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Le terme libertaire désigne les personnes, courants, mouvements, structures et organisations qui prônent la liberté individuelle comme valeur fondamentale, et qui de ce fait rejettent toute forme d'autoritarisme politique dans l'organisation sociale[1] ou la vie privée. Libertaire est plus particulièrement un synonyme d'anarchiste, utilisé pour se référer à ce courant de philosophie politique développé depuis le XIXe siècle sur un ensemble de théories et de pratiques antiautoritaires[2] et autogestionnaires, basées sur la démocratie directe.
Joseph Déjacque crée ce néologisme en 1857[3] pour affirmer le caractère égalitaire et social de l'anarchisme naissant. Les anarchistes français s'y rallient à la suite de l'entrée en vigueur des lois scélérates.
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les termes "anarchiste" et "libertaire" commencent à être utilisés différemment. "Anarchiste" désignant ceux qui veulent abolir l'État, le capitalisme et les religions, tandis que "libertaire" est utilisé plus largement dans les nouveaux mouvements sociaux et la contre-culture. Cependant les deux sensibilités se réfèrent aux mêmes racines idéologiques[4].
Il est également souvent employé dans des contextes culturels et médiatiques pour désigner une attitude ou une posture individualiste, privilégiant la liberté personnelle et parfois déconnectée de toute dimension politique ou sociale concrète[5].
Le projet libertaire ou anarchiste a pour but de développer une société sans domination et sans exploitation, où les individus-producteurs s'associent et coopèrent librement dans une dynamique d'autogestion, de fédéralisme et de liberté politique par la démocratie directe organisée autour du mandatement impératif.
L’anarchisme est employé tantôt péjorativement par ses détracteurs, comme synonyme de désordre social et dans un sens qui se rapproche de l’anomie. Cela a entraîné une connotation négative pour certains, ce qui est moins fort avec le terme libertaire.
Pour ces derniers l'anarchie n'est justement pas le désordre social mais au contraire l'ordre social absolu grâce notamment au collectivisme anti-capitaliste qui contrairement à l'idée de possessions privées capitalisées, suggère l'idée de possessions individuelles ne garantissant quant à elles aucun droit de propriété concernant l'accumulation de biens non utilisés[6]. L’anarchie est donc organisée et structurée : c'est l'ordre moins le pouvoir.
Comme le précise l'essayiste Hem Day : « On ne le dira jamais assez, l’anarchisme, c’est l’ordre sans le gouvernement ; c’est la paix sans la violence. C’est le contraire précisément de tout ce qu’on lui reproche, soit par ignorance, soit par mauvaise foi »[7].
Le mot « libertaire » a été créé par Joseph Déjacque, militant et écrivain anarchiste, par opposition à « libéral »[8]. Le néologisme construit sur un modèle alors répandu chez les socialistes utopiques par l'usage du terme prolétaire (égalitaire, fraternitaire), apparaît dans une lettre ouverte à P. J. Proudhon, De l'Être-Humain mâle et femelle - Lettre à P. J. Proudhon, publiée à La Nouvelle-Orléans en mai 1857. Joseph Déjacque s'oppose à la misogynie de Proudhon et l'accuse d'être « anarchiste juste-milieu, libéral et non libertaire ». Contre son conservatisme en matière de mœurs, Déjacque revendique la parité des sexes et la liberté du désir dans une société affranchie de l'exploitation et de l'autorité.
Joseph Déjacque a utilisé ce terme comme titre au journal qu'il a publié à New York de juin 1858 à février 1861, Le Libertaire, Journal du mouvement social, titre repris par de nombreuses autres publications ultérieures. C'est dans le dernier quart du XIXe siècle que les socialistes antiautoritaires ont adopté le terme pour désigner les théories et pratiques de l'anarchisme[9].
On retrouve à plusieurs reprises le terme dans le De la Justice... de Proudhon. Il en fait un quasi synonyme d'individualisme.
En France, à la suite des lois votées dans l'urgence les 11 et et le , interdisant tout type de propagande, les anarchistes s'emparent du mot libertaire pour s'identifier et poursuivre leurs activités, notamment éditoriales. Ainsi, en , La Revue anarchiste devient-elle La Revue libertaire[10],[11],[12]. Ces lois « anti-anarchistes » ne seront abrogées qu’en 1992[13].
