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La toponymie normande est l'étude de noms de lieux de Normandie. Elle se distingue essentiellement de la toponymie française par un apport particulier d’appellatifs toponymiques issus de l’ancien scandinave et du vieil anglais, ainsi que par la présence d’anthroponymes norrois et anglo-scandinaves dans des composés. Ce superstrat spécifique est parfois qualifié de toponymie norma[n]nique.
La toponymie normande est fondée sur un substrat celtique et gallo-roman conséquent, ainsi que sur un apport plus limité de toponymes (comme Hodeng, Barc, Bouafles, Avesnes, etc.) et d'appellatifs toponymiques affixés (comme -bourg, -ham, etc.) empruntés aux langues germaniques occidentales (vieux bas francique, vieux saxon) notamment dans le pays de Bray et le Bessin. En revanche, les anthroponymes germaniques entrant dans la formation des noms de domaines basés sur des appellatifs romans affixés (comme -court[Notes 1], -ville, -bosc, -mesnil) au Moyen Âge, sont beaucoup plus nombreux (pour toute cette partie, se référer à toponymie française). Ces caractéristiques générales ne concernent pas tous les pays normands de manière uniforme, ainsi les anthroponymes d'origine scandinave ou anglo-scandinave dominent dans le pays de Caux, le Roumois, l'estuaire et la basse vallée de la Seine, le Clos du Cotentin[Notes 2], les côtes ouest du Cotentin et les environs de Caen. Ils se combinent généralement à des appellatifs toponymiques issus du vieux scandinave, de l'anglo-saxon ou du gallo-roman pour former un ensemble caractéristique propre à la seule Normandie, qualifié parfois de toponymie norman[n]ique[Notes 3]. On y rencontre également des adjectifs qui procèdent aussi du vieux scandinave et de l'anglo-saxon en composition avec des appellatifs de même origine. Dans ces régions, les éléments normaniques ont souvent supplanté les toponymes antérieurs. Ils restent des témoins de l'emploi d'une variété ou de plusieurs variétés de langues nordiques jusqu'au XIe siècle, même si le clerc tourangeau Benoît de Sainte-Maure affirme que l'on parlait encore « danois » sur les côtes normandes au XIIe siècle. Par contre, les pays normands du sud (Campagne de Saint-André, pays d'Ouche, Hiémois, Bocage virois, Domfrontais, pays d'Houlme, pays d'Andaine, Mortainais), ainsi que l'Avranchin et le Bessin non côtier ont été peu touchés par l'installation des colons nordiques et ils ont conservé un substrat pré-normanique significatif et à l'inverse, ne recèlent guère, à des degrés divers, d'éléments scandinaves et anglo-scandinaves. Le Perche ornais et les régions limitrophes (Île-de-France, Picardie, Bretagne et Maine) sont exempts de superstrat nordique, hormis quelques transferts de toponymes et quelques microtoponymes issus de l'ancien normand et non pas du scandinave (exemple : le Becquet à Saint-Paul (Picardie, Oise), la Houlle à Cancale (Bretagne) ou la Hogue à Aleth, Saint-Malo (Bretagne), etc. Ces formations toponymiques avec l'article défini roman (le ou la) sont apparues vers l'an 1000. Ailleurs en France, les spécialistes de l'onomastique ne décèlent aucune trace linguistique (toponyme, microtoponymes et anthroponymes) d'une implantation des Scandinaves.
Le présent article n'a pas pour sujet les créations toponymiques postérieures aux XIe et XIIe siècles, comme les noms en -ière basés sur un patronyme ou encore ces noms de famille pris absolument que l'on rencontre principalement dans les microtoponymes.
Les formations toponymiques les plus répandues en Normandie sont les composés médiévaux en -ville qui signifient anciennement « domaine rural ». Cet appellatif toponymique a été employé du VIIIe siècle au XIIe siècle en Normandie, et plus particulièrement entre le IXe siècle et le Xe siècle, avant d'être d'être remplacé par d'autres formations toponymiques telles que les formations en mesnil[1]. Les toponymes en -ville, formés sur le roman villa, sont « déjà en pleine productivité à l'époque franque », avant de se voir associer à un anthroponyme scandinave[2]. Ils trouvent leur origine étymologique dans le latin villa rustica « grand domaine rural ».
