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sixième album de la série de bande dessinée Blake et Mortimer De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La Marque jaune est la troisième aventure et le sixième album de la série de bande dessinée Blake et Mortimer, créée par le dessinateur belge Edgar P. Jacobs. L'histoire est d'abord prépubliée dans Le Journal Tintin du au , au rythme d'une planche par semaine, avant d'être éditée en album en aux Éditions du Lombard, puis rééditée en aux Éditions Blake et Mortimer.
La Marque jaune | ||||||||
6e album de la série Blake et Mortimer | ||||||||
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Fresque murale du parcours BD de Bruxelles reproduisant la couverture de l'album, réalisée en 2005 par Art Mural. | ||||||||
Auteur | Edgar P. Jacobs | |||||||
Genre(s) | Aventure Policier Science-fiction |
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Personnages principaux | Francis Blake Philip Mortimer |
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Lieu de l’action | Royaume-Uni (Londres) | |||||||
Époque de l’action | Années 1950 | |||||||
Pays | Belgique | |||||||
Langue originale | Français | |||||||
Éditeur | Les Éditions du Lombard | |||||||
Première publication | Du au dans Le Journal de Tintin | |||||||
Nombre de pages | 66 planches | |||||||
Adaptations | La Marque jaune (feuilleton radio, années 1950) La Marque jaune (jeu vidéo, 1988) La Marque jaune (dessin animé, 1997) |
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Albums de la série | ||||||||
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Dans cette aventure, le capitaine Francis Blake et son ami le professeur Philip Mortimer enquêtent sur les méfaits d'un mystérieux criminel, surnommé la Marque Jaune en raison de la signature qu'il appose à la craie jaune sur les lieux de ses crimes. La nécessité de retrouver l'individu se fait plus pressante lorsqu'il enlève quatre notables londoniens au nez et à la barbe de la police. La Marque jaune est la première aventure de la série qui se déroule entièrement au Royaume-Uni. Pour composer les décors de son album, Edgar P. Jacobs effectue un repérage sur place et cherche à s'imprégner au mieux de l'ambiance londonienne pour représenter fidèlement la capitale britannique. Le scénario, qui doit beaucoup aux échanges entre l'auteur et son ami Jacques Van Melkebeke, s'inscrit dans une longue tradition cinématographique et littéraire, empruntant notamment de nombreuses références au cinéma expressionniste allemand des années 1920.
L'album, considéré comme le plus abouti et le plus emblématique de Jacobs, est reconnu comme un chef-d'œuvre de la bande dessinée franco-belge. Salué pour le suspense de son intrigue, qui maintient une tension permanente autour de l'insaisissable criminel et du personnage de savant fou du Dr Septimus, comme pour la qualité de sa réalisation graphique, il occupe une place essentielle dans l'œuvre du dessinateur et sert en quelque sorte de matrice pour les autres aventures de la série. Le réalisme expressif de Jacobs, sa précision du détail, son traitement de la couleur et la rigueur de ses compositions ont fait l'objet de nombreuses études.
La Marque jaune est traduit dans près d'une dizaine de langues. L'aventure, adaptée en feuilleton radiophonique, en dessin animé et en jeu vidéo, a fait l'objet de plusieurs projets de films. Sa couverture emblématique a inspiré de nombreux dessinateurs et subi de nombreux détournements. Elle est notamment reproduite sur une fresque dédiée à la série dans le parcours BD de Bruxelles.
À Londres, un soir de décembre, un homme parvient à dérober la Couronne impériale malgré la surveillance étroite des gardiens de la Tour de Londres[a 1]. Ce vol intervient à la suite d'une série de méfaits commis par un mystérieux criminel qui signe ses actes de la lettre μ tracée à la craie jaune[a 1],[a].
Nul ne semble pouvoir arrêter ce personnage insaisissable surnommé la « Marque jaune ». Le capitaine Francis Blake, du MI5, est alors chargé par le Home Office d'assister l'inspecteur-chef Glenn Kendall de Scotland Yard dans son enquête[a 2]. Il fait appel à son ami le professeur Philip Mortimer et tous deux passent la soirée au Centaur Club en compagnie du rédacteur en chef du Daily Mail, Leslie Macomber, du juge Hugh Calvin, du professeur Raymond Vernay et du docteur Jonathan Septimus[a 3]. Ces quatre hommes sont enlevés successivement[a 4].
Pendant que Blake et Kendall suivent plusieurs pistes, Mortimer mène l'enquête de son côté et découvre un lien entre les quatre victimes : une affaire remontant à 1922 concernant la publication d'un livre intitulé The Mega Wave (L'Onde Méga), écrit par un mystérieux Dr Wade. Il déniche un exemplaire du livre et devine la véritable identité de son auteur, qui n'est autre que Septimus[a 5]. Il se rend aussitôt en taxi à Limehouse Dock où la Marque jaune a tendu un piège au capitaine Blake pour tenter de l'éliminer[a 6]. Mis en fuite par la police, le criminel est intercepté par Mortimer. Ce dernier se lance dans une poursuite qui le mène à son repaire. Là, il découvre avec stupeur que, sous les traits de la Marque jaune, se cache son grand ennemi Olrik, manipulé par le Dr Septimus lui-même[a 7].
Capturé, Mortimer se voit révéler toute l'histoire par Septimus. Blake et Kendall finissent par retrouver sa trace grâce au conducteur du taxi qui l'avait conduit à Limehouse Dock[a 8]. La police investit la maison de Septimus et s'attaque à la porte blindée qui mène au laboratoire secret du professeur. Dans le même temps, au sein de ce dernier, Olrik est brusquement libéré de l'influence de Septimus par une formule prononcée par Mortimer. Il se retourne alors contre son maître et l'anéantit avec sa propre machine[a 9]. Au moment où il s'apprête à faire connaître le même sort à Mortimer, les hommes du Yard font leur entrée et le mettent en fuite. Les prisonniers sont libérés et la Couronne impériale est finalement retrouvée alors que débute le jour de Noël[a 10].
Comme dans les deux précédentes aventures, Edgar P. Jacobs met en scène les trois personnages principaux de la série dans La Marque jaune : le capitaine Francis Blake et son ami le professeur Philip Mortimer doivent affronter leur rival de toujours, le colonel Olrik, réduit au rôle de cobaye du Dr Septimus, psychiatre au Psychiatric Institute[a 11]. Un autre personnage récurrent de la série est intégré au récit dans un rôle très secondaire : Ahmed Nasir, qui fait sa dernière apparition sous la plume de Jacobs, joue ici le rôle d'un simple domestique[h 1].
Parmi les autres personnages secondaires de l'aventure figurent :
La majeure partie de l'action se déroule à Londres, au Royaume-Uni, notamment dans le centre de la ville. Cependant, l'épisode de l'accident du train se déroule dans le comté d'Essex, quelque part entre Chelmsford et Colchester, à environ deux miles de la gare de Witham[a 17]. De plus, une partie du récit de Septimus se situe dans l'actuel Soudan : il explique s'être établi à Fanaka, petite localité de la province du Nil Bleu, puis avoir été sollicité par le commissaire du district installé à Wisko, poste en plein désert[a 18].
De nombreux monuments et de nombreuses rues de la capitale britannique sont représentés ou cités, notamment la Tour de Londres[a 1], la gare de King's Cross[a 19], Piccadilly, où Jacobs situe le Centaur Club, lieu de rendez-vous de Blake et Mortimer[a 20], Park Lane[a 21], où se trouve leur logement, Tavistock Square, où se trouve la maison du Dr Septimus[a 22], Fleet Street[a 23], la salle de lecture du British Museum[a 24], Limehouse Dock (en)[a 25], le 10 Downing Street[a 26], Shaftesbury Avenue[a 27], New Oxford Street[a 28], Coptic Street[a 28], Great Russell Street[a 29], ou encore le Charing Cross Hospital (en)[a 30].
Au moment de commencer l'écriture de La Marque jaune, Edgar P. Jacobs est, avec ses aventures de Blake et Mortimer, un des piliers du magazine Le Journal de Tintin, l'un des principaux hebdomadaires pour la jeunesse, édité en Belgique et en France[2]. Le premier volet de la série, Le Secret de l'Espadon, dont la publication commence en [b 1], rencontre un succès immédiat, et devient le premier album de bande dessinée édité par Le Lombard en 1950[b 2],[3].
À cette époque, le rythme de parution hebdomadaire des bandes dessinées tient en haleine les lecteurs et fait naître une attente considérable d'une semaine à l'autre, au point que certains lecteurs finissent par connaître par cœur les dernières péripéties de leur héros, avant de découvrir la suite du récit[c 1]. La deuxième histoire de Blake et Mortimer, Le Mystère de la Grande Pyramide, paraît de à [b 3] et connaît le même succès[4].
L'écriture de La Marque jaune doit beaucoup à l'apport de l'écrivain et scénariste Jacques Van Melkebeke. Benoît Mouchart considère d'ailleurs l'album comme un « révélateur de l'amitié » entre les deux hommes dans la mesure où ceux-ci puisent de nombreux éléments de l'intrigue dans leurs lectures et les films découverts pendant leur jeunesse, en particulier le cinéma expressionniste allemand. Par conséquent, le récit peut-être vu comme « le catalogue de toutes les passions qu'ils ont partagées ensemble jusque-là »[c 2].
Par ailleurs, Mouchart dresse un parallèle entre Jacques Van Melkebeke et le personnage du Dr Septimus : tout comme le savant signe son livre The Mega Wave sous un pseudonyme, Van Melkebeke, un temps inquiété pour ses travaux sous l'occupation allemande, est mis à l'index après la guerre et réduit à un travail de l'ombre, influençant bon nombre de dessinateurs sans que sa participation soit révélée au grand jour. Cette dédicace, dans laquelle Mortimer reconnaît l'écriture de Septimus et parvient à résoudre l'intrigue, apparaît comme « un miroir tendu à la relation entre Jacobs et Van Melkebeke, où ce dernier avance masqué, tout comme le savant fou dans le récit »[c 2].
