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philosophe français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Jacques Rancière, né le à Alger, est un philosophe français qui travaille principalement sur la politique et l'esthétique. Il est professeur à l'université de Paris-VIII (Saint-Denis) jusqu'à sa retraite comme professeur émérite en 2000.
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Principaux intérêts | |
Idées remarquables |
politique et police, émancipation intellectuelle, dissensus, partage du sensible, régimes de l’art, méthode de l’égalité |
Œuvres principales |
La Nuit des prolétaires • Le Maître ignorant • La Mésentente • Aisthesis |
Influencé par | |
A influencé |
Étienne Tassin, Bernard Aspe, Arlette Farge, Stéphane Delorme, Dominique Cardon, David Spieser-Landes, Gabriel Rockhill, Alain Deneault, François Bégaudeau |
Distinction |
Jacques Rancière naît le à Alger[1]. Après une petite enfance passée en Algérie et à Marseille, Jacques Rancière grandit et étudie à Paris[2]. Élève du philosophe Louis Althusser à l’École normale supérieure, il adhère à l'Union des étudiants communistes[2]. Il participe, en 1965, à l'ouvrage Lire le Capital avec Étienne Balibar, Roger Establet et Pierre Macherey[3]. Très marqué par le mouvement de Mai 68, même s’il n’y prend pas de part directe, il prend ses distances avec le marxisme althussérien qu’il dénoncera en 1974 dans La leçon d’Althusser[4] comme une philosophie de l'ordre universitaire et de l'ordre social.
Il enseigne aussi à l'European Graduate School[5] de Saas-Fee (Suisse)[6].
En l'espace de plus de trente ans, il a publié six livres dans la collection « La Librairie du XXIe siècle » aux Éditions du Seuil, de Courts voyages au pays du peuple (1990) aux Voyages de l'art (2023)[7].
En 1969, Jacques Rancière fait son entrée aux côtés de Michel Foucault et d'Alain Badiou au département de philosophie de la nouvelle université de Vincennes. En même temps, il milite au sein du mouvement maoïste de la Gauche prolétarienne. Au moment du reflux de l’activité militante post-soixante-huitarde, il se lance dans une grande recherche dans les archives de l’histoire et de la pensée ouvrières en France au XIXe siècle. Cette recherche lui fait découvrir dans le mouvement d’émancipation ouvrière une dimension intellectuelle et esthétique ignorée aussi bien par les théoriciens marxistes que par les historiens de la culture populaire[réf. nécessaire]. Il s’attachera à la mettre en évidence dans sa thèse d’État, publiée en 1981 sous le titre La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier[8],[9]. Ce titre indique ce qui est pour Rancière le cœur de l’émancipation ouvrière : la rupture du temps répétitif qui enferme l’ouvrier dans le cycle sans fin du travail et du repos. Cette publication sera complétée par une anthologie des textes du menuisier saint-simonien Gabriel Gauny (Le Philosophe plébéien, 1985[10]).
Dans le même mouvement, il fonde en 1975 avec Geneviève Fraisse et Jean Borreil un Centre de recherches sur les Idéologies de la révolte[9]. La revue de ce centre, Les Révoltes logiques (1975-1981[11]), utilise ce titre emprunté à Rimbaud pour remettre en cause la traditionnelle opposition entre révolte spontanée et révolution organisée et repenser à partir d’un travail de recherche historique la logique des mouvements ouvriers, féministes ou autres[12].
Ce travail l’amène à une réflexion sur l’égalité intellectuelle qui prendra dans les années 1980 une double forme, critique et affirmative. D’un côté, Le Philosophe et ses pauvres (1983) montre[réf. nécessaire] la persistance au sein de toute la culture occidentale, y compris dans ses versions progressistes et révolutionnaires, du geste initial de Platon, excluant les artisans de la vie de la pensée et de la communauté, au nom du « travail qui n’attend pas ». Il en analyse la persistance dans la pensée marxiste de l’idéologie spontanée de la classe ouvrière et la théorie de la reproduction de Pierre Bourdieu. Et il oppose à la dénonciation par celui-ci de la « distinction » esthétique le rôle joué par l’expérience esthétique dans l’émancipation ouvrière[réf. nécessaire].
