Loading AI tools
roi d'Italie, empereur d'Éthiopie et roi d'Albanie De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Victor-Emmanuel III (en italien : Vittorio Emanuele III, Vittorio Emanuele Ferdinando Maria Gennaro di Savoia), né le 11 novembre 1869 à Naples (Italie) et mort le 28 décembre 1947 à Alexandrie (Égypte), est le roi d'Italie entre le 29 juillet 1900 et le 9 mai 1946.
Il est également empereur d’Éthiopie entre le 2 mai 1936 et le 5 mai 1941, premier maréchal d'empire à partir du 4 avril 1938 et roi d'Albanie entre le 16 avril 1939 et le 3 septembre 1943. Il abdique le 9 mai 1946 et est remplacé par son fils Humbert II peu avant la naissance de la République italienne. Il est le fils d'Humbert Ier et de Marguerite de Savoie. À sa naissance, il reçoit le titre de prince de Naples : comme son dernier prénom, Gennaro, qui renvoie au saint protecteur de Naples, ce titre est destiné à souligner l'intégration dynastique des provinces méridionales, moins de dix ans après l'absorption de l'ex-royaume des Deux-Siciles dans le nouveau royaume d'Italie[1].
Son règne de 45 ans voit, outre les deux guerres mondiales, l'introduction du suffrage universel masculin (1912) et féminin (1945), les premières formes de protection sociale, le déclin et l'effondrement de l'État libéral (1900-1922), la naissance et l'effondrement de l'Italie fasciste (1925-1943), la résolution de la question romaine (1929), l'intégration de plusieurs terres jusque là « irrédentes » du Nord-Est et des conquêtes coloniales (Dodécanèse, Libye). Victor-Emmanuel III meurt en Égypte un peu plus d'un an et demi après la fin du royaume d'Italie.
À la suite de la victoire de la Première Guerre mondiale, il est appelé le « Roi soldat ».
Il ne s'oppose ni à l'affirmation du fascisme, ni à la promulgation des lois raciales, ni aux guerres coloniales, ni à l'entrée en guerre de l'Italie dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Par son aspect précipité, sa fuite de Rome vers Brindisi après l'armistice de 1943 est perçue très négativement, laissant à la population comme à l'armée un sentiment d'abandon[2]. En 1946, il tente de sauver la monarchie en abdiquant en faveur de son fils Humbert II. En Italie, 409 noms de lieux lui sont dédiés[3].
Victor-Emmanuel Ferdinand Marie Gennaro de Savoie, fils d'Humbert Ier et de Marguerite de Savoie, naît le à Naples, lieu choisi à dessein avec l'objectif de renforcer le sentiment d'appartenance des provinces du Sud au jeune royaume d'Italie alors que, l'ex-roi des Deux-Siciles, François II conteste toujours son éviction depuis son exil romain. La grossesse n'est pas facile, Marguerite manque de perdre l'enfant.
De santé plutôt fragile et de petite taille[4] et Victor-Emmanuel grandit, dépourvu de l'affection de ses parents qui ne s'entendent pas. À douze ans, ils le confient aux soins du colonel Egidio Osio (it), lequel avait été attaché militaire de l'ambassade italienne à Berlin. Homme très dur, impérieux et habitué aux ordres, celui-ci donne au prince une éducation sur le modèle prussien du roi aux armées. Il semble qu'à peine installé, il aurait dit à son élève : « On rappelle au fils d'un roi, comme au fils d'un cordonnier, combien quand il est un âne il est un âne. »[4] Certains précepteurs disent que la sévérité d'Osio a des effets nuisibles sur le caractère du futur souverain, le rendant encore plus anxieux et introverti[5].
Victor-Emmanuel apprécie William Shakespeare, parle quatre langues, dont le piémontais et le napolitain, mais il n'aime ni aller au théâtre ni aux concerts. Il a une éducation soignée qu'il complète par de longs voyages à l'étranger[6]. Elle comprend, entre autres, la fréquentation de la prestigieuse École militaire Nunziatella de Naples (1881-1884), puis l'École militaire de Modène (1884-1886) et enfin l'École de guerre (1886-1889) où il obtient le grade de sous-lieutenant d'infanterie en 1886[7]. Élevé au rang royal, il prend l'habitude de fréquenter les séances d'inauguration de l'Académie des Lyncéens ainsi que d'autres associations d’intérêt scientifique. Parmi toutes ses passions, dans le milieu culturel, émergent entre autres la numismatique[8], l’histoire et la géographie : sa connaissance dans ces domaines est reconnue à de hauts niveaux, jusque hors du royaume (il écrit un traité sur la monnaie italienne, le Corpus Nummorum Italicorum). À plusieurs occasions, Victor-Emmanuel est appelé, en vertu de sa connaissance dans le secteur géographique, comme médiateur dans les traités de paix et les disputes de frontières. Il est appelé comme arbitre pour la dispute territoriale de l'île de Clipperton, entre la France et le Mexique[9]. En 1887, à l'âge de dix-huit ans, sous la protection d'Osio, Victor-Emmanuel III fait un long voyage en Égypte[10].
À l'âge de vingt ans, Victor-Emmanuel commence une rapide carrière militaire. Pour le former au commandement, il est assigné au premier régiment d'infanterie « Roi » de Naples, où il reste pendant cinq ans (1889-1894). Tout d'abord, en 1889, major d'infanterie, il devient colonel en 1890. Devenu majeur, et ayant le même grade que son précepteur, il prend congé du colonel Osio, avec lequel il maintint toutefois une correspondance presque journalière. Il obtient un avancement rapide comme général-major en 1892, puis lieutenant-général en 1894. Il est commandant de la division de Florence entre 1894 et 1897, puis commandant du 10e corps d'armée à Naples de 1897 à 1900[7]. À Naples, il noue une amitié avec le prince Nicolas Brancaccio, qui réussit à vaincre la timidité du jeune Victor-Emmanuel, en l'initiant à la vie nocturne napolitaine faite de théâtre peu « respectable » et en logeant des actrices[4].
Cette période napolitaine est peut-être la plus heureuse de la vie du jeune prince : il apprend à parler couramment le napolitain. Il a plusieurs amantes, dont la baronne Marie Barracco (dont il aurait eu une fille), même si sa préférence va pour les actrices et ballerines[10]. Dans sa fonction de commandement, il montre une rigidité confinant à la maniaquerie. Comme il l'écrit dans ses lettres à Osio, cela en fait une vraie bête noire pour ses subordonnés: « Mon peloton d’élèves officiers a atteint le nombre de 104 élèves ; rapidement, ils furent 103 parce que j'en ai chassé un pour avoir volé un compagnon. Je suis convaincu de la nécessité de leur faire peur à leurs débuts. » Victor-Emmanuel présente des capacités d'officier et se montre pointilleux, bon connaisseur des matières militaires.
Nommé général, il est critique envers la campagne d'Afrique entre 1895 et 1896[4]. Il se moque aussi du général Joseph Ottolenghi de Sabbioneta, plus tatillon encore que lui et qui ne perd pas une occasion de faire un exemple sur des manques éventuels de forme. Victor-Emmanuel l'affuble de surnoms comme « Joseph l'Hébreu » ou « Pauvre Macchabée » marquant son dédain envers son supérieur par des allusions bibliques qui n'ont pas forcément de portée antisémite[10]. Il entre aussi en conflit avec un colonel du du dixième régiment des Bersagliers. Cette défiance réciproque avec Luigi Cadorna dure toute leur vie, avec de réelles conséquences vingt ans plus tard, durant la Grande Guerre.
Il interrompt sa vie de caserne par des voyages qui achèvent sa formation. Après ses débuts pénibles en société, et à partir de 1888, ses premières aventures galantes, il est confronté à l'inévitable planification par la cour d'un mariage. (assistée notamment par Francesco Crispi). Face aux résistances du prince, on s'en abstient jusqu'en 1894. On cherche, cependant, une princesse utile à la diplomatie à l'italienne. Le choix tombe sur Hélène de Monténégro[11], âgée de vingt-trois ans, pas très gracieuse, mais aux traits doux et gentils. À l'insu de Victor-Emmanuel, on favorise les occasions de rencontre et, grâce à leurs caractères proches, ils s'entendent rapidement. Les accords entre les maisons seront simples et les fiançailles brèves. Hélène de Monténégro abjure le credo orthodoxe et, le , on célèbre les noces. Suivent des années heureuses pour Victor-Emmanuel. Le couple partage une affection sincère et une vie réservée et presque frugale. Leurs passions communes sont la photographie, la pêche, la vie à la campagne et les voyages en mer. Les enfants arrivent tard mais nombreux : Yolande Marguerite en 1901, Mafalda en 1902, Humbert II en 1904, Jeanne en 1907 et Marie Françoise en 1914. Durant ces années, Victor-Emmanuel pense à renoncer au trône en faveur d'une carrière académique[12].
Le Roi Humbert est assassiné le . Au moment de cet attentat, Victor-Emmanuel et Hélène sont en croisière en Grèce à bord de leur yacht Yela. Ils rejoignent Reggio di Calabria puis Monza. Victor-Emmanuel, désormais souverain, commence à « se consacrer à chaque emploi de roi »[13] aux institutions et à la monarchie. Giuseppe Saracco, président du Conseil des ministres, est à peine sorti de la chambre ardente du roi défunt que Victor-Emmanuel le convoque dans son bureau. Sans lui donner le temps de présenter ses condoléances, le nouveau roi montre les papiers qui s'amoncellent sur sa table, les décrets sur lesquels son père n'a pas eu le temps de se pencher, mais qui, selon lui, sont peu en accord avec la Constitution. Giuseppe Saracco répond que la valeur de la Constitution n'est pas de la compétence du roi, qui doit se limiter à signer comme il l'a fait depuis toujours. Le jeune roi répond « le roi veut signer ses erreurs, éventuellement, non celles des autres »[14]. Saracco qui, en outre, passe pour un grand expert du droit, se sent offensé et offre séance tenante sa démission. Le prince fait semblant de ne pas écouter, mais insiste pour que les décrets lui soient donnés en lecture avant toute signature. Après quoi, il explique au président comment il conçoit ses devoirs et ceux des autres : « Je n'ai pas la prétention de remédier avec la force du soleil aux difficultés présentes. Mais je suis convaincu que ces choses ont une unique cause. En Italie, peu de personnes accomplissent exactement leur devoir : il y a trop de mollesse et de relâchement. Il faut que chacun, sans exception, observe exactement ses devoirs ; je servirai d'exemple, en remplissant tous mes devoirs. Les ministres m'aideront, en ne caressant pas de vaines illusions, en ne promettant pas plus que je sois certain de pouvoir tenir. »
Le , quelques jours après le régicide, dans son premier discours à la nation, le nouveau roi expose les fondements de sa vision politique.
Le , il jure fidélité au statuts dans la salle du Sénat, devant le président Giuseppe Saracco et les deux chambres du Parlement présentes à ses côtés. Dans son discours, écrit de sa main, le nouveau roi expose une politique conciliante et parlementaire :
« Monarchie et Parlement procèdent solidairement dans cette œuvre salutaire »
— Victor-Emmanuel III, Discours à l’occasion de sa prestation de serment, le 11 août 1900
Après le couronnement, le nouveau roi commande à Guido Cirilli (it) le projet et la construction d'une chapelle commémorative pour son père assassiné. Pour cela, il fait détruire le siège de la Società Ginnastica Monzese Forti et Liberi di Monza et le fait reconstruire de l'autre côte du boulevard Cesare Battisti de Monza.
Enfin, la réconciliation nationale veut que le souverain prenne acte avec le décret du royaume no 366 du , dans lequel le roi accorde l'amnistie pour les délits de presse et pour ceux contre la liberté de travail, et remet la moitié des peines infligées pour les mouvements populaires de 1898[15]. En 1901, est imprimée la première série de timbres qui inaugure les impressions philatéliques de son royaume, comme la série dite « Floreale », qui inspirera le nouveau style dit Liberty, italianisé en Floreale.
Selon la tradition savoyarde et dans le respect des prérogatives du statut, Victor-Emmanuel III exerce une action considérable dans le domaine de la politique étrangère et aux armées[13]. Perçu par de nombreux observateurs comme hostile à la Triplice, il se maintient toutefois officiellement dans son sillon, tout en soutenant le rapprochement avec les puissances contre lesquelles elle a potentiellement été construite : la Russie qui entrave les projets d'expansion autrichienne et la France dont les Allemands craignent le désir de revanche.
La normalisation des rapports avec la République française a commencé quelques années avant l'accession au trône de Victor-Emmanuel, avec la signature des trois conventions entre l'Italie et la Tunisie le et ensuite avec l'accord commercial franco-italien le , qui met fin à la guerre douanière entre les deux puissances. En , avec la conclusion d'un accord Victor-Emmanuel et Emilio Visconti Venosta - Camille Barrère, le gouvernement obtient une première reconnaissance française de son intérêt pour la Cyrénaïque tripolitaine. L'accord a pour effet de vider la Triple Alliance d'une partie de son contenu, lié au contraste franco-italien en Méditerranée.
L'accord est renforcé en juillet 1902 par les accords de Prinetti-Barrère qui engagent les deux puissances à rester neutres en cas d'agression par d'autres puissances. Le rapprochement franco-italien est scellé par le voyage à Paris de Victor-Emmanuel, qui reçoit la Légion d'honneur, remise par le président Émile Loubet, en octobre 1903[7], lequel se rend réciproquement à Rome en 1904. La politique extérieure italienne conçoit ainsi une division entre les « blocs de puissances » moins rigide que celle qui a conduit à la déflagration du conflit mondial. Ce contexte, explique, lors de la Conférence d'Algésiras au Maroc en 1906, la position du représentant italien, Visconti Venosta, désigné pour ne pas appuyer l'Allemagne de Guillaume II.
L'établissement de bons rapports avec la Russie, dont la manifestation la plus évidente de rapprochement a été, à l'époque d'Humbert, le mariage de Victor-Emmanuel avec Hélène de Monténégro, pays des Balkans proche de la Russie, est le complément nécessaire des lignes directrices de la politique extérieure dans la région balkanique. Le statu quo dans lequel la Triple Entente s'engage, au moins formellement, à se maintenir, est menacée par la crise sans fin de l'Empire ottoman et par les appétits concurrents autrichiens et russes, parmi lesquels l'Italie souhaite s'insérer en cherchant à limiter les tentatives d'alliance des Habsbourg, vouées à changer la situation à son avantage, en violation de l'article VIII du traité. L'Italie regarde vers les Balkans, comme étant une zone d'influence économique potentielle. Devant les visées expansionnistes de la Serbie, Victor-Emmanuel se fait médiateur pour la création d'un état tampon, qui interdirait à Pierre Ier le blocage de l'Albanie sur l'Adriatique. Le comportement autrichien, qui en 1908 a annexé sans préavis la Bosnie-Herzégovine, suscitant des fortes protestations des parties serbe et russe, outre la partie italienne, amène le gouvernement italien à passer accord avec la Russie. Le , est signé entre les deux puissances le traité de Racconigi qui, pour la partie russe, met fin à la politique des accords exclusifs avec l'Autriche sur les Balkans, pour lesquels on présente l'actualisation du principe de nationalité et une action diplomatique commune des deux puissances. Dans le même sens, en outre, la Russie reconnaît l’intérêt italien pour la Cyrénaïque tripolitaine.
Les bons rapports traditionnels avec le Royaume-Uni et l'estime dans le contexte international du roi d'Italie sont confirmés par le choix de Victor-Emmanuel comme arbitre pour stabiliser les frontières entre le Brésil et la Guyane britannique en 1903-1904 et pour les frontières du Barotseland entre le Portugal et la Grande-Bretagne en 1905. La France et le Mexique ont aussi recours en 1909 à l'arbitrage de Victor-Emmanuel III pour définir la possession de l'île de Clipperton[16].
« Un tel Institut, organe de solidarité entre tous les agriculteurs est donc un élément puissant de paix »
— Victor-Emmanuel III, Message à Giolitti, 1905
Systématiquement, avec sa propre pensée humanitaire, en 1905, accueillant la proposition de David Lubin , Victor-Emmanuel III fait personnellement la promotion au niveau international de la fondation de l'Institut international d'agriculture, qui, par la suite, évoluera dans l'après-deuxième guerre mondiale vers la FAO, avec pour objectif d'éliminer la faim dans le monde.