Pendant plusieurs décennies les deux termes seront utilisés comme synonymes. Ils seront quasiment interchangeables. Ainsi, pendant la Révolution sociale espagnole de 1936, parle-t-on tout autant de la Fédération anarchiste ibérique que de la Federación Ibérica de Juventudes Libertarias, son mouvement de jeunesse. Ainsi, durant la guerre d'Espagne, la militante anarchiste María Silva Cruz (1915-1936), républicaine espagnole fusillée par les nationalistes sans procès, est surnommée María la Libertaire[14].
Pendant la Seconde Guerre mondiale, leur opposition à l'autorité et à l'autoritarisme a poussé de nombreux militants anarchistes et libertaires à lutter contre les nazis et le régime de Vichy. C'est le cas du Havrais Georges Burgat, président de la section locale de la Ligue internationale des combattants pour la paix, qui milite dans Libération-Nord, ou Charles Cortvrint dans les Forces françaises libres[15]. Certains s'engagent en sauvant des Juifs. Analysant l'action de ces "justes" dans sa famille, l'universitaire Ivan Jablonka écrit qu'« une internationale d’artisans, une grande famille de bourreliers, de tailleurs et de coupeurs de cuir a défendu, (...) de 1930 à 1945, les plus hautes valeurs de l’humanisme européen »[16].
Simon Luck note dans sa thèse que les vocables "anarchiste" et "libertaire" ont commencé à être utilisés différemment à partir des années 60. "Anarchiste" désignant alors les partisan de l'abolition de l'État, du capitalisme ou des religions, tandis que "libertaire" était utilisé plus largement pour les mouvements militants. Ainsi ces deux vocables on commencé à définir des réalités sociales différentes même s'ils se réfèrent à la même idéologie[4].
Pour le philosophe Daniel Bensaïd, il existe un « moment, post-stalinien, [qui] répond aux grandes désillusions du siècle tragique des extrêmes. Plus diffus, mais plus influent que les héritiers directs de l’anarchisme classique, un courant néo-libertaire émerge confusément. Il constitue un état d’esprit, un "air du temps" (a mood), plutôt qu’une orientation définie. Il embraye sur les aspirations (et les faiblesses) des mouvements sociaux renaissants »[17].
Aux Pays-Bas, selon l'historien Rudolf de Jong, « Dans les années 1960 la société néerlandaise changea rapidement et profondément. On pourrait même parler d'une révolution culturelle, avec un réveil de l'esprit libertaire, des idées antihiérarchiques et l'éruption des [...] Provo (1965-1966) [...] qui attirèrent l'attention internationale[18] ». Non-violent, pacifiste, écologiste avant l'heure, le mouvement Provo manifeste un refus radical des jeux politiques. D'un esprit libertaire ludique, il utilise le détournement de l’image et est passé maître dans l’art du happening[19].
En France, Mai 68 marque un tournant, notamment par le rôle déterminant que joue le Mouvement du 22 Mars au début des événements. Avec la critique situationniste de la société du spectacle, « le courant libertaire vit une révolution culturelle rampante qui lui permet de se renouveler et de connaître une expansion sans précédent »[20].
Dans les années 1970, un courant issu des nouveaux mouvements sociaux[21],[22] s'approprie le terme libertaire sans se référer pour autant à un courant précis de l'anarchisme. « Le refus de l’autorité, l’accent mis sur la priorité du jugement individuel, incitent particulièrement les libertaires à faire preuve d’antidogmatisme »[23]. Dans ce contexte, émergent de nouveaux médias comme Actuel ou le journal Libération et de nouvelles figures intellectuelles libertaires comme Jacques Ellul[24], Michel Onfray, Daniel Colson[25], Normand Baillargeon, Ruwen Ogien[26],[27], Miguel Benasayag, etc. Une partie de la gauche non communiste devient libertaire sans cesser d'être antilibérale économiquement[28].
Selon le politologue Francis Dupuis-Déri : « Les principes du socialisme libertaire trouveront à s’incarner au fil des années 1970 et 1980 dans des mouvements sociaux de sensibilité antiautoritaire et antihiérarchique, qui pensent l’organisation militante elle-même comme un espace libre, autonome et autogéré par ses membres, et dans lequel se développe par la délibération un sens du bien commun, de l'égalité et de la liberté. Cette sensibilité continue de s’affirmer dans le mouvement altermondialiste, qui émerge vers la fin des années 1990, à travers ses manifestations de rue spectaculaires, de la Bataille de Seattle en 1999 aux mobilisations contre le G8 en Allemagne pendant l’été 2007, ainsi que dans sa structure globale, ses médias alternatifs, sa production artistique et ses camps radicaux en marge des Forums sociaux »[29].
