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écrivain et poète portugais De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Fernando António Nogueira Pessoa[note 1] est un écrivain, critique, polémiste et poète portugais trilingue[1] (principalement portugais, mais aussi anglais et, dans une moindre mesure, français[note 2]). Né le à Lisbonne, ville où il meurt des suites de son alcoolisme le , il a vécu une partie de son enfance à Durban en Afrique du Sud.
Naissance | |
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Décès |
(à 47 ans) Lisbonne |
Sépulture | |
Nom de naissance |
Fernando António Nogueira Pessoa |
Pseudonymes |
Alberto Caeiro, Álvaro de Campos, Ricardo Reis, Bernardo Soares |
Nationalité | |
Formation | |
Activités | |
Période d'activité |
À partir de |
Père |
Joaquim de Seabra Pessoa (d) |
Mère |
Maria Magdalena Pinheiro Nogueira (d) |
Genre artistique |
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Théoricien de la littérature engagée dans une époque troublée par la guerre et les dictatures, inventeur inspiré par Cesário Verde[2] du sensationnisme[3],[cf 1], ses vers mystiques et sa prose poétique ont été les principaux agents du surgissement du modernisme au Portugal.
Fernando Pessoa est porté le sur les fonts baptismaux par le général Chaby sous le patronage de son prétendu aïeul Fernando de Bulhões dont la fête coïncide avec le jour de sa naissance.
L'enfant, qui a grandi en face de l'opéra de Lisbonne, 4 place Saint-Charles dans le quartier du Chiado, perd à l'âge de cinq ans son père, emporté le dans sa quarante-quatrième année par la tuberculose. Ce père, Joaquim de Seabra Pessoa (pt), fils d'un général qui s'était illustré durant la guerre civile portugaise, travaillait comme fonctionnaire du secrétariat à la Justice et publiait régulièrement des critiques musicales dans le Diário de Notícias (il a en outre publié une brochure sur Le Hollandais volant). Le , c'est au tour de son frère né en juillet 1893, Jorge, de mourir. Le garçon, alors que la famille a dû en novembre emménager avec une grand-mère maternelle dans une maison plus modeste 104 rue Saint-Marcel, s'invente un double, le Chevalier de Pas[note 3], et dédie un premier poème annonciateur de prédilections futures À ma chère maman[cf 2].
Sa mère, Maria Magdalena Pinheiro Nogueira (pt), îlienne de Terceira, femme de culture quadrilingue et versificatrice à ses heures, dont le père, directeur général du ministère de la Reine, fréquentait entre autres personnalités le poète Tomás Ribeiro (pt), avait appris l'anglais auprès du précepteur des infants. Elle s'était remariée, par procuration, en décembre 1895 avec le consul du Portugal à Durban, le commandant João Miguel Rosa, qui lui avait été présenté à Lisbonne quatorze mois plus tôt, avant la nomination de celui-ci. Elle embarqua avec son fils le pour rejoindre son nouvel époux au Natal, colonie autonome d'Afrique du Sud, où l'éducation de l'enfant se poursuivit en anglais. Celui-ci franchit en deux ans les quatre années de l'enseignement primaire dispensé par les sœurs irlandaises et françaises de l'école catholique Saint-Joseph[note 4].
Introverti et modeste dans ses échanges, Fernando Pessoa se montre un frère amuseur en organisant des jeux de rôles ou en faisant le clown devant la galerie, attitude ambivalente qu'il conservera toute sa vie[1].
Devenu crack solitaire[Quoi ?][4] du lycée de Durban (en), inapte au sport[5] (il est premier en français en 1900), il est admis en juin 1901 au lycée du Cap de Bonne Espérance (en). C'est l'année où meurt sa seconde demi-sœur, Madalena Henriqueta, âgée de deux ans[note 5], et où il s'invente le personnage d'Alexander Search dans lequel il se glisse pour écrire des poèmes, en anglais, langue qui restera, sans exclusivité[cf 3], celle de son écriture jusqu'en 1921. Il y en aura cent dix-sept, le dernier datant de 1909[6]. Ses tentatives d'écrire des nouvelles, parfois sous le pseudonyme de David Merrick ou de Horace James Faber, sont des échecs.
