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La strada
film de Federico Fellini De Wikipédia, l'encyclopédie libre
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La strada, parfois traduit Le Grand Chemin[1], est un drame social italien réalisé par Federico Fellini et sorti en 1954.
Le film raconte l'histoire de Gelsomina, une jeune femme simple d'esprit (Giulietta Masina) vendue par sa mère à Zampano (Anthony Quinn), un forain ambulant qui l'emmène avec lui sur la route (strada en italien).
Fellini décrit La strada comme « un catalogue complet de tout mon univers mythologique, une représentation dangereuse de mon identité qui a été entreprise sans aucun précédent »[2]. En conséquence, ce film lui demande plus de temps et d'efforts que toutes ses autres œuvres, antérieures ou postérieures[3]. Le processus de développement est long et tortueux ; la production connaît des problèmes, notamment un financement incertain, des difficultés dans la sélection des acteurs et de nombreux retards. Finalement, juste avant la fin du tournage, Fellini souffre d'une dépression qui nécessite un traitement médical afin qu'il puisse terminer le film. Les premières critiques sont sévères, et la projection du film à la Mostra de Venise 1954 donne lieu à une polémique qui dégénère en une bagarre publique entre les partisans et les détracteurs de Fellini.
Considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de Fellini, le film remporte le Lion d'argent en 1954 ainsi que le tout premier Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1957. À la 9e cérémonie des Rubans d'argent à Rome, Fellini reçoit le Ruban d'argent de la réalisation du meilleur film alors que Dino De Laurentiis et Carlo Ponti celui des meilleurs producteurs. En 2008, le film est inclus dans la liste des 100 films italiens à sauver établie par le ministère italien du Patrimoine culturel, une liste de 100 films qui « ont marqué la mémoire collective du pays entre 1942 et 1978 »[4].
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Synopsis
Résumé
Contexte
Gelsomina est une jeune fille fragile, vraisemblablement atteinte d'un léger handicap mental, qui vit dans une extrême pauvreté avec sa mère veuve et ses jeunes frères. Un jour, Zampanò, un forain ambulant grossier, arrive au village. Pour gagner sa vie, il parcourt dans une pauvre verdine tractée par une moto Guzzi les régions les plus pauvres d'une Italie encore rurale et simple avec ses spectacles rudimentaires, dont le clou est un numéro de briseur de chaînes. Zampanò avait déjà pris avec lui Rosa, la sœur de Gelsomina, mais celle-ci était morte subitement ; à la demande de Zampanò, la mère en vient à vendre sa deuxième fille pour gagner une somme d'argent minime.
Gelsomina suit ainsi Zampanò, qui lui apprend à jouer de la trompette et la fait participer à ses spectacles en tant qu'annonceuse. La jovialité et la naïveté de Gelsomina ne suffisent pas à atténuer le caractère orageux de Zampanò, dont l'instinct de survie guide chaque action : souvent, il la laisse seule pour aller dilapider le peu d'argent gagné en vin et en femmes, et elle fugue aussi régulièrement, mais finit toujours par revenir vers lui.

Gelsomina est entraînée dans cette aventure qui la met en contact avec des réalités misérables et cocasses ; elle croise bientôt le chemin d'un jeune acrobate, que tout le monde appelle « Fou » (Matto en VO), au caractère bien plus serein que celui de Zampanò, et bien plus beau. À un certain moment, les trois finissent par travailler ensemble dans le même cirque, où le Fou commence à se moquer gentiment de Zampanò : celui-ci, cependant, ne comprend pas l'ironie, se révélant « bête comme ses pieds » (expression souvent utilisée dans le film), et déclenche une bagarre, à la suite de laquelle Zampanò est emprisonné. Gelsomina est tentée de quitter son maître et de rejoindre le cirque, mais elle est rongée par le doute de ne rien valoir sans lui : le Fou lui apprend alors que toutes les choses de ce monde ont leur importance et la persuade de retourner auprès de Zampanò pour essayer d'adoucir son caractère bourru et malappris.
Zampanò est libéré et le duo repart en voyage. Ils se retrouvent dans un couvent où les religieuses se rendent compte des abus que l'homme fait subir à la jeune fille ; elles lui proposent de rester avec elles, mais elle, forte des paroles du Fou, refuse à nouveau. Quelques jours plus tard, le duo recroise le Fou et Zampanò, toujours furieux à cause de l'affaire du cirque, le frappe à plusieurs reprises lors d'une rixe à laquelle assiste Gelsomina, pétrifiée. Le Fou, remarquant que sa montre-bracelet a été cassée pendant la rixe, s'effondre et meurt.
Zampanò est contraint de cacher le corps en le jetant sous un pont ; Gelsomina, bouleversée par ce qu'elle a vu, commence à manifester un trouble indéfinissable, inconsolable : pendant les spectacles, elle répète sans cesse que Zampanò a tué le Fou, elle ne veut pas qu'il s'approche d'elle, et dans ses brefs moments de lucidité, elle raconte à son maître qu'elle est restée à ses côtés grâce à l'intervention du Fou.
Zampanò, après avoir pris soin de la jeune fille pendant une courte période, ne supporte pas que Gelsomina lui rappelle sans cesse le crime qu'il a commis et décide de l'abandonner sur une route déserte pour continuer seul à errer à travers l'Italie.
Plusieurs années passent : Zampanò a rejoint un autre cirque et, alors qu'il fait une pause dans une ville, il entend une jeune fille fredonner la chanson de Gelsomina : il apprend ainsi que la jeune fille était venue dans cette ville, gravement malade, et que dans ses rares moments de lucidité, elle jouait la chanson avec sa trompette ; la jeune fille est ensuite décédée. Bouleversé par cette nouvelle, Zampanò se saoule et provoque une autre bagarre avec ses nouveaux collègues du cirque, qui le chassent ; seul et désespéré, il se laisse aller à des pleurs désespérés au bord de la mer.
