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Science de l'interprétation du sens De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L'herméneutique (du grec ἑρμηνευτική τέχνη / hermēneutikḗ téchnē, « art d'interpréter »[1]) est la théorie de la lecture, de l'explication et de l'interprétation des textes.
L'herméneutique ancienne est formée de deux approches complètement différentes : la logique d'origine aristotélicienne (à partir du Peri Hermeneias ou De l'interprétation d'Aristote) d'une part, l'interprétation des textes religieux (orphisme ou herméneutique biblique par exemple) et l'hermétisme d'autre part.
L'herméneutique moderne se décline en sous-disciplines :
On parle d'« herméneutique » pour l'interprétation des textes en général.
L'interprétation des Écritures saintes, qu'il s'agisse de la Bible ou du Coran, est un sujet qui demeure délicat. L'interprétation des symboles religieux et des mythes s'appelle l'herméneutique sacrée (ou herméneutique biblique lorsqu'elle se limite à la Bible, c'est-à-dire aux textes du judaïsme et du christianisme). Elle se révèle nécessaire pour le philosophe et théologien Xavier Tilliette, selon lequel « la Bible est un ouvrage complexe et même scellé. Le Livre des livres est un livre de livres. Il est donc susceptible d'interprétation, il ne va pas sans une herméneutique. […] Il n'y a pas d'acheminement direct à la Bible, il faut toujours une médiation au moins implicite »[3].
L'interprétation de symboles divinatoires fait également appel à des herméneutes, comme en Chine et au Japon, lors de séances de scapulomancie, de plastromancie, d'achilléomancie ou autres formes d'arts divinatoires.
L'étude, la traduction et l'interprétation des textes classiques (antiques) naît à la Renaissance : c'est la philologie.
On désigne aussi par « herméneutique » la réflexion philosophique interprétative, inventée par Friedrich Schleiermacher, développée par Wilhelm Dilthey et rénovée par Martin Heidegger et Hans-Georg Gadamer.
L'herméneutique trouve des applications dans la critique littéraire ou historique, dans le droit, dans la sociologie, en musique, en informatique, en théologie (domaine d'origine), ou même dans le cadre de la psychanalyse. Cette dernière discipline fait néanmoins problème. Ainsi le psychanalyste Jean Laplanche n'admet-il pas que la psychanalyse se trouve « enrôlée » dans l'herméneutique comme « un cas particulier, une “herméneutique régionale”, soit qu'on accepte de la prendre en considération, comme le fait Ricoeur, soit qu'on la rejette, comme mal fondée, arbitraire, ainsi que le veulent par exemple Gadamer, Grondin et bien d'autres »[4].
La méthodologie du dévoilement ou de la restitution d'un texte pose deux questions :
L'herméneutique est aussi ancienne que le sont les religions, les spiritualités et la philosophie. Cependant, le terme d'herméneutique n'est apparu qu'à l'époque moderne sous la plume de Friedrich Schleiermacher[5] et Wilhelm Dilthey.
Dans son traité De l'interprétation (Organon II), Aristote (IVe siècle av. J.-C) avait défini des règles essentiellement logiques d'interprétation des textes. Il y développe notamment sa théorie du jugement affirmatif et négatif, de la contradiction et de la contrariété. Son point de départ est l'analyse des éléments sémantiques : la lettre, le nom, le verbe, la proposition. Il aboutit à une métaphysique qui hiérarchise les degrés d'être, après avoir exposé la théorie des « futurs contingents », laquelle influence les débats médiévaux sur le problème théologique de la prédestination.
Ce traité est abondamment commenté par les philosophes médiévaux Averroès[6], Thomas d'Aquin[7], Jean Duns Scot[8], Guillaume d'Ockham[9], et fixera pour longtemps la norme de lecture des textes.
Les herméneutes contemporains tels que Umberto Eco[10] ou Paul Ricœur[11] se réclament également de la philosophie aristotélicienne, mais davantage de la Poétique et de la Rhétorique que de l'Organon à proprement parler, ce dernier étant plutôt vu comme un prélude à l'élaboration du discours scientifique, que comme un ensemble de traités sur l'interprétation concrète des textes en général.
