prêter serment, devenant ainsi un prêtre jureur ou assermenté. Il est élu évêque constitutionnel à la fois par deux des départements nouvellement créés : la Sarthe et le Loir-et-Cher (1791). Il opte pour ce dernier et est consacré évêque, le , par Talleyrand, Gobel et Miroudot.
Il reste toute sa vie fidèle à son serment, se refusant même à le renier sur son lit de mort en . Jusqu'à la fin de ses jours également, il œuvre à l'organisation d'une église constitutionnelle gallicane. Selon l'analyse de Françoise Hildesheimer, Grégoire vit l'utopie d'un double universalisme : celui du catholicisme et celui de la République égalitaire qu'il pensait compatibles[164].
Pendant la période de l’Assemblée législative, dont il ne pouvait faire partie puisque les membres de l'Assemblée constituante avaient été déclarés inéligibles, il donne tous ses soins à son diocèse de Blois. Il administre ce diocèse pendant dix ans avec un zèle exemplaire, parcourant inlassablement son diocèse.
Fin 1794, il constitue avec Royer, Desbois et Saurine le groupe des « Évêques réunis à Paris » qui se donne pour mission de régénérer l’Église de France gravement affaiblie par la campagne de déchristianisation et les démissions d’évêques et de prêtres. En 1795, il crée avec les évêques constitutionnels Saurine et Debertier, ainsi qu'avec des laïcs, la Société libre de philosophie chrétienne, qui a pour but de reprendre les études théologiques arrêtées du fait de la Révolution, de lutter contre la déchristianisation et contre la théophilanthropie et le culte de la Raison et de l'Être suprême. L'organe de cette société est un journal gallican et virulent, les Annales de la religion, qui cesse de paraitre de façon inexpliquée en 1803, sans doute à cause de opposition frontale au Concordat de 1801 signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII.[réf. nécessaire].
Sous le Directoire, il s'efforce de réorganiser l'Église constitutionnelle. Il organise avec les évêques constitutionnels deux conciles nationaux, en 1797 et 1801, pour tenter de mettre sur pied une véritable Église gallicane[réf. nécessaire].
Il tente de s'opposer à la signature du Concordat de 1801. Contraint à la démission, avec les autres évêques constitutionnels, l'homme à la « tête de fer », comme le définissait l'historien Jules Michelet, fait toujours suivre son nom de la mention « évêque constitutionnel de Blois »[réf. nécessaire].
En 1799, il publie un Projet de réunion de l'Église russe à l'Église latine. Il œuvre aussi à la réhabilitation de Port-Royal des Champs en publiant, en 1801 puis en 1809, Les Ruines de Port Royal des Champs, qui mettent en valeur les vertus des religieuses jansénistes et des Solitaires. Cet écrit contribue à la naissance du mythe de Port-Royal comme foyer intellectuel et comme foyer de résistance à l'absolutisme[réf. nécessaire][non neutre].
Recueils ou textes commentés de ses œuvres
L’importance du rôle de l’abbé Grégoire à la Révolution française est telle qu’elle marque fortement les esprits, de son vivant même, mais aussi bien au-delà. Des honneurs et hommages nombreux et de toutes sortes lui sont rendus depuis plus de deux siècles. Sa postérité est considérable.
Mais le , il annonce son abdication volontaire et motivée au titre de commandant dans la Légion d'Honneur[168].
L’école doctorale no 546 basée au CNAM porte le nom de l’Abbé Grégoire[211].
En sa mémoire, une des loges affiliées à la Grande Loge de France porte son nom[212].
À Emberménil, une quinzaine de kilomètres au nord-est de Lunéville et une quarantaine à l’est-sud-est de Nancy une « maison muséographique »[213] lui est entièrement consacrée ; c’est le village où il va à l’école et celui où il devient curé en 1782. Il le reste jusqu’au , date où il est élu évêque constitutionnel de Blois[214]. Le musée[215] se trouve tout près de l'église, sur la place de l'abbé Grégoire, près de la stèle des Droits de l'homme qui lui est dédiée et près de son cénotaphe installé là en 1990 après le transfert de ses cendres du cimetière du Montparnasse au Panthéon. Juste devant l'entrée du musée est érigé le buste sculpté par Véronique Mariage.
En France, un très grand nombre de villes ou communes ont donné le nom de l’abbé Grégoire à l’une de leurs voies ou places (avec les variantes abbé Henri Grégoire, Henri Grégoire, Grégoire) :
Dans d’autres pays :
Figure | Blasonnement |
Armes du comte Grégoire et de l'Empire
* Ces armes emploient le terme « cousu » dans le seul but de contrevenir à la règle de contrariété des couleurs : elles sont fautives : chapeau de sinople sur champ de gueules. |
.
« C’est l’une des personnalités de la Révolution qui a la bibliographie la plus importante, mais sur une période assez courte. »[251]
Pour la jeunesse :
Par ordre alphabétique des noms d'auteurs :
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