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commerce d'esclaves et de marchandises du XVIIe au XIXe siècle De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le commerce triangulaire, aussi appelé traite atlantique ou traite occidentale, est une « traite négrière » reliant l'Europe, l'Afrique et l'Amérique, pour la déportation d'esclaves noirs, d'abord troqués en Afrique contre des produits européens (textiles, armes) puis en Amérique contre des matières premières coloniales (sucre, café, cacao, coton, tabac).
Le commerce triangulaire est très concentré dans le temps : il prend de l'ampleur au XVIIIe siècle, en particulier à partir de 1705, puis chute après le droit de visite des navires étrangers, imposé par les Anglais en 1823 grâce à la domination des mers par la Royal Navy, après avoir négocié les années précédentes des traités internationaux pour rendre effective l'abolition de la traite négrière au début du XIXe siècle. Peu après, l'esclavage est lui-même aboli dans l'Empire colonial britannique et lors de la révolution de 1848 en France. Il perdure ensuite aux États-Unis, à Cuba alors espagnol et au Brésil, mais principalement avec des esclaves nés dans le pays.
Le « Commerce triangulaire », ou « traite triangulaire », qui relie trois continents (Europe, Afrique, Amériques), ne désigne qu'une partie de la traite négrière effectuée par les Européens. Grâce à l’exploration récente des archives portugaises et hollandaises, les dernières recherches attribuent à la « traite en droiture » (liaison directe Afrique-Amériques, sans passer par les ports d'Europe), 45 % du total des esclaves africains déportés vers les colonies européennes (soit environ cinq millions d’individus)[1]. Cela explique aussi pourquoi Rio de Janeiro est le premier port négrier de la traite occidentale[Petre 1], devant Liverpool et Nantes, exclusivement tournés vers le commerce triangulaire.
De plus, si la traite triangulaire culmine au XVIIIe siècle, la traite en droiture domine largement la première période (XVIe et XVIIe siècles), et à nouveau au XIXe siècle, du fait des abolitions en Europe[1].
L'armement négrier était en France une activité très concentrée : Robert Stein a recensé 500 familles qui avaient armé, à Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre et Saint-Malo, 2 800 navires pour l'Afrique. Parmi elles, 11 familles (soit 2 %) avaient armé 453 navires (soit 16 %)[Petre 2].
Les armateurs négriers ne se livraient pas uniquement à la traite, mais aussi à d'autres activités, moins spéculatives, comme l'assurance, la droiture vers les colonies ou la pêche à la morue. Ils occupaient souvent une place très importante dans les sociétés portuaires et étaient très influents. Entre 1815 et 1830, presque tous les maires de Nantes avaient été des négriers[Petre 2].
La mise hors qui initiait un voyage triangulaire typique du XVIIIe siècle exigeait des sommes importantes : quelque 250 000 livres en France, soit la valeur d'un hôtel particulier dans une rue élégante de Paris, comme la rue Saint-Honoré[Tho 1]. Elles étaient trois fois supérieures à celles de l'armement d'un bâtiment de même tonnage filant en droiture vers les îles. Pour financer leur expédition, les armateurs partageaient les risques financiers. Ils faisaient appel à un certain nombre de personnes pour prendre des parts dans l'entreprise. Appelés actionnaires ou associés, ces personnes pouvaient être très nombreuses. En France, les armateurs trouvaient souvent les capitaux auprès de leurs amis, de leurs connaissances et de leurs parents[Petre 3],[Dag 1].
Le choix du navire dépendait de la stratégie de l'armateur. Si celui-ci optait pour un voyage rapide, alors le voilier devait être fin et rapide. S'il voulait se montrer économe, un navire en fin de carrière pouvait convenir[Petre 4],[2],[Dag 2].
Le tonnage moyen du négrier était souvent supérieur à celui des navires destinés à la droiture vers les îles.
Le navire négrier devait également répondre à des impératifs :
Entre 1749 et 1754, le tonnage moyen des négriers nantais était compris entre 140 et 200 tonneaux.
Les marchandises transportées lors du trajet Europe-Afrique devaient être suffisamment nombreuses et diversifiées car les vendeurs africains d'esclaves étaient de redoutables négociateurs[4]. Les navires négriers européens emportaient dans leurs cales des armes à feu, des armes blanches, des étoffes simples et somptueuses (indiennes), des vins et spiritueux, des matières premières brutes (barres de fer), des produits semi-finis ou finis (outils), des articles de fantaisie et parures (chapeaux, pipes), du tabac, des instruments monétaires (cauris), des articles de cadeaux et de paiement des coutumes[Dag 3],[Petre 5].
La cargaison d'un négrier en partance pour les côtes d'Afrique représentait 60 à 70 % du montant de la mise hors nécessaire à l'armement du navire. En effet, de nombreux produits de traite étaient relativement chers. C'était le cas des « indiennes », des textiles qui représentaient entre 60 et 80 % de la valeur de la cargaison.
La nature des marchandises embarquées varie selon les époques. Si certains produits proposés par les négriers européens ne satisfaisaient pas la demande des vendeurs d'esclaves, ces derniers étaient retirés des négociations. Ce fut le cas, par exemple, de la nourriture, des animaux et des agrumes, présents dans les premières cargaisons portugaises.
Le nombre d'hommes d'équipage sur un navire négrier était deux fois plus important que celui des autres navires marchands de même tonnage. En France, on comptait 20 à 25 hommes par 100 tonneaux, ou encore un marin pour 10 captifs. L'équipage était composé de jeunes, de novices, parfois de fils d'armateur, de déracinés et d'aventuriers en tout genre[Petre 6].
Pour la réussite d'une expédition négrière, quatre hommes étaient particulièrement importants[Dag 4],[Petre 7] :
Afin de mener à bien une expédition négrière, l'armateur nommait un capitaine. Il n'hésitait pas à intéresser le capitaine dans les profits de l'expédition en plus des primes. Celui-ci devait réunir plusieurs compétences[Dag 5],[Petre 8] :
À l'exception du cas spécifique du Portugal, seul pays à avoir colonisé l'intérieur de l'Afrique avant le XIXe siècle, et qui capturait ou achetait ses futurs esclaves non sur les plages mais à l'intérieur des terres, les autres États européens obtenaient leurs esclaves sur les côtes africaines en les troquant contre des armes et diverses marchandises. L'écrivain et journaliste américain Daniel Pratt Mannix estime que seuls 2 % des captifs de la traite atlantique furent enlevés par des négriers blancs[Petre 10].
Initialement, en 1448, Henri le Navigateur avait donné l'ordre de privilégier l'établissement de relations commerciales avec les Africains[Petre 11], mais les Portugais lancèrent rapidement des expéditions militaires le long des rivières de l'Angola qui leur permirent de capturer des esclaves puis d'armer des intermédiaires à qui ils sous-traitèrent ensuite la capture ou l'achat de leurs victimes.
Les lançados, métis de Portugais, jouèrent les intermédiaires entre les négriers occidentaux et les négriers africains à partir du dernier tiers du XVIe siècle en Gambie et au Liberia. D'autres lançados s'étaient établis dans le royaume du Dahomey. Au XIXe siècle, leur rôle en tant qu'intermédiaires et producteurs d'esclaves y était très important, surtout lorsque Francisco Felix de Souza obtint du roi Ghézo, en 1818, la charge de « Chacha » (responsable du commerce pour le royaume du Dahomey)[Petre 12].
Au Congo, à partir du XVIIe siècle, des caravanes de pombeiros (marchands indigènes acculturés et commandités par les Portugais) s'enfonçaient à l'intérieur du continent pour aller produire ou acheter des esclaves[Petre 13].
Ailleurs, la production de captifs était affaire purement africaine[Petre 14],[5].
Enfin, les trafiquants arabes, très actifs depuis des siècles dans la traite négrière, pouvaient également vendre des esclaves aux Européens, même sur la côte occidentale de l'Afrique.
Selon le sociologue américano-jamaïquain Orlando Patterson (1940-), les principales modalités de réduction en esclavage étaient la capture à la guerre, l'enlèvement, les règlements de tributs et d'impôts, les dettes, la punition pour crimes, l'abandon et la vente d'enfants, l'asservissement volontaire et la naissance[Petre 15].
La confrontation de plusieurs sources montre qu'il pouvait y avoir, selon les régions, un ou plusieurs modes de réduction en servitude prédominants :
On dispose de peu d'éléments sur le nombre de captifs décédés sur le sol africain. Cependant, pour l'Angola, il existe de telles informations : selon Miller, les pertes y auraient été de 10 % lors des opérations de capture, de 25 % au cours du transport vers la côte, de 10 à 15 % lorsque les captifs étaient parqués dans les baracons sur la côte. Au total, les pertes se situeraient entre 45 et 50 %[Petre 18].
Il est impossible d'extrapoler ces données pour tirer des conclusions sur l'ensemble de l'Afrique. On suppose que les pertes étaient liées à la distance parcourue et à la durée nécessaire pour atteindre les sites de traite côtiers. Ainsi, les pertes pouvaient être très différentes selon les régions.
Les échanges se faisaient soit à terre, soit sur le bateau. Dans les deux cas, les modalités de l'échange entre négriers africains et négriers européens ont peu varié au cours des siècles[Dag 6].
La marchandise européenne était étalée aux regards des courtiers et des intermédiaires africains. Ensuite, les négriers européens payaient les coutumes, c'est-à-dire des taxes d'ancrage et de commerce. Puis les deux parties se mettaient d'accord sur la valeur de base d'un captif. Ce marchandage était âprement discuté.
Ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que des monnaies fiduciaires occidentales ont été introduites en Afrique sub-saharienne. Il s'agissait notamment du dollar américain, de la piastre et du thaler de Marie-Thérèse.
Auparavant, les courtiers africains utilisaient leur propre unité de compte comme la barre en Sénégambie ou l'once à Ouidah. En ce qui concerne les marchandises européennes, ils ne tenaient pas compte des prix occidentaux.