On peut mesurer ainsi le changement de paradigme de l'époque médiévale à l'époque contemporaine : la logique, c'est-à-dire l'ancienne herméneutique de l'Organon, est devenue la logique symbolique, tandis qu'une nouvelle herméneutique a émergé. Cette dernière explore des champs d'interprétation comme la poétique, la rhétorique, la littérature, mais aussi la sociologie, la psychologie, l'histoire, l'anthropologie. L'une des causes principales de ce changement est la naissance des sciences humaines qui livrent une autre approche du monde que celle des sciences naturelles et de la métaphysique traditionnelle.
Néanmoins, certains auteurs de la deuxième moitié du XXe siècle, comme Paul Feyerabend, soutiennent que le discours scientifique est lui aussi une interprétation du monde et que son mode de production ne diffère pas de celui des autres discours, littéraires, mythologiques[12].
En ce sens, aucun champ n'échapperait à l'herméneutique, pas même la science dite univoque, c'est-à-dire non sujette aux querelles d'interprétation, et rigoureuse, non affectée par la contingence des images humaines.
Les stoïciens développent un naturalisme herméneutique qui assimile les dieux comme représentations à des forces physiques.
« D'un autre motif en rapport avec la physique est découlée une grande multitude de dieux qui, revêtus d'une forme humaine, ont donné matière aux fables des poètes, mais ont rempli la vie humaine de superstitions. Ce sujet, traité par Zénon, a été abondamment développé par Cléanthe et par Chrysippe… L'air, selon la doctrine stoïcienne, est situé entre la mer et le ciel, et il est déifié sous le nom de Junon ; Junon est la sœur et la femme de Jupiter, ce qui veut dire que l'air ressemble à l'éther [Jupiter] et a, avec lui, l'union la plus intime. (Cicéron, De la nature des dieux, II, XXV-XXVI) »
La tradition du judaïsme rabbinique connaissait depuis longtemps des règles d'interprétation de la Torah. Hillel Hazaken (Ier siècle AEC) avait défini sept règles d'interprétation. Rabbi Ishmaël, développant les sept règles d'Hillel, exposa treize principes.
D'autre part, le judaïsme rabbinique connaissait quatre sens (Pardes) pour interpréter la Bible hébraïque : peshat (évident, littéral), remez (allusif), drash (interprétatif), et sod (secret/mystique). Par exemple, le sens littéral (peshat) s'avérait souvent insuffisant pour comprendre en profondeur le sens des textes sacrés.
La kabbale, dès Eléazar de Worms et Abraham Aboulafia (vers 1290), a développé la science des lettres (hokhmat ha-zeruf) et ses trois procédés pour déchiffrer la Torah[13].
Dans le judaïsme, la période médiévale a vu le développement de beaucoup de nouvelles catégories d'interprétation rabbinique et d'explication de la Torah, incluant l'émergence de la Kabbale et des écrits de Maïmonide. Les commentaires bibliques et les commentaires du Talmud s'inscrivent dans cette tradition.
Dans le christianisme, l’herméneutique biblique s’est appuyée sur diverses doctrines[14].
Origène au IIIe siècle a formulé un principe d'interprétation de l'Écriture selon trois sens (littéral, moral et spirituel) à partir de la méthode juive d’interprétation (midrash) utilisée par Paul de Tarse dans l’Épître aux Galates chapitre 4[15]. Il l'appliqua à la prière (Lectio divina).
Jean Cassien (dont s'inspire la fameuse règle de saint Benoît) l'introduisit dans les monastères.[16].
Hugues de Saint-Victor a contribué à l'herméneutique par son traité De Scripturis[17].
Le « système » des quatre sens de l'Écriture ainsi progressivement mis au point pendant le Moyen Âge pour l'interprétation des textes sacrés eut un succès relativement important aux XIIe et XIIIe siècles[18]. Il joua un rôle dans la naissance de la scolastique. Par ailleurs, le sens allégorique, l'un des quatre sens, inspira une grande partie de la littérature médiévale profane, à la suite de Prudence.
