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Les Nazôréens ou Nazaréens (en grec: Ναζωραῖος (Nazôraios), en hébreu: Notzrim) sont un groupe religieux juif-messianiste mal connu, attesté de manière directe à partir de la seconde moitié du Ier siècle. Hippolyte de Rome (fin du IIe siècle) puis Tertullien[1] (début du IIIe siècle), indiquent que nazaréen était la plus ancienne dénomination des disciples de Jésus[2]. La plupart des auteurs les reconnaissent aussi dans des textes des pères de l'Eglise, où leur nom n'est pas mentionné explicitement, en commençant par le « Dialogue avec Tryphon[3] » d'Ignace d'Antioche (début du IIe siècle), puis chez Origène[4] et Eusèbe de Césarée[5],[6]. Toutefois certains auteurs estiment que ces passages désignent un autre groupe appelé Ébionite, issu de celui des Nazôréens.
Ceux qui y reconnaissent les nazôréens pensent que l'appellation Ébionites (les pauvres) est simplement un autre de leur nom[3],[4],[7],[6].
Enfin, pour certains auteurs, Nazôréens n'est qu'une simple appellation pour désigner les chrétiens partageant les points de vue orthodoxes ; c'est-à-dire ceux de l'Église de Rome. Les Nazôréens du Ier siècle étant un groupe différent de ceux dont les hérésiologues chrétiens parlent ultérieurement et notamment lorsque le nom de nazôréens réapparaît chez les auteurs chrétiens aux IVe et Ve siècle. Cette présentation recoupe la position traditionnelle des autorités ecclésiastiques.
Un groupe appelé Nazôréens est en effet, à nouveau attesté explicitement de manière indirecte aux IVe et Ve siècle[8] et même au IXe siècle[9]. La littérature rabbinique témoigne également de l'existence de Nazoréens (ah-Notzrim), considérés comme une « aberration hérétique » au sein du judaïsme pharisien[10].
Le groupe désigné sous le terme de Nazôréens au Ier siècle constitue probablement la première communauté connue de disciples de « Jésus de Nazareth » (appelé dans les évangiles « Jésus le Nazôréen » ou parfois « Jésus le Nazarénien »), celle de Jérusalem dont ils sont les représentants les plus importants, au moins jusqu'à la destruction du Temple en 70[11]. Leurs dirigeants les plus notables sont très célèbres puisqu'ils appartiennent au « groupe des douze », que l'Église de Rome appellera par la suite : les douze apôtres. Au milieu du Ier siècle, les trois « colonnes » qui dirigent le mouvement sont Jacques le Juste, « le frère du Seigneur », Simon Kephas (ou Simon bariona) plus connu sous le nom de saint Pierre (ou Simon - Pierre) et l'apôtre Jean.
Les disciples de Jésus et les Nazôréens continuent d'observer la Torah et notamment la circoncision, les interdits alimentaires et le sabbat[11]. Ils proclament que Jésus est le « Serviteur de Dieu » - le Messie[11].
Le terme nazôréens est le terme couramment utilisé dans les écrits juifs antiques en hébreu (notzrim), en araméen (nasara) ou judéo-chrétiens grec (nazôraios) — comme par exemple dans les évangiles — pour désigner tous les chrétiens ou tous les groupes chrétiens. Il en est de même dans la littérature arabe et musulmane ancienne[N 1], dans le Coran et même dans des textes arméniens[12].
Le mouvement Nazôréen est souvent appelé « Judéo-christianisme » ou « Judéo-christianisme ancien », mais les spécialistes comme François Blanchetière ou Simon Claude Mimouni, récusent cette appellation tout en constatant que c'est « l'appellation reçue ».
Pour désigner leur mouvement, les disciples de Jésus semblent d'abord avoir parlé de la « Voie du Seigneur », puis se sont appelés Notsrim: Nazaréens. Alors que les langues occidentales ne connaissent que des traductions du grec christianos, en milieu araméophone comme c'était le cas en Palestine au Ier siècle, les plus anciennes dénominations de Jésus furent « Galiléen », le très complexe déterminatif min et surtout notsri (Nazaréen)[13].
« Galiléen », min et christianos (chrétien) sont des appellations qui viennent de l'extérieur et qui ont un fort contenu péjoratif. En dernière analyse, il semble en être de même pour l'appellation « notzri », concrétisant au départ, le regard de l'Autre[14] », cette appellation pourrait ensuite avoir « été revendiquée comme dénomination propre et titre d'honneur[14]. »
L'étymologie du terme est discutée : selon certains chercheurs, il dériverait du mot hébreu nazir, signifiant « ascète », selon d'autres d'une racine hébraïque signifiant « observant scrupuleux ». Le terme a peut-être été lié à Nazareth afin de rappeler le lieu-dit d'origine de Jésus. Le terme a été réinterprété symboliquement au sein du premier groupe de disciples pour insister et justifier la messianité de Jésus, en s'appuyant sur le verset d'Isaïe[15] qui évoque un « surgeon » - « netzer » en hébreu - qui doit surgir « de la souche de Jessé », le père de David[16]. Les premiers disciples étaient ainsi probablement des Juifs de stricte observance attendant le retour de Jésus en tant que messie[17].
Voir aussi le chapitre : Histoire et analyse d'une dénomination
Les Nazôréens se réclament de Jésus de Nazareth (ou le Nazôréen) et, tout comme lui et ses disciples, continuent d'observer la Torah et notamment la circoncision, les interdits alimentaires et le sabbat[11]. Ils reconnaissent en Jésus - qu'ils proclament « Serviteur de Dieu » - le Messie[11]. Epiphane avance qu'il ne sait pas si les nazôréens pensent que Jésus est simplement un être humain ou s'« il est né de Marie par l'opération de l'Esprit saint »[18]. Tout comme les autres chrétiens et les Juifs rabbanites, les Nazôréens croient en la résurrection des morts[11].
Les informations rapportées par Épiphane notamment dans la notice 29 de son Panarion sont essentielles pour définir ce qui différencie les Nazôréens des autres mouvances chrétiennes[19].
De tout ce qu'Epiphane rapporte sur les nazôréens, François Blanchetière retient « les éléments « permanents » suivants:
Selon Simon Claude Mimouni, Épiphane précise que la seule différence des nazôréens avec les juifs est « qu'ils ne s'accordent pas avec les juifs à cause de leur foi dans le Christ[26] » et la seule différence avec les chrétiens est « qu'ils ne partagent pas l'avis des chrétiens par le fait qu'ils sont encore entravés par la Loi (la Torah), la circoncision, le sabbat et le reste[26] »[19].
« Pour les chrétiens dont Epiphane se fait l'écho, il est évident que Jésus a dispensé l'ensemble de ses fidèles de l'observation des commandements[27] (les Mitzvah) — ce qui est inexact au regard des textes anciens du Ier siècle[28]. », comme par exemple les Évangiles, les épîtres de Paul ou les Actes des Apôtres, même si Jacques le Juste avait assoupli ces règles, sans les abolir, à l'égard des seuls chrétiens d'origine « païenne » (c'est-à-dire Polythéiste[N 3]).
(Voir à ce sujet: Le conflit d'Antioche et la réunion de Jérusalem)
Concernant la notice d'Irénée de Lyon sur les ébionites, Blanchetière rappelle que c'est la première mention de ce nom (fin du IIe siècle) et « retient que selon Irénée ils:
D'après Épiphane, les croyances des nazôréens, sont en tout semblables à celles des juifs, si ce n'est qu'ils croient au Christ, proclamant que Jésus Christ est le serviteur de Dieu. Par ailleurs, Epiphane avance qu'il ne sait pas si les nazôréens pensent que Jésus est simplement un être humain ou s'« il est né de Marie par l'opération de l'Esprit saint »[18].
Pour François Blanchetière, les nazôréens continuent de partager, avec tous les fils d'Abraham, un ensemble de convictions que synthétise le Shema'[31]. Au nombre de ces confessions, celle de l'unité divine, et celle de l'élection d'Israël par l'Alliance[32]. Ils ont aussi la certitude de la délivrance/geoulia venant de Celui qui est omnipotent et miséricordieux[32]. Ils sont persuadés que l'observance rigoureuse et méticuleuse des mitzvot de la Torah, sanctifie « le Nom » (de Dieu). Toutefois cette observance est interprétée en fonction de la halakha du Rabbi Jésus[32].
Ils « croient par ailleurs en la résurrection des morts, se conformant en cela aussi à la croyance générale des chrétiens comme des juifs pharisiens au Ier siècle ou les juifs rabbaniques aux siècles suivants[33]. »
Pour François Blanchetière, les disciples du Nazôréen se singularisent toutefois par un ensemble d'idées propres[32]. Chez les nazôréens les grandes thématiques que l'on retrouvera dans le christianisme sont déjà en place :
le tout justifié par une élaboration qui ne relève ni du judaïsme pré-rabbinique des Sages antérieur à 70, ni des « mystères païens[N 3] »[34].
Simon Claude Mimouni estime pour sa part, que les nazôréens croient en la divinité de Jésus. C'est pour lui ce qui en fait un groupe distinct des ébionites[33]. (voir ci-dessous)
La présentation de ce qu'étaient les Nazôréens, un groupe déjà mal connu, est compliquée par le fait qu'il n'y a pas de consensus pour savoir s'ils forment un seul groupe avec les ébionites. De plus certains chercheurs estiment, dans le sillage des autorités ecclésiastiques que les Nazaréens dont il est question dans les évangiles et les Actes des Apôtres aux Ier – IIe siècle ne sont pas le même groupe que ceux dont parlent Epiphane de Salamine et saint Jérôme à la fin du IVe et au début Ve siècle.
Pour J. M. Magnin, il n'y a pas lieu de distinguer entre nazaréen et ébionites - ces deux désignations étant à l'origine des termes synonymes. « Les membres de la première communauté hiérosolymitaine que leurs compatriotes juifs appelaient nazaréens, avaient très bien pu se donner à eux-même le nom d'ébionites » — c'est-à-dire « les pauvres »[35]. La thèse remonte à A. Gelin, qui le premier « a proposé de voir dans « les pauvres » mentionnés dans l'Épître aux Galates de Paul de Tarse (saint-Paul)[36] une désignation de l'Église de Jérusalem, à savoir l'« Église des pauvres »[37],[35]. » Une autre phrase de Paul de Tarse qui dit que Jésus « s'est fait pauvre, de riche qu'il était »[38], semble indiquer que les premières communautés auraient pu pratiquer une mise en commun des biens de leurs membres. C'est un fonctionnement de ce type qui semble être décrit au début des Actes des Apôtres.
Pour Simon Claude Mimouni, qui estime que les nazôréens et les ébionites appartenaient à deux groupes différents, les nazôréens sont considérés comme « orthodoxes » par les hérésiologues chrétiens anciens, alors que les ébionites sont considérés, comme des hétérodoxes, essentiellement parce que pour ces derniers, Jésus est bien le messie, mais qu'ils refusent de reconnaître la divinité du Christ[39].
Toutefois, ceux qui affirment que « nazôréens » ou « ébionites » sont deux appellations du même groupe, comme par exemple J.M. Magnin[40], font remarquer qu'Épiphane avance qu'il ne sait pas si les nazôréens pensent que Jésus est simplement un être humain ou s'« il est né de Marie par l'opération de l'Esprit saint »[18]. De plus, l'alternative posée par Epiphane semble biaisée, car il est tout à fait possible de professer une naissance miraculeuse de Jésus et de ne pas reconnaître pour autant son caractère divin, les musulmans en sont l'exemple encore vivant aujourd'hui.
Simon Claude Mimouni ne comprend pas comment toute la communauté de Jérusalem aurait pu « adopter les positions doctrinales attribuées aux ébionites », « d'autant que ces positions semblent antérieures à celles considérant le Messie comme un être à la fois humain et divin[35] ». Toutefois, l'idée de la divinité de Jésus n'apparaît clairement qu'à la fin du Ier ou au début du IIe siècle, dans les écrits dits johanniques comme l'évangile selon Jean, il n'est pas du tout évident que cette idée est affirmée dans les autres évangiles et les autres textes judéo-chrétiens ou dans les sept lettres de Paul considérées comme authentiques.
