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Elfe

être surnaturel du folklore germanique De Wikipédia, l'encyclopédie libre

Elfe
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Un elfe est un être surnaturel humanoïde issu du folklore germanique. Les elfes apparaissent surtout dans la mythologie nordique, notamment dans les textes islandais de l'Edda poétique et de l'Edda en prose. Dans les cultures médiévales de langue germanique, les elfes sont considérés comme des êtres dotés de pouvoirs magiques et d'une beauté surnaturelle, ambivalents envers les humains, capables aussi bien de les aider que de les nuire. Les croyances à leur sujet variaient considérablement selon les époques et les régions, et se sont développées dans des contextes pré-chrétiens comme chrétiens.

Faits en bref Nom norrois, Groupe ...

Le mot « elfe » est attesté dans l'ensemble des langues germaniques ; il semble à l'origine avoir signifié « être blanc ». Cependant, la reconstitution du concept primitif d'elfe repose principalement sur des textes rédigés par des auteurs chrétiens en vieil anglais, moyen anglais, vieux haut allemand et vieux norrois. Ces textes associent les elfes tour à tour aux dieux de la mythologie nordique, à la maladie, à la magie, ou encore à la beauté et à la séduction.

Après le Moyen Âge, le mot elfe devient moins courant dans les langues germaniques, remplacé par des termes comme Zwerg nain ») en allemand, huldra être caché ») dans les langues nordiques, ou encore par des emprunts comme fairy (issu du français fée) en anglais. Toutefois, la croyance aux elfes persiste à l'époque moderne, en particulier en Écosse et en Scandinavie, où l'on les imagine comme des êtres magiques vivant invisiblement parmi les humains. Ils restent associés à la maladie et aux menaces sexuelles ; plusieurs ballades médiévales et modernes des îles Britanniques et de Scandinavie racontent des elfes cherchant à séduire ou à enlever des humains.

Avec l'urbanisation et l'industrialisation, la croyance populaire décline rapidement, sauf en Islande, où elle persiste encore partiellement. Les elfes prennent alors place dans la littérature et les arts des élites cultivées dès la période moderne. Ces elfes littéraires sont imaginés comme de petits êtres espiègles, une idée marquée par le Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare, œuvre décisive pour cette évolution.

Au XVIIIe siècle, les écrivains du romantisme allemand sont influencés par cette conception et réintroduisirent le mot anglais elf en allemand. De cette vision romantique naissent les elfes de la culture populaire moderne. Les elfes de Noël, apparus tardivement, sont popularisés à la fin du XVIIIe siècle aux États-Unis. Au XXe siècle, les elfes deviennent des figures majeures de la fantasy, notamment grâce à J. R. R. Tolkien, dont les œuvres comme Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux réintroduisent des elfes de taille humaine et d'allure noble. Depuis, les elfes demeurent un élément central de la culture fantasy contemporaine.

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Lexicologie

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Étymologie et terminologie

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Développement phonologique du mot elf en anglais[1].

Le mot français « elfe » provient à la fois du vieux suédois älf (par l'intermédiaire de la traduction en français de l'Historia de Gentibus Septentrionalibus en langue latine d'Olaus Magnus, en 1561) et de l'anglais elf (par l'intermédiaire de l'Histoire des spectres de Pierre Le Loyer, en 1605)[2].

Le mot anglais elf vient du mot vieil-anglais le plus souvent attesté sous la forme ælf (dont le pluriel aurait été *ælfe). Les différents dialectes vieil-anglais convergent vers la forme elf pendant la période du moyen anglais[3]. À l'époque du vieil anglais, des formes distinctes sont utilisées pour désigner les elfes féminines (telles que ælfen, probablement dérivé du proto-germanique **ɑlβ(i)innjō), mais à l'époque du moyen anglais, le mot elf inclut les êtres féminins[4].

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Les langues germaniques vers l'an 900.

Les formes en vieil anglais sont apparentées à des termes germaniques médiévaux tels que le vieux norrois alfr elfe » ; pluriel alfar), le vieux haut allemand alp esprit maléfique » ; pluriel alpî, elpî ; féminin elbe), le burgonde *alfs elfe ») et le moyen bas allemand alf esprit maléfique »)[5],[6]. Ces mots doivent provenir du proto-germanique, la langue ancêtre des langues germaniques attestées ; les formes proto-germaniques sont reconstruites comme *ɑlβi-z et *ɑlβɑ-z[5],[7].

Le mot proto-germanique *ɑlβi-z~*ɑlβɑ-z est généralement considéré comme apparenté au latin albus blanc (mat) »), au vieil irlandais ailbhín (« troupeau »), au grec ancien ἀλφός (alphós ; « blancheur, lèpre blanche ») et à l'albanais elb orge ») ; ainsi qu'au mot germanique pour « cygne » reconstitué comme étant *albit- (à rapprocher de l'islandais moderne álpt). Tous ces mots proviennent d'une racine proto-indo-européenne *h2elbh- et semblent être liés au concept de couleur blanche. Le mot germanique signifiait probablement à l'origine « [l'être] blanc », peut-être comme euphémisme[8].

Le linguiste et philologue Jacob Grimm pensait que la blancheur avait une connotation morale positive et, notant les Ljósálfar (elfes lumineux) de Snorri Sturluson, suggéra que les elfes étaient des divinités de la lumière. Ce n'est toutefois pas nécessairement le cas. Par exemple, comme les mots apparentés suggèrent un blanc mat plutôt qu'un blanc brillant, et que dans les textes scandinaves médiévaux, la blancheur est associée à la beauté, le philologue Alaric Hall (en) suggère que les elfes auraient pu être appelés « le peuple blanc » parce que la blancheur était associée à la beauté (spécifiquement féminine)[8].

Une autre étymologie, faisant de « elf » un mot apparenté à « Ribhus (en) », artisans semi-divins de la mythologie indienne, a été suggérée par le philologue Adalbert Kuhn en 1855. Dans ce cas, *ɑlβi-z aurait la connotation de « habile, inventif, intelligent » et pourrait être apparenté au latin labor, dans le sens de « travail créatif ». Bien que souvent mentionnée, cette étymologie n'est pas largement acceptée[9].

Onomastique

Dans les langues germaniques médiévales, « elfe » est l'un des noms utilisés dans les prénoms, presque toujours comme premier élément. Ces prénoms ont peut-être été influencés par les prénoms celtiques commençant par Albio-, tels qu'Albiorix (autre nom de Teutatès)[10].