L'organisme est financé au préalable à travers les contributions des États adhérents, d'un minimum de 12 500 lires lires jusqu’à un maximum de 200 000 lires. Victor-Emmanuel III, qui a l'habitude de soutenir beaucoup d'institutions scientifiques et caritatives avec ses propres deniers, participe avec la somme annuelle de 300 000 lires, à quoi s'ajoute le loyer de l'immeuble devant servir de siège à l'institution[17].
« Il convient maintenant de poursuivre, avec une détermination prudente, sur la stratégie que la justice sociale recommande […] au regard des classes ouvrières. Ils sont heureux d’amener à la civilisation nouvelle l’honneur du travail, le contraire des compensations équitables, de la protection prémonitoire, l’élévation du sort des oubliés de la fortune. Si le gouvernement et le Parlement assurent, tout aussi rapidement, les droits de toutes les classes, ils font des mémorandums de justice et de paix sociale. »
— Disccorso della Corona, 20 février 1902
L'œuvre de Victor-Emmanuel III en politique interne concerne en premier temps la réalisation de la paix sociale, à travers une législation vouée à dépasser « le contraste ardent entre capital et travail »[18]. La paix sociale et la nécessité d'œuvrer avec équité entre les classes sociales sont, en effet, des thèmes récurrents des discours de la Couronne, normalement rédigés par le roi.
Dans la vision politique du souverain, le point fondamental pour atteindre la paix sociale souhaitée était « d’atteindre une condition intellectuelle, morale et économique plus élevée des classes populaires »[18], en particulier en assurant un devoir complet d'instruction pour tous les citoyens.
Les lois promulguées entre 1900 et 1921, dans le contexte de la législation sociale voulue par Victor-Emmanuel III, concernent la tutelle juridique des émigrants (1901), la tutelle du travail des femmes et des mineurs (1902), les mesures contre la malaria (1902), la création de l'agence du travail (1902), des logements sociaux (1903), contre les accidents du travail (1904), pour l'obligation du repos hebdomadaire (1907), l'institution de la Caisse nationale de la sécurité sociale (1907), la Mutuelle scolaire et l’institution de la Caisse nationale pour la maternité (1910), l'assistance en faveur des victimes du chômage involontaire (1917)[19]. Toujours en 1917, fut institué l'Œuvre nationale combattante.
Étant donné l’intérêt que Victor-Emmanuel III avait pour la question sociale, certains contemporains le dépeignent comme « Roi socialiste »[20]. Attentif aux exigences de progrès du pays, en 1908, à la veille de la Grande Guerre, l'Italie étant devenue la septième puissance industrielle du monde, il acquiert le statut de président honoraire de la Société italienne pour le progrès des sciences, fondée en 1839. Il contribue financièrement à la fondation à Milan de la première « Clinique de la médecine du travail » d'Europe et de l'une des premières institutions pour l'étude et le traitement du cancer.
Le , le maçon romain Antonio d'Alba, un anarchiste, tire deux coups de pistolet contre le roi, mais il rate sa cible[21]. Quelques heures après l'attentat raté, Victor-Emmanuel reçoit la visite des socialistes romains Ivanoe Bonomi, Leonida Bissolati et Angiolo Cabrini (it) qui se réjouissent avec le roi. Ce geste donne ensuite un prétexte à la majorité du PSI pour expulser les trois réformistes coupables d'avoir appuyé le quatrième gouvernement Gioillitti dans la guerre contre la Turquie. Parmi les socialistes, le plus intransigeant reste Benito Mussolini, qui accuse les réformistes de connivence en disant « troupeau clergé-nationaliste-monarchique » , déclarant « Soit avec le Quirinale, soit avec le socialisme ! »[10]
Le , alors qu'il inaugure la VIIIe édition de la Foire de Milan, Victor-Emmanuel est la cible d'un attentat à la dynamite : une bombe explose dans la foule rassemblée, attendant le roi, et tue vingt personnes dont des femmes, enfants et des militaires présents. Le roi n'est toutefois pas touché. Les républicains Ugo la Malfa (it), Lelio Basso et Leone Cattani (it)[10] sont arrêtés. Mario Giampaoli (it), secrétaire du Fascio de combattant de Milan, est accusé de manière infondée, mais est impliqué quelques mois plus tard dans le scandale Belloni[22]
En 1941, durant un voyage en Albanie, le roi est la cible d'un troisième attentat. Un jeune, Vasil Laci Mihailloff, tire cinq fois, mais aucun des coups de feu n'atteint le roi. Victor-Emmanuel III, impassible, commente « Tirez bien sur ce garçon »[10].
Dans la politique ecclésiastique, Victor-Emmanuel se montre peu disposé aux ouvertures vers les prétentions politiques de l'Église catholique : la signature, en 1929, des accords du Latran se réalise davantage par le truchement de Benito Mussolini que grâce au monarque, qui aurait fait échouer une tentative précédente de Vittorio Emanuele Orlando dans l'immédiate après-guerre. Dans cette première période, et dans le plus grand respect des institutions ecclésiastiques et de la foi de la maison et des Italiens, le roi cherche à préserver le système de séparation entre l'Église et l'État, sans réussir par la voie concordataire ou par un pacte à maintenir les rapports interrompus par la prise de Rome et les campagnes du Risorgimento.
Dans la vie privée, Victor-Emmanuel est assez différent de ses prédécesseurs en ce qui concerne les rapports avec l'Église. Son arrière-grand-père Charles Albert était très religieux. Son grand-père Victor-Emmanuel II était un incrédule qui toutefois mettait de côté une crainte superstitieuse pour l'Église. Son père Humbert était au contraire un agnostique observant, qui allait à l'église pour se montrer en exemple à ses sujets et non par conviction personnelle, mais en même temps avait un profond respect pour la hiérarchie religieuse. Victor-Emmanuel demeure au contraire un sceptique, ni croyant ni pratiquant. Dans sa jeunesse, il a eu des lectures positives ou positivistes, comme celles d'Auguste Comte, de John Stuart Mill ou de Roberto Ardigò (it) (1828-1920). Toutefois, plus que laïque, il demeure un gibelin, profondément conscient de son propre rôle comme de celui que l'Église a eu dans l'histoire de son pays, il s'en méfie donc[23].
Victor-Emmanuel, en effet, considère que la question romaine est résolue avec la loi des Garanties (1871), qui assure la pleine autonomie au pontife, auquel sont reconnus les droits de légation active et passive, et dont la personne s'équilibre, par certains aspects, particulièrement de manière légale, avec celle du roi[24].
Les tensions entre l'État et l'Église sont ravivées par le voyage en 1904 du président français Émile Loubet auprès de Victor-Emmanuel III : le Saint-Siège proteste contre le fait qu'un chef d'État catholique en voyage à Rome a rendu hommage au roi d'Italie avant le pape. L'incident produit en France le renforcement des positions anticléricales et la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège.
Le voyage du tsar Nicolas II en amène, entre autres, la reconnaissance de l'influence italienne sur les régions africaines qui bordent la mer Méditerranée et, plus spécifiquement, sur l'aire libyenne. À partir de là, s'entrevoit le début de l'entreprise militaire en Tripolitaine et en Cyrénaïque, dès 1911. Afin de soutenir la répartition des sphères d'influence dans la mer Méditerranée africaine entre la France et l'Italie à la suite des crises marocaines, Victor-Emmanuel s'aligne sur Paris, reconnaissant, à sa manière, la priorité française dans l'aire la plus occidentale du Sahara.
L'initiative coloniale italienne est, toutefois, déjà active sur le continent africain. Elle occupe déjà l’Érythrée, et la Somalie est colonisée en 1907, mais ces possessions italienne sur la Corne de l'Afrique, éloignées et insignifiantes sur le plan stratégique de par leur configuration, ne renforcent pas l'état de la politique coloniale italienne en Afrique. L'Italie est avant tout centrée sur la Méditerranée et le dernier territoire encore non placé sous la domination d'une quelconque puissance européenne est la Libye.
Le gouvernement italien agit avec prudence : la Cyrénaïque et la Tripolitaine sont placées sous le contrôle de l'Empire ottoman, miné par un cancer interne qui en fait une entité presque moribonde. Mais dans tous les cas, une chose ne doit pas être négligée : la révolte des Jeunes turcs sert de rampe de lancement pour l'opération militaire.
Le , commence le débarquement italien en Libye, annexée, selon un décret royal, le , sans considérer la grande faiblesse de l'occupation, qui souffre d'une armée encore arriérée et la résistance active des chefs tribaux des aires intérieures. Cependant, à l'occasion de la Première Guerre mondiale imminente, la Libye ne tarde pas à reprendre, contre l'armée italienne toute employée sur d'autres fronts, une autonomie presque totale. Dans le contexte de la guerre turco-italienne, sont aussi annexées, en 1912, les îles du Dodécanèse. Avec la paix de Lausanne, le , l'Empire ottoman reconnaît à l'Italie la possession de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. Le roi, pour défendre les intérêts italiens en Afrique du Nord, aurait préféré la voie diplomatique, mais se résout à l'action belliqueuse devant le soulèvement des forces nationalistes et tendances belligérantes qu’il ne peut ignorer.
La guerre contre l’Autriche-Hongrie, sous la « haute direction » du roi, chef suprême de l’armée italienne, inférieure en nombre et en moyens, commence officiellement le 24 mai 1915. Durant la Première Guerre mondiale, Victor-Emmanuel soutient la position initialement neutre de l'Italie. Beaucoup moins favorable aux chefs de la Triple Alliance (dont l'Italie fait alors partie avec l'Allemagne et l'Empire austro-hongrois) et hostile à l'Autriche, il promeut la cause de l'irrédentisme du Trentin et de la Vénétie julienne. Les avantages offerts par l'Entente (formalisés dans le pacte de Londres et stipulés en secret, à l'insu du parlement) amènent Victor-Emmanuel à appuyer l'abandon de la Triple Alliance () et à combattre aux côtés de la Triple-Entente (France, Grande-Bretagne et Russie).
Début mai, l'action prônant la neutralité de Giovanni Giolitti, avec la diffusion d'informations concernant les concessions territoriales de la part des Autrichiens, déclenche une crise parlementaire. Le , Antonio Salandra rend au roi son mandat. Le Corriere della Sera écrit : « M. Giolitti et ses amis triomphent. Plus encore triomphe le prince de Bülow . Il a réussi à faire tomber le ministère qui menait le pays à la guerre ». Et le Messagiero : « Salandra donne un jeu gagnant aux organisateurs de l'embuscade maléfique, et se rend aux mauvais arts diplomatiques du prince de Bülow ».
Giolliti est alors convoqué par le roi pour former le nouveau gouvernement. Ainsi informé des nouveaux engagements pris avec la Triple Alliance, il décide d'en refuser la charge, tout comme d'autres personnes politiques également convoquées par la suite.
Le , Victor-Emmanuel repousse officiellement la démission de Salandra. Les 20 et , à la très grande majorité, les deux parties du Parlement votent en faveur des pouvoirs extraordinaires du souverain et du gouvernement en cas d'hostilité. Le , l'Italie déclare la guerre à l'Autriche-Hongrie.
Dès le début des hostilités sur le front italien (), Victor-Emmanuel est constamment présent sur le front, gagnant le surnom de « Roi soldat ». Durant les opérations de guerre, il confie la lieutenance du royaume à son oncle Thomas, duc de Gênes. Il n'établit pas le siège du quartier général à Udine, mais dans une ville voisine, Torreano di Martignacco, près de la « Villa Linussa » (désormais appelée « Villa Italia ») avec une petite suite d'officiels et de gentilshommes.
Chaque matin, suivi par les aides de camp, Victor-Emmanuel se rend en voiture pour inspecter le front ou les arrières. Le soir, au retour, un officiel de l'état-major informe de la situation militaire le roi, qui exprime ensuite ses avis, sans jamais dépasser les tâches du commandant suprême. Il se rend en France et accompagne Albert Ier (roi des Belges), dans les casernes et bases militaires. Les deux monarques envisagent également le mariage de leurs enfants, le prince héritier Humbert et la princesse Marie-José de Belgique, au grand dam de l'ex-reine, Marie des Deux-Siciles, grand-tante de la princesse dont les États ont été annexés en 1860 par l'arrière-grand-père du prince italien.
Après la bataille de Caporetto, par décision fixée entre les gouvernements de l'Alliance durant la conférence de Rapallo, le général Luigi Cadorna est remplacé par le général Armando Diaz. Le , au congrès de Peschiera (it), il expose sans interprète une analyse ponctuelle de la situation militaire difficile en confirmant sa confiance dans la réorganisation de l'armée. Il suit les décisions du gouvernement Orlando et les ratifie. Le Conseil des Ministres souhaite décerner au roi la Médaille d'or de la Valeur militaire, mais le souverain le refuse : « Je n’ai conquis aucune position difficile, gagné aucune bataille, coulé aucun cuirassé, accompli aucun exploit de guerre aérienne ». La victoire italienne donne à l'Italie les territoires du Trentin et du Haut Adige (avec Trente), de la Vénétie Julienne, de Zadar et certaines îles dalmates (dont celle de Lagosovo).
« [La guerre] menée avec une foi inébranlable et une ténacité valeureuse, pendant 41 mois est gagnée »
— Bulletin de la Victoire, 4 novembre 1918
Victor-Emmanuel, entre 1914 et 1918, a aussi reçu environ 400 lettres menaçantes, au caractère essentiellement anti-guerre, de la part d'individus de toute extraction sociale, surtout basse et semi-alphabète. Ce courrier est conservé dans les Archives centrales de l'État dans trois fonds, numérisés et de domaine public[25], en étant de grand intérêt historique et linguistique[26].
Au début de la Première Guerre mondiale, l'Italie se déclare neutre. Elle le reste jusqu'à ce que le Premier Ministre Antonio Salandra et le Ministre des Affaires Étrangères Sidney Sonnino , fortement soutenus par le roi, durant des tractations secrètes, se lient aux intentions du pacte de Londres (). Après les mois difficiles des crises internationales, la préoccupation guerrière est utile au roi, perturbé par un des rares moments de tension avec la reine Hélène de Monténégro. Le roi se rend visite aux troupes, photographie et note avec obstination chaque détail, synthétisant les lacunes de l'armée et du commandement. La résolution positive du conflit crée le mythe du « roi victorieux » convaincu « d'avoir conclu le cycle des guerres risorgimentali et d'avoir donné un nouvel éclat ou une plus grande sûreté à la couronne » (Bertoldi, 1970, p. 278)[14].
En raison de la crise économique et politique, à la suite de la guerre, l'Italie connaît une agitation sociale durable et difficile à contrôler. Dans le pays, se diffuse la crainte d'une révolution communiste, semblable à celle en cours en Russie et, en même temps, les classes dirigeantes craignent d'être submergées par les idées socialistes. Ces conditions historiques mènent à l'affirmation de mouvements politiques antidémocratiques et antilibéraux.
Le mouvement Faisceaux italiens de combat est créé en 1919 par le directeur de Avanti!, Benito Mussolini. Dès , l'utilisation d'« escouades d'action », plus tard intégrées dans la Milice volontaire pour la sécurité nationale (), contribue à durcir la situation. Fin , Mussolini, élu à la Chambre, révèle son plan de prise du pouvoir. Le , commencent les premiers mouvements d'occupation des préfectures et des casernes, en Italie du Nord. Victor-Emmanuel se précipite à Rome, étant alors à San Rossore, et communique au premier ministre Luigi Facta son intention de décider personnellement sur la crise en cours.
Les événements consécutifs restent très confus. Facta a au moins deux rencontres avec le souverain, à la gare de Rome puis dans sa Villa Savoie, au cours desquelles le roi aurait dit au Ministre qu'il refusait de délibérer « sous la menace des mousquets fascistes » pour demander ensuite au gouvernement de prendre toutes les dispositions nécessaires et puis lui soumettre pour obtenir son approbation. Quelles que soient les versions assez discordantes (dont une où Facta aurait menacé de démissionner, persuadé d'un bluff mussolinien), le roi va dormir, mais est réveillé au cœur de la nuit par ses collaborateurs pour l'informer des avancées fascistes, dont l'invasion des colonnes de chemises noires de la Milice volontaire pour la sécurité nationale à Rome.