Pour composer les décors de son nouveau récit, Edgar P. Jacobs tient à s'imprégner de l'ambiance londonienne[c 3]. Il y séjourne pendant trois jours à la fin du mois d'août 1952 avec sa nouvelle compagne Jeanne Quittelier[h 2],[b 4], lors d'un périple qui a tout d'une expédition exotique pour un auteur qui ne parle pas un mot d'anglais et qui n'a pas l'habitude de voyager[c 3]. Ce séjour est d'abord une déception : alors que Jacobs veut éprouver le brouillard et la pluie londonienne pour s'imprégner au mieux du mystère qui entourait la ville dans ses lectures de jeunesse, il découvre Londres au milieu d'un été caniculaire[c 3]. Pour autant, les rues de la capitale britannique évoquent encore l'Angleterre traditionnelle que l'on retrouve dans Blake et Mortimer, et le dessinateur se plait à voir « des parapluies roulés et des chapeaux melons encore nombreux », ainsi que de « superbes Indiens enturbannés » qui rappellent « Kipling et les fastes de l'Empire[b 4] ».
Edgar P. Jacobs en profite pour mener un vaste travail de repérage et de documentation. Il passe ses journées à arpenter les rues de la ville[b 4]. De fait, l'aspect très réaliste des décors du récit est dû au fait qu'à son retour à Bruxelles, le dessinateur travaille à partir de croquis et de photographies qu'il a lui-même pris sur le terrain[5].
L'auteur prend de nombreux clichés des monuments emblématiques de la ville, comme la Tour de Londres, Law Courts, la fontaine du Shaftesbury Memorial au centre de Piccadilly Circus, le 10 Downing Street, résidence officielle du Premier ministre, ou encore le siège de Scotland Yard sur Victoria Embankment[c 3]. Il repère également Fleet Street, véritable centre de la presse britannique où il situe logiquement les bureaux du Daily Mail. Il reproduit d'ailleurs dans l'album la célèbre horloge du Daily Telegraph Building et l'agitation de cette rue alors que se dessine la coupole de la cathédrale Saint-Paul à l'arrière-plan[c 3].
Jacobs s'inspire également de bâtiments réels pour représenter des lieux fictifs. Il reproduit notammant une maison à l'architecture victorienne de Kensington Gate pour représenter l'entrée du Centaur Club où se retrouvent chaque soir Blake et Mortimer[c 3]. Mais alors qu'il avait prévu de situer la maison du Dr Septimus près de Gordon Square, dans le quartier de Bloomsbury où se situe le Royal Hotel dans lequel il séjourne avec sa compagne, il s'aperçoit que le lieu ne convient pas à ses volontés et finit par trouver, un peu plus loin, un immeuble à la façade de briques rouges et de stuc sur Tavistock Square[b 4],[c 3].
La courte durée de son séjour ne permet pas au dessinateur de se rendre sur tous les lieux de l'intrigue. Par conséquent, Jacobs rapporte un exemplaire du Picture Book of London dans lequel il puise de nombreux éléments pour réaliser les décors extérieurs de son aventure[c 3]. Il s'inspire également de son environnement immédiat. Ainsi, le dessin de la ruelle observée par Mortimer à travers une lucarne du Centaur Club, dans la cinquième planche, ressemble à la vue par la fenêtre d'une taverne située près de la Grand-Place de Bruxelles[c 1]. De même, une partie des décors de Limehouse Dock est réalisée à partir de photographies des docks du port de Bruxelles[c 3], ce qui n'empêche pas le dessinateur de représenter brillamment l'état d'abandon de ces quais, conséquence de la crise qui résulte de l'accession de l'Inde à l'indépendance[h 3].
Le souci de crédibilité et de réalisme du récit pousse également Jacobs à représenter fidèlement des véhicules réels : les voitures de police, dont celle volée par Olrik, sont des Wolseley 4/50, tandis que le taxi que prend Mortimer est un authentique modèle de Low Loader de la marque Austin datant de 1934. Blake conduit pour sa part un autre véhicule de cette marque, une Austin A70 Hampshire, ressemblant dans certaines cases à une A40 Devon, Jacobs ayant visiblement fait quelques légères confusions entre les deux voitures[6].
Pour les besoins de son récit, Edgar P. Jacobs établit le domicile de Blake et Mortimer au no 99 bis Park Lane, un immeuble fictif dans une rue bien réelle, à proximité de Hyde Park. En réalité, l'immeuble qui inspire Jacobs est situé au no 94 et fait l'angle de cette rue et d'Upper Grosvenor Street. Seule la porte de service donne dans Park Lane[7]. Le dessinateur fait évoluer ses héros dans un salon typiquement britannique, orné de nombreux objets d'arts et de souvenirs rapportés par les deux amis de leurs aventures précédentes. Pour les besoins de L'Affaire Francis Blake en 1996, le dessinateur Ted Benoit réalise un plan très précis de l'appartement des héros, en s'appuyant sur la seule représentation qu'en fait Jacobs dans La Marque jaune et où il recense trente-quatre objets de toutes tailles[7].
La cheminée est dominée par un imposant masque égyptien du pharaon Akhenaton, probablement rapporté du plateau de Gizeh au terme du Mystère de la Grande Pyramide. Une petite statuette figurant le scribe Thot est posée sur le rebord de cette cheminée, tandis que deux autres statuettes sont disposées sur des socles qui l'encadrent, l'une représentant le dieu Teotihuacan, l'autre d'origine zapotèque. Un tapis navajo est accroché sur le mur à droite de la cheminée, devant lequel figure une statue précolombienne. Une grande vitrine, à côté de laquelle est installé un panneau d'art japonais, renferme de nombreux autres objets. Des éléments de plus grandes dimensions sont également disposés dans ce salon, à l'image d'un grand sarcophage de granit auquel se heurte la Marque jaune, ou encore une grande statue d'Anubis[7].
Edgar P. Jacobs étudie les travaux de nombreux scientifiques, comme le neurochirurgien britannique Wylie McKissock, spécialiste de la lobotomie dont les théories sont à l'époque vertement critiquées par la communauté scientifique[b 5], ou bien encore les recherches sur la visibilité des ondes cérébrales menées par Arnold Taylor et Georges de la Warr[c 4]. L'auteur extrapole également les propriétés de l'onde Méga à partir des études du professeur Garbedian sur le surhomme[h 4].
Jacobs s'appuie sur des revues de vulgarisation pour mieux comprendre et documenter ces théories. Un numéro de Science pour tous lui permet d'élaborer les générateurs et l'éclateur qui réduit Septimus en fumée, tandis que le no 429 de du magazine Science et Vie, consacré à l'exploration électrique des mécanismes du cerveau, lui fournit une abondante documentation pour dessiner le télécéphaloscope qui permet au savant de contrôler le cerveau d'autrui[b 5],[c 4],[8].
Par ailleurs, Edgar P. Jacobs est encouragé dans sa démarche par les déclarations de plusieurs médecins, comme les docteurs Tow et Hugh Cairns (en) qui affirmaient que la question de la modification de la personnalité avait largement dépassé le stade de l'hypothèse dans les camps des États totalitaires[b 5].
L'élaboration du scénario de La Marque jaune doit beaucoup aux discussions de l'auteur avec son ami de toujours, Jacques Van Melkebeke, qui possède une connaissance encyclopédique de la littérature anglo-saxonne. Les deux hommes travaillent dans l'appartement de Jacobs, situé avenue du Couronnement, à Bruxelles[b 6]. Edgar P. Jacobs imagine successivement plusieurs titres pour ce nouvel album : L'Homme aux lunettes jaunes, Un cas étrange, L'Onde Méga, L'Onde de Prométhée, ou encore Le Fluide maléfique. Ces titres évoquent ceux de chefs-d'œuvre britanniques incontournables, tels que L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, de Robert Louis Stevenson, ou Frankenstein ou le Prométhée moderne, de Mary Shelley[b 6], deux romans dans lesquels des créatures terrorisent les habitants, à l'image d'un autre grand mythe littéraire, le Golem[9].
Plus largement, ce récit, comme les autres conçus par Jacobs, est nourri des romans de merveilleux scientifique, un genre très en vogue au début du XXe siècle dont l'auteur découvre quelques exemples dans les magazines qu'il affectionne comme Je sais tout et Lectures pour tous[c 4]. Cette littérature d'imagination scientifique regorge de personnages de savants fous aux inventions prodigieuses, comme peut l'être le Dr Septimus avec son télécéphaloscope[c 4].
Mais l'auteur puise également dans des lectures plus récentes. Jacques Van Melkebeke lui conseille la lecture d'un roman de Curt Siodmak, écrivain berlinois exilé à New York, Le Cerveau du nabab, dont la traduction française paraît en 1949 et qui développe le thème de la manipulation des cerveaux. Plusieurs scènes de ce roman se retrouvent dans le récit didactique que propose le Dr Septimus à Mortimer à la fin de l'album[b 6]. De même, par sa structure et son suspense, le rituel d'élimination de La Marque jaune rappelle celui des Dix Petits Nègres, le roman policier d'Agatha Christie[b 7].
Sur un autre plan, en situant le lieu de rendez-vous entre le capitaine Blake et la Marque jaune dans le quartier de Limehouse, Edgar P. Jacobs s'inscrit dans une tradition littéraire qui fait de ce quartier de l'East End londonien « le lieu du crime exotique et ingénieux », à commencer par les romans de l'écrivain britannique Sax Rohmer mettant en scène le docteur Fu Manchu, ou bien les œuvres du romancier belge Jean Ray consacrées aux aventures de l'inspecteur Harry Dickson[c 5].
Les références cinématographiques sont nombreuses dans l'album, en particulier celles tirées du cinéma expressionniste allemand des années 1920, que Jacobs et Van Melkebeke appréciaient beaucoup et dont l'esthétique et l'atmosphère fantastique ont inspiré plusieurs générations d'artistes[b 6],[c 6].