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Fiche technique

- Titre original : La strada
- Titre français : La strada ou Le Grand Chemin[1],[5]
- Réalisation : Federico Fellini
- Scénario : Federico Fellini, Tullio Pinelli et Ennio Flaiano
- Dialogues : Tullio Pinelli (adaptation française : Raymond Queneau)
- Photographie : Otello Martelli et Carlo Carlini (non crédité)
- Cadreur : Roberto Gerardi
- Montage : Leo Catozzo
- Musique : Nino Rota
- Décors : Mario Ravasco, Brunello Rondi
- Costumes : Margherita Marinari
- Production : Carlo Ponti, Dino De Laurentiis
- Société de production : Ponti-De Laurentiis Cinematografica (Rome)
- Société de distribution : Les Films du Centaure (France), Théâtre du Temple (France)
- Pays de production :
Italie - Langue originale : italien
- Format : Noir et blanc — 35 mm — 1,37:1 — Son mono (Western Electric)
- Genre : drame social[5]
- Durée : 115 minutes (1 h 55)
- Dates de sortie :
- Italie : (Mostra de Venise) ; (Milan) ; (Rome) ; (Turin)
- France : [5]
- Suisse : (Festival de Locarno)
- Belgique :
- Classification :
- France : tous publics, Art et essai (visa d'exploitation no 16581 délivré le )
- Affiches :
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Distribution
- Giulietta Masina : Gelsomina
- Anthony Quinn (VF : Henri Nassiet) : Zampanò
- Richard Basehart : « Le Fou » (Il Matto en VO)
- Aldo Silvani (VF : Georges Hubert) : Colombaioni, monsieur Girafe (il signor Giraffa en VO)
- Marcella Rovena (VF : Jeanne Dorival) : la veuve
- Livia Venturini : la sœur
- Mario Passante (it) : le serveur
- Anna Primula (VF : Andrée Tainsy) : la mère de Gelsomina
- Pietro Ceccarelli (it) : l'aubergiste
- Nazzareno Zamperla : Neno
- Giovanna Galli : la prostituée à l'auberge
- Yami Kamadeva : une prostituée
Production
Résumé
Contexte
Genèse et développement

Le processus créatif de Fellini pour La strada commence par des sentiments vagues, « une sorte de tonalité », dit-il, « qui me hantait, me rendait mélancolique et me donnait un sentiment diffus de culpabilité, comme une ombre qui planait sur moi. Ce sentiment évoquait deux personnes qui restent ensemble, même si cela leur sera fatal, sans qu'elles sachent pourquoi »[6]. Ces sentiments ont évolué vers certaines images : la neige tombant silencieusement sur l'océan, diverses compositions de nuages et un rossignol chantant[7]. À ce stade, Fellini esquisse ces images, une habitude qu'il dit avoir prise au début de sa carrière, lorsqu'il travaillait dans des music-halls de province et devait dessiner les personnages et les décors[8]. Finalement, il déclare que l'idée lui est apparue « réellement » pour la première fois lorsqu'il a dessiné un cercle sur un morceau de papier pour représenter la tête de Gelsomina[9], et il décide de baser le personnage sur l'actrice Giulietta Masina, sa femme depuis cinq ans à l'époque : « J'ai utilisé la vraie Giulietta, mais telle que je la voyais. J'ai été influencé par ses photos d'enfance, donc certains éléments de Gelsomina reflètent Giulietta à l'âge de dix ans »[10].
L'idée du personnage de Zampanò provient de la jeunesse de Fellini dans la ville côtière de Rimini. Un castrateur de porcs y vivait, connu pour être un coureur de jupons : selon Fellini, « cet homme couchait avec toutes les filles de la ville ; une fois, il a mis enceinte une pauvre simplette et tout le monde disait que le bébé était l'enfant du diable »[11]. En 1992, Fellini confie au réalisateur canadien Damian Pettigrew qu'il a conçu le film en même temps que le coscénariste Tullio Pinelli, dans une sorte de « synchronicité orgiaque » :
« Je réalisais Les Vitelloni, et Tullio était parti rendre visite à sa famille à Turin. À cette époque, il n'y avait pas d'autoroute entre Rome et le nord, il fallait donc traverser les montagnes. Sur l'une des routes sinueuses et tortueuses, il a vu un homme tirer une carretta, une sorte de charrette recouverte d'une bâche... Une petite femme poussait la charrette par derrière. À son retour à Rome, il m'a raconté ce qu'il avait vu et m'a fait part de son envie de raconter la dure vie de ces gens sur la route. "Ce serait le scénario idéal pour ton prochain film", m'a-t-il dit. C'était la même histoire que j'avais imaginée, mais avec une différence cruciale : la mienne se concentrait sur un petit cirque ambulant avec une jeune femme un peu simple d'esprit nommée Gelsomina. Nous avons donc fusionné mes personnages de cirque délabrés avec ses vagabonds des montagnes fumant autour d'un feu de camp. Nous avons nommé Zampanò d'après les propriétaires de deux petits cirques à Rome : Zamperla et Saltano. »
— Federico Fellini[12]
Fellini écrit le scénario avec ses collaborateurs Ennio Flaiano et Tullio Pinelli, puis le présente à Luigi Rovere, le producteur de Fellini pour Le Cheik blanc (1952). Lorsque Rovere lit le scénario de La strada, il se met à pleurer, ce qui donne de l'espoir à Fellini, mais celui-ci est anéanti lorsque le producteur déclare que le scénario est certes de la grande littérature, mais qu'« en tant que film, il ne rapporterait pas un sou. Ce n'est pas du cinéma »[13]. Une fois terminé, le scénario de Fellini compte près de 600 pages, avec chaque plan et chaque angle de caméra détaillés et remplis de notes reflétant des recherches approfondies[14]. Le producteur Lorenzo Pegoraro (it) est suffisamment impressionné pour accorder une avance sur recettes à Fellini, mais il refuse d'accéder à la demande de Fellini d'embaucher Giulietta Masina pour incarner Gelsomina[13].