Simon Claude Mimouni estime aussi « qu'il est à peu près certain que si les nazôréens avaient pensé Jésus en d'autres termes que les chrétiens dits « orthodoxes », Épiphane l'aurait sans nul doute appris et se serait fait fort de le rapporter[18]. » D'après Mimouni toujours, « l'hérésiologue veut laisser planer un doute sur ce point afin d'éveiller le soupçon à l'égard des nazôréens. D'ailleurs, toujours en fonction de cette perspective, Épiphane parle des Cérinthiens et des mérinthiens qui pensent que le Christ est simplement un homme — ce qui lui permet de laisser sous-entendre qu'il pourrait en être de même des nazôréens[18]. » Les auteurs qui ont le point de vue opposé estime que cette notice d'Épiphane, indique bien que les nazôréens ne croient pas à la divinité de Jésus et le fait que l'hérésiologue n'en parle que mélangé aux cérinthiens et mérinthiens, ne refléte que son embarras. Ainsi, le doute que veut laisser planer Épiphane, l'usage de l'appellation ébionites et la disparition de l'appellation nazaréen à partir de la fin du IIe siècle, peuvent s'expliquer tout autrement que ne le fait Mimouni. En effet, il était probablement extrêmement génant d'attirer l'attention sur le fait que ce groupe, avec ses pratiques différentes puisque ses adeptes respectaient les prescriptions de la Torah, dont l'ancienneté ne pouvait pas être contesté, portait le même nom que celui donné à Jésus dans les évangiles.
J. Munck définit les nazôréens des IVe – Ve siècle comme des hérétiques aux tendances judaïsantes n'entretenant aucune filiation avec ceux du Ier siècle[41],[42]. Pour lui, comme pour R. A. Pritz les témoignages d'Epiphane et de Jérôme permettent de conclure que « l'orthodoxie » (c'est-à-dire les points de vue de l'Église de Rome) « caractèrise déjà la communauté chrétienne de Jérusalem au Ier siècle qui à l'origine aurait été pure de toute « hérésie » - époque où, bien évidemment, les problèmes ne se posent nullement en ces termes[43]. »
Pour les tenants de cette position, il faut distinguer les écrits du Ier - IIe siècle (Évangiles, Actes des Apôtres), où Nazôréen ne serait qu'un titre ou une appellation désignant les chrétiens, des nazôréens dont parlent les hérésiologue chrétiens ultérieurement. Ils remarquent que ce titre est d'abord appliqué aux chrétiens par l'orateur juif Tertulle (Actes 24:5), mais que Hérode Agrippa II (Actes 26:28) utilise le terme " Chrétiens" qui selon les Actes des Apôtres avait d'abord été utilisé à Antioche (Actes 11:2). Le nom utilisé par Tertulle survit dans la dénomination rabbinique et dans l'hébreu moderne comme notzrim (נוצרים) un terme standard hébreu pour «chrétien», et aussi dans le Coran et l'arabe moderne que Nasara (pluriel de Nasrani "chrétiens"). Le mot arabe Nasara (نصارى) vient de la racine arabe "NSR" (ن ص ر).
Pour les tenants de cette position, «chrétien» serait le seul nom que les chrétiens auraient eux-mêmes accepté, le terme «Nazaréen» utilisé par Tertulle leur semble n'avoir jamais été adopté par les chrétiens. Toutefois, cette position est difficilement conciliable avec le fait, que ce sont les évangélistes eux-mêmes qui antérieurement à l'écriture des Actes des Apôtres, appellent Jésus soit « le Nazôréen », soit « le Nazarénien » et jamais Jésus de Nazareth.
Selon Simon Claude Mimouni, J. Munck est à peu près le seul à nier toute espèce de continuité entre le judéo-christianisme du Ier siècle et celui des siècles postérieurs[N 5]. M. C. de Boer estime que la continuité entre les nazôréens d'Epiphane et de Jérôme et ceux des Actes des Apôtres est indéniablement établie, notamment à cause de leur mention dans une des versions de la Birkat ha-minim.
De plus, pour soutenir sa position, J. Munck affirme que les apôtres n'étaient pas juifs. Ce qui est difficilement soutenable à la lecture des textes chrétiens eux-mêmes[N 6]. Il pense le prouver avec le prosélitisme du mouvement de Jésus à ses débuts, alors que selon lui le judaïsme n'est pas prosélite[1]. Pour la quasi totalité des autres spécialistes l'appartenance des nazôréens au judaïsme et leur respect des prescriptions de la Torah ne fait aucun doute.
(À ce sujet voir : Un mouvement juif et prosélite ?)
Le mouvement de Jésus naît dans la mouvance de Jean le Baptiste dans les années 30 dans la région Palestine. Le nazoréisme puise sa source en Judée dans deux groupes de disciples de Jésus le Nazôréen existant à Jérusalem avant la destruction du Temple en 70, d'une part les jacobiens communauté liée à la figure de Jacques le Juste et, d'autre part les pétriniens qui se réfèrent à la figure de Pierre. Les Nazoréens seraient ainsi le premier groupe à avoir envisagé la messianité de Jésus de Nazareth[11]. La genèse du mouvement se confond avec la communauté chrétienne de Jérusalem[45].
Selon Simon Claude Mimouni, cette perspective a quelque peu été faussée par Epiphane de Salamine qui, le premier, les a considéré comme hérétiques, en les insérant dans sa liste hérésiologique[45]. Un point de vue contesté par J. Munck et R. A. Pritz (voir Les Nazaréens du Ier siècle n'ont rien à voir avec ceux du IVe siècle)
Paradoxalement, les détails du début du mouvement (années 40 - 60) sont mieux connus que ce que devient le mouvement après la Grande révolte et même après 60. Ceux-ci ont en effet été conservés dans des textes faisant partie du Nouveau Testament chrétien. Il s'agit des Actes des Apôtres et des lettres de Paul de Tarse connu sous le nom de saint Paul.
Avant le déclenchement de la Grande révolte (66-70), trois événements ont marqué non seulement la qehila (communauté) de Jérusalem, mais de fait l'ensemble du mouvement chrétien :
Mis à part le déplacement d'une partie de la communauté de Jérusalem à Pella vers 68, les textes chrétiens sont muets sur l'attitude des nazôréens et de leurs dirigeants pendant la Grande révolte, mais aussi dès la fin des années 50. Ainsi, on ne sait rien non plus, de leur positionnement par rapport aux événements qui ont conduit à cette révolte durant les années 60.
« Le conflit d'Antioche et la réunion de Jérusalem, que l'on date des années 48 - 50, peuvent être considérés comme les deux premiers épisodes connus de la longue saga de l'opposition, qui s'est développée à l'intérieur même du mouvement des disciples de Jésus, entre deux tendances : l'une maximalisant la portée de l'observance de la Torah, avec Jacques et Pierre comme figures principales, et l'autre la valeur de la croyance au Messie, avec Paul essentiellment — les autres péripéties ont été conservées dans les lettres de Paul en Ph 3 et en 2 Co 10-13[47]. »
Paul rapporte de façon assez détaillée, mais naturellement de son point de vue, ce conflit et la réunion de Jérusalem dans une lettre écrite aux communautés de Galatie, probablement la communauté d'Éphèse, dans les années 54-55[46] », alors que le « document paulinien » qui a servi à rédiger cette partie là des Actes des Apôtres date d'une trentaine d'années après les faits.
Le conflit d'Antioche, ne vient pas à proprement parler de divergences avec ce que l'on peut appeler la théologie de Paul de tarse (saint Paul), qui semble se développer ultérieurement, mais d'un phénomème nouveau, qui est l'apparition d'adeptes du mouvement de Jésus, venant directement du paganisme et donc appelés « païens » dans les lettres de Paul et les Actes des Apôtres. Il est facile de comprendre que l'observance de la Torah par ces chrétiens d'origine païenne et notamment la question de la circoncision, déjà problématique médicalement pour un adulte à l'époque, mais en plus interdite pour un non-juif dans la société romaine puisque considérée comme une mutilation, soit devenue une question épineuse.
Lors de la réunion de Jérusalem, l'observance de la Torah par les chrétiens d'origine païenne est examinée[46]. Selon Simon Claude Mimouni, « la question de la circoncision, notamment est posée par des pharisiens devenus chrétiens. Elle est examinée par les apôtres et les anciens (Presbytres) en présence de la communauté. Elle est résolue par Pierre qui adopte le principe suivant : Dieu ayant purifié le cœur des païens par la croyance en la messianité de Jésus, il ne faut plus leur imposer le « joug » de la Torah. Jacques accepte la proposition de Pierre[48]. »
Toutefois, Jacques le Juste est inquiété par des problèmes pratiques, qui naîtront dans les communautés[48] comportant à la fois des « adeptes de la Voie » (juifs) et ce que l'on pourrait appeler des « adeptes de Chrestos » (Païens), souvent appellées « communautés mixtes » par les spécialistes.
Pour respecter l'obligatoire « pûreté » exigée par l'orthopraxie juive, « il ne faut pas que les chrétiens d'origine juive aient à craindre de souillure légale lorsqu'ils fréquentent les chrétiens d'origine païenne. Il propose par conséquent sa décision à l'assemblée de la communauté et enjoint de la notifier aux chrétiens d'origine païenne par lettre : il faut que ces derniers observent un minimum de préceptes en s'abstenant des souillures de l'idolatrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang[48]. »
Dans les Actes des Apôtres[49], à la suite de cette réunion, une lettre écrite par « les colonnes » et les anciens et de la communauté de Jérusalem est envoyée aux communautés d'Antioche, de Syrie et de Cilicie et probablement portée par ceux qu'une lettre de Paul appelle les « envoyés (Apostolos) de Jacques »[50]. Il y est demandé aux destinataires d'observer le compromis défini par Jacques. Cette lettre contient probablement les quatre clauses que la tradition chrétienne appelle le Décret apostolique[51] et dont voici l'une des versions:
« L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d'autres charges que celles-ci, qui sont indispensables : vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes. Vous ferez bien de vous en garder. Adieu.[52] »
Selon Simon Claude Mimouni, ce décret « pose de nombreux problèmes d'ordre littéraire et historique[51] ». Il semble, au vu de la narration de l'incident d'Antioche contenue dans une lettre de Paul[50], que « l'observance de ces quatre clauses a pour objectif de résoudre la question de la communauté de table entre les chrétiens d'origine juive et les chrétiens d'origine païenne[51] », même s'il n'en est fait aucune mention dans le décret que nous connaissons[N 7]. ».
Les envoyés (apôtres) de Jacques, sont Silas et Juda Barsabbas, un important personnage puisqu'il est probablement le frère de Joseph Barsabbas un personnage du même rang que ceux du « groupe des douze ». Le tirage au sort, lui a simplement préféré Matthias, lorsqu'il a fallu remplacer un Juda. La tradition chrétienne a retenu son surnon Barnabbé, formé à partir d'un jeu de mot sur son nom: Barsabbas donnant Barnabbas (Barnabbé), qui veut dire « fils d'encouragement ».
La venue de ces « envoyés de Jacques », à Antioche, avec probablement des directives orales, provoque un bouleversement dans les habitudes des communaués chrétiennes de la ville. En effet, les judéo-chrétiens et les pagano-chrétiens avaient pris l'habitude de prendre les repas symbolisant l'Eucharistie en commun. Ce à quoi met fin, la venue de Barnabbé et Silas, munis des directives de Jacques. Cela ne se passe pas sans émoi, Paul de Tarse prend même violemment à partie l'apôtre Simon-Pierre et en vient à le traiter d'hypocrite.
Nous vous avons donc envoyé Juda Barsabbas et Silas, qui vous transmettront de vive voix le même message.
« Les événements d'Antioche et de Jérusalem représentent les premières traces connues d'un débat sur l'interprétation de la Torah) en fonction de la reconnaissance du Messie — débat qui ne va cesser de se déveloper, de manière parfois très vive, durant plus d'une decennie entre Paul et ses opposants[51]. »
Le conflit d'Antioche et la réunion de Jérusalem ont eu une incidence considérable sur les rapports entre les deux tendances principales — les jacobiens/pétriniens d'une part et les pauliniens d'autre-part —, qui donneront par la suite naissance au judéo-christianisme et au pagano-christianisme[53].
Par ailleurs, l'attitude tranchante et véhémente de Paul dans certaines de ses lettres à la suite de ces divers événements et de bien d'autres qui se sont produits en Asie et en Grèce a peut-être fourni, à ceux qui sont demeurés insatisfait de l'accord de 48-49 ou de 49-50, une raison de le considérer comme rompu par lui, le précipitant, lors de sa visite à Jérusalem en 58, dans les turpitudes des prisons et des procès qui vont le conduire de Jérusalem à Rome (aux dires en tout cas de Ac 21, 27-28, 31)[54].
Dans les Actes des Apôtres[55], il est rapporté que lors de son dernier séjour à Jérusalem, Paul a été accueilli très froidement par Jacques le Juste, le chef de la communauté, et les anciens. Ceux-ci lui font savoir que, selon des rumeurs, il a enseigné aux juifs de la diaspora l'« apostasie » vis-à-vis de « Moïse », c'est à dire le refus de la circoncision de leurs enfants et l'abandon des règles alimentaires juives. Jacques et les anciens suggèrent à Paul un expédient qui doit montrer aux fidèles son attachement à la Loi, puis lui cite les clauses du « décret apostolique » émis pour les chrétiens d'origine païene, que Paul n'a pas remplies[54]. » Une « rumeur » confirmé par le contenu de ses épîtres, telles qu'elles figurent dans le Nouveau testament.