Les prénoms constituent la seule preuve de l'existence du mot « elfe » en gotique, qui devait avoir le mot *albs (pluriel *albeis). Le prénom le plus célèbre de ce type est Alboin. Les noms anciens anglais contenant elf- comprennent le cognat d'Alboin Ælfwine (littéralement « ami des elfes », masculin), Ælfric (« puissant des elfes », masculin), Ælfweard (« gardien des elfes », masculin) et Ælfwaru (« soin des elfes », féminin). Un survivant très répandu de ces noms dans l'anglais moderne est Alfred (en vieil anglais Ælfrēd, « conseil des elfes »). Le nom de famille anglais Elgar (Ælfgar, « lance des elfes ») et le nom d'Alphège de Cantorbéry (Ælfhēah, « grand comme un elfe ») ont également survécu[11]. On trouve des exemples germaniques comme Alberich, Alphart et Alphere et islandais comme Álfhildur. Ces noms suggèrent que les elfes étaient considérés de manière positive dans la culture germanique primitive. Parmi les nombreux mots désignant des êtres surnaturels dans les langues germaniques, les seuls régulièrement utilisés dans les noms de personnes sont « elfe » et les mots désignant les dieux païens, ce qui suggère que les elfes étaient considérés comme similaires aux dieux[12].

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Alden Valley, Lancashire.

Les elfes apparaissent dans certains noms de lieux ; cependant, il est difficile de savoir combien exactement, car d'autres mots, y compris des noms propres, peuvent ressembler à « elfe », comme al- (de eald) qui signifie « vieux ». Les exemples les plus évidents d'apparitions d'elfes en anglais sont Elveden colline des elfes », Suffolk) et Elvendon (en) vallée des elfes », Oxfordshire)[13] ; d'autres exemples comprennent Eldon Hill (en) colline des elfes », Derbyshire) et Alden Valley (en) vallée des elfes », Lancashire). Ceux-ci associent assez systématiquement les elfes aux bois et aux vallées[14].

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Mythologies médiévales

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Mythologie nordique

Dans les Eddas

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Diagramme de Venn des catégories d'êtres sensibles dans la mythologie scandinave.

Les preuves de croyances relatives aux elfes dans la Scandinavie médiévale, en dehors de l'Islande, sont rares, mais les sources islandaises sont exceptionnellement riches. Pendant longtemps, la vision des elfes dans la mythologie nordique ancienne est définie par l'Edda en prose de Snorri Sturluson (XIIIe siècle), qui évoque les svartálfar, dökkálfar et ljósálfar elfes noirs », « elfes sombres » et « elfes clairs »). Par exemple, Snorri raconte comment les svartálfar créent de nouveaux cheveux blonds pour Sif, l'épouse de Thor, après que Loki lui a coupé sa longue chevelure[15]. Cependant, ces termes ne sont attestés que dans l'Edda en prose et dans les textes qui en dérivent. Les chercheurs considèrent désormais que Snorri reprend des traditions concernant les nains, les démons et les anges. Cette reprise illustre la paganisation par Snorri d'une cosmologie chrétienne tirée de l'Elucidarium, un traité de vulgarisation de la pensée chrétienne alors très répandu[16],[17],[18],[19].

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Pierre à peintures de Gotland avec des motifs de la saga de Völund, notamment en bas à gauche (vers 800).

Les spécialistes se concentrent aujourd'hui sur les références aux elfes dans la poésie vieux norroise, en particulier dans l'Edda poétique. Le seul personnage explicitement identifié comme un elfe dans la poésie eddique classique, s'il en existe un, est Völund, le protagoniste du Völundarkviða[20].

Cependant, les elfes sont fréquemment mentionnés dans la formule allitérative Æsir ok Álfar les Ases et les elfes ») et ses variantes. Il s'agit d'une formule poétique bien établie, qui témoigne d'une forte tradition associant les elfes au groupe de dieux connus sous le nom d'Ases, voire suggérant que les elfes et les Ases sont une seule et même catégorie d'êtres[21][22].

Cette association trouve un parallèle dans le poème vieil anglais Wið færstice[23] et dans le système de noms personnels germaniques[24]. De plus, dans la poésie scaldique, le mot elfe est utilisé de la même manière que les mots désignant les dieux[25]. Le scalde Sigvatr Þórðarson, dans son récit de voyage Austrfararvísur (en), composé vers 1020, mentionne un álfablót sacrifice aux elfes ») célébré à Edskogen, dans le sud de la Suède actuelle[26].

Il ne semble pas qu'il existe de distinction nette entre les hommes et les dieux ; ainsi, comme les Ases, les elfes sont probablement perçus comme des êtres de nature humaine, existant en opposition aux géants[27]. De nombreux commentateurs ont également soutenu l'idée d'un chevauchement conceptuel entre les elfes et les nains dans la mythologie nordique ancienne, ce qui correspondrait aux tendances observées dans les sources germaniques médiévales[28].

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Le dieu Freyr, seigneur des alfes lumineux.

Il existe des indices suggérant que le dieu Freyr est associé aux elfes. En particulier, le poème Grímnismál (début du Xe siècle) mentionne qu'Álfheim (littéralement « monde des elfes ») est donné à Freyr. Snorri Sturluson identifie Freyr comme l'un des Vanir Vanes »). Cependant, le terme Vanir est rare dans la poésie eddique, très rare dans la poésie scaldique, et ne semble pas apparaître dans d'autres langues germaniques. Étant donné le lien entre Freyr et les elfes, álfar et Vanir pourraient désigner un même groupe d'êtres[29]. Toutefois, cette hypothèse n'est pas universellement acceptée[30].

Une kenning (métaphore poétique) désignant le soleil, álfröðull (littéralement « disque des elfes »), a une signification incertaine, mais pourrait suggérer un lien entre les elfes et le soleil[31].

Il semble assez clair que Völundr est décrit comme l'un des elfes dans la Völundarkviða[32] [33]. Son acte le plus marquant dans le poème étant le viol de Böðvildr (en), les elfes sont associés à une menace sexuelle envers les jeunes filles. La même idée apparaît dans deux poèmes eddiques postérieurs, également influencés par les romans de chevalerie ou les lais bretons : Kötludraumur et Gullkársljóð (en). Cette conception se retrouve aussi dans des traditions scandinaves et européennes plus tardives, ce qui pourrait en faire un témoignage ancien d'un thème déjà bien établi[34].

Les elfes apparaissent également dans quelques formules magiques versifiées, notamment dans le charme runique de Bergen, issu des inscriptions de Bryggen (XIVe siècle)[35].

Dans d'autres textes

La présence des elfes dans les sagas dépend de leur genre. Les sagas des Islandais, les sagas des évêques (en) et les sagas contemporaines, où le surnaturel est peu représenté, mentionnent rarement et de manière incidente les álfar[36]. Cependant, malgré leur rareté, ces textes offrent des preuves de la croyance dans les elfes dans la Scandinavie médiévale. On y trouve notamment une brève mention d'elfes à cheval en 1168 dans la saga des Sturlungar, la mention d'un álfablót sacrifice aux elfes ») dans la saga de Kormakr, et l'existence de l'euphémisme ganga álfrek aller chasser les elfes ») pour « aller aux toilettes » dans la saga Eyrbyggja[36],[37]. Les sagas royales contiennent un récit elliptique mais largement étudié d'un roi suédois ancien, vénéré après sa mort et appelé Ólafr Geirstaðaálfr (« Olaf l'Elfe de Geirstad »), ainsi qu'un elfe démoniaque au début du Norna-Gests þáttr (en)[38][39][40].