En premier lieu, Le Cabinet du docteur Caligari, un film de Robert Wiene datant de 1920, est une importante source d'inspiration pour La Marque jaune, tant pour son atmosphère onirique et cauchemardesque que pour la relation de maître à esclave qui se noue entre les protagonistes de l'histoire[c 6]. Dans cette œuvre, le docteur Caligari use de l'hypnose sur le personnage de Cesare pour que ce dernier commette des crimes à sa place, ce qui permet au docteur d'assouvir son désir de vengeance envers la société, à l'instar de Septimus dans La Marque jaune[b 6]. Dans un premier temps, Olrik apparaît comme une sorte de somnambule, manipulé et privé de toute volonté, avant de se retourner contre son maître[c 6].
Ce conflit opposant le maître à sa créature évoque le cas de Victor Frankenstein, tel qu'il apparaît dans les deux films du réalisateur anglais James Whale, Frankenstein (en 1931) et surtout La Fiancée de Frankenstein (en 1935)[b 6]. Dans ce dernier film, le savant est secondé par un être maléfique, le Dr Septimus Pretorius, interprété par l'acteur Ernest Thesiger, et qui inspire ainsi le nom du personnage de Jacobs[b 6],[8]. L'hypnose pratiquée par le docteur au moyen d'un disque tournant évoque quant à elle une scène du film La Femme en vert, réalisé par Roy William Neill en 1945[10]. Septimus rappelle également le personnage du docteur Mabuse, créé par l'écrivain luxembourgeois Norbert Jacques et mis en scène par Fritz Lang dans le film Docteur Mabuse le joueur en 1922. De même que Mabuse, Septimus menace l'ordre moral et politique de son pays[c 6].
Ses inspirations physiques sont multiples : Edgar P. Jacobs reprend les traits de l'oncle de sa compagne, Arthur Vasselio[h 5], mais s'inspire également de l'acteur Conrad Veidt dans le film Le Crime du docteur Warren de Friedrich Wilhelm Murnau, sorti en 1920[h 5]. La personnalité de Septimus recouvre elle aussi de multiples inspirations : outre le docteur Caligari et le docteur Mabuse déjà cités, le docteur imaginé par Jacobs reprend également le côté savant fou, mégalomane et meurtrier du Dr Gogol, incarné par Peter Lorre dans Les Mains d'Orlac de Karl Freund en 1935[h 5],[c 6].
L'apparence de ce personnage, vêtu d'un chapeau, d'une cape et de lunettes noires, sert également de modèle à Jacobs pour habiller Olrik, quand celui-ci s'infiltre de nuit dans l'appartement de Blake et Mortimer. Son visage masqué par d'imposantes lunettes évoque également l'apparence de l'acteur Claude Rains dans L'Homme invisible de James Whale en 1933, un film adapté du roman éponyme de H. G. Wells, l'écrivain fétiche d'Edgar P. Jacobs[c 6]. Olrik emprunte aussi la force dévastatrice et le rire sardonique de ce personnage[h 5]. Sa longue cape rappelle celle du Fantômas de Jean Sacha, sorti en 1947[h 5], ou celle de Judex, le héros créé par le réalisateur Louis Feuillade en 1916[c 6].
Dans un article publié dans la revue Positif en 1986, Sylvain Bouyer croit déceler une ressemblance entre la silhouette du personnage principal du film L'Homme au masque de cire, réalisé par André de Toth en 1953, et celle de la Marque jaune[11], ce que contredit Charles Dierick en s'appuyant sur un argument chronologique : le film est projeté dans les cinémas bruxellois à partir du , alors que Jacobs est déjà en pleine préparation de son album et ce depuis un an au moins[12]. Par ailleurs, les deux images rapprochées par Bouyer présentent un certain nombre de différences, en particulier les points de vue adoptés par le réalisateur et le dessinateur[12].
Le M tracé à la craie jaune — à voir plutôt comme la capitale de la lettre grecque « µ » (mu) que comme la lettre latine « M » —[c 6] avec lequel Olrik signe ses forfaits, est une référence explicite au film M le maudit de Fritz Lang, sorti en 1931. Dans ce film, un assassin d'enfants est marqué d'un M à la craie par la pègre qui le traque. Une case de l'album où l'on voit la marque sur le dos du pardessus de Blake est directement reprise d'un plan du film[13],[14]. Edgar P. Jacobs transpose également le regard halluciné de l'acteur Peter Lorre dans les traits d'Olrik[15].
D'autres séquences de l'album s'inspirent de scènes de films célèbres. Ainsi, la traque de la Marque jaune dans les docks désaffectés de Londres rappelle les scènes de course-poursuite dans un décor industriel de L'Assassin sans visage de Richard Fleischer, sorti en 1949, tandis que la poursuite du malfaiteur par Mortimer dans les égouts londoniens évoque la cavale du personnage joué par Orson Welles dans le film de Carol Reed Le Troisième Homme, sorti la même année[b 8],[c 6].
Avec l'épisode du vol de la Couronne impériale, placé en ouverture de La Marque jaune, Edgar P. Jacobs adresse un clin d'œil à l'histoire contemporaine. La publication de son nouveau récit commence le , soit deux mois après le couronnement de la reine Élisabeth II. La cérémonie est mondialement diffusée en direct à la télévision, ce qui constitue une première historique[h 2]. Pour représenter la couronne, le dessinateur n'a à sa disposition qu'une vieille photo en noir et blanc datant de 1911, seul document fiable qu'il ait trouvé[h 6].
Par ailleurs, le chef du gouvernement britannique dessiné par Edgar P. Jacobs dans La Marque jaune, cigare à la main, évoque Winston Churchill, Premier ministre de 1940 à 1945 puis de 1951 à 1955[16].
L'historienne Christèle Dedebant relève de nombreuses similitudes entre l'intrigue de La Marque jaune et l'affaire Jack l'Éventreur, du nom du tueur en série ayant sévi dans le district de Whitechapel en 1888. Sa figure de monstre insaisissable semant la panique sur son passage imprègne tout l'album[15]. En outre, de même que l'assassin envoyait des courriers à l'agence Central News, le professeur Septimus apparaît comme un expert en communication qui annonce ses forfaits en s'adressant au Daily Mail[15].
Comme les précédentes aventures de la série Blake et Mortimer, La Marque jaune est publiée dans Tintin, le célèbre magazine belge pour la jeunesse. Le récit est diffusé au rythme d'une planche par semaine entre le (no 31/53) et le (no 45/54)[c 7]. La première parution en album a lieu en pour la Belgique et le mois suivant en France, aux éditions du Lombard[c 7]. Les éditions Dargaud rééditent le titre dans la « Collection du Lombard » en [c 7].
Cette même année, le directeur commercial de la maison d'édition demande à Edgar P. Jacobs de recomposer son album pour le ramener de 66 à 62 planches, ce qui contraindrait le dessinateur à reprendre entièrement certaines pages de la fin du récit. Finalement, ce nouveau projet de découpage est abandonné et l'album conserve sa pagination initiale[c 8]. Il est réédité et réimprimé plus d'une dizaine de fois entre 1959 et 1987, aux Éditions du Lombard pour la Belgique et aux éditions Dargaud pour la France[17].
Créées en 1982, les Éditions Blake et Mortimer proposent une autre version de l'album, qui bénéficie d'une nouvelle colorisation et d'un nouveau lettrage en [c 7]. La Marque jaune fait également l'objet de nombreux tirages exceptionnels. En 1977, l'éditeur Phigi publie l'album en noir et blanc dans une version imprimée à seulement 800 exemplaires, puis en 1985, la maison Blue Circle le publie en quadrichromie avec un dos toilé, dans un tirage limité à 5 000 exemplaires[17]. En 1987, Dargaud publie une édition de luxe sous emboitage toilé, accompagnée d'un disque microsillon du feuilleton radiophonique La Marque Jaune enregistré dans les années 1950. Elle est éditée à 1 250 exemplaires dont 100 hors commerce[17]. La même année, l'album intègre la collection France Loisirs[18].
En , les Éditions Blake et Mortimer font paraître l'aventure telle qu'elle fut publiée à l'origine dans le magazine Tintin, dans un tirage limité à 5 000 exemplaires. L'album, qui possède la couverture censurée et refusée par Hergé, est accompagné d'un cahier de 28 pages comprenant des croquis, dessins, études et storyboards de la main d'Edgar P. Jacobs[19]. En , Dargaud fait paraître l'intégrale des six premiers albums de Blake et Mortimer[b] dans la collection « Niffle » en noir et blanc[20],[21].
La Marque jaune fait l'objet de plusieurs traductions. Les éditions Blake et Mortimer en proposent une version en néerlandais sous le titre Het gele teken (Le Signe jaune)[22], tandis que les éditions Carlsen Comics diffusent l'album en allemand, sous le titre Das Gelbe M (Le M jaune)[23], ainsi qu'en danois, sous le titre Det gule mærke[24]. En anglais, The Yellow M (Le M jaune) est publié aux éditions Cinebook[25]. L'album est également édité en espagnol sous le titre La Marca Amarilla, aux éditions Norma Editorial[26], en finnois sous le titre Keltainen merkki, aux éditions Semic[27], en italien sous le titre Il Marchio Giallo, aux éditions Alessandro Editore[28], et en portugais sous le titre A Marca Amarela, un album publié par plusieurs éditeurs[29].
Comme d'autres aventures de la série, La Marque jaune est censurée à plusieurs reprises, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Journal de Tintin[b 9],[30].