Cependant, à la rentrée scolaire, il est avec sa famille sur le paquebot qui conduit via Alexandrie le corps de sa sœur jusqu'à une sépulture lisboète. En mai 1902, le voyage familial se prolonge aux Açores où habite la famille maternelle. Sa belle-famille, rentrant sans lui, le laisse visiter de son côté sa famille paternelle à Tavira en Algarve. C'est seul qu'il regagne Durban en septembre. Préparant seul son entrée à l'université, il suit parallèlement des cours du soir au Lycée de Commerce de Durban. En novembre 1903, il est lauréat d'anglais, sur huit cent quatre-vingt-dix-neuf candidats[7], à l'examen d'admission à l'Université du Cap de Bonne Espérance.
C'est toutefois de nouveau au lycée de Durban qu'il suit l'équivalent d'une khâgne. Ébloui par Shakespeare, il compose alors, en anglais, Le Marin[8], première et seule pièce achevée des cinq œuvres dramatiques qu'il produira[9]. Il est publié pour la première fois en juillet 1904 par Le Mercure du Natal (en) pour un poème[note 6] signé Charles Robert Anon, comme anonyme. Le journal du lycée de décembre 1904 révèle par un article intitulé Macaulay ses talents de critique[7]. Il achève ses études « undergraduate » en décembre 1904 en obtenant précocement le diplôme « Intermediate Examination in Arts ».
En 1905, à l'âge de dix-sept ans, il part pour Lisbonne, laissant sa mère à Durban, pour étudier la diplomatie au Cours Supérieur de Lettres, qui, en 1911, deviendra faculté (pt). Il vit auprès de deux tantes et de sa grand-mère paternelle, atteinte de démence à éclipses, Dionísia Perestrelo de Seabra. Une santé fragile qu'il tente de soigner par la psychothérapie et la gymnastique suédoise lui fait perdre une année universitaire et, l'année suivante, son cursus est compromis par une grève des étudiants, contre la dictature du premier ministre João Franco.
À la mort de sa grand-mère en août 1907, il se fait engager par l'agence américaine d'information commerciale Dun & Bradstreet. En septembre, il utilise l'héritage que sa grand-mère lui a laissé, pour ouvrir, 38 rue de la Conception de Gloire, un atelier de typographie et d'édition intitulé Ibis[note 7] et écrit sa première nouvelle aboutie, A Very Original Dinner, récit d'humour noir et de cannibalisme. En quelques mois, l'affaire tourne au désastre financier et en 1908, il se fait embaucher au journal Comércio comme « correspondant étranger. »
Il trouve également à travailler comme rédacteur de courrier commercial et traducteur indépendant pour différents transitaires du port. C'est de la traduction commerciale qu'il tirera jusqu’à la fin de sa vie son revenu de subsistance, revenu précaire qui l'aura fait passer par vingt maisons différentes, parfois deux ou trois simultanément.
C'est encore en 1908 qu'il inaugure une recherche intérieure, « une longue marche vers soi, vers la connaissance[10] » d'un soi qui se révèle multiple, sous la forme d'un journal intime transcrivant dans ce qui devait devenir un drame en cinq actes, Tragédie subjective[11], le monologue de Faust, monologue qui ne s’arrêtera qu'avec la mort de l'écrivain et dont seuls des fragments ont été publiés[10]. Cette quête intérieure répond à une errance physique, de chambre louée en chambre louée, de quartier en quartier, qui ne cessera qu'en 1921 et se ponctuera de crises cénestopathiques[12],[cf 4].