Attribution des rôles
Fellini obtient finalement le financement grâce aux producteurs Dino De Laurentiis et Carlo Ponti. Les deux producteurs disent d'abord vouloir engager Silvana Mangano (la femme de De Laurentiis) pour le rôle de Gelsomina et Burt Lancaster pour celui de Zampanò, mais Fellini refuse catégoriquement. Giulietta Masina ayant été l'inspiration de tout le projet, Fellini est donc déterminé à ne jamais accepter d'autre actrice à sa place[16]. Pour le rôle de Zampanò, Fellini espère engager un non-professionnel et, à cette fin, il auditionne plusieurs hercules de foire, mais sans succès[17]. Il a également du mal à trouver la bonne personne pour le rôle du Fou (Il Matto en VO). Son premier choix se porte sur l'acteur Moraldo Rossi, qui fait partie du cercle social de Fellini et a la personnalité et le physique athlétique requis, mais Rossi désire être assistant réalisateur, pas acteur[16]. Alberto Sordi, la vedette des précédents films de Fellini, Le Cheik blanc et Les Vitelloni, est quant à lui impatient d'accepter le rôle et sa déception est grande lorsque Fellini le rejette après une audition en costume[16].
Finalement, Fellini choisit ses trois acteurs principaux parmi les personnes associées au film Femmes damnées réalisé en 1954 par Giuseppe Amato, dans lequel Masina jouait le rôle très différent d'une tenancière de maison close[18]. Anthony Quinn jouait également dans le film, tandis que Richard Basehart venait souvent sur le plateau rendre visite à sa femme, l'actrice Valentina Cortese[18]. Lorsque Masina présenta Quinn à son mari, l'acteur fut déconcerté par l'insistance de Fellini qui affirmait avoir trouvé son Zampanò. Il se souvient plus tard : « Je pensais qu'il était un peu fou, et je lui ai dit que je n'étais pas intéressé par le film, mais il m'a harcelé pendant des jours »[13]. Peu de temps après, Quinn passe la soirée avec Roberto Rossellini et Ingrid Bergman, et après le dîner, ils regardent la comédie dramatique italienne de Fellini de 1953, Les Vitelloni. Selon Quinn : « J'ai été époustouflé. Je leur ai dit que ce film était un chef-d'œuvre et que le réalisateur était celui-là même qui m'avait harcelé pendant des semaines »[13].
Fellini est particulièrement séduit par Basehart, qui lui rappelle Charlie Chaplin[18]. Après avoir été présenté à Basehart par Cortese, Fellini invita l'acteur à déjeuner, au cours duquel il lui proposa le rôle du Fou. Lorsque Basehart, surpris, lui demanda pourquoi, lui qui n'avait jamais joué le rôle d'un clown auparavant, Fellini répondit : « Parce que si vous avez réussi à faire ce que vous avez fait dans 14 Heures, vous pouvez tout faire ». Grand succès en Italie, ce drame hollywoodien de 1951 mettait en scène Basehart dans le rôle d'un suicidaire sur le balcon d'un hôtel[19]. Basehart, lui aussi très impressionné par Les Vitelloni, accepte le rôle pour un cachet bien inférieur à son salaire habituel, en partie parce qu'il est très attiré par la personnalité de Fellini, déclarant : « C'était pour sa joie de vivre et son humour »[20].
Tournage
Deux lieux de tournage de La strada : en haut, le village de Bagnoregio, en bas le village d'Ovindoli.
Le film est tourné à Pomezia, à Fiumicino et à Castelli Romani dans la province de Rome, Bagnoregio dans la province de Viterbe (Latium), Cervia dans la province de Ravenne (Émilie-Romagne) et à Ovindoli et Rocca di Mezzo dans la province de L'Aquila (Abruzzes)[21],[22]. Le dimanche, Fellini et Basehart parcourent la campagne en voiture, à la recherche de lieux de tournage et d'endroits où manger, essayant parfois jusqu'à six restaurants et s'aventurant jusqu'à Rimini avant que Fellini ne trouve l'ambiance et le menu souhaités[23].
Les prises de vues commencent en octobre 1953, mais doivent être interrompue quelques semaines plus tard lorsque Masina se luxe la cheville pendant la scène du couvent avec Quinn[24]. Le tournage étant suspendu, De Laurentiis voit là une occasion de remplacer Masina, qu'il n'a jamais voulu pour le rôle et qui n'a pas encore signé de contrat[25]. La situation change dès que les dirigeants de Paramount voient les rushes de la scène et ne tarissent plus d'éloges envers l'interprétation de Masina, ce qui pousse De Laurentiis à annoncer qu'il l'avait engagée en exclusivité et à lui ordonner de signer un contrat préparé à la hâte, pour environ un tiers du salaire de Quinn[25].
Ce retard entraîné la révision de tout le calendrier de production, et le chef opérateur Carlo Carlini, qui avait un engagement préalable, doit être remplacé par Otello Martelli, un favori de longue date de Fellini[14]. Lorsque le tournage reprend en , c'est l'hiver. La température tombe à −5 °C, ce qui entraîne souvent des coupures du chauffage et de l'eau chaude, nécessitant de nouveaux retards et obligeant les acteurs et l'équipe à dormir tout habillés et à porter des chapeaux pour se réchauffer[25].
Le nouveau calendrier pose un problème à Anthony Quinn, qui avait été engagé pour jouer le rôle-titre dans Attila, fléau de Dieu, un film épique de 1954, également produit par De Laurentiis et réalisé par Pietro Francisci[26]. Au début, Quinn envisage de se retirer de La strada, mais Fellini le convainc de travailler sur les deux films simultanément, tournant La strada le matin et Attila, fléau de Dieu l'après-midi et le soir. Ce programme oblige souvent l'acteur à se lever à 3 h 30 du matin pour capturer la « lumière crue du petit matin » à laquelle Fellini tenait absolument, puis à partir à 10 h 30 pour se rendre à Rome dans son costume de Zampanò afin d'être à l'heure sur le plateau pour se transformer en Attila le Hun pour le tournage de l'après-midi[27]. Quinn se souvient : « C'est ce planning qui explique mon air hagard dans les deux films, un air qui convenait parfaitement à Zampanò, mais qui était à peine acceptable pour Attila le Hun »[28].