Directeur artistique du magazine, Hergé refuse le projet de couverture réalisé par Edgar P. Jacobs pour le lancement de La Marque jaune, sans en avertir le dessinateur[h 7]. Dans cette première version, Jacobs avait dessiné une silhouette sombre et monstrueuse surgissant du Palais de Westminster dans le ciel de Londres et menaçant la ville. Au premier plan, Blake et Mortimer étaient représentés de face, observant l'ombre menaçante du coin de l'œil et tenant chacun une arme à feu dans la main. L'étrange silhouette évoque alors la célèbre illustration de Gino Starace pour la promotion du roman Fantômas, de même que le personnage de Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau ou bien encore une scène du film Faust, une légende allemande de ce même réalisateur, montrant le Diable enveloppant de sa cape les toits d'une cité médiévale[b 9]. Cette couverture est jugée trop effrayante par Hergé comme par l'ensemble du comité de rédaction, qui recommande à Jacobs de remplacer l'énorme personnage central par un ciel gris et menaçant, tout en supprimant le revolver tenu par Blake[b 9]. Ce dernier choix étonne le critique Jacques Langlois, dans la mesure où il semble moins réaliste que ce soit un civil qui porte une arme et non un militaire, d'autant plus que l'effacement du revolver de Blake est « maladroitement réalisé »[h 7].
Edgar P. Jacobs garde un souvenir amer de cette censure interne et refuse pendant près de cinq ans de livrer une nouvelle couverture pour le magazine[b 9]. Le , à l'occasion des sept ans du Journal de Tintin, il offre un dessin dédicacé à son directeur Raymond Leblanc, fondateur du journal, dans lequel il se représente à sa table de travail avec le fantôme menaçant de Tintin au-dessus de lui, une allusion directe et non déguisée à cet épisode[31].
Par ailleurs, peu avant la disparition mystérieuse du Dr Septimus dans le train, Edgar P. Jacobs le montre en train de consulter un numéro du magazine Illustrated[32]. Il reproduit alors fidèlement la couverture du numéro du , qui montre la danseuse Violetta Elvin en tutu, assise sur une malle[a 31],[33]. Le détail, pourtant insignifiant dans l'espace de la case, est inacceptable pour le comité de censure français, qui juge ce contenu érotique et en demande la modification[34],[b 10].
De même, la séquence d'autocritique forcée et obtenue par l'hypnose de Vernay, Calvin et Macomber, située vers la fin du récit[a 32], scandalise Georges Dargaud, l'éditeur français du magazine Tintin, qui craint qu'une telle scène n'alerte la censure. Du propre aveu de Jacobs, la réalisation des dernières planches de l'aventure se fait alors dans une « atmosphère de désapprobation »[b 10].
Le sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle soutient que La Marque jaune est le chef-d'œuvre du dessinateur et considère que « cette histoire […] fait partie des quelques BD cultes de l'âge d'or de l'École dite de Bruxelles »[9]. Il la rapproche du courant esthétique dit du « merveilleux noir », qu'il décrit comme « un rejeton du romantisme anglo-saxon, où le plaisir de la peur constitue le ressort majeur de la narration »[9]. Pour Claude Le Gallo, « La Marque jaune est le cœur de l'œuvre jacobsienne, le carrefour de son monde »[5], tout comme pour le journaliste Julien Bisson qui affirme qu'« il n'est pas d'album plus abouti ni plus emblématique du style Jacobs que La Marque jaune », dans la mesure où ce récit « concentre à lui seul tous les éléments qui ont fait le succès du duo londonien : suspense, virilité et anticipation scientifique »[35].
Pour Benoît Mouchart et François Rivière, biographes d'Edgar P. Jacobs, La Marque jaune est « un chef-d'œuvre de suspense fondé sur la rythmique des coups de théâtre », dans lequel l'auteur « renoue avec un goût du mélodrame qu'il porte en lui depuis longtemps »[b 7]. Ils affirment que Jacobs livre « un thriller mi-policier, mi-fantastique »[b 11], qui « s'impose comme une subtile réappropriation de matrices antérieures issues de la mythologie populaire »[b 11]. Au contraire d'Hergé, dont les Aventures de Tintin s'appuient le plus souvent sur des évènements réels, l'œuvre d'Edgar P. Jacobs se nourrit des nombreuses références littéraires, graphiques et cinématographiques que l'auteur accumule depuis l'enfance et qu'il reconstruit pour créer son univers personnel. En ce sens, Benoît Mouchart et François Rivière qualifient Jacobs d'auteur « postmoderne avant l'heure », et considèrent que La Marque jaune est l'exemple le plus expressif de ce style[b 8]. François Rivière met d'ailleurs en avant la noirceur et la sophistication du récit, poussées plus loin encore que dans les deux premiers épisodes de la série[c 1]. Pour l'historien François Sigaut, il s'agit de « l'histoire de savant fou la plus épurée que la bande dessinée ait jamais produite »[36].
Cette aventure suscite l'admiration des propres collègues d'Edgar P. Jacobs, comme l'explique le dessinateur Albert Weinberg : « Ce qui nous frappait tous dans cette histoire, c'est qu'elle n'avait rien à voir avec ce qui paraissait alors dans la presse pour enfants. C'était très éloigné des histoires d'Hergé, qui restent bien innocentes en comparaison de ce récit angoissant[b 12]. » Dès sa parution dans le magazine Tintin, La Marque jaune rencontre un succès considérable, au point que de jeunes lecteurs s'amusent alors à dessiner à reproduire le symbole sur les murs de leur ville[c 1]. Plus généralement, La Marque jaune est reconnue comme un chef-d'œuvre de la bande dessinée, et non seulement de son auteur : en 2012, l'album est placé au quatrième rang du classement des 50 BD essentielles établi par la revue Lire[35],[37]. La Marque jaune reçoit majoritairement des commentaires favorables sur les réseaux sociaux consacrés à la culture. Ainsi, en , l'album reçoit la note moyenne de 7,7/10 sur SensCritique, sur une base d'environ 5 100 votes d'internautes[38], tandis qu'il obtient une note moyenne de 4,14/5 sur Babelio, calculée à partir de 746 notes[39].
La séquence de l'intrusion de la Marque jaune dans l'appartement de Blake et Mortimer[a 33] est décrite comme l'une des plus réussies de l'album[b 13], au point que le sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle lui consacre une étude dans la revue Communication et langages en 2003[9]. L'intrusion d'Olrik renvoie implicitement à un épisode de l'aventure précédente, Le Mystère de la Grande Pyramide, quand les héros et leur rival s'enfonçaient dans les souterrains de la pyramide de Khéops à la recherche de la chambre d'Horus. L'ambiance des deux scènes est à ce point comparable que Jacobs utilise les mêmes tons de couleur, éclairant l'appartement d'une lumière orangée rappelant l'ambiance de la chambre souterraine, ce qui contribue à faire perdre son sang-froid à l'intrus[9],[40]. Ainsi, selon Pierre Fresnault-Deruelle, « cette séquence possède la rarissime particularité de jouer sur la mémoire des couleurs, celle que retrouve le Méchant (Olrik, alias La Marque jaune) mais aussi ― et ceci sans qu'il soit explicitement prévenu ― le lecteur. Comme s'il s'était agi, pour Jacobs, de mettre ce dernier dans des circonstances psychiquement analogues à celles déjà vécues, mais non verbalisées, par le maléfique personnage »[9]. Par ailleurs, les révélations apportées par le Dr Septimus à Mortimer à la fin de l'album permettent à l'intrigue de La Marque jaune de s'imbriquer définitivement dans celle de l'aventure précédente, car elle permet d'expliquer ce qu'il advient d'Olrik, errant dans le désert après l'effacement de sa mémoire par le cheikh Abdel-Razek au terme du Mystère de la Grande Pyramide[c 9].
De fait, La Marque jaune s'inscrit dans la continuité des précédents récits. Mais plus encore, l'album sert de « mètre étalon » aux suivants. Le critique de bande dessinée Nicolas Tellop constate que, depuis la reprise de la série en 1996 avec L'Affaire Francis Blake, première aventure éditée depuis la mort de Jacobs, La Marque jaune est le canevas à partir duquel les autres auteurs peuvent continuer à faire vivre Blake et Mortimer, en dépit de la pluralité des thèmes abordés[c 9].
Troisième aventure écrite par Edgar P. Jacobs, La Marque jaune est en effet celle où l'auteur introduit de nombreux éléments narratifs et graphiques qui seront repris dans les albums suivants, y compris par les nouveaux auteurs de la série[c 9]. Au début du récit, Blake et Mortimer se retrouvent au Centaur Club, un de « ces lieux de code et d'une initiation propre à un groupe », dont « l'aura feutrée irradie d'un fantasme typiquement britannique » et qui devient le lieu de rendez-vous habituel des deux amis lorsqu'ils séjournent à Londres[c 9]. C'est aussi dans La Marque jaune que le code vestimentaire des deux héros se fige : cravate et uniforme militaire pour Blake, veste en tweed beige ou vert et nœud papillon pour Mortimer[c 9].
Par ailleurs, l'intrigue est résolue en partie par les révélations de Septimus sur son passé, à la manière d'un flashback. Ce procédé est utilisé régulièrement dans les autres albums de la série, de même qu'un certain nombre d'ingrédients narratifs : la course-poursuite de La Marque jaune est reprise dans L'Affaire Francis Blake, l'usage du masque porté par le méchant, qui s'inscrit dans la tradition du roman-feuilleton, est repris dans Le Serment des cinq Lords, le laboratoire secret de Septimus évoque ceux du professeur Miloch dans SOS Météores et Le Piège diabolique ou celui du Dr Zong dans L'Étrange Rendez-vous, et la descente de Mortimer dans les égouts est comparable à celle de Blake dans ceux de Moscou dans La Machination Voronov[c 9].