Les sagas légendaires se concentrent plutôt sur les elfes en tant qu'ancêtres légendaires ou sur les relations sexuelles des héros avec des femmes elfes. Le pays d'Álfheim est mentionné dans la Heimskringla, tandis que la Þorsteins saga Víkingssonar (en) parle d'une lignée de rois locaux régnant sur Álfheim, qui, possédant du sang elfique, sont plus beaux que la plupart des hommes[41]. Selon la Hrólfs saga kraka, la demi-sœur de Hrolfr Kraki, Skuld (en), est l'enfant mi-elfe du roi Helgi et d'une femme-elfe (álfkona). Skuld est experte en sorcellerie (seiðr). Cependant, les sources plus anciennes ne contiennent pas ces éléments. La version de la Þiðreks saga des Nibelungen (Niflungar) décrit Högni comme fils d'une reine humaine et d'un elfe, mais aucune filiation de ce type n'est rapportée dans les Eddas, la Völsunga saga ou le Nibelungenlied[42]. Les mentions relativement rares des elfes dans les sagas chevaleresques sont souvent fantaisistes[43].

Dans son Rerum Danicarum fragmenta (1596), écrit principalement en latin avec quelques passages en vieux danois et en vieil islandais, Arngrímur Jónsson explique la croyance scandinave et islandaise dans les elfes (appelés Allffuafolch). Tant la Scandinavie continentale que l'Islande comportent quelques mentions d'elfes dans des textes médicaux, parfois en latin et parfois sous forme d'amulette, où les elfes sont considérés comme une cause possible de maladies. La plupart de ces références ont des liens avec le bas allemand[44][45][46].

Parfois, comme les nains, les elfes sont associés à l'artisanat. Wieland le forgeron incarne cette caractéristique. Il est connu sous de nombreux noms : Völund en vieux norrois, Wēland en anglo-saxon et Wieland en allemand. L'histoire de Wieland se retrouve également dans l'Edda en prose[15].

Mythologie anglaise

Les elfes comme sources de maladies

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Page du Leechbook de Bald.

En vieil anglais, les elfes sont le plus souvent mentionnés dans des textes médicaux qui attestent de la croyance selon laquelle les elfes pourraient affliger des maladies aux humains et animaux. Ces maladies consistent en des douleurs internes aiguës et des troubles mentaux. Le plus célèbre de ces textes médicaux est le charme Wið færstice (en) contre une douleur lancinante »), tiré du recueil Lacnunga du Xe siècle. Cependant, la plupart des témoignages se trouvent dans le Leechbook de Bald et le Leechbook III, datant aussi du Xe siècle. Les elfes continuent d'apparaître ensuite dans les textes médicaux en moyen anglais[47].

La croyance selon laquelle les elfes sont à l'origine de maladies demeurent très répandue au début de l'époque moderne en Écosse, où les elfes sont considérés comme des êtres surnaturels puissants vivant de manière invisible aux côtés des paysans[48]. Ainsi, les elfes sont souvent mentionnés dans les procès pour sorcellerie du début de l'époque moderne en Écosse : de nombreux témoins dans ces procès croient avoir reçu des pouvoirs de guérison ou connaissent des personnes ou des animaux rendus malades par les elfes[49]. Dans ces sources, les elfes sont parfois associés à un être surnaturel semblable à une succube appelé « mare »[50].

Bien qu'accusés de causer des maladies à l'aide d'armes magiques, les elfes sont plus souvent associés en vieil anglais à un type de magie désigné par les termes sīden et sīdsa, apparentés au vieux norrois seiðr et équivalents au vieil irlandais Serglige Con Culainn[51]. Au XIVe siècle, ils sont également associés à la pratique ésotérique de l'alchimie[47].

Elf-shot

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Pointes de flèches néolithiques.

Dans quelques textes médicaux en vieil anglais, on imagine que les elfes infligent des maladies à l'aide de projectiles. Au XXe siècle, les chercheurs qualifient souvent ces maladies de « coups d'elfe » (elf-shot), mais les travaux menés à partir des années 1990 montrent que les preuves médiévales d'une telle croyance sont minces[52] ; le débat sur leur signification reste ouvert[53].

Le nom elf-shot apparaît pour la première fois dans un poème écossais, Rowlis Cursing, vers 1500, où elf schot figure parmi diverses malédictions destinées à punir des voleurs de poules. Le terme ne désigne pas toujours un projectile réel : shot peut aussi signifier une douleur aiguë. Mais dans l'Écosse du début de l'époque moderne, elf-schot et d'autres expressions comme elf-arrowhead s'emploient parfois pour parler de pointes de flèches néolithiques, apparemment considérées comme fabriquées par les elfes. Dans quelques procès pour sorcellerie, des témoins affirment que ces pointes de flèches sont utilisées dans des rituels de guérison, et que les sorcières et les elfes s'en servent pour blesser des personnes ou du bétail[49].

Apparence

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Le Christ et les démons attaquent le psalmiste, Psautier d'Eadwine, fo 66r.

En raison de l'association des elfes avec la maladie, au XXe siècle, la plupart des chercheurs imaginent que les elfes de la tradition anglo-saxonne sont de petits êtres invisibles et démoniaques, causant des maladies avec des flèches. Cette idée est renforcée par la croyance selon laquelle le elf-shot serait représenté dans le Psautier d'Eadwine, dans une image devenue célèbre à ce sujet[54]. Cependant, on considère aujourd'hui qu'il s'agit d'une erreur d'interprétation : l'image s'avère être une illustration conventionnelle des flèches de Dieu et des démons chrétiens[55]. Les recherches du XXIe siècle suggèrent plutôt que les elfes anglo-saxons, comme les elfes de Scandinavie ou les Aos Sí irlandais, sont perçus comme des êtres humains[56],[57].

Le mot ylfe (elfes) cité parmi une liste de créatures dans un manuscrit de Beowulf (2e ligne, 2e mot).