Malgré un budget extrêmement serré, le directeur de production Luigi Giacosi réussit à louer un petit cirque dirigé par un homme nommé Savitri, un hercule de foire et cracheur de feu qui apprend à Quinn le jargon du cirque et les aspects techniques du brisage de chaînes[16]. Giacosi obtient également les services du cirque Zamperla, qui fournit un certain nombre de cascadeurs pouvant jouer leur propre rôle[16], dont le double de Basehart, un funambule qui a refusé de se produire lorsque les pompiers sont arrivés avec un filet de sécurité[29].
Le manque de financement oblige Giacosi à improviser pour répondre aux exigences de Fellini. Lorsque le tournage se poursuit au printemps, Giacosi parvient à recréer les scènes hivernales en empilant trente sacs de plâtre sur tous les draps qu'il a pu trouver afin de simuler un paysage enneigé[29]. Lorsqu'une scène de foule est nécessaire, Giacosi convainc le prêtre local d'avancer de quelques jours la célébration du saint patron de la ville, prévue le , garantissant ainsi la présence de quelque 4 000 figurants non rémunérés[29]. Pour s'assurer que la foule ne se disperse pas au fil des heures, Fellini demande à son assistant Rossi de crier « Préparez les chambres pour Totò et Sophia Loren » (deux des artistes italiens les plus populaires de l'époque), afin que personne ne parte[30].

Fellini est un perfectionniste notoire[31], ce qui peut se révéler éprouvant pour ses acteurs. Lors d'un séminaire, Quinn évoque l'intransigeance de Fellini dans le choix d'une boîte dans laquelle Zampanò transporte ses mégots de cigarettes, examinant plus de 500 boîtes avant de trouver celle qui convient : « Pour ma part, n'importe quelle boîte aurait fait l'affaire pour transporter les mégots, mais pas pour Federico »[27]. Quinn se souvient également avoir été particulièrement fier d'une scène dans laquelle sa prestation avait suscité les applaudissements des spectateurs présents sur le plateau, avant de recevoir un appel téléphonique de Fellini tard dans la nuit pour l'informer qu'ils devaient refaire toute la séquence parce que Quinn avait été trop bon : « Tu vois, tu es censé être un mauvais acteur, un acteur épouvantable, mais les spectateurs t'ont applaudi. Ils auraient dû se moquer de toi. Donc, demain matin, on recommence »[14]. Quant à Masina, Fellini insiste pour qu'elle reproduise le sourire aux lèvres fines qu'il avait vu sur ses photos d'enfance. Il lui coupe les cheveux en plaçant un bol sur sa tête et en rasant tout ce qui dépasse, puis il enduit ce qui reste de savon pour lui donner un « aspect hérissé et désordonné », avant de « saupoudrer son visage de talc pour lui donner la pâleur d'un acteur de kabuki ». Il lui a fait porter une cape provenant des surplus de la Première Guerre mondiale, tellement effilochée que son col lui coupait le cou[32]. Elle s'est plainte : « Vous êtes si gentil et si doux avec les autres membres de la distribution. Pourquoi êtes-vous si dur avec moi ? »[27].
Selon l'accord conclu entre Fellini et ses producteurs, tout dépassement budgétaire doit être pris en charge par le réalisateur lui-même, ce qui réduit d'autant ses bénéfices potentiels[14]. Fellini raconte que lorsqu'il est devenu évident que les fonds disponibles ne suffiraient pas pour terminer le film, Ponti et De Laurentiis l'ont invité à déjeuner pour lui assurer qu'ils ne lui en tiendraient pas rigueur : « Faisons comme si [les accords de financement] n'étaient qu'une plaisanterie. Offre-nous un café et nous les oublierons »[14]. Selon Quinn, cependant, Fellini n'a pu obtenir cette indulgence qu'en acceptant de tourner quelques plans supplémentaires pour Attila, fléau de Dieu que Francisci, le réalisateur officiel, avait négligé de terminer[28].
Pendant le tournage des dernières scènes sur le quai de Fiumicino, Fellini est la proie d'une grave dépression clinique, un état que lui et ses collaborateurs tentent de garder secret[33]. Il ne peut terminer le tournage qu'après avoir suivi un traitement auprès d'un éminent psychanalyste[34].
Dialogues

Comme c'était souvent le cas pour les films italiens à l'époque, le tournage s'est fait sans son ; les dialogues ont été ajoutés plus tard, tout comme la musique et les effets sonores[36]. Par conséquent, les acteurs parlent généralement dans leur langue maternelle pendant le tournage : Quinn et Basehart en anglais, Masina et les autres en italien[37]. Liliana Betti, l'assistante de longue date de Fellini, décrit la procédure habituelle du réalisateur concernant les dialogues pendant le tournage, une technique qu'il appelle le « système numérique » ou « diction numérologique » : « Au lieu de répliques, l'acteur doit compter des chiffres dans leur ordre normal. Par exemple, une réplique de quinze mots équivaut à une énumération de trente. L'acteur se contente de compter jusqu'à trente : 1-2-3-4-5-6-7, etc. »[38]. Le biographe John Baxter commente ainsi l'utilité d'un tel système : « Cela permet de repérer précisément le moment du discours où il [Fellini] souhaite une réaction différente. " Revenez à la 27e prise", dira-t-il à un acteur, "mais cette fois-ci, souriez" »[37]. Comme il n'a pas à se soucier du bruit pendant le tournage d'une scène, Fellini commente en continu pendant le tournage, une pratique qui scandalise les cinéastes plus traditionnels, comme Elia Kazan : « Il parle pendant chaque prise, en fait il crie sur les acteurs. "Non, là, arrêtez, tournez-vous, regardez-la, regardez-la. Tu vois comme elle est triste, tu vois ses larmes ? Oh, la pauvre malheureuse ! Tu veux la réconforter ? Ne te détourne pas, va vers elle. Ah, elle ne veut pas de toi, n'est-ce pas ? Quoi ? Va vers elle quand même !" ... C'est ainsi qu'il parvient à utiliser des comédiens de nombreux pays. Il fait une partie du travail d'acteur à la place des acteurs »[37].