De l’autre côté, il exhume dans Le Maître ignorant (1987) la théorie de l’émancipation intellectuelle formulée dans les années 1820 par Joseph Jacotot. Celle-ci montre que la méthode explicative qui veut faire avancer les enfants et le peuple vers une égalité à venir reproduit en fait indéfiniment la situation d’inégalité. Il invite à un renversement radical de la vision pédagogique du monde, l’égalité n’est pas un but mais un point de départ, une présupposition qu’on s’efforce de vérifier selon ce principe : tous les humains ont une même intelligence[réf. nécessaire].
C’est cette pensée de l’égalité qui le guide lorsque, à la fin des années 1980 il est amené par les circonstances à une réflexion plus directe sur la politique. C’est le moment où l’effondrement du bloc soviétique amène bien des penseurs à célébrer le retour de la politique et le triomphe mondial d’une démocratie identifiée au consensus, un triomphe bientôt démenti par les déchaînements nouveaux[source secondaire nécessaire] des guerres ethniques et de toutes les formes d’exclusion et de racisme[réf. nécessaire].
Dans La Mésentente (1995) il montre[source secondaire nécessaire] que ce prétendu retour est bien plutôt un oubli de la politique dont ces déchaînements nouveaux sont la conséquence. Ce qu’on appelle le politique est en fait la rencontre conflictuelle de deux formes hétérogènes de communauté : la police qui met chacun et chaque groupe social à sa place avec son identité propre, et la politique, œuvre de sujets spécifiques qui affirment, contre la distribution policière des parts, une part des sans part, une communauté des égaux sans qualité[pas clair]. Le consensus veut effacer cette division fondamentale. Il prétend substituer au conflit politique la gestion rationnelle des équilibres économiques et sociaux. Mais cette prétendue pacification suscite, à la place du conflit politique évacué, la résurgence d’un peuple identitaire uni par la seule haine de l’autre[source secondaire nécessaire].
Cette complicité de l’ordre consensuel et des haines et violences nouvelles, il la ponctue à travers une série d’interventions qui suivent les progrès d’un « racisme d’en-haut » appuyé par une part croissante de l’opinion intellectuelle et au fil des Chroniques des temps consensuels qu’il rédige entre 1995 et 2004 pour un grand quotidien brésilien[13]. En 2005, il écrit La Haine de la démocratie où il met à nu les ressorts de l’idéologie dite républicaine qui, sous couvert de défense des valeurs universalistes, marque le ralliement de toute une partie de l’intelligentsia de gauche à une droite de plus en plus extrême en accusant la démocratie de tous les maux depuis la culture de la consommation jusqu’à la destruction terroriste de tous les liens sociaux[réf. nécessaire].
Il poursuit en même temps la réflexion sur le pouvoir des mots et les politiques de l’écriture suscitée par son travail sur l’émancipation. Cette réflexion a pour point de départ le passage du Phèdre où Platon dénonce le danger de la lettre écrite qui s’en va parler à n’importe qui. Dans Les mots de l’histoire[14], Rancière met en évidence la puissance des mots qui, du temps des hérésies à celui des révolutions, ont arraché les pauvres de la place qui leur était destinée. Il montre aussi l’effort constant des historiens des mentalités pour récuser cette capacité des humbles à s’emparer de la parole venue d’ailleurs, en ramenant les hérésies à des affaires de culture villageoise ou en dénonçant l’impropriété des mots utilisés par les acteurs de la Révolution française pour montrer que celle-ci n’avait jamais eu lieu qu’en imagination.
Il élargit ce travail en une réflexion sur la littérature en montrant le rôle joué depuis les romans antiques jusqu’aux récits d’autodidactes du XIXe siècle et au Curé de village de Balzac par une fable exemplaire : celle du texte trouvé par hasard qui change la destinée de ceux qui le rencontrent et l’ordre même des places dans la société. Dans La chair des mots[15] et La parole muette[16], il étudie la posture contradictoire de la littérature : d’un côté, celle-ci appartient au régime « démocratique » de la parole circulant sans maître, qui la lie aux formes d’appropriation sauvages par lesquelles n’importe qui peut entrer dans le royaume des mots. De l’autre, elle s’en sépare en lui opposant, de Balzac à Marcel Proust et aux surréalistes, une parole plus essentielle écrite au cœur des choses ou tissée dans les formes muettes de l’expérience sensible.
