La deuxième bataille de La Croix-Avranchin a lieu le lors de la Chouannerie. Elle s'achève par la victoire des chouans qui mettent en déroute une colonne républicaine venue d'Avranches pour ravitailler le bourg patriote de Saint-Georges-de-Reintembault.
Après plusieurs sollicitations, le général Delaunay, commandant à Avranches, décide à son tour d'envoyer des secours à Saint-Georges[1]. Entre le 24 et le 26 décembre[6],[1],[2],[7],[4], il fait sortir une colonne commandée par l'adjudant-général Richou — ou Richon — pour escorter un convoi de munitions[1],[2],[4]. Informé de ce mouvement, Boisguy demande à son second, Auguste Hay de Bonteville, de venir le rejoindre avec ses troupes, mais ce dernier est ralenti par de fortes pluies[1]. Les chouans laissent alors passer le convoi qui entre à Saint-Georges sans rencontrer de résistance[1].
La colonne d'Avranches reste quelques jours à Saint-Georges-de-Reintembault, puis elle s'engage sur le chemin du retour au matin du 30 décembre[1],[4]. Un premier accrochage a lieu près de Saint-James, où un petit groupe de chouans est mis en fuite en laissant un mort derrière lui[1],[4]. De son côté, Boisguy décide cette fois de tenter une embuscade et prend position entre Pontaubault et Saint-James[1],[4]. Son second, Bonteville, reste en réserve avec sa colonne au village du Bois, entre La Croix-Avranchin et Saint-Benoît-de-Beuvron[1],[4].
Selon les rapports du général Delaunay et du district d'Avranches, la colonne républicaine est forte de 800 volontaires[1],[4]. Elle est sous les ordres de l'adjudant-général Richou — ou Richon[1],[4]. Les chouans sont d'après Delaunay «plus du quadruple»[1],[4].
Dans ses mémoires, l'officier chouan Toussaint du Breil de Pontbriand, indique qu'Aimé Picquet du Boisguy est à la tête de la colonne du Centre de la division de Fougères et de quelques compagnies normandes, tandis que son second, Auguste Hay de Bonteville, dirige la colonne « Brutale » de la division de Fougères, forte de 1 200 hommes[1],[3]. Pontbriand porte les forces républicaines à 2 000 hommes, mais ne fixe pas précisément l'effectif total des chouans[1],[3]. D'après lui ces derniers étaient 2 800 lors de la deuxième bataille du Rocher de La Piochais, livrée neuf jours plus tôt[8],[9].
Le déroulement de ce combat est principalement connu par les mémoires de l'officier chouan Toussaint du Breil de Pontbriand[Note 1]. Celui-ci le place en avril 1796, mais les sources républicaines donnent la date du 9nivôsean IV ()[4].
Retardé à son tour par le mauvais temps, Boisguy rencontre l'avant-garde républicaine sur la grande route avant d'avoir eu le temps de faire embusquer ses hommes[1]. Peu nombreux, les patriotes s'enfuient presque sans combattre en direction du nord, vers Pontaubault[1]. Les Normands et une partie des Bretons de la colonne du Centre se lancent alors à leur poursuite[1]. Seuls 600 hommes restent en arrière avec Boisguy[1].
Selon Pontbriand, Boisguy ignore totalement à quelle troupe il a affaire[1]. D'après les informations prises auprès d'un paysan, il pense d'abord combattre l'arrière-garde de la colonne d'Avranches, mais il finit par douter de ses renseignements et donne l'ordre de rappeler ses troupes[1].
Le gros de la colonne d'Avranches fait alors son apparition au sud, par Saint-James[1]. En un quart d'heure, elle met en déroute les hommes de Boisguy qui s'enfuient en direction de La Croix-Avranchin[1]. Les républicains se lancent à leur poursuite, mais ils se dispersent à leur tour[1].
Bonteville arrive alors en renfort du côté de La Croix-Avranchin avec ses 1 200 hommes[1]. Il divise sa colonne en trois détachements, menés par lui-même, Saint-Gilles et Boismartel ou Chalus, et engage le combat près du village du Bois[1]. Les républicains résistent, mais ils doivent encore subir la contre-attaque de Boisguy, qui a rallié ses troupes à l'intérieur du bourg de La Croix-Avranchin, puis celle des Normands, menés par Dauguet, revenus de leur poursuite du côté de Pontaubault[1].