À 6 heures du matin, le , Facta réunit le conseil des ministres, qui délibère, sur l'insistance précise du général Cittadini, premier aide de camp du roi, et décide le recours à l'état de siège pour bloquer la marche sur Rome. À 9 heures, Facta va chez le Roi au Quirinal pour la contre-signature, et reçoit le refus du monarque de souscrire à l'acte. Quand Victor-Emmanuel voit l'ébauche de sa proclamation, il se met en colère, déchire le texte des mains de Facta et, dans un élan de colère, dit au ministre : « Ces décisions ne relèvent que de moi. Après l’état de siège, il n’y a que la guerre civile. Maintenant, il faut que l’un de nous se sacrifie ». Facta aurait répondu : « Votre Majesté n’a pas besoin de dire à qui elle touche », avant de prendre congé[27].
Ce brusque changement de position n'a pas encore été clarifié par l'historiographie. Renzo De Felice, l'historien principal du fascisme, ébauche une liste de motifs possibles qui aurait induit le roi à éviter l'affrontement avec le fascisme :
Selon Mauro Canali[28], il faut en ajouter un autre, reconductible à la personnalité du roi, c'est-à-dire à sa placidité supposée qui l'induit à ne pas défier sur le terrain militaire la déchirure fasciste. Canali ajoute : « Ses préoccupations étaient absolument hors de propos, donné l'équilibre des forces en camp ». En effet, les forces de l'armée stationnée à Rome étaient très supérieures à celles des fascistes, 28 000 hommes contre quelques milliers, et mieux équipées. Sur cette donnée, tous les historiens concordent, mais ils doivent considérer les « incertitudes » mentionnées par les élites militaires, les pressions de la classe dirigeante et la volonté d'éviter la détérioration de la crise interne.
À la suite de la décision du roi, Facta présente sa démission, immédiatement acceptée par le souverain. Le , Victor-Emmanuel consulte les personnages les plus importants de la classe politique dirigeante libérale (Giollitti, Salandra) et militaire (Diaz, Thaon di Revel). Après l'échec du parti de Mussolini, d'un cabinet possible Salandra-Mussolini (souhaitant faire rentrer le mouvement fasciste dans l'alvéole parlementaire constitutionnelle et de favoriser la pacification sociale), le roi confie à Benito Mussolini, député en , la charge de former un nouveau gouvernement.
Mussolini s'adresse au parlement sur un ton menaçant (« J'aurais pu faire de cette classe sourde et grise un bivouac de manipules… ») et reçoit une large confiance du parlement, obtenant à la Chambre 316 voix en faveur, 116 contre et 7 abstentions. Il obtient notamment les voix favorables de Giovanni Giollitti, de Benedetto Croce, qui fut ensuite le plus grand représentant de l'antifascisme libéral, et d'Alcide De Gasperi[27], puis père de la république italienne, alors que Francesco Saverio Nitti quitta la salle en signe de protestation[28]. Le Gouvernement, composé de quatorze ministres et seize ministères, avec Mussolini chef du gouvernement et ministre par intérim de l'Intérieur, est formé par des nationalistes, libéraux et populaires, dont le futur président de la république, Giovanni Gronchi, sous-secrétaire à l'industrie.
Dans la première composition du gouvernement Mussolini, son parti est représenté par deux ministres, lui-même ainsi que De Gasperi. Le , il obtient la confiance. Déjà en toutefois, les ministres de Mussolini en sortent sous l'impulsion de leur secrétaire, Luigi Sturzo. Le , ayant perdu l'appui de la hiérarchie vaticane pour son antifascisme, Sturzo démissionne du poste de secrétaire[29]. Le , Alcide de Gaspari, en tant que chef du groupe, tient un discours à la chambre des députés, en exprimant sa position envers la loi Acerbo et tentant de trouver un compromis entre les deux côtés du parti[30],[31]. Le , il devient secrétaire du Parti populaire en portant le parti sur une position d'opposition au fascisme, en tentant de le faire adhérer au bloc de la sécession aventine. Il conserve ce poste jusqu'au . Le , après l'approbation des lois exceptionnelles du fascisme, le parti fut totalement dissout par le régime.
Désormais isolé et dans l'impossibilité de faire de la politique, De Gasperi est arrêté par la police à la gare de Florence le , en compagnie de son épouse, en possession d'un passeport périmé et de faux documents, alors qu'il se rendait en train à Trieste. Il est arrêté en tant qu'expatrié clandestin pour motifs politiques, punissable au sens du premier article du nouveau Texte unique pour des Lois pour la sûreté publique (1926), avec une amende non inférieure à 20 000 lires et une réclusion non inférieure à trois ans. De Gasperi admet d'avoir été expatrié pour des motifs politiques, mais nie d'être en connaissance de la possession de faux documents, indiquant qu'ils avaient mis sur lui par des inconnus. Durant le procès, l'avocat de De Gasperi soutient que la tentative d'expatrié était motif de la nécessité de fuir à la colère des partisans du fascisme et donc non punissable aux sens de l'art. 49 du Code Zanardelli, qui disciplinait l'écrémage du danger imminent. Le tribunal reconnet le motif politique et condamne De Gasperi à quatre ans de réclusion, puis réduit à la moitié avec recours en cassation et une amende de 20 000 lires. De Gasperi est gracié en 1928 mais reste surveillé à partir de ce moment.
Selon De Felice, « Sans le compromis avec la monarchie, il est très peu probable que le fascisme n'aurait jamais pu vraiment arriver au pouvoir. »
En sont organisées de nouvelles élections, qui se déroulent avec de graves irrégularités. Le député socialiste Giacomo Matteotti , qui avait dénoncé cette irrégularité, est enlevé le et trouvé mort le . Ce fait secoue le monde politique et ouvre un semestre de fortes crises internes, résolu enfin le quand Benito Mussolini, renforcé sur le plan international par la rencontre récente avec Austen Chamberlain[32], revendique la responsabilité non matérielle de ce qui est arrivé, « Si le fascisme était une association de malfaiteurs, je serais le chef de cette association de malfaiteurs ! »[33], indiquant au parlement la procédure de mise en état d'accusation conformément à l'article 47 de la Constitution. La Chambre, où l'opposition était brisée par de multiples courants et incapable de se mettre d'accord sur des stratégies divisées, ne proteste pas et Mussolini commence, par voie parlementaire, la transformation, au sens autoritaire et totalitaire[34], de l'État.
Le roi, qui jusque là avait conservé le contrôle de l'armée, ne marque pas d'opposition. Du reste, le parlement, où le Parti national fasciste avait la majorité absolue à la Chambre pour seulement sept sièges, affaibli par la sécession de l'Aventin, n'a pas fourni un prétexte juridique pour demander la démission de Mussolini ni élaboré une proposition crédible de gouvernement alternatif. La campagne extraparlementaire de l'opposition ne réussit pas non plus à mobilier les masses. Le roi reste ainsi dans l'attente d'une initiative parlementaire dans le respect des règles institutionnelles[35].
Quand le sénateur Campello présente à Victor-Emmanuel les propositions de la responsabilité du président du conseil des ministres dans le délit Matteotti, le roi aurait répondu[36]:« Je suis aveugle et sourd. Mes yeux et mes oreilles sont la Chambre et le Sénat. ».
Francesco Saverio Nitti, durant son exil dû aux intimidations fascistes, commence une lettre au monarque dans lequel il lui adresse des accusations d'ignare et de connivence avec Mussolini et l'exhorte à prendre des mesures contre le régime[37]. Le commencent à être publiées dans le Mondo et puis dans d'autres journaux les mémoires de l'escadrille Cesare Rossi, dans laquelle Mussolini était, de manière documentée, impliqué dans de nombreux actes de violence politique avant le délit Mattettotti et, au moins de manière implicite, dans ce dernier. Ces révélations conduisent le Roi à renvoyer Mussolini alors que, selon la procédure, il aurait dû passer devant le parlement en état d'accusation.
Par ailleurs, grâce aux lois électorales Acerbo et aux trucages dénoncés par Mattettotti, les fascistes avaient, pour seulement sept sièges, la majorité parlementaire absolue. Le recours manqué à l'article 47 ne témoignait ainsi pas de l'innocence de Mussolini mais plutôt son contrôle au Parlement[38]. Dans les jours suivants, en , sont fermés 35 cercles politiques d'opposition, dissoutes 25 organisations définies « subversives », arrêtés 111 opposants et exécutées 655 perquisitions aux domiciles[36].
En , le roi signe les ainsi dites « lois fascistissimes » (legge fascistissime) par lesquelles sont dissous tous les partis politiques (sauf celui du Parti nationaliste fasciste), et instauré la censure de la presse. Avec la loi du la constitution est modifiée[36], en attribuant au chef du gouvernement, responsable seulement devant le roi, le pouvoir de nommer et de révoquer les ministres. En 1926, le roi autorise la naissance du Tribunal spécial pour la défense de l'État, qui soustrayait à la magistrature ordinaire toutes les infractions politiques, et la formation de la police politique secrète OVRA. L'interdiction des charges de police pour les opposants est décrétée. Les rapports successifs avec le Duce sont caractérisés par des scènes privées agitées, dans lesquels le roi défend ses propres prérogatives, inquiet de sauver une légalité formelle et un rigoureux silence public.
Victor-Emmanuel est anti-clérical, étant très mécontent du refus de l'Église catholique de reconnaître Rome comme étant la capitale de l'Italie, mais il réalise qu'aussi longtemps que l'Église catholique restera opposée à l'État italien, beaucoup d'Italiens continueront à regarder l'État italien comme illégitime et qu'un traité avec le Vatican sera nécessaire[39]. Cependant, quand le premier ministre Victor-Emmanuel Orlando s'occupe d'ouvrir des négociations avec le Vatican en , il est bloqué par le roi, furieux que l'Église catholique ait maintenu une neutralité pro-autrichienne durant la Première Guerre mondiale[39]. À part la défense du Saint-Suaire de Turin, qui appartient à la Maison de Savoie, le roi a peu d’intérêt pour la religion[39]. En privé, Victor-Emmanuel jette sur l'Église catholique un regard amer, considérant les vieux ecclésiastiques comme des hypocrites avides, cyniques et obsédés par le sexe, qui tirent avantage de la croyance dévote des Italiens ordinaires.
En , le roi permet à Mussolini de faire ce qu'Orlando prévoyait en , en donnant la permission d'ouvrir des négociations avec le Vatican et en finir avec la « question romaine ». En , Mussolini, au nom du roi, signe le concordat. Ce traité est un des trois agréments signé cette année entre le royaume d'Italie et le Saint-Siège. Le , le concordat est ratifié et la « question romaine » est scellée.
La nouvelle de la fin de la guerre avec l'Éthiopie est communiquée en Italie le soir du . Après cela, dans tout le pays, les sirènes réunissent la population. Depuis le balcon du Palazzo Venezia, se montre Mussolini, qui annonce la nouvelle à une foule amassée avec un bref discours[40],[41]. Entre les lignes du discours du , Mussolini dessine le destin de l'Éthiopie et, même s'il ne prononce pas le mot « empire ». Le discours le fait comprendre, comme la fugue du Negus, et le manque d'un interlocuteur valide aurait favorisé la vision du Duce d'un projet de gouvernement direct en Éthiopie, comme ce fut clairement expliqué dans le discours suivant du . Ce soir-là, après avoir consulté rapidement le Grand Conseil du fascisme et réuni pendant quelque temps le conseil des ministres, Mussolini décide de prendre rapidement à contre-pied la France et le Royaume-Uni avant que ceux-ci ne prennent possession de l'annexion italienne, et annonce au monde, depuis l'Italie, « la réapparition de l’Empire sur les collines du destin de Rome ». Ce rassemblement fut possible, encore plus triomphal et rhétorique que le précédent et, après avoir annoncé que « les territoires et les peuples qui appartenaient à l’Empire éthiopien sont placés sous la souveraineté totale et entière du royaume d’Italie » et que le titre d'Empereur d'Éthiopie serait assumé par le roi Victor-Emmanuel III de Savoie, dans le discours, il est tout de suite mis en évidence que le nouvel empereur est une création exclusivement fasciste et l'œuvre de Mussolini[42],[43]
Toujours le , le Grand Conseil décrète la reconnaissance à Mussolini du titre de « fondateur de l'Empire », qu'Achille Starace insère tout de suite dans la formule officielle du « Saluto al Duce ». Le contexte politique offre à Mussolini une grande servilité et une exaltation personnelle au point que, comme l'écrit le général Enrico Caviglia, le Duce se fait traîner dans un climat de rhétorique d'adulation « qui a dangereusement accentué la confiance déjà extrême qu’il a dans sa propre capacité politique »[42]. Depuis ce moment et pendant de nombreux mois à venir, la presse et les personnalités majeures politiques et culturelles s’alternèrent dans une glorification de la figure de Mussolini et, dans ce climat, fin juin on arrive la réunion de la Société des Nations dans laquelle on doit discuter du problème des sanctions. La réunion, à laquelle participe aussi Hailé Selassie, dure jusqu'au , jour au cours duquel l'assemblée genevoise décide la révocation des sanctions qui devaient commencer le , à laquelle suit la décision britannique du de retirer la Royal Navy de la Méditerranée. Avec ces deux décisions, saluées par Mussolini, la guerre est complètement conclue sur le plan international[40].
Le prestige du Duce ne fut jamais si élevé (peut être égalé seulement durant la conférence de Munich) et le pays et les dirigeants du régime reconnaissent que l'empire est une réalisation liée presque exclusivement à l'œuvre de Mussolini. Le roi Victor-Emmanuel veut lui donner acte public en lui décernant la plus haute décoration militaire du règne, grand croix de l'ordre de Savoie[40].
Mussolini, la guerre finie, se dit ainsi satisfait des résultats : il avait battu la Société, une coalition de cinquante-deux nations qui avaient appliqué des sanctions contre son pays et avaient obtenu un énorme succès d'opinion publique interne. Ce qu'il ne voyait pas, ou faisait semblant de ne pas voir, était que l'entrée à Addis Abbeba ne signifiait rien puisque l'Éthiopie n'avait pas été pacifiée, que les possessions si lointaines augmentaient la vulnérabilité maritime de l'Italie et que la colonie aurait constitué un grave écueil pour un bilan déjà très déséquilibré, affaiblissant la position de l'Italie face à l'Allemagne et autres puissances occidentales[44]. À ce moment, beaucoup de membres du parti et des délégations étrangères comprennent que ce résultat aurait pu se révéler catastrophique, surtout après que Mussolini a commencé à parler et à agir comme si, ayant battu une armée mal équipée, mal organisé et incapable d'affronter une puissance européenne, il fut en état de défaire quiconque. Cet excès de confiance dans l'armée et le dilettantisme politique lui barrèrent chaque marge de manœuvre en politique externe et convainquirent les autres puissances européennes de se réarmer et de ne pas trop prendre sérieusement les déclarations du Duce[44].
Le succès facile en Éthiopie convainc Mussolini qu'avec son armée, la doctrine et l'organisation fasciste, il pouvait défier quiconque dans une guerre européenne et cela l'encourage dans sa tentative présomptueuse de jouer en Europe un rôle plus incisif que celui que les ressources lui aurait permis de terminer la guerre[44].
En , au sommet du consensus populaire au régime, qui avait obtenu la signature du Manifeste de la race de la part des grands exposants de la culture italienne entre le futur père de la Constitution Amintore Fanfani, le roi signe les lois raciales du gouvernement fasciste, qui introduisent des discriminations dans les rapports avec les Juifs[45]. De formation libérale, Victor-Emmanuel, est contrarié, mais sans le montrer publiquement, car ces dispositions annulaient un des plus grands apports de la Maison de Savoie au Risorgimento qu'est le principe de non-discrimination et de parité de traitement des sujets, indépendamment du culte professé établi en .
Avant l'invasion du gouvernement de Victor-Emmanuel en Éthiopie, celui-ci voyagea pour son soixante-cinquième anniversaire le [46],[47]. En , Victor-Emmanuel devient Empereur d'Éthiopie. Sa décision de faire cela n'est pas universellement acceptée, Victor-Emmanuel est seulement capable d'assumer la couronne après l'invasion de l'Abyssinie par les armées italiennes et le renversement d'Haile Sélassié durant la deuxième guerre italo-abyssinienne.
