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réalisateur japonais De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Seijun Suzuki (鈴木 清順, Suzuki Seijun ), de son vrai nom Seitarō Suzuki (鈴木 清太郎, Suzuki Seitarō )[1], né le à Tōkyō et mort le [2] dans la même ville, est un réalisateur japonais.
Nom de naissance |
鈴木 清太郎 Suzuki Seitarō |
---|---|
Naissance |
Tokyo (Japon) |
Nationalité | Japonais |
Décès |
(à 93 ans) Tokyo (Japon) |
Profession | Réalisateur |
Films notables |
Le Vagabond de Tokyo, La Marque du tueur |
Il est considéré comme l'un des réalisateurs marquants du cinéma japonais, et bien qu'il fût oublié du grand public pendant une longue période de disgrâce — il fut banni des studios japonais durant dix ans[3] —, il a été récemment redécouvert par les cinéphiles et soutenu par des auteurs célèbres comme Jim Jarmusch[4], Yasuharu Hasebe[5], Wong Kar-wai[6] ou encore Quentin Tarantino[7] qui se réclament parfois de son influence.
Seijun Suzuki était un réalisateur prolifique : durant les douze années de sa collaboration avec les studios Nikkatsu (de 1956 à 1968), il a réalisé presque quarante films[8] de série B (program pictures).
Né en 1923, il avait vingt ans lorsque la Marine impériale japonaise l'appela pour combattre à Taïwan et aux Philippines[9], de 1943 à 1946. Il expliquera plus tard que cette période a déterminé son approche cinématographique singulière de la violence, qu'il jugea depuis lors « grotesque, absurde »[10].
De retour au Japon, il reprit ses études à l'université de Hirosaki[11], puis échoua à l'examen d'admission de l'université de Tokyo[12], où il envisageait de se former au commerce[13],[14]. Il décida alors de changer d'orientation pour apprendre le cinéma, plus par dépit (et à la faveur d'une concomitance fortuite entre l'examen d'entrée à la Shōchiku et celui pour l'université de Tokyo) que par vocation[15].
Après de brèves études à l'académie de cinéma de Kamakura[16], il fut engagé comme assistant-réalisateur par la Shōchiku à l'automne 1948[17]. Il y assista brièvement divers réalisateurs avant de choisir l'équipe de Tsuruo Iwama[18], un réalisateur aujourd'hui oublié qui lui transmit un certain sens de la convivialité, à défaut d'une connaissance approfondie du milieu artistique ou de l'actualité cinématographique[19].
Il quitta cette société pour les studios Nikkatsu dès 1954, tandis que les futurs prodiges de la nouvelle vague japonaise tels que Masahiro Shinoda, Nagisa Ōshima ou encore Yoshishige Yoshida commençaient à rejoindre la Shōchiku. Suzuki indiquera plus tard que les motivations de ce changement étaient matérielles, la Nikkatsu lui offrait de meilleures perspectives d'avancement et un salaire largement supérieur ; son choix n'était pas lié au type de productions, aux conditions de travail, ou aux partis pris esthétiques des différents studios[20].
La Nikkatsu lui offrit en effet, dès 1956, l'occasion de réaliser un premier long métrage À la santé du port – La victoire est à nous (Minato no kanpai : Shori wo wagate ni), sous le nom de Seitarō Suzuki (il adopta le prénom d'artiste Seijun à partir de La Beauté des bas fonds – Ankokugai no bijo – en 1958), immédiatement suivi de La Pureté de la mer (Umi no junjo) et de Le Quartier du mal (Akuma no machi). Sa carrière de réalisateur était lancée, mais circonscrite à la réalisation de films de série B, des réalisations peu coûteuses prévues pour être diffusées en première partie de soirée, avant le feature film[21]. En effet, entre la fin des années 1930 et le début des années 1970, les salles de cinéma japonaises avaient pour habitude de projeter deux films successifs au cours d'une même séance ; le premier, qui était considéré comme un film mineur (dit de série B), servait de hors-d'œuvre au film principal[22], et devait déployer suffisamment d'originalité stylistique pour ne pas déflorer les procédés esthétiques mis en œuvre dans le film principal[23] et ne pas paraître ridicule en comparaison avec ce dernier malgré un budget nettement moins confortable[24].