L'exemple le plus anciennement cité (précisément daté) dans cette province est celui de Bourville en 715, sous la forme latinisée Bodardi villa et qui se traduit par « le domaine rural de Bodard(us) », Bodard(us) étant un anthroponyme germanique qui se poursuit dans les patronymes Bouard et Buard[3]. Parmi les attestations très anciennes, on note aussi antérieurement au XIe siècle, Mondeville (Calvados, Caen, Amondevilla 989, Amundi villa en 990) composé avec le nom de personne scandinave Ámondi ou encore Ingouville (Seine-Maritime, pays de Caux, Ingulfi villam 990) avec le nom de personne norrois Ingulfr / IngulfR.
Les colons anglo-scandinaves ont donc perpétué l'usage de -ville, que les autochtones gallo-francs avaient initié. C'est de l'époque de leur installation aux IXe, Xe et XIe siècles que datent la plupart de ces formations toponymiques. L'appellatif suffixé -ville (parfois préfixé Ville- dans l'Avranchin ex : Villechien) est généralement précédé d'un nom de personne ou beaucoup plus rarement d'un autre appellatif ou d'un adjectif. Parfois, on rencontre plusieurs toponymes contigus basés sur le nom du même personnage dans les limites d'une seule commune ou de deux communes voisines, ils forment généralement des couples toponymiques ou paires toponymiques, voire exceptionnellement des triplets, quadruplets, etc. Il arrive ainsi de voir associés : Gatteville et son étang de Gattemare; Illeville-sur-Montfort et sa mare d’Illemare; Bretteville-du-Grand-Caux et sa mare de Brettemare; Ricarville (pays de Caux, Ricartville 1431) et sa mare de Ricartmare (Ricartmare vers 1379); Honnaville (pays d’Auge, Gonneville-sur-Honfleur) et sa rivière de Honfleur; Crémanville (pays d’Auge, Ablon) et sa rivière de Crémanfleur (pays d’Auge, la Rivière-Saint-Sauveur, Cramefleu, Cremafleu 1454); Muneville-sur-mer (Cotentin, Mulevilla, s. d., Mulleville sur la Mer 1503) et son ruisseau Le Mulambec; Catteville (pays de Caux, Crosville-sur-Scie) et la colline de Cathehoulle; Vatteville (Vexin normand) et son port de Vatteport; Étoupeville (Cotentin, à Sotteville, Estobavilla 1093) et son bois d’Étoublon (Stobelont vers 1000); Cideville et Cidetot (pays de Caux); Hattenville et Hattentot (pays de Caux); Iville et Vitot (Campagne du Neubourg); Acqueville (Cinglais, Achevilla 1190, Akevilla 1204) et Achelunda en 1070 - 79; Hondouville (Evrecin) et Hondemare, etc. Triplet : Appeville, Aptot et Aptuit (Roumois), etc.[Notes 4].
Pour les formes attestées dans des documents rédigés en latin médiéval (cartulaires, chartes, pouillés, etc.), les scribes et les clercs ont utilisé de manières diverses des formes latines pour les noms aujourd'hui en -ville Le latin VILLA est systématiquement noté villa selon l'étymon latin, En revanche, le premier élément, quand il s'agit d'un nom de personne, a souvent reçu la désinence -i du génitif masculin des noms latins terminé par -us, par exemple Amundi villa en 990 (Mondeville, Calvados), ou parfois la désinence -a qui correspond à l'accord féminin avec le nom commun villa, tout comme un adjectif, donc un nominatif, par exemple Helgavilla en 1035 (Heuqueville, Eure). La désinence -us a été ajoutée aux anthroponymes d'origine germanique par les clercs, et ce, partout en France et ils sont cités de cette manière par Marie-Thérèse Morlet ou Ernest Nègre, mais pas par Albert Dauzat. Les noms de personnes scandinaves en -i (nominatif norrois) Amundi et Helgi devraient être latinisés au nominatif latin en Amundus et *Helgus, ce qui semble être rarement le cas, du moins pour le nom Helgi, qui est encore porté par un personnage Petrus Helge de Fayo mentionné dans un document latin en 1227[4]. Le [i] scandinave était déjà passé à [ə] en normand noté e dès les plus anciennes attestations comme en témoigne la mention Amundevilla de 989. Le nominatif latin en -a des anthroponymes scandinaves en -i qui s'accorde, comme un adjectif, avec -villa, par exemple : Stalavilla en 1185 (Étalleville); Helgavilla en 1035 (Heuqueville); Cara villa vers 1024 (Carville, Darnétal); Caravilla en 1107 (Carville, Calvados); Barnavilla en 1023 - 1026 (Barneville-Carteret, Manche, Cotentin), etc., est similaire à la désinence du génitif norrois -a des noms en -i, comme l'illustrent par exemple Káratótt (Islande) ou Karatofta (Suède) équivalents des Cartot / Carville normands.