Cette recherche le conduit à une critique de l’idéologie moderniste héritée de Valéry et développée par le structuralisme des années 1960. Celle-ci voit la modernité littéraire comme une affirmation d’autonomie, opposée à la tradition narrative représentative, incarnée par le roman réaliste du XIXe siècle. Rancière renverse l’argument : c’est le moment réaliste qui constitue la vraie rupture moderne en détruisant les interdits, les hiérarchies et les convenances de l’ordre représentatif des Belles-lettres. Et dans son Mallarmé. La politique de la sirène[17], il subvertit la tradition qui faisait de ce poète le pionnier d’une littérature seulement occupée d’elle-même et inventant pour cela une langue pure, séparée des mots de la tribu. Il montre à l’inverse la préoccupation de Stéphane Mallarmé pour une poésie accompagnant les fêtes d’un peuple à venir, son intérêt pour les spectacles populaires et son effort pour introduire dans le langage poétique des formes empruntées à la musique, à la danse ou à la pantomime.
Ces livres sur la littérature sont la pointe avancée d’un travail sur l’esthétique, mené depuis les années 1995. Certains critiques ont voulu y déceler un « tournant esthétique ». Mais cette recherche poursuit le travail qui, de La Nuit des prolétaires[8] aux Mots de l’histoire[14], a mis en relief la composante esthétique des mouvements d’émancipation et ramené l’esthétique des hauteurs supposées de l’art pur et de la distinction vers la réalité partagée des formes et des transformations de l’expérience sensible. Ce déplacement est systématisé en 2000 dans Le Partage du sensible[18]. Ce partage est défini comme « ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les parts et les places respectives ». C’est le découpage de l’espace et du temps, du perceptible, du pensable et du faisable à travers lequel des formes de monde commun se tissent et se pensent, sous forme de production artistique ou d’action politique. Rancière invite ainsi à sortir des débats traditionnels sur l’autonomie de l’art ou son asservissement politique : « Les arts ne prêtent jamais aux entreprises de la domination ou de l’émancipation que ce qu’ils peuvent leur prêter, soit, tout simplement, ce qu’ils ont de commun avec elles : des positions et des mouvements des corps, des fonctions de la parole, des répartitions du visible et de l’invisible. »
Sur cette base, Rancière critique également la théorie de l’art moderne comme art autonome, concentré sur sa seule matérialité, et les pratiques de l’art critique, qui prétendent révéler un ordre caché des choses et susciter ainsi une conscience et une énergie politiques. Il leur oppose un jeu plus complexe de relations à distance, de résonances mais aussi d’écarts entre les formes de la pratique politique et celles des pratiques artistiques. Il le fait à travers diverses conférences et interventions dans des lieux d’art réunies dans Le Destin des images (2003[19]) Malaise dans l’esthétique (2004[20]) et Le Spectateur émancipé (2008[21]).
En parallèle, il écrit régulièrement sur l’art moderne et populaire par excellence, le cinéma, à travers ses chroniques des Cahiers du cinéma, ses articles de Trafic et la publication des recueils de La fable cinématographique (2001[22]) et des Écarts du cinéma (2011[23]). Il contribue aussi à des catalogues d’expositions collectives (Face à l’histoire, Rouge) ou individuelles (Marcel Broodthaers, James Coleman, Alfredo Jaar, Raymond Depardon, Esther Shalev-Gerz, Éric Rondepierre…).
Ces interventions dans l’actualité des arts et des débats artistiques, reposent sur un travail à plus long terme sur la notion qu’il propose de substituer à la notion équivoque de modernité, celle de « régime esthétique de l’art ». Rancière montre en effet que la tradition occidentale de l’histoire de l'art recouvre l’existence de trois régimes d’identification bien différents qui permettent ou interdisent à des objets ou performances d’appartenir à une forme d’expérience nommée art.
Le « régime éthique » des images ne reconnaît pas l’art comme régime spécifique du sensible. Il connaît seulement des images qu’il juge selon leur provenance – réalité ou simulacre – et selon les effets bons ou mauvais qu’elles produisent sur ceux qui les regardent. Le « régime représentatif » connaît lui des arts – les Arts libéraux devenus les Beaux-arts – qui produisent un type d’êtres spécifiques, des imitations, jugées selon toute une série de normes de fabrication – les arts poétiques – qui sont aussi des normes de convenance des sujets et d’appropriation des formes d’expression. Enfin le « régime esthétique » définit les objets et performances de l’art non par des normes de fabrication mais par l’appartenance à une sphère sensible particulière, soustraite aux formes habituelles de l’expérience sensible. C’est dans ce régime que l’art existe au singulier comme forme d’expérience spécifique. Mais c’est aussi lui qui fait disparaître les critères qui servaient auparavant à séparer les objets artistiques des autres.