Pour le philosophe et théologien catholique Xavier Tilliette, « la Bible est un ouvrage complexe et même scellé. Le Livre des livres est un livre de livres. Il est donc susceptible d'interprétation, il ne va pas sans une herméneutique. La Parole de Dieu […] s'est faite parole humaine, astreinte à la compréhension. Il n'y a pas d'acheminement direct à la Bible, il faut toujours une médiation au moins implicite : traduction, exégèse, histoire, genres littéraires, étude des styles, typologie, connaissance de la Tradition, lectio divina »[3]…
L'étude et l'interprétation des textes classiques (antiques) naît à la Renaissance : c'est la philologie. Les savants apprennent le grec et le latin, et développent des méthodes pour prouver l'authenticité ou l'inauthenticité d'un texte, et pour établir des éditions critiques des œuvres. C'est le retour aux sources et à la littéralité des textes. L'un des éminents représentants de cette nouvelle tendance est Guillaume Budé, illustre humaniste. L'une des victoires les plus éclatantes de la nouvelle philologie est la démonstration par Lorenzo Valla de la fausseté de la Donation de Constantin. Cet acte porte également une charge politique, car il démonte les fondements de l'autorité papale, qui s'appuyait sur ce fameux texte.
Sous la plume de Martin Luther et Jean Calvin[19], la Réforme protestante appelle à relire les textes religieux littéralement par-delà les interprétations canoniques de l'Église catholique romaine. Il s'agit de détruire les couches sédimentées de conciles et de doctrines (la tradition), surajoutées aux textes, pour retrouver le texte biblique en sa pureté[20]. Auparavant, la majorité du peuple n'avait pas accès au texte biblique mais seulement aux interprétations qu'en donnaient les autorités religieuses. Avec les mouvements intellectuels de la Réforme et de l'Humanisme, conjoints à l'invention de l'imprimerie et au développement de l'éducation (qui fera reculer l'illettrisme), le texte biblique deviendra de plus en plus accessible et l'autorité religieuse de plus en plus remise en cause quant à la lecture des textes sacrés.
Paradoxalement, cette affirmation selon laquelle la Bible serait claire par elle-même, et donc à lire de manière littérale, amène le lecteur à réinterpréter lui-même le texte sacré sans qu'on ne lui impose des normes interprétatives rigides et incontestables. Le retour à l'« autorité » du texte littéral annonce la multiplicité « anarchique » des interprétations qui ne peuvent plus être unifiées par une autorité normative. L'herméneutique moderne naît de la destruction de la norme[21] : s'il n'y a plus de norme de lecture extérieure au texte, il faut apprendre à déceler soi-même le mécanisme interne d'un texte donné qui produit lui-même son propre sens afin d'éviter la multiplication à l'infini des significations du texte en question, jusqu'à l'absurdité.
Ce retour à la littéralité sera illustré lors du procès de Galilée (1633) au cours duquel les théologiens privilégièrent le sens littéral de la Bible en l'absence de preuves du mouvement de la Terre. Il aura des conséquences considérables dans l'Histoire[22].
Depuis le XIVe siècle au moins, le recours à la pensée magique est connu, mais il est vrai qu’il connaît une nouvelle mode au XVe siècle quand Marsile Ficin édite le Corpus hermeticum, ensemble de textes anonymes du IIe siècle apr. J.-C. et que l’on attribue à Hermès Trismégiste, fondateur légendaire de la religion égyptienne, contemporain de Pythagore et de Moïse. Dans cette pensée, le monde animé comme l'inanimé forme un tout continu qui possède une âme : il y a donc des correspondances entre l’Univers et l’Homme qui en est le centre et le reflet en même temps. On raisonne d’ailleurs par analogie : les plantes sont les cheveux du monde, par exemple. L'herméneutique joue ainsi un rôle important dans la médecine de la Renaissance, à la fois dans la pharmacopée (une plante correspondant à un organe) que dans les prescriptions, puisque souvent la consultation et surtout l'administration des médecines sont associées à l'horoscope du patient, les différentes parties du corps trouvant leur correspondance dans les signes zodiacaux.
On est persuadé de la vertu de certains minéraux ou éléments chimiques et notamment du mercure, du soufre. On est ainsi persuadé depuis le XIIe siècle qu’il existe un lien entre la pierre philosophale, qui peut transformer tout métal en or, et les calculs rénaux.
