Les lois régissant le statut des Juifs étaient différentes suivant que la zone était annexée par l'Allemagne, occupée ou dépendante du régime de Vichy. En zone libre, le régime différait aussi selon la nationalité des personnes, entre les ressortissants des pays annexés par le Reich (Pologne, Tchécoslovaquie, Autriche,etc.) et les simples étrangers et les Français.
Les ordonnances prises en zone occupée étaient presque les mêmes que celles prises en Allemagne, et celles prises par Vichy s'en inspiraient: elles étaient beaucoup plus rigoureuses que celles de l'Italie fasciste qui régissaient le comté de Nice.
D'autres catégories de la population, telles que les communistes, étaient recherchées et arrêtées. Avant l'invasion de l'Union soviétique le , la chasse aux communistes n'est pas à l'ordre du jour pour le régime nazi, en raison de la signature du Pacte germano-soviétique le . Mais en France, le Parti communiste français, ayant approuvé ce pacte, est considéré comme allié de l'Allemagne à la suite de la déclaration de guerre en . Il est mis hors-la-loi par le gouvernement Daladier, et ses militants sont arrêtés.
La franc-maçonnerie est interdite par le nouveau régime, qui procède à une épuration administrative.
La loi sur les dénaturalisations a été mise en place dès le , un mois à peine après la proclamation du régime de Vichy de Pétain. Le premier statut des Juifs, qui exclut ceux-ci de la fonction publique et des fonctions commerciales et industrielles, date du , tandis que le second statut, qui oblige à l'immatriculation des entreprises juives et exclut les Juifs de toute profession commerciale ou industrielle, a été passé en . La loi du 4 octobre 1940 sur «les ressortissants étrangers de race juive», promulguée simultanément avec le statut des Juifs, autorise l'internement immédiat des Juifs étrangers.
L'administration des gouvernements de l'État français se met ainsi au service de la politique de l'Allemagne nazie vis-à-vis des Juifs. Comme prévu dans les conventions de l'Armistice, la police française, ainsi que la gendarmerie française, exécutent les ordres d'arrestation des Juifs, enfants compris, décidés par les autorités allemandes en zone occupée, et de les acheminer vers les camps de concentration français (camp de Drancy et bien d'autres). Plus tard, les fonctionnaires du régime de Vichy continueront de les remettre aux nazis dans le cadre de la Shoah. Ainsi, le «fichier Tulard», constitué par la préfecture de police de Paris, est transmis au service IV J de la Gestapo, chargé de ladite «question juive».
L'article 3 prévoit que «Dans les régions occupées de la France, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante. Le gouvernement français s'engage à faciliter par tous les moyens les réglementations relatives à l'exercice de ces droits et à la mise en exécution avec le concours de l'Administration française.»
Les articles 16 et 19 prévoient que «Le gouvernement français procédera au rapatriement de la population dans les territoires occupés, d'accord avec les services allemands compétents» (il s'agissait des populations ayant fui les zones de persécution ou de guerre); que «Tous les prisonniers de guerre et prisonniers civils allemands, y compris les prévenus et condamnés qui ont été arrêtés et condamnés pour des actes commis en faveur du Reich allemand, doivent être remis sans délai aux troupes allemandes»; et que «Le gouvernement français est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich et qui se trouvent en France, de même que dans les possessions françaises, les colonies, les territoires sous protectorat et sous mandat.»
1erjuillet 1940: les Allemands expulsent plusieurs milliers de Juifs français d'Alsace et de Lorraine vers la zone libre. Certains s'établissent dans des villes comme Limoges, d'autres sont regroupés[1],[2],[3] dans des camps comme celui de Gurs.
: ordonnance allemande définissant le premier statut allemand des Juifs et dispositions concernant leurs biens; recensement des Juifs, écriteau «Juif» sur les devantures des magasins; interdiction d'un retour en zone occupée pour les juifs qui l'ont quittée.
: ordonnance allemande plaçant sous séquestre les entreprises et biens appartenant aux Juifs absents ou arrêtés, dite ordonnance d'Aryanisation.