Un mouvement de contestation houleux, soulevé par des juifs d'Asie entraîne l'arrestation de Paul alors qu'il se trouve dans le Temple[56],[57]. « Apparemment, Jacques et les anciens ne font rien pour lui venir en aide, ni pour lui éviter son transfert à Césarée puis à Rome[57]. »
« Cet incident montre un certain durcissement du groupe de Jacques le Juste en matière d'observance, et qui aboutira quelques années plus tard, en 66, à une révolte armée des juifs contre les armées romaines[57]. »
« Jacques a été exécuté par lapidation en 62 sur ordre du grand prêtre Ananius pendant la période d'anarchie qui a régné à Jérusalem après la mort du procurateur romain Festus (60 – 62) et avant l'arrivée de son successeur Albinus (62 – 64)[57]. »
S. C. Mimouni fait observer que ce n'est pas le premier chrétien d'origine juive à être exécuté à Jérusalem, les Actes des Apôtres parlent en effet de la mort d'Étienne, mais qui ressemble plus à un lynchage auxquels des grand-prêtres se prêtent. Le même livre mentione aussi « le meurtre de Jacques, frère de Jean, par l'épée » sur l'ordre d'Hérode, probablement Hérode Agrippa Ier.
L'exécution de « Jacques, frère de Jésus, appelé Christ » est mentionnée « par Flavius Josèphe[58], mais aussi par de nombreuses sources chrétiennes transmises par Eusèbe de Césarée[59] ou indépendantes de lui, notamment les Ascensions de Jacques — texte de provenance ébionite transmis dans les Reconnaissances[60] — , où Paul, désigné par l'expression « homme ennemi », joue un rôle important dans la mort de Jacques[57]. »
« Ananius, qui appartient au courant Sadducéen, a sans doute pensé rendre service à Rome en supprimant Jacques, car il a dû estimer qu'il est alors sous influence des Zélotes — son initiative a été mal appréciée, et lui a valu d'être destitué de sa charge de grand prêtre[61] » à la demande du nouveau procurateur romain sitôt entré en fonction[61]. Pierre-Antoine Bernheim se pose la question: « Qui était donc Jacques », dans la société de Jérusalem ? En effet, pour que cette exécution provoque le renvoi du Grand-Prêtre qui venait à peine d'être nommé, il faut que Jacques ait été un personnage considérable[62].
« L'exécution de Jacques montre l'influence du mouvement nazôréen à cette époque, et sa perception comme un danger par les autorités du Temple de Jérusalem qui sont saducéennes[61]. »
« La figure de Jacques a été diversement exploitée, aussi bien par les chrétiens d'origine juive que d'origine païenne. On la retrouve dans des écrits nazôréens et ébionites, mais aussi dans des écrits gnostiques de Nag Hammadi — ce qui montre son emploi polysémique[61]. »
« Selon une tradition consignée principalement par Eusèbe de Césarée et en des termes assez analogues, par Épiphane de Salamine, la communauté chrétienne de Jérusalem semble avoir quitté la Ville sainte, à la suite d'un avertissement céleste, au moment de l'insurrection juive de 66, pour s'installer à Pella — ville de la Décapole relevant à l'époque du roi Hérode Agrippa II, un arrière petit-fils d'Hérode Ier le Grand, qui règne seulement sur la partie nord du royaume de son aïeul[63]. »
« La valeur historique de l'événement n'est cependant pas reconnue par tous les historiens. Pour certains critiques, la migration à Pella serait une construction d'Eusèbe : ils considèrent que son contexte est théologique et légendaire, d'autant que la conjoncture de la guerre en cours a empêché la communauté de se déplacer au-delà du Jourdain — la communauté de Jérusalem n'aurait pas survécu à la catastrophe de 70. Pour d'autres, en revanche, l'authenticité de l'événement est possible, même s'il est difficile de le situer dans le temps de manière précise[64]. »
« L'histoire des premiers développements du mouvement chrétien en Palestine se présente sous un jour sensiblement différent selon qu'on accepte ou non la réalité de cet événement[64]. »
« Observons que les deux auteurs anciens qui font mention de l'épisode divergent sensiblement sur ses causes : Eusèbe semble mettre en rapport la fuite avec les persécutions subies par la communauté chrétienne de la part des autorités juives, qui ont conduit aux exécutions d'Etienne et de Jacques, frère de Jésus ; Épiphane pour sa part, la met en rapport avec le siège de la ville par Titus en 70[64]. »
« Par ailleurs, après la fin des hostilités, il est vraisemblable qu'une partie de la communauté est revenue à Jérusalem tandis que l'autre est restée à Pella — cette dernière pouvant être alors à l'origine du mouvement ébionite[65]. »
Jusqu'au début du XXe siècle, il était admis que les nazôréens avaient disparu peu après la défaite juive dans la grande révolte et la destruction du Temple de Jérusalem en 70. Les connaissances actuelles permettent de dire qu'il n'en est rien.
Le démenti provient des écrivains chrétiens eux mêmes : Hégésippe qui raconte qu'après la destruction du Temple, « ceux des apôtres et des disciples du Seigneur qui étaient encore en ce monde vinrent de partout et se réunirent en un même lieu avec les parents du Sauveur selon la chair (dont la plupart existaient encore à cette époque)[66] » auraient choisi « Siméon, fils de ce Clopas dont parle l'Évangile[67] » (Siméon de Clopas) pour diriger la communauté de Jérusalem. Il explique que le choix s'est porté sur lui « parce qu'il était un parent du Seigneur » et que « tous le préférèrent parce qu'il était cousin de Jésus[68] », « Hégésippe raconte en effet que Clopas était le frère de Joseph[69] ».
A noter qu'après Jésus, cousin de Jean le Baptiste, Jacques le Juste, frère de Jésus, la nommination de Siméon de Clopas, parce qu'il était parent du Seigneur, semble montrer que le fonctionnement de la Qehila nazôréenne fonctionnait comme ce que certains ont appelé un Califat.
Un texte attribué à Hippolyte de Rome (Hyppolite sur les douze apôtres) dit que ce Siméon était lui aussi un Zélote et que le prénom de son père était Jude (Clopas), sa mère étant Marie de Cléopas :
« Simon le Zélote, le fils de Clopas, qu'on appelle aussi Jude, devint évêque de Jérusalem après Jacques le Juste et il s'endormit dans la mort et fut enterré là à l'âge de 120 ans. »
HE 3, 32
« Après Néron et Domitien, sous le prince dont nous examinons actuellement l'époque, on raconte que, partiellement et dans certaines villes, le soulèvement des populations excita contre nous une persécution. C'est alors que Siméon, fils de Clopas, dont nous avons dit qu'il était le second évêque de Jérusalem, couronna sa vie par le martyre, comme nous l'avons appris. Ce fait nous est garanti par le témoignage d'Hégésippe, auquel nous avons déjà emprunté maintes citations. Parlant de divers hérétiques, il ajoute qu'à cette époque Siméon eut alors à subir une accusation venant d'eux ; on le tourmenta pendant plusieurs jours parce qu'il était chrétien ; il étonna absolument le juge et ceux qui l'entouraient; enfin, il souffrit le supplice qu'avait enduré le Sauveur. Mais rien ne vaut comme d'entendre l'écrivain dans les termes dont il s'est servi et que voici : “C'est évidemment quelques-uns de ces hérétiques qui accusèrent Siméon, fils de Clopas d'être descendant de David et chrétien ; il subit ainsi le martyre à cent vingt ans sous le règne de Trajan et le consulaire Atticus.” Le même auteur dit encore qu'il arriva à ses accusateurs dans la recherche qu'on fit des rejetons de la race royale des Juifs, d'être mis à mort comme appartenant à cette tribu. Siméon, on peut l'inférer à bon droit, est lui aussi un des témoins qui ont vu et entendu le Seigneur ; on en a la preuve dans sa longévité et dans le souvenir que l'Évangile consacre à Marie, femme de Clopas, qui fut sa mère comme nous l'avons dit plus haut. Le même auteur nous apprend encore que d'autres descendants de Jude, l'un de ceux qu'on disait frères du Seigneur, vécurent jusqu'au temps du même règne de Trajan, après avoir, sous Domitien, rendu témoignage à la foi chrétienne ainsi que nous l'avons déjà noté. Voici ce que nous raconte cet écrivain : “Ils vont donc servant de guides à chaque église en qualité de martyrs et de parents du Seigneur. Grâce à la paix profonde dont l'église entière jouissait alors, ils vivent jusqu'à Trajan. Sous le règne de ce prince, Siméon, dont il a été question plus haut, fils de Clopas, l'oncle du Seigneur, dénoncé par des hérétiques, fut lui aussi jugé comme eux sous le consulaire Atticus, pour le même motif. Ses tortures durèrent de longs jours et il rendit témoignage de sa foi de façon à étonner tout le monde et le consulaire lui-même, qui était surpris de voir une telle patience à un vieillard de cent vingt ans. Il fut condamné à être crucifié[70].” »
Siméon de Clopas a été crucifié en 107/108 sous l'empereur Trajan.
Eusèbe de Césarée fournit aussi une liste de quinze « évêques » de Jérusalem « tous hébreux » et « tous de la circoncision » souligne-t-il.
« Observons tout d'abord qu'il convient de ne pas donner au mot « évêque » le sens qu'il prendra par la suite, à savoir dirigeant unique de la communauté — à l'époque considérée, en effet, les évêques sont des intendants de la communauté agissant seul ou en collège, se répartissant parfois les charges spirituelles comme matérielles (voit Tt 1, 7 ; Tm 3, 2)[71]. »
« La liste d'Eusèbe mentionne quinze évêques : Jacques mort en 62 et Siméon mort en 107/108, respectivement frère et oncle de Jésus, puis Juste, Zacchée, Tobie, Benjamin, Jean, Matthias, Philippe, Sénèque, Juste, Lévi, Éphrem, Joseph, Judas[71]. »
Ces évêques s'étant succédé à la tête de la communauté chrétienne de Jérusalem jusqu'en 135/136, cela fait treize évêques, Jacques et Simon mis à part, pour moins de trente ans, ce qui est évidemment beaucoup. Plusieurs hypothèses ont été envisagées par les chercheurs pour expliquer ce nombre élevé d'évêques en un temps aussi court : on a proposé soit une durée plus longue pour la liste, soit la présence simultanée de plusieurs évêques[71].
« En tout cas, cette liste prouve que la communuté chétienne d'origine juive, en partie tout au moins, a quitté Pella apès 70, avec à sa tête Siméon, pour revenir s'établir à Jérusalem[72]. »
Les Nazôréens sont peu à peu exclus du judaïsme au début du IIe siècle.
Épiphane[73] comme Jérôme[74], mais déjà justin de Naplouse[75], indiquent que les nazôréens sont l'objet d'imprécations par les autres juifs dans leurs synagogues — ces imprécations sont à n'en pas douter ce que la liturgie pharisienne/rabbanite désigne sous le nom de Birkat ha-minim. Il convient cependant de préciser que cette bénédiction ne concerne pas seulement et spécifiquement les nazôréens, mais tous les opposants aux idées pharisiennes et rabbanites à partir des années 70[76].
Contrairement à ce qui a souvent été affirmé, ils continuent d'exister après la répression des trois grandes révoltes juives (grande révolte (66-73), révolte des exilés (115–117), révolte de Bar Kokhba (132-135)) et notamment après la destruction de Jérusalem (135) et l'interdiction à tout juif d'y pénétrer.
« Selon Eusèbe de Césarée ce serait en 135, après l'échec de la seconde révolte contre Rome, que la hiérarchie épiscopale d'origine juive de la Ville Sainte a disparu[65]. »
Symmaque l'Ébionite est un traducteur de la Bible en grec, qui a vécu vers la fin du IIe siècle. Sa vie est peu connue. Il est généralement admis, du fait de la nature de ses livres et des notices d'Eusèbe et de Jérôme, qu'il était ébionite[77] ou nazôréen. Épiphane pensait cependant que Symmaque était un Samaritain converti au judaïsme après s'être querellé avec les siens[78]. Pour Abraham Geiger, il s'agit du Tannaïte (docteur de la Mishna) Symmachus ben Joseph[79], un élève de Rabbi Meïr[80].
Sa version grecque de l'Ancien Testament a été incluse par Origène dans ses Hexapla et Tetrapla, qui comparaient diverses versions de l'Ancien Testament à la Septante. C'est par les fragments préservés des Hexapla que l'œuvre de Symmaque est connue. L'élégance et la pureté de son langage étaient admirées par Jérôme, qui s'inspira de ses travaux pour composer la Vulgate.
