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un des plus célèbres mantras du bouddhisme, issu de sa branche mahāyāna De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Om maṇi padmé hoûm (en sanskrit ॐ मणि पद्मे हूँ / oṃ maṇi padme hūṃ), parfois suivi d'une septième syllabe (हृः / hr̥ḥ), ayant pour diminutif मणि / maṇi, est un des plus célèbres mantras du bouddhisme, issu de sa branche mahāyāna[1],[2]. C'est le mantra des six syllabes du bodhisattva de la compassion Avalokiteśvara (Guanyin en chinois[3],[4], Gwan-eum en coréen (hangeul : 관음) Kannon en japonais, Chenrezig en tibétain).
Il est donc également nommé mantra de la grande compassion (mahākaruṇā). Il est considéré comme important dans le bouddhisme tibétain[5], et a été popularisé au Tibet par Karma Pakshi, le 2e karmapa au XIIIe siècle.
C'est à l'origine un texte des sutras du mahāyāna[1],[2] La plus ancienne description connue de ce mantra est dans le Kāraṇḍavyūhasūtra (en) (chinois : 佛說大乘莊嚴寶王經, Bouddha parle du sutra du sublime roi trésor Mahayana, composé au Cachemire et datant de la fin du IVe siècle ou début du Ve siècle (Taisho Shinshu Daizokyo, 1050))[6]. Le Kāraṇḍavyūhasūtra a été traduit en français par Eugène Burnouf en 1837[6].
On a retrouvé en Chine une pierre datant de 1348, sous la dynastie Yuan, de nationalité mongole, sur laquelle est inscrit ce texte dans six des langues de l'Empire chinois d'alors (mandarin, tibétain, lanydza, ouïghour, phagspa et tangoute[7]). Il existe de nombreuses autres pierres gravées de ce mantra dans toute l'Asie[8].
Avalokiteśvara, Chenrezi en tibétain, est considéré comme une divinité patronne du Tibet par les Tibétains et fait l'objet d'un culte où le mantra à six syllabes joue un rôle primordial[9].
Karma Pakshi, le 2e karmapa, popularisa le chant mélodique du mantra du bodhisattva de la compassion au Tibet au XIIIe siècle[10]. Lors de la cérémonie de la coiffe noire, spécifique du karmapa, celui-ci récite 108 fois ce mantra tout en utilisant un mala (rosaire) en cristal[11].
Le mantra om mani padme hum est considéré comme le sceau distinctif du bouddhisme au Tibet où il est omniprésent[12]. Il y est aussi le mantra le plus courant[13]. On le trouve sur les bannières de prières, les pierres mani, en inscription sur les montagnes, au seuil des maisons et des monastères, psalmodié fréquemment par les pèlerins égrenant des rosaires[12] ou actionnant des moulins à prières (mani khorlo) enchâssant le mantra imprimé des milliers de fois[9].
Le Dalaï-Lama étant considéré comme une émanation de Tchenrézi, le mantra lui est lié[14].
Son rayonnement est très grand dans le bouddhisme mahāyāna (Chine, Corée, Viêt Nam), ainsi que dans le bouddhisme vajrayana (Région autonome du Tibet, Mongolie-Intérieure et d'autres régions de Chine, ainsi que Mongolie, Bhoutan et quelques républiques de la fédération de Russie). Cependant, il est extrêmement peu répandu au Japon, où le mantra de Kannon le plus courant dans le mikkyō est on arorikya sowaka (en sanskrit : oṃ ālolik svāhā). Il correspond à la forme principale d'Avalokiteśvara au Japon : Shō-Kannon. Il est donc à noter que ce mantra est surtout présent dans le bouddhisme de la sphère culturelle tibétaine[15].
Il est considéré comme un paritta dans le bouddhisme Theravāda (pratiqué principalement en Birmanie, au Cambodge, dans Sud de la province du Yunnan, en Chine, en Thaïlande, et au Laos, Java et Sri Lanka (Ceylan)[16].
