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concept bouddhiste de description des phénomènes par interdépendance De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La coproduction conditionnée, parfois appelée coproduction conditionnelle[n 1] (pratītyasamutpāda प्रतीत्यसमुत्पाद, en sanskrit, prononcer /prətī:tyə səmŭtpα:də/ ; paṭiccasamuppāda पटिच्चसमुप्पाद, en pāḷi ; « origine conditionnée[1] ») est le concept bouddhique de conditionnalité, de dépendance, de réciprocité.
L'essentiel du concept réside dans la notion d'interdépendance. Ainsi, dans le bouddhisme, tous les phénomènes sont composés et interdépendants, que ce soient les objets physiques, les sensations, les perceptions, la pensée, la conscience. D'après le Bouddha, ces cinq « aliments, ou agrégats » (skandhas) conditionnent le maintien de « l'existence des êtres vivants ».
La coproduction conditionnée est valable pour toute chose, mais est souvent présentée pour expliquer l'origine de la souffrance (dukkha). Elle est présentée comme un ensemble de douze liens, ou maillons, les douze nidānas, formant une suite cyclique, dont certaines écoles bouddhiques considèrent qu'elle est sans cesse parcourue par les êtres humains dans le samsara.
La coproduction conditionnée est un concept très étendu dans la littérature bouddhique, que ce soit au sein du canon bouddhique ou dans les écritures et commentaires des différentes écoles, comme dans le Lalitavistara, texte du bouddhisme mahâyâna décrivant la vie du Bouddha et, notamment, sa découverte de la vérité de la conditionnalité au moment de son atteinte de l'éveil.
Il s'agit d'un concept théorique lié à une pratique, notamment celle de la méditation, se fixant pour but l'atteinte du nirvāna par l'observation des phénomènes tels qu'ils sont.
Il existe plusieurs formulations, plus ou moins classiques, du principe de coproduction conditionnée.
Dans les textes originaux, la formulation courte est la suivante :
Elle est généralement traduite ainsi en français :
Cependant, d'après Dominique Trotignon (de l'Université Bouddhique Européenne), cette traduction pose un problème, dans la mesure où, dans les textes originaux, ce ne sont pas les mêmes formulations qui sont utilisées pour les verbes dans les deux parties de la phrase. De plus, elle ne met pas en avant l'idée, répandue dans le bouddhisme ancien, de conditions multiples face à celle, plutôt présente dans les interprétations ultérieures, de cause (renvoyant à l'idée de cause principale et de chronologie).
Une traduction plus fidèle aux textes originaux pourrait donc être :
Dans ces deux formulations, une lecture — parmi d'autres — consiste à mettre en avant les deux parties de chaque phrase. Les premières parties se référant à la réalité, telle qu'elle est, et les secondes au Saṃsāra.
Pour Ajahn Brahm, ces formulations rejoignent ce qu'on connaît aussi en logique sous le nom de "condition nécessaire" (quand ceci n'est pas, cela n'est pas) et de "condition suffisante" (quand ceci est, cela est).
Une formulation plus longue est assez rapidement apparue dans l'histoire du bouddhisme. Elle introduit plusieurs modifications par rapport aux textes anciens, notamment un enchaînement causal, puis — dans le mahayana — une dimension matérielle.
La coproduction conditionnée est ainsi présentée comme un ensemble de douze liens, ou maillons, les douze nidānas, formant une suite cyclique, dont certaines écoles bouddhiques considèrent qu'elle est sans cesse parcourue par les êtres humains dans le samsara.
Dans cet exposé, ces conditions participent à l'origine du dukkha. Dans le Mahā-tanhāsankhaya-sutta[2] et le Acela-sutta[3], il est ainsi précisé, à la fin de l'exposé de la loi de coproduction conditionnée : « telle est l'apparition de tout ce monceau de dukkha ».
Ces maillons sont (les termes précédés d'un « s. » sont notés en sanskrit, précédés d'un « p. », en pāḷi) :
Cette formulation a une tendance à présenter la coproduction conditionnée comme une suite chronologique, un enchaînement causal. Or, cette interprétation n'est pas présente en tant que telle dans les textes les plus anciens. On ignore l'époque où s'est fixée cette formulation en douze éléments, car seuls huit sont constamment présents dès l'origine : l'ignorance, les constructions mentales, la conscience discriminante, le contact, le sentiment, la « soif », l'attachement et l'existence. Les quatre éléments tardifs sont donc : le nom et la forme, les sphères sensorielles, la naissance et enfin la vieillesse et la mort.
Du point de vue chronologique, on peut distinguer les conditions appartenant au passé (l'ignorance et les constructions mentales), au présent (les huit restantes, que ce soit comme conséquence du passé ou conditions de l'avenir). Du point de vue « causal », on peut différencier les souillures (ignorance, soif, attachement), les actes (constructions mentales, existence) et les fruits (conscience discriminante, nom et forme, sens, contact, sentiments, naissance, vieillesse et mort).