cas | norrois | latin médiéval | normand |
---|---|---|---|
nominatif | Helgi | Helga adj. | ... |
génitif | Helga | Helgi | ... |
cas sujet | ... | ... | Heugue- / Heuque- |
Les noms de personnes anglo-scandinaves terminés par une consonne ont aussi reçu une terminaison latine en -us dans les textes, comme en témoigne par exemple Torfridus, Torfredus[3] (vieux norrois Þórfríðr, vieux danois Thorfred), personnages évoqués à l'époque de la normandie ducale, et dont on rencontre le même nom dans les nombreux Touffreville, cependant la mention latinisée du type Toffredivilla, Turfredivilla en 1230, avec -i du génitif, pour Touffréville (Calvados) reste exceptionnelle.
Par contre, de manière générale en France, les hypocoristiques germaniques terminés par -o conservent au nominatif leur -o, mais ont souvent reçu la désinence -onis du génitif (par exemple Bouzonville, Lorraine, Moselle, Buosonis villa 1106), qui correspond au cas régime de l'ancien français en -on. Ces formes en -onis / -on (parfois -an / -en) sont exceptionnelles en Normandie, contrairement à ce que l'on observe en Lorraine ou dans la Beauce par exemple. Ainsi, l'hypocoristique Boso, formé sur le terme Bosi signifiant « mauvais » en vieux haut allemand[5], extrêmement fréquent dans cette province, apparaît toujours sous la forme Beuze- comme dans les nombreux Beuzeville, typiques de l'aire normande, alors qu'ailleurs on trouve Bouzonville, Bouzanville, etc.[6],[Notes 5]. On peut citer aussi les Fronville de Belgique (Fredonvilla 1066) et de Champagne qui correspondent aux Fréville normands, par exemple : Fréville (Seine-Maritime, pays de Caux, Fontaine-la-Mallet, Fredivilla, Fredevilla 1035)[Notes 6]. De sorte que, par exemple, Tronville (Valcanville, Manche, Val de Saire, Tronvilla 1189), n'est sans doute pas, malgré les formes peu anciennes dont on dispose, équivalent aux Tronville (Lorraine, Meurthe-et-Moselle), Tronville-en-Barrois (Lorraine, Meuse, Tronville 1402) et Tronville (Moselle, Gorze, Trudonisvilla 1169) qui remontent à Trudon-ville, sur le nom de personne germanique occidental Trudo au cas régime[7] et Blangy-Tronville (Somme, Trucivilla 1105) d'origine encore différente. Tronville (Manche) pourrait s'expliquer par l'anthroponyme scandinave Þróndr[8] (vieux danois Thrond), en tout cas plus vraisemblable que Trudo, à moins qu'il ne s'agisse de tout autre chose.
En ce qui concerne la nature des noms de personnes trouvés dans les formations en -ville, François de Beaurepaire a émis l'hypothèse d'un lien familial entre propriétaires de domaines fonciers, lorsque l'on identifiait un même élément au sein de toponymes (en -ville ou non) situés à proximité les uns des autres. En effet, on peut remarquer que dans quelques cas, des éléments anthroponymiques germaniques analogues se trouvent dans des noms de domaines contigus, par exemple : Heudebouville, Fontaine-Heudebourg et Heudreville-sur-Eure[9]. On constate que l'élément de base des anthroponymes ci-dessus est le germanique hild. Or, on sait par ailleurs que ces unités linguistiques se transmettaient par filiation de génération en génération chez les Germains. On peut donc supposer qu'il s'agissait de membres d'une même famille. Le même système de dérivation anthroponymique a peut-être existé chez les Anglo-Saxons, ce que pourrait suggérer la proximité d'Allouville-Bellefosse, d'Alvimare et d'Alvimbusc, formés peut-être respectivement avec les noms Æthelwold et Æthelwin/ Alwin sur la base du même thème æthel, à moins qu'il ne s'agisse là encore de noms de personnes issus du germanique continental indépendants les uns des autres, puisque ce type de formation anthroponymique n'a sans doute pas pu se perpétuer dans le domaine roman jusqu'au Xe siècle, les appellatifs -busc et -mare n'étant pas antérieurs à cette époque.