L’analyse de ce paradoxe est au cœur du livre majeur issu de sa recherche, Aisthesis. Scènes du régime esthétique de l’art[24] : quatorze scènes structurées chacune par un événement artistique particulier, depuis l’analyse par Johann Joachim Winckelmann du Torse du Belvédère jusqu’à la description par James Agee du décor de vie des métayers pauvres de l’Alabama. Chacune de ces scènes est une scène de métamorphose où l’identité même de l’art se trouve redéfinie à partir de l’intrusion d’objets ou de performance qui n’étaient pas de l’art ou étaient de l’art inférieur ou populaire : peinture de genre, spectacles de clowns, danse de music-hall, fabrication d’objets utilitaires, technique photographique ou divertissement cinématographique… Ce long parcours constitue une réfutation en acte de l’idéologie moderniste : il montre que le devenir-moderne de l’art n’est pas son autonomisation et la concentration de chaque art sur son médium propre. C’est au contraire le glissement des arts les uns sur les autres et l’effacement des frontières qui séparent l’art de ce qui n’est pas lui. Par là, l’art construit une démocratie, voire un communisme à sa manière au risque que ceux-ci se heurtent à ceux des militants et des chefs de parti.
Dans Les Voyages de l'art (Seuil, 2023), Rancière revient sur son concept de « régime esthétique » et s'interroge sur les spécificités de l'art moderne[25].
Depuis les années 2010, il développe un autre des thèmes qui sous-tendent sa recherche : le combat contre la hiérarchie des temps. La linéarité de la conception évolutionniste de l’histoire est en effet liée au modèle de la rationalité fictionnelle défini par Aristote qui repose lui-même sur la hiérarchie traditionnelle séparant deux temps : le temps de l’action et du loisir propre aux hommes dits libres et le temps de la reproduction propre aux hommes dits mécaniques. Le fil perdu (2014[26]) et Les bords de la fiction (2017[27]) montrent comment la rupture moderne de la continuité narrative, souvent considérée comme un procédé « élitiste », signifie au contraire la destruction de cette hiérarchie. La neutralité de l’écriture descriptive de Gustave Flaubert, les mosaïques de micro-événements sensibles des romans de Virginia Woolf, l’entrelacement des temps et des voix dans ceux de William Faulkner, les récits faussement documentaires de W. G. Sebald ou les histoires au bord du rien de João Guimarães Rosa construisent le présent d’un monde où tous sont capables d’éprouver toutes les formes d’expérience sensible. Ils tissent ce que Rancière appelle une nouvelle forme de sens commun, « un sens commun qui lie sans subordonner ni détruire ».
Parallèlement, Béla Tarr. Le temps d’après (2011[28]) analyse la manière dont ce cinéaste met en scène la bascule d’un temps circulaire de la répétition dans un temps de la décision pour éclairer à la fois le communisme et son après. Les temps modernes (2018[29]) montrent comment les deux grands arts du mouvement, le cinéma et la danse, ont opéré une redistribution des temporalités, annulant l’opposition de l’action libre et du mouvement mécanique. Le temps du paysage (2020[30]) éclaire la contemporanéité d’une querelle anglaise sur l’art des jardins et de la Révolution française. Et En quel temps vivons-nous ? (2017[31]) s’interroge sur ce qui définit un présent politique.
Durant ces mêmes années, la sollicitation de jeunes chercheurs amène Rancière à expliciter dans plusieurs livres-entretiens (La méthode de l’égalité[17], La méthode de la scène[32], Le travail des images[33] et Les mots et les torts[34]) les grands traits de sa pratique intellectuelle : un mode de détermination des objets qui refuse la division disciplinaire des compétences et des champs de recherche ; un mode d’analyse qui brouille le partage admis entre narration empirique et argumentation théorique ; un rapport à la parole de l’autre qui annule la position de surplomb du savant par rapport à son objet ; le privilège donné à la scène qui permet de dégager le mode de rationalité immanent à un événement au lieu d’appliquer à celui-ci des catégories explicatives préconstituées.
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