Conscient de son état[12], il lit en 1910 Max Nordau, qui décrit le fou comme un dégénéré enfermé dans une subjectivité artistique, lecture qui le persuade que son génie à objectiver la perception du monde l'écarte[13],[cf 5] de la folie[14]. Aussi[15], en 1911, commence-t-il la rédaction, en anglais, de poèmes sensationnistes. Dépassant l'interprétation symboliste[16] des correspondances de Baudelaire, le poète tend à travers celles-ci à restituer une perception non teintée de subjectivité d'un au-delà présent[17]. Il réalise ainsi le projet nietzschéen d'une tragédie délivrée du moi de l'artiste[18]. Il est conforté dans le sens mystique d'un tel dépassement par les expériences de dépersonnalisation décrites par Edgar Poe, écrivain qu'il a beaucoup lu depuis son arrivée à Lisbonne[19] et qu'il traduira[20] à l'instar d'un Mallarmé[21] qu'il a également étudié de façon approfondie[22]. Après le refus de Constable & Robinson de l'éditer, le [23], l'expérience sensationniste s'achèvera là[24] sous cette forme, laissant place entièrement au projet futuriste, avant d'être repris comme testament de l'artiste. Les cinquante-deux poèmes composant The Mad Fiddler ne seront publiés qu'après 1979[25], quatre autres volumes et une tragédie en anglais, que l'auteur jugeait imparfaits, restant inédits[26].
En 1912, il publie sa première critique en portugais[note 8] suivies de deux autres[note 9] dans la revue nostalgiste L'Aigle (pt), organe de la Renaissance Portugaise (pt). Introduit par le frère de son beau-père, le général retraité Henrique Rosa, il entre dans le groupe Orpheu[note 10], cercle littéraire qui se forme autour de celui-ci et qui se réunit au moderne café A Brasileira. Il propose régulièrement de publier leurs créations[27] à Alvaro Pinto, rédacteur de L'Aigle dans laquelle il prophétise la venue d'un « super Camões[28]». À la fin de l'année, il trouve un hébergement, qu'il conservera jusqu'à la guerre, chez sa marraine et tante maternelle, Ana Luísa Pinheiro Nogueira dite « Anica ».
C'est alors, en 1913, qu'il verse dans l'ésotérisme et qu'il entame en la « personne » lusophone de Bernardo Soares, la rédaction décousue du Livre de l'intranquillité qui s'étalera également jusqu'à la mort de l'écrivain[29]. La même revue, L'Aigle, innove en en publiant un extrait, Dans la forêt du songe, premier poème en prose portugaise, et entérine la mutation, fortement encouragée par l'amitié du poète, dramaturge et nouvelliste Mário de Sá-Carneiro, du critique en poète. Cependant une divergence grandit entre les écrivains avides d'ouverture que soutient Fernando Pessoa et la ligne nostalgiste de L'Aigle, dite « saudosismo » d'après son directeur, le poète Teixeira de Pascoaes[30]. En deux jours, du 11 au , Fernando Pessoa reprend le manuscrit de sa pièce Le Marin qu'il destinait au public anglais dans le but de surpasser en raffinements le prix Nobel de littérature Maurice Maeterlinck[31], ce à quoi il parvient excessivement[32].
En février 1914, Renascença (« Renaissance ») publie dans ce qui fut l'unique numéro de la revue[note 11] ses poèmes Impressions du crépuscule, l'un desquels, La cloche de mon village, rallie la jeune garde littéraire à la bannière d'une forme de post-symbolisme initiée par Camilo Pessanha, le paulisme (pt) ou succédentisme[33]. Dès lors, il se sentira, comme maints de ses prédécesseurs portugais, investi d'une mission de promouvoir une sorte de révolution culturelle pour sauver la nation de la stagnation[34]. En l'occurrence[34], il se fait une religion de l'intersectionnisme[cf 6] ou « sensationnisme à deux dimensions[35] », application à la littérature du simultanéisme[36] qu'avaient expérimentée Apollinaire[37] et Sá-Carneiro[38]. Le [39], lui apparait[39] au cours d'une transe « l'hétéronyme » Alberto Caeiro, syncope de Carneiro, qui, pendant plusieurs jours, lui dicte[40] en portugais les trente neuf poèmes en vers libres du Gardeur de troupeau. Suivront les deux disciples de cette allégorie du Poète[41], le Portuan Ricardo Reis, figure intellectuelle[41] auteur des Odes, et le judéo-algarvois Alvaro de Campos, Aubéron des Champs, écrivain du cœur[41] qui lui rédigera « sans pause ni rature[40] » les quelque mille vers de l'Ode maritime.