Le personnage le plus connu est Paracelse (1493-1541), fils de médecin, à la fois chimiste (travaillant dans les mines) et alchimiste, qui s’intéresse aux correspondances entre les minéraux et l’homme. Il est professeur de médecine à Bâle en 1526. Il a laissé de nombreuses recettes qui emploient l’opium mais aussi des composés minéraux.
Cette démarche explique également l’intérêt pour les traitements par les eaux thermales de Michel Savonarole (1385-1468) : De omnibus mundi balneis éditée en 1493 à Bologne. Plus tard, l’université de Padoue confie à trois de ses médecins de faire revivre les bains d’Abano, utilisés dans l’Antiquité ; le célèbre anatomiste Fallope qui enseigne à Padoue est chargé en 1556 d'un enseignement à thermalisme acquis.
C'est Friedrich Schleiermacher (1768 – 1834) qui posa les bases de l'herméneutique contemporaine. Schleiermacher mit également en évidence le cercle herméneutique (l'expression est de Dilthey). Pour comprendre un texte, il faut avoir compris l'œuvre, mais pour comprendre l'œuvre, il faut avoir compris les textes.
Wilhelm Dilthey (1833 – 1911) voit dans l'herméneutique la possibilité d'une fondation pour les sciences humaines. Les sciences de la nature ne cherchent qu'à « expliquer » (Erklären) leur objet, tandis que les sciences de l'homme, et l'histoire en particulier, demandent également à « comprendre » (Verstehen) de l'intérieur et donc à prendre en considération le vécu.
Dans le courant néo-évangélique, la théologie évangélique modérée a fait son apparition dans les années 1940 aux États-Unis[23]. L’étude de la Bible est accompagnée de certaines disciplines comme l’herméneutique et l’exégèse biblique [24],[25]. Des théologiens modérés sont devenus davantage présents dans les instituts de théologie évangélique et des prises de positions théologiques plus modérées ont été adoptées dans les églises évangéliques[26],[27].
L'herméneutique philosophique contemporaine se conçoit comme une théorie de l'interprétation, et de la réception de l'œuvre (littéraire ou artistique). Elle questionne la textualité en elle-même, et son rapport à l'auteur (processus d'explication) et au lecteur (processus de compréhension).
L'herméneutique philosophique cherche à analyser ce qui se manifeste, ce qui se présente de soi dans l'œuvre d'art (perspective phénoménologique). Elle pose donc de manière originale le problème de la représentation et de la phénoménalisation, s'inspirant en cela des travaux novateurs de Husserl (lequel avait livré une théorie très élaborée de l'imagination, notamment dans les Ideen I, à défaut d'esthétique à proprement parler).
Le langage de l'art représente pour les herméneutes le lieu où la vérité de l'Être se déploie, au-delà de la description scientifique des étants particuliers. L'herméneutique se fonde ainsi sur une nouvelle interrogation du verbe « être », à la fois grammaticale, ontologique et esthétique, à partir des importants travaux de Martin Heidegger dans Être et Temps (et dans ses œuvres ultérieures, dont la tentation hermétiste sera critiquée)[28].
L'herméneutique philosophique utilise comme paradigme majeur la poésie, notamment la poésie romantique, symboliste, surréaliste ou d'inspiration hermétiste, c'est-à-dire la poésie qui ne se comprend pas à la première lecture, mais qui nécessite un effort pour être décryptée. Les philosophes herméneutes analysent par exemple les textes et l'esprit de Hölderlin, Mallarmé, Valéry, Rilke, Artaud ou encore Ponge.
Le deuxième grand paradigme de l'herméneutique est le roman, notamment les œuvres subversives qui remettent en cause les normes traditionnelles d'écriture. Ainsi, on croisera sous la plume des grands herméneutes Rabelais, le Marquis de Sade, Joyce, Kafka, Bataille, ou encore d'autres grands écrivains comme Goethe ou Borges.
Martin Heidegger étend la conception de Dilthey et conçoit à un certain moment l'herméneutique comme la tâche même de la philosophie si l'existence – objet de la philosophie – demande à être interprétée et si elle n'est autre qu'un processus d'interprétation, une compréhension de soi. L'herméneutique est en ce sens un dépassement de la phénoménologie car elle s'applique à ce qui ne se montre pas, à détruire plutôt un rapport de conscience qui dissimule un rapport authentique à l'être. L'herméneutique constitue ainsi l'ontologie.