: ordonnance allemande redéfinissant le deuxième statut allemand des Juifs
: La première grande rafle collective, concernant les Juifs polonais, âgés de 18 à 40 ans, tchécoslovaques et autrichiens, âgés de 18 à 60 ans[4]
: blocage des comptes bancaires juifs, désormais soumis au Service du Contrôle des Administrateurs provisoires
: ordonnance allemande qui étend le deuxième statut allemand des Juifs de la zone occupée à la zone libre. Refusé par le gouvernement de Vichy
: ordonnance allemande qui interdit aux Juifs de posséder un récepteur radio. À Paris, les appareils doivent être déposés à la préfecture de police ou dans les commissariats de police d'arrondissements au plus tard le [5].
: ordonnance allemande imposant aux Juifs une amende d'un milliard de francs à prendre sur les sommes séquestrées à la Caisse des dépôts et consignations.
: ordonnance allemande imposant un couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin pour les Juifs et leur interdisant de déménager
: ordonnance allemande étendant la définition du Juif et étendant la législation antérieure à cette nouvelle catégorie.
: ordonnance allemande imposant aux Juifs le port de l'étoile jaune par tous les Juifs de plus de 6 ans, en application le .
: instruction allemande donnée à la Compagnie du métropolitain imposant aux Juifs de ne prendre que la dernière voiture du métropolitain.
: les services de la SS sont chargés de rechercher et d'arrêter tous les Juifs.
: instruction allemande interdisant aux Juifs en zone occupée l’usage du téléphone et des cabines téléphoniques.
: ordonnance allemande interdisant aux Juifs la fréquentation des salles de spectacle et leur interdisant l'accès aux magasins en dehors de la période de 15 à 16 heures.
: ordre par le Service allemand des affaires juives dirigé par Theodor Dannecker d'arrêter tous les Juifs en zone occupée.
: arrestation massive en zone occupée de Juifs qui sont internés au Vélodrome d'Hiver.
Par ailleurs, il y a eu en France un camp de concentration, celui du Struthof, ouvert en sur le territoire de l'Alsace annexée par l'Allemagne.
Les premières mesures anti-juives sont prises peu après les autorités allemandes: le premier statut des Juifs du , préparé par Raphaël Alibert, interdit aux Juifs français d'exercer un certain nombre de professions (fonctionnaire, enseignant, journaliste, dirigeant de certaines entreprises,etc.), tandis que la loi du 4 octobre 1940 sur «les ressortissants étrangers de race juive» prévoit d'enfermer les étrangers juifs dans des camps d'internement au sud du pays, comme celui de Gurs, où ils seront rejoints par des convois de Juifs déportés par les Allemands depuis des régions que le IIIe Reich considère comme définitivement annexées, telles l'Alsace, la Lorraine et même, pour certains, de Belgique.
D'autres catégories de la population font l'objet de mesures de suspicion ou de proscription comme les francs-maçons et les communistes, ces derniers depuis que le PCF a pris le parti de soutenir le Pacte germano-soviétique et qu'il a été interdit par le gouvernement Daladier.
Les lois régissant le statut des Juifs étaient copiées sur les lois ou ordonnances nazies qu'elles égalaient en dureté pour leurs victimes. Elles étaient donc beaucoup plus rigoureuses que celles de l'Italie fasciste qui régissaient la zone occupée par les Italiens. Ces lois d'exception ont été mises en place dès l'avènement du nouveau régime dirigé par Pétain: ainsi, la loi sur les dénaturalisations a été promulguée dès le 22 juillet 1940.
L'administration française se met ainsi au service de la politique de l'Allemagne nazie et les Juifs, enfants compris, sont recherchés, arrêtés par la police et la gendarmerie française, acheminés dans les trains de la SNCF vers des camps d'internement français (comme Gurs[6] et bien d'autres), puis vers des camps de concentration et de regroupement comme Drancy, avant d'être déportés par les nazis dans des camps d'extermination situés en Allemagne et en Pologne.
: loi interdisant à ceux n'étant pas nés français de parents français d'appartenir à un cabinet ministériel[7].