L'effervescence du moment est amplifiée par le retour consécutif à l'entrée en guerre de la France d'une jeunesse exilée, durant le régime de João Franco, à Paris où elle a vécu les expériences d'un surréalisme[note 12] naissant[42].
Le , avec son alter ego[43] Mário de Sá-Carneiro et l'argent du père de celui-ci[44], ainsi que d'autres artistes engagés contre les mouvements réactionnaires opposés ou favorables à la Première République, Fernando Pessoa lance la revue Orpheu, référence à l'orphisme[36],[note 13]. Plus qu'une revue moderne et plus qu'un objet d'art, Orpheu se veut un acte créateur et même l'art en acte. Calligrammes, vers libres, détournement de la ponctuation, éclectisme de l'orthographe et des styles, néologismes, archaïsmes, anachronismes[45], ruptures et synchronie du discours, paradoxes amphigouriques et antithèses ironiques[46], ekphrâsis[47] à satiété, interjections[cf 7], pornographie[48] et allusions homosexuelles[49], outrances déclenchent le fracas dans toute la presse lisboète et jusqu'en province[50]. L'avant-gardisme provocateur et suicidaire de la revue, la dénonciation d'une sexualité bourgeoise et hypocrite[51],[cf 8], le défi lancé à une littérature compassée et conformiste, le mépris affiché pour une critique étouffante choquent tant celle-ci que le public et révèlent au sein de la rédaction des clivages politiques envenimés par une diatribe[note 14] de Fernando Pessoa contre le chef du Parti Républicain, Afonso Costa. C'est à cette occasion qu'il « tue » le maître sensationniste[8] Alberto Caeiro. Malgré les maquettes qu'il s'obstinera à concevoir, la revue ne survit pas à l'opposition du pseudo[note 15] éditeur, António Ferro (pt) et au suicide dandy[52],[note 16] de Mário de Sá-Carneiro. Elle ne comptera que deux numéros (premier et deuxième trimestre 1915 ; le troisième numéro imprimé ne fut pas diffusé).
En septembre 1917[54], en pleine guerre, Alvaro de Campos, inspiré par le Manifeste du futurisme du nationaliste italien Marinetti, appelle, par un Ultimatum aux générations futuristes portugaises du XXe siècle[note 17] publié dans le premier et dernier numéro de la revue Portugal futuriste (pt), au renvoi de tous les « mandarins » européens et à l'avènement d'une civilisation technicienne de surhommes. Quelques mois après, en 1918, parce qu'ils contiennent des insultes[note 18] tant contre les Alliés que contre le Portugal qui attisent les divisions entre germanophiles et républicains[55], la police de Sidónio Pais, dans les suites de l'arrestation d'Afonso Costa et du coup d'état du [56] que pourtant Fernando Pessoa approuve, saisit les exemplaires restants et poursuit les auteurs[54] au prétexte qu'un des dix poèmes d'Almada Negreiros y figurant, Apologie du triangle féminin, est pornographique[57]. Inversement, Antinoüs, poésie où passion charnelle et spiritualité s'entremêlent, et 35 sonnets, plus élizabethains que Shakespeare lui-même[58] et tout empreints de métaphysique, valent à Fernando Pessoa une critique élogieuse venue de Londres[59].
En 1920, il s'installe à Campo de Ourique (pt), un quartier de Lisbonne, au 16 rue Coelho da Rocha, avec sa mère invalide devenue une seconde fois veuve et bientôt reléguée dans un hospice de Buraca, campagne du nord-ouest de Lisbonne. Il déserte désormais le café A Brasileira pour l'antique café Martinho da Arcada, place du Commerce. Une correspondance amoureuse et une relation intense avec une secrétaire de dix-neuf ans très entreprenante[60] rencontrée en janvier chez un de ses employeurs[note 19], Ofélia Queiroz, coïncide avec un état qui lui fait envisager son propre internement et se solde en octobre par la rupture.