Les conditions de travail à la Nikkatsu étaient très dures pour les jeunes réalisateurs. Suzuki devait travailler vite[25], tourner quatre ou cinq films par an[26], et sa marge de décision était restreinte. Les studios Nikkatsu lui imposaient les scénarios (les genres des films de la Nikkatsu étaient alors presque invariablement le yakuza-eiga, film de yakuza et le pinku eiga, film rose), le format et la durée précise du film[27] et les acteurs devaient être choisis parmi ceux qui étaient liés à la société de production[28]. La pression sur les réalisateurs de films pour le cinéma était intense, car les sociétés de productions subissaient alors un vertigineux déclin d'audience lié à l'adoption croissante de la télévision dans les foyers japonais au fil des années 1960 (1 milliard et 127 millions entrées de cinéma vendues en 1958 pour seulement 313 millions d'entrées – le tiers – 10 ans plus tard, en 1968)[29].
Suzuki réussit néanmoins à se faire reconnaître comme un réalisateur de séries B rentables par les dirigeants de son entreprise[30], et son travail s'inscrivait parfaitement[31],[32] dans la nouvelle orientation stratégique de la Nikkatsu, qui avait alors décidé de se recentrer sur la production de seishun-eiga (films pour la jeunesse) pour faire face à la crise[31].
Cette relative confiance des producteurs ne dura pas, car Suzuki insufflait un style de plus en plus personnel à ses films. Tandis que son savoir-faire s'affirmait, ses polars supportant parfois la comparaison avec les œuvres de Jean-Pierre Melville[33], son travail était progressivement marqué par un humour absurde, une mise en scène surréaliste, et des expérimentations visuelles déconcertantes (toutefois étayées par une photographie encore académique et très soignée).
L'empreinte de l'auteur devint prééminente à partir du diptyque de 1963, Détective bureau 2-3 (Tantei jimusho 23: Kutabare akuto-domo) et La Jeunesse de la bête (Yaju no seishun)[34], les premiers films où joua son acteur fétiche aux bajoues si surprenantes, Jo Shishido, qu'on retrouve dans La Marque du tueur. Bien que ces œuvres lui valussent le soutien d'un public de cinéphiles et de grands auteurs comme Ōshima[35], la Nikkatsu, conservatrice et plus désireuse de produire des œuvres formatées pour le marché, supporta difficilement les audaces de ce jeune iconoclaste. Les producteurs le menacèrent, sans succès[36]. Ils tentèrent de restreindre ses innovations visuelles en lui imposant le noir et blanc pour Élégie de la bagarre (1966), tant son style dérogeait au canon du film de yakuza[37].
De fait, Suzuki radicalisa son approche lorsqu'il réalisa coup sur coup, en 1966 et 1967, ses deux œuvres les plus extravagantes. Le Vagabond de Tokyo (Tōkyō Nagaremono, 1966) est un yakuza-eiga au scénario — imposé — assez classique, mais Suzuki sublima les contraintes (petit budget, beaucoup de scènes en studio...) pour mettre en œuvre une esthétique visuelle entre kitsch et pop-art[38] (décors et filtres jaune citron, ou mauves, combats stylisés dans la neige, plans entre cabaret mélancolique et comédie musicale, ...), un travail original et volontariste de mise en scène souvent proche du théâtre (ostensiblement inspirée du kabuki)[39], et, exploitant le thème musical éponyme (parfois chanté par l'acteur Tetsuya Watari lui-même), nostalgique et langoureux, il imprégna son film d'une suavité onirique touchant à l'érotisme, inattendue dans un genre de polars plutôt codifié et sombre.
L'apogée, et la chute, survinrent avec La Marque du tueur (Koroshi no rakuin), en 1967. Comme dans Le Vagabond de Tokyo (mais cette fois en noir et blanc, tout en clairs-obscurs et jeux d'ombres caressantes), la lumière et la photographie cinémascope donnaient à l'image une certaine sensualité[40], au service de la présence charismatique d'un Jo Shishido figurant, plus que jamais, une incarnation japonaise de Marlon Brando. Tout concourait à donner à ce film une esthétique étrange et maniérée, une bizarrerie baroque. Le genre était stylisé à l'extrême, épinglé dans des clichés ironiques de film noir, frisant la parodie, si bien qu'on pourrait parler d'une épure de polar, très proche, en ce sens, du Alphaville de Godard (sorti deux ans auparavant, en 1965)[41]. Le montage accentuait cet effet de condensation, sans pour autant faire obstacle à l'intelligibilité du récit : les plans s'enchaînaient de façon très rapide et parfois inattendue, brisant la linéarité narrative, et donnant au film un rythme parfois syncopé et haletant.
Ce film fut le coup de grâce pour Kyusaku Hori, alors président de la Nikkatsu, qui le qualifia d'incompréhensible et invendable, et licencia Suzuki fin [42].
Malgré le soutien de nombreux jeunes réalisateurs, et des manifestations d'étudiants et de cinéphiles[43],[44] (on parle souvent à ce sujet d'une « affaire Langlois japonaise »[45]), Suzuki fut banni des studios[46] et ne put tourner aucun film pour le cinéma pendant les dix années suivant son licenciement de la Nikkatsu.