L'Éthiopie est ainsi intégrée à l'Empire italien. La Société des Nations condamne la participation de l'Italie dans cette guerre et la revendication italienne par la justice de conquérir l'Éthiopie est rejeté par de grandes puissances, telles que les États-Unis et l'Union soviétique, mais est acceptée par la Grande-Bretagne et la France en . En , l'Italie perd l'Éthiopie.
Le mandat d'action du vice-roi agissant en Afrique de l'Est italien, incluait l’Érythrée et la Somalie, qui est abandonnée aux aillées le . En , Victor-Emmanuel renonce sa revendication aux titres d'Empereur d'Éthiopie et Roi d'Albanie[48], en reconnaissant la légitimité de ses habitants.
En effet, l'actualisation des lois raciales est à la base d'une nouvelle aggravation entre la Couronne et le Duce, toujours plus fatigué par les obstacles à abattre (le principal étant l'opposition à l'Église catholique) et intentionné à cueillir le moment opportun pour instaurer un régime républicain.
En , l'Italie conquiert l'Albanie, de laquelle Victor-Emmanuel, aussi sceptique sur l'opportunité de l'entreprise « pour prendre quatre pierres », est proclamé roi. Le régime monarchique existant est renversé et l'Albanie est occupée par l'armée italienne[49].
La couronne du royaume d'Albanie est assumée par Victor-Emmanuel en quand les forces italiennes envahissent la monarchie voisine sans défense, de l'autre côté de la Mer Adriatique, causant la fugue du Roi Zog 1er.
En , à Tirana, le Roi échappe à une tentative d'assassinat perpétrée par le patriote albanais âgé de 19 ans Vasil Laçi[50]. Plus tard, cet attentat est cité par les communistes albanais comme un signe du mécontentement général sur la population opprimée. Une seconde tentative par Dimitri Mikhailiov en Albanie donne une excuse aux Italiens pour affirmer un lien possible avec la Grèce comme le résultat de l'absence de la monarchie lors de la guerre gréco-italienne.
« Il a fallu ma patience, avec cette monarchie remorquée. Je n’ai jamais fait de geste dur envers le régime. J’attends toujours parce que le roi a 70 ans et j’espère que la nature m’aidera, et quand la signature du roi remplacera la moins respectable du prince, nous pourrons agir. »
— Mussolini, Diaro di Ciano 1937-1943
Les rapports entre Victor-Emmanuel III et Mussolini ne vont jamais au-delà des rapports formels entre le chef d'État et le chef du gouvernement. Le roi, de formation libérale[51], durant toute la période fasciste, ne manque pas de rappeler positivement à Mussolini et ses collaborateurs l'expérience de l'État libéral. Victor-Emmanuel ne cache pas ses idées profondément anti-allemandes en général, et antinazies en particulier, idées qui se renforcent durant la visite d'État d'Hitler à Rome en . D'autre part, l'hostilité entre Hitler et Victor-Emmanuel III est réciproque[52] et plusieurs fois le dictateur autrichien naturalisé allemand et ses collaborateurs suggèrent à Benito Mussolini de se débarrasser de la monarchie[51].
Le chef du Fascisme médite déjà depuis longtemps sur l'abolition de l'institution monarchique, de façon à avoir un plus grand espace d'action, mais reporte de nombreuses fois la décision à cause de l'ample soutien populaire de la monarchie[53].
Le roi se montre particulièrement hostile aux innovations institutionnelles du régime, à l'introduction de nouveaux honneurs et cérémonies qui contribuent à renforcer le poids du chef du gouvernement, aux projets de « modification des coutumes italiennes », comme l'introduction du salut fasciste, la question du vouvoiement et, majoritairement, la question raciale[51],[54],[55],[56]. Cette opposition, bien que pas comprise de la population, mine les relations avec Mussolini et les éléments plus radicaux du parti fasciste, fidèles au programme ordinaire du parti et soutiens du choix d'un régime républicain.
Mussolini écrit que le souverain avait commencé à le détester depuis la loi de la constitution du Grand Conseil du fascisme (), mais retient que la vraie cause de fracture fut le titre de premier maréchal de l'Empire, approuvé un plébiscite de la Chambre le (sous l'impulsion de Starace, Costanzo et Galeazzo Ciano et en accord avec le Duce) et conféré au chef du gouvernement ainsi qu'au roi (selon Federzoni, alors président du Sénat, « on ne pouvait pas adresser un regard, du reste purement formel au Roi »[57]). Dans une rencontre privée, convoquée par Mussolini, Victor-Emmanuel III, pâle de colère, lui dit qu'il aurait préféré abdiquer plutôt que de subir cet affront[58].
Le , la rencontre de Victor-Emmanuel III et du pape Pie XII, la première d'un pontife au Quirinal après la prise de Rome, fut vue comme une tentative en faveur de la paix en Europe.
Victor-Emmanuel III inaugure la synagogue de Rome en et affirme ce jour-là que les juifs sont « pleinement » des Italiens[54]. En , Victor-Emmanuel visite Jérusalem en tant que prince, il est bien accueilli par les membres de la communauté juive de la ville. Au début de son mandat, en , le général Giuseppe Ottolenghi est nommé ministre de la Guerre et devient le premier juif à être nommé ministre. Entre le 28 mars 1905 et le 8 février 1906, Alessandro Fortis est le premier président du conseil des ministres d'Italie de confession juive. Son médecin privé est le professeur Shmuel Sirni (1870-1944), père du parachutiste Enzo Sirni.
Mais il y a le silence du roi lorsque l’Italie commence, sous la pression d’Hitler, à accepter les lois antisémites qui exposent ses sujets juifs à la persécution et à la destruction éventuelle, a été fortement critiqué. En privé, le roi se plaint de la législation antisémite à Mussolini, mais ne prend aucune autre mesure. L’acceptation des lois contredit le serment de Victor-Emmanuel lors de son entrée en fonction, et son serment à la constitution italienne.
Victor-Emmanuel III est lié par son rôle de souverain constitutionnel. Il signe les lois raciales en , approuvées par le parlement et filtré par les organes compétents de l'État. Personnellement, le roi n'était pas du tout raciste, son médecin de cour, le docteur Stukjold, était juif et était fier de sa famille qui, presque un siècle auparavant, a assuré avec la Constitution les droits civiques et politiques des citoyens du royaume, y compris les juifs. Pour quelques raisons, le souverain ne perd pas d'occasion de faire part au chef du gouvernement, Mussolini, de son propre désaccord, mais est aussi tenu par l'État à la promulgation de ces mesures et constatant avec frustration d'avoir peu de possibilité de s'opposer efficacement puisque, dans ce moment historique, le dictateur est au sommet de popularité, adoré par les masses et tenu en grande estime à l'extérieur, et indiqué comme « homme de la providence » par le pape. De la contrariété de Victor-Emmanuel, Galeazzo Ciano écrit dans son Journal 1937-1943, au jour du : « Je trouve le Duce indigné par le Roi. Trois fois, au cours de l’entretien de ce matin, le roi a dit au Duce qu’il ressentait une pitié infinie pour les Juifs […] Le Duce a déclaré qu’en Italie il y a 20 000 personnes avec un dos faible qui sont émus par le sort des Juifs. Le roi a dit qu’il en faisait partie. Puis le roi s’est également prononcé contre l’Allemagne, pour la création de la 4e division alpine. Le Duce était très violent dans les expressions contre la monarchie. Il réfléchit de plus en plus au changement de système. Ce n’est peut-être pas encore le moment. Il y aurait des réactions. »[51]
Cependant, la recherche historique nie ce que Galeazzo Ciano écrit dans son journal. De Felice note dans son Histoire des Juifs italiens sous le fascisme : « Deux grands obstacles sur la voie de la pleine réalisation de l'antisémitisme d'État […] étaient représentés par le roi et le Saint-Siège. » En ce qui concerne Victor-Emmanuel, ce fut simple et rapide : Mussolini envoya Buffarini-Guidi à San Rossore, où se trouvait alors le roi. La rencontre entre les deux fut rapide et se termina comme Mussolini l'avait prévu. Victor-Emmanuel fit une résistance timide mais, informé de la manière dont le Duce entendait mettre en place la politique antisémite, il céda immédiatement, se limitant à une invitation à reconnaître les mérites de ceux qui s'étaient distingués par leur patriotisme et s'exprimant en termes pleinement favorables à l'adoption des lois contre les Juifs de nationalité italienne. Le roi déclare textuellement « Je suis vraiment heureux que le Président ait l'intention de rendre hommage à ces Juifs qui se sont distingués par leur attachement à la patrie ». Il fut beaucoup plus difficile de surmonter l'obstacle du Saint-Siège, ou plutôt de Pie XI.
Une fois les lois promulguées, la discrimination a frappé les juifs italiens dans leurs droits, leur liberté et leur dignité, sans pour autant atteindre l'enfermement et l'élimination physique des sujets « non-aryens », du moins tant que le royaume d'Italie restait intact et autonome du Reich. Cette étape n'a été franchie qu'avec la proclamation de la république de Salò. L'Italie brisée en deux, dans le royaume du Sud, le roi, qui n'en avait pas voulu, a enfin pu prévoir l'annulation des abominables lois raciales en .
À l'occasion de la journée de mémoire de 2021 Emmanuel Philibert de Savoie, dans une lettre à la communauté juive de Rome, s'est dissocié des lois raciales au nom de la famille de Savoie : « Je condamne les lois raciales de 1938, dont je porte encore tout le poids sur mes épaules et avec moi toute la Maison royale de Savoie et je déclare solennellement que nous ne nous reconnaissons pas dans ce qu'a fait Victor Emmanuel III : une signature douloureuse, dont nous nous dissocions fermement, un document, une ombre indélébile pour ma famille, une plaie encore ouverte pour toute l'Italie »[59],[60],[61].
Le , Victor-Emmanuel se rend à Tripoli, en Libye, avec sa femme Elena et ses filles. À Tripoli, il est accueilli par de nombreux civils et écoliers et, une parade militaire est organisée en son honneur, parade à l’issue de laquelle il rencontre les dignitaires de la ville, y compris des représentants de la communauté juive et le rabbin Yitzhak Chai Buchbaza. Dans les jours qui suivent, du au , il visite les petites villes autour de Tripoli, où des réceptions sont également organisées. Dans l’après-midi du , il visite l’ancienne ville de Tripoli, des mosquées et des églises. Lors de sa visite à la communauté juive et à la synagogue locale, il est accueilli par les dignitaires de la communauté, dirigés par le rabbin Yitzhak Chai Buchbaza.
La monarchie italienne bénéficie d’un soutien populaire pendant des décennies[44]. Les étrangers observent que les images d’actualités des années 1930 du roi Victor-Emmanuel et de la reine Elena suscitent applaudissements et acclamations, contrairement au silence hostile montré envers les images des dirigeants fascistes.
Le , le Parlement italien établit le grade de premier maréchal de l’Empire pour Victor-Emmanuel et Mussolini. Ce nouveau grade est le plus haut de l’armée italienne.
Avec le Pacte d'Acier signé le [62], qui était une alliance offensive et défensive avec l’Allemagne, l'Italie aurait été obligée de suivre l'Allemagne ans la guerre en 1939. Comme le Pacte de l'Acier était signé, le Ministre des Affaires Etrangères, Joachim von Ribbentrop, dit à Mussolini qu'il n'y aurait pas de guerre jusqu'en ou , mais l'ambassadeur italien à Berlin, Baron Bernardo Attolico, averti Rome que l'information qu'il avait entendu des sources du gouvernement allemand suggérait qu'Hitler avait l'intention de voir la crise de Dantzig s'intensifier en une guerre la même année[62]. Entre le 11 et le , le ministre des Affaires étrangères, Conte Galeazzo Ciano, rend visite à Hitler au Berghof, et apprend que, dans un premier temps, l'Allemagne avait décidé d'envahir définitivement la Pologne ce même été[62]. Mussolini était préparé d'abord à suivre l'Allemagne dans la guerre en , mais il fut bloqué par Victor-Emmanuel[62]. Lors d'une rencontre avec le Conte Ciano le , le roi déclare que « nous ne sommes absolument pas en état de faire la guerre ». Il déclare que l'armée du royaume était « pitoyable » et que l'Italie n'était pas prête à faire la guerre, qu'il ne serait pas rentré dans le conflit à venir, et qu'au moins il était clair qu'ils n'allaient pas la gagner[62]. De manière importante, Victor-Emmanuel déclara qu'en tant que roi d'Italie, il était le commandant en chef suprême, et il voulait être impliqué « dans toutes les décisions », qu'il avait un droit de veto sur chaque décision que Mussolini pourrait prendre en dehors de la guerre[62]. Le , Ciano écrit dans son journal qu'il a informé Mussolini, « furieusement belliqueux », que le roi était contre l'entrée en guerre de l'Italie en , forçant le Duce à concevoir que l'Italie se serait déclarée neutre. Au contraire de l'Allemagne où, depuis , les officiers avaient prêté serment de loyauté personnelle à Hitler, les officiers de l'armée royale, la marine royale et l'aéronautique royale avaient tous prêtés serment de loyauté au roi et non à Mussolini[62]. La grande majorité des officiers italiens, dans toutes les trois catégories, voyaient Victor-Emmanuel comme un opposant à Mussolini et comme le principal locus de leur loyauté, permettant au roi pour de prendre des décisions que Mussolini désapprouvaient[62].
L'Italie se déclare neutre en , mais Mussolini fait comprendre qu'il voulait intervenir aux côtés de l'Allemagne tout en promettant qu'il ne ferait pas pression sur les ressources italiennes (le coût de la guerre en Éthiopie et en Espagne avait poussé l'Italie à la banqueroute en [62]). Le , Mussolini rencontre Hitler à un sommet au Col du Brenner et lui promet que l'Italie rentrerait prochainement dans la guerre[62], Victor-Emmanuel avait de forts doutes sur la sagesse d'entrer dans la guerre et, en , il sous-entend à Ciano qu'il considérait la démission de Mussolini, comme l'écrit Ciano dans son journal : « le roi pense qu'il faut nécessairement qu'il intervienne à un moment pour mener les choses dans une direction différente, il préparait de faire cela rapidement ». Victor-Emmanuel espère qu'un vote contre l'entrée de l'Italie en guerre aurait été inscrit dans le Grand Conseil fasciste, comme il savait que les hiérarchies Cesare Maria De Vecchi, Italo Balbo et Emilio de Bono étaient tous contre la guerre, mais il refuse d'insister à appeler le Grand Conseil comme une condition préalable en donnant son consentement de déclarer la guerre[39]. Le , Mussolini soumet à Victor-Emmanuel une longue note argumentant que l'Italie, pour achever son espace vital recherché depuis longtemps, doit entrer en guerre aux côtés de l'Axe cette année[62]. Cependant, le roi reste absolument opposé à l'entrée en guerre de l'Italie jusqu'en , à la frustration intense de Mussolini[62]. À un moment, Mussolini se plaint à Ciano, qu'il y ait deux hommes, Victor-Emmanuel et le pape Pie XII, qui l'avait prévenu de ce qu'il voulait faire. En conduisant l'État, il voulait « faire sauter » la Couronne et l'Église catholique[62].
Victor-Emmanuel était un homme prudent, il avait toujours consulté tous les savants capables de lui faire prendre une décision[réf. nécessaire]. Ici, les officiers supérieurs des forces armées l'informent des déficiences de l'armée italienne[39]. Le , l'Allemagne lance une offensive majeure dans les Pays-Bas et la France. Comme la Wehrmacht continuait d'avancer en France, l'opposition du roi d'Italie d'entrer en guerre commence à l'affaiblir mi-mai 1940. Mussolini argumente en qu'il était évident que l'Allemagne allait gagner la guerre, que c'était une chance incomparable pour l'Italie d'avoir des gains majeurs face à l’expansion de la France et de la Grande-Bretagne, qui permettrait à l'Italie de devenir la puissance dominante sur la Méditerranée[62]. Le , Victor-Emmanuel donne à Mussolini la permission d'entrer en guerre, bien que le roi retienne le commandement suprême et qu'il donne seulement à Mussolini le pouvoir sur les questions politiques et militaires[62]. Le délai de dix jours entre la permission du roi d'entrer en guerre et la déclaration de guerre est causé par une demande de Mussolini de lui donner les pouvoirs de commandement suprême, une tentative de prendre une prérogative royale que Victor-Emmanuel rejetait. Le compromis trouvé a été de ne donner à Mussolini que les pouvoirs de commandement opérationnels[39].