Après deux heures de combats, les républicains se replient sur la ville de Pontorson, à l'ouest[1],[2],[11],[4]. Dans la soirée, un courrier informe Avranches de la défaite de la colonne de Richou[1],[2].
Les sources républicaines et royalistes ne s'accordent par sur les pertes qui semblent avoir été exagérées des deux côtés[4].
Dans un bref rapport[Note 2] adressé au district d'Avranches le lendemain du combat, le général Delaunay affirme que 200 chouans ont été tués au cours de l'affrontement, tandis que les pertes des républicains sont de «trois quarts moins»[1],[4],[2]. Le 5 janvier 1796, une députation de la Manche indique également dans un courrier[Note 3], qu'«une cinquantaine de braves républicains [...] perdirent la vie lors de cette journée»[4].
Le livre paroissial de Saint-Benoît-de-Beuvron fait une courte mention de ce combat dans laquelle il indique que «les pertes furent considérables de part et d'autre»[Note 4].
Les registres de La Croix-Avranchin notent également la mort de deux laboureurs, tués par la troupe républicaine[Note 5].
En 1895, le chanoine Ménard, membre de la Société académique du Cotentin, écrit: «Le combat eut lieu, comme nous l'avons dit, sur le chemin de Saint-Benoit à la Croix-Avranchin. Un vieillard nous a raconté, d'après un témoin oculaire, que, le soir du combat, on enterra cent ou cent cinquante bleus dans le champ appelé les Douaires, situé sur le bord de la route, à la hauteur du village du Bois. On avait fait dans la longueur de ce champ, qui mesure environ un hectare, ce qu'on appelle vulgairement dans le pays un patoure, c'est-à-dire une tranchée formant haie et fossé, pour parquer un troupeau de moutons. On élargit et on creusa plus profondément le fossé, dans lequel furent déposés les cadavres. On trouve aussi, paraît-il, de nombreux ossements dans les champs situés de l'autre côté de la route, en face celui des Douaires»[10],[7]. En 1889, l'historien normandLéon de La Sicotière écrit: «On voyait encore, il n'y a pas longtemps, la trace des fosses où avaient été enterrées les victimes de deux partis»[11],[1],[4].
«Du Boisguy apprit qu'une colonne de deux mille hommes devait venir d'Avranches à Saint-Georges, pour ravitailler la garnison de ce poste, réduit aux abois parce qu'il le tenait toujours bloqué. Il résolut de l'attaquer et envoya l'ordre à Bonteville de venir le joindre, à cet effet, avec la colonne Brutale. Bonteville fut retardé par le mauvais temps, et, malgré sa diligence, il ne put arriver que lorsque l'ennemi était déjà rendu à Saint-Georges.