Il engagea (le ) et remporta (le ) un procès contre son ancien employeur durant lequel il révéla que la réalisation de La Marque du tueur lui fut confiée en urgence, avec un délai préétabli et très serré, et qu'il suggéra d'abandonner ce projet tant le script était complexe[47] (il était pourtant, et pour la première fois, coauteur du scénario qu'il dirigeait)[48]. Mais il était déjà trop tard pour qu'une réhabilitation judiciaire et les excuses publiques de Kyusaku Hori[47] lui épargnent l'oubli de la critique et des distributeurs[49] ou l'absolution des grandes sociétés de production japonaises[50].
Durant cette traversée du désert, Suzuki dut se résigner à tourner des réclames[51], des films de commande pour la télévision[52], et même une anime ; un projet de long métrage sous l'égide des studios Toei avorta, mais il trouva l'occasion d'écrire quelques livres.
Après que son procès fut clos, il réalisa Histoire de mélancolie et de tristesse (Hishū monogatari) en 1977 (produit par la Shōchiku), et une série de trois films souvent appelée Trilogie Taishō (trilogie dont l'intrigue se déroule durant l'ère Taishō, c'est-à-dire entre 1912 et 1926)[53].
Le premier volet de cette trilogie, Mélodie tzigane (Zigeunerweisen, 1980), produit par Art Theatre Guild, fut sélectionné pour un Ours d'argent au festival de Berlin et obtint finalement une Honourable Mention[54]. Bien qu'au Japon ce film soit généralement considéré comme un des chefs-d'œuvre de Suzuki (il fut par exemple primé « Film de l'année 1981 » et « Meilleur réalisateur 1981 » au Japanese Academy Awards)[55], il rencontra des difficultés de distribution du fait de sa production indépendante. Suzuki et son producteur Genjirō Arato décidèrent de montrer le film eux-mêmes à l'aide d'un cinéma ambulant[56],[57]. Il fut rarement distribué à l'étranger.
Réalisé l'année suivante, Brumes de chaleur (Kagerō-za), le second volet, connut un moindre succès, et ce n'est que dix ans plus tard, en 1991, que le film Yumeji termina la trilogie. Bien que ce dernier volet n'obtînt pas de grand prix, son thème musical, composé par Shigeru Umebayashi, fut repris comme thème principal dans la bande son à succès d'In the Mood for Love de Wong Kar-wai[58].
Mais Suzuki était alors un artiste oublié, ces nouvelles œuvres furent peu diffusées, et la critique se désintéressait de lui. Il lui fallut attendre le début des années 1990, et plus précisément une rétrospective organisée en 1991 par Marco Müller à Rotterdam (précédée de peu par une rétrospective moins médiatisée au Edinburgh Film Festival de 1988[59]), pour être largement reconnu[60].
Des réalisateurs de renom lui rendirent alors hommage, et ses films furent montrés dans les festivals de cinéma internationaux. Cela lui permit de trouver les financements nécessaires pour réaliser de nouveaux longs métrages, tels que Pistol Opera Pisutoru opera, 2001), un prolongement (ou peut-être une parodie) de La Marque du tueur, et plus récemment la surprenante comédie musicale Princess Raccoon (Operetta tanuki goten, 2005) dont l'actrice principale est la Chinoise Zhang Ziyi[61].
Bien que les (potentielles) difficultés de commercialisation de La Marque du tueur[62] et la faible rentabilité de son travail[63] fussent évoquées par les dirigeants de la Nikkatsu pour justifier l'éviction de Seijun Suzuki, les historiens du cinéma japonais[44] soulignent aujourd'hui que sa démarche, par trop séditieuse depuis Détective bureau 2-3, était une motivation déterminante[64].
Tourner en dérision le film noir et la violence dans un studio qui en faisait son fonds de commerce (et qui préférait vendre l'éthique chevaleresque du yakuza, ou une violence glorifiée au nom du code de l'honneur et du sens de la hiérarchie) était un acte marquant, peut-être militant, et pour le moins irrévérencieux. À cette époque où le public désertait les salles, encourager Suzuki à déshabiller les héros eut été, pour la Nikkatsu, nourrir un serpent en son sein[65].
Au-delà du pied-de-nez aux convenances du cinéma de genre, son entreprise de déconstruction mettait question un certain modèle social : le héros yakuza canonique, bien qu'il soit un bandit, incarnait généralement les valeurs les plus conservatrices du Japon des années 1960[66].
La subversion sociale n'était peut-être pas totalement intentionnelle, Suzuki se défendait d'être tout à fait sérieux dans ses films (« I was never rebellious, I was just mischievous ! », ce qui signifie « je n'ai jamais été un rebelle, j'étais seulement fripon ! »[67]).