Selon Bruce M. Metzger[81], la traduction grecque de la Bible hébraïque préparée par Symmaque suit une méthodologie opposée à celle d'Aquila de Sinope, Symmaque privilégiant à l'élégance du grec la préservation de la structure hébraïque des phrases. Il paraphrase donc plus qu'il ne traduit, substituant un participe grec au premier des deux verbes finis reliés par une copule, utilisant de nombreuses particules grecques pour exprimer de nombreuses subtilités de langage que l'hébreu ne peut adéquatement exprimer.
Par ailleurs, il tend à adoucir les expressions jugées trop rudes, évite les anthropomorphismes, et fait référence à la résurrection des morts et aux temps futurs[79].
Symmaque est également l'auteur des Hypomnemata, des commentaires, aujourd'hui disparus, visant à réfuter l'Évangile selon Matthieu[réf. nécessaire]. En effet, les ébionites, auxquels se rattache Symmaque, insistaient sur l'importance de continuer à appliquer la Loi selon les rites juifs, rejetant le christianisme paulinien et apostolique[77]. Il s'agit probablement du De distinctione præceptorum, mentionné par Ebed Jesu[82]. Origène dit les avoir obtenus, avec d'autres commentaires de Symmaque, d'une certaine Juliana, habitant la Cappadoce, qui les aurait hérités de Symmaque lui-même[83]
Symmaque semble avoir été fort influent au sein de sa secte, puisque l'Ambrosiaster, dans son Prologue à l'épître aux Galates, et Augustin d'Hippone utilisent le terme de « Symmaquiens » pour désigner les Nazaréens et les Ébionites.
Les Nazôréens sont peu à peu exclus du judaïsme au début du IIe siècle, mais contrairement à ce qui a souvent été affirmé, ils continuent d'exister après la répression des trois grandes révoltes juives (grande révolte (66-73), révolte des exilés (115–117), révolte de Bar Kokhba (132-135)) et notamment après la destruction de Jérusalem (135) et l'interdiction à tout juif d'y pénétrer.
Leur existence continue d'être attestée par les hérésiologues chrétiens qui considèrent leur christologie relativement « orthodoxe », pendant qu'ils maintiennent les observances de la Loi juive - que l'interprétation chrétienne considère plus ou moins abrogée - ce qui leur aliène une partie des chrétiens d'origine grecque. Le mouvement semble progressivement marginalisé au sein de la « Grande Église », à en devenir « hétérodoxe » vers la seconde moitié du IVe siècle[11].
Des dissidences apparaissent au sein du mouvement et s'en éloignent pour des raisons doctrinales sans qu'on puisse dater le phénomène[11]. Il en découles les mouvements des Elkasaïtes et des Ébionites[11] quoique pour certains chercheurs, ce dernier terme pourrait n'être simplement qu'un autre de leurs noms.
Le mouvement Nazôréen est souvent appelé « Judéo-christianisme » ou « Judéo-christianisme ancien », mais les spécialistes comme François Blanchetière ou Simon Claude Mimouni, récusent cette appellation tout en constatant que c'est « l'appellation reçue ».
Après que l'empereur Constantin Ier a favorisé le catholicisme (IVe siècle), les Nazorèens sont rejetés aux marges de l'empire romain, mais continuent d'exister comme l'atteste des restes archéologiques et des témoignages de pèlerins de l'époque. L'un de leurs groupes rejetés en Arabie est peut-être à l'origine de l'Islam, religion dans laquelle ils se seraient fondus après la conquête musulmane.
Jusqu'en 134, au début de la seconde révolte juive contre Rome, les chrétiens de Palestine (Israël), sont majoritairement juifs et représentent encore le pôle central de l'Église primitive. Leur qehila a une structure de type collégiale: la liste des 15 premiers évêques de Jérusalem donnée par Eusèbe de Césarée semble en effet se référer à des "épiscopes" ayant siégé en commun à Jérusalem[84]. L'échec de la révolte de bar Kezibha (dit aussi Bar Kochba, ou Bar-Kokhba) entraîne l'expulsion des juifs de Jérusalem par l'empereur Hadrien et la destruction presque complète de la ville sainte, où une population païenne, d'origine syrienne vraisemblablement, viendra s'installer dans une ville désormais reconstruite sous le nom d'Ælia Capitolina. Depuis lors les évêques sont d'origine non juive ("pagano-chrétienne" ou "ethnico-chrétienne")[N 8], ce qui n'empêche pas dans le pays la présence de communautés judéo-chrétiennes. Le Contra Haereses d'Épiphane de Salamine fait allusion à plusieurs de ces communautés, que l'on peut également voir à l'œuvre, en la personne de Jacques notamment, dans certaines couches anciennes des Écrits pseudo-clémentins[N 9]. Si elles sont qualifiées d' "hérétiques" à partir du IVe siècle, l'influence de certaines d'entre elles (du "nazoréisme" par exemple[N 10]) sur la formation du christianisme en Palestine (et par là dans le reste de l'empire) ne doit pas être sous-estimée. Les sources liturgiques en particulier permettent de retracer le rôle important qu'a joué le judéo-christianisme, au plan des formules comme des rites liturgiques, dans l'histoire du christianisme d'empire[85].
Leur existence continue d'être attestée par les hérésiologues chrétiens qui considèrent leur christologie relativement « orthodoxe », pendant qu'ils maintiennent les observances de la Loi juive - que l'interprétation chrétienne considère plus ou moins abrogée - ce qui leur aliène une partie des chrétiens d'origine grecque. Le mouvement semble progressivement marginalisé au sein de la « Grande Église », à en devenir « hétérodoxe » vers la seconde moitié du IVe siècle[11].
Des dissidences apparaissent au sein du mouvement et s'en éloignent pour des raisons doctrinales sans qu'on puisse dater le phénomène[11]. Il en découles les mouvements des Elkasaïtes et des Ébionites[11] quoique pour certains chercheurs, ce dernier terme pourrait n'être simplement qu'un autre de leurs noms.
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Il n'y a aucune raison de limiter les nazôréens à la seule communauté de Jérusalem, comme R. A. Pritz est enclin à le faire, et ce autant pour le Ier siècle que pour les siècles suivants[72]. Selon les écrivains chrétiens des premiers siècles, vers 68 en pleine révolte juive, la totalité ou seulement une partie de la Qehila de Jérusalem se serait réfugiée à Pella. Il est probable qu'après la défaite et la destruction du Temple de Jérusalem (70), une bonne partie de ceux qui avaient migré soient revenus dans la ville. Cela semble le cas pour deux dirigeants du mouvement: Siméon de Clopas, un parent de Jésus qui aurait été nommé peu après 70, « évêque » de Jérusalem; Théboutis un autre dirigeant du mouvement nazaréen qui aurait développé des conceptions différentes du premier.
« D'après Epiphane de Salamine, les nazôréens, du moins au IVe siècle, sont présents en trois lieux : Bérée en Syrie — lieu mentionné aussi par saint Jérôme, près de Pella en Décapole et à Khochab en Basanitide. Or le même Epiphane mentionne aussi des ébionites à Pella et Kokhab — ce qui a fait dire à certains critiques qu'en associant ces lieux il semble ainsi assimiler pratiquement les nazôréens aux ébionites[72]. »
On ne dispose pas d'autre témoignage que celui d'Epiphane, toutefois deux autres documents permettent de localiser des synagogues judéo-chrétiennes à Nazareth ainsi que sur le mont Sion à Jérusalem (IVe siècle).
Outre la synagogue du mont Sion, des recherches archéologiques ont permis d'identifier une autre synagogue judéo-chrétienne à Farj dans le Golan. Dans ce massif, indépendamment du site prestigieux de Gamla, les ruines de nombreuses implantations juives présentes au Ier siècle ont été identifiées, ainsi que dix sept synagogues[90],[91]. De cet ensemble se dégagent les deux sites de Farj et Er-Rahmaniyye, habités semble-t-il par des nazôréens[92]. Selon toute vraisemblance, alors que données archéologiques et textes littéraires tendent à prouver une désolation de la région par les forces romaines après la chute de Gamala à l'automne 67, une nouvelle implantation de population s'est produite après 135. Probablement qu'à la suite de la destruction de Jérusalem et l'interdiction à tout Juif d'y pénétrer (135), les habitants de Juda se replièrent vers le nord et s'implantèrent en Galilée et sur le Golan[93]. Ils disparaissent selon toute vraisemblance au cours du Ve siècle, victimes sans doute des mesures de rétorsion du courant catholique fort de l'appui du pouvoir impérial[93]. Une partie d'entre-eux s'est probablement réfugié en Perse sassanide, où pourtant les nazôréens et les elkasaïtes étaient aussi soumis à de fortes pressions pour se convertir au zoroastrisme[N 13].
Il a été avancée l'idée que la communauté qui a rédigé le fameux Document de Damas et n'a pas résidé à Damas, mais « au pays de Damas »[94] aurait précisément vécu à Kokaba/Kaukab près de Damas, du fait de la réminiscence messianique du toponyme en rapport avec le prophétie de Balaam[95] utilisée à plusieurs reprises dans les écrits de la secte du Yahad dont une cinquantaine d'écrits ont été retrouvés dans des grottes prés de Qumrân[96]. Ce serait selon cette hypothèse, parmi ces sadocites que se serait constitué une Qehila (communauté) nazôréenne dans les premières années qui suivirent la disparition du Rabbi Jésus. Dans la même ligne, certains y ont localisé la « conversion » de Paul. Les sources littéraires chrétiennes, en l'occurrence Jules l'Africain[97] et Épiphane, évoquent le site de Kokaba comme lieu d'habitation des parents de Jésus[93] ?
Ce Kokaba qu'Épiphane localise auprès de Karnaïm et d'Asteroth au pays de Bashân[98] sur la plateau du Golan est probablement le lieu appelé aujourd'hui Kaukab, à 18 km au sud-ouest de Damas. En effet, dans son Onomasticon[99], Eusèbe cite le village de Kauba près de Damas « où il y a des juifs appelés ébionites qui croient en Jésus Christ »[100].
Bagatti relève aussi dans la région de Damas, un certain nombre de villages dénommés Menim, toponyme qui pourrait renvoyer à des communautés de minim[101]. Kaukab aurait constitué aux Ier et IIe siècle une place forte des disciples de Dosithée et de Simon le Mage[100].
Richard Bauckham fait remarquer que les nazôréens se sont établis dans des lieux dont les noms possèdent des résonances messianiques : Nazareth en référence à netzer[102] et Kokhav qui veut dire étoile[N 14], évoque celle de la prophétie de Balaam[95] et doit être rapproché du leader de la seconde révolte, Shimeon bar Kokhba. Il rejoint ainsi ce qu'avait noté Jean Danielou pour plusieurs site s'appelant Kokhav et où les écrivains chrétiens semblent situer la présence de nazôréens ou d'ébionites[103],[100].
François Blanchetière conclut en rappelant « dans ce contexte ce verset de l'Apocalypse de Jean à forte coloration messianique : « Je suis le rejeton-(nètzer) de la race de David, l'étoile-(kokhav) radieuse du matin[104] »[100]. »
Lors de l'invasion de l'Empire Parthe par Trajan (114-116), un homme appelé Elkasaï faisant état d'une révèlation, fonde un nouveau mouvement qui joint la communauté auquel il appartenait (probablement des nazôréens) à des Osséens (Esséniens) pour fonder un mouvement que les hérésiologues chrétiens appellent elkasaïte[105],[106]. Ce mouvement qui couvre une aire géographique importante, indiquent que des communautés nazaréennes existaient dans l'espace perse, probablement en Adiabène, au nord de l'Empire Parthe et au sud de l'Arménie au début du IIe siècle[107].
Il convient de rappeler que de très nombreuses sources mentionnent que les Apôtres, Juda Thaddée, Juda Thomas, bar tolmay (probablement barthelemy), voir même Jésus après sa crucifixion par Ponce Pilate, ont évangélisé ces régions et en particulier le sud de l'Arménie, l'Adiabène (Edesse, Nisibe) et le nord de l'Empire Parthe jusqu'à Ctésiphon, dès les années 30-40[108]. Les rois Abgar V d'Edesse, Izatès II d'Adiabène et leurs familles s'étant convertis au judaïsme au début des années 30[109],[110],[111]. Les sources en notre possession indiquent que la prédication de ces apôtres a été reçue de façon bienveillante par ces monarques[108].
Shlomo Pines ainsi que d'autres chercheurs, soutiennent que les judéo-chrétiens (nazôréens ou ébionites) ont survécu dans la péninsule arabique au delà du XIe siècle. Ils s'appuient sur les textes de l'historien Abd al-Jabbar ibn Ahmad et les identifient à la secte que celui-ci y a rencontré aux alentours de l'an 1000[112].
C'est ce que semble confirmer au siècle suivant, le Sefer Ha'masaot, un livre de voyages écrit par Benjamin de Tudèle (mort en 1173), un rabbin d'Espagne, qui rencontre encore ces communautés, notamment dans les villes de Tayma and Tilmas[113].