Comme Quinn et Basehart ne parlent pas italien, ils sont tous deux doublés dans la version originale[39]. Mécontent de l'acteur qui avait initialement doublé Zampanò, Fellini se souvint avoir été impressionné par le travail d'Arnoldo Foà dans le doublage du personnage de Toshirō Mifune dans la version italienne du film Rashōmon (1950) d'Akira Kurosawa, et réussit à obtenir les services de Foà à la dernière minute[29]. Le compositeur Michel Chion observe que Fellini exploite particulièrement la tendance des films italiens de l'après-guerre à laisser une grande liberté dans la synchronisation des voix et des mouvements des lèvres, surtout par contraste avec la « fixation obsessionnelle » perçue à Hollywood pour la correspondance entre les voix et les bouches : « Dans les extrêmes felliniens, lorsque toutes ces voix post-synchronisées flottent autour des corps, nous atteignons un point où les voix, même si nous continuons à les attribuer aux corps auxquels elles sont assignées, commencent à acquérir une sorte d'autonomie, d'une manière baroque et décentrée »[40]. Dans la version italienne de La strada, il arrive même que l'on entende un personnage parler alors que la bouche de l'acteur est fermée[36].
Thomas Van Order, spécialiste de Fellini, souligne que Fellini traite les sons ambiants de ses films avec la même liberté, préférant cultiver ce que Chion appelle « un sens subjectif du point d'écoute »[41], dans lequel ce qui est entendu à l'écran reflète les perceptions d'un personnage particulier, par opposition à la réalité visible de la scène. À titre d'exemple, des canards et des poulets apparaissent à l'écran tout au long de la conversation de Gelsomina avec la religieuse, mais, reflétant le sentiment croissant d'éveil de la jeune fille quant à sa place dans le monde, les coin-coin et les gloussements des volailles de basse-cour se fondent dans le chant des oiseaux[36].
Musique

La bande originale de La strada est entièrement composée par Nino Rota après la fin du tournage[42]. Le thème principal est une mélodie mélancolique qui apparaît d'abord jouée par le Fou sur un violon de fortune, puis par Gelsomina sur sa trompette[36]. La dernière fois qu'elle est jouée, dans l'avant-dernière scène, c'est la femme qui raconte à Zampanò le sort de Gelsomina après qu'il l'a abandonnée qui la chante[43]. C'est l'un des trois thèmes principaux qui sont introduits pendant le générique au début de La strada et qui reviennent régulièrement tout au long du film[36]. À ceux-ci s'ajoute un quatrième thème récurrent qui apparaît dans la toute première séquence, après que Gelsomina a rencontré Zampanò, et qui est souvent interrompu ou réduit au silence en sa présence, apparaissant de moins en moins fréquemment et à un volume de plus en plus faible au fur et à mesure que le film avance[36]. Claudia Gorbman commente l'utilisation de ces thèmes, qu'elle considère comme de véritables leitmotivs, chacun d'entre eux n'étant pas simplement une balise illustrative ou redondante, mais « un véritable signifiant qui accumule et communique un sens qui n'est pas explicite dans les images ou les dialogues »[44].
Dans la pratique, Fellini tourne ses films en diffusant de la musique enregistrée car, comme il l'expliquait dans une interview en 1972, « cela vous plonge dans une dimension étrange où votre imagination vous stimule »[42]. Pour La strada, Fellini utilise une variation d'Arcangelo Corelli qu'il prévoit d'utiliser dans la bande originale. Rota, mécontent de ce projet, compose un motif original (avec des échos du larghetto de la Sérénade pour cordes en mi majeur (opus 22) d'Antonín Dvořák[45]) dont les lignes rythmiques correspondent à celles du morceau de Corelli et se synchronisent avec les mouvements de Gelsomina à la trompette et ceux du Fou au violon[46].
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Exploitation
Résumé
Contexte
Après sa projection début septembre 1954 à la Mostra de Venise, le film sort le à Milan, le à Rome et le à Turin. Il cumule 3 954 198 entrées en Italie et se classe au 19e rang du box-office Italie 1954-1955[47]. La strada sort en France le [5] et cumule 4 483 518 entrées dans le pays (dont 1 193 138 entrées à Paris) et se classe ainsi 8e du box-office France 1955[48].
La strada reste le plus grand succès en France de la filmographie de Federico Fellini, alors qu'il est largement dépassé par d'autres films de Fellini en Italie, dont La dolce vita (1960) qui cumule 13,6 millions d'entrées[49],[50].
Un film qui marque la fin du néoréalisme ?