Le terme "libertaire" est aujourd'hui utilisé de manière polysémique. Parfois comme stricte synonyme des pratiques spécifiques historiques de l'anarchisme mais également, comme le fait remarquer Simon Luck, pour désigner de nouvelles « identités libertaires »[4]. Il est également repris dans des contextes culturels et médiatiques pour revendiquer une liberté d'esprit, mais il est alors souvent déconnecté de la dimension politique que revêtait initialement le terme[5].
Dans l'histoire de la terminologie politique, le terme 'libertaire' a d'abord été utilisé pour désigner les idées et les mouvements liés à l'anarchisme. Cette utilisation historique reflète une période où 'libertaire' était synonyme d'anarchisme, mettant l'accent sur la liberté et l'autonomie individuelle comme piliers de la pensée anarchiste. Au fil du temps, cette association a été préservée dans de nombreux dictionnaires en ligne. Aujourd'hui, la plupart de ces sources continuent de reconnaître une synonymie entre 'anarchisme' et 'libertaire', témoignant ainsi de l'évolution historique et de la persistance du sens originel du terme 'libertaire' dans le contexte de l'anarchisme[30],[31],[32],[33],[34].
Irène Pereira, dans sa thèse de doctorat de sociologie, se pose la question : « Qu’est ce qu’être libertaire aujourd’hui ? Quel est l’héritage de l’esprit de Mai 68 aujourd’hui ? [...] l’esprit de Mai conjoint trois grammaires : la grammaire socialiste, la grammaire démocratique et la grammaire contre-culturelle. Un des héritages possible de Mai 68 aujourd’hui consiste à essayer de trouver un équilibre dans la pratique libertaire. Les pratiques libertaires actuelles constituent des tentatives pour déplacer les oppositions entre revendications universalistes et revendications spécifiques, action de masse et désirs minoritaires, égalité et liberté... dans le cadre d’un retour de la critique sociale »[35].
Et le sociologue Mimmo Pucciarelli (municipaliste libertaire) de poursuivre : « Les libertaires de l'an 2000, tout en continuant à exprimer leur sensibilité libertaire et une forte solidarité pour les plus démunis, ne sont plus les porteurs du rêve du Grand Soir, ou de celui visant à créer un paradis sur terre. Pourtant, par leurs pratiques quotidiennes et la problématique qui est la leur (quelle liberté et quelle justice pour un monde meilleur ?), ils continuent à parcourir les chemins de l'utopie »[36].
En 2001, le politologue Jean-Jacques Gandini évoque « des parcours peu connu des nouvelles générations qui, depuis une dizaine d’années, sont de plus en plus réceptives à l’idéal libertaire qui veut conjuguer liberté, égalité et justice sociale dans une société d’individus sujets ayant barre sur leur propre destinée. »[37].
En 2009, dans une étude de Magaly Pirotte pour le Collectif de recherche sur l'autonomie collective (Québec), le collectif féministe libertaire « Ainsi squattent-elles ! » définit la culture libertaire comme « un refus de l’autorité jugée illégitime, le recours privilégié à l’action sans intermédiaire et une forme organisationnelle qui se caractérise par l’autonomie, la démocratie directe et la décentralisation du pouvoir »[38].
En 2019, dans son manifeste l'Union communiste libertaire défend un projet de société libertaire entendu comme « une société qui a pour objectif et pour condition l’émancipation des individus, qui passe par l’égalité économique et sociale et par une démocratie fédéraliste, autogestionnaire »[39].
Alors qu'à l'origine le terme libertaire est inventé pour souligner le manque de radicalité de certains anarchistes[40], au contraire, dans la deuxième partie du xxe siècle, il se retrouve moins radicalement connoté que le terme anarchiste, parfois associé au désordre, voire aux attentats de la propagande par le fait ou encore au mouvement punk.
"Libertaire" est aujourd'hui souvent utilisé pour décrire des idées et des pratiques qui valorisent surtout la liberté individuelle, mais d'une manière qui penche vers des perspectives libérales classiques ou celles inspirées par des philosophes comme Nietzsche, qui mettent l'accent sur l'individualisme aristocratique. Cela inclut une forte tendance à la critique artistique, mais sans s'attaquer aux problèmes sociaux plus larges, à la différence de l'anarchisme qui aspire à une transformation radicale de la société[41].