L'écrivain Jean-Paul Dubois, qui a consacré un ouvrage à l'album, salue la précision du détail atteinte par le dessinateur et considère qu'elle est au service de l'univers fantastique qu'il souhaite mettre en place dans la mesure où elle renforce la ligne de rupture entre le réel et l'étrange : « Les vues ressemblent à la réalité, nous permettent d'identifier les lieux. Mais elles fonctionnent avant tout comme des images-signes, chargées d'un sens extraordinairement puissant. Le Londres quotidien a disparu, pour faire place à l'univers imaginaire jacobsien. C'est ce qui rend d’ailleurs à proprement parler fantastique un récit comme La Marque jaune : la normalité et les éléments science-fictionnels s'y interpénètrent intimement[41]. »
Benoît Mouchart et François Rivière louent eux aussi le réalisme des compositions du dessinateur et précisent qu'en s'éloignant des simplifications graphiques de la ligne claire qu'il avait adoptées pour la réalisation du Mystère de la Grande Pyramide, Edgar P. Jacobs « retrouve la possibilité de signifier le mystère au moyen d'effets de plume nettement plus subtils »[b 14]. François Rivière insiste d'ailleurs sur la qualité graphique des planches originales en noir et blanc, dont le graphisme repose sur un travail de fines hachures tracées à la plume[c 1]. Quant à la structure des planches, Jacobs s'éloigne de la rigoureuse symétrie verticale qui marquait ses premiers albums pour une composition qui repose sur l'alternance des plans d'ensemble et des gros plans[c 10].
Jean-Paul Dubois souligne également « l'expressivité exacerbée » des personnages mis en scène par Jacobs, influencée directement par le passé de comédien du dessinateur, duquel il retient « l'importance du geste et de l'expression du visage, qu'il devait rendre suffisamment clairs pour qu'ils soient perceptibles même par le spectateur du dernier rang ». Pour Jean-Paul Dubois, « il en résulte une certaine emphase dans les positions des personnages, et une utilisation percutante de certains gros plans[42] », à l'image de la vignette plaçant le lecteur sous l'effet hypnotique du regard du Dr Septimus[43].
Dans ce récit enfermé dans la pénombre et la nuit, Edgar P. Jacobs transcrit le célèbre brouillard londonien par de fines hachures qui atténuent les couleurs[44]. Pour Benoît Mouchart et François Rivière, le fait que la ville de Londres soit presque toujours représentée de nuit dans l'album témoigne de la volonté du dessinateur de mettre en place une ambiance morbide : « [D]ans des ambiances savamment colorées, prenantes, et toujours propices à l'apparition du mystère, Jacobs réussit à révéler la part d'inquiétude qui suinte des décors policés de son Londres de carte postale[b 13]. » Dès les premières planches, une atmosphère étouffante se met en place et, dans la nuit londonienne, l'étrange fait irruption au sein du réel. Pour les deux écrivains, cette scène introductive n'est pas seulement un « hommage sarcastique » au proche couronnement d'Élisabeth II, mais aussi au « génie du clair-obscur d'Arthur Rackham »[b 14]. Le critique de bande dessinée Nicolas Tellop considère que ces trois premières planches contiennent « toute la magie de Jacobs » : « La scène se déroule à l'époque contemporaine, et pourtant l'architecture moyenâgeuse du décor la renvoie à une intemporalité gothique, qui brasse dans un même geste l'imaginaire historique des romans de Walter Scott et les récits à énigmes d'Edgar Wallace[c 10] ».
Cette ambiance nocturne permet au dessinateur de faire montre de toute sa maîtrise des jeux de lumière, en s'inspirant largement des éclairages du cinéma expressionniste. La poursuite de la Marque jaune dans les docks londoniens donne lieu à une profusion de rais de lumière qui rappellent ceux éclairant Mortimer au sommet de la pyramide dans le premier tome du Secret de l'Espadon[c 10]. Frédéric Soumois relève l'utilisation constante du rouge pour exprimer la menace et l'angoisse. Ainsi, dans la scène d'ouverture, le rouge est utilisé comme une lueur dans la nuit, de même que dans la cabine du conducteur de l'express qui emmène Blake et le Dr Septimus loin de Londres, ou à travers les braises rougeoyantes qui éclairent le salon de l'appartement de Blake et Mortimer. De la même manière, le laboratoire souterrain de Septimus est représenté avec des murs rougeâtres[44].
Par ailleurs, Jacobs dessine pour la première fois des images totalement monochromes, ce qui constitue à l'époque une innovation dans la bande dessinée[44]. Il utilise également la règle du contraste pour ses récitatifs de couleur : là où les séquences de nuit sont majoritairement bleues, les récitatifs sont bordeaux[13].
Sylvie Freyermuth, qui propose une lecture sémiolinguistique de l'espace dans les aventures de Blake et Mortimer, constate que « des régularités d'organisation spatiale qui passent par un parallélisme entre les vignettes, une identité ou une symétrie des positions des personnages » se dégagent de l'œuvre du dessinateur[45]. D'après son analyse, Jacobs use d'une « stratification de l'espace plus ou moins sophistiquée selon les aventures » qui repose « sur une forme contrastive binaire repérable dans la même vignette, d'une vignette à l'autre, dans l'organisation de la planche et la totalité de l'album »[45]. D'une manière générale, toutes les représentations des personnages en position haute témoignent de leur supériorité, et inversement. Ainsi la Marque jaune est constamment représentée en position dominante par rapport aux policiers qui la traquent, un effet parfois accentué par un cadrage du dessin en contre-plongée. Une position haute dans l'image signifie alors tout autant le pouvoir que le danger. Dès son apparition dans les premières planches de l'album, la créature maléfique apparaît en position de surplomb des gardiens de la Tour de Londres désemparés et réduits à une situation d'infériorité[45]. À son tour, Olrik est représenté à plusieurs reprises à genoux sous le fouet du Dr Septimus, mais quand il se rebelle et se libère de son asservissement, la position s'inverse[45].
Le récit de l'humiliation subie par Septimus au moment du scandale du livre The Mega Wave offre un autre exemple de stratification de l'espace : le juge Calvin, qui condamne les théories de Septimus, est représenté dans la partie supérieure de la vignette, surplombant la salle d'audience du tribunal, le doigt pointé vers le ciel, sentencieux[45]. Dans la vignette qui suit, Septimus embarque pour le Soudan et gravit la passerelle du paquebot dans un mouvement ascendant qui marque la première étape de sa vengeance et « représente bien la conquête du pouvoir que nourrit sa rancœur imprescriptible »[45].
Séquence emblématique, l'intrusion d'Olrik dans l'appartement de Blake et Mortimer témoigne de la maîtrise du dessinateur dans le symbolisme qui se dégage de ses compositions. La planche repose sur une construction descendante où la lecture coïncide avec la lente progression du personnage dans l'appartement. Pour le sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle, son exploration s'apparente à une quête dans le mesure où il se dirige « vers une sorte de Saint des saints, à savoir le salon-musée où sont exposés les objets religieux rapportés par Mortimer des pays où ses missions l'ont conduit ». De fait, les cases de la planche deviennent pour le lecteur « les étapes d'un long creusement et les strips autant de corridors menant au lieu enfoui de quelque révélation »[9]. La sixième case, située au centre de la planche, montre Olrik dans l'escalier et joue un rôle essentiel dans cette construction. D'une part, l'escalier « métaphorise à lui seul le cheminement du personnage » et la case marque une limite « tant physique que dramatique » entre l'intrusion du malfaiteur et ce qui lui arrive ensuite, quand il n'a plus de prise sur son environnement. D'autre part, l'escalier confère au personnage une allure théâtrale[9].
Dans l'avant-dernière case de cette planche, la Marque jaune lâche une courte exclamation en s'arrêtant sous l'effigie d'un pharaon. Pierre Fresnault-Deruelle insiste sur l'effet « saisissant » qui se dégage de cette illustration, comme si le personnage et la statue échangeaient leur rôle, une impression renforcée par le sourire porté par le masque du pharaon. Dans la dernière vignette, seul le masque est représenté de profil et entouré d'une mystérieuse aura. Cette conclusion augmente encore la tension de la planche tout en stimulant l'attente du lecteur, pressé de connaître la suite des évènements[9].
Comme de nombreux spécialistes de l'œuvre d'Edgar P. Jacobs, François Rivière évoque l'influence de l'opéra, la grande passion du dessinateur, dans la construction de ses récits : « Comme dans la musique, [Jacobs] travaille toujours à partir d'une introduction pour ensuite donner forme à plusieurs mouvements. Or, dans ses albums, le premier mouvement est toujours très beau, et celui de La Marque jaune est éblouissant. Quand on dit qu'il a été marqué par l'opéra, ce n'est vraiment pas une légende[c 1]. »
La journaliste Antoinette de Lornière décrit le scénario de La Marque jaune comme « un opéra en trois actes »[c 7].Le premier s'ouvre par le vol spectaculaire de la couronne impériale à la Tour de Londres une nuit de décembre et se poursuit jusqu'aux enlèvements successifs du rédacteur en chef du Daily Mail, Macomber, du juge Calvin, du médecin Vernay et du Dr Septimus. Dans ce premier acte, qui présente les faits et les différents protagonistes de l'aventure, la Marque jaune est invisible et la police comme Blake et Mortimer ne peuvent qu'assister impuissants à ses méfaits retentissants[c 7]. Tout au long de cette ouverture, la sonnerie de Big Ben rythme l'aventure, annonçant par ses coups le danger à venir et l'enlèvement des différents personnages[45]. Dans le second acte, l'aventure suit deux lignes parallèles, Blake enquêtant sur le terrain tandis que Mortimer entame des recherches de son côté. Ces deux lignes se rejoignent lorsque Mortimer, qui vient de découvrir la véritable identité du Dr Wade se précipite à Limehouse Dock où la Marque Jaune a donné rendez-vous à Blake, un véritable guet-apens à l'issue duquel le criminel parvient à prendre la fuite. La capture de Mortimer inaugure le troisième et dernier acte, celui des résolutions, qui s'achève positivement par la libération des différentes victimes et la découverte de la couronne volée, cependant qu'Olrik parvient à s'échapper[c 7].