Dans certaines régions, c'est le choix dans l'assortiment qui déterminait la valeur d'un lot d'esclaves. En 1724, dans la région du fleuve Sénégal, 50 captifs avaient été traités pour[Dag 7] :
C'est ce que valaient les 50 captifs pour les négriers africains du Sénégal en 1724. Par contre, le négrier français convertissait le tout en monnaie fiduciaire française et ces 50 captifs lui coûtaient 2 259 livres tournois. Ainsi, chaque captif coûtait en moyenne 45 livres.
Dans d'autres régions, le prix était fixé en unité de compte locale. À Ouidah par exemple, un canon équivalait à une dizaine d'esclaves ; à Douala, on trouve des barres de fer et des pots de cuivre ayant servi de monnaie d'échange ; au musée de Banjul est exposée une table de conversion du kilo d'esclave en pistolets, cristaux ou vêtements[7]. Mais pour les négriers occidentaux, le coût d'un esclave pouvait facilement varier. En 1773, à Ouidah, le prix d'un captif homme était fixé à 11 onces. À cette valeur, les marchandises échangées étaient différentes suivant les courtiers[Dag 8] :
Courtiers | Marchandises | Onces |
---|---|---|
Zazou | 3 ancres d'eau-de-vie | 3 |
123 livres de cauri | 3 | |
5 rolles[Note 2] de tabac | 5 | |
Colaqué | 2 ancres d'eau-de-vie | 2 |
205 livres de cauri | 5 | |
16 platilles | 2 | |
2 rolles de tabac | 2 | |
1 chapeau | ||
Yaponeau | 4 ancres d'eau-de-vie | 4 |
164 livres de cauri | 4 | |
1 pièce de toile à robe | 1 | |
2 pièces de mouchoirs de Cholet | 1 | |
4 barres de fer | 1 | |
1 chapeau |
Les prix ont évolué au cours des quatre siècles de la traite négrière occidentale.
L'arrivée des Français et des Anglais en 1674 sur les côtes d'Afrique, jusque-là chasse gardée des Hollandais, fait brutalement monter le prix des esclaves, qui sera multiplié par 6 entre le milieu du XVIIe siècle et 1712, entraînant le développement de nouveaux circuits d'approvisionnement à l'intérieur du continent, qui affaiblissent les sociétés africaines traditionnelles.
L'arrivée en masse de nouveaux esclaves aux Antilles fait parallèlement baisser leur prix d'achat par les planteurs de canne à sucre, et augmenter la production, ce qui a pour effet d'abaisser le prix de cette denrée sur le marché mondial et d'encourager sa consommation, avec comme conséquence un immense développement de l'économie sucrière et le trafic d'esclaves.
Les prix avaient évolué au cours des quatre siècles de la traite négrière occidentale, tant du côté anglais que français.
Côté anglais et espagnol, Hugh Thomas[Tho 2] présente la liste suivante :
Côté français, l'historien Serge Daget (1927-1992)[Dag 9] nous en donne également une autre :
Si le bateau appartenait à une compagnie (par exemple la Compagnie des Indes), il se rendait aux comptoirs appartenant à leur nation. Là, des captifs étaient entreposés en vue de leur déportation. Avec le commerce libre (hors du monopole des compagnies), l'armateur fixait les lieux de cabotage du navire : dans le meilleur des cas, le navire cabotait dans une zone prédéfinie ; dans le pire des cas, le navire procédait à un lent cabotage entre chaque foyer négrier (appelé également « traite volante »), de la Sénégambie jusqu'au Gabon et plus loin encore[Dag 10].
La durée du cabotage dépassait très fréquemment les trois mois[Dag 11].
L'embarquement des captifs se faisait par petits groupes de quatre à six personnes. Certains préféraient sauter et se noyer plutôt que de subir le sort qu'ils s'imaginaient : ils croyaient que les Blancs allaient les manger.
Dès qu'ils étaient à bord, les hommes étaient séparés des femmes et des enfants. Ils étaient enchaînés deux à deux par les chevilles et ceux qui résistaient étaient entravés aux poignets.
L'historien et ancien administrateur colonial Hubert Deschamps (1900-1979) qualifiait la traversée de l'Atlantique de « noir passage ». Le terme Passage du milieu désigne la même chose mais se réfère à la partie centrale, transatlantique, du Commerce triangulaire[Dag 12].
La traversée durait généralement entre un et trois mois. La durée moyenne d'une traversée était de 66 jours et demi. Mais selon les points de départ et d'arrivée, la durée pouvait être très différente. Ainsi, les Hollandais mettaient 71 à 81 jours pour rejoindre les Antilles alors que les Brésiliens effectuaient Luanda-Brésil en 35 jours[Petre 21]. Avant d'entamer la traversée, il arrivait souvent que le négrier mouille aux îles de Principe et São Tomé. En effet, les captifs étaient épuisés par un long séjour, soit dans les baracons, soit dans le cas d'une traite itinérante sous voile[Petre 22]. Les femmes et les enfants étaient parqués sur le gaillard d'arrière tandis que les hommes étaient sur le gaillard d'avant. La superficie du gaillard d'avant était supérieure à celle du gaillard d'arrière. Ils étaient séparés par la rambarde.
Les captifs étaient enferrés deux par deux. Ils couchaient nus sur les planches. Pour gagner en surface, le charpentier construisait un échafaud, un faux pont, sur les côtés. Le taux d'entassement était relativement important. Dans un volume représentant 1,44 m3 (soit un « tonneau d'encombrement », 170 × 160 × 53), les Portugais plaçaient jusqu'à cinq adultes, les Britanniques et les Français de deux à trois. Pour les négriers nantais, entre 1707 et 1793, le rapport général entre tonnage et nombre de Noirs peut être ramené à une moyenne de 1,41.
Le marchand d'esclaves franco-italien Theophilus Conneau[8] témoigna ainsi en 1854 : « Deux des officiers ont la charge d'arrimer les hommes. Au coucher du soleil, le lieutenant et son second descendent, le fouet à la main, et mettent en place les Nègres pour la nuit. Ceux qui sont à tribord sont rangés comme des cuillers, selon l'expression courante, tournés vers l'avant et s'emboîtant l'un dans l'autre. À bâbord, ils sont tournés vers l'arrière. Cette position est considérée comme préférable, car elle laisse le cœur battre plus librement ».
Si le temps le permettait, les déportés passaient la journée sur le pont. Toujours enchaînés, les hommes restaient séparés des femmes et des enfants. Ils montaient par groupes sur le pont supérieur vers huit heures du matin. Les fers étaient vérifiés et ils étaient lavés à l'eau de mer. Deux fois par semaine, ils étaient enduits d'huile de palme. Tous les quinze jours, les ongles étaient coupés et la tête rasée. Tous les jours, les bailles à déjection étaient vidés, l'entrepont était gratté et nettoyé au vinaigre. Vers neuf heures, le repas était servi : fèves, haricots, riz, maïs, igname, banane et manioc. L'après-midi, les esclaves étaient incités à s'occuper (travaux manuels, organisation de danses) afin d'éviter la dégradation de leur état de santé[9]. Vers cinq heures, les déportés retournaient dans l'entrepont.
Par contre, en cas de mauvais temps et de tempête, les déportés restaient confinés dans l'entrepont. Il n'y avait pas de vidange, ni de lavement des corps, ni de nettoyage des sols. Le contenu des bailles coulait sur les planches de l'entrepont, se mêlait aux choses pourries, aux émanations de ceux victimes du mal de mer, aux vomissures, au « flux de ventre, blanc ou rouge ». Toutes les écoutilles pouvaient être closes. L'obscurité, l'air rendu irrespirable par le renversement des bailles à déjection, le roulis qui faisait frotter les corps nus sur les planches, la croyance d'un cannibalisme des négriers blancs terrorisaient et affaiblissaient les captifs[Petre 23].
La plupart des révoltes se réalisaient le long des côtes africaines[5]. Elles pouvaient également avoir lieu en haute mer mais c'était beaucoup plus rare. Selon Hugh Thomas, il y avait au moins une insurrection tous les huit voyages[Tho 3].
Quelques-unes réussirent :
Mais la plupart du temps, les révoltes étaient matées et les meneurs servaient d'exemple : ils étaient publiquement battus et pendus, voire pire. Certains pouvaient être victimes d'actes de barbarie :
Jusqu'en 1750, la période la plus active, la mortalité reste proche d'un esclave sur six.
Différents facteurs de mortalité ont été recensés : la durée du voyage, l'état sanitaire des esclaves au moment de l'embarquement, la région d'origine des captifs, les révoltes, les naufrages, l'insuffisance d'eau et de nourriture en cas de prolongement de la traversée, le manque d'hygiène, les épidémies (dysenterie, variole, rougeole…), la promiscuité.
Les enfants de moins de 15 ans étaient plus fragiles que les hommes. Les femmes étaient plus résistantes que les hommes.
La mortalité des déportés lors de la traversée serait comprise entre 11,9 % et 13,25 %. Il arrivait que certaines atteignent 40 %, voire 100 %[Petre 24].
Dans le cas des expéditions négrières nantaises, le taux de mortalité des déportés avoisinait 13,6 %[Dag 13].
1597-1700 | 1701-1750 | 1751-1800 | 1801-1820 | 1821-1864 | Ensemble de la période |
---|---|---|---|---|---|
22,6 % | 15,6 % | 11,2 % | 9,6 % | 10,1 % | 11,9 % |
Les esclaves devaient être systématiquement soumis à une quarantaine avant d'être débarqués. Mais les arrangements avec les autorités étaient fréquents. Le chirurgien veillait à redonner une apparence convenable : les lésions cutanées et les blessures étaient dissimulées, les cheveux étaient coupés et le corps était enduit d'huile de palme. Ils étaient alors prêts pour être vendus sur les marchés aux esclaves.