: loi disposant que «nul ne peut être employé dans les administrations de l'État s'il ne possède pas la nationalité française, à titre originaire, comme étant né de père français»[8].
: loi sur la déchéance de nationalité des Français ayant quitté la France[10].
: loi conditionnant la profession de médecin aux personnes de nationalité française, nées d'un père français ou naturalisées avant 1927.
: loi abrogeant le décret-loi Marchandeau du qui punissait l'injure et la diffamation raciale.
: loi limitant l'accès au barreau aux citoyens nés de père français[11].
: premier statut des Juifs, publié le : ils sont exclus de la fonction publique de l'État, de l'armée, de l'enseignement et de la presse.
Le même jour, la préfecture de Police communique que la déclaration prescrite par ordonnance allemande sur le recensement des Juifs sera reçue par les commissaires de police[12].
En , environ 119 universitaires avaient dû quitter leur poste (76 dans la zone occupée, 43 en zone Sud), et un mois plus tard, lorsque le deuxième statut des Juifs est promulgué, 125 autres membres de l’université française se retrouvent au chômage. Des exceptions fondées sur la notion de «services exceptionnels» (article 8 de la loi du ) rendus à l’État français pouvaient donner lieu à certains reclassements[13].
: loi abolissant le décret Crémieux accordant la nationalité française aux Juifs d'Algérie.
: fin des opérations de recensement dans le département de la Seine. Elles donnent lieu à la création du fichier des Juifs de la préfecture de la Seine, dit fichier Tulard[14]. Au total, à la fin de l'année 1940, 151 000 Juifs sont recensés[15].
: Dahir portant application au Maroc du statut des Juifs. Sa mise en application doit commencer le [16].
: décret d'application, dans la fonction publique, de la loi du [17], étendue aux colonies le [18].
Le gouvernement refuse l'application en zone libre du deuxième statut allemand des Juifs promulgué le .
: loi instituant un deuxième statut vichyste des Juifs: allongement de la liste des interdictions professionnelles, numérus clausus de 2% pour les professions libérales et de 3% pour enseigner à l'Université. Un décret passé en exclut aussi les Juifs des professions commerciales ou industrielles. Ce statut autorise les préfets à pratiquer l'internement administratif de Juifs de nationalité française[19].
: loi prescrivant le recensement des Juifs (de la zone occupée et de la zone libre)[20].
: loi réglant les conditions d'admission des Juifs dans les établissements d'enseignement supérieur: instauration d'un numerus clausus de 3% applicable aux étudiants juifs[21].
: décret réglementant en ce qui concerne les Juifs, la profession d'avocat[22].
: décret réglementant en ce qui concerne les Juifs, les fonctions d'officier public ou ministériel[23].
: loi relative aux entreprises et biens ayant appartenu à des Juifs absents ou disparus, dite «Loi d'aryanisation», prise par le gouvernement de Vichy.
: décret réglementant en ce qui concerne les Juifs, la profession de médecin[24].
: décret réglementant en ce qui concerne les Juifs, la profession d'architecte[25].
: loi interdisant toute acquisition de fonds de commerce par les Juifs sans autorisation[26].
: loi réglementant l'accès des Juifs à la propriété foncière[27].
: les députés et sénateurs juifs sont déchus de leurs mandats, par le gouvernement de Vichy.
: loi imposant aux Juifs de faire apposer la mention «Juif» sur leur carte d'identité.
Origine de la loi du 3 octobre
Le fait que la première loi française d'exclusion des Juifs du a été adoptée quelques jours après l'ordonnance allemande du pourrait suggérer que les deux mesures ont été préparées de façon concertée. Aucun élément ne vient cependant étayer cette thèse. Les témoignages même des proches de Pétain au lendemain de la guerre[32] établissent que non seulement la législation de Vichy, loin d'être due à l'Allemagne, a été spontanée et autochtone, mais qu'en plus, Pétain lui-même s'est impliqué personnellement en insistant pour que la justice et l'enseignement ne comprennent aucun Juif[33]. Une version de travail du texte de loi, qui semble annotée de la main de Philippe Pétain et qui a été publiée le , confirmerait que Pétain a durci le texte[34],[35].