Nombre de ces toponymes en -ville sont basés sur un nom de personne analogue, le plus souvent norrois, de sorte qu'il existe de nombreux homonymes vrais. On ne compte plus les Colleville ; les Amfreville ; les Tocqueville ; les Tourville ; les Touffreville ; les Trouville; les Bretteville ; les Beuzeville; les Épreville; les Auzouville; les Sotteville; les Anneville et les Grainville, etc. On constate aussi une fréquence remarquable des types Englesqueville et Anglesqueville (anciennement Englesqueville), littéralement « ferme anglaise », ainsi que Bretteville « ferme du Breton », qui signalent l'installation de colons originaires de Grande-Bretagne à l'époque viking. On ne rencontre pas ces types toponymiques à l'extérieur des frontières historiques du duché de Normandie.
Les Englesqueville et Anglesqueville (anciennement Englesqueville) contiennent l'adjectif roman féminin ethnique englesque (Engleske-, Englesche-) « anglaise », ancien féminin de anglois « anglais » que l'on trouve par exemple dans le Roman de Rou de Wace dans l'expression la gent englesche, tout comme un autre adjectif de nationalité dans Necqueville (Danesquevilla 1257; Nesqueville XVIIIe siècle) à Hautot-Saint-Sulpice à savoir danesque « danoise » que l'on trouve par exemple dans des textes concernant la danesche parleure ou la danesche lange, c'est-à-dire la « langue danoise » et la danesche manere, danois ayant le plus souvent le sens général de « scandinave ». En revanche les Bretteville (généralement attesté sous la forme Bretevilla dès le XIe siècle) et uniquement concentrés dans la zone de diffusion de la toponymie norroise, ne sont pas formés à l'aide d'un adjectif, mais du nom commun norrois Breti « le Grand-Breton » (génitif Breta, cf. islandais Breti même sens) qui se superpose à l'ancien français Bret (cas sujet) / Breton (cas régime).
De manière générale les toponymes en -ville construit avec autre adjectif ou un appellatif sont proportionnellement assez rares. Avec pour premier élément un adjectif, on trouve quelques Belleville, Malleville, Neuville , Granville, Longueville et Hauteville , formés respectivement avec les adjectifs romans belle, mal, neuve, grand, longue et haute[Notes 7], ainsi que d'autres plus rares comme sèche dans Secqueville (normand sèque, par exemple : Secqueville-en-Bessin, Calvados, Siccavilla 1077) ou ancien français put(e) « sale » dans Put[t]eville (par exemple Saint-Maurice-en-Cotentin, ancien Puteville). Avec un autre appellatif, généralement roman, par exemple callenge « discussion, dispute » → « terre litigieuse » (forme normande de challenge) réuni à -ville dans Callengeville (Seine-Maritime, Callengeville 1500)[3], mais peut-être aussi scandinave comme dans les Cricqueville et Querqueville qui semblent contenir l'ancien norrois kirkja « église » (islandais kirkja, norvégien Kirke, anglais dialectal kirk).
On peut enfin souligner que la Normandie est avant la Lorraine romane, la région où se concentre le plus grand nombre de formations en -ville (cf. carte ci-dessus). On estime à 20 % environ, le nombre total des communes de Normandie formées avec l'élément -ville. D'autres estimations font part de l'existence en France de 36 591 communes au total, dont seulement 1068 se terminent par -ville (si l'on exclut les variantes du Sud de la France en -fielle, -vielle et -viale). Sur 1068, 460 se trouvent en Normandie (plus d'1/3), alors qu'elle ne compte que 3 232 communes, soit 14,2 %[10].