La prestigieuse revue londonienne Athenaeum avait publié le de cette année Meantime[61],[cf 9], un des cinquante-deux poèmes de The Mad Fiddler qui avait été refusé en 1917, classant ainsi son auteur au Parnasse anglais. L'année suivante, il fonde avec deux amis la librairie Olisipo[note 20] qui opère également comme maison d’édition. Celle-ci publie English Poems en trois séries[62]. À partir de 1922, il donne de nombreux textes à la revue littéraire Contemporânea[note 21] dont Le banquier anarchiste, brûlot à l'humour provocateur[63] fustigeant tant l'ordre bourgeois que l'intellectualisme des révolutionnaires[64],[note 22]. Destinée à une traduction anglaise, ce fut la seule œuvre que l'auteur considéra comme achevée[65] quoique la naïveté de sa construction la fit dédaigner des spécialistes[66]. En octobre 1924, il fonde avec Ruy Vaz la revue de poésie Athena dans laquelle il continue de publier mais en portugais.
Le , il perd sa mère, dont il ne désespérera jamais retrouver par delà la mort l'affection[68] éteinte par la maladie, renonce à poursuivre sa revue Athena, et c'est sa première demi-sœur Henriqueta[note 23] et son beau-frère, le colonel Caetano Dias, qui viennent habiter avec lui. En 1926, alors qu'il envisage à son tour le suicide[69], un de ses demi-frères le fait venir à ses côtés à la direction de la Revue de Commerce et de Comptabilité.
À partir de 1927, il est, avec maints de ses jeunes admirateurs[note 24], un des collaborateurs de la nouvelle revue Presença (pt), laquelle revendique la ligne moderne de l'éphémère revue Orpheu. En 1928, il publie dans la brochure gouvernementale L'interrègne[note 25] une Justification de la dictature militaire au Portugal, appelant à la remise en ordre du pays et soutenant la répression militaire de février 1927. Il ne reniera jamais sa position sur la dictature militaire, même s'il exprimera à plusieurs reprises sa volonté de refondre cette brochure pour en faire un livre abouti sur la dictature, entre histoire et sociologie. Pessoa conçoit en effet l'armée comme une force rédemptrice d'un pays malade, dont l'identité s'est perdue à force d'imitation de contrées étrangères comme la France[70]. En revanche, il n'aura que des mots durs pour la dictature civile[62] : celle-ci ne sert que des intérêts particuliers, à rebours des militaires, dont la formation permettrait de neutraliser leurs ambitions. L'évolution de son opinion sur Salazar en témoigne[71]. Alvaro de Campos écrit son désenchantement ironique dans Bureau de tabac[cf 10] et lui-même entame à partir de son poème Mer portugaise publié en 1922 dans Contemporânea la rédaction de ce qui deviendra Message.
Fidèle à l'esthétique paronomastique du futurisme que lui avait fait partager Mário de Sá-Carneiro de trouver la poésie dans la réclame, il forge cette même année le slogan pour Coca-Cola nouvellement implanté au Portugal[note 26]. Il concevra aussi la publicité d'une laque pour carrosseries d'automobiles[72].
En septembre 1929, il renoue avec Ofélia, seule histoire d’amour qui lui soit connue, mais leur liaison ne connaîtra pas de suite après 1931. En septembre 1930, il rencontre, en tant que disciple gnostique de la société secrète dite de l'Ordre des Templiers[62],[note 27], le thélémite Aleister Crowley, qu'il avait impressionné au cours de leur correspondance par son érudition astrologique, alors que celui-ci est de passage en compagnie d'une « magicienne » de dix-neuf ans, Hanni Larissa Jaeger[note 28]. La farce du faux suicide de son hôte à la Boca do Inferno (pt) à Cascais[73], rivage prédestiné à l'ouest de Lisbonne, est tout à fait dans l'esprit mystificateur du poète et devait servir, en alertant toutes les polices d'Europe, au lancement d'une série[74] de romans policiers qui restera à l'état d'ébauche[75], les enquêtes du Docteur Quaresma, déchiffreur[74],[note 29] qui se seraient voulues une méthode d'investigation[76] de la criminalité de l'homme[77]. Fernando Pessoa fait l'objet d'un article paru à Paris[78].