Le , ignorant les conseils indiquant que le pays n'est pas préparé, Mussolini pris la décision de faire rentrer l'Italie dans la Seconde Guerre mondiale aux côtés de l'Allemagne nazie. Dès le début, les désastres s'enchainent. La première offensive italienne, une invasion de la France, lancée le , se termine dans une défaite complète. C'est seulement le fait que la France signe un armistice avec l'Allemagne le , suivie par un autre armistice avec l'Italie le qui permet à Mussolini de se présenter comme victorieux[62]. Victor-Emmanuel critique brusquement l'expression d'« armistice franco-italienne », en disant que l'Italie occupait la Tunisie, la Corse et Nice, bien que le fait que l'armistice lui permette de proclamer une victoire sur la France était une source de nombreux plaisirs. En et , les armées italiennes en Afrique du Nord et en Grèce souffrent de défaites humiliantes. À la différence de son opposition de rentrer en guerre avec des puissances majeures comme la France et la Grande-Bretagne (qui pouvaient battre l'Italie), Victor-Emmanuel approuve le plans de Mussolini d'envahir la Grèce pour s'en retirer une fois envahie[62]. À travers la police paramilitaire, Victor-Emmanuel est bien informé sur l'état de l'opinion publique et, à partir de l'automne , il reçoit par correspondance des rapports disant que la guerre avec le régime fasciste devenait de plus en plus[Quoi ?] auprès les italiens[39]. Quand Mussolini fait de Pietro Badoglio le bouc émissaire de la défaite lors de l'invasion de la Grèce et il le renvoie de son poste de chef d'État-Major en , Badoglio appelle le roi à l'aide. Victor-Emmanuel refuse d'aider Badoglio, en lui disant que Mussolini arrangerait la situation comme il le faisait dans le passé[39]. En , le roi admet à son aide de camp, le général Paolo Puntoni, que la guerre ne va pas bien et qu'elle devenait très impopulaire. Cependant, il décide de garder Mussolini comme premier ministre car il n'y avait aucun remplacent pour lui[39]. Le roi avait supporté le fascisme car il craignait que le fascisme mette fin à la monarchie puisque les parties antifascistes étaient républicains[39].
Durant l'invasion de la Yougoslavie en , Victor-Emmanuel se rend dans une villa qui appartient à la famille Biroli Pirzio à Brazzacco au lieu d'être sur le front[63]. En , Victor-Emmanuel III donne la permission à son cousin, impopulaire, le prince Aymon, de devenir roi de Croatie sous le titre de Tomislav II, dans l'intention de le faire partir de Rome, mais Aymon ne répondra pas à son ambition en n'allant jamais en Croatie pour recevoir la couronne[39]. Pendant un voyage dans les nouvelles provinces qui ont été annexées à l'Italie sur la Yougoslavie, Victor-Emmanuel III commente la politique fasciste envers les Slovènes et les Croates qui se dirigent alors vers la rébellion. Cependant, cela ne changea pas l'intervention militaire ni sa politique[39]. Le , l'Allemagne lance l'opération Barbarossa, l'invasion de l'Union soviétique. Mussolini devrait affronter le roi pour une déclaration de guerre, et envoyer une force expéditionnaire italienne sur le front de l’Est. En effet, Victor-Emmanuel voulait revendiquer qu'il irait avec seulement une petite force en Union soviétique, à la place des 10 divisions que Mussolini avait envoyées[39].
En , l'Italie perd ses colonies en Afrique de l'Est. La perte de ces colonies ainsi que les défaites en Afrique du Nord et dans les Balkans, causèrent une perte de confiance immense dans la capacité de Mussolini à gouverner, et beaucoup d'officiers supérieurs tels que Emilio de Bono et Dino Grandi espèrent au printemps que le roi le renvoie afin de sauver le régime fasciste[39]. À l'été , les généraux des carabiniers disent au roi que les carabiniers sont prêts à agir comme une force de frappe pour un coup d'état contre Mussolini, en disant que si la guerre continuait, cela causerait une révolution qui balayerait à la fois le régime fasciste et la monarchie[39]. Victor-Emmanuel refuse son offre et, en , quand le Conte Ciano lui dit que la guerre est perdue, il le critique pour « défaitisme », en disant qu'il croyait toujours en Mussolini[39]. Le , Victor-Emmanuel accepte plutôt aisément la demande de Mussolini de déclarer la guerre aux États-Unis[39]. Le roi croyait que les Américains suivraient la stratégie « Asie d'abord », consistant à concentrer tous leurs efforts sur le Japon en revanche à Pearl Harbor : déclarer la guerre aux États-Unis était donc une décision sans risque[39]. Le roi était satisfait que le Japon entre en guerre, supposant que le fait que les colonies britanniques en Asie soient en danger forcerait les Anglais à redéployer leurs forces en Asie, permettant ainsi finalement la conquête de l'Égypte par l'Axe[39]. Le maréchal Enrico Caviglia écrit dans son journal que la manière avec laquelle Victor-Emmanuel avait refusé d'agir contre Mussolini, en dépit du fait qu'il gérait mal la guerre, était « criminelle »[39]. Un journaliste italien[Qui ?] se souvient que, dès l'automne , il ne connaissait personne qui ressente rien de plus que « du mépris » pour le roi qui était peu disposé à se dissocier du fascisme.
L'historien anglais Denis Mack Smith écrit que Victor-Emmanuel avait tendance à procrastiner quand il se trouvait face à des choix difficiles, et sa réticence au renvoi de Mussolini, malgré la pression croissante de l’élite italienne, était sa façon d’essayer d’éviter de prendre une décision[39]. De plus, Victor-Emmanuel avait beaucoup de respect pour Mussolini, qu’il considérait comme son premier ministre le plus compétent, et semblait redouter de s’en prendre à un homme dont l’intelligence était plus grande que la sienne[39]. Dans une conversation avec le nonce apostolique, le roi a expliqué qu’il ne pouvait pas signer un armistice parce qu’il détestait les États-Unis, démocratie dont les dirigeants étaient responsables devant le peuple américain, parce que la Grande-Bretagne était « pourrie jusqu’au cœur » et cesserait bientôt d’être une grande puissance, et parce que tout ce qu’il n’arrêtait pas d’entendre sur les pertes massives subies par l’Armée rouge l'avait convaincu que l’Allemagne gagnerait au moins sur le front de l’Est[39]. Une autre excuse utilisée par Victor-Emmanuel était que Mussolini était prétendument toujours populaire auprès du peuple italien et que cela offenserait l’opinion publique s’il renvoyait Mussolini. Le Vatican était favorable à la sortie de l’Italie de la guerre en , mais les diplomates pontificaux ont déclaré à leurs homologues américains que le roi était « faible, indécis et excessivement dévoué à Mussolini[39] ».
À l'été , lors d'une audience privée avec Victor-Emmanuel, Filippo Grandi lui demande de renvoyer Mussolini et de signer un armistice avec les Alliés avant que le régime fasciste ne soit détruit, ce à quoi le roi lui répond de « faire confiance à votre roi » et « d’arrêter de parler comme un simple journaliste »[39]. Filippo Grandi dit à Ciano que le roi doit être « fou » et / ou « sénile » car il était totalement passif, refusant d’agir contre Mussolini[39]. À la fin de l'année , la Libye italienne est perdue. Lors de l’opération Anton du , la partie inoccupée de la France est occupée par les forces de l’Axe, ce qui permet à Victor-Emmanuel de proclamer dans un discours que la Corse et Nice sont enfin « libérées »[39]. Au début de l'année , les dix divisions de l’armée italienne en Russie (Armata Italiana in Russia, ou ARMIR) sont écrasées lors d’une action parallèle à la bataille de Stalingrad. Au milieu de l’année , les dernières forces italiennes en Tunisie se rendent et la Sicile est prise par les Alliés. Gênée par le manque de carburant ainsi que par plusieurs défaites graves, la marine italienne passa la majeure partie de la guerre confinée au port. En conséquence, la mer Méditerranée n’était pas vraiment la Mare Nostrum italienne. Bien que l’armée de l’air ait généralement fait mieux que l’armée ou la marine, elle manquait d’avions modernes.
Alors que la probabilité d'une victoire italienne se détériore, la popularité du roi en souffre, comme l'atteste une chansonnette de café :
Quand notre Victor était simple roi,
Le café était une chose courante.
Quand empereur, il a été fait,
L’odeur du café s’est estompée.
Depuis qu’il a obtenu le trône d’Albanie,
Même l’odeur s'est envolée.
Et si nous avons une autre victoire,
Nous allons aussi perdre notre chicorée.
Victor-Emmanuel est forcé de concéder que Mussolini avait pris un virage « pour le pire », qu’il impute à « cette femme » comme il appelait la maîtresse de Mussolini, Clara Petacci[39]. Le , le roi envoie à Mussolini une lettre disant que l’Italie doit signer un armistice et quitter la guerre[39]. Le , Filippo Grandi voit le roi et lui dit qu’il doit renvoyer Mussolini avant que le système fasciste ne soit détruit. Lorsque le roi rejette cette voie au motif que le Grand Conseil fasciste ne voterait jamais contre Mussolini, Filippo Grandi lui assure que ce serait le cas, affirmant que la majorité des dirigeants étaient maintenant contre Mussolini[39]. En utilisant le Vatican comme intermédiaire, Victor-Emmanuel contacte les gouvernements britanniques et américains en pour leur demander si, en tant qu'alliés, ils sont prêts à voir la maison de Savoie continuer de gouverner après la guerre[39].
Lorsque le roi visite les quartiers bombardés de Rome, il est hué par ses sujets qui le blâment pour la guerre, ce qui fait s’inquiéter Victor-Emmanuel de la possibilité d’une révolution qui pourrait amener une république[39]. À cette époque, des plans sont discutés au sein de l’élite italienne pour remplacer Mussolini. Victor-Emmanuel déclare qu’il veut maintenir le système fasciste après avoir rejeté Mussolini, et qu'il cherche à corriger seulement quelques-uns de « ses aspects délétères »[39]. Les deux remplaçants évoqués pour Mussolini sont le maréchal Pietro Badoglio et son rival, le maréchal Enrico Caviglia. Comme le maréchal Caviglia était l’un des rares officiers du Regio Esercito à garder ses distances avec le régime fasciste, il était inacceptable pour Victor-Emmanuel qui voulait un officier engagé dans la défense du fascisme, ce qui l’a conduit à choisir Badoglio qui avait loyalement servi Mussolini et commis toutes sortes d’atrocités en Éthiopie, mais qui avait une rancune contre Il Duce pour avoir fait de lui le bouc émissaire de l’invasion ratée de la Grèce en [39]. En outre, Badoglio était un opportuniste qui était bien connu pour sa flagornerie envers ceux qui étaient au pouvoir, ce qui a conduit le roi à le choisir comme successeur de Mussolini car il savait que Badoglio ferait n’importe quoi pour avoir le pouvoir alors que Caviglia avait une réputation d’homme de principes et d’honneur[39]. Le roi pensait que Badoglio en tant que premier ministre obéirait à tous les ordres royaux alors qu’il n’était pas si certain que Caviglia ferait de même[39]. Le , lors d’une réunion secrète, Victor-Emmanuel dit à Badoglio qu’il prêterait bientôt serment en tant que nouveau premier ministre italien et que le roi ne voulait pas de « fantômes » (c’est-à-dire de politiciens libéraux de l’ère pré-fasciste) dans son cabinet[39].
Le Grand conseil du Fascisme envisage de rompre avec Mussolini. Il est convoqué pour le 24 juillet 1943.
Le matin du a lieu la rencontre la plus importante : celle entre le roi et Mussolini, qui voulait lui rendre le résultat de la rencontre de Feltre. Le contenu de la conversation reste inconnu mais, selon Badoglio, il est possible que le Duce ait apaisé les craintes du roi, lui promettant de désengager l’Italie de la guerre à partir du . Les deux mois de délais s’expliqueraient par le fait que les sondages auprès des Alliés, entrepris par Bastianini, portaient lentement leurs fruits ; de l’autre côté, Mussolini aurait eu besoin de plus de temps pour se justifier lui-même et l’Italie devant le monde pour sa trahison. Apparemment, le roi est d’accord avec lui : cela expliquerait pourquoi Mussolini ne semblait pas du tout préoccupé par l’issue de la session du Grand Conseil. En effet, sans l’aide du roi, le coup d’État militaire était voué à l’échec. Quoi qu’il en soit, à la fin de l’audience, les deux hommes sortent confortés dans leurs conclusions opposées : alors que Mussolini est convaincu que le roi est toujours de son côté, Victor-Emmanuel est déçu que du Duce n’ait pas démissionné.
Le roi est alors contraint d'envisager sérieusement le putsch comme une option : il est au courant des tentatives de Bastianini avec les Alliés, tandis que Roberto Farinacci, fasciste de la ligne dure, organise un putsch pour les déposer, lui et Mussolini, dans le but de mettre l’Italie sous contrôle direct allemand. La décision finale est prise après avoir appris que le Grand Conseil adopterait la motion de Grandi.
Grandi se rend au Palazzo Venezia. La raison officielle est la présentation à Mussolini d’un nouveau livre. La durée prévue n'est que de 15 minutes, mais la rencontre se poursuit jusqu’à 18h45 ; là attend d’être reçu le maréchal allemand, Albert Kesselring. Bien qu'en , dans ses mémoires, Mussolini ait nié qu’on ait parlé de l'ordre du jour de Grandi, cela reste peu fiable : il est plus crédible que Grandi, qui aimait le Duce, lui ait donné une dernière chance d’éviter l’humiliation et de démissionner, de sorte que le Grand Conseil serait superflu. Mussolini aurait écouté Grandi lui expliquer la nécessité de démissionner pour éviter la catastrophe, mais il aurait rétorqué que ses conclusions étaient erronées, l’Allemagne ayant commencé à produire des armes secrètes qui renverseraient le cours du conflit. Puis, Mussolini rencontra Kesselring et Chierici, le chef de la police. Ce dernier aurait confié qu’il serait facile de faire reculer Grandi, Bottai et Ciano, impatients d’être rassurés par lui. Le matin du , Mussolini accepte la démission de Cini : c'est un signal direct à ses adversaires.
Ces nouvelles défaites incitent le Grand Conseil du fascisme à voter contre le soutien à la politique de Mussolini (). Le même jour, Victor-Emmanuel prend acte de la démission de Mussolini qui, placé en détention[64], reconnait sa loyauté envers le roi et le nouveau gouvernement Badoglio. En juin, Victor-Emmanuel avait intensifié ses contacts avec des antifascistes, directement ou par l’intermédiaire du ministre de la Maison de l'Aquarone.
La reine Hélène a raconté dans une interview de mars 1950, publiée dans L’Histoire illustrée de juillet 1983, les vingt minutes de la rencontre entre Victor-Emmanuel III et Benito Mussolini, ainsi que la destitution et l’arrestation de ce dernier :[réf. nécessaire]
« Nous étions dans le jardin. Il ne m’avait encore rien dit. Quand Acquarone émotif nous a rejoints, il a dit à mon mari : « Le général des carabiniers souhaite, avant l’arrestation de Mussolini, l’autorisation de Votre Majesté ». Je suis restée de pierre. Il me vient ensuite à trembler quand j'entendis mon mari répondre « Tout va bien. Quelqu’un doit prendre ses responsabilités. Je l’assume. » Là, ensuite, je gravissais l'escalier avec le général. Je traversais l'entrée quand Mussolini entra. J'allais à la rencontre de mon mari. Et mon mari lui dit « Cher Duce, L'Italie va en touche… » Je ne l'avais jamais entendu l'appeler ainsi, mais toujours « Excellence ». Entre-temps j'allais au premier étage, tandis que ma dame d’honneur, Jaccarino, s’attardant dans la salle, était restée en bas et ne pouvait plus bouger. Plus tard, elle m'a tout rapporté. Elle m'a dit que mon mari avait perdu son sang-froid et s'était mis à crier sur Mussolini, lui a finalement fait part qu'il le destituait et qu'il mettait Pietro Badoglio à sa place.