On note aussi, dans l'Avranchin principalement, quelques formations toponymiques caractéristiques de la formule inverse Ville- + anthroponyme (ex : Villechien, Villebaudon). Ce type toponymique est rare en Normandie, mais fréquent dans la Beauce, l'autre grand pourvoyeur de noms en -ville en France. Villedieu (villa Dei) n'entre pas réellement dans cette liste, puisqu'il s'agit d'une formation toponymique plus tardive liée au développement de l'ordre des templiers.
Dans les différents pays normands cités ci-dessus, on retrouve d'innombrables noms de communes ou de lieuxdits composés avec des appellatifs norrois ou vieil anglais caractéristiques. Les principaux appellatifs toponymiques suffixés (-tot; -bec; -dal[le]; -lon[de]; -fleur; -mare; -tuit; -beuf) n'apparaissent jamais dans des toponymes attestés dans les textes datant de l'époque mérovingienne ou carolingienne, mais dans des documents qui datent au plus tôt de la fin du Xe siècle. Par exemple, -tuit est relatif aux défrichements entre 900 et 1100[11]. En revanche, les appellatifs romans (-court, -mont, -val, -ville) sont bien attestés dans les textes mérovingiens ou carolingiens (le plus souvent en latin médiéval) mais semblent se multiplier par la suite, à l'exception de -court qui n'est plus en usage aux IXe et Xe siècles en Normandie. L'appellatif d'origine scandinave le plus fréquent est -tot, -thot, Tot, Thot, on compte en effet environ 350 formations de ce type dans la région[12].
En latin, la désinence -as est celle de l'accusatif pluriel féminin. En vieil anglais, -as marque le pluriel de substantifs terminés par une consonne, c'est-à-dire la plupart des masculins monosyllabiques, quelques polysyllabiques et des substantifs neutres. Il explique la désinence -s du pluriel de l'anglais moderne. Exemple : masculins stān « pierre » → stanas « des pierres », hām « home, village » → hāmas « des villages », æcer « champ » → acras « des champs »; neutres : hræfn « corbeau » → hræfnas « des corbeaux »
La principale difficulté dans leur identification résulte du fait que ces noms d'animaux sont aussi employés souvent comme anthroponymes
Ils sont plus rares que les appellatifs et les noms de personne de même origine et ne sont jamais associés à des appellatifs romans.
Ces appellatifs ne se retrouvent quasiment pas au sud de la Normandie, loin des centres côtiers, dans des régions boisées restées peu peuplées au Moyen Âge (sud du pays d'Auge, sud de l'Orne, pays d'Ouche, Bocage…). Étrangement, le Bessin, qui a une importante façade maritime, présente une faible toponymie scandinave (sauf sur une étroite bande côtière), alors que les noms celtiques et de domaines gallo-romains en -*(I)-ACU (du celtique -(i)āko-[44], terminaisons en -y, -ay) y sont pléthoriques, seule la microtoponymie y a un caractère nettement anglo-scandinave. Il en existe aussi quelques exemples dans l'Avranchin, région très riche en toponymes celtiques et gallo-romans (suffixe -*ACU en -ey) par ailleurs.
-fosse ou Fosse- comme élément toponymique représente essentiellement l'ancien français fosse, issu du latin classique fossa « excavation, trou, fossé » et du latin chrétien « tombeau ». Le sens toponymique précis est obscur, mais son sens médiéval était parfois « (lieu de) mouillage » et il semble souvent associé à un nom de personne
L'affermissement du dialecte normand dans l'ancien duché a fait évoluer les toponymes décrits ci-dessus jusqu'à leur forme actuelle. Une lecture moderne, parfois littéraliste, de l'orthographe ancienne les déforme souvent phoniquement : l'exemple de Cosqueville ou Isneauville, dont le s ne se prononçait plus ; Menesqueville dont le s purement graphique indiquait la prononciation è [ɛ] ou encore Sauxemesnil qui se prononce [sosmeni], le [l] final s'étant amuï, comme dans la plupart des mesnil de Normandie.