Au début de sa carrière cinématographique, Fellini était étroitement associé au mouvement connu sous le nom de néoréalisme[51], un ensemble de films produits par l'industrie cinématographique italienne pendant la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, en particulier entre 1945 et 1952[52], et caractérisés par une attention particulière au contexte social, un sens de l'immédiateté historique, un engagement politique en faveur d'un changement social progressiste et une idéologie antifasciste. Bien que certaines de ses premières réalisations en tant que réalisateur aient laissé entrevoir quelques écarts par rapport à l'orthodoxie néoréaliste, La strada a été largement considéré comme une rupture définitive avec les exigences idéologiques des théoriciens néoréalistes, qui préconisaient de suivre une orientation politique particulière ou d'incarner un style « réaliste » spécifique[53]. Cela a conduit certains critiques à vilipender Fellini pour ce qu'ils considéraient comme un retour aux attitudes d'avant-guerre, caractérisées par l'individualisme, le mysticisme et l'attention portée principalement sur le style[54]. La critique de cinéma Millicent Marcus écrit que « La strada reste un film indifférent aux préoccupations sociales et historiques du néoréalisme orthodoxe »[54]. Rapidement, d'autres cinéastes italiens, dont Michelangelo Antonioni et même Roberto Rossellini, mentor et premier collaborateur de Fellini, ont suivi l'exemple de ce dernier et, selon les termes du critique Peter Bondanella, « dépassé une approche dogmatique de la réalité sociale pour traiter de manière poétique d'autres problèmes personnels ou émotionnels tout aussi captivants »[55]. Certains critiques italiens reprochent au réalisateur son « désir de fuir la réalité »[56], l'influence de l'existentialisme, la « perte de son équilibre intérieur » et son immersion dans « une atmosphère de magie et de superstitions »[57].
Accueil critique
Italie

Lorsque le jury de la Mostra de Venise 1954 décerne le Lion d'argent du meilleur film à La strada, ignorant Senso de Luchino Visconti, une bagarre éclate après que l'assistant de Visconti, Franco Zeffirelli, se met à siffler le discours de remerciement de Fellini, avant d'être lui-même agressé par Moraldo Rossi[58]. Cette agitation laisse Fellini pâle et bouleversé, et Masina en larmes[59].
Luchino Visconti, dont le film Senso était également présenté au festival, a lui-même critiqué La strada de manière assez méprisante, qualifiant le film de « néo-abstrait »[60] ; La querelle entre les deux grands réalisateurs ne fut réglée qu'en 1963, lors du Festival du film de Moscou, lorsque, grâce à l'intervention de Masina, Visconti et Fellini se sont embrassés dans le hall de l'hôtel Moskva.
Selon Tino Ranieri, l'avant-première du à Venise débute « dans une ambiance inexplicablement froide » et « le public, qui n'avait pas vraiment apprécié le film au début de la projection, sembla changer légèrement d'avis vers la fin, mais le film ne reçut pas, dans tous les sens du terme, l'accueil qu'il méritait »[61].
Tullio Cicciarelli, du journal Il lavoro nuovo, considère le film comme « un poème inachevé », délibérément laissé inaccompli par le cinéaste par crainte que « son essence ne se perde dans la cruauté des définitions critiques ou dans l'ambiguïté des classifications »[62], tandis qu'Ermanno Continin, du journal Il Secolo XIX, qualifie Fellini de « maître conteur » :
« Le récit est léger et harmonieux, esquissant son essence, sa résistance, son uniformité et son objectif à partir de petits détails, d'annotations subtiles et de tons doux qui s'insèrent naturellement à travers l'intrigue modeste d'une histoire apparemment dépourvue action. Mais combien de sens, combien de fermentation enrichissent cette apparente simplicité. Tout est là, même si ce n'est pas toujours évident, même si ce n'est pas toujours interprété avec toute l'éloquence poétique et humaine : cela est suggéré avec une délicatesse considérable et soutenu par une force subtile et émouvante. »
Des critiques marxistes tels que Guido Aristarco ont rejeté le film pour des raisons idéologiques, en particulier pour ce qu'ils considéraient comme des notions chrétiennes de conversion et de rédemption : « Nous ne disons pas et n'avons jamais dit que La strada est un film mal réalisé ou mal joué. Nous avons déclaré, et nous déclarons, qu'il est erroné, que son point de vue est incorrect »[65].
Dans sa critique pour le Corriere della Sera, Arturo Lanocita affirme que le film « donne l'impression d'être une ébauche qui se contente d'évoquer les points principaux de l'histoire... Fellini semble avoir préféré l'ombre là où un contraste marqué aurait été plus efficace »[66],[64]. Nino Ghelli, de Bianco e Nero (it), regrette qu'après « un excellent début, le style du film reste harmonieux pendant un certain temps jusqu'au moment où les deux personnages principaux se séparent, moment à partir duquel le ton devient de plus en plus artificiel et littéraire, et le rythme de plus en plus fragmentaire et incohérent »[67],[62].
« Le film doit être accepté pour son étrange fragilité et ses moments souvent trop colorés, presque artificiels, ou bien totalement rejeté. Si l'on tente d'analyser le film de Fellini, son caractère fragmentaire apparaît immédiatement et l'on est obligé de traiter séparément chaque fragment, chaque commentaire personnel, chaque confession secrète. »
— Tullio Cicciarelli[62]
Dans une interview accordée en 1957, Fellini rapporte que Masina avait reçu plus d'un millier de lettres de femmes abandonnées dont les maris étaient revenus vers elles après avoir vu le film, et qu'elle avait également reçu des messages de nombreuses personnes handicapées qui avaient retrouvé une nouvelle estime d'elles-mêmes après avoir vu le film : « Ces lettres viennent du monde entier »[68].
Vatican
En 1995, la Commission pontificale pour les communications sociales de l'Église catholique publie une liste de 45 films représentant « un échantillon représentatif de films exceptionnels, sélectionnés par un comité composé de douze experts internationaux du cinéma ». Cette liste, désormais connue sous le nom de « liste des films du Vatican », comprend La strada parmi les 15 films de la sous-catégorie intitulée « Art »[69]. Le pape François a déclaré qu'il s'agissait du « film que j'ai peut-être le plus aimé », en raison de son identification personnelle avec la référence implicite à son homonyme, François d'Assise[70].