Plus précisément, cette ironie pour l'iconographie rigide du yakuza-eiga fut souvent analysée par les critiques[68] comme une mise en cause d'une figure métaphorique de l'autorité morale (comme l'aurait été un film américain désinvolte à l'égard des cow-boys pendant l'âge d'or du western), dans un Japon encore attaché aux représentations symboliques de l'autorité et de la hiérarchie[69].
Sa propre position de dissident à l'égard des dirigeants de la Nikkatsu témoignait d'un détachement quant aux valeurs de dévouement au clan et de loyauté inconditionnelle à la hiérarchie, si bien célébrées dans le cinéma bis par les chambara-eiga (les films de cape et d'épée japonais) et les yakuza-eiga[70]. Ainsi, l'originalité formelle de son œuvre fut parfois perçue comme une revendication d'atypisme, sinon d'individualisme, dans une société japonaise qui ne l'encourageait pas[71].
Il reste que son travail de sape des mythologies cinématographiques japonaises, du yakuza en particulier, a trouvé à s'exprimer dans l'étroite marge d'action dont Suzuki disposait : uniquement par les choix esthétiques, des partis pris sur la forme, et malgré les scénarios imposés[72]. Dans La Jeunesse de la bête il fait ainsi dire à un personnage : « Vous, les caïds, vous avez tous le même scénariste. »
Mais Suzuki put aborder certaines questions sociales plus ouvertement à l'occasion de ses films sur la prostitution (La Barrière de chair en 1964 et Histoire d'une prostituée en 1965). Il y dénonça le phallocentrisme violent et le traitement des femmes durant l'invasion militaire japonaise en Chine ou dans le Japon sous occupation américaine, et fit des tabous et de la frustration sexuelle une cause fondamentale de la violence (thème développé ensuite dans Élégie de la bagarre, en 1966). Cette analyse du traitement social de la sexualité rapproche Suzuki du cinéma engagé de Shuji Terayama ou d'Ōshima (dont il était personnellement proche et qu'il défendit, sur ce thème, durant le procès pour obscénité de l'Empire des sens)[73], comme ses yakuza-eiga préfiguraient l'enragé Takashi Miike et ses yakuza décadents (voir par exemple Dead or Alive ou Gozu).
Toutefois un rejet radical du cinéma à thèse (dont témoignent par exemple son ironie et son goût prononcé pour la dérision) le distingue de ces cinéastes, et l'oppose radicalement, par exemple, au travail humaniste d'Akira Kurosawa. Plutôt qu'utopique ou constructif, le cinéma de Suzuki est nihiliste[74] ; œuvre de déconstruction plutôt que manifeste ou adhésion à un courant artistique ou politique : « Lorsqu'une chose existe, on n'éprouve pas le sentiment de son existence ; elle s'inscrit seulement dans notre regard. Ce n'est qu'à partir du moment où elle est détruite que naît la conscience de son existence. C'est pourquoi, aussi bien du point de vue de la culture que de la civilisation, la destruction contient en elle une force plus puissante. [...] Je n'aime pas l'idée de construction [...], je pense que tout le monde ferait mieux de dormir. C'est parce que l'on essaie de construire quelque chose que ce pays qu'est le Japon finit par pouvoir vivre, et que le pouvoir aussi peut vivre... »[75]. Une posture éthique qu'il généralise volontiers au monde du cinéma : « Le cinéma est déjà en soi anti-social. Par l'intermédiaire du cinéma, il faut mettre du poison dans cette rivière qu'on appelle la société »[76].
Jim Jarmusch affirme que La Marque du tueur a influencé son Ghost Dog : La Voie du samouraï (Ghost Dog: The Way of the Samurai)[77], si bien qu'il a rencontré Suzuki pour lui présenter le film[78]. La réponse de Suzuki est amusante : « Je lui ai dit que j'aimais son film, mais que ce n'était pas vraiment une bonne chose pour un personnage de mourir dans la rue. Pour nous les Japonais, la place où l'on meurt est très importante, mais que pouvais-je faire ? C'est la culture américaine »[79].
La plupart des films antérieurs à 1963 n'ont jamais été traduits en français ; en cas d'incertitude, les titres français indiqués sont ceux établis dans l'ouvrage de Tadao Satō cité en bibliographie.
L'écriture japonaise et la liste des téléfilms sont établies à partir des documents de la rétrospective 『鈴木清順48本勝負』 (Les 48 parties de jeux de Suzuki Seijun) organisée par le cinéma CINEMAVERA à Tōkyō en octobre et [80].
Filmographie partielle, d'après l'article sur la Wikipédia anglophone du .
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