La premier occidental à en parler est Guillaume de Rubrouck, qui se rend à Karakorum, la capitale de l'Empire mongol en 1254. Il vit nombre de lamas tibétains, et donne un premier éclairage sur le « lamaïsme »[17]. Il voit des prêtres[17] portant une corde de cent à deux cents perles, proches des chapelets chrétiens, et qui répètent sans cessent ces mots « On mani baccam », signifiant, selon lui, « Seigneur tu le connais »[18]. La version traduite en français en 1830 par Pierre Bergeron de l'œuvre de Rubrouck, l'écrit « Ou mam kaotavi »[19].
De Tsaparang où il trouve le jésuite Antonio de Andrade est le premier de son époque à mentionner dans une lettre () cette invocation qui l'intrigue car « il n'est personne qui ne la répète continuellement, et c'est ce qu'ils récitent habituellement avec leur chapelet »[20]. Il en demande l'explication à quelques lamas de Tsaparang mais n'obtient rien de satisfaisant. Après lui, le jésuite Johann Grueber, qui séjourna avec son confrère Dorville à Lhassa en 1661, expliqua à Athanasius Kircher, qui le consigna dans sa China illustrata (1667), que les Tibétains vénèrent un dieu Manippe avec l'invocation « O Manippe mi hum » signifiant « Manippe sauve nous! »[21]
Un autre missionnaire jésuite, en résidence à Lhassa de 1716 à 1721, Ippolito Desideri, en propose une explication. Il a appris le tibétain et ayant vécu en Inde il connaît suffisamment de sanskrit pour saisir le sens de Om mani padme hum. Il écrit : « Om n'est pas un terme significatif ; ce n'est qu'un ornement de style, le mot d'ouverture usuel de tout charme [= formule magique]. Le second mot, Mani, signifie joyau tel qu'une perle, un diamant ou toute autre pierre précieuse. Le troisième, Padme [il écrit Pêmé], est composé des deux mots Padma [Pêmà] et E. Padma signifie une fleur, celle qui pousse dans l'eau, dans les étangs et les lacs (...) [= le lotus]. Le E est une particule d'adresse ou d'invocation comme chez nous la particule O. Quant au dernier mot, Hum, comme le premier il n'a pas de signification propre. C'est un simple ornement [de style] terminant toute parole magique. »[22]
Si le capucin Francesco della Penna (qui arriva au Tibet en 1716, juste après Desideri) préféra ne pas se prononcer sur le mantra au prétexte que l'explication en serait trop longue[23], dans la seconde édition de l'Alphabetum Tibetanum (Rome, 1762), ouvrage qui fut alimenté par la documentation collectée par la mission des capucins au Tibet, le religieux orientaliste Antonio Agostino Giorgi o.s.a. (1711-1797) fournit une édition commentée du mantra, en ne manquant pas de poser l'équivalence des Om bouddhique et brahmanique[24].
Victor Adolphe Malte-Brun écrit au XIXe siècle : « Dans la religion du Bhoutan, comme dans celle du Tibet, il existe une formule sacrée dont les mots hom-ma-ni-pê-mé-houm sont de nature à ne pouvoir être traduits d'une manière satisfaisante à cause de leur sens abstrait et mystique. Toute la doctrine lamaïste se résume dans cette formule : hom adoucit les tribulations du peuple ; ma apaise les angoisses des lamas ; ni soulage les chagrins et les afflictions des hommes ; pe diminue les douleurs des animaux ; houm enfin tempère les souffrances et les peines des damnés. Cette célèbre formule est répétée par tous les religieux ; elle est écrite en tous lieux, sur les bannières, sur les temples, sur les casques des chefs, sur les murailles des habitations et sur les montagnes : quelques-unes de celles-ci la présentent formée avec de grosses pierres fixées dans le sol, de manière qu'on peut la lire d'une très grande distance. »[25]
avec, indiquée entre parenthèses, la 7e syllabe (moins habituellement récitée mais essentielle, comme indiqué sur le dessin ci-dessous où elle occupe la position centrale dans le cercle jaune) :
ॐ मणि पद्मे हूँ ( हृः ) / oṃ maṇi padme hūṃ ( hr̥ḥ ).
Le mantra en question est issu d'un plus vaste ensemble[réf. nécessaire].