L'historien musulman du XIIe siècle, Muhammad al-Shahrastani mentionne des juifs vivant à proximité de Médine et Hedjaz, qui acceptent Jésus comme prophète et suivent les traditions du judaïsme, rejetant les vues chrétiennes catholique ou orthodoxe[114].
Certains savants soutiennent qu'ils ont contribué à l'élaboration de la vision islamique de Jésus/Îsâ grace aux échanges avec les premiers musulmans[115],[116].
Faut-il compter au nombre des nazôréens les communautés, localisées dans le sud de l'Inde, dont sont issues ceux que l'on appellent aujourd'hui les Chrétiens de saint Thomas ? Cette communauté chrétienne parle le malayalam et ses membres s'appellent eux-mêmes les « Nazaréens ». Elle est encore aujourd'hui très proche du judaïsme, malgré l'enrôlement et la "romanisation" forcée dont ils ont été victimes à partir de la fin du XVIe siècle. Elle avait des relations commerciales avec les Nestoriens de l'île de Socotra.
Ces communautés sont très anciennes et antérieures au IIIe siècle. Leurs traditions font remonter leur existence au Ier siècle. Elles auraient été fondées par l'apôtre Thomas. Jésus lui même aurait participé à cette évangélisation, après sa crucifixion sous Ponce Pilate, dont il serait sorti vivant (théorie dite de l'évanouissement).
Découverts avec surprise au XVIe siècle par Vasco de Gama, cette communauté subit une "romanisation" forcée, après que toute la contrée fut passée sous le contrôle des Portugais. En 1599, les Chrétiens de saint Thomas furent placés de force sous la juridiction de l'Église de Rome[117]. C'est l'origine de l'actuelle Église catholique syro-malabare. Malgré les protestations et la résistance, les livres sacrés de l'anciennne Église malabare ainsi que d’antiques manuscrits liturgiques seront brûlés, sur l'ordre de l’archevêque de Menendez[118], œuvre poursuivie par ses successeurs.
Rappelons que dans les traditions chrétiennes, l'apôtre Thomas (Juda Thomas) a évangélisé différentes contrées dont l'Inde.
Les mandéens d'Irak se désignent sous le nom de nasaréens et affirment qu'ils trouvent leur origine à Jérusalem, d'où leurs lointains ancêtres se seraient enfuis. Ils pourraient être issu de la communauté qui s'est formée autour de Jean Baptiste et de ceux qui ne se sont pas ralliés à Jésus. Ils reconnaissent Jean Baptiste comme le seul prophète et considère Jésus, puis Mahomet, comme des usurpateurs.
La « secte » mandéenne a été révélée en 1652 par un missionnaire carme, qui décrivait ses membres sous le nom de «chrétiens de saint Jean»[119]. C'est une religion gnostique et baptiste. Le terme mandéen a un rapport avec la gnose (manda, en araméen). Les Mandéens sont nommés Mandaiuta en mandéen (un dialecte de l'araméen), et en arabe Mandā'iyya مندائية. D’après l’étymologie, les «mandéens» (mandaya) seraient les hommes de la connaissance (manda), mais ils se désignent eux-mêmes d’un autre nom, celui de "nasoraia" ("nazoréens")[119]. D'après André Paul: « la secte gnostique des mandéens, dans ses Écritures rédigées dans un dialecte araméen oriental, se nommait indistinctement mandayya ou nasôrayya [120]. » Un troisième nom leur est attribué, celui de sabéens,Sabiens ou sabaya صابئة («baptistes»)[N 15], qui souligne l’importance prise dans cette « secte » par les rites du baptême. C’est de cette troisième appellation que les auteurs musulmans se servent de préférence.
André Paul et Simon Claude Mimouni estiment que les Mandéens sont membres du seul courant vraiment baptiste qui a persisté jusqu'à nos jours[121]. Tous deux mentionnent la possibilité que ce courant soit un héritier du mouvement Elkasaïte[122],[121].
Ils ne semblent donc pas issus des nazôréens qui ont reconnu Jésus comme Messie dont parle cet article. Il est néanmoins intéressant de noter qu'ils se nomment ainsi.
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Les Nazôréens ou Nazaréens sous leur nom sont attestés explicitement de manière indirecte à partir de la seconde moitié du Ier siècle dans les écrits du Nouveau Testament, et aux IVe et Ve siècle dans les textes des Pères de l'Eglise[8],[1] et même au IXe siècle[9].
Le peu que nous savons sur les nazôréens (et les ébionites) provient de références critiques rédigées par les Pères de l'Église[123] qui les considéraient comme des « judaïsants » et des « hérétiques »[124]. Le Panarion d'Épiphane de Salamine suit le Syntagma d'Hippolyte de Rome (début du IIIe siècle) et le Contre les hérésies (Adversus haereses) d'Irénée (fin du IIe siècle).
Selon Simon Claude Mimouni, pour le Ier – IIe siècle, « on dispose des Actes des Apôtres qui donnent un certain nombre d'informations sur les chrétiens d'origine juive de Jérusalem, ainsi que les épîtres de Paul de Tarse qui rapporte ses démêlés avec eux ou du moins avec ceux se réclamant de Jacques le Juste[125]. »
Parmi les textes chrétiens, certaines lettres de Paul de Tarse (saint-Paul) ont toutefois un statut particulier, sept d'entre-elles sont en général reconnues pour avoir été écrites par lui. Toutefois la critique hésite à leur conférer un total caractère documentaire, car elles semblent bien avoir été retouchées ultérieurement.
François Blanchetière rappelle les travaux de Marie-Émile Boismard et Arnaud Lamouille, qui parviennent à identifier quatre documents qui auraient permis à leur auteur, d'écrire les Actes des Apôtres. Pour sa part, écrivant sur les nazôréens, il considère comme source directe uniquement la partie tirée du « document pétrinien », appelé « document P »[126],[N 16]. Certainement d'origine palestinienne, ce « document P » pourrait émaner de « cercles fortement influencés par la culture grecque [à savoir] des juifs convertis qui étaient déjà de culture grecque » et qui utilisaient la septante. « Pour l'auteur du « document P », Jésus est avant tout le serviteur de Dieu annoncé par un lointain disciple d'Isaïe (Is 53, 13) »[126].
Les nazôréens sont aussi attestés dans la littérature juive sous le nom notzrim et notamment dans la Birkat haMinim. Ils sont aussi évoqués à plusieurs reprises dans le Talmud palestinien, pour inciter les juifs à n'avoir aucun contact avec eux.
« Il est aussi question des nazôréens (notzrim) dans plusieurs passages de la littérature rabbinique dans laquelle on ne paraît pas pouvoir distinguer entre eux et les ébionites ou elkasaïtes — pour les pharisiens et rabbanites, ils sont simplement des chrétiens d'origine juive dont la fréquentation est à éviter[127]. »
Hippolyte de Rome (fin du IIe siècle) puis Tertullien[1] (début du IIIe siècle), indiquent que nazaréen était la plus ancienne dénomination des disciples de Jésus[2].
La plupart des auteurs les reconnaissent aussi dans des textes des pères de l'Eglise, où leur nom n'est pas mentionné explicitement, en commençant par le « Dialogue avec Tryphon[3] » d'Ignace d'Antioche (début du IIe siècle), puis chez Origène[4] et Eusèbe de Césarée[5],[6].
Selon Simon Claude Mimouni, « Origène[4] et Eusèbe de Césarée[5],[6] usent de la dénomination d'ébionites quand ils parlent des chrétiens d'origine juive, mais en prenant soin de distinguer entre les orthodoxes et les hétérodoxes — les premiers sont à identifier aux nazôréens[6]. »
Dans la littérature reconnue par l'Église de Rome, « il faut attendre la seconde moitié du IVe siècle pour voir réapparaître ces chrétiens d'origine juive, du moins sous le nom de « nazôréens »[6]. » Les autorités ecclésiastiques considèrent toutefois que ces nazôréens là sont hérétiques et n'ont rien à voir avec ceux dont on parle aux Ier – IIe siècle.
« Eusèbe de Césarée[128], pour sa part, emploie parfois le terme « hébreux » pour désigner les chrétiens d'origine juive, notamment quand il s'agit de ceux qui semblent de la tendance orthodoxe — ces derniers sont en tout points comparables aux nazôréens du Ier et des IVe – Ve siècle[6]. » Toutefois, « la plupart des informations sur les chrétiens d'origine juive de Jérusalem d'Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique, proviennent des Mémoires d'Hégésippe (un auteur chrétien d'origine juive écrivant dans la seconde moitié du IIe siècle)[6]. »
Les connaissances des uns ne sont pas obligatoirement indépendantes des écrits des autres, ainsi pour les cinq premières notices sur les 80 hérésies qu'il recense, Épiphane reproduit exactement la liste d'Hippolyte de Rome[129],[N 17]. Bien qu'il ait fait un voyage à Jérusalem, il est tout à fait possible qu'Épiphane n'ait jamais rencontré un Ébionite ou un Nazôréen. Néanmoins, « la source principale sur les nazôréens est la notice 29 du Panarion d'Epiphane de Salamine ainsi qu'un passage, le paragraphe 13, de la Lettre 112 de saint Jérôme[6]. »
Dans l'espace perse, une des quatre inscriptions de Kartir, qui exerce alors les fonctions de mōwbedan (sorte de prêtre suprême) et qui remonte au règne de Vahram II (277-293), mentionne les « nazôréens ». Elle est toutefois considérée par la plupart des critiques, comme faisant références aux Elkasaïtes[130], plus nombreux que les nazôréens dans la région, à cette époque.
Faut-il compter au nombre des nazôréens les communautés, localisées dans le sud de l'Inde, dont sont issues ceux que l'on appellent aujourd'hui les Chrétiens de saint Thomas ? Cette communauté chrétienne parle le malayalam et ses membres s'appellent eux-mêmes les « Nazaréens ». Elle est encore aujourd'hui très proche du judaïsme, malgré l'enrôlement et la "romanisation" forcée dont ils ont été victimes à partir de la fin du XVIe siècle. Elle avait des relations commerciale avec les Nestoriens de l'île de Socotra.
Ces communautés sont très anciennes et antérieures au IIIe siècle. Leurs traditions fait remonter leur existence au Ier siècle. Elles auraient été fondées par l'apôtre Thomas. Jésus lui même aurait participé à cette évangélisation, après sa crucifixion sous Ponce Pilate, dont il serait sorti vivant (théorie dite de l'évanouissement).
Découverts avec surprise au XVIe siècle par Vasco de Gama, cette communauté subit une "romanisation" forcée, après que toute la contrée fut passée sous le contrôle des Portugais. En 1599, les Chrétiens de saint Thomas furent placés de force sous la juridiction de l'Église de Rome[131]. C'est l'origine de l'actuelle Église catholique syro-malabare. Les livres sacrés de l'anciennne Église malabare ainsi que d’antiques manuscrits liturgiques seront brûlés, sur l'ordre de l’archevêque de Menendez[118], œuvre poursuivie par ses successeurs.
Rappelons que dans les traditions chrétiennes, l'apôtre Thomas (Juda Thomas) a évangélisé différentes contrées dont l'Inde.
Les Chrétiens de saint Thomas se désignent comme des « Nazaréens ». Leurs communautés et Églises localisées dans le sud de l'Inde dont l'origine remonterait à l'évangélisation de l'apôtre Thomas (vers les années 30 - 50). De nos jours, plusieurs Églises orientales existent toujours au Kerala. Elles sont de tradition syriaque ou syrienne. Leurs communautés sont antérieures au IIIe siècle. Leurs traditions fait remonter leur existence au Ier siècle. Elles auraient été fondées par l'apôtre Thomas. Jésus lui même serait aurait participé à cette évangélisation, après sa crucifixion sous Ponce Pilate, dont il serait sorti vivant (théorie dite de l'évanouissement).
Arrivés dans la région au début du XVIe siècle, Vasco de Gama puis de Cabral s'assurèrent de l'estime du roi Hindou de Cochin, de manière à ce que toute la contrée passât sous le contrôle des Portugais qui firent pression sur l'église locale appelée Syro-malankare pour une union avec Rome et par ces nombreuses pressions, semèrent trouble et division au sein des chrétientés syriaques. Il s’agissait, selon eux, de « ramener » ces chrétiens jugés « séparés », et qui plus est peut-être « hérétiques », au sein de l’Église catholique-romaine. En juin 1599, l’archevêque de Goa, Alexis de Menendez, convoquait l'assemblée générale, qualifiée plus tard de synode de Diamper, afin de décider de cette union. C'est l'origine de l'actuelle Église catholique syro-malabare. Les chrétiens syriens du Malankar (ou Malabar) contraints d’accepter cette "romanisation", y perdirent leur autonomie structurelle et supportèrent une rupture en matière liturgique du fait d'une latinisation des usages dès lors que l’archevêque de Menendez ordonna que furent brûlés d’antiques manuscrits liturgiques. Les chrétiens de saint Thomas dépendraient dès lors d’un diocèse suffragant de Goa, le diocèse Angamali gouverné par des évêques latins et jésuites.