Dans la majorité des colonies, les esclaves étaient vendus par lots. Une annonce était transmise aux planteurs locaux. La vente pouvait avoir lieu sur le navire ou à terre. Il existait plusieurs techniques de vente comme les enchères ou le scramble (en). Les colonies qui importèrent le plus d'esclaves furent le Brésil suivi des Antilles.
Après la vente, les esclaves faisaient l'objet d'une sorte de « dressage » (période d'acclimatation appelée le seasoning par les esclavagistes anglo-saxons). Coupés de leurs racines (on les séparait de leur famille, de leur groupe ethnique, de leur groupe linguistique, on leur donnait un nouveau nom), ils devaient s'habituer aux conditions particulières du pays (apprentissage de la langue, vie sociale sur les plantations, apprentissage forcé de la religion, etc.) et des conditions de travail. Totalement désocialisés, ils durent réinventer des liens communautaires qui ne pouvaient plus être ceux de l'Afrique et se créer des biens immatériels (prière, spiritualité, musique à travers des chants de travail qui sont à l'origine des negro spirituals et des gospels)[10].
Premier emploi aux Amériques[Tho 7] | Pourcentage |
---|---|
Plantation de canne à sucre | 45,4 % |
Plantation de café | 18,2 % |
Mine | 9,1 % |
Travaux domestiques | 18,2 % |
Plantation de coton | 4,5 % |
Plantation de cacao | 2,3 % |
Bâtiment | 2,3 % |
La canne à sucre, où la productivité et la rentabilité pouvaient être poussées au maximum, étaitt la culture qui consommait le plus d'esclaves et les usait le plus vite. Les planteurs y affectaient les esclaves les plus jeunes, qui étaient soumis au fouet lorsque la productivité ralentissait.
C'est avec la révolution sucrière en Amérique que la traite connut une telle ampleur. Selon l'économiste américain Robert Fogel (1926-2013), « entre 60 et 70 % de tous les Africains qui survécurent à la traversée de l'Atlantique finirent dans l'une ou l'autre des […] colonies sucrières »[Petre 26].
La révolution sucrière commença au Brésil dans les années 1600, puis elle se propagea dans les Caraïbes à partir du troisième tiers du XVIIe siècle. Manquant d'esclaves Amérindiens, les Portugais commencèrent à importer des esclaves d'Afrique à la fin du XVIe siècle. Ceci favorisa le métissage, tandis que certains esclaves en fuite fondèrent des quilombos. Vers 1580, des esclaves fugitifs lancèrent un mouvement millénariste et syncrétique, influencé par le christianisme, dans la Baie de tous les saints, à Bahia : la Santidade de Jaguaripe fut réprimée avec l'aide des Jésuites et de l'Inquisition romaine[réf. souhaitée].
Les grandes plantations (fazendas) cultivaient pour l'exportation. Le travail était plus simple que pour le tabac ou le coton. Les esclaves coupaient la canne à la machette avant de la transporter en chars à bœufs vers les moulins[Tho 8].
La plantation typique, d'une surface de 375 hectares, comprenait 120 esclaves, 40 bœufs, une grande maison, des communs et des cases pour les esclaves[Tho 9].
À la fin du XVIIIe siècle, la culture de café se développa.
Les recherches de l'historien québécois Marcel Trudel, portant sur 1 587 esclaves dont l’âge au décès est connu, donnent un âge moyen de mortalité des esclaves au Québec de 19,3 ans entre 1730 et 1800[11].
Au XVIIIe siècle, dans les plantations sucrières françaises, on a souvent tendance à croire que la plupart des esclaves était uniformément soumis à un traitement d'une cruauté gratuite qui dépasserait l'entendement. Or cela serait allé contre les intérêts du maître d'abîmer son outil de travail, d'autant plus qu'il avait souvent dû les acheter à un prix élevé. Celui-ci gardait donc un œil sur l'état de santé des esclaves[13]. Également, le Code noir vint réglementer le traitement des captifs. Ainsi les maîtres étaient-ils dans l'obligation d'instruire et évangéliser les esclaves. En revanche, il prévoyait aussi une palette de châtiments corporels (fouet, amputation, exécution)[14].
Les Bossales, ou nouveaux arrivés, n'étaient pas tout de suite mis au travail. Pendant au plus six mois, ils étaient mis à l'écart pour s'acclimater.
À la fin du XVIIIe siècle, en Guadeloupe, le taux de mortalité des esclaves oscillait entre 30 et 50 pour mille. En métropole, le taux de mortalité était compris entre 30 et 38 pour mille. Trois facteurs expliquaient ces écarts entre la métropole et les Antilles françaises[15] :
Année | Blancs | Esclaves noirs | % de blancs |
---|---|---|---|
1772 | 12 737 | 77 957 | 14,04 % |
1777 | 12 700 | 84 155 | 13,11 % |
1785 | 13 599 | 85 290 | 13,75 % |
1789 | 13 712 | 89 823 | 13,24 % |
Les négriers rentraient en Europe avec de la canne à sucre ainsi que de l'or, ou des effets de commerce, correspondant à la vente des esclaves, mais aussi avec des produits dits de « haute valeur » (coton, canne à sucre, tabac et métaux précieux).
Pour les négriers nantais, la mortalité moyenne était de 17,8 % : certaines traversées pouvaient se faire sans aucun décès tandis que d'autres pouvaient enregistrer une mortalité de 80 % voire davantage[Dag 14].
On considère généralement que le début de la traite occidentale date de 1441, quand des navigateurs portugais enlevèrent des Africains noirs pour en faire des esclaves dans leur pays[17].
Une autre motivation de l'esclavage organisé par les Portugais est le besoin impérieux pour les équipages de marins, de se reposer au cours de leurs interminables voyages vers les Indes occidentales et vers la Chine (à Macao) et le Japon (à Nagasaki). Ces voyages pouvaient durer des mois, entraînant une forte mortalité dans les équipages portugais (à cause de la fatigue et du scorbut). D'où la nécessité de se reposer dans des escales sur les possessions portugaises de l'Atlantique : principalement les îles du Cap Vert et les îles de Sao Tome et Principe. Pour cela, les autorités portugaises décidèrent de faire venir des paysans portugais cultiver la terre de ces îles atlantiques (dans le but de nourrir les marins faisant escale, avec une nourriture fraîche qui limitait le scorbut). Ces paysans portugais, habitués au climat relativement sec du Portugal, mouraient en grand nombre sous le climat équatorial de ces îles africaines. Par contre les Africains habitués à ce climat supportaient bien mieux de travailler dans de telles conditions : d'où l'idée des Portugais de faire venir du continent africain des esclaves pour travailler la terre de ces îles : ce fut le début de l'esclavage des Africains par les Européens.
Ce sont les Portugais qui se distinguèrent. Ils déportèrent près de 757 000 esclaves, soit trois quarts des déportés sur cette période. Trois déportés sur quatre étaient embarqués à partir de l'Afrique centrale et ils étaient destinés au Brésil (34 %) et à l'Amérique espagnole continentale (43 %). Le reste des esclaves venaient d'Afrique de l'Ouest.
Au total, 90 % de cette traite a eu lieu après 1672 et la création en Angleterre de la Compagnie royale d'Afrique, qui a surtout approvisionné la Jamaïque et en France de la Compagnie du Sénégal pour alimenter l'île de Saint-Domingue.
Au XVe siècle, avec le commerce transsaharien, le commerce des esclaves ainsi que celui de produits africains, comme l'or ou le poivre de malaguette (appelé également la graine du paradis), étaient présents sur quelques marchés européens[Tho 10]. Avec la prise de Ceuta en 1415, les Portugais s'informèrent sur le commerce transsaharien. Ils en connaissaient de nombreux détails. Leur objectif était d'atteindre les mines d'or africaines. Pour y parvenir, ils ne tentèrent pas de prendre le contrôle des routes transsahariennes (solidement maintenues par les Arabes) . Ils privilégièrent une nouvelle route, la voie maritime[Tho 11].
Les Portugais furent les premiers Européens à se risquer sur les côtes atlantiques de l'Afrique. Plusieurs facteurs y contribuèrent[Tho 12] :
En 1441, Antao Gonçalves captura des Africains noirs, des Azenègues, qui furent offerts en trophée au prince Henri[Tho 13]. Cet événement est considéré comme le début de la traite atlantique. Mais à l'époque, cet épisode fut anodin. En effet, depuis plusieurs décennies, la traite transsaharienne fournissait des esclaves noirs au Portugal. Les Portugais continuèrent les razzias. Celles-ci procuraient un profit immédiat et elles rentabilisaient les expéditions[Tho 14].
Un nouveau procédé d'obtention de captifs prit forme très tôt, le commerce. Dès 1446, Antao Gonçalves acheta des esclaves[Tho 15]. En 1448, 1 000 captifs furent déportés au Portugal et sur les îles portugaises (les Açores et Madère)[Tho 16]. Dans les années 1450, le Vénitien Ca'da Mosto reçut 10 à 15 esclaves en « Guinée » en échange d'un cheval. Il essaya d'entrer en contact avec Sonni Ali Ber, l'empereur des Songhaïs. Ces efforts restèrent vains[Tho 17].
Supposant des succès portugais, les Castillans et les Génois lancèrent leurs propres expéditions. Ils furent contrés par la diplomatie portugaise.
Les Portugais avaient plusieurs objectifs.