France
Sa sortie en France l'année suivante le est mieux accueillie[71]. Dominique Aubier estime dans les Cahiers du cinéma qu'« un film comme La strada appartient à la classe des ouvrages mythologiques, lesquels attendent de la critique, puis du public qu'ils accomplissent un travail complexe et subtil d'adhésion ». Aubier poursuit :
« Fellini atteint [...] à cette supériorité qu'ignorent tant de travailleurs du cinéma : le style, au service d'un univers mythologique d'artiste. Son exemple nous prouve, une fois de plus, que le cinéma a moins besoin de techniciens — il en compte plus qu'il ne lui en faut — que de quelques structures mentales. Certains esprits répugnent à mettre au clair ce qu'ils ont senti par le mystère de l'adhésion artistique. [...] Pourtant, les œuvres poétiques de bonne tenue supportent qu'on les ouvre, qu'on les vide et qu'on regarde. Elles ressemblent, et c'est merveille, à ces poissons dont parle Antonio Machado, à propos de poésie, poissons qui se laissent pêcher comme les autres mais demeurent éternellement vivants. Selon moi, La strada peut être sortie de l'eau. Elle n'y perdra pas son souffle. »
Le film s'est classé 7e dans la liste des 10 meilleurs films de l'année 1955 établie par les Cahiers du cinéma[73]. Dans sa critique publiée en mars 1955 dans le magazine Arts, Jean Aurel estime que l'interprétation de Giulietta Masina est « directement inspirée du meilleur de Chaplin, mais avec une fraîcheur et une coordination qui semblent avoir été inventés uniquement pour ce film ». Il a trouvé le film « amer, mais plein d'espoir. Un peu comme la vie »[74]. La strada est « le récit d’un homme qui apprend à pleurer » selon l'expression célèbre d'André Bazin, le critique et théoricien de cinéma influent qui écrivait alors dans la revue Esprit :
« Le film s'achève sur une épiphanie. Celle d’un être qui, touché par la grâce, reçoit au détour de sa route la révélation des mystères de la mort et de la vie. Les yeux levés au ciel, Zampano pleure enfin autant sur la découverte de son âme que sur l’immense gâchis d’une existence qu’il n’a pas su vivre. L'ombre tragique et légère de la femme-enfant plane désormais au-dessus de lui, douce présence-absence de sa propre présence au monde renouvelée. »
— André Bazin[75]
D'après le quotidien L’Aurore, « le metteur en scène, Federico Fellini, nous offre avec La strada un véritable chef-d’œuvre d’art cinématographique par la beauté des vues qu’il nous donne. […] La strada est un film qui nous déroute, admirablement filmé, admirablement tourné dans le paysage d’Italie. Mais il lui manque une action cinématographique, qui commence au moment où va éclater une crise, et se termine quand le scénariste a résolu cette crise »[76]. Dans Le Canard enchaîné, on estime q'il s'agit d'« un des quatre ou cinq chefs-d’œuvre que le cinéma nous ait donnés depuis sa naissance. Un film qui nous force à remettre en question tout ce que nous avons vu au cinéma depuis des années. Une fable humaine et lyrique d’où l’on sort enivré, après quoi le jour même n’a plus la même couleur »[77]. Dans Combat, on estime que « La strada se place dans l’étoile des quelques films italiens issus du néoréalisme mais le dépassant pour redevenir création, transposition, composition, enfin tout ce qui sépare un art d’un reportage. […] Pas besoin d’être sourcier pour trouver là-dedans des messages secrets, des signes conventionnels adressés à quelques initiés... simplement une histoire toute simple, des êtres stylisés au moment de leurs paroxysmes, la glace déformante d’un poète.... il suffit de se laisser mener, de subir, d’aimer. C’est un film mélodie, un film nostalgie »[78]. Pour Le Figaro, « Tout ce qui a trait à l’existence ambulante, tout ce qui est prétexte à belles images, à vastes gravures solidement burinées, tout ce qui requiert une certaine profondeur de champ, une lumière vibrante, tout ce qui s’accorde au rythme de la musique nostalgique et colorée écrite pour ce film par Nino Rota, oui, tout cela est excellent ; autrement dit la toile de fond est d’une perfection singulière »[79].
D'autres ont souligné l'influence franciscaine sur le film : « Un sacrifice (la mort de Gelsomina), un meurtre (celui du Fou) une rédemption (celle de Zampano au dernier plan) : La Strada semble un chemin de croix pavé de significations religieuses ». Après avoir visionné le film, Michael Lonsdale déclare, paraphrasant un commentaire à l'origine destiné à Marguerite Duras : « Fellini ne parle jamais de Dieu, mais il pense tout le temps à Lui »[80].
Allemagne de l'Ouest
Selon le Lexikon des internationalen Films, « Aucun spectateur ne pourra échapper à l'intensité créée par l'harmonie de tous les facteurs artistiques »[81].
Japon

En 2009, le film est classé no 10 dans la liste des 10 meilleurs films non japonais de tous les temps du magazine japonais Kinema Junpō[82].
Le cinéaste japonais Akira Kurosawa cite ce film parmi ses 100 films préférés[83].
Royaume-Uni et États-Unis

Les critiques au Royaume-Uni et aux États-Unis sont mitigées, avec des commentaires désobligeants dans Films in Review (« le marasme du mélodrame bon marché »[84], Sight & Sound (« un réalisateur qui s'efforce d'être poète alors qu'il ne l'est pas »[85]) et The Times (« le réalisme caquetant sur un tas de fumier »[86]), tandis que des critiques plus favorables sont publiées dans Newsweek (« novateur et discutable »)[87] et Saturday Review (« Avec La strada, Fellini prend sa place en tant que véritable successeur de Rossellini et De Sica »)[88]. Dans sa critique publiée en 1956 dans le New York Times, A.H. Weiler fait particulièrement l'éloge de Quinn : « Anthony Quinn est excellent dans le rôle de l'hercule grognon, monosyllabique et apparemment impitoyable, aux goûts primitifs et immédiats. Mais son personnage est développé avec sensibilité, de sorte que sa solitude innée transparaît à travers les fissures de son apparence rude »[89].