Les Normands de l'époque ducale ont nommé les lieux avec les mots de leurs propres parlers, comme n'importe quel habitant de n'importe quelle région. C'est pourquoi, notamment au nord de la ligne Joret, on rencontre un certain nombre de toponymes du type :
La fréquence des anthroponymes scandinaves, anglo-scandinaves et anglo-saxons dépasse nettement le cadre des appellatifs de même origine, puisque la plupart des noms de personnes scandinaves, anglo-scandinaves ou anglo-saxons se trouvent associés à des appellatifs romans d'origine latine (type : -ville ; -mesnil- ; -val ; -mont ; etc.).
Il en existe quelques-uns, mais ils sont beaucoup plus rares que les formules "nom d'homme norrois + appellatif roman". Peut-être résultent-ils, pour certains d'entre-eux, du baptême d'hommes scandinaves ayant pris un autre patronyme comme Hrolfr (Rouf, Rou, Rollon), comte de Rouen, baptisé sous le nom de Robert. Il convient de distinguer ces anthroponymes germaniques et romans fréquents (Yves, Guérard, Hébert, Robert, Martin, Thibout, Raoul, etc.), déjà très peu utilisés avec un appellatif scandinave, d'avec des noms germaniques composés ou hypocoristiques (diminutifs, généralement en -o) plus rares qui n'ont pas pu se combiner avec un appellatif scandinave, parce qu'ils n'ont pas été utilisés aussi tardivement ou de manière beaucoup trop sporadiques.
Certes, ces listes ne sont pas exhaustives, mais elles donnent un aperçu de l'importance de la colonisation anglo-scandinave en Normandie à partir du Xe siècle. Cependant, la répartition de ces toponymes ne donne aucune idée sur l'importance du nombre de colons par rapport à la population autochtone. Toujours est-il que les régions du sud du pays ont toujours été peu peuplées, comparées à celles du nord où se trouve la majorité de ces toponymes.
Léon Fleuriot écrit que « la Normandie est particulièrement riche en toponymes bretons. Il y aurait là un sujet de recherches. On a signalé qu'autour de Saint-Samson-de-la-Roque (Pentale), nous trouvons Saint-Thurien et trois Saint-Maclou. Villers-Canivet et Saint-Pierre-Canivet dans le Calvados (Quenivetum en 1150, Kenivet en 1195) peuvent contenir l'anthroponyme vieux breton Catnimet, aujourd'hui Canevet. »[93]. Cette remarque s'inscrit dans une tentative plus vaste de la part de l'auteur de déterminer par la toponymie l'aire de répartition des premiers migrants bretons sur le continent. Pour la seule Normandie, Léon Fleuriot compte en tout 19 Bretteville, dont 4 seulement dans le Cotentin, et affirme qu'il n'y a « aucune raison de supposer une colonisation bretonne entre Bayeux et la Seine à la fin du IXe siècle ». Pour lui ils sont « en rapport avec les premières vagues de migrations bretonnes du IVe au VIe siècle » (en italique dans le texte)[94]. Les Bretteville (généralement attesté sous la forme Bretevilla dès le XIe siècle) sont des formations médiévales de type Brete vil(l)e « domaine rural ou village breton » et de nombreux auteurs identifient l'existence de ce type toponymique (9 communes ou anciennes paroisses, ainsi que de nombreux hameaux) à une colonisation bretonne sur les côtes normandes, contemporaine à celle de l'Armorique.
André Chédeville et Hubert Guillotel reprennent l'idée d'une colonisation précoce d'une partie de la Normandie par les Bretons. Ils s'appuient sur plusieurs faits. Ainsi, les quatre paroisses situées à l'embouchure de la Seine relevant du diocèse de Dol, auraient été offertes selon une tradition bien attestée par Childebert à saint Samson. Une autre tradition hagiographique aurait fait de saint Tudual un évêque de Lisieux. Enfin, ils s'appuient à leur tour sur la série de 19 toponymes en Brette-Bretteville en Normandie, indiquant que « certains y voient les traces d'une immigration venue de Grande-Bretagne, d'autres les attribuent - avec moins de vraisemblance - à une implantation plus tardive, venue de Bretagne continentale »[95].