Ainsi, dans la seconde moitié du XVe siècle, les Portugais s'enhardirent. La Couronne portugaise entreprit d'établir des relations commerciales stables avec l'Afrique subsaharienne. En 1458, le prince Henri le navigateur souhaita que ses hommes achètent les esclaves plutôt que de les razzier. Cette mission fut confiée à Diogo Gomez (il revint avec 650 esclaves razziés)[Tho 18]. La Couronne portugaise décida de laisser la gestion des nouvelles expéditions à des hommes d'affaires et des marchands portugais. Le premier d'entre eux fut Fernando Po en 1460. En contrepartie, il s'engagea à verser chaque année 200 000 reis et à explorer 100 lieues de côtes inconnues[Tho 19]. Le droit de transporter des esclaves fut ensuite confié à une succession de marchands privilégiés, obligés de verser un impôt annuel fixé par la couronne.
Le règlement vis-à-vis des expéditions évolua : tout esclave importé devait être débarqué à Lisbonne (1473) et tout bateau en partance pour l'Afrique devait s'enregistrer à Lisbonne (1481)[Tho 20]. Les Portugais commencèrent à s'implanter sur plusieurs points du littoral africain. En 1461, le premier comptoir et le premier fort étaient achevés à Arguin[Tho 16]. En 1462, ils s'installèrent dans les îles du Cap-Vert[Tho 21]. En 1481, la construction de la forteresse d'El Mina commençait. Le prince local, Ansa de Casamance, voyait d'un mauvais œil cette nouvelle bâtisse[Tho 22]. En 1486, ils étaient sur l'île de Sao Tome[Tho 23].
Ces expéditions étaient souvent de brillantes réussites commerciales[Tho 24]. Les Portugais étaient de très bons intermédiaires et, grâce à leur caravelle, ils pouvaient convoyer toute sorte de biens le long du littoral africain[Tho 25]. Ils s'intéressaient surtout à l'or, à l'ivoire et à la graine de Guinée[Tho 21]. Mais les esclaves prenaient une place de plus en plus importante. En effet, à partir de 1475, les Portugais fournirent des esclaves aux Akans à Elmina[Petre 27] et la réussite des implantations de la canne à sucre à Madère (1452)[Tho 26], aux îles Canaries (1484)[Tho 27], puis à Sao Tome (1486)[Tho 28] exigea un nombre croissant d'esclaves.
Les marchandises échangées avec les chefs africains affluaient de toute l'Europe et de la Méditerranée (tissus de Flandre et de France, du blé d'Europe du Nord, des bracelets de Bavière, des perles en verre, du vin, des armes blanches, des barres de fer[Tho 21]).
Les Portugais connurent également de grands succès politiques. En Afrique, ils établirent des relations commerciales avec deux royaumes africains. En 1485, Cão s'entretint avec Nzinga, le roi du Kongo. Il revint au Portugal avec des esclaves et un émissaire[Tho 29]. En 1486, Joao Afonso Aveiro entra dans le royaume du Bénin. Il crut qu'il était proche de l'Éthiopie, le royaume du prêtre Jean[Tho 30]. En Europe, en 1474, le prince réclama et obtint la propriété de l'Afrique[Tho 31]. En 1479, les Espagnols cessèrent leurs expéditions vers l'Afrique. Ils reconnaissaient le monopole portugais[Tho 32]. Cependant, il y eut un échec politique. En 1486, les Portugais aidèrent le roi Bemoin au Sénégal. Mais il fut déchu et exécuté[Tho 28].
L'oba du Bénin finit par interdire l'exportation de captifs. Pour le cuivre, les Portugais se fournissaient au Congo[Tho 33].
Incapable de fournir suffisamment d'esclaves à ses colonies en raison du traité de Tordesillas entre l'Espagne et le Portugal, l'Espagne mit en place un asiento, privilège par lequel le bénéficiaire s'engageait à fournir un certain nombre d'esclaves aux colonies espagnoles. En retour, il se trouvait en situation de monopole : l'Espagne s'engageait à ce que l'empire achetât des captifs uniquement aux détenteurs de l'asiento. L'asiento fut ainsi octroyé tour à tour aux Portugais, puis aux Génois (et à leur Compagnie des Grilles), aux Hollandais, à la Compagnie française de Guinée, ou encore aux Anglais.
Vinrent ensuite les Hollandais, les Anglais et les Français. Ils traitaient notamment avec les Africains de la gomme, de l'or, du poivre de malaguette, de l'ivoire… et des esclaves.
Cependant, malgré les bulles pontificales, des Français et des Anglais firent quelques expéditions sur les côtes de l'Afrique, au grand désespoir des Portugais.
La traite sur les côtes africaines s'est très lentement structurée.
Vers 1475, les Portugais achetaient des esclaves dans le golfe du Bénin. Les Ijos et les Itsekiris se livraient alors à cette traite. Les esclaves qu'ils traitaient, étaient soit achetés à l'intérieur des terres, soit des criminels condamnés[Tho 34]. Une partie des esclaves était acheminée à Elmina. Ils étaient vendus à d'autres Africains contre de l'or[Tho 31].
À partir de 1486, les Portugais commencèrent à traiter avec le royaume du Bénin[Tho 35]. En 1530, le royaume du Benin émit des réserves sur la traite des esclaves et, vers 1550, l'oba du Bénin interdit la traite.
En 1485, les Portugais achetèrent les premiers esclaves au Congo[Tho 36]. Vers 1550, le Congo devint la principale zone de traite. Mais la demande portugaise en captifs était si élevée que le monarque fut vite dépassé. D'autres peuples s'entendirent pour satisfaire cette demande (les Pangu à Lungu, le peuple Tio). De 1 000 esclaves déportés en 1500, il y en avait entre 4 000 et 5 000 qui étaient déportés annuellement du Congo à partir de 1530[Tho 37].
L'Angola (ou Ndongo) fournissait également des esclaves aux Portugais. Dès 1550, les rois du Congo et de l'Angola se contestaient la suprématie dans la fourniture de captifs aux Portugais[Tho 38]. Vers 1553, un nouvel État africain livre des esclaves. Il s'agit de la monarchie d'Ode Itsekiri sur le Forcados (près du royaume du Bénin)[Tho 39].
Au début du XVIIe siècle, de nombreux villages de pêcheurs sur l'estuaire du Niger devinrent des villes autonomes avec d'importants marchés aux esclaves. Certaines de ces villes finirent par devenir de puissantes monarchies : Bonny, New Calabar, Warri, Bell Town et Akwa Town au Cameroun ; et il y avait de puissantes républiques commerçantes, comme Old Calabar et Brass[Tho 40].
Très lentement, les esclaves noirs commencèrent à peupler les nouvelles possessions impériales espagnoles. Le phénomène fut graduel, discret, riche en faux départs. Ainsi un décret de 1501 interdisait les déportations aux Indes d'esclaves nés en Espagne, ainsi que des Juifs, de Maures et de « nouveaux chrétiens », c'est-à-dire des Juifs convertis. Cependant, certains marchands et capitaines obtinrent l'autorisation privée d'emmener aux Indes quelques esclaves noirs[Tho 41].
Le début de la traite d'esclaves vers les Amériques ne commença que le , quand le roi Ferdinand donna la permission d'envoyer cinquante esclaves sur Hispaniola pour l'exploitation des mines. Ces esclaves devaient être « les esclaves les meilleurs et les plus forts qui se puissent trouver ». Il est certain qu'il songeait alors aux Noirs. Quant aux Indiens, ils ne résistaient pas aux mauvais traitements dans les champs et les mines (et surtout aux épidémies de variole). En 1510, il n'en restait plus que 25 000 sur Hispaniola[Tho 42].
L’essor de l’exploitation d'or, notamment à Cibao, puis de sucre à Hispaniola, inaugure, entre 1505 et 1525, un premier trafic triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques, qui conduit à la déportation de près de 10 000 esclaves vers Hispaniola, Porto Rico et Cuba où les colons ont mis sur pied une économie de plantation sucrière[17].
Jusqu'en 1550, la plupart des captifs africains étaient destinés à la péninsule Ibérique, à Madère, à Sao Tome et à Principe. À partir de 1550, la demande espagnole pour l'Amérique décolla[Tho 43]. Les esclaves étaient alors pêcheurs de perles à la Nouvelle-Grenade, débardeurs à Veracruz, dans les mines d'argent de Zacatecas, dans les mines d'or du Honduras, du Venezuela et du Pérou, vachers dans la région de la Plata. D'autres étaient forgerons, tailleurs, charpentiers et domestiques. Les esclaves femmes servaient de femme de chambre, de maîtresse, de nourrice ou de prostituée. On prenait l'habitude de leur confier les tâches les plus ingrates[Tho 44].
Au Nord-Est du Brésil, dans les capitaineries de Pernambouc et de Bahia, les premières plantations sucrières virent le jour sur le sol américain[Tho 45]. La demande en travail servile explosa. Les Portugais avaient alors à leur disposition les Indiens. Mais la persévérance de Bartolomé de las Casas et d'autres dominicains finirent par rendre l'asservissement des Indiens illicite[Tho 46]. De plus, l'épidémie de dysenterie associée à la grippe avaient décimé la population indienne au Brésil dans les années 1560[Tho 47]. Enfin les planteurs n'étaient pas satisfaits du travail des Indiens. Ceux-ci ne résistaient pas aux mauvais traitements qui leur étaient infligés et surtout aux épidémies. Pour toutes ces raisons, la demande d'esclaves noirs en provenance du royaume du Kongo et de l'Angola se raffermit. De 2 000 à 3 000, en 1570, la population noire du Brésil s'élevait à 15 000 en 1600. Le quotidien de ces esclaves était très dur. Leur espérance de vie était d'environ dix ans. Il fallait donc sans cesse de nouveaux arrivages d'Angola et du Congo. Le Brésil devenait le principal fournisseur en sucre de l'Europe[Tho 48].
Le premier navire négrier français, l’Espérance partit de La Rochelle en 1594, se dirigea vers le Gabon et poursuivit au Brésil[18]
Dans le premier quart du XVIIe siècle, le nombre total d'esclaves déportés d'Afrique devait approcher les 200 000, dont 100 000 allèrent au Brésil, plus de 75 000 en Amérique espagnole, 12 500 à São Tomé et quelques centaines en Europe[Tho 49].