Tout comme les mots désignant les dieux et les hommes, le mot elf est employé dans des noms personnels, contrairement aux mots désignant les monstres et les démons[24]. De même que les álfar sont associés aux Æsir en vieux norrois, le Wið færstice associe les elfes aux ēse ; quel que soit le sens de ce mot au Xe siècle, il désigne étymologiquement des dieux païens[23]. En vieil anglais, le pluriel ylfe (attesté dans Beowulf) est grammaticalement un ethnonyme, ce qui suggère que les elfes sont vus comme un peuple[58][59]. Outre leur apparition dans les textes médicaux, le mot vieil anglais ælf et son dérivé féminin ælbinne servent à traduire des mots latins désignant les nymphes. Cela correspond bien à l'adjectif ælfscȳne, qui signifie « belle comme un elfe » et qualifie les héroïnes bibliques Sarah et Judith, réputées pour leur beauté[60].

De même, dans les textes en moyen anglais et dans les sources écossaises de la période moderne, bien qu'ils restent parfois liés à des forces de malheur ou de danger, les elfes apparaissent clairement comme des êtres semblables aux humains[61],[62]. Ils s'associent aux traditions médiévales des romans de chevalerie mettant en scène les fées, et en particulier à l'idée d'une Reine des Fées. Une tendance à séduire ou violer des humains devient de plus en plus marquée dans les sources[63],[64],[65]. Vers le XVe siècle, des témoignages commencent à évoquer la croyance selon laquelle les elfes enlèvent des bébés humains pour les remplacer par des changelings[66].

Déclin

À la fin de la période médiévale, le mot elf est de plus en plus remplacé par le terme emprunté au français, fairy fée »)[67]. Un exemple en est le conte satirique de Geoffrey Chaucer, Sire Topaze, dans lequel le personnage principal part en quête de la reine des elfes, qui réside dans le pays des Fées.

Mythologie germanique continentale

Le mot vieil haut allemand alp n'est attesté que dans un petit nombre de gloses. Il est défini par l'Althochdeutsches Wörterbuch comme un « dieu de la nature ou démon de la nature, assimilé aux faunes de la mythologie classique [...] considéré comme un être étrange et féroce. [...] En tant que mare, il s'amuse avec les femmes »[68]. En effet, le mot allemand Alpdruck (littéralement « oppression par les elfes ») signifie « cauchemar ». Il existe également des témoignages associant les elfes à la maladie, notamment à l'épilepsie[69].

De même, en moyen haut allemand, les elfes sont le plus souvent associés à la tromperie ou à la confusion des humains, dans une expression si fréquente qu'elle semble proverbiale : die elben/der alp trieget mich les elfes/l'alp me trompent »)[70]. Le même schéma se retrouve en haut allemand précoce[71]. Cette tromperie révèle parfois le côté séducteur que l'on retrouve dans les sources anglaises et scandinaves[69] : par exemple, le cinquième Minnesang de Heinrich von Morungen, au début du XIIIe siècle, commence par : « Von den elben wirt entsehen vil manic man / Sô bin ich von grôzer liebe entsên » de nombreux hommes sont ensorcelés par les elfes / ainsi je suis moi aussi ensorcelé par le grand amour »)[72]. Le mot Elbe sert également à cette époque à traduire les termes latins désignant les nymphes[73].

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Portrait de Margarethe Luther, mère de Martin Luther, par Lucas Cranach l'Ancien (1527).

Dans les prières médiévales plus tardives, les elfes apparaissent comme une force menaçante, voire démoniaque. Par exemple, certaines prières invoquent l'aide de Dieu contre les attaques nocturnes des Alpe[74]. De même, à l'époque moderne, les elfes sont décrits dans le nord de l'Allemagne comme accomplissant les méfaits des sorcières ; Martin Luther croit que sa mère a été affligée ainsi[75]. Comme dans les textes vieux norrois, peu de personnages sont explicitement identifiés comme des elfes. Il semble probable que, dans le monde germanophone, les elfes sont alors en grande partie confondus avec les nains (getwerc en moyen haut allemand)[76]. Ainsi, certains nains apparaissant dans la poésie héroïque allemande sont considérés comme liés aux elfes. En particulier, les chercheurs du XIXe siècle pensaient souvent que le nain Alberich, dont le nom signifie étymologiquement « puissant comme un elfe », est influencé par les traditions anciennes concernant les elfes[77].

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Folklore européen

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Répartition moderne des langues germaniques en Europe (couleurs).

La distinction entre les Dökkálfar et Ljósálfar dans la religion nordique ancienne influence la vision de ces créatures[78], Snorri Sturluson confond d'ailleurs les Alfes noirs, forgerons et gardiens de trésors, avec des nains[79]. Les hommes se méfient des nains et des alfes noirs, alors que les alfes clairs demeurent foncièrement bénéfiques[80].

Lors de la christianisation des Germano-Scandinaves, la croyance aux elfes, assimilée au paganisme, est sévèrement combattue[81] : l'elfe entre dans la famille des démons du cauchemar. Du VIIe siècle au IXe siècle, les elfes, qui étaient vénérés dans les pays germaniques, sont rapprochés des nains maléfiques[82],[83].

Un important syncrétisme se met en place. Dès le Xe siècle, la distinction entre les petits dieux issus des croyances païennes s'estompe[78], et les gloses des textes latins « attestent la fusion de créatures différentes »[84]. La confusion entre nains et elfes va jusqu'au rapprochement définitif, bien que les textes du Moyen Âge laissent entrevoir quelques indices sur leur origine. « Sans doute bien entamée à l'époque de Charles Perrault », la fusion des croyances est entretenue par la minimalisation des savoirs populaires au profit des textes gréco-latins, d'après l'historien de l'art Jérémie Benoît[85].

Comme pour les autres êtres légendaires diaphanes et féeriques, il est possible que la croyance aux elfes se soit, entre autres, nourrie de l'observation de phénomènes naturels alors inexpliqués tels que les brumes se déplaçant rapidement selon la turbidité atmosphérique ou diffusant les faibles luminosités naturelles, les feux follets ou la bioluminescence[86],[87].

Folklore scandinave

Terminologie

Dans le folklore scandinave, de nombreuses créatures surnaturelles à forme humaine sont attestées, pouvant être considérées comme des elfes et provenant en partie des croyances scandinaves médiévales. Cependant, les caractéristiques et les noms de ces êtres varient selon les époques et les régions, il est donc difficile de les classer de manière précise. Ces êtres sont parfois désignés par des mots directement issus du vieux norrois álfr. Toutefois, dans les langues modernes, les termes traditionnels liés à álfr ont souvent été remplacés par d'autres appellations. La situation est encore compliquée par le fait que, lorsqu'ils parlent des elfes de la mythologie nordique ancienne, les chercheurs emploient aujourd'hui de nouvelles formes dérivées directement du mot vieux norrois álfr. Le tableau suivant résume cette évolution dans les principales langues scandinaves modernes[88].

Davantage d’informations Langue, Termes liés au mot elfe dans l'usage traditionnel ...