Quand la Jaccarino m’a rejoint, par la fenêtre d’une salle, nous avons vu mon mari calme et serein, qui accompagnait sur les marches de la villa, Mussolini. L’entretien avait duré moins de vingt minutes. Mussolini semblait âgé d’une vingtaine d’années. Mon mari lui serra la main. L’autre a fait quelques pas dans le jardin, mais a été arrêté par un officier des carabiniers suivi de soldats armés. Le drame s’était réalisé. Je me sentais bouillir. Je n’ai pas frappé de justesse[Quoi ?] mon mari qui rentrait. « C’est fait », dit-il doucement. « Si, vous deviez le faire arrêter, lui criai-je à pleine voix, indignée, cela devait se faire devant notre maison. Ce que vous avez fait n’est pas un geste de souverain… ». Il a répété « C’est fait maintenant » et a essayé de me prendre sous le bras, mais je me suis éloigné de lui, « Je ne peux pas accepter un tel fait », j’ai dit « mon père ne se serait jamais comporté ainsi » puis je suis allée m’enfermer dans ma chambre. »
La nomination de Badoglio ne signifie pas une trêve, bien qu’il s’agissait d’un élément de la manœuvre savoyarde pour parvenir à la paix. À travers un grand nombre d'artifices, on[Qui ?] cherche un contact productif avec les puissances alliées, en essayant de reconstituer au passage des négociations (toujours appelées spontanées et indépendantes) déjà tissées par Marie-José, l'épouse d’Humbert de Savoie, qui pourraient cette fois mériter l'aval du roi. Le général Castellano est envoyé à Lisbonne pour rencontrer les envoyés alliés mais il ne peut pas mettre en œuvre la mission avec la précision que la situation dramatique exige. Castellano, en effet, n'est autorisé à atteindre le territoire neutre qu'en train et met trois jours pour atteindre Madrid, puis Lisbonne. Castellano ne parle pas anglais et peut se servir comme traducteur et assistant le consul Franco Montanari (qui l’accompagnera plus tard jusqu'à Cassibile). Ce n’est que le qu’il se joint aux représentants du commandement allié. Il repart le 23, arrivant finalement à Rome le . La mission a duré quinze jours. Pendant ce temps, pour rejoindre l’envoyé italien, le général Rossi et le général Zanussi ont été envoyés à Lisbonne par avion, se présentant aux représentants alliés alors que Castellano était nouvellement pour Rome. Ce choix engendre également une certaine perplexité parmi les Alliés. En particulier, le général Zanussi, déjà attaché militaire à Berlin, n'est pas bien vu par les Alliés. Confus par l’envoi de délégations aussi proches et sans coordination[65], l’ambassadeur britannique Ronald Campbell et les deux généraux envoyés dans la capitale portugaise par le général Dwight David Eisenhower, l’Américain Walter Bedell Smith et le Britannique Kenneth Strong, reçoivent la disponibilité de Rome à la capitulation[66].
La proposition de capitulation n’était en réalité pas considérée avec beaucoup d'exaltation de la part des Alliés, car le sort de la guerre était déjà évidemment marqué vers une probable défaite prochaine des armées italiennes. Quoi qu’il en soit, la reddition aurait signifié une accélération du cours de la guerre vers la défaite allemande, même si elle pouvait limiter en partie les avantages que les forces alliées avaient l’intention de tirer de la victoire militaire[67].
Des commentaires ultérieurs[Lesquels ?] faisant autorité, ainsi que la commémoration après la guerre par les acteurs concernés (dont l’un était Eisenhower), il a été déduit que c’était l’incertitude dans les relations entre les puissances alliées et l’intention d’éviter, la guerre étant encore ouverte, des conflits d'intérêts dangereux qui poussait les Alliés à accepter d’en parler avec une attention concrète. Si l’Italie avait été conquise, par exemple, par les États-Unis (déjà en position de suprématie militaire dans l’alliance), l’Angleterre et l’URSS auraient évidemment fait valoir leurs positions pour s’assurer que leurs acquisitions stratégiques seraient équilibrées et ils se seraient battu en leur nom, peut-être même contre les Américains eux-mêmes. De plus, dans une éventuelle partition, il fallait absolument éviter (selon les autres[Qui ?]) que l’Italie tombe aux mains des Britanniques, car Londres aurait pu monopoliser le trafic commercial, colonial et surtout pétrolier de la Méditerranée. Si Yalta n’était pas encore à la vue, on commençait à en sentir l’approche[67]. Accepter la capitulation (en renonçant à conquérir militairement l’Italie) est donc devenu le choix le plus utile, pour lequel dépenser beaucoup d’énergie diplomatique, tant du côté américain que des autres alliés.
Le 30 août, Badoglio convoque Castellano, rentré le 27 de Lisbonne avec quelques perspectives. Le général a fait la demande d’une réunion en Sicile, qui a déjà été conquise. La proposition est présentée par les Alliés par l’intermédiaire de l’ambassadeur britannique au Vatican, D’Arcy Osborne, qui a coopéré étroitement avec son compatriote américain Myron Charles Taylor. On[Qui ?] a conjecturé que le choix même de ce diplomate n’avait pas été fortuit, ce qui signifiait que le Vatican, déjà par l’intermédiaire de Montini bien plongé dans des négociations diplomatiques pour l’avenir de l’après-guerre et soupçonné par le Quirinale d’avoir opposé la paix lors de négociations antérieures, a cette fois approuvé, ou du moins n’avait pas l’intention d’entraver, la poursuite d’un tel objectif.
Face à l’avancée incessante alliée et à la campagne de bombardements aériens et navals qui envahit le reste de l’Italie, avant même que Catane ne soit occupée par les Britanniques le et que le dernier volet de terre sicilien ne soit évacué par les forces de l’Axe (occupation de Messine le ), le roi décide finalement de se débarrasser de celui que les Italiens considèrent comme le premier responsable de la catastrophe, en dénonçant et en faisant arrêter Benito Mussolini le , juste après la méfiance qui lui avait été décrétée à la majorité la veille par le Grand Conseil du fascisme lui-même, à l’initiative de Dino Grandi. Le même Grandi, interrogé par le souverain sur la situation, l’avertit dès le du danger imminent et grave qui courait sur la nation si la chute de Mussolini n’était pas suivie d’un armistice avec les Alliés et de la rupture avec les Allemands et si les armes n’avaient pas été résolument dirigées contre eux[68] :
« Si notre armée ne se défend pas et ne contre-attaque pas les forces d’invasion allemandes qui traversent déjà le Brenner, et que simultanément le gouvernement ne prend aucun contact sérieux avec les Alliés, je prévois des jours formidables pour la nation. »
— Dino Grandi
Mussolini est remplacé de manière expresse à la tête du gouvernement par le maréchal d’Italie Pietro Badoglio, un militaire piémontais largement compromis dans les initiatives du régime fasciste. Malgré la lourde peine amenée par ceux-ci durant la campagne de Grèce, il est préféré par le souverain à Enrico Caviglia, qui a un grade identique et pour lequel Grandi avait loué la candidature mais qui semble suspect pour être « trop anglophile ».
Le , le gouvernement Badoglio communique avoir décidé de déclarer Rome « ville ouverte », en demandant à tous les belligérants de respecter cette déclaration. Le , les Américains effectuent sur la ville une nouvelle et très lourde incursion aérienne[69].
Le , est alors ratifié un communiqué officiel dans lequel on lit que, « en raison du manque de considération de la demande du 31 juillet », le gouvernement italien se voyait « contraint à la proclamation unilatérale, formelle et publique de Rome ville ouverte, en prenant les mesures nécessaires aux normes du droit international ». Le est ratifié un autre communiqué officiel, dans lequel on informe que, à l'occasion des survols des avions ennemis sur la capitale, il n'y aurait aucune manifestation de défense contre ceux-ci.
La ville n'a pas été nouvellement bombardée jusqu'à la libération, advenue le .
Entre-temps, ayant vérifié l'incapacité ou le manque de volonté du roi et du gouvernement Badoglio à pourvoir adéquatement au grave danger qui menaçait le Pays, Grandi va au Portugal sur ordre du Roi, afin de prendre contact avec les Anglais[70].
À cause de l'avancée des Alliés dans le Sud de l'Italie, le gouvernement italien, mis sous pression par le général Eisenhower[71], le [5], signe à Cassibile la première version d'un armistice avec les Anglais et les Américains (nommé armistice court), mais cette première version sera abandonnée du fait de l'alliance avec les Allemands. L'accord est signé par le général Giuseppe Castellano. Le , les Alliés annoncent la signature de l'armistice, contrairement à ce qu'avait calculé Badoglio.
L'armistice avait été tenu secret pendant quelques jours dans l'espoir vain de tenir les Allemands dans l'ignorance, alors qu'au contraire ils préparaient secrètement l'opération Alaric, visant à prendre le contrôle complet de l'Italie. Cette opération était articulée en trois axes, avec l'objectif de capturer la flotte militaire italienne. Schwartz devait désarmer l'armée italienne, Eiche libérer Mussolini et Student prendre le contrôle de tout le territoire italien encore non envahi par les Alliés, instaurant un nouveau gouvernement fasciste (qui ne prévoyait pas une présence monarchique). On voulait en effet donner à l'armée italienne le temps de s'organiser contre la réaction des nazis, craignant la réaction allemande. Les opérations dans ce but étaient confiées au Maréchal Badoglio qui avait pris le poste de Mussolini le comme chef du gouvernement.
L'armée, laissée sans un plan clair d'action de riposte à une offensive de l'ex-allié allemand, se trouva désorientée pour affronter les coups des nombreuses unités allemandes qui avaient été envoyées en Italie au lendemain de la chute de Mussolini. En effet, Badoglio, qui retenait les Allemands alors qu'il aurait convenu de se retirer de l'Italie, comme aurait souhaité Rommel, communiqua que les troupes italiennes ne devaient pas prendre l'initiative d'attaques contre l'ex-allié, mais se limiter à répondre.
Entre la nuit du 8 au 9, le roi, après une hésitation initiale et convaincu par Badoglio de la nécessité de ne pas tomber dans les mains allemandes, Victor-Emmanuel fuit Rome pour aller vers Brindisi, ville libre du contrôle allemand et non occupée par les Anglo-Américains. Arrivant au matin du dans le bourg des Abruzzes de Crecchio à quelques kilomètres d'Ortona, il est invité au château ducal de la famille des ducs de Bovino. L'État-Major réplique au contraire à Chieti, à une trentaine de kilomètres de Crecchio, près du Palais Mezzanotte. Il passe une journée au château, jouissant de toutes les faveurs disponibles à sa personne.[pertinence contestée] Victor-Emmnanuel poursuit ensuite sa fugue, embarquant à Ortona sur la corvette Baionetta. À la tête de la défense de Rome, déclarée ville ouverte, le Roi laissa son gendre, le général Giorgio Carlo Calvi de Bergolo, commandant du corps d'armée de la ville. Toutefois, le maréchal Badoglio, qui croyait probablement encore pouvoir atteindre un quelconque accord avec l'Allemagne, ne donne pas l'ordre d'appliquer le plan militaire élaboré par le haut commandement pour affronter un changement éventuel de front[72]. Suivent de dures représailles allemandes contre l'armée italienne, la plus connue étant le massacre de la division Acqui, aussi appelé massacre de Céphalonie.
Le , les Allemands libèrent Mussolini au cours d'une opération militaire au Campo Imperatore. Le , Mussolini proclame la naissance de la République sociale italienne à Salò, divisant ainsi de fait l'Italie en deux. Cette situation se termine le , quand une offensive alliée et de l'armée du royaume, reconstruite grâce à l’insurrection générale proclamé par le Comité de libération nationale, amènent les troupes de l'Axe à la capitulation.
« Juste après six heures, des soldats, debout sur les trottoirs devant les bâtiments du ministère de la Guerre et de l'état-major, saluent ; mais les autres, pour la plupart, restent tels qu'ils sont, la casquette de travers, le visage sombre, les mains dans les poches. Ils flairent la fuite des dirigeants. »
— Témoignage du général Giacomo Zanussi, officier responsable du chef d'état-major Mario Roatta, en fuite avec son supérieur, rapporté dans Arrigo Petacco, La Seconde Guerre mondiale, Armando Curcio Editore, Rome, p. 1171
Le soir du 8 septembre 1943, coïncidant avec l'annonce de l'armistice signé cinq jours plus tôt, divers commandements et garnisons italiens à l'intérieur et à l'étranger sont attaqués ou débordés par les Allemands, de sorte que le roi et le gouvernement Badoglio craignent un coup de main nazi pour s'emparer de la capitale (l'intervention qui a alors eu lieu en même temps et s'achève le ). Au lieu d'organiser la défense de la capitale — ce qui était également militairement possible, comme l'attestèrent plus tard les Allemands eux-mêmes, ils décident de se dépêcher de quitter Rome. Les hypothèses d'atteindre la Sardaigne par bateau tombent rapidement (les forces germaniques présentes, la 90e Panzer Grenadier Division, se dirigeant déjà vers la Corse pour consolider le contrôle). En raison de l'occupation rapide par les Allemands des bases navales de Gaeta et Civitavecchia, l'hypothèse choisie est de se tourner vers le front adriatique, particulièrement dépourvu de forces germaniques, pour finir par choisir la via Tiburtina comme échappatoire pour rejoindre le port d'Ortona.
Après la chute de Mussolini, le , l'ambassadeur d'Allemagne en Italie, Hans Georg von Mackensen (en), est rappelé dans son pays, accusé par Hitler de n'avoir pas pu prévenir Berlin du « coup d'État » contre le chef du Fascisme. À la Villa Wolkonsky, alors siège de l'ambassade d'Allemagne à Rome, Rudolf Rahn le remplace comme chargé d'affaires. Cependant, malgré le précédent du , ni Rahn ni le consul allemand à Rome, Eitel Friedrich Moellhausen, n'ont pu anticiper la nouvelle de l'armistice italien du . Rahn, étonné, reçoit la nouvelle directement du ministre des Affaires étrangères de Badoglio, Raffaele Guariglia, qui ne la lui communique personnellement que vers 19 h 45, le 8, coïncidant presque avec la diffusion radio de l'annonce de la fin des hostilités envers les Anglo-Américains. Guariglia explique personnellement et franchement la situation à ses interlocuteurs allemands qui, ayant par conséquent une idée claire de l'ampleur de l'événement, tirent sans délai des conclusions drastiques, informent Berlin de l'événement extraordinaire, demandent et obtiennent l'autorisation de partir dans les plus brefs délais de la capitale italienne. La destruction des dossiers et documents secrets et sensibles de l'ambassade est donc lancée à la hâte. Puis le personnel, grâce aussi à l'aide d'amis et de collègues italiens et d'autres délégations, se charge en quelques heures de régler tout ce qui est en suspens, de la clôture des comptes courants bancaires à la résiliation des contrats de location. Le ministère italien des Affaires étrangères, démontrant cette organisation et cette froideur qui, le soir du , semblaient faire totalement défaut au Quirinal et au Palazzo Baracchini (siège du ministère de la Guerre), fait préparer à la gare Termini un train spécial pour rapatrier les diplomates.
Rahn et Moellhausen n'ont aucun doute sur ce qu'il fallait faire, et ils ne s'attendent pas non plus à ce que la capitale italienne tombe immédiatement aux mains des Allemands et conviennent donc certainement, avec le personnel de l'ambassade, d'utiliser le train pour quitter Rome dès que possible, niant combien de télégrammes font valoir que la perspective d'une occupation nazie rapide est évidente et inévitable. Le train des diplomates allemands quitte la gare au milieu de la nuit, juste avant que le petit cortège de voitures avec la famille royale d'Italie à son bord ne quitte furtivement le ministère de la Guerre (une entrée secondaire dans la via Napoli est utilisée) en direction de la via Tiburtina. Selon Moellhausen, le train s'est rendu à Terni, où il a été dévié vers la côte adriatique, sans que personne sache jusqu'où il pouvait aller. Le train, dans lequel se trouvent également plusieurs Italiens, reste à l'arrêt dans une petite gare, pendant presque toute la journée du 9, sans que les diplomates allemands aient pu contacter leurs supérieurs, jusqu'à ce qu'un chef de gare convainc un conducteur de redémarrer le train vers le Nord. Le convoi atteint finalement Vérone, que les passagers en fuite trouvent déjà tombée aux mains des Allemands. Moellhausen et Rahn peuvent ainsi contacter leurs supérieurs à Berlin. Émerveillés, ils reçoivent l'ordre de rentrer immédiatement à Rome, avec tout l'état-major : la capitale italienne, apprennent-ils, a été abandonnée par le roi et le gouvernement et laissée sans défense cohérente, et est désormais contrôlée par les soldats allemands. Certaines des tâches les plus importantes ont été déléguées à ceux qui devaient rester : la présidence du gouvernement a été confiée à la hâte à Umberto Ricci, alors ministre de l'Intérieur. Mario Roatta, chef d'état-major adjoint (également en fuite), a donné de brèves instructions sur la conduite à tenir au général Giacomo Carboni, lui ordonnant notamment de commander deux des plus puissantes formations militaires italiennes (la division blindée Ariete et la division motorisée Piave), placés en défense de la capitale, d'abandonner la défense de Rome et de plutôt être utilisées pour défendre la voie de fuite choisie par le roi, la via Tiburtina, quittant Rome et s'alignant à cheval sur la route vers Tivoli (dans laquelle devait également être transféré le commandement du corps d'armée), afin d'empêcher toute attaque germanique dans cette direction.