Le linguiste François Jacquesson salue d'ailleurs la construction de la deuxième partie de l'aventure, dans laquelle les deux héros sont dissociés[46]. Tandis que Blake se rend au rendez-vous fixé par la Marque jaune à Limehouse Dock, le professeur Mortimer reçoit la visite de l'archiviste du Daily Mail qui lui apporte le livre du Dr Wade contenant la clé de l'énigme dans sa dédicace. Dès lors, le lecteur suit en alternance les deux héros, jusqu'à ce que Blake découvre Mortimer dans le laboratoire souterrain du Dr Septimus par le biais d'un écran. François Jacquesson y voit une trouvaille sur le plan narratif : « Avant cette page, je ne crois pas qu’il y ait d’exemple (dans l’histoire de la fiction) où des héros séparés sur des fils distincts de l’action, se retrouvent d’abord au moyen d’un écran[46]. »
À la manière des romans de H. G. Wells, le récit de La Marque jaune s'ouvre in medias res : la créature a déjà perpétré plusieurs forfaits sensationnels qui sont évoqués par la presse au lendemain du vol à la Tour de Londres. Ces crimes ne sont pas montrés au lecteur et l'auteur lui laisse le soin de les imaginer. Jacobs use abondamment de l'ellipse dans cette aventure, de sorte qu'il « affirme par l'exemple combien la bande dessinée porte en elle-même une imagination beaucoup plus puissante que les seules images qu'elle déroule », selon l'analyse de Benoît Mouchart et François Rivière[b 15]. À tout moment, Jacobs offre au lecteur la possibilité de combler par sa propre imagination ce qui n'est ni raconté, ni montré, mais seulement suggéré[b 15].
Contrairement aux deux premiers albums, qui s'étalent sur plus d'une centaine de planches, La Marque jaune adopte une pagination plus conventionnelle qui impose à l'auteur un rythme plus soutenu, sans aucun temps mort, et d'une densité incomparable[c 1]. François Rivière ne reconnaît qu'un seul « écueil » dans cette aventure, le dénouement précipité de la dernière planche, faisant que « le récit se termine en queue de poisson »[c 1]. Ce dernier épisode vaut à Jacobs de nombreuses critiques qui regrettent une intrigue trop rapidement close, mais l'auteur l'explique par la contrainte d'une pagination fixe imposée par l'éditeur[c 8]. Jacques Van Melkebeke, qui conseille Jacobs tout au long de la rédaction, considère que cette fin précipitée est due au trop nombreuses digressions que l'auteur n'a su éviter dans les séquences précédentes, comme il le lui reproche dans une lettre : « J'espère du moins que tu admets que c'est à la même charmante faculté que nous devons de devoir comprimer à ce point les dernières planches, puisque tu t'es obstiné à délayer certains épisodes secondaires[c 8]. » Selon Pierre Fresnault-Deruelle, la tension permanente culmine dans la séquence de l'intrusion de la Marque jaune dans l'appartement de Blake et Mortimer, qu'il rapproche, par son intensité, de celle du rêve de la momie Inca dans Les Sept Boules de cristal de Hergé[9].
Pour Benoît Mouchart et François Rivière, « La Marque jaune s'inscrit dans une mythologie d'autant plus trouble qu'elle reste toujours suggérée plutôt que montrée au lecteur »[b 16]. La créature qui terrorise la ville de Londres reste longtemps insaisissable, et la seule preuve de son existence réside dans la fameuse Marque jaune tracée à la craie, ce « génial symbole graphique » qui retarde sans cesse l'apparition du monstre tout en stimulant l'imagination du lecteur[b 16]. De même, « les avertissements répétés, à travers les insolentes missives envoyées aux héros ou à la presse, appuient ce sentiment d'attente que renforce l'incidence médiatique des forfaits de la Marque jaune : journaux, radio et télévision relaient tous en effet l'affaire avec un goût du sensationnalisme qui amplifie encore […] l'attention du lecteur »[b 16]. Quand la créature se manifeste enfin et s'introduit dans l'appartement de Blake et Mortimer, son apparente invincibilité est immédiatement remise en cause par l'inspecteur Kendall, un personnage cartésien : le fait qu'il suspecte que les deux héros ont pu être abusés par l'obscurité et leur imagination fertile « ne fait que réaffirmer la part interprétative laissée au lecteur »[b 17]. De ce fait, le symbole de la Marque jaune agit à la manière d'un MacGuffin dans cette aventure, dans le sens où il sert de prétexte au scénario sans que la raison pour laquelle le criminel signe ses méfaits par ce symbole ne soit dévoilée au cours du récit[c 8].
Le livre du Dr Wade, The Mega Wave, occupe une place centrale dans l'intrigue car c'est à partir de la dédicace inscrite sur sa première page que Mortimer et Blake découvrent tour à tour l'identité du manipulateur de la Marque jaune : Benoît Mouchart et François Rivière estiment que cette mise en abyme trouve son origine dans les premières pages de L'Île du docteur Moreau, le roman de H.G. Wells, au moment où le narrateur se remémore la couverture d'un livre écrit par le docteur Moreau, bientôt contraint à l'exil en raison de ses opinions et de la brutale franchise avec laquelle il les exprime[b 18].
Didier Barrière, qui consacre une étude à la place de l'écriture et du livre en tant qu'objet dans les aventures dessinées par Edgar P. Jacobs, considère La Marque jaune comme l'album apportant le plus de matière dans ce domaine[47]. Tout d'abord, le premier enjeu du récit consiste à trouver le sens de la mystérieuse lettre grecque μ, tracée à la craie jaune dans les rues de Londres et signature des méfaits d'un insaisissable criminel. Le monde de la presse est omniprésent dans l'album, d'abord par les nombreux commentaires que les journaux consacrent à l'affaire et que lit notamment un soldat de la Tour de Londres dès la première planche, puis par les coupures de presse que Jacobs dispose le plus souvent en travers de l'image, « comme autant de pièces versées au dossier »[47] et qui représentent une économie de la narration en exposant les faits[c 9]. Jacobs fait ensuite entrer le lecteur au cœur même de la presse britannique, à Fleet Street, où sont regroupés les principaux quotidiens. Le dessinateur représente la salle de rédaction du Daily Mail, le bureau de son rédacteur en chef, et surtout l'imprimerie où les dernières nouvelles arrivent par un tube pneumatique. Comme le souligne Didier Barrière, Jacobs, dans le soin porté au réalisme qui le caractérise, montre l'univers bourdonnant de cette salle, des clavistes s'affairant sur les linotypes aux ouvriers chargeant les paquets de journaux dans les camions[47].
Dans un second temps, c'est « le livre véritable » qui succède aux journaux et aux magazines pour se retrouver au cœur de la narration[47]. Les scènes d'intérieur laissent entrevoir des bibliothèques privées, comme celle, imposante, du Dr Septimus, puis celle des héros. Tandis que Blake participe activement à la traque de la Marque jaune, Mortimer « s'arrach[e] à la tyrannie de l'événement ». Il entame ses propres recherches au sein des volumes reliés des archives du Daily Mail et parvient, avec l'aide d'un archiviste dévoué, à trouver le lien qui unit les quatre personnalités enlevées par le malfaiteur : le scandale causé, en 1922, par la parution d'un livre scientifique, The Mega Wave. Dès lors, convaincu que cet objet contient la clé de l'énigme, la priorité de Mortimer est de retrouver le livre mystérieusement retiré de la circulation après la mort de l'éditeur, ce qui l'amène jusqu'à la salle de lecture du British Museum où le livre vient d'être dérobé. Le livre semble aussi insaisissable que La Marque jaune mais c'est bien sa lecture qui permet à Mortimer de résoudre l'affaire, une lecture dont est privé le lecteur de la bande dessinée mais que Jacobs lui révèle par les explications fournies par Septimus à Mortimer après sa capture[47]. Dans cet épisode, l'écriture apparaît surchargée, « la tête du savant fou paraît noyée dans le texte qui sort de sa bouche, submergée par sa propre parole » selon l'expression de Didier Barrière qui y voit « un remarquable contrepoint calligraphique soulignant le dessin »[47].
Pour ce dernier, il n'est d'ailleurs pas anodin que le poste de commande du laboratoire secret du Dr Septimus soit dissimulé derrière sa bibliothèque, ce qui renforce d'autant plus le rôle essentiel de l'écrit dans cette aventure[47].
Par ailleurs, Edgar P. Jacobs intègre comme à son habitude de nombreux récitatifs dans ses planches. D'une part, ces textes informent le lecteur sur les circonstances de l'action en cours, d'autre part leur utilisation permet de créer une soudure essentielle entre deux images dont l'enchaînement pourrait s'avérer incompréhensible. Pour Benoît Mouchart et François Rivière, leur lecture empêche aussi le regard de sauter trop rapidement d'une case à l'autre : les récitatifs apparaissent donc comme « une invitation lancée au lecteur afin qu'il puisse mieux détailler et savourer la composition complexe de chaque dessin »[b 19]. Par ailleurs, Jacobs insère de fausses coupures de presse dans ses vignettes, un procédé fréquemment utilisé par Hergé dans Les Aventures de Tintin et qui permet une certaine économie de la narration en apportant des éclaircissements ou en faisant le bilan de l'action tout en évitant de longues scènes d'exposition[c 9].
Edgar P. Jacobs définit lui-même son album comme « une sorte de réaction instinctive contre la tendance anti-individualiste et la mise en condition systématique de la personne »[b 20]. La Marque jaune aborde ainsi le thème de la manipulation des cerveaux, de même que les conséquences engendrées quand l'Homme tombe sous le contrôle et la domination d'un autre et ne répond plus qu'à ses pulsions. Pour Benoît Mouchart et François Rivière, ces deux thèmes « fascinent tant par leur résonance avec le lavage de cerveau entrepris sous le Troisième Reich que par leurs implications dans la société de consommation qui commence à se développer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale »[b 20]. Ils soulignent d'ailleurs que ces thèmes narratifs sont repris quelques années plus tard, et de façon humoristique, par Greg et Franquin dans Z comme Zorglub et L'Ombre du Z, deux albums de la série Spirou et Fantasio[b 20].