Apparence et comportement

Les elfes de la mythologie nordique survivent dans le folklore principalement sous une forme féminine, vivant dans des collines et des tertres de pierre[89]. Les älvor suédoises sont décrites comme des jeunes filles d'une beauté saisissante, vivant dans la forêt sous la protection d'un roi elfe[90],[91].

On peut voir les elfes danser dans les prairies, surtout la nuit ou au petit matin, quand la brume est encore présente. Elles laissent derrière elles un cercle à l'endroit où elles ont dansé, appelé älvdanser danses d'elfes ») ou älvringar cercles d'elfes »). Uriner dans un tel cercle est censé provoquer des maladies vénériennes. En général, ces cercles d'elfes sont des ronds de fées, formés par un anneau de petits champignons, mais il existe aussi un autre type de cercle elfique constitué d'herbe écrasée en cercle[89].

Lorsqu'un humain observe la danse des elfes, il découvre que, même si seules quelques heures semblent s'être écoulées, de nombreuses années sont passées dans le monde réel. Les histoires d'humains invités ou entraînés dans la danse des elfes constituent un motif fréquent, hérité des anciennes ballades scandinaves[92].

Dans les ballades

Les elfes occupent une place importante dans plusieurs ballades liées, datant probablement du Moyen Âge, bien qu'elles ne soient attestées qu'à partir de l'époque moderne[93]. Beaucoup de ces ballades figurent d'abord dans le Karen Brahes Folio (en), un manuscrit danois des années 1570, mais circulent largement en Scandinavie et dans le nord de la Grande-Bretagne. Le mot « elfe » y apparaît parfois simplement parce que les textes sont appris par cœur, même si le terme est devenu archaïque dans la langue courante. Ces ballades jouent un rôle majeur dans la transmission des croyances traditionnelles sur les elfes dans les cultures post-médiévales. Certaines d'entre elles demeurent encore bien connues aujourd'hui, que ce soit grâce aux programmes scolaires ou à la musique folklorique contemporaine, offrant ainsi un accès privilégié aux représentations anciennes des elfes[94].

Ces ballades se caractérisent par des rencontres amoureuses ou sexuelles entre des humains ordinaires et des êtres surnaturels, souvent qualifiés d'elfes (mais parfois décrits comme des tritons, des nains ou d'autres créatures). Les elfes y représentent une menace pour la communauté humaine, car ils attirent leurs victimes dans leur monde enchanté. L'exemple le plus célèbre est celui d'Elveskud (en) et de ses nombreuses variantes (connues en anglais sous le titre de Clerk Colvill (en)), où une femme du monde des elfes tente de séduire un jeune chevalier pour qu'il danse avec elle ou vienne vivre parmi les siens. Dans certaines versions, il refuse, dans d'autres, il accepte ; mais dans tous les cas, il meurt tragiquement[93].

Comme dans Elveskud, le personnage humain est souvent un homme et l'elfe une femme, notamment dans Elvehøj (en) la colline des elfes » ; une version plus heureuse du même récit), Hertig Magnus och Hafsfrun (en), Herr Tønne af Alsø (en), Ungersven och havsfrun (en), ou encore dans la ballade anglaise Thomas le Rhymer. Dans d'autres cas, c'est l'inverse : le protagoniste humain est une femme, et l'elfe, un homme. C'est le cas des ballades britanniques du nord telles que Tam Lin, The Elfin Knight ou Lady Isabel and the Elf-Knight, où le chevalier elfe enlève Isabelle pour la tuer, ainsi que de la ballade scandinave Harpans kraft (en)[93].

Responsables de maladies

Dans les récits populaires, les elfes scandinaves jouent souvent le rôle d'esprits porteurs de maladie. Le cas le plus courant et le plus bénin concerne diverses irritations cutanées, appelées älvablåst souffle d'elfe »), pouvant être guéries à l'aide d'un soufflet. Les skålgropar, un type particulier de pétroglyphes que l'on trouve en Scandinavie, étaient autrefois appelés älvkvarnar moulin d'elfes »), car on pensait que les elfes les utilisaient. Pour apaiser ces êtres, on leur offrait une friandise (de préférence du beurre) placée dans un de ces « moulin d'elfes »[88].

Afin de se protéger des elfes malveillants et de préserver leur bétail, les Scandinaves fabriquaient un croix d'elfe (Alfkors, Älvkors ou Ellakors), qu'ils gravaient sur les bâtiments ou les objets. Cette croix existait sous deux formes principales. La première est un pentagramme, très courant en Suède au début du XXe siècle, souvent peint ou gravé sur les portes, les murs ou les ustensiles domestiques pour repousser les elfes. La seconde est une croix ordinaire gravée sur une plaque d'argent ronde ou ovale. Cette seconde forme était portée en pendentif autour du cou. Pour que son pouvoir soit efficace, elle devait être forgée pendant trois soirées consécutives, à partir de neuf sources différentes d'argent hérité. Dans certaines régions, il fallait aussi que la croix repose sur l'autel d'une église pendant trois dimanches consécutifs avant de pouvoir la porter[95].

Croyances contemporaines

En Islande, croire aux huldufólk gens cachés »), c'est-à-dire aux elfes habitant les formations rocheuses, reste relativement courant. Une étude menée en 2006-2007 par la Faculté des sciences sociales de l'Université d'Islande a révélé qu'une majorité d'Islandais n'excluent pas l'existence des elfes ou des fantômes, un résultat semblable à celui d'une enquête de 1974 menée par Erlendur Haraldsson[96].

Que de nombreux Islandais croient ou non aux elfes, ceux-ci occupent une place importante dans le discours national. Ils apparaissent fréquemment dans les récits oraux et les reportages où ils interrompent la construction de routes ou de maisons. Selon l'analyse du folkloriste islandais Valdimar Tr. Hafstein (en), « les récits sur les soulèvements des elfes illustrent une forme de sanction surnaturelle contre le développement et l'urbanisation ; autrement dit, les êtres surnaturels protègent et défendent les valeurs religieuses et la culture rurale traditionnelle. Les elfes repoussent, avec plus ou moins de succès, les assauts du progrès technologique, perceptibles dans le bulldozer[97]. »

Folklore des régions germaniques

Ce qui subsiste des elfes dans le folklore des régions de langue allemande est leur nature espiègle et malfaisante. Ils étaient estimés capables de causer des maladies au bétail et aux gens. Ils apportent également de mauvais rêves aux dormeurs. Le mot allemand pour cauchemar, Albtraum ou Alptraum, signifie littéralement « rêve d'elfe ». Sa forme archaïque Albdruck signifie « pression d'elfe » ; la croyance populaire attribuait les cauchemars à un elfe assis sur la tête du dormeur. Cet aspect de la croyance elfique germanique correspond en grande partie à la croyance scandinave du mara. Elle est également semblable aux légendes concernant les incubes et les succubes, que l'on peut relier aux phénomènes d'apnée du sommeil.