L'élève de Heidegger, Hans-Georg Gadamer publia en 1960 l'ouvrage qui passe encore pour son livre le plus important : Vérité et Méthode.
Cette œuvre affirme, en contestation de la fausse objectivité souvent présente dans les sciences humaines, que « la méthode ne suffit pas ». Une œuvre ne peut pas être expliquée uniquement selon notre propre horizon d'attente. La lecture est faite dans la tension existant entre le texte du passé et l'horizon d'attente actuel.
De plus, Gadamer affirme que « tout texte est réponse à une question. » Si le texte parle encore aux lecteurs présents, c'est qu'il répond encore à une question. Le travail de l'historien est de trouver à quelle question le texte répondait dans le passé et à laquelle il répond aujourd'hui.
Paul Ricœur entreprend une herméneutique du soi, herméneutique dans la mesure où le moi ne se connaît pas par simple introspection, mais par un ensemble de symboles. Il s'agit de déchiffrer le sens caché dans le sens apparent.
Pour Ricoeur, la psychanalyse est une forme d'herméneutique (interprétation des symptômes du malade)[29].
Hans Robert Jauss, appartenant à l'École de Constance, dans Pour une esthétique de la réception (1972), reprenant les enseignements de Gadamer, affinera la théorie herméneutique. Il proposera l'usage d'une « triade » herméneutique pour l'étude des œuvres.
La triade herméneutique de Jauss :
L'herméneute qui utilise ce modèle s'implique donc énormément dans l'étude et tente de comprendre la valeur novatrice de l'œuvre.
En 1982, Michel Foucault intitule son cours au Collège de France : « herméneutique du sujet ». Il est question en réalité d’une « herméneutique de soi » au sens d’une forme de connaissance de soi. La notion fondamentale est la pensée grecque de l'epimeleia heautou (le souci de soi). Cette question est en même temps esthétique : une « esthétique de l’existence » entendue comme une éthique, soit la production de normes qui ne soient pas cryptées, mais que le sujet fonde ou découvre, et par lesquelles il se découvre également.
Foucault considère que la « généalogie » nietzschéenne, qui interprète les jugements de valeur (vrai/faux, bien/mal, beau/laid) à partir de l'histoire et de la physiologie (état de santé du corps), est une herméneutique[30].
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L'herméneutique est en traductologie une approche de la traduction à part entière ayant comme figure de proue le linguiste allemand Friedrich Schleiermacher (1767-1834). Schleiermacher conçoit l’herméneutique traductionnelle comme un acte d'immersion du traducteur dans la psyché de l'auteur. Il s'agit d'une méthode de traduction empathique, qui insiste sur l'importance de ressentir le texte à traduire. Prétendant proposer une alternative à l'approche linguistique de la discipline, l'approche herméneutique décompose l'acte de traduction en quatre stades et non trois : "un élan de confiance", "l'incursion, l'agression, l'extraction", "l'incorporation au sens fort du terme" et "une réciprocité qui recréée l'équilibre".
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La sociologie herméneutique consiste en la recherche de la compréhension des phénomènes dans leur singularité. Elle est l'art de retranscrire un discours afin d'en extraire les besoins des individus, une sorte de traduction des discours.
Pour l'anthropologie interprétative, découlant de l'herméneutique, les faits étudiés sont le produit des réflexions des personnes qui leur sont rattachées. Pour Gagnon[2], l'anthropologue adoptant une approche herméneutique cherche alors « les connaissances, les représentations, les règles et les attentes que la culture met à la disposition des individus pour leur permettre de donner sens à leurs actions, pour décrire et expliquer le monde (dimension sémantique) mais aussi pour agir, produire quelque chose, résoudre un problème (dimension pragmatique)». Pour être valides socialement, les significations doivent être partagées, à la manière d'un texte public, et la société les garde pour les retransmettre de génération en génération en les adaptant plus ou moins au contexte. Le rôle de l'anthropologue est alors de lire la culture et de l'interpréter à la manière de ce qu'une lectrice ou un lecteur ferait, notamment en rendant clair ce qui est sous-entendu ou présupposé, comme ce que propose Taylor[31] puisque les discours et dialogues contiennent une certaine quantité d'informations tenues pour acquises. Cette méthodologie n'est toutefois pas neutre. Gagnon[2] souligne quelques limites, comme le fait que l'anthropologue est en soi interprète et doit tenir compte de ses propres préjugés culturels et de ses préconceptions issus de sa culture d'origine.