L'œuvre de Jacobs peut, dans une certaine mesure, être qualifiée de visionnaire sur le plan scientifique. Comme le dessinateur le rappelle lui-même dans ses Mémoires, la réalité finit par rejoindre la fiction dans les années qui suivent la publication de son récit. Le magazine Science et Vie révèle en 1956 qu'un ingénieur électronicien du nom de Schafer expose à la Conférence nationale électronique de Chicago l'éventualité de transformer l'homme en un robot, par le biais d'électrodes judicieusement placées dans le cerveau. Par ailleurs, des scientifiques soviétiques mettent au point en 1958 une main bioélectrique mue par les influx du cerveau, tandis que le magazine Match mentionne en 1965 l'usage aux États-Unis de l'électricité organique pour la commande de membres artificiels, tels qu'un bras autodirigé reproduisant tous les mouvements d'un vrai bras. Enfin, les scientifiques Guillemin et Schelly, qui mènent des travaux sur les hormones hypothalamiques, révèlent en 1978 l'existence de neurohormones, ce qui fait dire à un membre du comité Nobel « qu'ils [ont] établi un lien entre l'âme et le corps[32] ».
Edgar P. Jacobs finit par recevoir la reconnaissance scientifique de neuropsychiatres de l'université de Liège : en 1977, la doctoresse Levnen et le docteur Bataille lui affirment que le Dr Septimus est l'exemple type du paranoïaque, la dix-septième planche de l'album[c] étant pour eux « un extraordinaire raccourci des symptômes de la maladie, constituant un véritable diagnostic cliniquement conforme à la réalité ». Ils ajoutent que les fous mis en scène par son confrère Hergé dans Les Aventures de Tintin ne le sont pas autant que les siens car moins conformes aux normes psychiatriques[32]. En 1978, le dessinateur est convié à une conférence organisée par des neurochirurgiens et des neurologues, intitulée : Essai d'analyse sémiotique du concept folie dans la bande dessinée d'Hergé et de Jacobs[d],[32].
Benoît Mouchart, qui rappelle que Jacobs et Van Melkebeke « ont eu une jeunesse de gothiques avant l'heure », considère que la modernité scientifique à l'œuvre dans ce récit s'y intègre par un prisme magique, les savants reproduisant les mêmes archétypes que ceux de la sorcellerie. Dans cette aventure, l'auteur et son ami « charrient tout un ésotérisme du signe qui veut dire autre chose que ce qu'il est censé signifier : une menace effroyable alors que ce n'est, à la base, qu'un graffiti »[c 2].
Par ailleurs, François Rivière et Benoît Mouchart voient dans la figure de la Marque jaune, qui élève ses crimes au rang d'un art, une variation moderne des légendes urbaines qui terrorisent les foules depuis la médiatisation des crimes de Jack l'Éventreur à la fin du XIXe siècle, à la manière de Fantômas, Judex ou Belphégor[b 21].
Le professeur Pierre Masson constate d'ailleurs que dans La Marque jaune, Edgar P. Jacobs utilise le thème narratif de la malédiction et de l'élimination successive. Ce procédé, mis en avant par la romancière Agatha Christie dans Dix Petits Nègres, est également repris par Hergé dans le diptyque formé par Les Sept Boules de cristal et Le Temple du Soleil, dans lequel sept savants européens sont tour à tour frappés d'une mystérieuse léthargie après avoir violé une sépulture inca, et par Jacques Martin dans La Griffe noire, où cinq généraux romains sont l'objet d'une vengeance[48].
L'universitaire Luc Routeau relève de nombreuses références références bibliques à travers le personnage de Jonathan Septimus. Il relève que son prénom renvoie au personnage de Jonathan, prince du royaume d'Israël, tandis que son patronyme se compose de deux sèmes : « sept », considéré dans la symbolique des nombres comme un chiffre sacré, et « mus », une terminaison latino-germanique qui « renvoi[e] à l'espace trouble de la connaissance occulte » du Moyen Âge, à l'image de l'apothicaire et astrologue français Michel de Nostredame, dit Nostradamus[49]. Pour Luc Routeau, « Septimus contracte en son nom la perfection et le savoir sacrilège qui, ayant percé le secret des choses, leur commande ; cette conjonction linguistique de la profanation et de la perfection inverse le symbole du chiffre : si Septimus possède la perfection, c'est d'une perfection dans le Mal qu'il s'agit »[49]. En créant la Marque jaune, le Dr Septimus s'affranchit des lois de la société et viole « l'interdit naturel reconnu par le groupe ». De fait, il devient le génie du Mal et « s'inscrit au paradigme des savants maudits » comme avant lui d'autres figures littéraires et cinématographiques, à l'image du docteur Mabuse ou du docteur Caligari[49].
Par ailleurs, Jonathan Septimus devient l'incarnation du Mal et du mensonge car, pour exercer sa vengeance, « il utilise l'apparente unité de son état public comme couverture de sa dualité privée »[49]. Sa duplicité repose à la fois sur un leurre et sur un dédoublement, puisqu'il fait d'Olrik l'instrument de cette vengeance. En d'autres termes, c'est lui qui agit directement à travers sa créature, par le biais du « télécéphaloscope », et celle-ci devient son prolongement tout en lui assurant l'impunité. La respectabilité et la sociabilité de Septimus ne sont qu'une apparence « provoquée et entretenue », destinée à cacher la véritable personnalité de ce savant pervers, concepteur d'une « machination diabolique ». Luc Routeau y voit une référence directe à Satan dans la mesure où, dans les représentations occidentales traditionnelles, celui-ci se caractérise par sa duplicité[49].
La Marque Jaune présente une logique temporelle hasardeuse[c 11]. L'histoire est censée se dérouler après Le Mystère de la Grande Pyramide, comme le rappelle le résumé de la vie d'Olrik proposé par le Dr Septimus à Mortimer et comme l'indique le comportement du malfaiteur dans l'appartement des deux héros. Le Mystère de la Grande Pyramide est censé lui-même se dérouler après Le Secret de l'Espadon ainsi que cela est rappelé dans la première page de l'album lors de la conversation entre Mortimer et Nasir dans l'avion qui les amène au Caire. Or, Septimus raconte à Mortimer avoir recueilli Olrik amnésique et errant dans le désert à la suite des évènements de la Grande Pyramide, puis être rentré à Londres avec lui alors que la guerre éclatait. Une note placée sous la vignette indique qu'il s'agit de la troisième Guerre mondiale décrite dans Le Secret de l'Espadon, ce qui semble totalement incohérent dans la mesure où Olrik, dans cette aventure initiale, joue un rôle essentiel en tant que colonel dans l'armée du tyran Basam Damdu[c 11].
Selon Gérard Lenne, la référence à la Luftwaffe présente en début de l'album entretient la confusion car, de fait, Septimus n'aurait pas eu le temps de faire construire un abri anti-aérien sous sa maison pendant la Troisième Guerre mondiale, une guerre-éclair qui voit la destruction de Londres et son occupation immédiate[50],[51].
L'album présente une autre incohérence temporelle. L'histoire, qui se déroule au mois de , s'achève le jour de Noël. L'enlèvement de Leslie Macomber se déroule le , cependant le calendrier présent dans son bureau au Daily Mail affiche la date du [a 34].
Par ailleurs, Edar P. Jacobs s'appuie sur un numéro du magazine Science et Vie pour reproduire une voiture radio de la police française[52]. L'image représente l'inspecteur Kendall communiquant au micro à côté de son chauffeur, assis à sa gauche (planche 32 cases 1 & 2 et planche 34 case 6). Si la reproduction est fidèle, elle est pourtant incohérente car au Royaume-Uni, les volants des voitures sont positionnés à droite[a 35]. Blake conduit également une voiture dotée d'un volant à gauche (planche 32 cases 3 et 5)[a 36].
En 2013 est publié L'Onde Septimus, le vingt-deuxième album de la série, scénarisé par Jean Dufaux et dessiné par Antoine Aubin et Étienne Schréder. Cette aventure est une suite de La Marque jaune : l'histoire reprend quelques mois après la fin de celle-ci et fait revenir plusieurs personnages déjà présents dans l'album de Jacobs[h 8]. En dépit de sa réussite sur le plan graphique et de son succès commercial, l'album est plutôt mal accueilli par la critique, en particulier le journaliste Olivier Delcroix qui déplore un scénario ennuyeux et l'absence relative des deux personnages principaux de la série[53]. En 2020, Jean Dufaux est au scénario d'une nouvelle suite, Le Cri du Moloch, vingt-septième album de la série dessiné par Christian Cailleaux et Étienne Schréder. Jugée peu convaincante, cette aventure clôt une sorte de triptyque entamé par La Marque jaune[54].
En , les éditions Blake et Mortimer font paraître La Fiancée du Dr Septimus, un album illustré écrit par François Rivière et illustré par Jean Harambat qui figure parmi les hors-série. Cette aventure est non seulement un hommage direct à Edgar P. Jacobs et à La Marque jaune, mais également aux films du réalisateur britannique James Whale comme La Fiancée de Frankenstein, sorti en 1935[55]. Dans ce récit, ce dernier revient à Londres dans les années 1950 dans le but d'adapter au cinéma l'affaire de La Marque jaune. Le professeur Mortimer, qui a participé à la résolution de l'affaire, doit apporter son expertise pour le tournage[55]. Une série d'évènements mystérieux conduit les deux hommes, accompagnés de Richard Murray, le neveu de Francis Blake, à se rendre au cottage abandonné du docteur Septimus[56].
Album emblématique de la série comme de l'histoire de la bande dessinée, La Marque jaune a suscité de nombreux hommages à caractère parodique ou non. Le premier dessinateur à détourner l'aventure est le Belge Dupa, en 1974, qui dessine une double page intitulée Cubitus et la Marque jaune pour un numéro spécial du magazine Tintin consacré à la bande dessinée d'Edgar P. Jacobs Le Rayon U[57]. En 1977, François Rivière et Floc'h insèrent le livre The Mega Wave du Dr Septimus dans Le Rendez-vous de Sevenoaks, qui paraît dans le magazine Pilote[58].