Le « roi elfe » Alberich, probablement issu des croyances des Francs, devient le roi des nains dans l'épopée allemande médiévale du Nibelungenlied, attestant de la confusion entre ces deux types de personnages[98]. Dans la littérature française, il est à l'origine du nom d'Aubéron, un nain de la chanson de geste médiévale Huon de Bordeaux.

Le « roi elfe » apparaît de temps en temps au Danemark et en Suède. En Norvège, Alberich donne le voleur nain Alfrik dans la Saga de Théodoric de Vérone[99]. On trouve une postérité aux elfes du folklore germanique dans la tétralogie de L'anneau du Nibelung du compositeur allemand Richard Wagner. Ce dernier construit une mythologie personnelle qui s'inspire à la fois des Eddas scandinaves et du Nibelungenlied germanique, avec reprise, notamment, du personnage d'Alberich.

Conformément à l'Edda de Snorri Sturluson, les « Albes » de Wagner sont de deux natures :

  • les « Lichtalben », « Elfes de lumière », assimilés par Wagner aux ases de l'Edda et aux dieux du panthéon germanique ayant Wotan à leur tête, qui se qualifie lui-même de « Licht-Alberich »[100] ;
  • les « Schwarzalben », « Elfes noirs », assimilés aux nains, peuple du Nibelheim, qui ont à leur tête Alberich, qualifié de « Schwarz-Alberich » par Wotan[101].

Dramatiquement, l'opposition entre « Licht-Alberich » et « Schwarz-Alberich » est structurante pour l'œuvre entière[102] mais on aurait sans doute tort de n'y voir qu'une opposition simpliste entre bien et mal.

En effet, la première atteinte contre la nature (boire à la source de la sagesse et blesser le Frêne du Monde afin d'y tailler une lance, symbole du pouvoir sur le monde[103]) est accomplie par Wotan, l'Elfe lumineux, bien avant qu'Alberich, l'Elfe noir, ne se rende coupable du vol de l'or du Rhin et de forger l'anneau, source apparente du drame qui est au centre de l'œuvre. L'opposition des deux Elfes apparaît alors plutôt comme les deux faces d'une même réalité, la commune soif de puissance.

Folklore anglais

À partir du Moyen Âge tardif, le mot elf commence à être employé en anglais comme un terme vaguement synonyme du mot emprunté au français fairy fée »)[104]. Dans l'art et la littérature, il devient également associé à de petits êtres surnaturels comme Puck, les hobgoblins, Robin Goodfellow, le brownie anglais et écossais, ou le hob (en) de Northumbrie[105].

Cependant, en Écosse et dans certaines régions du nord de l'Angleterre proches de la frontière écossaise, la croyance aux elfes reste vivace jusqu'au XIXe siècle. Jacques VI d'Écosse et Robert Kirk s'intéressent sérieusement aux elfes. Les croyances aux elfes sont largement attestées dans les procès pour sorcellerie, en particulier celui d'Isobel Gowdie ; des récits similaires apparaissent également dans le folklore[106].

De nombreuses ballades racontent des histoires impliquant des elfes, telles que Thomas le Rhymer, où un homme rencontre une femme elfe ; Tam Lin, Le Chevalier elfe et Lady Isabel and the Elf-Knight, dans lesquelles un chevalier elfe viole, séduit ou enlève une femme ; et The Queen of Elfan's Nourice (en), où une femme est enlevée pour allaiter le bébé de la reine des elfes, mais à qui l'on promet qu'elle pourra rentrer chez elle une fois l'enfant sevré[93].

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Les elfes dans la culture et les arts

Résumé
Contexte

Début de l'époque moderne

Les elfes entrent dans la culture savante de l'époque moderne principalement à travers la littérature de l'Angleterre élisabéthaine[105]. Ainsi, dans The Faerie Queene (1590) d'Edmund Spenser, les mots fairy et elf sont employés de manière interchangeable pour désigner des êtres de taille humaine, mais complexes, imaginaires et allégoriques. Spenser propose également sa propre explication de l'origine des elfes et elfin, affirmant qu'ils ont été créés par Prométhée[107].

De même, William Shakespeare, dans une réplique de Roméo et Juliette (1592), mentionne une elf-lock (mèche de cheveux emmêlée) causée par la reine Mab, qu'il décrit comme « la sage-femme des fées »[108]. Parallèlement, Le Songe d'une nuit d'été popularise l'image d'elfes petits et éthérés. L'influence combinée de Shakespeare et Michael Drayton rend courante l'assimilation des termes elf et fairy à de minuscules créatures, une conception qui marque durablement les contes de fées modernes consacrés aux elfes[109].

Le mouvement romantique

En Allemagne

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Der Erlkönig, par Albert Sterner, 1910.

La conception anglaise des elfes à l'époque moderne a exercé une influence notable sur l'Allemagne du XVIIIe siècle. Les termes Elf (masculin) et Elfe (féminin) en allemand moderne sont introduits comme emprunt à l'anglais dans les années 1740[110],[111] et apparaissent notamment dans la traduction de 1764 par Christoph Martin Wieland du Songe d'une nuit d'été[112].

Lorsque le romantisme allemand prend son essor et que les écrivains cherchent à collecter un folklore authentique, Jacob Grimm rejette Elf comme un anglicisme récent et prône le retour à l'ancienne forme Elb (pluriel Elbe ou Elben)[111]. Dans le même esprit, Johann Gottfried von Herder traduit la ballade danoise Elveskud dans son recueil Stimmen der Völker in Liedern (de) (1778) par « Erlkönigs Tochter » (« La fille du roi des aulnes »). Il semble que Herder ait introduit le terme Erlkönig dans la langue allemande via une mauvaise germanisation du mot danois pour « elfe ». Cette traduction inspire ensuite le poème de Goethe, Der Erlkönig. Toutefois, Goethe ajoute un nouveau sens, car le mot allemand Erle signifie en réalité aulne noire, et non elfe : le poème situe l'Erlenkönig dans la vallée de la Saale en Thuringe, près d'une plantation d'aulnes. Le concept devient peu à peu autonome, donnant naissance au concept romantique d'Erlkönig, qui influencera durablement les représentations littéraires des elfes à partir du XIXe siècle[113].

En Scandinavie

En Scandinavie également, au XIXe siècle, les traditions sur les elfes s'adaptent pour inclure de petites fées ailées, aux ailes semblables à celles des insectes. Celles-ci sont souvent appelées « elfes » (älvor en suédois moderne, alfer en danois, álfar en islandais), bien que la traduction plus formelle en danois soit feer. Ainsi, l'elfe du conte L'Elfe de la rose de l'auteur danois Hans Christian Andersen est si minuscule qu'il peut loger dans une fleur de rose et possède des ailes allant des épaules jusqu'aux pieds. Cependant, Andersen décrit aussi des elvere dans La Colline des elfes. Les elfes de ce récit ressemblent davantage aux elfes du folklore danois traditionnel : ce sont des femmes magnifiques, vivant dans les collines et les rochers, capables de faire danser un homme jusqu'à sa mort. Comme les huldra en Norvège et en Suède, elles paraissent creuses lorsqu'on les voit de dos[114].