D'après Dominique Trotignon, ces deux lectures induisent une interprétation matérielle des quatre conditions supplémentaires. Il ajoute que la conscience devient alors :
Cette formulation est sans doute apparue de par la nécessité d'enseigner la loi de coproduction conditionnée, le langage ne permettant pas de se passer d'une chronologie. Cependant, de nombreux commentaires mettent en garde contre le fait d'interpréter la coproduction conditionnée de cette unique façon. Ainsi, Buddhaghosa donne-t-il un long avertissement au lecteur, dans le 17e chapitre de son Visuddhimagga, dès le Ve siècle de l'ère chrétienne, l'incitant à considérer la coproduction conditionnée ainsi :
Dans le bouddhisme theravada, l'aveuglement n'est pas la seule cause des créations, il n'y a pas une cause et un effet mais plusieurs causes et plusieurs effets.
Dans le Theravada, il y a deux interprétations différentes de la coproduction conditionnée : l'une qui implique trois temps (ou trois vies successives), l'autre qui affirme que tout se passe dans le présent.
Dans la première interprétation (qui est aussi celle de l'Abhidhamma), le Theravada reconnaît dans la coproduction conditionnée trois temps ; le deuxième maillon, les activités volontaires (sankhara), sont production de kamma appartenant au passé, tandis que le troisième maillon, la conscience, vijnana, est un effet actuel. De même, la soif, l'attachement et le karma sont des causes actuelles, tandis que les deux derniers maillons sont effets futurs.
Ajahn Brahm[4] donne la comparaison suivante : si on a l'argent et le désir, on peut acheter un terrain et s'y faire construire une maison, puis y déménager. L'argent représente le karma, le désir est la soif, la maison est "bhava" (le devenir), le déménagement est la renaissance.
Dans la seconde interprétation, qui est par exemple celle de Buddhadasa, la coproduction conditionnée exprime une loi d'interdépendance qui n’est ni éternaliste ni nihiliste et qui se situe entre l'idée d'existence d'un moi et celle d'absence totale de moi. Elle ne doit pas être enseignée comme si l'évolution d'un individu s'étalait sur trois vies : toutes les étapes de coproduction conditionnée peuvent être parcourues plusieurs fois presque instantanément. Sa mise en pratique est affaire d'attention à chaque instant (sanditthiko : « ici et maintenant ») :
De même, Nanavira Thera (en) refuse l'interprétation en trois temps comme "totalement inadmissible". Pour lui, le karma exprime le fait que "ce que l'on est dépend de ce que l'on fait", et la coproduction conditionnée est immédiate et intemporelle (sanditthiko akaliko) :
Dans le Theravada, il existe vingt-quatre types de conditions (pāḷi : paccaya), bien que certaines soient posées par Buddhaghosa comme synonymes. L'étude des conditions débouche sur une approche analytique de la coproduction : à chaque étape il s'agit de détailler précisément ce qui est conditionné. Par exemple c'est la sensation agréable qui conditionne la soif et non les autres types de sensation.
L'exposé complet des conditions et leur applications à tous les phénomènes mentaux et physiques réside dans le Patthana, dernier — et gigantesque — livre de l’Abhidhamma pitaka, comportant six volumes. Ce livre n'a pas encore été traduit en langue européenne.[réf. souhaitée]
Ces conditions sont posées comme la condition sine qua non pour comprendre la coproduction conditionnée. Ainsi, d'après Nyanatiloka : « Pour comprendre parfaitement le Paṭiccasamuppāda, il […] faut connaître les principaux modes de condition ou relation[1]. »
Les conditions elles-mêmes sont discutées et des écarts d'interprétations semblent prendre place au sein du Theravada. Buddhaghosa détaille des conditions qu'il pose comme synonymes, mais qui portent pourtant un nom différent. Puis il propose d'appliquer à chaque étape les conditions qui conviennent, selon la logique du Patthâna : il s'agit d'abord de détailler, par exemple, quelles créations conditionnent quels états de conscience, puis de quelle manière.
Pour Buddhadasa, il ne peut s'agir de conscience de renaissance (patisandhi-viññāna), mais il s'agit des six types de conscience sensorielle (visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile et mentale), classiquement définies dans le canon pali.
L'attachement se décline sous quatre formes : l’attachement aux plaisirs des sens (kāmupādāna), aux opinions (ditthupādāna), aux règles et rituels (silabbatupādāna) et au concept du « je » (attavadupādāna).
Cette naissance peut aussi être interprétée non comme naissance physique, mais comme naissance du concept du « je » pouvant survenir à tout instant, la sensation d’être quelqu’un ou quelque chose de permanent.
Le Upanissa sutta[7] présente la formulation du cycle qui amène à se libérer de dukkha, qui en est donc le premier maillon (la liste présentée se fonde sur la traduction de Thānissaro Bhikkhu (en) :
On retrouve dans cette formulation certains « facteurs » propres à la pratique de samatha, ainsi que certains stades de vipassana selon la description qu'en fait le bouddhisme theravada.
Le bouddhisme mādhyamika présente une interprétation originale de la coproduction conditionnelle.
Nāgārjuna écrit dans le Mulamadhyamakakarika :
Rien n'est jamais produit :
La coproduction conditionnée n'est que vacuité, ce qui fait la spécificité de sa compréhension par le Madhyamaka. Ce n'est qu'une vérité conventionnelle (saṃvṛti), ce n'est pas une causalité inhérente qui existerait réellement.
Selon l'école du Cittamātra, la coproduction conditionnée n'est « rien qu'esprit ». Il ne s'agit pas de dire que tout soit illusoire, que l'esprit n'existe pas, mais de ramener tous les autres phénomènes à celui de consciences, vijnanas.
Selon Asaṅga :
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