Texte en devanagari | Translittération | Traduction française |
---|---|---|
ॐ मणिपद्मे हूँ महाज्ञानचित्तोत्पाद चित्तस्य नवितर्क सर्वार्थ भूरि सिद्धक नपुराण नप्रत्यत्पन्न नमो लोकेश्वराय स्वाहा |
Oṃ maṇipadme hūṃ. Mahājñānacittotpāda, cittasya na-vitarka, sarvārtha bhūri siddhaka, na-purāṇa na-pratyutpanna. Namo Lokeśvarāya svāhā. |
Voici ses diverses transcriptions, suivies de leur romanisation :
La syllabe primordiale, Om̐, est sacrée dans les religions dharmiques (bouddhisme, hindouisme, jaïnisme, sikhisme…).
Maṇi signifie en sanskrit joyau.
Padme représente le mot lotus au locatif (ou, autre interprétation possible : vocatif du composé féminin Maṇipadmā, cf. thèse ci-dessous).
La septième syllabe optionnelle, hrīḥ, est un bīja, c'est-à-dire une syllabe germe ou essentielle, invoquant alors Avalokiteshvara[26],[27].
De syntaxe ambiguë, le mantra contient la possibilité d'un double sens (triple même par une autre possible équivoque, sémantique, d'un langage crypté lié au tantrisme), et comporte ainsi de nombreuses dimensions ; mais il était compris à l'origine, et reste le plus habituellement traduit littéralement par « le joyau dans le lotus », ces deux termes étant eux-mêmes de profonds symboles, que le méditant tient à l'esprit. Un joyau est évidemment précieux ; ici on réfère au joyau-qui-accomplit-tous-les-souhaits (sansk. cintāmaṇi[28], tib. yishin norbu[29]), une sorte de pierre philosophale orientale dont le symbolisme est transmuté au niveau spirituel: il s'agit de notre sagesse innée, la nature-de-bouddha ou tathagatagarbha, mais aussi du guru qui nous en transmet la reconnaissance. Parmi les gemmes, le diamant ou vajra occupe une place spéciale dans le vajrayāna. Par exemple le vajradhātu est la sphère du diamant, inaltérable, claire et brillante, à l'instar de la réalité ultime. Son mandala est extrêmement élaboré et inclut les déités que les syllabes du mantra représentent.
La phrase peut être complétée, comme souvent en sanskrit, par la copule ‒ sous-entendue et donc non prononcée ‒ asti (le verbe « être » à la 3e personne du singulier), et par la 7e syllabe, qui pourrait avoir été choisie comme syllabe germe représentant Tchènrézi (spyan ras gzigs) / Avalokiteshvara (avalokiteśvara) en partie parce qu'elle est, en sanskrit, une abréviation ( हृः / hr̥ḥ ) du mot « cœur » (qui se dit hr̥daya ou, surtout aux cas obliques, hr̥d)[30]. Elle retrouve donc ici son sens premier d'abréviation de la seconde forme du mot sanskrit, mise au génitif : hr̥[da]ḥ. La signification de la phrase complétée est alors : « Le joyau [est] dans le lotus [du cœur]. »
La récitation du mantra aux six syllabes s'intègre en effet dans la pratique dite de Tchènrézi. Représenté sous sa forme à quatre bras, ce bodhisattva, tenant le joyau entre ses deux premières mains jointes au niveau du cœur (les deux autres tenant un lotus, et un chapelet symbolisant la récitation du mantra), siège devant le(s) méditant(s) avec « un beau sourire » adressé à chacun, et « ses yeux regardent tous les êtres sensibles avec compassion »[31], l'original tibétain[32] utilisant d'ailleurs pour celle-ci un composé où entre aussi le mot cœur (thugs-rje)[33]. Après une phase de visualisation avec récitation du mantra, le méditant entre dans « la phase de perfection, Dzorim [rdzogs-rim] » qui, précise Lama Denys Teundroup Rinpoché, disciple autorisé de Kalou Rinpotché,
« commence par le lotus, le disque de lune et la lettre HRI en notre cœur, comme précédemment. Et [qui] ainsi, du cœur de Tchènrézi ‒ Tchènrézi à notre place ‒ diffuse comme précédemment une lumière en tout l'espace ‒ lumière omniprésente. Le monde extérieur se dissout en cette lumière qui se résorbe en la clarté et en l'apparence de Tchènrézi qui fond en lumière et se résorbe en la lettre HRI ; la périphérie, lotus, disque de lune se résorbent en la lettre HRI, et son fin filament blanc, lumineux, se résorbe à son tour, de bas en haut, élément dans élément, jusqu'à ne plus être qu'un point blanc qui rétrécit, minuscule, infime, [et] s'évanouit [dans le cœur du méditant]."[34]
Sa récitation se fait en concurrence avec une visualisation, plus détaillée encore, du mandala d'Avalokiteshvara, c'est-à-dire de l'assemblée des déités qui l'accompagne. Chacun des éléments de cette représentation, ornement, objet rituel, est lui-même symbolique. Ainsi chacun de ses quatre bras représente un des quatre incommensurables.