En Grande-Bretagne

Les traditions littéraires anglaises et allemandes influencent toutes deux l'image victorienne des elfes, représentés comme de minuscules hommes et femmes aux oreilles pointues et portant un bonnet. Par exemple, dans le conte d'Andrew Lang Princess Nobody (1884), illustré par Richard Doyle, les fées sont de toutes petites créatures avec des ailes de papillon, tandis que les elfes sont de petites personnes portant un bonnet rouge. Ces représentations influencées par la littérature romantique allemande restent prépondérantes dans la littérature enfantine du XXe siècle, comme dans la série The Farraway Tree (en) d'Enid Blyton. Ainsi, dans le conte des frères Grimm Les Lutins , les protagonistes sont deux minuscules hommes nus qui aident un cordonnier dans son travail. Bien que les lutins ressemblent à des êtres tels que les kobolds, nains ou brownies, le conte est traduit en anglais par Margaret Hunt en 1884 sous le titre The Elves and the Shoemaker Les Elfes et le cordonnier »). Ce glissement illustre l'évolution et l'influence du mot elf : ce sens se retrouve, par exemple, dans les house-elfs elfes de maison ») des romans Harry Potter de J. K. Rowling. Comme Grimm, J. R. R. Tolkien recommande l'usage de l'ancienne forme allemande Elb dans les traductions de ses œuvres, comme indiqué dans son Guide to the Names in The Lord of the Rings (1967). La forme Elb-Elben est ainsi introduite dans la traduction allemande de 1972 du Seigneur des Anneaux, contribuant à sa re-popularisation en allemand[115].

La culture populaire contemporaine

Les elfes de Noël

Avec l'industrialisation et la scolarisation de masse, le folklore elfique traditionnel décline ; cependant, avec l'émergence de la culture populaire, les elfes sont réinventés, largement à partir des représentations littéraires romantiques et de l'imaginaire médiéval associé[115].

Lorsque les traditions de Noël américaines se cristallisent au XIXe siècle, le poème de 1823 A Visit from St. Nicholas décrit Saint Nicolas lui-même comme « un joyeux elfe ». Cependant, ce sont ses petits assistants, inspirés en partie par des contes comme The Elves and the Shoemaker (traduction anglaise des Lutins de Grimm), qui deviennent connus sous le nom d'elfes du Père Noël. Les mécanismes exacts de cette évolution sont mal compris, mais un acteur clé fut Thomas Nast, dessinateur germano-américain, à travers une publication liée à Noël[116],[115]. Ainsi, aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Irlande, le folklore enfantin moderne du Père Noël inclut généralement de petits elfes agiles, vêtus de vert, aux oreilles pointues, aux nez longs et aux bonnets pointus, qui sont les assistants du Père Noël. Ils fabriquent les jouets dans un atelier situé au pôle Nord[117]. Le rôle des elfes comme assistants du Père Noël continue de rester populaire, comme en témoigne le succès du film de Noël Elfe[115].

Les elfes dans la fantasy moderne

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Représentation moderne d'une elfe de fantasy.

Le genre fantasy du XXe siècle trouve ses racines dans le romantisme du XIXe siècle, période durant laquelle des auteurs comme Andrew Lang et les frères Grimm collectent des légendes issus du folklore et, dans certains cas, les réécrivent librement[118]. Une œuvre pionnière du genre est La Fille du roi des elfes, un roman de 1924 de Lord Dunsany. Les elfes de la Terre du Milieu jouent un rôle central dans le légendaire de Tolkien, notamment dans Le Hobbit (1937) et Le Seigneur des Anneaux (1954-1955), extrêmement influents sur la fantasy ultérieure. L'influence de Tolkien est telle que, dès les années 1960, des elfes parlant une langue elfique semblable à celle de Tolkien deviennent des personnages non humains récurrents dans les œuvres de high fantasy et dans les jeux de rôle fantastiques. Les elfes post-Tolkien (présents non seulement dans les romans mais aussi dans des jeux comme Donjons & Dragons) sont souvent plus sages et plus beaux que les humains, dotés de sens et de perceptions plus aiguisés. On leur attribue des aptitudes magiques, une intelligence vive, un amour pour la nature, l'art et le chant, ainsi qu'une grande habileté à l'arc. Une caractéristique fréquente des elfes de fantasy est leurs oreilles pointues[118]. Dans une lettre à Naomi Mitchison, Tolkien écrit : « ils représentent réellement des Hommes doués de facultés esthétiques et créatrices beaucoup plus développées, d'une beauté supérieure et d'une vie plus longue, et de noblesse[119] ».

Dans les œuvres où les elfes sont les personnages principaux, comme Le Silmarillion ou la bande dessinée Elfquest de Wendy et Richard Pini, ils présentent une gamme de comportements similaire à celle d'un groupe humain, mais se distinguent par leurs pouvoirs physiques surhumains. En revanche, dans des récits centrés sur les humains, comme Le Seigneur des Anneaux, les elfes conservent leur rôle d'étrangers, puissants et parfois menaçants[118].

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Croyance et réalité

Résumé
Contexte

Les elfes ont souvent été considérés comme des êtres réels[120]. Lorsqu'un nombre suffisamment important de personnes croient en la réalité des elfes et que ces croyances ont des conséquences concrètes dans le monde réelles, elles s'intègrent dans la vision du monde des individus et devient une réalité sociale (en) : quelque chose qui, comme la valeur d'un billet de banque ou le sentiment de fierté suscité par un drapeau national, est réel en raison des croyances des gens, plutôt qu'en tant que réalité objective[120].

En conséquence, les croyances sur les elfes et leurs fonctions sociales varient au fil du temps et selon les lieux[121]. Même au XXIe siècle, les histoires mettant en scène des elfes peuvent à la fois refléter et influencer la manière dont le public comprend le monde réel[122]. Au cours de l'histoire, les hommes ont tenté de démystifier ou de rationaliser les croyances aux elfes de diverses manières[123].