L'étiquette libertaire est ainsi beaucoup plus largement revendiquée et endossée, par certains militants antilibéraux ou alternatifs pourraient être considérés comme libertaires sans nécessairement viser une révolution sociale complète[41]. Mais y compris aussi par des personnalités dont la pratique n'est pas immédiatement en accord avec la philosophie libertaire, au point que certains se réclament un temps de l'oxymore « libéral-libertaire »[5].
Ainsi dans la sphère culturelle, certains créateurs se réclament libertaires sans pour autant endosser l'étiquette anarchiste : Albert Camus[42],[43] en est un exemple, mais on peut également citer André Breton[44], Jacques Prévert[45], Boris Vian[46], Robert Desnos[47], Catherine Ribeiro[48],[49], François Béranger[50], Étienne Roda-Gil[51], Agustín Gómez-Arcos[52],[53], etc. Il en est de même dans le cinéma[54], avec Jean-Pierre Mocky[55] ou Luis Buñuel[56].
En 2013, dans son ouvrage « Les gauches françaises, 1762-2012 », l'historien et essayiste Jacques Julliard distingue quatre gauches et développe une typologie : gauche libérale, gauche jacobine, gauche collectiviste, gauche libertaire[57].
En février 2014, Philippe Corcuff dans Libération, par opposition au terme Libéral-libertaire définit ainsi « Libertaire, au sens anti-étatiste et anticapitaliste de Bakounine, comme dans la veine d’un Proudhon, avec la promotion de la coopération d’individualités autonomes et singulières »[58].
En octobre 2014, Jean-Luc Bennahmias, bien qu'ayant un parcours politique et personnel intégralement social-démocrate (PSU, Verts puis MoDem) se réclame d'une « démocratie sociale-libertaire » et déclare : « Ça fera rire les internautes, mais je suis un libertaire »[59],[60].
En , Yánis Varoufákis, ministre grec des Finances, se définit comme marxiste libertaire[61],[62].
Aux élections régionales de décembre 2015 en Île-de-France, une Fédération Libertaire Unitaire Ouverte (FLUO), à l'initiative de Sylvain De Smet, conseiller régional sortant, dépose des listes composées de membres du Parti pirate, de Cannabis sans frontières, de dissidents d'EÉLV, ainsi que de figures du mouvement associatif (Act Up-Paris, « Free Party », Syndicat du travail sexuel, etc.)[63],[64].
À contre-sens de l'origine anarchiste et égalitaire du terme, le philosophe et sociologue marxiste Michel Clouscard a introduit l'expression synthétique « libéral-libertaire » dans son livre Néo-fascisme et idéologie du désir (1972) pour dénoncer la permissivité morale des étudiants gauchistes de mai 1968 qu'il considère comme une attitude contre-révolutionnaire. Cette expression relèverait de la figure de style mais a depuis été revendiquée par certains, principalement le député européen Daniel Cohn-Bendit[65] ou le réalisateur Romain Goupil[66], ce qui lui a de fait donné une certaine existence.
L'idéologie libertaire, même dans sa variante individualiste, se démarque totalement du libertarianisme en prônant l'égalité réelle et en se défiant de la religion (rationalisme athée des libertaires). Ainsi, l'anthropologue et philosophe français Ruwen Ogien dans L'État nous rend-il meilleurs ? Essai sur la liberté politique présente la démonstration qu'une liberté individuelle radicale peut tout à fait être cohérente avec un idéal égalitaire tout aussi radical. La conception politique qu'Ogien défend « est libertaire (ou permissive) pour les mœurs, et égalitaire (ou non inégalitaire) du point de vue économique et social » (page 263)[67].
La confusion entre les deux est néanmoins fréquente, notamment en cas de passage de l'anglais au français. Les Anglo-Saxons ont tendance à qualifier les libertaires de socialist libertarians (ou libertarisme de gauche pour le mouvement libertaire). Libertarian (en) seul est très ambigu et notamment peut faire référence aux théories économiques voulant réduire le rôle de l'État à la défense de la propriété privée et aux partis politiques capitalistes s'en revendiquant. Pour le politologue américain Herbert Kitschelt : « Il ne faut pas confondre le concept de libertaire tel que je l'utilise avec les notions individualisme libéral d'un côté ou anarchisme de l'autre[68] ».
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