Un vent de révolte grondait. L'union à Rome ne s'est pas faite sans résistance. Une partie du clergé et des fidèles la refusèrent lorsque les latins portugais, sur l'ordre de l'archevêque de Menendez (initiateur du synode de Diamper), décidèrent de détruire et brûlèrent effectivement de nombreux ouvrages liturgiques et patrologiques communs aux deux Églises syriennes occidentale (orthodoxe) et orientale (assyro-chaldéenne). L'archidiacre refusant les "latinisations", après avoir en vain multiplié les recours à Rome, réunit peuple et clergé qui se lièrent à la "Croix de Coonan" où ils firent le serment solennel de rester fidèle à leur tradition liturgique et patrologique.
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Pour désigner leur mouvement, les disciples de Jésus semblent d'abord avoir parlé de la « Voie du Seigneur », ou simplement « la Voie ». Ce qui semble confirmer qu'ils se considéraient comme une Voie, à l'intérieur du judaïsme. Alors que les langues occidentales ne connaissent que des traductions du grec christianos (chrétien), en milieu araméophone comme c'était le cas en Palestine au Ier siècle, les plus anciennes dénominations de Jésus furent « Galiléen », le très complexe déterminatif min et surtout notzri (Nazaréen)[13].
« Galiléen », min et christianos sont des appellations qui viennent de l'extérieur et qui ont un fort contenu péjoratif. Pour l'appellation « notzri » François Blanchetière s'interroge: « S'agit-il d'un nom que les nazaréens se donnent, ou bien d'une dénomination qui leur a été imposée de l'extérieur ? » Étudiant l'ensemble des écrits chrétiens qui abordent la question de cette dénomination[12], Blanchetière estime qu'il n'est pas aisé de répondre à la question[12], mais conclut toutefois que « notzri et christianos », éventuels « sobriquet ou marque politique, concrétisant au départ, le regard de l'Autre[14] », pourraient ensuite avoir « été revendiqués comme dénomination propre et titre d'honneur[14]. »
Épiphane nous apprend que les nazôréens ont été, pendant un temps, appelés Isséens[25] et François Blanchetière rappelle que « dans le Coran, Jésus est appelé « Îsâ »[25]. »
« Le terme « nazaréen » sous sa double orthographe nazôraios/nazarènos figure à vingt deux reprises dans le Nouveau Testament[132]. » Les premiers textes où apparaît l'appellation Nazoréen sont les évangiles où Jésus est appelé « le Nazôréen » (o Nazôraios) à quinze reprises[133] et six fois « Jésus le Nazarénien »[134],[132].
L'existence des Nazôréens est attestée très tôt chez les juifs par la Birkat haMinim (années 90), qui contient une malédiction à l'encontre des opposants aux idées pharisiennes et rabbanites au nombre desquels ils sont comptés sous l'appellation de notzrim (nazôréens)[11].
Le terme de notzri était apparu auparavant à plusieurs reprises dans des textes du mouvement du Yahad (que certains ont peut-être trop rapidement identifié aux Esséniens), notamment dans les Hymnes , retouvés avec d'autres manuscrits, dans des grottes à proximité de Khirbet Qumrân (Manuscrits de la mer Morte), pour symboliser la communauté de la Nouvelle Alliance[135]. Pour André Paul, le sens du mot était gardien et associé à Yahad (unité, alliance) pouvait se traduire par « gardien de [la nouvelle] Alliance »[136]. C'est la formulation qu'utilise le christianisme qui énonce qu'avec la venue de Jésus, une « Nouvelle Alliance » a été formée avec Dieu. On hésite toutefois à identifier le mouvement du Yahad comme un mouvement Nazôréen existant avant Jésus. Il en est de même pour le mouvement nasaréens (distinct des nazôréens) dont Epiphane de Salamine indique qu'il « existait avant Jésus et n'a pas (re)connu Jésus ».
L'appellation Nazôréens est aussi attestée dans les Actes des Apôtres, un des livres du Nouveau testament dans lequel Paul de Tarse (Saint Paul) est qualifié par les autorités juives de « chef de la secte des Nazôréens ». Dans ce livre, Jésus est aussi appelé à deux reprises « Jésus le Nazôréen ». Contrairement à ce que l'on pense souvent, l'appellation « Jésus de Nazareth » ne figure jamais dans les évangiles, on la trouve une fois dans un manuscrit des Actes des Apôtres (10,3), datant du IVe siècle.
Au début du IIIe siècle, l'Africain Tertullien (de Carthage) indique que « nazaréen a constitué la plus ancienne dénomination des disciples de Jésus[137],[2] ». Si on en croit Eusèbe de Césarée qui le cite dans son Onomasticon, on retrouve la même idée chez Hippolyte de Rome[138],[139],[2]. Par la suite, les écrivains chrétiens recensant les différentes hérésies en parlent régulièrement jusqu'au Ve siècle.
Ces écrivains des premiers temps du christianisme parlent aussi d'« évangile des Nazaréens », d'« évangile des Ébionites » et d'« évangile des Hébreux », sans que l'on arrive à déterminer s'il y a un, deux ou trois textes différents. Certains de ces évangiles figurent sur les listes d'évangiles apocryphes ou sur la liste d'évangiles à détruire, comme celle de l'évêque Athanase d'Alexandrie, un des pères de l'église catholique romaine. Cela explique probablement qu'ils aient totalement disparus aujourd'hui et ne soient connus que par quelques citations qu'en font les pères de l'église, souvent pour les dénigrer.
Dans les Talmuds, l'appellation Nazôréen ne figure qu'au pluriel : « notsrim ». Toutefois dans des versions du XIVe siècle pour lesquels la censure chrétienne n'avaient pas encore pu s'exercer totalement le mot figure au singulier. Il est utilisé pour désigner Jésus le Nazôréen, Yeshu haNotsri. L'Eglise catholique a depuis obtenu la suppression de la quasi-totalité de ces passages.
Nazôréen est un substantif dont l'origine et la signification sont objets de controverses parmi les chercheurs[140]. L'étymologie du terme est discutée, ce nom est le même que celui donné à Jésus, Iesous o Nazoraios, Jésus le Nazôréen, à de nombreuses reprises dans les évangiles. Il est difficile de dire si les Nazôréens sont appelés ainsi à la suite du nom donné à Jésus, Iesous o Nazoraios, Jésus le Nazôréen, ou si au contraire Jésus est appelé ainsi dans les évangiles parce qu'il est nazôréen. La phrase grecque Iesous o Nazoraios (Ἰησοῦς ὁ Ναζωραῖος) peut s'entendre comme désignant une provenance comme dans Loukios o Kurenaios (Λούκιος ὁ Κυρηναῖος) "Lucius le Cyrénien/Lucius de Cyrène"[141], elle peut aussi s'entendre comme une appartenance à un groupe: celui des Nazôraios (Ναζωραῖος), des Nazôréens, sujet de cet article. Associé au nom de Jésus, Nazôréens peut aussi s'entendre comme une qualité ou un titre.
Selon certains chercheurs, il dériverait du mot hébreu nazir, signifiant « ascète », selon d'autres d'une racine hébraïque signifiant « observant scrupuleux ». Le terme a peut-être été lié à Nazareth afin de rappeler le village d'origine de Jésus. Le terme a été réinterprété symboliquement au sein du premier groupe de disciples pour insister et justifier la messianité de Jésus, en s'appuyant sur le verset d'Isaïe[102] qui évoque un « surgeon » - « netzer » en hébreu - qui doit surgir « de la souche de Jessé », le père de David[142]. Les premiers disciples étaient ainsi probablement des Juifs de stricte observance attendant le retour de Jésus en tant que messie[143].
La question d'une dérivation possible ou non de nazôraios à partir de Nazaret, pour des raisons strictement linguistiques, a fait l'objet de multiples travaux modernes. Il serait vain d'évoquer tous ceux que R. Pritz a regoupés dans sa bibliographie[144].
En se basant sur la Peshitta, une traduction des évangiles en syriaque par Rabbula, évêque d'Édesse (411-435), G. F. Moore rappelle pour sa part que le syriaque nasrayie ne doit rien au grec, mais dérive de l'araméen, il conclut : « Il n'existe aucun obstacle philologique à faire dériver nazôraios-nazarenos du nom de la ville de Nazareth[145]. » En effet, dans le syriaque de la Peshitta, les termes "secte des Nazaréens" et "Jésus de Nazareth" emploient tous les deux l'adjectif nasraya (ܕ ܢ ܨ ܪ ܝ ܐ), de Nasrat (ܢ ܨ ܪ ܬ) pour Nazareth[146][147][148]. Toutefois ce passage par la Peshitta ne convainc pas tout le monde. Selon Jacques Giri, les linguistes admettent que nazarenos peut signifier originaire de Nazareth, mais qu'en revanche ils soutiennent que nazôraios ne saurait signifier originaire de Nazareth et qu'il signifierait plutôt appartenant à un ensemble d'hommes qualifiés de nazôréens[149].
Simon Claude Mimouni conclut: « quand au lien avec la localité de Nazareth, il est difficile de trancher de manière significative, même si l'on peut penser qu'il pouvait renvoyer à la racine nsr qui signifie « observer »[150]. » « Quoi qu'il en soit, il y a un rapport entre les nazôréens et la manière de désigner Jésus comme nazôréen — surtout dans l'Evangile selon Jean, mais aussi dans les Evangiles synoptiques[150]. »
C'est à partir du IVe siècle que les auteurs chrétiens commencent à justifier l'appellation nazaréen donnée au Christ dans les évangiles à partir du nom de la ville de Nazareth. Le premier est Épiphane de Salamine qui, visiblement embarassé par l'accusation formulée à l'encontre de saint Paul d'être « le chef de file de la secte des Nazôréens » écrit vers 374-378 :
François Blanchetière s'interroge: « S'agit-il d'un renseignement connu de notre auteur, un judéen ne l'oublions pas, ou d'une de ses déductions à partir des textes néotestamentaires, nous ne pouvons le préciser. Toutefois, on peut rappeler que les sources rabbiniques des premiers siècles de notre ère parlent, rarement il est vrai, de Yeshu ha-Notzri et plus fréquemment de notzrim[2] ! »
Avant lui, d'autres auteurs chrétiens comme Hippolyte de Rome puis Tertullien[1], indiquent que nazaréen était la plus ancienne dénomination des disciples de Jésus[2]. Aucun ne mentionne que le nom de nazaréen vient de la ville Nazareth, que ce soit pour parler du mouvement nazaréen ou de l'appellation « Jésus le nazaréen ».
La première mention en hébreu de Nazareth se trouve dans une liste gravée du IIIe siècle ou au mieux du IIe siècle et retrouvée à Césarée maritime[152]. La première mention littéraire de la ville de Nazareth date aussi du IIIe siècle.
On compte une seule mention de « Jésus de Nazareth » dans les manuscrits les plus anciens du Nouveau Testament (IVe siècle) (dans les Actes des Apôtres en 10,3: Jésus Christ o apo Nazareth). En effet, contrairement à ce l'on croit souvent, dans les évangiles Jésus est appelé Jésus le Nazôréen ou Jésus le Nazarénien, mais pas Jésus de Nazareth[132].
Selon Jacques Giri, l'évangile attribué à Luc évoque Jésus prêchant dans la synagogue de Nazareth et ses auditeurs furieux le poussant vers une falaise près de la ville. Or, il n'y a pas de falaise près de Nazareth et il est bien peu probable qu'il y ait eu une synagogue dans un aussi petit hameau[153]. Remarquons toutefois, que lors du même épisode raconté dans les évangiles selon Marc et selon Matthieu, le nom de la ville n'est pas mentionnée, il est seulement dit que Jésus est « dans sa patrie ».
L'Évangile selon Marc dit que Jésus vient de Nazara, sans que l'on sache si cette Nazara est une ville et a fortiori si c'est Nazareth. Des synagogues datant du temps de Jésus ont été trouvées à Gamla, Jérusalem, Hérodion, et Massada, mais pas à Nazareth. De l'époque de Jésus, on a retrouvé des grottes que surmontaient des éléments construits[N 18],[N 19],[154]. Les grottes semblaient servir d'entrepôts ou d'étables. On ignore le nom du lieu à ce moment.
Parlant des mentions de Nazareth « égrenées au fil des évangiles », François Blanchetière invite à « les aborder avec beaucoup d'acribie, particulièrement les récits relatifs à l'enfance de Jésus dont les fondements historiques sont loin d'être assurés[152]. »
Le Midrash Qolet, un écrit du VIe siècle mentionne qu'au IIe siècle, des familles sacerdotales juives s'étaient installées dans la ville. Ce mouvement a peut-être eu lieu à cause de la destruction de Jérusalem et l'interdiction à tout juif d'y pénétrer après le défaite de la Révolte de Bar Kokhba (135), il a probablement contribué à la constitution d'un véritable village.