« Roatta : Pouvez-vous déplacer vos divisions immédiatement ?
Carboni : Pourquoi ?
Roatta : Nous ne pouvons pas nous défendre à Rome, nous sommes pris au piège. J'écrivais l'ordre de déplacer votre corps d'armée à Tivoli.
Carboni : Je peux immédiatement déplacer la division « Piave » et la quasi-totalité d'« Aries » ; Je crois aussi que la partie de cette division qui ne peut pas bouger dans l'immédiat pourra se désengager rapidement sans difficulté. Pour la « Centaure », il faut garder à l'esprit que ce sera plus un écueil qu'un avantage de l'avoir avec nous… »
— da G. Carboni, L’armistizio e la difesa di Roma - Verità e menzogne[73]
Dans la discussion entre Roatta et Carboni, il faut garder à l'esprit que ce dernier avait également le grade de commissaire du service de renseignement militaire, et en tout cas il n'y a pas de reconstruction similaire de Roatta[74]. D'après le dialogue, il est également clair que le commandement suprême n'était pas sûr de la loyauté de la division blindée Centauro II[75],[73], appelée jusqu'à quelques semaines plus tôt 1st Armored Division of Blackshirts « M » (formée par plusieurs bataillons M ainsi que par un aliquot du Centaur dissous), et a donc préféré la retirer de la voie d'évacuation. Entre le 9 et le 10 septembre, dans la bataille que les soldats italiens, laissés à eux-mêmes, et des citoyens ont livré pour s'opposer à l'occupation nazie, alors que le roi et le gouvernement étaient en fuite, sont tombés, dans les combats au sud de la capitale, à Montagnola, à Porta San Paolo et le long de la Via Cassia, environ 1 300 militaires et civils.
À l'aube du , Victor-Emmanuel III de Savoie monte à bord de sa Fiat 2800 gris-vert avec la reine Hélène, le général Puntoni et le lieutenant-colonel De Buzzacarini. Badoglio avec le duc Pietro d'Acquarone et Valenzano sont dans la deuxième voiture, tandis que Prince Humbert prend place dans une troisième voiture. Le petit convoi quitte Rome sur la via Tiburtina.
Tous les autres membres de la famille royale sont absents, certains seront ensuite arrêtés par les Allemands et internés en Allemagne (la princesse héritière et ses enfants réussissent cependant à fuir en Suisse). La princesse Mafalda de Savoie, mariée au prince de Hesse et qui est alors en Bulgarie, n'est pas prévenue de la fuite de la famille royale de Rome et de l'armistice (elle est prévenue lors de son voyage de retour en Italie, mais elle a voulu continuer)[réf. nécessaire]. Elle tombe ensuite facilement prisonnière des nazis et est déportée au camp de concentration de Buchenwald où, mise à rude épreuve par son emprisonnement, elle meurt des suites de blessures subies lors d'un bombardement allié.
Après le petit cortège de voitures avec des membres de la famille royale à bord, à intervalles réguliers, les autres généraux se déplacent tandis que deux voitures blindées sur lesquelles est transporté le général Zanussi escortent le convoi en fuite.
La voiture dans laquelle se trouve Badoglio tombe en panne en chemin et il passe donc dans la voiture du prince Humbert qui, le voyant avoir froid, lui prêta son manteau. Badoglio prend soin de retrousser ses manches pour éviter que les grades ne soient visibles.
Au cours du voyage, le prince Humbert exprime à plusieurs reprises des hésitations, exprimant le désir de retourner à Rome et de conduire les troupes italiennes attachées à sa défense. Cependant, Badoglio l'incite brutalement à renoncer à ses intentions, affirmant qu'il était son supérieur dans la hiérarchie militaire[76]. De plus, la voiture est arrêtée par trois barrages routiers allemands, qui sont facilement contournés avec le simple avertissement qu'il y avait des « officiers généraux » à bord[77].
Dans l'après-midi, les voitures arrivent à l'aéroport de Pescara, où se trouve un groupe de vol commandé par le prince Carlo Ruspoli qui, ayant entendu parler des intentions de la famille royale, exprime son étonnement et son doute pour cette évasion. Victor-Emmanuel III se cache alors derrière les obligations constitutionnelles : « Je dois obéir aux décisions de mon gouvernement ». À ce stade, cependant, l'utilisation de l'avion est exclue par crainte d'éventuelles rébellions : même les pilotes opérant dans la zone n'acceptent pas de participer à une action qu'ils considéraient comme inconvenante[71]. Une autre explication possible (avancée par Badoglio dans son ouvrage l'Italie pendant la Seconde Guerre mondiale) est le fait que « la reine souffrant de cœur, ne pouvait supporter la fuite[78],[79]».
Il est donc décidé de poursuivre le voyage en bateau à partir du port d'Ortona. Le roi passe la nuit au château de Crecchio, propriété des ducs de Bovino. L'état-major général et la noblesse qui les suit se reposent à Chieti, dans le Palazzo Mezzanotte, devant la cathédrale.
La corvette Baionetta est appelée au port de Pescara depuis Zara, tout comme le croiseur Scipione Africano et la corvette Scimitarra depuis Tarente. La population de la ville, cependant, apprend la fuite et manifeste son indignation et, pour éviter les problèmes, le groupe de fugitifs et les navires qui leur étaient destinés sont détournés vers le port d'Ortona. Badoglio, qui est descendu de Chieti au milieu de la nuit, est le seul qui réussit à embarquer à Pescara.
Le lendemain matin, le roi et sa suite s'embarquent à Ortona sur la corvette Baionetta qui les conduit à Brindisi qui, à l'époque, n'était sous le contrôle ni des Alliés, ni des Allemands[27]. L'embarquement est agité : une foule de 250 officiers avec beaucoup de membres de leurs familles et de connaissances attendant déjà le roi, a en effet tenté (la plupart du temps en vain) de se joindre à la fête. Le navire n'a pas accosté, mais autant de personnes que possible ont été entassées dans la chaloupe envoyée à quai. Beaucoup de militaires et autres membres de la suite du roi qui n'ont pas pu embarquer, et sont retournés à Chieti d'où, après avoir abandonné leurs biens et s'être procuré des vêtements civils et anonymes, ils se sont cachés.
Pendant le voyage, la compagnie fut suivie par un avion éclaireur allemand qui documenta le voyage de la famille royale avec des photographies, mais rien ne suivit ce contrôle. À leur arrivée à destination, les membres de la famille royale sont accueillis par l'amiral Rubartelli, qui avait le contrôle total de la zone et a été stupéfié par l'apparition soudaine de Victor-Emmanuel. Il existe des indices selon lesquels Badoglio et le roi avaient déjà transféré des richesses considérables dans les Pouilles et en Grande-Bretagne depuis un certain temps[80].
Après s'être installé à Brindisi, le groupe reprend les tractations avec les Alliés, pour lesquels l'Italie apparaît comme un interlocuteur hésitant et peu fiable. Envoyé par Eisenhower pour les négociations, le général Mason McFarlane et ses conseillers arrivent dans les Pouilles, surpris de trouver une équipe politique mal préparée aux négociations et ignorant le texte de l'armistice court (c'est-à-dire celui signé à Castellano le )[81]. La méfiance des Alliés envers Badoglio finit par ressembler à celle que les Allemands cultivaient pour le gouvernement italien.
Le , arrivent à Brindisi deux représentants des Alliés : Harold Macmillan et William Francis Murphy qui donnent à Badoglio le texte intitulé Capitulation inconditionnelle et qui sera signé par Badoglio à Malte le . Ce texte, articulé en 44 articles, sera appelé armistice long et définit les conditions sévères de la capitulation italienne. Entre autres, le , l'Italie déclare formellement la guerre à l'Allemagne, condition demandée dans les clauses de la capitulation pour acquérir le statut de nation indépendante de la part des cobelligérants[82].
Au nord du front des combats, pendant ce temps, la division de l'Italie s'est formalisée. Presque la totalité du territoire italien au nord du front est confiée à la République sociale italienne de Mussolini, libéré par les Allemands le [83]. Bien que se heurtant sporadiquement aux Républiques partisanes italiennes, les Allemands occupent le nord et y réalisent une bonne partie des objectifs de l'« opération Alaric », exception faite de la capture de la flotte italienne qui, à part un certain nombre d'unités mineures, se rallie aux Alliés. Dans la partie méridionale, en revanche, ce qu'on appelle parfois le « royaume du Sud » fait ses premiers pas.
Pour échapper aux Allemands, le roi et des ministres miliaires s'enfuient à Brindisi, laissant l'armée italienne dispersée sur tous les fronts de guerre sans ordres, à l'abandon complet, permettant à l'armée allemande de concrétiser l'« opération Alaric » et sanctionnant les défaites de l'armée italienne les plus graves, subissant en 10 jours 20 000 pertes et plus de 800 000 prisonniers. Toutefois la fugue permet la continuité formelle de l'État, surtout aux yeux des Alliés.
De cette manière, les Alliés voyaient garantie la validité de l'armistice alors que la présence d'un gouvernement légitime évitait à l'Italie l'instauration d'un régime dur d'occupation, au moins dans les zones méridionales[84]. À Brindisi est fixé le siège du gouvernement. Victor-Emmanuel déclare formellement la guerre au Troisième Reich le et les Alliés accordent à l'Italie le statut de « nation cobelligérante », également attribué à d'autres pays changeant de camp (Finlande, Roumanie, Bulgarie…) mais aussi à des pays qui avaient été Alliés sans interruption (Pologne, Norvège, Pays-Bas, Belgique, Yougoslavie, Grèce…), pour réserver le rôle décisionnel aux « trois Grands » (le Royaume-Uni, les États-Unis d'Amérique et l'URSS, qui deviendront « quatre » par l'adjonction de la France libre en 1944).
Entre-temps, on procède à la réorganisation de l'armée. Le roi doit affronter la fronde des partis politiques reconstruits, ainsi que celles des comités de notables, en particulier de ceux réunis dans le CLN de Rome, présidé par Bonomi. Les notables restés fidèles à la couronne, dont Benedetto Croce dans un discours au congrès de Bari, commencent à évoquer l'abdication du souverain.
Mais Victor-Emmanuel ne cède pas non plus devant les fortes pressions exercées par les Anglo-Américains, voulant ainsi défendre le principe monarchique et dynastique qu'il représente et, en même temps, tenant à réaffirmer au moins formellement l’indépendance de l'État par rapport aux ingérences externes. Ainsi, il fut noté que différentes clauses de l'ainsi dit « armistice long », de caractère essentiellement politique, aggravaient une hypothèse très lourde sur l'indépendance de l'État vis-à-vis de la présence des Nations unies qui l'avaient contraint à une capitulation sans conditions.
Après le débarquement des Alliés en Sicile, l'armistice de Cassibile, son annonce du et la fuite du roi de Rome vers Brindisi, auprès du gouvernement Badoglio, maintient la structure constitutionnelle du royaume d'Italie, essayant de reconstruire l'administration de l'État, puisque presque tous les fonctionnaires et employés ministériels sont piégés dans la capitale. Victor-Emmanuel III annoncé dans la soirée du , dans un message enregistré diffusé par Radio Bari, les raisons qui l'ont poussé à quitter Rome :
« Pour le bien suprême de mon pays, qui a toujours été ma première pensée et le but de ma vie, et afin d'éviter des souffrances plus graves et des sacrifices plus importants, j'ai autorisé la demande d'armistice. Italiens ! Pour la sécurité de la capitale et pour pouvoir remplir pleinement mes devoirs de roi auprès du gouvernement et des autorités militaires, je me suis déplacé vers un autre point du sol national sacré et libre. Italiens, je compte sur vous avec confiance pour chaque événement, comme vous pouvez compter sur votre roi, jusqu'au sacrifice ultime. Que Dieu assiste l'Italie dans cette heure grave de son histoire. »
— Victor-Emmanuel III sur Radio Bari, 10 septembre 1943
Pour les Alliés, il fallait qu'il y ait dans l'Italie libérée un gouvernement capable d'exercer un pouvoir légitime s'opposant à celui de la République sociale italienne fasciste, établie à Salò, et aux Républiques partisanes italiennes d'obédience marxiste. Pour cette raison, dès le , les provinces des Pouilles, de Bari, Brindisi, Lecce et Tarente et la Sardaigne ne sont pas placées sous le contrôle de l'Administration militaire alliée des territoires occupés (AMGOT), mais reconnues confiées au gouvernement de Badoglio, bien que sous le contrôle étroit de la Commission de contrôle alliée.
L'un des premiers actes du gouvernement qui a pris ses fonctions à Brindisi est la signature de l'armistice dit long, complété par l'armistice court signé à Cassibile le . Tout en appliquant le principe de la capitulation inconditionnelle, les Alliés s'engagent à assouplir les conditions au prorata de l'aide que l'Italie apportera dans la lutte contre les nazis.
Le , le gouvernement déclare la guerre à l'Allemagne. D'un point de vue politique, cette déclaration est très importante, puisqu'elle place l'Italie parmi les Alliés de la Seconde Guerre mondiale. À partir de ce moment, le gouvernement italien commence lentement à élargir son autonomie. Dans cette première phase, seules la Sardaigne et les Pouilles sont sous contrôle gouvernemental, tandis que le reste du territoire libéré est sous contrôle de l'administration militaire alliée. L'installation du deuxième gouvernement Badoglio à Salerne a lieu en .
Le , un message à la radio annonce la décision du souverain de nommer son fils Humbert lieutenant à la libération de la capitale advenue. La solution de la lieutenance, déjà instituée par la Maison de Savoie plusieurs fois dans le passé, était suggérée par Enrico de Nicola, tiède monarchiste, lors d'une de ses rencontres avec le chef de l'État[85]. Le , il confie à Humbert la lieutenance du royaume sans abdiquer.
Début 1944, Benedetto Croce affirme : « Tant que la personne du roi actuel reste à la tête de l'État, on sent que le fascisme n'est pas fini, qu'il reste attaché à nous, qu'il continue de nous ronger et de nous affaiblir, qu'il va resurgir plus ou moins déguisé »[86]. En , Arturo Toscanini déclare au Time : « Je suis fier de revenir en tant que citoyen de l'Italie libre, mais pas en tant que sujet du roi dégénéré et du prince de la maison de Savoie. »[87] Plus tard Toscanini changera d'avis car le il dirigera à Milan le concert pour la réouverture de La Scala alors que depuis le 9 l'ex-prince Humbert est roi.
Le est une date qui marque le passage des pouvoirs du roi à son fils Humbert, qui ainsi exercera les prérogatives du souverain au Quirinal, sans toutefois posséder la dignité du roi, avec Victor-Emmanuel qui s'installera à Naples. Le souverain, dans une tentative extrême mais tardive de sauver la monarchie, abdique le à Naples en faveur de son fils Humbert II environ un mois avant le référendum institutionnel du . L'authentification par la signature du roi, plutôt que par le président du Conseil, est faite par un notaire (Nicola Angrisano, du collège des notaires de Naples[88]). Le soir même, il embarque sur le Duc des Abruzzes pour gagner l'Égypte, en exil volontaire.