Ces affirmations appellent trois remarques : d'une part, le culte de saints bretons n'implique pas une colonisation bretonne, pas plus que le culte de saints italiens (cf. Saint-Cénery-le-Gérei) ou le culte de saints irlandais (cf. Saint-Saëns) n'impliquent celles d'italiens ou d'irlandais à la même époque. Certes, les futurs saints peuvent avoir été présents, souvent individuellement, ou bien ce culte peut-il n'être lié qu'à la simple possession de reliques. D'autre part, Canivet s'explique aussi bien phonétiquement par la forme normande de chanvre, jadis aussi chanve, issu du bas-latin canava (fem.) et cannapus (masc.) suivi du suffixe -etu(m)[96],[97], d'où *Cannabetum « chènevière » > Canivet (Quenniveto 1144-1158), la culture du chanvre étant bien attestée dans la région de Falaise[98]. Quant à la graphie avec k, elle est souvent utilisée dans la documentation propre à la Normandie ducale, et au-delà en ancien français. Même remarque pour Carnet (Avranchin, Kerneth 1151, Chernetum 1168), qui n'est pas un nom breton isolé en Ker-, mais plus vraisemblablement un ancien *Carnate gaulois « lieu où il y a des pierres » ou un ancien *CARPINETU gallo-roman « endroit où poussent des charmes », l'action fermante de [r] a souvent transformé le groupe [ar] en [er] dans la région cf. argent > normand ergent.
On distingue bien quelques anthroponymes bretons à la mode (Harscouët dans Saint-Hilaire-du-Harcouët), surtout dans l'Avranchin, mais qui remontent à la Normandie ducale[99].
François de Beaurepaire constate que l'on peut fixer comme dates les plus anciennes pour les toponymes en -ville de la Seine-Maritime et de la Manche, le VIIe ou VIIIe siècle (cf. ci-dessus)[100]. En outre, il fait observer que tous les Bretteville sont situés dans la zone de diffusion des toponymes anglo-scandinaves (tout comme les Anglesqueville et Englesqueville « domaine rural anglais » contigus)[6],[101]. De même, les couples typiques de la période normannique Bretteville-du-Grand-Caux et sa mare (mare étant issu du vieux norrois marr) de Brettemare, tout comme Brettelonde, hameau voisin de Bretteville-l'Orgueilleuse (londe étant issu du vieux norrois lundr « bosquet ») confirment cette hypothèse, quant à l'élément Brectou- dans le toponyme Brectouville (Britecolvilla 1159), il va dans ce sens, puisque ce toponyme en -ville est généralement considéré comme composé avec l'anthroponyme scandinave *Bretakollr (anglo-scandinave Bretecol, bien attesté), sur la base de Breta- « (du) Breton ». De plus, il n'y a aucun Bretteville dans l'Avranchin, zone pourtant contiguë de la Bretagne nord (Bretagne nord où les spécialistes discernent nettement la présence de toponymes brittoniques bien identifiés qui s'arrêtent à l'ouest de l'ancien cours du Couesnon cf. Roz-sur-Couesnon). Ernest Nègre note que l'hypothèse de François de Beaurepaire est « la plus invraisemblable » sans toutefois apporter d'argument[102]. Toujours est-il, qu'outre l'anomalie d'une datation des formations en -ville antérieurement à la fin du VIe siècle, on ne voit pas pourquoi les immigrés bretons des premières vagues qui ont touché l'Armorique, auraient systématiquement évité l'Avranchin (aussi quasiment exempt de toponymes norrois) pour ne s'installer que dans les seules zones de futur peuplement anglo-scandinave. Il s'agit d'émigrés de Grande-Bretagne, c'est-à-dire de [Grand]-Bretons, arrivés avec les colons nordiques.
Il existe bien quelques noms de lieux qui évoquent la présence de Brittus ou de Brittanus dans la toponymie normande, antérieurs à la pénétration anglo-scandinave du IXe siècle, mais ils ne sont ni différents, ni plus nombreux qu'ailleurs en France, comme le type toponymique Brétigny (cf. Brétigny, Eure, Breteni au XIIe siècle) ou Brétignolles (cf. la variante Bretagnolles, Eure, Bretegniollis vers 1210), à mettre en rapport avec la présence de Bretons en Gaule à la fin de l'Empire Romain. Le nom Brittanus a aussi été utilisé dans un composé roman en -val : Berneval-le-Grand (Seine-Maritime, Brittenevalle en 750 et 775).
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