Le nombre d'esclaves africains travaillant alors dans les colonies antillaises était relativement faible. À la Guadeloupe, en 1671, 47 % des maîtres n'avaient qu'un seul esclave. Dans les premiers temps, dans les treize colonies anglaises, serviteurs, blancs et noirs, travaillaient côte à côte, dans le cadre de petites exploitations. Inversement dans les îles françaises, les engagés blancs étaient alors durement traités[Petre 28].
L'année 1674 est celle du grand virage pour l'esclavage. Jusque-là, depuis des siècles, des Africains sont emmenés à travers le Sahara vers le monde arabe, où ils deviennent domestiques. Le long et coûteux voyage, tout comme la demande modeste limitent le prélèvement annuel sur les populations africaines.
Les planteurs de sucre espagnols du Venezuela et portugais du Brésil achètent aussi des esclaves mais en quantité limitée, car le transport, par le système de l'Asiento, est le monopole des marchands hollandais, qui se limitent aux expéditions les plus rentables. Le sucre est encore cher sur le marché mondial ce qui empêche sa commercialisation à grande échelle.
La donne change quand le commerce triangulaire prend son essor à partir de 1674, l'année où les Français et les Anglais commencent à disputer aux Hollandais le monopole du transport des esclaves de la côte africaine vers les Amériques, où deux grandes îles, la Jamaïque et Saint-Domingue et trois petites, la Martinique, la Guadeloupe et la Barbade deviennent la principale zone mondiale d'importation des esclaves.
Le futur roi d'Angleterre Jacques Stuart crée en 1672 la Compagnie royale d'Afrique tandis que son cousin français Louis XIV fonde la Compagnie du Sénégal la même année et dissout la Compagnie des Indes de Colbert, l'une des premières compagnies coloniales françaises, à qui il reproche son incapacité à importer des esclaves. Louis XIV devient en 1674 un monarque absolu. Il prend ses distances avec Colbert et tombe amoureux de la Marquise de Maintenon, qui vécut dans sa prime jeunesse à la Martinique et achète le château de Maintenon à Charles François d'Angennes, un flibustier devenant en 1678 le plus riche planteur de Martinique.
L'arrivée des Français et des Anglais en 1674 sur les côtes d'Afrique fait brutalement monter le prix des esclaves, entraînant le développement de nouveaux circuits d'approvisionnement à l'intérieur du continent, qui affaiblissent les sociétés africaines traditionnelles.
L'arrivée en masse de nouveaux esclaves aux Antilles fait parallèlement baisser leur prix d'achat par les planteurs de canne à sucre, tandis que la production de sucre progresse très vite, ce qui a pour effet d'abaisser le prix de cette denrée sur le marché mondial, et de favoriser sa consommation en Europe.
Pour laisser la voie libre aux planteurs de sucre, Jacques II et Louis XIV tentent d'évincer les petits planteurs de tabac de la Barbade et de Saint-Domingue, par ailleurs soupçonnés de collusion avec les flibustiers. En France, la ferme du tabac est un monopole créé en 1674. Le prix d'achat aux planteurs est abaissé et le prix de vente au contraire relevé. Du coup, la production est découragée et la plupart des consommateurs préfèrent s'approvisionner en tabac de Virginie et du Maryland, où Jacques II vient justement d'octroyer à des aristocrates catholiques des terres pour créer d'immenses plantations de tabac qui fonctionnent, elles, à base d'esclaves.
La traite atlantique ne prit véritablement son essor qu'à partir du dernier tiers du XVIIe siècle[Petre 29].
Au total, 90 % de cette traite a eu lieu après 1672 et la création en Angleterre de la Compagnie royale d'Afrique, qui a surtout approvisionné la Jamaïque et en France de la Compagnie du Sénégal pour alimenter l'île de Saint-Domingue.
Trois phénomènes concoururent à accélérer la demande des négriers européens : des produits se firent plus rares (l'or et l'ivoire) ou étaient concurrencés (le poivre de malaguette par les épices des Indes) ; la canne à sucre était mise en production au Brésil et dans les Antilles ; le choix d'esclaves africains s'imposa aux exploiteurs[Petre 30].
Au milieu du XVIIe siècle, la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (ou W.I.C.) était toute puissante. Les Hollandais s'étaient implantés au Brésil et ils avaient enlevé Elmina. Leur position sur la traite fut renforcée par différents accords : l'asiento en 1662, puis l'accord entre l'Espagne et la firme Coijmans d'Amsterdam en 1685 et celui signé avec les assientis de la compagnie portugaise de Cacheu en 1699. Mais cette toute-puissance ne dura pas. Ils furent supplantés par les Anglais et les Français. Le monopole de la W.I.C. pour le commerce avec l'Afrique dura jusqu'en 1730, et celui pour la traite jusqu'en 1738. Avec l'ouverture au commerce libre, le nombre de captifs déportés par les Hollandais augmenta. Entre 1751 et 1775, le nombre de déportés s'éleva à 148 000.
Londres, Bristol et Liverpool furent les principaux ports négriers britanniques. Il y eut aussi Whitehaven, Glasgow, Dublin, Plymouth. Le monopole du commerce avec l'Afrique était concédé à la Compagnie royale d'Afrique en 1698. Au total, il y a eu 5 700 négriers armés à Liverpool.
Entre 1651 et 1675, 115 000 esclaves étaient déportés. Entre 1676 et 1700, ils étaient 243 000. Entre 1701 et 1725, ils étaient 380 000. Entre 1726 et 1750, ils étaient 490 000. Entre 1751 et 1775, ils étaient 859 000. La décrue s'amorça dès 1776 et la traite fut interdite le [19].
17 ports français participèrent à 3317 expéditions négrières. Nantes fut le principal port négrier français à partir du quai de la Fosse. 1427 expéditions y furent armées, soit 42 % de la traite française. D'autres ports armèrent de nombreux négriers : La Rochelle (427 à 448), Le Havre (de 399 à 451[20]) et Bordeaux (393 à 419[20]). Et il y eut aussi Saint-Malo (216), Lorient (156), Honfleur (125 à 134[20]), Marseille (88 à 120), Dunkerque (44), Rochefort (20), Vannes (12), Bayonne (9), Brest (7).
Le démarrage de la traite française fut tardif. Bordeaux en 1672, Nantes et Saint-Malo en 1688 expédiaient leurs premiers négriers. Avant 1692, 45 négriers étaient partis de La Rochelle.
En ce qui concerne le commerce négrier rochelais, il permet le financement des ateliers où se fabriquent,se vendent et se conservent les marchandises destinées à l'achat des captifs en Afrique. Ce commerce donne du travail aux chantiers navals et assure la subsistance de plusieurs centaines de matelots. Autant de rochelais qui à leur manière sont acteurs de la traite. La première expédition négrière au départ de La Rochelle a eu lieu entre 1594 et 1595 à bord du bateau L’Espérance qui transporte ses captifs vers une colonie portugaise au Brésil.
Entre 1710 et 1770, 242 expéditions négrières ont été menées au départ de La Rochelle. En 1753, une faillite touche les grandes familles d’armateurs rochelais faisant place à de nouveau acteurs. Louis-Etienne Arcère, historien rochelais soutient que : « le commerce de Saint-Domingue, écrit-il, en fit éclore un autre pour La Rochelle. Il fallait des bras pour défricher les campagnes de la colonie, la Guinée en fournissait. On alla en Afrique acheter des troupeaux d’hommes. On rapporta encore de cette contrée de la poudre d’or. Depuis ce temps le commerce de La Rochelle s’est élancé par un vol constant vers la grandeur[21] ».
Outre une interruption du trafic négrier rochelais entre 1778 et 1781, on dénombre 195 expéditions au départ de La Rochelle et 17 au départ de Rochefort. Le 26 avril 1792, Le Saint-Jacques est le dernier navire négrier à quitter le port au XVIIIe siècle. En 1817, le roi Louis XVIII signe une ordonnance interdisant la traite en France, malgré tout quatre navires rochelais figurent au nombre des 674 expéditions illégales menées jusqu’en 1830 au moins. La traite négrière représentait un tiers des armements de La Rochelle, et si l’on ajoute le commerce direct avec Saint-Domingue, le commerce transatlantique représentait 80% de son activité. 130 000 captifs ont été chargés en Afrique de La Rochelle à destination des colonies de l’Amérique et principalement de Saint-Domingue. Au XIXe siècle, les Rochelais n’armeront plus de navires négriers contrairement à Nantes.
Entre 1745 et 1747, il y eut en moyenne 34 expéditions négrières par an. Entre 1763 et 1778, il y en a eu 51 par an. Entre 1783 et 1792, il y en a eu 101 par an.
Du milieu du XVIIe siècle au début du XIXe siècle, la traite entre Européens et Africains se mit en place sur toutes les côtes africaines :
L'offre africaine était cependant relativement concentrée au XVIIIe siècle[Petre 34] : dans le golfe de Guinée, il y avait la Côte-de-l'Or et la côte des Esclaves ; en Afrique centrale, les trois quarts des captifs étaient vendus entre Cabinda et Luanda, un espace côtier long de 300 miles ; des sites côtiers comme Ouidah.
Au siècle des Lumières, la demande de produits américains en Europe occidentale connaît une croissance très forte car leur prix a baissé en raison de la forte croissance de l'offre : ce fut le cas par exemple du coton, du café et du sucre, notamment celui de la colonie de Saint-Domingue, dont la production fut intensifiée par l'emploi d'environ 550 000 esclaves au XVIIIe siècle. La consommation de sucre, quasiment nulle au XVIe siècle en France, était passée à 4 kilogrammes par personne et par an à la fin du XVIIIe siècle, selon une estimation non recoupée[22]. La création de nouvelles plantations s'étend à de nouvelles parties de la Caraïbe comme la partie française de Saint-Domingue, pour le sucre mais aussi le coton et le café, où est acheminée une main d'œuvre plus importante qu'au siècle précédent.