Dans The Washington Post, Rita Kempley écrit : « Parabole d'une simplicité trompeuse et empreinte de poésie, La strada, de Federico Fellini, a fait l'objet d'un débat critique lors de sa sortie en 1954, simplement parce qu'il marquait la rupture de Fellini avec le néoréalisme, cette école dure qui avait dominé le cinéma italien d'après-guerre »[90].
Rétrospectivement, La strada figure dans de nombreux classements anglo-saxons des meilleurs films, notamment dans le sondage réalisé en 1992 auprès des réalisateurs par le British Film Institute (4e place)[91], dans la liste des « 1 000 meilleurs films jamais réalisés » du New York Times[92]. En janvier 2002, le film (avec Les Nuits de Cabiria) est inclus dans la liste des « 100 films les plus incontournables de tous les temps » par la National Society of Film Critics[93]. Dans le sondage Sight & Sound 2012 du British Film Institute sur les meilleurs films jamais réalisés, La strada est classé 26e parmi les réalisateurs. Le film est inclus dans la liste 2018 de la BBC des 100 meilleurs films en langue étrangère, votée par 209 critiques de cinéma de 43 pays à travers le monde[94].
Distinctions
Récompenses
- Mostra de Venise 1954 : Lion d'argent
- 10e cérémonie des Rubans d'argent : Ruban d'argent de la réalisation du meilleur film
- 29e cérémonie des Oscars : Oscar du meilleur film en langue étrangère[95]
- Bodil 1956 : Bodil du meilleur film européen[96]
- Blue Ribbon Awards (ブルーリボン賞, Burū Ribon Shō) : Meilleur film en langue étrangère
- Prix Kinema Junpō : Meilleur film en langue étrangère
- New York Film Critics Circle : Meilleur film en langue étrangère
Nominations
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Postérité
Résumé
Contexte
Le film a été tourné en partie dans le célèbre Circo Saltanò, avec des acteurs et des figurants issus de ce cirque, à tel point que Fellini a changé le nom d'Anthony Quinn de Saltanò en Zampanò, en le mélangeant avec Zamperla (nom de famille d'une autre famille de cirque). En allemand, le nom « Zampano », rendu célèbre par le film de Fellini, a même acquis par antonomase le sens de « fanfaron »[97].
Il a été question d'une suite à La strada. Alexander Korda proposa à Fellini, qui refusa en souriant, d'en produire une suite intitulée Le avventure di Gelsomina[98].

Parmi les réalisateurs internationaux qui ont cité La strada comme l'un de leurs films préférés, il y a le Hongkongais Stanley Kwan, le Néerlandais Anton Corbijn, le Britannique Gillies MacKinnon, l'Allemand Andreas Dresen, le Tchécoslovaque Jiří Menzel, l'Indien Adoor Gopalakrishnan, le Britannique Mike Newell, le Yougoslave Rajko Grlić, la Soviétique Laila Pakalniņa, la Hongkongaise Ann Hui, le Japonais Kazuhiro Soda (ja), le Britannique Julian Jarrold, le Polonais Krzysztof Zanussi et le Soviétique Andreï Kontchalovski[99]. David Cronenberg attribue à La strada le mérite de lui avoir ouvert les yeux sur les possibilités du cinéma lorsqu'il était enfant et qu'il a vu des adultes sortir en pleurant à chaudes larmes d'une projection du film[100].
Le thème principal de Nino Rota a été adapté en 1954 dans un single de Perry Como intitulé Love Theme from La Strada (Traveling Down a Lonely Road), avec des paroles en italien de Michele Galdieri (it) et des paroles en anglais de Don Raye[101]. Douze ans plus tard, le compositeur a développé la musique du film pour créer un ballet, également intitulé La Strada[102].
Le film a également trouvé sa place dans la musique pop. Bob Dylan et Kris Kristofferson ont mentionné le film comme source d'inspiration pour leurs chansons Mr. Tambourine Man (1965)[103] et Me and Bobby McGee (1969)[104], respectivement, et un groupe de rock serbe a pris le nom La Strada (sh) comme nom de scène.
La scène new-yorkaise a vu deux productions dérivées du film. Une comédie musicale basée sur le film est créée à Broadway le , mais est retirée de l'affiche après une seule représentation[105]. Nancy Cartwright, la voix de Bart Simpson, est tellement impressionnée par le travail de Giulietta Masina dans La strada qu'elle tente d'obtenir les droits théâtraux du film pour une pièce sur scène à New York. Après avoir tenté en vain de rencontrer Fellini à Rome, elle crée une pièce de théâtre solo, In Search of Fellini[106], qui a inspiré le film In Search of Fellini de Taron Lexton sorti en 2017.
Une adaptation théâtrale, signée Pierrette Dupoyet, a été créée au Festival d'Avignon 1992 sous le titre Gelsomina[107].
En 1991, l'écrivain Massimo Marconi et le dessinateur Giorgio Cavazzano adaptent La strada pour le magazine Topolino en une bande dessinée intitulée Topolino presenta La strada: un omaggio a Federico Fellini, mettant en scène trois personnages de Disney : Mickey Mouse dans le rôle du Fou, Minnie dans celui de Gelsomina et Pat Hibulaire dans celui de Zampanò. L'histoire commence avec Fellini rêvant qu'il est dans un avion avec sa femme, en route pour Los Angeles afin de recevoir un Oscar et rencontrer Walt Disney[108].
Le clip officiel de la chanson Principessa (it) de Marco Masini, sortie en 1995, est un hommage au film[109].
Le nom Zampanò a été utilisé pour un personnage important du roman de Mark Z. Danielewski, La Maison des feuilles (2000), un vieil homme qui écrivait des critiques de films, tandis que la mère du protagoniste s'appelle Pelafina, d'après Gelsomina.
Le court métrage d'animation iranien Harchemilone, Yekbar (هرچندمیلیون سال، یکبار, 2020), réalisé par Komeil Soheili (کمیل سهیلی) s'inspire de l'histoire des pierres décrites dans La strada[110].
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Notes et références
Voir aussi
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