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capacité biologique d'identification d'événements du passé De Wikiquote, le recueil de citations libre
Un souvenir est quelque chose dont on se remémore, un élément de la mémoire.
Cependant la mémoire et la culture, qui sont choses à peu près synonymes, jouèrent, on le sait, un rôle majeur dans le destin des déportés. Qui se souvenait pouvait espérer survivre. Qui conservait en soi une trace du monde cultivé pouvait encore espérer résister à la mort. Ce que l’on garde en tête est le seul bien que la barbarie ne puisse vous ôter. C’est le dernier trait d’identité quand tout vous a été retiré, jusqu’à votre identité même. Savoir un poème par cœur vous met à l’abri du désastre. Faire resurgir en soi l’écho de ce qui fut naguère un patrimoine spirituel est un viatique, à l’égal de l’hostie au regard du croyant.
Aucune bibliothèque, aucun livre pour aider ces damnés du monde moderne. Seule la mémoire de ce qu’ils avaient lu ou vu durant le temps de paix pouvait les aider à franchir les portes de fer. Une mnémotechnique des jours heureux affrontait l’amnésie du temps des brutes. Pour lutter contre l’anéantissement de l’âme, les poèmes, les tableaux, les savoirs étaient page après page remémorés, convoqués, invoqués. Pour masquer la réalité des barbelés, des miradors, des fossés et des fours, l’esprit trouvait moyen de dresser le décor fugace, immatériel, d’un étonnant Théâtre de Mémoire.
Ce que vous avez dans la mémoire, aucune Gestapo, aucune Guépéou, aucune CIA ne peut vous le prendre.
« Tu te souviens, l'année de la grande sécheresse, quand les moutons ont tous dû être vendus parce qu'il n'y avait plus rien à brouter à trois cents kilomètres à la ronde, et on a dû batailler pour reconstruire le domaine ? Tu te souviens du grand vieux mûrier, de l'autre côté de la basse-cour; un été, le tronc s'est fendu sous le poids des fruits ? Tu te souviens que la terre tout autour était teintée de violet à cause du jus des mûres tombées à terre ? Tu te souviens du banc des amoureux, qu'on avait installé sous l'arbre-sering — tu y passais parfois l'après-midi entière à écouter le bourdonnement des abeilles menuisières ? Et Vlek, tu t'en souviens ? Vlek qui était une si bonne chienne de berger qu'elle pouvait, seule avec Jakob, faire passer un troupeau entier devant toi au poteau de dénombrement ? Tu te rappelles : vieille, malade, elle ne gardait plus sa nourriture, et il n'y avait que toi qui puisse la tuer, et tu as été faire un tour, après, parce que tu ne voulais pas qu'on te voie pleurer ? Tu te rappelles », dis-je, « ces magnifiques poules tachetées que nous avions, et le coq baitam avec ses cinq épouses, qui se perchaient toujours dans les arbres ? Tu te les rappelles tous ? »
Je me souviens de mon aventure qui finit si mal, dans ce pays lointain où je fus roi, comme si elle était d'hier. Quel étrange personnage que le souvenir. Parfois on le cherche, il a perdu adresse, nom, visage. Parfois on le rencontre en chemin. Parfois silencieusement il vous surprend sur ses pieds nus. Il est le maître de l'histoire et l'histoire n'a pas de sens. Les leçons pourtant ne manquent pas. Je me souviens.
Il ne faut jamais se souvenir, dit le conteur. C'est encore plus dangereux qu'espérer. Avec l'espoir, on peut s'arranger. On peut lui dire : passe devant. Ou au contraire : attends un peu derrière. Avec les souvenirs, rien à faire. Ils vous tiennent par la main, la taille, la tête. Si vous faites un pas, ils font un pas. Si vous vous arrêtez, ils s'arrêtent. Il existe des jumeaux monstrueux qui naissent collés l'un à l'autre. Le souvenir est un jumeaux monstrueux. Il ne vous lâche même pas la nuit. Si vous bougez dans votre sommeil, il bouge. Heureux celui qui n'a pas de passé.
Le souvenir nous désespère, nous amuse, nous crucifie, nous enchante. Il est à nous, et à nous seuls. Nous sommes capables d'agir sur le présent, mais il nous est extérieur. Nous ne pouvons rien sur le passé, mais il nous appartient. Ce qui est à nous, et seulement à nous, c'est ce qui n'est plus. Tomber dans le passé et dans l'absence n'est rien d'autre que tomber dans la pensée. Les hommes sont les maîtres sans pouvoir de tout ce qui a cessé d'être. Pantelants, déchus, dans les larmes et l'impuissance, nous sommes les lieux de l'évanouissement, de la chute implacable dans le néant, du souvenir et du passé.
Si l'ambition suprême est la mémoire collective, la hantise est l'oubli. Peu importe la mort, elle viendra. Peu importe la guerre, on ne la refuse pas. Peu importe le sacrifice : chacun l'accepte (Hélène en offre la plus noble illustration). Peu importe la souffrance physique, elle est le lot de tous. Ce que le grec redoute, c'est l'anonymat. Le naufrage dans les eaux de la mer, constitue la pire des fins. Car la mer vous aspire, jetant su votre corps un voile ineffable.
L’héroïsme grec ne peut se satisfaire d'un effet de théâtre, il aspire à l'éternité du souvenir. Le coup d'éclat sans postérité resterait un pétard dans le néant.
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