Le Brésil avait été la première destination des navires négriers : au total, plus de 40 % des déportés du commerce triangulaire y furent transportés[23].
Le 16 mars 1792 une ordonnance du Roi du Danemark et de Norvège prévoit l'interdiction de la traite négrière pour les sujets de son royaume et l'interdiction de l'importation d'esclaves sur son territoire à compter de 1803[24]. Cinq mois plus tard le 11 août 1792, l'assemblée législative s'engage à son tour dans l'abolition de la traite en abrogeant les primes accordées annuellement aux armateurs négriers depuis 1784. Cette mesure, la Convention Nationale la confirme le 27 juillet 1793. Le 4 février 1794, la France abolit non seulement la traite mais aussi l'esclavage dans ses colonies, mais cette décision est contrecarrée par le traité de Whitehall, signé par des grands planteurs esclavagistes avec les Anglais pour tenter de leur offrir leurs colonies, ce qui se produit à la Martinique, puis par le rétablissement de l'esclavage par Napoléon en 1802
En 1807, les Britanniques interdirent la traite, suivis par les États-Unis. Les autres États européens concernés par la traite, principalement la France, suivirent le même chemin, mais plus tard, sous la pression des Anglais, redoublée lors du congrès de Vienne de 1815. Et quand ces États interdirent la traite, leurs ressortissants négriers continuèrent dans l'illégalité, mais furent traqués grâce au droit de visite des navires étrangers. Face à l'interdiction de la traite, des Européens souhaitèrent s'implanter en Afrique pour mettre en place des systèmes de plantations similaires à ceux des Amériques. Au Sénégal, Faidherbe lutta contre ces projets.
En France, après 1815, la traite illégale se poursuit avec l'assentiment tacite des autorités. Sur les 729 expéditions françaises de traite avérées, suspectes ou soupçonnables, qui ont lieu entre 1814 et 1850, Serge Daget en dénombre 39 pour le port de Bordeaux, 6 pour Bayonne et 4 pour La Rochelle[25]. La traite illégale est présentée comme un moyen de résister aux Britanniques soupçonnés de vouloir affaiblir l'économie nationale. Pour les historiens Bruno Marnot et Thierry Sauzeau, la décision française d'interdire la traite se confronte aux besoins en esclaves des plantations coloniales restantes, malgré la perte de Saint-Domingue. Ils évoquent une « volontaire cécité face aux stratagèmes déployés par les armateurs négriers pour éviter la confiscation de leur navire », la répression ne commençant à s'affirmer progressivement qu'après 1822, année de la nomination du marquis de Clermont-Tonnerre au ministère de la Marine[25]. En 1825, la Cour de cassation ordonne la poursuite des négriers, puis la loi de 1827 déclare criminels ceux qui pratiquent le commerce des esclaves[25].
L'abolition de l'esclavage, en 1833 en Grande-Bretagne et en 1848 en France, a également contribué à faire baisser la traite, tandis qu'aux États-Unis l’accroissement de la population d'esclaves s'est effectuée principalement via des naissances sur le sol américain dès les années 1810. Seuls Cuba et le Brésil, où avaient lieu des défrichements massifs de terres, restaient des destinations importantes. Le dernier envoi clandestin connu d'esclaves du Mozambique au Brésil eut lieu en 1862.
Il y eut aussi des exceptions territoriales: bien que Londres ait aboli la traite dans l'océan Indien dès 1812, l'abolition de la traite dans les Indes britanniques ne fut promulguée qu'en 1843, et celle de l'esclavage qu'en 1862[26].
La traite négrière occidentale avait amorcé un déclin à partir du début du XIXe siècle. Cependant, la traite resta très dynamique jusqu'en 1850, date à laquelle ce trafic se réduisit fortement pour devenir marginal après 1867[réf. nécessaire]. Durant le XIXe siècle, l'activité négrière occidentale change en effet de nature. Après avoir été monopolisée, puis libéralisée par les États, l'activité négrière était devenue illégale. Cependant, le marché existait toujours — le Brésil, par exemple, n'abolit l'esclavage qu'en 1888 avec la loi d'or, deux ans après Cuba — et vu la faiblesse du droit international, des trafics persistèrent. Ainsi, il fallut attendre le quintuple traité de 1841 entre les puissances européennes, puis la convention de Bruxelles (1890), pour que les navires militaires de l'un des États contractants obtiennent le droit d'arraisonner les navires de trafiquants d'esclaves d'autres pays[27], et que même les États où l'esclavage demeurait légal s'engagent, par cette Convention, à mettre un terme à la traite[28].
En Haute Guinée et en Sénégambie (5 000 captifs par an jusqu'en 1850), le trafic s'était concentré dans la région de Gallinas. Lagos et Ouidah vendaient 60 % des captifs exportés de la baie du Bénin (10 000 captifs par an jusqu'en 1850). Dans la baie de Biaffra 9 à 12 000 captifs par an jusqu'en 1840. Les ventes s'effectuaient surtout à Bonny et aux deux Calabar. Le Congo et l'Angola vendaient 48 % des captifs de la traite atlantique du XIXe siècle. Ces ventes s'effectuaient à Loango, Cabinda, Ambriz, pour le Congo, et à Luanda et Benguela, pour l'Angola[Petre 35].
Forme déguisée de la traite lorsqu'elle affranchissait, une fois achetés et sur le bateau, des noirs réduits en esclavage sur la Côte d'Ivoire, l'engagisme dans sa première forme fut tellement décrié comme perpétuation du commerce triangulaire qu'il fut presque aussitôt aboli.
La seconde tentative de faire venir des coolies chinois dans les Caraïbes fut également un échec ; cette fois pas parce qu'ils fussent esclaves déguisés, mais parce que les maîtres des plantations trouvaient que ces serviteurs engagés renâclaient à la besogne.
La troisième tentative fut un tel succès qu'elle apporta le troisième peuplement exogène des Caraïbes. Il s'agissait des Indiens du sous-continent, en majorité provenant de l'Empire britannique des Indes, mais également d'autres passant par les comptoirs français de Chandernagor et Pondichéry.
Dans Les Traites négrières, Essai d'histoire globale paru en 2004, Olivier Pétré-Grenouilleau écrit[Petre 36] :
« Il a fallu attendre 1969 et la publication du fameux The Atlantic Slave Trade. A census, de l'historien américain Philip D. Curtin (en)(1922-2009), pour que l'histoire quantitative de la traite par l'Atlantique sorte véritablement des brumes de l'imaginaire. Ce que les historiens anglo-saxons appellent le « jeu des nombres » débutait alors. Pour la première fois, les travaux portant sur la question étaient passés au crible de l'analyse critique historique. L'étude de Curtin venait à un moment où l'histoire de la traite des Noirs prenait son envol. C'était également l'époque où la New Economic History commençait à s'affirmer dans le monde anglo-saxon. Une histoire empruntant à l'économétrie qui a, de suite, trouvé dans la traite par l'Atlantique un formidable levier. Les résultats du Census, de Curtin, ont donc été immédiatement à l'origine de vastes débats, contribuant à impulser de très nombreuses recherches. En 1999, un CD-Rom était publié recensant 27 233 expéditions négrières, réalisées entre 1595 et 1866[29]. Reprises et commentées par Herbert S. Klein, dans un livre sorti la même année, complétées par David Eltis, dans un article paru en 2001, ces données seront encore affinées, lors de la publication d'un nouveau Census, annoncée par Steven Behrent, David Eltis et David Richardson. Tout cela fait du trafic atlantique la traite aujourd'hui la mieux connue, d'un point de vue statistique. Aucune autre migration humaine de l'histoire - forcée ou non - n'a sans doute été étudiée avec un tel luxe de détails. »
« Il n'y a certes pas d'accord total sur les chiffres. Ainsi bien qu'ayant révisé ses estimations à la baisse, Joseph Inikori indiquait en 2002, qu'environ 12 700 000 Africains avaient été déportés à travers l'Atlantique. Cependant, un consensus général se dessine, confirmant les analyses d'ensemble de Curtin quant au volume global de la traite, tout en les nuançant dans le détail, c'est-à-dire dans ses rythmes. Selon lui, 9,5 millions d'Africains auraient été introduits dans les différentes colonies du Nouveau-Monde et, compte tenu de la mortalité au cours du middle passage, 11 millions, environ, seraient partis d'Afrique. Lors d'un colloque tenu à Nantes en 1985, l'historienne française Catherine Coquery-Vidrovitch annonçait que 11 698 000 Africains auraient été déportés, ajoutant par ailleurs que ce que l'on sait sur l'état des marines européennes de l'époque moderne ne permet guère de penser que ce chiffre aurait pu être dépassé[30].
En 2001, Eltis arrivait à un total de 11 062 000 déportés et de 9 599 000 esclaves introduits dans les Amériques entre 1519 et 1867[31]. Ce sont ces dernières données utilisées ici. Elles ont été élaborées à partir de sources de première main extrêmement variées, puisées dans les trois continents ayant été impliqués par la traite par l'Atlantique. »
En décembre 2008, David Eltis lance la plus large base de données consacrée à la traite négrière atlantique : The Trans-Atlantic Slave Trade Database, elle fait état de 12 521 336 déportés entre 1501 et 1866 (Portugal/Brésil : 46,7 %, Grande-Bretagne : 26 %, France : 11 %, Espagne/Uruguay : 8,5 %, Pays-Bas : 4,4 %, USA : 2,4 %, Danemark/Baltique : 0,9%)[32].