Du Boisguy prit alors la résolution d'aller attendre les Républicains à leur retour, sur la route entre Saint-James et le Pont-Aubault; mais le mauvais temps continuait, et il ne put prendre position au lieu où il voulait dresser son embuscade qu'au moment où l'avant-garde républicaine venait de passer. Un paysan lui dit que c'était l'arrière-garde, et, sans autres informations, il ordonna de l'attaquer. Il n'avait autour de lui, dans ce moment, que sa colonne du Centre et quelques compagnies normandes. Cette avant-garde, composée de deux cents hommes, ne fit presque aucune résistance et prit la fuite vers le Pont-Aubault; les Normands et plusieurs compagnies de la colonne du Centre se mirent à sa poursuite. Ce fut alors que du Boisguy, réfléchissant qu'il avait peut-être été trompé par un faux rapport, envoya Sans-Chagrin pour rappeler ses troupes. À peine celui-ci était-il parti, qu'il aperçut le corps principal venant de Saint-Georges, commandés par l'adjudant-général Richon, qui marchait contre lui on bon ordre. Il ne lui restait pas plus de six cents hommes; cependant, l'espoir que Bonteville ne pouvait manquer d'arriver le détermina à tenir tête à l'ennemi. Il fit prendre à ses troupes les meilleures positions que le terrain put lui présenter, et il accueillit les Républicains par une fusillade bien soutenue; mais, après un quart d'heure de combat, se voyant chargé de toutes parts et bientôt environné, il voulut faire sa retraite. Il n'en était plus temps; ses troupes enfoncées prirent la fuite, et lui-même, obligé de les suivre, fut poursuivi par cette masse d'ennemis jusqu'à la Croix-Avranchine, à plus d'une lieue du point où l'action avait commencé. Mais le général républicain fit la même faute que du Boisguy avait faite à l'attaque de l'avant-garde: il laissa ses troupes se débander pour poursuivre les Royalistes. Pendant ce temps, Bonteville, qui ne voulait donner sur l'ennemi qu'après l'action engagée, marchait en bon ordre avec douze cents hommes. Il fut étonné de la direction que prenait la fusillade; néanmoins il la suivait dans sa marche, et ce fut seulement auprès du bourg de la Croix qu'il fut assuré que du Boisguy était en déroute et vivement poursuivi. Il forma aussitôt trois colonnes sous les ordres du chevalier de Saint-Gilles et de Boismartel, et lui-même, à la tête de la première, attaqua l'ennemi en flanc. Aussitôt que Richon entendit le bruit de cette nouvelle fusillade, qui se prolongea bientôt sur toute sa ligne, il voulut reformer ses troupes, mais il était trop tard; du Boisguy avait déjà rallié, dans le bourg de la Croix, toutes ses compagnies, et, irrité par la déroute qu'il venait d'éprouver, il s'élança sur l'ennemi avec une nouvelle ardeur. D'abord, les Républicains se battirent avec beaucoup de vaillance et firent face de tous côtés, mais Dauguet, que le capitaine Sans-Chagrin était allé rappeler, avait eu le temps de rallier ses compagnies et arriva dans ce moment. Sans-Chagrin forma la tête de cette nouvelle attaque avec trois compagnies de la colonne du Centre, qu'il avait réunies; il enfonça les Républicains, et ce fut lui qui décida la victoire. Richon prit la fuite du côté de Pontorson avec six cents hommes, mais il en laissa douze cents sur le champ de bataille.
Du Boisguy eut trente-cinq hommes tués et environ quatre-vingt blessés. Les capitaines Louis Vigron (ou Vigrou), de Montours; Pierre Montembault, de Laignelet; les lieutenants Louis Gautier, de Fougères; Julien Guillaume, de Luitré; Jacques du Pontavice, de Saint-Sennier; Mathieu Pingolé (ou Poujolle), du Ferré, et Jean Chauvin, de la Croix; François Trohu, de Lécousse, Jean Louvet, François Montorin, du Châtellier; Pierre Mauffray, et Pierre Roustiau, de Fougères; Jean Cotherel, de Saint-James; Georges Buron, de la Croix-Avranchine; Vincent le Noble, Guillaume Berthelot et Pierre Gaudin, de Coglès; Julien Beaulieu et Joseph Baluais, de Saint-Marc-sur-Couesnon; J. Grouazel, de Tremblay; Joseph Delorme et Louis Bon-Cœur, de Montours; Toussaint Gautier, de la Selle-en-Coglais; Thomas la Noë, de la Croix; Jean Béhitre, de Fleurigné; Pierre Chotard, de Larchamp; Gilles Roux, de Parigné; Pierre Hattais, de la Selle-en-Coglais, tous sous-officiers et soldats, furent grièvement blessés[1],[3].»
«L'alarme donnée hier à Avranches, citoyens, était d'autant plus outrée que notre colonne, composée de huit cents hommes et attaquée par un nombre plus que quadruple d'ennemis a soutenu un combat de plus de deux heures et ne s'est retirée qu'après avoir tué plus de deux cents hommes à l'ennemi, tandis que nous n'avons pas plus de trois quarts moins de républicains à regretter, sans la bouillante ardeur de l'avant-garde, les brigands n'en seraient pas quittes à si bon marché. Salut et fraternité. PS: Deux charretiers, dont un conseil militaire fera justice, ont apporté un grand obstacle à la réussite totale de cette affaire[1],[4],[2].»
