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Jusqu'en 1790, l'histoire de Joigny est marquée par sa quarantaine de comtes issus de neuf dynasties différentes.
La première famille comtale est peut-être issue de la famille de Sens. La tradition fait du comté de Joigny un démembrement et un partage successoral du comté de Sens en faveur de la Fromonide Alix/Adélaïde de Sens[2], dite fille de Renard Ier (ou peut-être de son fils Fromond II), et de son premier mari supposé Geoffroy (Ier) de Joigny. L'affaire se situerait au XIe siècle, mais des questions surgissent :
- On remarque des distorsions chronologiques ; le nouveau comté est censé émerger de manière fort imprécise entre 996 et 1080, alors que Renard II le Mauvais, dernier comte de Sens depuis 1012, fils de Fromond II et peut-être neveu (ou frère ?) d'Alix, meurt en 1055. Chronologiquement, Geoffroy (Ier) de Joigny (vers 980/990-vers 1020/1040) ne peut être le premier comte de Joigny actif dans la deuxième moitié du XIe siècle, mais peut-être son père ou son grand-père.
- Geoffroy (Ier), en admettant son existence, était-il de Joigny du chef de sa femme supposée Alix, ou de son propre chef, ou simplement par la grâce du roi capétien de plus en plus actif dans la région (cf. la lutte de Robert II le Pieux contre Renard II en 1015) et chasant[3] un vassal loyal ? ; en tout cas on retrouvera cette politique avec les rois Henri Ier ou Philippe Ier, fils et petit-fils de Robert II, en faveur du premier comte avéré de Joigny, Geoffroy Ier ou II, issu ou pas du couple Alix/Geoffroy (Ier) : voir plus bas).
- Selon une charte de 1042, Geoffroy (Ier) et Alix avaient pour fils l'archevêque de Sens Gilduin [N 1] (intronisé en 1032 - + apr. 1049 ; déposé en 1049 pour simonie par le concile de Reims à la demande du pape Léon IX). Or on sait que la famille de l'évêque Gelduin était possessionnée à Migennes et vassale du comte de Valois, de Vexin et d'Amiens Raoul III-IV, qui était le petit-fils de Gautier II le Blanc comte de Valois-Vexin-Amiens, et aussi – selon la thèse de l'historien Christian Settipani – comte de Gâtinais (comté jouxtant à l'ouest le comté de Sens : le Valois, le Vexin ou Amiens sont loin, mais le Gâtinais est le voisin immédiat !). D'autre part, remarquons que la mère du comte Raoul est Adèle de Breteuil, famille où l'on rencontre des Gelduin/Gilduin/Hilduin et qui diffuse ce nom vers les seigneurs du Puiset vicomtes de Chartres ou les seigneurs de Dol, les Hilduin de Montdidier-Ramerupt-Arcis pouvant aussi leur être apparentés. Si les liens familiaux ainsi suggérés (une parenté, donc, entre les Joigny et les comtes de Vexin-Gâtinais) sont fondés, on peut imaginer que le jeune comté de Joigny, émergeant dans la seconde moitié du XIe siècle, a continué la tradition familiale et s'est d'abord placé sous la suzeraineté du comte Raoul de Vexin jusqu'à sa mort en 1074, avant de se mettre dans la vassalité des comtes de Champagne, héritiers de Raoul (Thibaud III-Ier de Blois-Troyes-Champagne était le gendre de Raoul III-IV dont il avait épousé en deuxièmes ou troisièmes noces la fille Adélaïde, héritière des comtés de Valois et – par sa mère Aélis/Adèle – comtesse de Bar-sur-Aube ; Adèle de Bar-sur-Aube, avant d'épouser Raoul IV, avait été la femme de... Renard Ier de Joigny, frère du premier comte Geoffroy Ier-II) : ainsi s'expliquerait la vassalité avérée des comtes de Joigny vis-à-vis de la Champagne, dont ils sont dits les premiers pairs. Geoffroy pourrait ainsi être un proche parent des comtes de Vexin-Valois-Amiens et du Gâtinais (eux-mêmes parents possibles des Rorgonides, dont le nom Geoffroy/Gausfred est un marqueur : cf. Geoffroy Ier – plausible frère de Gautier le Blanc ci-dessus – et Geoffroy II) : Geoffroy Ier, notamment, aurait eu un fils homonyme dont on perd la trace en 997...