Les chercheurs en informatique, particulièrement ceux qui traitent de linguistique informatique, d'ingénierie des connaissances, d'intelligence économique, et de protocoles d'analyse, n'ont pas manqué de remarquer la communauté d'intérêt qu'ils partagent avec les chercheurs en herméneutique, par rapport au caractère des agents d'interprétation et à la conduite des activités d'interprétation. Par exemple, dans leur résumé de mémoire en intelligence artificielle en 1986, Mallery, Hurwitz, et Duffy ont déclaré ce qui suit :
« L'herméneutique, qui est une branche de la philosophie continentale européenne traitant de la compréhension et de l'interprétation humaine de textes écrits, offre une puissance de discernement qui peut contribuer à la compréhension de la signification, à la traduction, aux architectures pour la compréhension du langage naturel, et même aux méthodes qui conviennent pour la recherche scientifique en intelligence artificielle. (Mallery, Hurwitz, Duffy, 1986). »
L'herméneutique en relations internationales a connu un regain d'attention avec la fin de la guerre froide. Ceci s'explique par la multiplicité des théories déployées et leur incapacité, par la pensée rationnelle, à expliquer dans leur globalité les rapports internationaux. Dans un esprit de synthèse, certains auteurs redécouvrent la pensée de Gadamer, tel Richard Rorty, pour l'appliquer à la philosophie politique[32].
Cette philosophie « se débarrasse de la théorie classique de l'homme-connaisseur-des-essences »[33], c'est-à-dire de la vérité par correspondance et met l'accent sur le contexte spatio-temporel de toute théorie et sur l'intentionnalité des auteurs. L'acte de comprendre se décompose alors en trois étapes qui forment le cercle herméneutique : la compréhension stricto sensu, l'interprétation et l'application (confrontation avec le réel par cohérence). Cette dernière étape participe à la notion de réflexivité en science sociale.
Rorty insiste sur le holisme du cercle herméneutique qui fait que tout penseur doit envisager un système dans sa totalité pour en comprendre les parties, et inversement, comprendre toutes les parties pour saisir le fonctionnement du Tout[34].
Appliqué aux relations internationales, la constructiviste Martha Finnemore voit dans l'herméneutique une invitation à la confrontation paradigmatique, pour approcher au plus près la réalité. De plus, la vérité étant nécessairement établie par cohérence, il y aura toujours un décalage entre l'environnement représenté des acteurs et l'environnement réel. Question qui renvoie à la théorie de Robert Jervis sur les fausses perceptions. Enfin, la compréhension du monde, compris comme un complexe "Tout-unités", amène nécessairement à concilier holisme et individualisme méthodologique[35].
Mircea Eliade, comme un historien des religions et un herméneute, comprend la religion comme « l'expérience du sacré », et interprète le sacré par rapport au profane[37]. Le savant roumain souligne que la relation entre le sacré et le profane n'est pas d'opposition, mais de complémentarité, ayant interprété le profane comme une hiérophanie[38]. L'herméneutique du mythe est une partie de l'herméneutique de la religion. Le mythe ne doit pas être interprété comme une illusion ou un mensonge, parce qu'il y a une vérité dans le mythe à redécouvrir[39]. Le mythe est interprété par Mircea Eliade comme « une histoire sacrée ». Il a introduit le concept de « l’herméneutique totale »[40].
En matière d'herméneutique biblique, et à la suite des travaux du cardinal Henri de Lubac, s.j., sur l'exégèse médiévale, la théorie des quatre sens de l'Écriture semble renaître chez les théologiens contemporains[41]. Le cardinal Urs von Balthasar écrivait à ce sujet en 1970 :
« Les quatre sens de l’Écriture célèbrent leur résurrection cachée dans la théologie d'aujourd'hui : en effet le sens littéral apparaît comme celui qu'il faut faire émerger en tant qu'historico-critique ; le sens spirituel en tant que kérygmatique, le sens tropologique en tant qu'essentiel et le sens anagogique en tant qu'eschatologique[42]. »
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