En 1996, Gilles Chaillet reprend la séquence d'ouverture de La Marque jaune à la Tour de Londres dans le quatorzième volet de sa série Vasco, intitulé Sortilèges[59]. En 2007, Philippe Geluck parodie la couverture de l'album pour celle de son 14e album La Marque du Chat[60]. La couverture de La Marque jaune est également reprise dans deux albums de la bande dessinée flamande De Kiekeboes, sur la couverture de Paniek in Stripland de Tom Bouden, ainsi que dans des caricatures politiques et sociales réalisées par Johan De Moor[61].
Au début des années 1980, Yann et Didier Conrad publient des histoires courtes et parodiques dans le magazine Spirou, notamment Talk et Baltimore, un pastiche des personnages de Blake et Mortimer[62]. En 2005, les éditions Dargaud lancent à leur tour une parodie, intitulée Les Aventures de Philip et Francis, réalisée par Pierre Veys et Nicolas Barral. Dans cette série, qui se veut un hommage humoristique à l'œuvre de Jacobs, les femmes britanniques remettent en cause l'autorité masculine et les deux héros sont chargés de les ramener à la raison. Le célèbre M de La Marque jaune signifie alors « Macho », tandis que les noms des principaux protagonistes ont été conservés, y compris Olrik[63].
L'album a également été utilisé comme référence pour diverses campagnes publicitaires et promotionnelles. En 1987, Pascal Fournier et Pascal Dubuck réalisent Les Aventures d'Alexandre de la Mareneuve et d'Évry Cédex : 1 - La Marque bleue, un album promotionnel pour le Groupe Accor[64]. Cette même année, la mairie de Montreuil réalise un dépliant, Mystère à Montreuil : Une enquête de Blake et Mortimer, dans lequel Bob de Moor met en scène les deux héros enquêtant sur une mystérieuse marque « M », ce qui les conduit à découvrir le fonctionnement du service propreté de la ville[65].
En 2000, Eddy Mitchell en reprend les éléments pour l'affiche de sa tournée à travers la France[66]. En 2015, l'écrivain Philippe Delerm consacre à l'album un chapitre de son livre Les Eaux troubles du mojito. Et autres belles raisons d'habiter sur terre, un recueil de textes courts paru aux éditions du Seuil. Il vante en particulier la première planche du récit et son atmosphère angoissante dans la pluie de la nuit londonienne[67].
La couverture de La Marque jaune est aussi celle choisie pour rendre hommage à la série Blake et Mortimer dans le cadre du parcours BD de Bruxelles. Cette fresque, une réalisation des artistes Georges Oreopoulos et David Vandegeerde du studio Art Mural, connaît cependant une histoire mouvementée : en 1997, elle est peinte à l'angle de la rue d'Anderlecht et de la rue du Petit-Rempart, puis déplacée en 2005 sur le pignon de la biscuiterie de la Maison Dandoy, rue du Houblon[68]. En 2019, une construction nouvelle occulte la fresque qui est une nouvelle fois déplacée. Elle est recréée en par l'atelier 30 dans la rue du Temple[69],[70].
En 2013, Georges Oreopoulos et David Vandegeerde reproduisent le même décor sur un mur de la cour intérieure de la nouvelle librairie Bulle au Mans, spécialisée dans la bande dessinée. À cette occasion, la libraire adopte un nouveau logo inspiré de La Marque jaune[71],[72],[73].
La société Hasbro annonce la sortie en 2023 d'une édition spéciale de son célèbre Monopoly consacrée à Blake et Mortimer. Sur le plateau, les quatre gares sont remplacées par des véhicules emblématiques de la bande dessinée, tandis que les cases portent les noms des albums de la série. C'est le graphique de la couverture de La Marque jaune qui est choisi pour être reproduit sur la boîte de jeu[74].
Dans un autre registre, la précision du détail qui anime Edgar P. Jacobs a probablement permis de sauver la vie d'un touriste canadien en voyage à Londres. En 1973, ce dernier adresse au dessinateur une lettre dans laquelle il explique qu'après s'être empoisonné en consommant du jambon avarié, il a pu composer par téléphone le numéro d'urgence britannique, le 999, dont il s'est souvenu à la suite de la lecture de La Marque jaune[c 8]. En effet, ce numéro est composé par un employé du Daily Mail dans une des cases de l'album pour avertir la police[32]. Pour Jacobs, ce témoignage « démontre avec force l'importance du détail dans une bande dessinée et les conséquences imprévisibles qui peuvent en dépendre »[c 8].
Dans les années 1950, La Marque jaune est adaptée en feuilleton radiophonique repris par la suite en disque 33 tours, en cassette audio et en CD[c 10]. Jean Maurel est le narrateur de l'aventure, tandis que Jean Topart et Yves Brainville prêtent leur voix à Blake et Mortimer, Maurice Jacquemont au Dr Septimus et Pierre Marteville à l'inspecteur-chef Kendall. Le vinyle de La Marque jaune est le premier titre de la collection « Le Disque d'aventure » pour les éditions Festival. Cet enregistrement, réalisé par Jean Maurel avec le soutien de Maurice Chevit, est récompensé du Grand prix de l'Académie Charles-Cros en 1956[75],[76],[77],[h 9].
En 1988, une adaptation en jeu vidéo d'action-aventure est commercialisée par le développeur et éditeur français Cobrasoft. Le jeu, composé de cinq niveaux, est disponible sur ordinateur (Thomson TO8, Amstrad CPC et Atari ST)[78],[79].
En 1997, l'aventure est adaptée en dessin animé par Éric Rondeaux dans la série d'animation Blake et Mortimer. L'épisode est diffusé pour la première fois à la télévision le avec Michel Papineschi doublant le professeur Mortimer, Robert Guilmard le capitaine Blake et Mario Santini le colonel Olrik[80].
La Marque jaune figure parmi les trois aventures adaptées dans le livre-jeu Escape Game Blake et Mortimer, le troisième tome de la collection de livres-jeux en temps limité des Éditions Mango, paru en 2017[81].
Plusieurs tentatives de porter La Marque jaune au cinéma ont été entreprises, sans qu'aucun film ne voie finalement le jour. À la fin des années 1970, le publicitaire Michel Marin contacte Edgar P. Jacobs pour le convaincre d'adapter La Marque jaune à l'écran. L'auteur, conscient qu'un tel projet lui permettrait d'accroître la popularité de son œuvre, lui accorde une option sur les droits de l'album en [c 12]. Au début des années 1980, Michel Marin convainc la productrice Irène Silberman de s'associer au projet, ce qui aboutit en au tournage d'un pilote scénarisé par Jean Van Hamme et qui met en scène Yves Brainville dans le rôle de Mortimer, Pierre Vernier dans celui de Blake, tandis que Michel Vitold interprète le docteur Septimus et Patrick Laval le colonel Olrik[b 22]. Jacobs apprécie la démarche de porter ses personnages à l'écran et se dit impressionné par la réalisation, mais il souhaite que l'atmosphère du film se rapproche de celle de la série Chapeau melon et bottes de cuir. Irène Silberman finit par écarter Michel Marin et annonce en , lors du Festival de Cannes, avoir confié la réalisation du long métrage au Franco-vietnamien Lam Lê, assisté d'Olivier Assayas pour le scénario. Le projet, qui emporte l'adhésion de Jacobs, est finalement abandonné[b 22].
Dans les années 1990, le producteur français Charles Gassot récupère les droits de La Marque jaune et travaille sur un nouveau projet d'adaptation avec Alain Corneau, qui finit par abandonner le projet. Au début de l'année 2000, Charles Gassot contacte alors le réalisateur James Huth pour le lui confier[c 13]. Ce dernier s'associe à Sonja Shillito pour la rédaction du scénario et le storyboard. Après avoir envisagé de proposer le rôle de Mortimer à Philip Seymour Hoffman et celui de Blake à Hugh Jackman, la production prévoit que les deux héros soient joués respectivement par Hugh Bonneville et Rufus Sewell[82]. James Huth, qui veut mettre en scène une femme aux côtés des deux héros, écrit un rôle de scientifique à l'actrice chinoise Gong Li[82],[c 13]. Le réalisateur effectue de nombreux repérages, notamment au cœur de la Tour de Londres, et obtient l'autorisation de filmer plusieurs scènes dans la centrale électrique de Battersea[c 13]. Le tournage, au budget de 35 millions d'euros, doit débuter en pour une sortie en salles en [83]. Faute de trouver un studio suffisamment grand, le projet prend du retard et le producteur Charles Gassot se consacre finalement au tournage d'une autre adaptation cinématographique de bande dessinée, Immortel, ad vitam de Enki Bilal[c 13]. L'adaptation de La Marque jaune est définitivement abandonnée quand James Huth prend les commandes de la réalisation de Brice de Nice en 2004[84].
En , un troisième projet d'adaptation voit le jour avec l'Espagnol Álex de la Iglesia à la réalisation. Kenneth Branagh, David Thewlis et John Malkovich doivent camper respectivement les rôles de Blake, Mortimer et Olrik[85]. Un an plus tard, en 2009, c'est au tour de Kiefer Sutherland et Hugh Laurie d'être annoncés dans les deux rôles principaux[86]. Mais le réalisateur peine à rassembler les fonds nécessaires et en 2013 le projet est définitivement abandonné[87],[88].
Le 3 avril 2024, la société de production Belga Films Group annonce la réalisation d'une adaptation dont la réalisation a été confiée à Cédric Nicolas-Troyan. Le casting ciblera «des acteurs anglais de 30 à 40 ans, mais ne [sera] pas fermé à des stars hollywoodiennes», a déclaré une porte-parole de Belga Films à l'AFP[89].
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