En 1931, il écrit Autopsychographie[79],[cf 11], art poétique en trois quatrains. Il observe la mode du « freudisme » auquel il reproche de rabaisser l'homme au sexe[80] tout en prétendant dépasser la psychanalyse[81] et conçoit une nouvelle en forme d'étude psychiatrique, Marcos Alves[82]. Sa candidature au poste de bibliothécaire du musée de Cascais est rejetée en 1932. En 1933, paraissent les premières traductions de ses textes[83]. Dans un poème[84], il rationalise son sentiment d'une vie double, l'une rêvée et vraie, l'autre vécue et fausse : « Nous avons tous deux vies : la vraie, celle que nous rêvons dans l'enfance, que nous continuons de rêver adultes, sur fond de brouillard ; la fausse, celle que nous partageons avec les autres, la vie pratique, la vie utile, celle où l'on finit dans un cercueil. », écrit-il dans Fragments d'un voyage immobile[85][réf. souhaitée].
En 1934, il publie son premier recueil en portugais, Message. Ces quarante-cinq poèmes mystiques composent en trois parties une sorte d’épopée rosicrucienne[86] dont le messianisme sébastianiste prophétise une humanité nouvelle et l'avénement du « Cinquième Empire de paix universelle[86] ». Présentés par ses soins au jury du prix Antero de Quental (pt) fondé l'année précédente par l'ex-éditeur de la revue Orpheu, António Ferro (pt) devenu chef de la propagande de l'Estado Novo, ils lui valent de remporter le second prix, sa création étant jugée trop éparse pour un premier prix.
À la suite d'un projet de loi d'interdire les sociétés secrètes, il publie dans la presse une défense de la franc-maçonnerie[87] et des pamphlets contre Salazar. L’année suivante, il refuse d’assister à la cérémonie de remise de son prix présidée par celui-ci. En octobre, en guise de protestation contre la censure, il décide de cesser de publier au Portugal[86].
Un mois et demi plus tard, le , jour de son admission à l’hôpital Saint-Louis des Français pour une cirrhose décompensée, il écrivait son dernier mot, I know not what tomorrow will bring[23],[note 30]
.
Il meurt le lendemain, le de cette maladie[88], pauvre et méconnu du grand public, mais estimé d'un petit cercle d'amis. Ses œuvres complètes seront éditées de 1942 à 1946. Des recherches plus complexes ont permis de faire resurgir son théâtre en 1952 et des inédits en 1955 et 1956. L'inventaire dressé par la Bibliothèque nationale du Portugal à la suite de son achat, à l'hiver 1978-1979[25], des manuscrits aux héritiers a permis de composer un certain nombre de publications dont Le Livre de l'intranquillité en 1982 et Faust en 1988. Les articles publiés de son vivant ainsi que les manuscrits inédits font l'objet de reconstitutions qui paraissent sous formes d'essais ou de recueils.
Pessoa a créé une œuvre poétique multiple et complexe sous différents hétéronymes en sus de son propre nom. Chacun de ces hétéronymes étant identifié par un style et une production personnels[89].
L'auteur utilisera au cours de sa carrière de nombreux hétéronymes et pseudonymes :
Bernardo Soares est considéré par lui comme son semi-hétéronyme, plus proche de l'auteur orthonyme. Il signe aussi quelques textes en prose sous son propre nom, comme Le Banquier anarchiste. L'hétéronymie deviendra sa façon d'être. De multiples autres hétéronymes auront des fonctions diverses, de l'astrologie à l'auteur de rébus.
Il reste que les grands hétéronymes littéraires auront une telle force, seront à l'origine d'une création littéraire si unique que l'auteur leur trouvera même à chacun une biographie justifiant leurs différences. Fernando Pessoa deviendra « le cas Pessoa » pour grand nombre d'intellectuels, de critiques, de littérateurs, de simples lecteurs.
« Nombreux sont ceux qui vivent en nous ;
Si je pense, si je ressens, j’ignore
Qui est celui qui pense, qui ressent.