Abrogation
Les lois raciales sont abrogées dès la chute du régime de Vichy, le 20 août 1944.
Lettre de la police, 10 mai en application de la loi du 4 octobre 1940 qui autorisait l'internement d'office des "Juifs étrangers". Cf. Moriz Scheyer, Si je survis, Flammarion 2016, (de)Selbst das Heimweh war heimatlos, Rowohlt 2017, p 311
Voir: Claude Singer, Vichy, l’Université et les Juifs, Les Belles Lettres, Paris, 1992, p.145. Le premier statut définissait comme Juif celui qui avait au moins trois grands-parents d’origine juive; le deuxième, deux grands-parents juifs suffisaient.
Jacques Dahan, Regard d'un Juif marocain sur l'histoire contemporaine de son pays: de l'avènement de Sa Majesté le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef, au dénouement du complot d'Oufkir (1927-1972), L'Harmattan, 1995 (ISBN2738437273), p.31.
Denis Peschanski, «Le Régime de Vichy a existé. Gouvernants et gouvernés dans la France de Vichy. Juillet 1940-avril 1942», dans Angelo Tasca, Vichy, 1940-1944: quaderni e documenti inediti di Angelo Tasca: archives de guerre d'Angelo Tasca, Éditions du CNRS, Paris; Feltrinelli, Milano, 1986, p.31.
«Découverte du texte original établissant un statut pour les juifs sous Vichy», Le Monde, (lire en ligne)
Sources primaires
André Broc, La Qualification juive, thèse pour le doctorat en droit présentée et soutenue le 15 décembre 1942, publiée: La qualité de Juif: une notion juridique nouvelle, Paris, PUF, 1943.
Tal Bruttmann, «La langue de la persécution», dans Michele Battini et Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), Antisemitismi a confronto: Francia e Italia. Ideologie, retoriche, politiche, Pise, Edizioni Plus / Pisa University Press, , 199p. (ISBN978-8-88492-675-3), p.121-137.
Tal Bruttmann, «La mise en œuvre du statut des Juifs du 3 octobre 1940», Archives Juives. Revue d'histoire des juifs de France, Paris, Les Belles Lettres, nos41/1 «Les évictions professionnelles sous Vichy», 1er semestre 2008, p.11-24 (lire en ligne).
Collectif, «Les Évictions professionnelles sous Vichy», Archives Juives, vol.41, 2008/1, Paris, Les Belles lettres, 156p., lire en ligne.
Jérôme Cotillon (dir.), Raphaël Alibert, juriste engagé et homme d'influence à Vichy: actes du colloque organisé le 10 juin 2004, Paris, Economica, coll.«Histoire», , 272p. (ISBN978-2-7178-5683-5, présentation en ligne).
Dominique Gros, «Le «statut des juifs» et les manuels en usage dans les facultés de droit (1940-44): de la description à la légitimation», Cultures et Conflits, Paris, L'Harmattan, nos9/10 «La violence politique dans les démocraties européennes occidentales», , p.139–174 (JSTOR23698834).
Laurent Joly, «L'administration française et le statut du 2 juin 1941», Archives Juives. Revue d'histoire des juifs de France, Paris, Les Belles Lettres, nos41/1 «Les évictions professionnelles sous Vichy», 1er semestre 2008, p.25-40 (lire en ligne).
Laurent Joly, «Tradition nationale et «emprunts doctrinaux» dans l'antisémitisme de Vichy», dans Michele Battini et Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), Antisemitismi a confronto: Francia e Italia. Ideologie, retoriche, politiche, Pise, Edizioni Plus / Pisa University Press, , 199p. (ISBN978-8-88492-675-3), p.139-154.
Michel Laffitte, «La question des «aménagements» du statut des juifs sous Vichy», dans Michele Battini et Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), Antisemitismi a confronto: Francia e Italia. Ideologie, retoriche, politiche, Pise, Edizioni Plus / Pisa University Press, , 199p. (ISBN978-8-88492-675-3), p.179-194.