Au VIe siècle, un pèlerin anonyme de la ville de Plaisance décrit la visite qu'il a faite à la synagogue de Nazareth[N 20]. Celle-ci a clairement été identifiée par les spécialistes, comme judéo-chrétienne voire comme Nazaréenne[N 21]. On ne sait pas si la synagogue dont parle le pèlerin anonyme est celle qui a été retrouvée.
Selon Simon Claude Mimouni, « J.L. Martyn est le premier à avoir établi que le Sitz im Leben (l'arrière plan) de l'Évangile attribué à Jean a été le conflit et le débat avec les autorités juives à propos de l'identité messianique de Jésus » — la cheville de cette argumentation étant plusieurs passages de l'évangile de Jean[155], qui parlent de « l'expulsion des chrétiens d'origine juive de la Synagogue par les autorités pharisiennes/tannaïtes de la fin du Ier siècle[156],[157]. » J.L. Martyn estime que « l'évangile selon Jean est donc pour l'essentiel le produit littéraire et l'héritage de chrétiens d'origine juive, relevant ainsi de l'histoire du judéo-christianisme[157] »[158]. « M.C. de Boer, a récemment essayé d'identifier de manière plus précise les chrétiens d'origine juive qui sont aux fondements de l'élaboration de l'Evangile selon Jean en proposant notamment la thèse nazôréenne[159],[157]. »
« Le choix de cette thèse repose principalement sur le fait que dans cet évangile est mentionné un « Nazôréen » qui est Jésus lui-même, lequel est désigné trois fois de cette façon[160] — appelation que l'on trouve aussi deux fois dans Matthieu[161] et Luc[162], ainsi que six ou sept fois dans les Actes des Apôtres[163]. La dernière attestation dans l'Évangile selon Jean concerne l'inscription sur la croix qui porte : « Jésus le Nazoréen, Roi des Juifs[164] » — la précision de « Nazôréen » est absente des récits paralléles de Marc, Matthieu et Luc[157]. »
Dans Évangile selon Marc, qui a probablement servi de base aux évangiles de base aux évangile selon Matthieu et selon Luc, la forme nazôraios est absente, on ne trouve que la forme « Nazarénien »[165],[157]. De plus, ce nom de « Nazôréen » n'est jamais utilisé par ses disciples pour le désigner mais c'est le nom dont font usage ceux qui décident de son arrestation et de son exécution — en bref ce sont les principaux ennemis des chrétiens d'origine juive qui le connaissent comme « Jésus le Nazôréen »[157].
« Les arguments évoqués à l'appui de cette thèse sont :
« M.C. de Boer conclut son étude par deux remarques substancielles :
« Les chrétiens qui sont à l'origine de l'Evangile selon Jean ne se désignent jamais eux-mêmes comme des nazôréens, mais il est possible, comme M. C. de Boer le suggère, qu'ils aient été appelés nazôréens par les juifs — ce qui ne signifie pas qu'ils aient été originaires uniquement de la communauté de Jérusalem[167]. »
Autrement dit, l'Evangile selon Jean, contrairement à ce qui est souvent affirmé, relève du patrimoine religieux du mouvement nazôréen à la fin du Ier ou au début du IIe siècle. Cependant, après leur expulsion de la Synagogue, dans le courant du IIe siècle, certains de ces nazôréens ont fait entrer leur Evangile dans les communautés chrétiennes d'origine païenne et même parfois dans certaines mouvances gnostiques, d'autres sont demeurés apparemment fidèles à leurs origines juives tout en se démarquant fortement des communautés d'obédience pharisiennes/tannaïtes[168].
Selon des recherches récentes, rien n'empêche de considérer l'évangile selon Matthieu comme relevant du mouvement nazôréen, de même que l'évangile selon Marc — auquel cas, ces derniers représenteraient plutôt un courant se rattachant à la ligne de Pierre). D'après S.C. Sim, par exemple, l'histoire de la communauté d'où est issu l'évangile selon Matthieu ne peut se comprendre en dehors du cadre plus large de l'histoire de la communauté d'Antioche qui relève encore du judaïsme[169]. Cette communauté « matthéenne » rassemble des juifs ayant reconnu en Jésus le Messie et éventuellement des païens qui acceptent l'ensemble des observances de la Torah, y compris la circoncision et le sabbat. Ainsi d'après cette hypothèse, autour des années 50, la victoire de Jacques et Pierre sur Paul lors de l'assemblée de Jérusalem aurait eu pour conséquence immédiate le retour à Antioche d'un judéo-christianisme strict : la communauté « matthéenne » serait la descendante directe de cette reprise en main « pétrinienne » de la communauté d'[[Antioche] — quand à la communauté d'où est issu Ignace, elle serait totalement indépendante de la communauté « matthéenne » et résulterait d'un renouveau de la mission « paulinienne » à Antioche durant la pèriode d'après 70[170].
Spécial:Courriel/Michel Abada Spécial:Courriel
Texte en gras
« Jésus ne saurait être compris en dehors de l’horizon de la religion nationale juive. Comme tel, il n’est pas le fondateur du christianisme, d’autant qu’il est erroné, anachronique de parler de christianisme avant le milieu du IIème siècle. En revanche, on peut considérer Jésus avec quelque assurance comme le fondateur d’un mouvement de piété aux tendances prophétiques et eschatologiques assez marquées[171]. » Ce que par exemple Maurice Goguel avait déà écrit en 1955[172].
Mimouni toujours: « L’historien du christianisme en ses débuts, quant à lui, éprouve toujours des difficultés à se départir des représentations historiographiques (…) Même s’il apparaît évident maintenant que le christianisme ne commence pas avec la naissance de Jésus, il n’en demeure pas moins, pour le grand public, engagé ou non d’un point de vue confessionnel, qu’il ne fait pas de doute que la religion chrétienne commence nécessairement avec la naissance de son fondateur, puisque le calendrier en usage utilise sa date de naissance comme point de départ, comme moment originel. De ce fait, affirmer, auprès des autorités religieuses, juives comme chrétiennes, ainsi que du grand public , qu’il est difficile de parler de christianisme avant 135, voire avant la fin du IIème siècle, tout au moins en tant que religion constituée, apparaît bien souvent comme saugrenu, pour ne pas dire plus – est pourtant, au risque de bouleverser profondément l’image qu’elles s’en font, comment pourrait-il en être autrement au regard des sources[173] ? »
Mimouni encore: « Il est courant de dire ou de lire que les origines du christianisme sont enveloppées d’ombres, sinon de légendes, qu’elles relèvent d’une véritable nébuleuse, plus proche du mythe que de la réalité. Les origines du christianisme sont, il est vrai d’autant plus difficile à cerner que les informations permettant d’essayer de les connaître ou de les reconstituer sont presque exclusivement chrétiennes, contenues dans des documents postérieurs aux événements de quelques décennies ou plus et, de ce fait, marquées par de nombreuses relectures interprétatives (…) Les représentations des origines du christianisme que développent la plupart des historiens engagés d’un point de vue confessionnel relèvent plus souvent de concepts théologiques que de réalités historiques (…)[174] »
Pour Jean-Paul Yves Le Goff, « tant que l’on campe » dans « l'éternelle pénombre » induite par l'affirmation que Jésus a créé ou est à l'origine du christianisme, « l’attention n’est pas disponible pour les événements situés au grand jour qui marque la véritable naissance du christianisme, entre le début du quatrième où l’empereur Dioclétien persécutent les chrétiens pour tenter de les éliminer et la fin du même siècle où l’empereur Théodose persécute les autres religions pour imposer le christianisme[175]. »
« D'après Epiphane de Salamine, les nazôréens possèdent les livres du Nouveau testament ainsi que de l'Ancien Testament : pour ces derniers qu'ils lisent en hébreu, ils les ordonnent selon le canon juif des écritures[176],[87]. »
« Aux dires d'Epiphane, les nazôréens ont leur propre évangile : il est rédigé en hébreu et appelé « Evangile selon Matthieu »[177],[87]. »
« Aux dires de Jérôme, aussi, les nazôréens utilisent un « Evangile selon Matthieu » en hébreu, ajoutant qu'un exemplaire est conservé dans la bibliothèque de Césarée organisée par Pamphile et que la communauté chrétienne d'origine juive de Bérée en Syrie l'utilise et lui a même permis de le copier[178],[179]. »
« Les critiques discutent pour savoir si ce dernier correspond à celui qui existe en grec et a été incorporé au canon ; la plupart estiment que les pères de l'Eglise ont à tort identifié l'Évangile des Hébreux ou des nazôréens à l'Evangile selon Matthieu[180]. »
« Quoi qu'il en soit de cette filiation, comme on va le voir plus en détail, il ressort que les nazôréens ont utilisé un évangile particulier dénommé Évangile des Hébreux ou des Nazôréens, rédigé en araméen, et que ce dernier est considéré comme « ni falsifié ni mutilé », par conséquent plus complet que l'Évangile des Ébionites[181],[180]. »
« Pour le reste du canon du Nouveau Testament, on ne dispose d'aucune autre information, si ce n'est, d'après Jérôme[182], que les nazôréens reconnaissent la légitimité de Paul et peut-être ses écrits — du moins peut-on le penser[180]. »
« Il convient maintenant d'évoquer la question du rapport entre l'Evangile selon Jean et les nazôréens comme le laisse entendre plusieurs passages. J.L. Martyn est le premier à avoir établi que le Sitz im Leben de l'Evangile attribué à Jean a été le conflit et le débat avec les autorités juives à propos de l'identité messianique de Jésus — la cheville de cette argumentation étant Jn 9, 22 (et aussi 12, 42 et 16, 2) qui parle de l'expulsion des chrétiens d'origine juive de la Synagogue par les autorités pharisiennes/tannaïtes de la fin du Ier siècle[183]. Par la suite, dans des contributions sous forme d'articles, J.L. Martyn a estimé que l'évangile selon Jean est donc pour l'essentiel le produit littéraire et l'héritage de chrétiens d'origine juive, relevant ainsi de l'histoire du judéo-christianisme[184]. M. de Boer, récemment, a essayé d'identifier de manière plus précise les chrétiens d'origine juive qui sont aux fondements de l'élaboration de l'Evangile selon Jean en proposant notamment la thèse nazôréenne[185]. Le choix de cette thèse repose principalement sur le fait que dans cet évangile est mentionné un « Nazôréen » qui est Jésus lui-même, lequel est désigné trois fois de cette façon (Jn 18, 5.7 ; 19, 19) — appelation que l'on trouve aussi dans Matthieu (Mt 2, 23 ; 26, 71) et Luc (Lc 18, 37), ainsi que dans les Actes des Apôtres (six ou sept fois : Ac 2, 22 ; 3, 6 ; 4, 10 ; 9, 5 [?]; 22, 6 ; 28, 9), alors que dans Marc on trouve la forme « Nazarénien » (Mc 1, 24 ; 10, 47 ; 14, 67 ; 16, 6). La denière attestation dans l'Évangile selon Jean concerne l'inscription sur la croix qui porte : « Jésus le Nazoréen, Roi des Juifs » (Jn 19, 19) — la précision de « Nazôréen » est absente des récits paralléles de Marc, Matthieu et Luc. Ce nom de « Nazôréen » n'est pas celui que ses disciples emploient pour le désigner mais c'est le nom dont font usage ceux qui décident de son arrestation et de son exécution — en bref ce sont les principaux ennemis des chrétiens d'origine juive qui le connaissent comme « Jésus le Nazôréen ». Les arguments évoqués à l'appui de cette thèse sont :
« M.C. de Boer conclut son étude par deux remarques substancielles :
« Les chrétiens qui sont à l'origine de l'Evangile selon Jean ne se désignent jamais eux-mêmes comme des nazôréens, mais il est possible, comme M. C. de Boer le suggère, qu'ils aient été appelés nazôréens par les juifs — ce qui ne signifie pas qu'ils aient été originaires unique ment de la communauté de Jérusalem[167]. »
Autrement dit, l'Evangile selon Jean, contrairement à ce qui est souvent affirmé, relève du patrimoine religieux du mouvement nazôréen à la fin du Ier ou au début du IIe siècle. Cependant, après leur expulsion de la Synagogue, dans le courant du IIe siècle, certains de ces nazôréens ont fait entrer leur Evangile dans les communautés chrétiennes d'origine païenne et même parfois dans certaines mouvances gnostiques, d'autres sont demeurés apparemment fidèles à leurs origines juives tout en se démarquant fortement des communautés d'obédience pharisiennes/tannaïtes[168].