«Une colonne de 800 volontaires, que le général avait envoyé porter des munitions au cantonnement de Saint-Georges, fut attaquée, en revenant, le 9, (30 décembre 1795) aux environs du Bois-Roulland, à trois quarts de lieue de Saint-James, par une horde de chouans. Malgré la supériorité de ceux-ci, que le général dit être quadruple de celui des troupes républicaines, elles montrérent tant de bravoure et d'intrépidité qu'elles firent un grand carnage de ces scėlėrats, dont il dit qu'il resta 200 sur place. Mais ceux-ci reprirent leur revanche aux environs du bourg de la Croix, où ils s'embusquèrent. Le combat recommença avec acharnement; il dura plus de deux heures, et nous avons à regretter beaucoup de braves militaires, parmi lesquels se trouvent plusieurs officiers qui ont péri dans cette affaire. Le général ne nous en détermine point le nombre. Il dit seulement qu'il monte à trois quarts moins que celui des chouans[4].»
«Une colonne de 800 républicains, partie d'ici le 8 du courant (29 décembre 1795), pour escorter des munitions qu'on envoyait à Saint-Georges, qui était bloqué par ces scélérats, fut attaquée par eux en revenant; ils furent d'abord repoussés et perdirent beaucoup de monde à une demie-lieue de Saint-James; mais ils se rallièrent et reçurent du renfort, et attaquèrent de nouveau au bourg de la Croix, et, malgré la bravoure et l'intrépidité de cette colonne, elle fut obligée de se replier sur Pontorson, après avoir perdu une cinquantaine de braves républicains, qui perdirent la vie dans cette journée[4].»
—Lettre d'une députation de la Manche, le 5 janvier 1796.
«Les villages de Touchegate en Saint-Benoit, et de la Croisette, furent, au fort de la Révolution, le théâtre d'un combat acharné entre 1 500 Chouans, commandés par Boisguy, Breton, et 800 républicains [...]; les pertes furent considérables de part et d'autre. Le champ de bataille resta aux Chouans[2],[10].»
«Le 10 nivose (31 décembre 1795), Etienne Cornil, tisserand et laboureur au village du Bissonnet, vint déclarer à la mairie de la CroixAvranchin que son proche voisin «avait été tué d'un coup de fusil, dans une pièce de terre toute proche le lieu de son domicile, à l'âge de quarante-huit ans, par la troupe républicaine qui y passait.» Le même jour, Etienne Gautier, laboureur et tailleur de pierres, vint aussi déclarer «que Etienne Gautier, son père, avait été tué dans le chemin qui conduit du village du Bois aux Halgrinières, par la troupe, sur les dix heures du matin, à l'âge de soixante-sept ans[4].»
Christian Le Bouteiller, La Révolution dans le Pays de Fougères, Société archéologique et historique de l'arrondissement de Fougères, , 839p..
Théodore Lemas, Le district de Fougères pendant les Guerres de l'Ouest et de la Chouannerie 1793-1800, Rue des Scribes Éditions, (réimpr.1994), 371p. (ISBN978-2-906064-28-7, lire en ligne).
Victor Ménard, «Histoire de la ville de Saint-James-de-Beuvron», dans Mémoires de la Société académique du Cotentin (archéologie, belles-lettres, sciences et beaux-arts), t.X, Avranches, Imprimerie Alfred Perrin, , 180p. (lire en ligne).
Victor Ménard, «Histoire de la ville de Saint-James-de-Beuvron (suite)», dans Mémoires de la Société académique du Cotentin (archéologie, belles-lettres, sciences et beaux-arts), t.XI, Avranches, Imprimerie Alfred Perrin, , 180p. (lire en ligne).
Paul-Marie du Breil de Pontbriand, Un chouan, le général du Boisguy: Fougères-Vitré, Basse-Normandie et frontière du Maine, 1793-1800, Paris, Honoré Champion éditeur, (réimpr.La Découvrance, 1994), 509p. (lire en ligne).