Nombre de captifs (en milliers) |
% | |
---|---|---|
de 1519 à 1600 | 266,1 | 2,4 % |
de 1601 à 1650 | 503,5 | 4,6 % |
de 1651 à 1675 | 239,8 | 2,2 % |
de 1676 à 1700 | 509,5 | 4,6 % |
de 1701 à 1725 | 958,6 | 8,7 % |
de 1726 à 1750 | 1 311,3 | 11,9 % |
de 1751 à 1775 | 1 905,2 | 17,2 % |
de 1776 à 1800 | 1 921,1 | 17,4 % |
de 1801 à 1825 | 1 610,6 | 14,6 % |
de 1826 à 1850 | 1 604,5 | 14,5 % |
de 1851 à 1867 | 231,7 | 2,1 % |
Total[Petre 37] | 11 061,9 |
Le pic fut atteint entre 1751 et 1800 avec une moyenne de 76 000 départs par an[Petre 38].
En prenant en compte l'évolution du taux de croissance, certaines nuances apparaissent. Ainsi, si entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, le rythme d'accroissement moyen annuel de la traite était de 3,3 %, il se stabilisa autour des 2,2 % entre 1500 et 1700, pour ensuite ne progresser que de 0,7 % pendant les quarante premières années du XVIIIe siècle. Il y a ensuite stabilisation puis le recul s'observa à partir de 1790. Le XVIIIe siècle peut donc être coupé en deux : la première partie enregistrant une constante progression quoique ralentie ; la seconde se caractérisant par une stabilisation puis par le déclin[Petre 39].
Afrique centrale | Baie du Bénin | Baie du Biafra | Côte de l'Or | Haute-Guinée | Sénégambie | Afrique de l'Est | Total | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
de 1519 à 1675 | 787,4 (78 %) | 35 (3,5 %) | 94,8 (9,4 %) | 51,3 (5,1 %) | 2 (0,2 %) | 34,8 (3,5 %) | 3,2 (0,3 %) | 1 009 |
de 1676 à 1800 | 2 473,8 (37,4 %) | 1 453,4 (22 %) | 963,8 (14,6 %) | 922,9 (14 %) | 367,8 (5,6 %) | 349,1 (5,3 %) | 75,2 (1,1 %) | 6 606 |
de 1801 à 1867 | 1 626,4 (47,1 %) | 546,5 (15,9 %) | 459,1 (13,3 %) | 69 (2 %) | 225,2 (6,6 %) | 114,5 (3,3 %) | 406,1 (11,8 %) | 3 446,8 |
Total[Petre 40] | 4 887,6 | 2 034,9 | 1 517,7 | 1 043,2 | 595,5 | 498,4 | 484,5 | 11 061,8 |
Pourcentage | 44,18 % | 18,4 % | 13,8 % | 9,43 % | 5,38 % | 4,5 % | 4,38 % | 100 % |
Brésil | Antilles britanniques | Antilles françaises | Amérique britannique continentale | Amérique espagnole continentale | Antilles espagnoles | Antilles néerlandaises | Guyanes | Total | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
de 1519 à 1675 | 273,1 | 117,7 | 8,5 | 2,3 | 339,3 | 0 | 40,8 | 8,2 | 789,93 |
de 1676 à 1800 | 1 854,3 | 1 990,5 | 1 005,9 | 285,3 | 64,9 | 73,6 | 88,9 | 318,9 | 5 682,3 |
de 1801 à 1867 | 1 774,8 | 130 | 78,3 | 73,4 | 26,2 | 718,3 | 0 | 76,6 | 2 877,6 |
Total[Petre 37] | 3 902,2 | 2 238,2 | 1 092,7 | 361 | 430,4 | 791,9 | 129,7 | 403,7 | 9 349,83 |
Portugal | Grande-Bretagne | France | Provinces Unies | Espagne | États-Unis | Danemark | Total | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
de 1519 à 1675 | 757,3 | 140,2 | 5,9 | 105,8 | 0 | 0 | 0,2 | 1 009,4 |
de 1676 à 1800 | 2 044,1 | 2 715 | 1 135,3 | 419,6 | 9,6 | 198,9 | 83,5 | 6 606 |
de 1801 à 1867 | 2 273,5 | 257 | 315,2 | 2,3 | 507,4 | 81,1 | 10,5 | 3 447 |
Total[Petre 41] | 5 070,9 | 3 112,2 | 1 456,4 | 527,7 | 517 | 280 | 94,2 | 11 062,4 |
Pourcentage | 45,8 % | 28,1 % | 13,2 % | 4,8 % | 4,7 % | 2,5 % | 0,9 % | 100 % |
Selon l'historien Robert Stein, à Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre et Saint-Malo, 550 familles arment au total 2 800 navires pour l’Afrique au XVIIIe siècle. Parmi elles, 22 (soit 4 % de l’ensemble) réalisent ¼ de l’armement. La large étude des associés et l’émergence d’une élite managériale étaient les réponses rationnelles au caractère risqué du trafic négrier, et ce quel que soit le lieu[33].
Les membres de cette aristocratie négrière occupent souvent le haut du pavé. Au XVIIIe siècle, dans les grands ports européens, ils fournissent en notables le négoce et les institutions. Présents dans les sociétés ou cercles culturels, ils affichent leur réussite à travers les façades de leurs hôtels particuliers, leurs propriétés rurales et leur style de vie. Leur aisance, leur influence, leur prestige et leur capacité à mobiliser plusieurs types de « capitaux » (économiques, culturels, symboliques, politiques…) peuvent leur ouvrir les portes du pouvoir. La plupart des maires de la Restauration (1815-1830) ont été des négriers illégaux notoires.
L'idée que les bénéfices des navires négriers étaient extraordinaires, nettement supérieurs à 100 %, enflamma l'imaginaire de plusieurs générations. Pourtant de récents travaux sur la rentabilité de la traite occidentale tendent à montrer que les profits étaient très loin d'être faramineux :
Les chiffres présentés ci-dessus ne sont que des moyennes et, à ce titre, ils doivent être fortement nuancés. Tous les travaux se rejoignent pour indiquer une très grande irrégularité des profits, à l'origine de réussites spectaculaires et de retentissantes faillites :
Sur la traite indépendante, les dangers étaient multipliés mais également les gains potentiels. En effet, ces trafiquants ne subissaient pas certains coûts des compagnies nationales à privilège (salaires des employés en métropole et en Afrique).
À cette époque, les profits étaient importants et même des compagnies à monopole connurent de bonnes fortunes.
Cependant, Meyer pour les Français et Unger pour les Hollandais montrent qu'il y a eu une baisse de la rentabilité sur le XVIIIe siècle. En effet, certains facteurs (standardisation des marchandises de traite et essor des manufactures) contribuent à réduire les coûts, mais d'autres facteurs (concurrence accrue, instabilité militaire sur les mers, augmentation considérable de la valeur des êtres humains en Afrique[Tho 54]…), plus nombreux, conduisent à une baisse de la rentabilité.
Ils dépassèrent ceux du siècle précédent.
De gros négociants déportant des esclaves « illégalement », que ce soit à Cuba ou au Brésil, auraient fait faillite, à moins qu'ils n'aient investi dans les plantations de sucre ou de café. Il semble également que beaucoup de négriers aient exagéré leurs profits à cette époque[Tho 57].
Pour Karl Marx, les sources de « l'accumulation primitive » à l'origine de la révolution industrielle étaient l'expropriation paysanne puis la traite et l'exploitation esclavagiste. E. Williams en 1944 a soutenu que la traite, à elle seule, avait suffi au financement du take-off britannique. À la suite de très nombreuses études sur la révolution industrielle et l'industrialisation en Europe, cette thèse est aujourd'hui dépassée :
Pour P. Boulle, la traite n'a été « qu'un apport parmi d'autres au développement » de la Grande-Bretagne. C'est la multiplicité de ses marchés et l'intégration de ses secteurs économiques qui fournirent à l'industrie les moyens de soutenir son développement. Au début du siècle, la part de l'Afrique dans le commerce extérieur n'était que de 2 %. Sur le XVIIIe siècle, la traite britannique s'était fortement accrue (50 % de la traite négrière) si bien qu'en 1760, 43 % des toiles exportées étaient à destination de l'Afrique. Mais l'Amérique et les Antilles, qui offraient alors un débouché presque aussi large, prirent une place de plus en plus importante au cours du temps. Quant au marché intérieur, il devient le principal débouché de l'industrie britannique après 1750.
En France, la traite (qui représentait 20 à 25 % du trafic négrier vers 1750) fit naître des industries locales. Mais celles-ci périclitèrent.
Pour les Provinces-Unies, elles avaient subi l'effet pervers ou « boomerang » de leur réussite commerciale : la masse et le bon marché des produits n'y permettaient pas l'implantation d'industries nationales.
Personne aujourd'hui ne conteste le rôle primordial de la traite dans l'extension du système de la grande plantation, dans l'essor des productions coloniales, ainsi que dans l'accroissement du commerce international de ces produits. Il est indéniable que le commerce international des produits des colonies était profitable, qu'il permit une croissance spectaculaire du trafic maritime et qu'ils ont été nombreux à y faire fortune. Mais ce n'est pas « la » cause du développement occidental.
La « valeur ajoutée » de cette activité servile était finalement faible : à part la production de sucre (facilement remplaçable, à l'époque, par la production de miel) et de tabac (pas vraiment utile pour la vie des gens de l'époque), cette activité ne générait que peu de bénéfices (par rapport aux autres activités en Europe), surtout si l'on considère les investissements coûteux pour y arriver : construction de navires, embauche d'équipage, fabrication de viande ou poisson salés en quantité, etc..
L'omniprésence des Portugais le long des côtes africaines de l'Atlantique durant cette période s'explique aussi par la politique des papes à l'égard de l'Afrique :
Les Portugais obtinrent également du pape qu'il déclare que le Portugal avait conquis l'Afrique jusqu'à la Guinée. Fort de ces bulles, les Portugais n'hésitèrent pas à arraisonner tout bateau qui se trouvait sur les côtes africaines et à pendre l'équipage (surtout des Espagnols)[Tho 61].