Quant au lotus, il surgit de la boue, traverse l'eau pour fleurir au soleil sans être lui-même entaché, symbolisant par là la pureté et la beauté. Encore ici la nature essentielle ne subit pas les distorsions adventices du samsara, tout comme l'être qui a assimilé les sagesses de la vacuité et de la non-dualité. Les citations ci-dessous donnent encore d'autres dimensions de ces symboles.
De plus, chacune de ses syllabes est le bīja, l'essence-semence de libération de chacun des domaines ou règnes d'existence, des paradis des devas jusqu'aux enfers. C'est donc envers l'univers entier que le pratiquant envoie sa compassion. On peut aussi faire du mantra l'invocation du muni (sage) ou bouddha de chacun de ces domaines. Et encore, chacune des syllabes représente une des six vertus transcendantes, ou pāramitās de la pensée du mahāyāna, que le pratiquant cherche à actualiser en lui-même. Voici le tableau de ces correspondances[35].
Syllabe (Bija) | Vertu (Pāramitā) | Sagesse (Jñāna)[36] | Distorsion type (Klesha) | Domaine samsarique | Couleur[37] |
---|---|---|---|---|---|
Om | Générosité (Dāna) | De l'Égalité | Orgueil | Dieux (Devas) | Blanc |
Ma | Éthique (Shīla) | Tout-accomplissante | Envie | Titans (Asuras) | Vert |
Ni | Tolérance (Kshānti) | --- | Passion | Humains | Jaune |
Pad | Persévérance (Vīrya) | Tout-embrassante | Torpeur | Animaux | Bleu ciel |
Mé | Concentration (Dhyāna) | Discriminante | Avidité | Fantômes (Preta) | Rouge |
Hum | Discernement (Prajñā) | Semblable-au-miroir | Haine | Enfers | Bleu nuit ou noir |
Selon Donald Lopez de l'Université de Chicago, auteur et spécialiste du vajrayāna, maṇipadme serait un vocatif interpellant Maṇipadmā, donc un autre nom d'Avalokiteshvara, sous forme féminine[38]. Il pourrait cependant s'agir d'une personnification tardive du Joyau-Lotus. Il contredit ainsi l'interprétation usuelle du mantra : en effet dans le langage codé, dit « crépusculaire », du tantrisme, le lotus réfère au vagin, alors que le mani ou le vajra désigne le pénis. Ces connotations ne sont pas évoquées ici, et ne justifient pas une traduction telle que « Hommage au joyau dans le lotus » : « En se basant sur les sources tibétaines et sur une analyse de la grammaire, il apparaît que selon lui le mantra ne peut pas signifier le joyau dans le lotus et que les infinies variations de cette mésinterprétation sont seulement fantaisistes[39]. »
Quant à Alexander Studholme, de l'université de Cambridge, il soutient dans un récent livre sur ce mantra[40], rappelant que dans le contexte du Kāraṇḍavyūha-sūtra, Manipadmé est un locatif signifiant « dans le Joyau-Lotus », et désignant le mode de naissance dans la « Terre Pure » du Bouddha Amitabha, où le récitant aspire à renaître. Il confirme aussi que ce serait un nom d'Avalokiteśvara ou de sa parèdre, et que ce mantra condense plusieurs niveaux d'intention spirituelle.
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