On notera l'existence d'une importante cession opérée en 1035 par l'archevêque Gilduin de biens patrimoniaux en lisière de la forêt d'Orléans (entre Lorris et Beaune-la-Rolande), au profit de l'abbaye Saint-Benoît-sur-Loire, en présence de son père Geoffroy (qui n'est pas qualifié de comte mais de seigneur), sous la contrainte du Roi. De même, ledit Gilduin, pour tenter d'obtenir l'appui de Raoul de Valois, favori du Roi dans sa tentative de récupérer l'archevêché de Sens, lui donnera "ses châteaux paternels", au rang desquels figure apparemment Amilly. La suzeraineté des comtes de Valois sur le haut-Gâtinais sera ensuite échangée. Enfin, une charte originale de 1042 mentionne que Migennes appartient au "pagus de Sens", établissant par là que le comté de Joigny n'est pas encore créé en 1042. Gilduin est alors le frère d'un comte Geoffroy. Tous ces éléments (chartes originales du temps et une chronique du XIe siècle) permettent de conclure : à l'absence de liens entre la famille comtale de Sens et la future famille comtale de Joigny ; à la détention d'un vaste patrimoine des futurs comtes de Joigny sur le Haut-Gâtinais (et à leur probable échange pour obtenir le Jovinien) ; à la cession d'une suzeraineté au comte de Blois transférée plus à l'Est par la suite.
- Geoffroy (Ier) a-t-il vraiment existé ? Et Alix de Sens était-elle bien sa femme ? Ce n'est qu'une supposition : pour certains, le comte Geoffroy Ier-II qui suit et qui fonde les comtes de Joigny n'a pas de lien avec la dynastie fromonide de Sens, il n'est qu'une créature du roi capétien (Henri Ier ou Philippe Ier) qui institue le comté de Joigny, Alix et Geoffroy (Ier) ne sont pas même présents dans sa généalogie (cf. les articles Joigny et Château-Renard)... Mais l'hypothèse d'un lien familial est séduisante et est généralement conservée par les spécialistes de généalogie historique : elle expliquerait l'apparition du nom Renard chez les comtes de Joigny par diffusion onomastique, ainsi que les prénoms partagés avec les Joinville, cf. ci-dessous. Le fait qu'on ne peut plus raisonnablement considérer, contrairement à la tradition, Alix et Geoffroy (Ier) comme les premiers comtes de Joigny n'empêche pas un lien étroit avec le premier comte avéré Geoffroy Ier-II : s'il n'y a pas d'élément probant, il existe un faisceau de présomptions ; et il fallait assurément que Geoffroy Ier-II eût une noble origine pour être choisi par le roi comme comte de Joigny...
En fait le premier comte de Joigny connu n'est cité qu'en 1080[4] ; ce serait Geoffroy Ier-II, fils supposé de Geoffroy (Ier) de Joigny et d'Alix, promu comte entre 1042 (Migennes est dite alors encore dans le comté de Sens),1055 (mort du dernier comte de Sens Renard II le Mauvais ci-dessus) et 1080 (Geoffroy est cité comme comte à la fondation du prieuré Notre-Dame de Joigny) sous les auspices des Capétiens Henri Ier (roi de 1031 à 1060) ou son fils Philippe Ier (roi de 1060 à 1108). C'est l'époque où le roi Philippe élargit le domaine royal en mettant la main sur le Gâtinais (1068) et la vicomté de Bourges (1101), après que son grand-père Robert le Pieux s'est emparé de Sens, d'Auxerre et du duché de Bourgogne dès 1015. En tout cas, il faut abandonner le système longtemps reçu qui faisait des premiers comtes de Joigny aussi les sires de Joinville : les érudits ont été induits en erreur par la similitude des noms portés dans ces deux familles. Mais justement cette ressemblance troublante est un argument en faveur d'une parenté proche : Alix est en fait connue comme l'épouse d'Engelbert III de Brienne, et leur fille (aussi une Alix/Adélaïde ?) comme la femme d'Étienne de Vaux fondateur du château et de la dynastie de Joinville ; si Alix de Sens a bien d'abord épousé en premières noces Geoffroy (Ier) puis s'est remariée à Engelbert de Brienne, Étienne serait donc le beau-frère du comte Geoffroy Ier-II de Joigny[N 2], et les deux familles effectivement très proches au départ, issues de la souche commune qui serait Alix de Sens. Cela pourrait aussi expliquer le nom de Joinville dont Étienne de Vaux aurait fondé le château vers 1027-1030, et qui serait de même étymologie latine que Joigny (Joviniacum Villa, domaine de Jovinius, ce nom (gallo)-romain pouvant évoquer, comme Jonzac : Jucundus, Juventius ou Jovius/Jupiter).
Remarque : les Renard de Joigny sont aussi nommés Raynard ou Renaud. D'autre part, la succession familiale n'est pas connue avec certitude, comme on le voit, jusqu'à Renard IV inclus : nos indications ne sont données que sous toute réserve.
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