Selon des recherches récentes, rien n'empêche de considérer l'évangile selon Matthieu comme relevant du mouvement nazôréen, de même que l'évangile selon Marc — auquel cas, ces derniers représenteraient plutôt un courant se rattachant à la ligne de Pierre). D'après S.C. Sim, par exemple, l'histoire de la communauté d'où est issu l'évangile selon Matthieu ne peut se comprendre en dehors du cadre plus large de l'histoire de la communauté d'Antioche qui relève encore du judaïsme[186]. Cette communauté « matthéenne » rassemble des juifs ayant reconnu en Jésus le Messie et éventuellement des païens qui acceptent l'ensemble des observances de la Torah, y compris la circoncision et le sabbat. Ainsi d'après cette hypothèse, autour des années 50, la victoire de Jacques et Pierre sur Paul lors de l'assemblée de Jérusalem aurait eu pour conséquence immédiate le retour à Antioche d'un judéo-christianisme strict : la communauté « matthéenne » serait la descendante directe de cette reprise en main « pétrinienne » de la communauté d'[[Antioche] — quand à la communauté d'où est issu Ignace, elle serait totalement indépendante de la communauté « matthéenne » et résulterait d'un renouveau de la mission « paulinienne » à Antioche durant la pèriode d'après 70[170]..
Jusqu'au début du XXe siècle, il était admis que les nazôréens avaient disparu peu après la défaite juive dans la grande révolte et la destruction du Temple de Jérusalem (70). Les connaissances actuelles permettent de dire qu'il n'en est rien.
S'ils semblent disparaitre de territoires comme l'Égypte et Chypre dans la répression quasi-génocidaire de la révolte des exilés (115–117) (appelée Guerre de Kitos du nom du principal général qui la réprima), cela montre déjà qu'ils n'avaient pas disparu en 70. Sur les autres territoires, les nazôréens sont bien-sûr frappés par la répression de la révolte de Bar Kokhba (132-135)) et notamment après la destruction de Jérusalem (135), l'interdiction à tout juif d'y pénétrer s'applique aussi à eux. Ceux-ci ont, au contraire, continué à exister pendant des durées variables selon les régions du monde, mais qui ne sont jamais inférieures à de nombreux siècles.
À partir de 100 - 116, les nazôréens ont notamment donné naissance aux Elkasaïtes dans l'espace perse. Ceux-ci semble prendre le nom de Sampséens, mais continuent à souvent être appelés nazôréen, alors que les hérésiologues chrétiens les appellent uniquement Elkasaïtes.
Après que l'empereur Constantin Ier a favorisé le catholicisme (IVe siècle), les Nazorèens sont rejetés aux marges de l'empire romain, mais continuent d'exister comme l'atteste des restes archéologiques et des témoignages de pèlerins de l'époque. Certains sous la pression se sont peut-être fondus dans la grande église. Mais les Nazôréens continuent d'exister, pendant plusieurs siècles. L'un de leurs groupes rejetés en Arabie est peut-être à l'origine de l'Islam, religion dans laquelle ils se seraient fondus après la conquête musulmane. Toutefois des groupes baptistes et d'elkasaïtes sont encore mentionnés au Xe siècle.
Le Mandéisme est un mouvement baptiste et gnostique dont il subsitait encore des communautés regroupant environ 50 000 personnes dans quelques régions d'Iran et d'Irak, avant déclenchement de la guerre d'Irak (2003). Selon certains auteurs, comme André Paul et Simon Claude Mimouni, les Mandéens sont membres du seul courant vraiment baptiste qui a persisté jusqu'à nos jours[121]. Tous deux mentionnent la possibilité que ce courant soit un héritier du mouvement Elkasaïte[122],[121].
Ce qui permet de supposer que pour les nazaréens aussi, la disparition a été lente.
Si nazôréen a constitué l'une des plus anciennes, sinon même la plus ancienne, et la plus répandue des dénominations du mouvement de Jésus, pourquoi ce terme a t-il disparu ? La réponse est apparemment des plus simples, nazaréen n'aurait jamais désigné à l'origine que des chrétiens d'Orient d'expression sémitique, parlant hébreu ou araméen et on retrouve ce mot en arabe sous différentes formes Natsraya ou Natsara[187]. Cependant, comme le fait remarquer François Blanchetière, il « faut être attentif à ne pas trop serrer l'assimiltion notzri/sémitophone. Comment en effet définir ces « hellènes » de la communauté primitive de Jérusalem[188] ou ces preiers disciples de Jésus en Égypte avant 116 sur lesquels nous savons si peu[189], pour ne rien dire de certains courants en Asie mineure[190] »[191].
« Les affirmations de certains historiens relatives à la disparition à la disparition du judéo-christianisme constituent une manifestation supplémentaire de cette méconnaissance, aujourd'hui comme hier, du monde oriental par le christianisme grec, puis latin, et ce pour des questions linguistiques ou politiques. Nazaréen n'a donc disparu que dans le monde gréco-romain, puisque d'aucuns le retrouve à la naissance de l'islam[192] et shlomo Pinès dans un écrit d'Abd al-Jabbar au IXe siècle[193],[191] ! »
Pour être précis, il était apparu auparavant dans des textes du mouvement du Yahad (que certains ont peut-être trop rapidement identifié aux Esséniens), retouvés avec d'autres manuscrits, dans des grottes à proximité de Khirbet Qumrân (Manuscrits de la mer Morte). Pour André Paul, le sens du mot était gardien et associé à Yahad (unité, alliance) pouvait se traduire par « gardien de [la nouvelle] Alliance ».
Epiphane voulant donner une origine hétérodoxe, voire hérétique, au mouvement, a affirmé que les nazôréens sont les descendants des thérapeutes, un groupe juif décrit par Philon d'Alexandrie[194], qui auraient été convertis au christianisme par Marc l'évangéliste[195],[196]. Ainsi, il a distingué les nazôréens des premiers disciples de Jésus qu'il a désignés sous le nom de « Jesséens », mais en faisant toutefois venir leur nom du village de Nazareth en Galilée[150].
Il n'y a évidemment pas lieu de tenir compte de la distinction entre « Jesséens » et « nazoréens », qui est d'ordre hérésiologique : elle est le fait d'Epiphane qui a forgé le terme « Jesséens », à partir d'Isaïe 11, 1, pour désigner les premiers disciples de Jésus, afin d'ôter aux nazôréens leur prétention d'être à l'origine du mouvement[150].
« Epiphane et lui seul évoque le nom d'iessaioi (Isséens) qu'auraient porté les chrétiens « pendant une très courte période[197] ». Les explications embarassées qu'il avance aussi bien que le rapprochement hasardeux que dans la ligne d'Eusèbe de Césarée[198] il opère entre eux et les thérapeutes décrits par Philon dans le De vita contemplativa » conduisent François Blanchetière « à émettre les plus grandes réserves quant à l'historicité de ce qu'il nous rapporte à ce sujet[12]. »
De plus, pour soutenir sa position, J. Munck trouve dans le prosélitisme du mouvement de Jésus à ses débuts la preuve que les apôtres ne sont pas juifs, puisque selon lui le prosélitisme juif des premiers siècles serait « un mythe historiographique » et pas une réalité historique. Ainsi « il attribue les tendances judaïsantes, à commencer par celles que combat Paul, au compte soit d'une attirance spontanée qui rapproche de la Synagogue les chrétiens d'origine païenne, soit d'une réflexion sur l'Ancien Testament — semblant confondre dans ce dernier cas, « judéo-christianisme » et ce qu'il appelle « catholicisme primitif »[1]. » Pour la plupart des spécialistes, au contraire, « les premiers disciples du nazôréens furent tous juifs, de culture sémitique ou de culture hellénistique » et d'autre part « l'extension du nazôréisme s'est opéré en milieu juif[199]. »
« Nombre de ces Nazaréens sont donc, comme Jésus, des Galiléens , une dénomination que l'on retrouve chez Épictète (50-130) (Arrien, Entretiens 4, 7) mais surtout chez l'empereur Julien qui rédigera un Contre les Galiléens et qui selon une légende, se serait exclamé sur son lit de mort: « Tu as vaincu Galiléen ! », tandis que dans les Actes de Théodat d'Ancyre 31 († 303) les polythéistes appellent Jésus un « meneur de Galiléens ». Même rapprochement « nazaréens-galiléens » dans la notice de l'encyclopédie byzantine appelée la Suda[200]. »
Nazaréen adopté par les disciples du Rabbi Yeshuah, a assez rapidement fait l'objet d'une interprétation nettement messianique permise par l'un des sens de la racine N.tz.r et ce à la lumière d'un verset d'Isaïe : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines[102] » comme semble témoigner le fameux passage de Matthieu[200]:
objet d'explications fort embarassées de la part des commentateurs en peine de retrouver une référence précise dans l'ensemble des écrits des prophètes vétérotestamentaires. C'est bien ainsi que Jérôme l'a compris, qui écrit sur son commentaire sur Isaïe 11, 1 : « Ce que tous les commentateurs ecclésiastiques recherchent en vain sans le trouver, les érudit hébreux pensent que cela a été emprunté à ce passage d'Isaïe 11, 1[202],[200]. »
La question peut sembler étrange, puisque le mouvement Nazôréen est un mouvement chrétien.
« De plus, comme tous les hétérodoxes judéo-chrétiens, les ébionites se caractérisent par un antipaulinisme affirmé et virulent[203]. »
Un récit mandéen d'Irak affirme que les mandéens eux-mêmes furent une fois appelé nazaréens, et qu'ils trouvent leur origine à Jérusalem. De même les chrétiens syriens de l'Inde prétendent-ils être descendants des anciens nazaréens.
Après que l'empereur Constantin Ier a favorisé le catholicisme (IVe siècle), les nazôrèens sont rejetés aux marges de l'empire romain, mais continuent d'exister comme l'atteste des restes archéologiques et des témoignages de pèlerins de l'époque. L'un de leurs groupes exilés en Arabie est peut-être à l'origine de l'Islam, religion dans laquelle ils se seraient fondus après la conquête musulmane.
Les indices qui mènent en à cette piste sont en effet nombreux, quoique débattus. On ne saurait être exhaustif ici. Contentons-nous de quelques remarques. Tout d'abord, on note l'appellation "Jésus le Messie" à de nombreuses reprises dans le Coran, expression très répandues dans les textes nazôréens. Le même Coran affirme le caractère proprement humain et non divin de Jésus, comme les nazôréens. C'est d'ailleurs parce que Dieu est Un que les chrétiens seront plus tard qualifiés de "polythéistes" par leurs détracteurs musulmans. Par contre, Jésus est bien conçu miraculeusement et Marie conserve sa virginité, ainsi que l'affirment les catholiques mais aussi, encore une fois, les nazôréens. Quant à la crucifixion, le Coran s'accorde aussi avec les croyances nazôréennes : Dieu ne permit pas que l'on tuât son envoyé, et fit en sorte que l'on condamna quelqu'un d'autre à sa place. Sur ce point, le Coran est d'ailleurs largement précédé par plusieurs évangiles apocryphes. Par ailleurs, le mariage de Mahomet avec Khadija, sa première épouse, semble avoir été effectué par un prêtre nazôréen, Waraqa ibn Nawfal. De même, la première qibla pointait Jérusalem, avant d'être réorientée vers la Mecque. Pareillement, le "voyage nocturne" de Mahomet évoqué par le Coran et rapporté par la Sunna est sensé avoir amené le prophète à la mosquée "la plus lointaine" (al-aqsa) de Jérusalem. Toujours dans la perspective d'une filiation au moins partiellement nazôréenne de l'Islam, il n'est pas impossible que Mahomet ait déclenché l'une des premières batailles arabo-bysantines, à Tabouk en 630, afin d'ouvrir la voie à la (re)prise de la Palestine et de Jérusalem. Tout cela semble indiquer l'influence du nazôréisme, pour qui la reconquête de la terre sainte, fût-ce par les armes, était resté un objectif crucial. Cet projet aurait été partagé par les arabes partisans de Mahomet, qui, selon toute vraisemblance, ont fait alliance avec des nazôréens réfugiés en Syrie suite aux guerres menées par Héraclius à l'époque même de l'Hégire. On comprend, dans ces conditions, pourquoi un exil - donc apparemment une défaite de l'Islam - ait pu devenir le point de départ du calendrier musulman : c'est lors de l'Hégire que les Qoraïchites, qui avaient des bases arrière dans le désert syrien, ont pactisé avec les nazôréens. D'ailleurs, le deuxième successeur de Mahomet, Omar ibn al-Khattâb, aura tôt fait de conquérir Jérusalem en 638, soit six ans à peine après la mort du prophète, et d'y édifier un cube à la place du cœur même du temple d'Hérode le Grand, où l'on construira plus tard une mosquée octogonale. C'était là le vœu des nazôréens : élever le " Troisième Temple ", là où le précédent avait été détruit, en 70 de notre ère. Enfin, notons que l'interdit de l'alcool et le sacrifice du mouton sont également présents chez les nazôréens.
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