Intégration dans la cosmologie chrétienne

Les croyances sur les elfes datent d'avant la la christianisation de l'Europe du Nord-Ouest. Pour cette raison, la croyance aux elfes a souvent été qualifiée de « païenne » ou de « superstition » du Moyen Âge jusqu'aux recherches récentes. Cependant, presque toutes les sources textuelles conservées sur les elfes ont été produites par des chrétiens : moines anglo-saxons, poètes médiévaux islandais, auteurs de ballades de l'époque moderne, collecteurs de folklore au XIXe siècle, ou encore auteurs de fantasy au XXe siècle. Les croyances attestées sur les elfes doivent donc être comprises comme faisant partie de la culture chrétienne des locuteurs germaniques, et non simplement comme un vestige de leur religion pré-chrétienne. Ainsi, l'étude du lien entre la croyance aux elfes et la cosmologie chrétienne a été au centre des recherches sur les elfes, tant à l'époque ancienne que dans la recherche moderne[124],[125],[126].

Historiquement, trois approches principales ont été adoptées pour intégrer les elfes à la cosmologie chrétienne, toutes largement répandues.

D'abord, celle consistant à identifier les elfes aux démons de la tradition judéo-chrétienne méditerranéenne[127]. Par exemple, dans le Royal Prayer Book (en) (vers 900), elf apparaît comme glose pour « Satan »[128]. Dans Le Conte de la bourgeoise de Bath (fin du XIVe siècle), Chaucer assimile les elfes mâles aux incubes (démons violant les femmes endormies)[129]. Lors des procès de sorcellerie en Écosse à l'époque moderne, les descriptions de rencontres avec des elfes par les témoins étaient souvent interprétées par les procureurs comme des rencontres avec le Diable[130].

En Islande médiévale, Snorri Sturluson parle dans l'Edda en prose des ljósálfar et dökkálfar elfes de lumière et elfes noirs »), les ljósálfar vivant dans les cieux et les dökkálfar sous la terre. Le consensus des chercheurs modernes est que les elfes de Snorri sont basés sur les anges et les démons de la cosmologie chrétienne[16],[17],[18],[19]. Les elfes apparaissent comme forces démoniaques dans de nombreuses prières médiévales et modernes en Angleterre, Allemagne et Scandinavie[131],[132],[133],[44].

Ensuite, considérer les elfes comme des êtres à peu près humains et plus ou moins en dehors de la cosmologie chrétienne[134]. Les Islandais ayant copié l'Edda poétique n'ont pas explicitement cherché à intégrer les elfes dans la pensée chrétienne. De même, les Écossais de l'époque moderne ayant confessé des rencontres avec des elfes ne semblaient pas se considérer comme en relation avec le Diable. Le folklore islandais du XIXe siècle présente les elfes principalement comme une communauté agricole humaine parallèle à la communauté visible, pouvant être chrétienne ou non[135],[136]. Il est possible que ces histoires aient parfois été racontées comme acte politique, pour subvertir la domination de l'Église[137].

Enfin, intégrer les elfes dans la cosmologie chrétienne sans les identifier aux démons[125]. Les exemples les plus marquants se trouvent dans des traités théologiques : le Tíðfordrif (1644) de l'Islandais Jón lærði Guðmundsson (en) ou, en Écosse, le Secret Commonwealth of Elves, Fauns, and Fairies (1691) de Robert Kirk. Cette approche apparaît également dans le poème vieil-anglais Beowulf, qui place les elfes parmi les races issues du meurtre d'Abel par Caïn[138]. Le légendaire d'Angleterre du Sud (en) de la fin du XIIIe siècle et certains contes islandais définit les elfes comme des anges qui ne se sont rangés ni du côté de Lucifer ni de Dieu et que Dieu a bannis sur Terre plutôt qu'en enfer. Un conte islandais célèbre décrit aussi les elfes comme les enfants perdus d'Ève[139],[140].

Interprétation de Paracelse

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Portrait présumé de Paracelse.

Paracelse, dans son Astronomia magna (1537) et dans le Liber de nymphis, sylphis, pygmaeis et salamandris, compte sept races de créatures sans âme : les génies à forme humaine mais sans âme ni esprit (inanimata) des éléments, les géants et les nains, les nains sur la terre. Il croit aux génies des quatre éléments. La terre, par génération spontanée, produit des nains qui gardent les trésors sous la montagne ; l'eau produit les ondines ; le feu, les salamandres ; l'air, les elfes. Ensuite viennent les géants et les nains issus de l'air, mais qui vivent sur la terre[141],[142].

Les elfes comme peuples perdus

Certains chercheurs des XIXe siècle et XXe siècle ont tenté de rationaliser les croyances aux elfes comme étant des souvenirs folkloriques de peuples autochtones disparus. Comme la croyance aux êtres surnaturels est omniprésente dans toutes les cultures humaines, ces explications ne sont aujourd'hui plus considérées comme valides[143]. Les recherches ont cependant montré que les histoires sur les elfes ont souvent été utilisées comme un moyen métaphorique de réfléchir aux rapports à l'étranger dans la vie réelle[144],[145].

Les elfes comme personnes malades

Des chercheurs ont également tenté d'expliquer les croyances aux elfes comme étant inspirées par des personnes souffrant de certaines maladies, comme le syndrome de Williams[146]. Les elfes étaient souvent considérés comme une cause de maladie. En effet, le mot anglais oaf lourdaud ») semble provenir d'une forme de elf : le mot elf en vint à signifier « enfant échangé par un elfe », puis, parce que ces enfants étaient connus pour leur retard de développement, le sens évolua vers « fou, stupide ; homme ou garçon grand et maladroit »[147]. Cependant, il semble peu probable que l'origine même des croyances aux elfes puisse s'expliquer par les rencontres réelles avec des personnes affectées par des maladies[148].

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Équivalents dans les autres traditions européennes

Résumé
Contexte

Les êtres semblable aux elfes semblent avoir été une caractéristique commune à de nombreuses mythologies indo-européennes[149]. Dans les régions celtiques du nord-ouest de l'Europe, les créatures les plus proches des elfes sont généralement désignées par le terme gaélique Aes Sidhe ou Aos Sí[150]. L'équivalent gallois moderne est Tylwyth Teg.

Dans le monde roman, des êtres comparables aux elfes sont largement connus sous des noms dérivés du latin fata destin »), d'où proviennent le français « fée » et l'anglais fairy . Ce mot devint partiellement synonyme de elf à l'époque moderne[151]. D'autres appellations abondent toutefois, comme les Donas de fuera dames venues d'ailleurs ») en Sicile[152] ou les « bonnes dames » en français[153]. Dans la région italienne de la Romagne, on retrouve les mazapégul (en), des elfes nocturnes et malicieux, réputés pour perturber le sommeil des jeunes filles[154].

Dans le monde finno-ougrien, les équivalents les plus proches de l'elfe sont le haltija (en) en finnois et le haldaja en estonien[155]. Dans le monde slave, un parallèle se trouve dans la vila (pluriel vile) du folklore serbo-croate (et, en partie, slovène)[156]. Les elfes présentent également des ressemblances avec les satyres de la mythologie grecque, eux aussi considérés comme des esprits des bois espiègles et séducteurs[157].

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Notes et références

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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