L'abdication de Victor-Emmanuel III est l'acte dans lequel, le , le Roi Victor-Emmanuel III, renonce à la couronne d'Italie en faveur de son fils Humbert II, qui revêtait déjà le rôle de « lieutenant général du royaume » depuis le , au lendemain de la libération de Rome. Le roi était d'abord réticent à abdiquer, et les partis politiques du CLN auraient préféré ne pas changer la situation, déjà très délicate. En , l'abdication est perçue par les milieux monarchiques comme la seule possibilité de sauvegarder la monarchie en Italie et le sort de la Maison de Savoie, discréditée par le soutien offert depuis 20 ans au fascisme et à Mussolini en particulier.
De plus, il ne faut pas oublier que l'abdication a eu lieu sans tenir compte du décret du lieutenant no 151 du [89] et de l'article 2 du décret-loi du lieutenant no 98 du [90], qui prévoyait le maintien du régime de lieutenant jusqu'à la consultation électorale pour l'élection de l'Assemblée constituante. Le premier projet était, en effet, de laisser le choix de la forme de l'État aux constituants. Dans un second temps le référendum a été choisi mais, en tout cas, toujours dans le régime de lieutenant de son fils Humbert.
L'abdication a eu lieu à Ravello, sur la côte amalfitaine, où le roi vivait à la Villa Episcopio. Sur la base de la loi Attributions et prérogatives du chef du gouvernement, les fonctions de notaire de la couronne appartenaient au chef du gouvernement[91], alors Alcide De Gasperi, mais il n'a pas été jugé opportun de demander à De Gasperi d'entériner un acte formellement illégal, et la légalisation de la signature du roi a été certifiée par un notaire ordinaire de Naples[92],[88]. Un communiqué officiel a ensuite été publié : « Aujourd'hui à 15h15 à Naples, le roi Victor-Emmanuel III a signé l'acte d'abdication et, selon la coutume, est parti en exil volontaire. Dès que le nouveau roi Humbert II reviendra à Rome sera officiellement notifié au Conseil des ministres »[93].
Parce qu'elle était illégale, l'abdication fut durement critiquée par la presse de gauche italienne : Unità qualifie la décision du souverain d'« acte ignoble et grotesque » et Avanti ! qualifie Victor-Emmanuel III de « roi fasciste » (et le nouveau roi Humbert II de « prince fasciste »). Le plus modéré est le quotidien démocrate-chrétien Il Popolo qui souligne que l'abdication du souverain ne bloquera pas l'engagement des démocrates-chrétiens en faveur du référendum institutionnel[94].
Victor-Emmanuel prend le titre de comte de Pollenzo, qui fait référence à une localité de la municipalité de Bra, un fief qui appartenait à la famille Romagnano au XVIIIe siècle mais qui passa ensuite aux Savoie. Carlo Alberto y avait construit un magnifique château.
Le soir même de l'abdication, le roi, devenu comte de Pollenzo, et la reine Elena s'embarquent sur le croiseur Duc des Abruzzes et débarquent à Alexandrie en Égypte, en invités du roi Farouk Ier. Le comte de Pollenzo meurt à Alexandrie, en Égypte, le .
Durant son exil égyptien le souverain visite les zones de guerre où le royaume en exercice avait combattu quelques années auparavant, dont celle d'El Alamein[95].
Il meurt à Alexandrie le , le lendemain du vote de la constitution de la République italienne qui entre en vigueur le et qui réserve un sort particulier aux membres et descendant de la maison de Savoie selon l'article XIII. Ainsi, les membres et descendants de la maison de Savoie sont privés de leurs droits civiques et ne peuvent plus remplir de fonction publique. Dans les dispositions finales, les biens existants sur le territoire national des anciens rois de la Maison de Savoie, de leurs épouses et de leurs descendants mâles sont transférés à l'État[96]. L'article XIII stipule également que l'entrée et le séjour sur le territoire national sont interdits aux anciens rois de la maison de Savoie, à leurs épouses et à leurs descendants mâles[97]. Le , Victor-Emmanuel III avait dit à son aide de camp, le colonel Tito Livio Torella di Romagnano : « Nous vivons dans un très beau monde », en référence au fait que parmi les vœux qu'il recevait pour Noël 1947, certaines lettres de personnalités, dont il attendait les hommages, brillaient par leur absence.
La mort de Victor-Emmanuel III dans une villa des environs d'Alexandrie est due, comme l'ont constaté les médecins, à une congestion pulmonaire dégénérée en thrombose. L’ancien souverain en souffrait depuis cinq jours quand il en mourut le 28 décembre à 14h20, après s’être levé une dernière fois, malade, à 4h30. Les derniers mots de l’ancien roi à son médecin furent : « Combien de temps cela va-t-il durer ? J'ai des choses importantes à faire ».
La mort de Victor-Emmanuel III a limité les appels de Humbert II[98]. Le roi d’Égypte Farouk ordonna que le défunt ait droit à des funérailles militaires (cercueil placé sur un affût de canon et escorté par une escouade des forces armées égyptiennes). La dépouille, saluée lors des funérailles par 101 coups de canon, a été inhumée dans la cathédrale catholique latine d’Alexandrie en Égypte. Selon le désir du défunt, aucune couronne n’a été déposée sur le cercueil.
Le , coïncidant presque avec le soixante-dixième anniversaire de sa mort, le corps de Victor-Emmanuel III a été rapatrié à bord d'un avion de l'armée de l'air italienne et enterré dans la chapelle de San Bernardo au sanctuaire de Vicoforte[99], aux côtés de son épouse Hélène, dont les restes avaient été transférés de Montpellier deux jours avant[100],[101].
Selon l'historien américain du fascisme Peter Tompkins, Victor-Emmanuel III aurait été un « franc-maçon secret de la loge de la Place de Jésus »[102]. Cependant, aucune loge de ce nom n'a existé dans la franc-maçonnerie italienne et cette rumeur semble infondée et attribuable plutôt à un fantasme journalistique. En effet, l'idée selon laquelle le roi aurait été franc-maçon est née de l'anticléricalisme manifeste du roi (dans les milieux conservateurs, être anticlérical était automatiquement considéré comme signe d'appartenance à la franc-maçonnerie), en raison d'un épisode lors des funérailles du roi Humbert, au cours desquelles Victor-Emmanuel, s'impatientant durant le sermon de l'officiant, se serait exclamé : « Combien de temps ces prêtres font-ils ! » À partir de ce moment-là, le roi fut qualifié de franc-maçon alors que s'il l'avait été, il aurait dû abdiquer plutôt que consentir aux lois raciales et aux mesures antisémites du régime fasciste[103].
Contrairement à son cousin paternel au second degré, Amédée II de Savoie-Aoste, qui était un homme de très grande taille mesurant 1,98 mètre, Victor-Emmanuel était petit, même selon les standards du XIXe siècle[Pas dans la source] : sa taille était estimée à 1,53 mètre[104], ce qui lui valut le surnom de « piccolo re » (« petit roi »).
Victor-Emmanuel fit des études de numismatique. Il était un des collectionneurs de pièces les plus prolifiques de son époque ; il avait environ 100 000 pièces qui dataient de la chute de l'Empire romain jusqu'à l'unification de l'Italie en . Il devient le président d'honneur de la Société de Numismatique italienne, depuis sa création en . En , il acquit de ses héritiers la collection de Marignoli, composée d'environ 35 000 exemplaires en trois métaux[105],[106]. Il publia le Corpus Nummorum Italicorum (-)[107],[108],[109], œuvre en 20 volumes où sont classées et décrites les monnaies italiennes. Il laissa l'œuvre inachevée et en fit don à l'État italien. Son activité numismatique fut récompensée en avec l'obtention de la médaille de la Royal Numismatic Society. Il a été membre actif de la Société suisse de Numismatique[110].
Il voulut une monnaie circulante riche et variée, donnant ainsi naissance à une vraie collection, parmi les plus belles et les plus suivies. Il fit frapper en outre beaucoup de monnaies en nombre limité exclusivement pour les numismates. À son départ en Égypte le , le roi écrit au président du conseil, Alcide De Gasperi : « Monsieur le président, je laisse au peuple italien la collection de pièces de monnaie qui a été la plus grande passion de ma vie. »[111],[106]. À son abdication, la collection fut donnée au peuple italien, sauf les pièces de la Maison de Savoie qu'il emmena avec lui en Égypte. À la mort d'Humbert II en , les pièces des Savoie rejoignirent le reste de la collection dans le sous-sol du Palazzo Massimo alle terme, autrement dit du Musée national romain.
L'ouvrage Corpus Nummorum Italicorum[108], également appelé CNI, a été écrit par Victor-Emmanuel III de Savoie et les contributions des plus grands experts numismates de son temps. Première tentative d'un catalogue général des monnaies médiévales et modernes frappées en Italie ou par des Italiens à l'étranger, il est aujourd'hui encore fondamental pour l'étude et la classification des émissions des diverses monnaies italiennes à partir du Moyen Âge. L'œuvre, prévue initialement en 10–12 volumes, resta inachevée à cause de l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale.
Il est composé de 20 volumes monumentaux bleu pâle (la couleur de la Maison de Savoie), sauf les exemplaires envoyés en cadeau aux chefs d'État étrangers et collaborateurs qui sont en relié en toile bleue avec la tranche supérieure dorée. Le premier volume fut publié en , le vingtième (très rare) en .
Le sixième volume comprend les monnaies mineures de Vénétie, de Dalmatie et d'Albanie. Il est sorti en retard, après la publication des septième et huitième volumes. Ce retard est causé par l'attente de la sortie de la Première Guerre mondiale. À la Cour de Vienne on ne voyait pas d'un bon œil que les bureaux monétaires situés à l'intérieur des frontières de l'Empire austro-hongrois soient insérés dans le Corpus et chargèrent le numismate de Rovereto, Perini, d'écrire au roi d'Italie, le priant qu'il veuille au moins publier les monnaies de ces régions comme suppléments à la fin du volume. Le roi ne voulut pas accéder à cette requête, ni même parlementer. Ayant déjà publié les monnaies des régions comme la Corse, la Savoie et le canton suisse du Tessin, qui ne faisaient plus partie de l'Italie, il ne voulait pas déroger à la règle pour celles du Trentin et d'Istrie. Quintilio Perini fut accusé par les Autrichiens de haute trahison et resta ensuite à Milan jusqu'au terme de la guerre, le sixième volume fut publié quatre ans après, en .
Durant son long règne, Victor-Emmanuel III reçut de la part de la presse, des personnalités éminentes de la culture ou des politiciens, certains qualificatifs passés à la postérité. Les termes utilisés dans des films de propagande ou de célébration sont liés à la Grande Guerre, à la présence assidue du roi au front et à sa « haute conduite » des opérations militaires qui amenèrent l'Italie à la victoire sur l'Autriche-Hongrie, l'ennemi traditionnel de l'unité italienne. Il fut ainsi nommé « Roi soldat », « Roi de Peschiera », « Roi de la Victoire », ou simplement « Roi victorieux »[113].
Comme reflet de sa politique empruntée aux idées pacifistes et de protection sociale, il fut dépeint comme le « Roi socialiste » mais aussi, pour son appui à Giolitti, comme le « Roi bourgeois »[114].
Après le 8 septembre 1943, il fut aussi affublé « Roi Félon » par les fascistes de la République de Salò, surnom qui resta dans une certaine presse[Laquelle ?][115]. Certaines caractéristiques physiques furent à l'origine d'autres surnoms idéalisés dans les environnements antimonarchiques ou fruit de trouvailles goliardiques. Le roi fut surnommé « Sciaboletto» à cause de sa petite taille (1,53 m), qui aurait rendu nécessaire le forgeage d'un sabre particulièrement court, pour éviter qu'il ne grince sur le terrain[116]. Toujours en référence à la stature, il fut appelé « Roi Bouchon » ; Mussolini le définit comme le « Roi carnet »[117],[115].
Quand Amédée d'Aoste fit un séjour au Congo belge en 1921, il fit des plaisanteries de mauvais goût à propos du couple royal. À son retour à la cour, à l'apparition du couple royal, il déclara : « Voici Curtatone et Montanara ». La référence à la bataille du Risorgimento visait ainsi la petite taille de Victor-Emmanuel III et le pays d'origine de la reine, le Monténégro. La plaisanterie fut entendue et le lendemain le vice-roi fut convoqué par le roi. Elle a abouti à l'expulsion du palais[118].
Luigi Bertelli publia, dans un hebdomadaire satirique florentin, une vignette représentant un petit homme déséquilibré, aux jambes courtes. À Rome, il fut appelé « Pipette », à Naples « Rachitique » mais également « Roi Bouchon ». "Spiombi" voulait dire que cet individu présentait un aplomb irrégulier et défectueux. On l'appelait parfois « Attrape-mouches » pour le fait qu'à Florence les enfants s'amusaient à prendre les mouches qui se posaient sur les soufflets des carrosses durant sa promenade au parc des Cascine. Le couple royal a aussi été appelé « Curtatone et Montanara » car il y avait une différence de 24 cm entre le roi et la reine, au détriment du roi : il mesurait un mètre cinquante-quatre alors que la reine mesurait un mètre soixante-quinze.
L'image de « Curtatone et Montanara » avait son charme, elle évoquait une bataille fameuse, digne des Thermopyles, dont un groupe de toscans, résistant en 1848 contre les troupes de Joseph Radetzky, avait consentit à Charles Albert d'adjuger leur rencontre[10].
En 1903, lors de son voyage à la Monnaie de Paris, Victor-Emmanuel III fut surnommé le « roi numismate » en raison de sa passion[119].
Le , le futur Victor-Emmanuel III, alors prince héritier, épouse à Rome Hélène de Monténégro, fille du roi Nicolas Ier de Monténégro[120].
De cette union naissent :
L'arbre généalogique de Victor-Emmanuel met bien en évidence le niveau élevé de consanguinité des mariages contractés dans les générations précédentes. À trois reprises, ses trisaïeux sont Charles-Emmanuel de Savoie-Carignan et son épouse Marie-Christine de Saxe (1770-1851). À deux reprises, ses trisaïeux sont Ferdinand III de Toscane et son épouse Louise de Bourbon-Siciles (1773-1802). À deux reprises, ses bisaïeux sont Charles-Albert (roi de Sardaigne) et son épouse Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane (1801-1855).
Indirecte | Sa Majesté |
---|---|
Directe | Votre Majesté |
Alternative | Sire |
Sa Majesté Impériale et Royale Victor-Emmanuel III par la grâce de Dieu et par la volonté de la Nation,
L'ensemble des titres ont été portés par les souverains du royaume d'Italie entre 1860 et 1946[124],[21].
De nombreuses entreprises ont utilisé Victor-Emmanuel III comme effigie dans leurs publicités, sur tous les supports possibles que ce soit vignettes, affiches, plaques émaillées, boîtes, cartes postales, etc. À travers le monde : Campari, Grafofones, Abrador, Amilcare Piperno al corso, Coen, Tagliacozzo, De Monte, Reinach, Siero Casali, Singer, Tantal, Bacci Ciocolato Perugina, Au bon marché, Chocolat Guerin-Boutron, La belle jardinière, Casiez-Bourgeois, l'Huile Buitoni, Felix Potin, Columbia.
Le nom du souverain Victor-Emmanuel III a été donné à de nombreuses voies publiques, lycées, musées et d'autres établissements. On dénombrait 380 lieux à son nom en 2019, et 409 en 2020. Le nom est distribué de manière inégale dans les régions italiennes, à l'exception du Val d'Aoste. On peut affirmer que la répartition des voies publiques et autres lieux portant son nom dépendent d'au moins deux explications : d'une part, le résultat du référendum du , qui approuva la proclamation de la République par 54,3 % dans la majorité du pays à l'exception de l'Italie méridionale, de la Sicile et de la Sardaigne ; d'autre part, la République sociale italienne, connue aussi sous le nom de République de Salò, dirigée par Benito Mussolini, avait débaptisé les noms des voies publiques et autres bâtiments, qui portaient le nom du souverain et de tous ses prédécesseurs issus de la maison de Savoie.
Seamless Wikipedia browsing. On steroids.
Every time you click a link to Wikipedia, Wiktionary or Wikiquote in your browser's search results, it will show the modern Wikiwand interface.
Wikiwand extension is a five stars, simple, with minimum permission required to keep your browsing private, safe and transparent.