Je suis seulement le lieu
Où l’on pense, où l’on ressent.. »
— Version du je est un autre rimbaldien de Ricardo Reis, double philosophe de Fernando Pessoa[92].
Dans son poème Song of Myself, le poète Walt Whitman avait exprimé une impression similaire : « I am large, I contain multitudes ».
Prolifique et protéiforme, Pessoa est un auteur majeur de la littérature de langue portugaise dont le succès mondial croissant depuis les années quatre-vingt a été consacré par la Pléiade. Son œuvre, dont de nombreux textes écrits directement en anglais, a été traduite dans un grand nombre de langues, des langues européennes au chinois. Des hommes de théâtre, des chorégraphes, des compositeurs se sont désormais emparés de cette œuvre très riche pour des spectacles. Le cinéma également a produit des films inspirés par ce poète.
Pessoa a la singularité d'être simultanément un écrivain anglophone. En volume, approximativement un dixième de sa production est anglaise[93], nonobstant l'apport qualitatif de cette production à la littérature. Élevé à Durban, capitale du Natal britannique, brillantissime diplômé de l'université du Cap de Bonne-Espérance en Afrique du Sud, c'est en tant que dramaturge shakespearien qu'il y commence en 1904 le métier d'écrivain et en tant que poète anglais qu'il le poursuit jusqu'en 1921 dans sa Lisbonne natale. De son vivant, sa production en portugais a été principalement celle d'un critique et les poèmes portugais qu'il a alors donnés l'ont été bien souvent pour le service de cette critique.
Pessoa a aussi écrit, souvent à des dates inconnues, en français, langue de la relation privilégiée avec une mère[68] réinventée par-delà les conflits familiaux[94],[note 31]. Cinq dossiers de ses archives[95] regroupent ses poèmes français[96], sa prose française[97] et les traductions qu'il a faites de ses poèmes anglais[98]. De cette production, seuls trois poèmes ont été publiés : Trois chansons mortes [99], Aux volets clos de ton rêve épanoui, Le Sourire de tes yeux bleus. Les poèmes français de Pessoa, tel Je vous ai trouvé, ressemblent plus souvent à des chansons.
Le portugais deviendra, cependant, la langue de sa grande créativité, la perfection de son anglais donnant en revanche à celui-ci un air factice[58]. Il affirmera avec force « ma patrie est la langue portugaise » alors même qu'il ne cessera[23] de penser en anglais, passant naturellement d'une langue à l'autre au cours d'un même écrit[100].
De son vivant, Fernando Pessoa a régulièrement écrit dans des revues littéraires portugaises dont celles qu'il a créées. En outre, il a fait paraître en anglais deux ouvrages mais sa mort prématurée ne lui a laissé le temps de publier qu'un seul livre en portugais, qui eut toutefois un succès retentissant : le recueil de poèmes Message, en 1934.
À sa mort, on découvrit, enfouis dans une malle, 27 543 textes que l'on a exhumés peu à peu. Le Livre de l'intranquillité n'a été publié qu'en 1982 et son Faust en 1988. Tous ces manuscrits se trouvent depuis 1979 à la Bibliothèque nationale de Lisbonne.
Son apport à la langue portugaise a été comparé au cours de l'hommage national officiel rendu le jour anniversaire de sa naissance, en 1988, à celui de Luís de Camões.
Le nom ou l'image-symbole de Fernando Pessoa ont été donnés à de nombreuses institutions portugaises. Depuis 1996, il existe une université Fernando Pessoa à Porto.
Pessoa a publié soit sous son orthonyme (son vrai nom) soit sous de nombreux hétéronymes.
in T.R. Lopes, Pessoa por Conhecer - Textos para um Novo Mapa, Estampa, Lisbonne, 1990.
« Le point central de ma personnalité, en tant qu’artiste, c’est que je suis un poète dramatique[108]. »
— Pessoa s'expliquant dans une lettre à un jeune universitaire[81].
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Alexander Search, 1907. |
Le reste de la prose anglaise de Pessoa ou ses hétéronymes anglais n'est pas organisé (correspondance, notes diverses, brouillons...)
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