Toutes ces fameuses bulles approuvant les expéditions portugaises avaient été promulguées parce que la papauté estimait nécessaire d'agir avec vigueur contre l'islam qui semblait menacer, après la chute de Constantinople (1453), l'Italie elle-même autant que l'Europe centrale. Calixte III déploya maints efforts pour mettre sur pied une ultime croisade. Les projets du prince Henri s'inscrivaient dans ce plan d'ensemble[Tho 61]. En 1494, par le traité de Tordesillas, les zones d'influence de l'Espagne et du Portugal étaient délimitées[Tho 62].
Les négriers avaient la possibilité de baptiser l'ensemble des captifs embarqués en Afrique. Par cet acte, les Noirs païens qui étaient « voués à l'enfer éternel », selon les missionnaires chrétiens, avaient une chance d'aller au paradis. C'étaient donc les esclaves, selon cet argument, les grands bénéficiaires de l'opération. Pour certains hommes, notamment des hommes d’Église, cet argument était essentiel[36].
Il apparaît très difficile d'évaluer les effets démographiques de la traite négrière dont les chiffres restent hautement contestés. Le point de départ de tout travail d'analyse est l'estimation de la population d'Afrique subsaharienne au XVIe siècle. En l'état actuel des connaissances, l'ampleur des variations des estimations rend toute conclusion impossible.
Auteurs | Population | Période |
---|---|---|
Pétré-Grenouilleau | 25 millions | début du XVIIIe siècle |
Louise Diop-Maes | 600 millions | XVIe siècle |
Paul Bairoch | 80 millions | XVIe siècle |
Ined[37] | 70 à 90 millions | fin XVe siècle |
Certains auteurs, à l'image de Philip Curtin ou d'Olivier Pétré-Grenouilleau ont tenu pour négligeables les effets démographiques de la traite. Ils s'appuient pour soutenir cette thèse sur une estimation du nombre moyen annuel de déportés africains. Au plus fort de la traite, entre 1701 et 1800, ils estiment que près de 6 millions de captifs ont été déportés. Cela correspond à une moyenne de 60 000 départs par an, soit 0,3 % d'une population estimée par Pétré-Grenouilleau à 25 millions d'habitants au début du XVIIIe siècle. Ce pourcentage restait, selon les estimations du même auteur, bien inférieur au taux d'accroissement qu'aurait alors connu l'Afrique noire (aux environs de 1 % ?).
Les partisans de cette thèse considèrent par ailleurs que « la nature polygame des sociétés africaines a sans doute eu pour effet d’atténuer voire d’annuler en bonne partie cet éventuel déficit des naissances consécutif à la déportation de la population masculine »[38]. Cet argument a été vivement attaqué par les contradicteurs de Pétré-Grenouilleau : en dehors du fait qu'il véhicule un stéréotype raciste qui renvoie les sociétés africaines à une prétendue « nature polygame », il trahit pour ses détracteurs une méconnaissance du fonctionnement réel de la polygamie ainsi que des principes élémentaires de la démographie. Il n'existe en effet aucun lien entre natalité et type d'union matrimoniale. La polygamie, ou pour être plus précis la polygynie, ne change en effet rien au taux de natalité des femmes : elle peut même avoir pour conséquence de réduire ce taux, en instituant un délai d’isolement après chaque naissance[39]. Pétré-Grenouilleau mentionne aussi les décès de captifs survenus en Afrique. Il estime qu'en supposant qu'il y ait eu autant de décès que de captifs déportés, cela n'aurait pu que « localement » ralentir la croissance démographique et parfois l'annuler complètement[40].
Louise-Marie Diop-Maes adopte une tout autre approche : elle tente de comparer la population africaine du XVIe siècle, c'est-à-dire avant le début de la traite, avec celle du XIXe siècle pour estimer les effets globaux que la traite a pu avoir sur le développement démographique de l'Afrique noire. Les sources dont disposent les historiens pour effectuer de telles mesures sont extrêmement lacunaires, en partie à cause de l'absence d'archives, et pourraient le rester définitivement. Diop-Maes s'appuie principalement sur les récits des voyageurs arabes pour estimer la taille des villes et la densité du réseau urbain africain[Note 3] : elle estime que la population était au XVIe siècle de l’ordre de six cents millions (soit une moyenne d’environ trente habitants au kilomètre carré)[41].
Ces chiffres constituent, dans l'état actuel des recherches sur le sujet, une hypothèse haute. La fourchette des estimations effectuées jusque-là variaient entre 25 millions (hypothèse basse reprise par Pétré-Grenouilleau) et 100 millions d'habitants[Note 4]. Louise Diop-Maes estime par ailleurs la population de l'Afrique noire des années 1870-1890 à environ deux cents millions d'individus[Note 5] : l'Afrique noire aurait connu une réduction de sa population de quatre-cents millions entre le milieu du XVIe siècle et le milieu du XIXe siècle. Dans l'hypothèse moyenne d'une stagnation de la population africaine aux alentours de 100 millions d'habitants, Patrick Manning avance que la part de la population d'Afrique noire dans la population mondiale aurait chuté de deux tiers entre 1650 et 1850[42].
En adoptant des méthodes d'évaluation sensiblement différentes, le démographe nigérian Joseph E. Inikori ou l'historien Walter Rodney ont eux aussi conclu que les effets démographiques de la traite négrière avaient été importants. Pour Inikori, le système économique africain de l'époque qui différait sensiblement du modèle européen n'était pas capable de faire une de telle perte humaine. Des baisses de population localisées se sont transformées en problèmes plus généraux. Sans parvenir aux chiffres avancés par Diop-Maes, Inikori estime que la traite atlantique et les diverses calamités naturelles auraient fait 112 millions de victimes en Afrique noire.
Les partisans d'un effet démographique massif mettent l'accent sur les effets indirects engendrés par la traite : elle a créé en Afrique noire un nouveau système d’organisation économique et sociale qui s'est progressivement centré sur l’activité d’esclavage. L'esclave est devenu la principale monnaie des individus et des États dans leurs relations d’échange. Ce système a conduit à une recrudescence de guerres, de razzias et de rapts, de chasse à l’homme permanente qui ont provoqué l’arrêt des nombreuses activités productives que signalaient les voyageurs arabes du XIe siècle au XIVe siècle. Louise Diop-Maes cite le déclin et la fermeture des prestigieuses universités de Tombouctou et de Djenné comme indice des effets sociaux profonds de l'intensification de la demande européenne en esclaves.
Elle estime que la traite a eu pour conséquence « l’éparpillement et l’isolement des populations, d’où progressivement le déclin des villes, la réapparition de la vie sauvage à grande échelle, la différenciation des mœurs, coutumes, entraînant l’émergence de nouvelles langues, « ethnies » ; d’où aussi la perte de la mémoire collective, l’ancrage de l’esprit de division, la déliquescence sociale etc. : les individus, les groupes, les communautés, vont vivre dans une méfiance excessive et morbide les uns des autres, chacun considérant l’autre comme son plus grand ennemi »[43].
Les conclusions générales tirées par Diop-Maes concordent avec les études plus localisées réalisées par William Randles en Angola[44] ou Martin Klein en Sénégambie. Les études menées sur cette région de l'Afrique à l'époque pré-coloniale permettent d'illustrer les différences de point de vue existant encore sur les conséquences de la traite négrière.
Martin Klein avance que, alors que la déportation des esclaves depuis la Sénégambie était relativement réduite en nombre absolu, le trafic a totalement désorganisé l'organisation politique locale (fin des grands empires et émiettement politique extrême) et généré une violence sociale importante. L'orientation générale des échanges vers le nord et le Sahara a été bouleversé par la traite négrière qui a déplacé la fenêtre d'ouverture du continent vers l'Atlantique (déclin des villes sahariennes, couplé à la chute de l'Empire songhaï, indépendante de la traite négrière, après la défaite de Tondibi contre le Maroc en 1591). Ainsi les Wolofs du Waalo et les Toucouleurs du Fouta Toro ont progressivement déserté, au cours du XVIIIe siècle, la rive nord du fleuve Sénégal pour la rive sud et se sont vus contraints de payer un lourd tribut aux Maures du Trarza et du Brakna[Note 6].
À l'inverse, Philip Curtin prétend[45] que cette même région n'aurait pas subi l'influence de la traite européenne, en restant en marge des échanges internationaux. Un de ses disciples, James Webb, amplifie les conclusions de son maître en affirmant que la traite transsaharienne est plus importante à la même période que la traite atlantique en Sénégambie. Les thèses de Curtin, et a fortiori celles de Webb sur l'impact de la traite sur les sociétés africaines ont été notamment critiquées par Joseph Inokiri, Jean Suret-Canale[46], Charles Becker[47] et certains de ses anciens étudiants comme Paul Lovejoy – ainsi que certains historiens sénégalais comme Abdoulaye Bathily ou Boubacar Barry[48].
Le premier code visant à réglementer l'esclavage date de 1680. Il a été réalisé en Virginie. La Caroline fit de même en 1690[Petre 47].
En France, le Code noir réglementait le traitement des esclaves dans les colonies. Par certains côtés, l'esclave était considéré comme un être humain, mais il était également une chose au sens juridique du terme, placée en dehors de tout droit de la personnalité[36]. Promulgué en 1685 par Louis XIV, le Code noir ne fut aboli qu'en 1848.
L'esclave, un être humain
L'esclave, un bien meuble
L'ambiguïté « humain ou marchandise » n'était pas une nouveauté du Code noir. Déjà dans l'Antiquité, le système juridique romain l'exprimait : selon le droit naturel, la morale, l'esclave était un homme, alors que, selon le droit positif, le droit romain précis, il était une chose.
La traite occidentale est aujourd'hui considérée en France comme un crime contre l'humanité[Note 7].
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