Yun Xiang ou Yun Hiang ou Yün Hsiang, de son vrai nom Daosheng, surnom Benchu, nom de pinceau Xiangshan Weng, est un peintrechinois des XVIeetXVIIesiècles, originaire de Wujin (subdivision administrative de la province du Jiangsu en Chine). Il est né en 1586 et mort en 1655.
Peintre de paysages et dessinateur,Yun Xiang peint ses paysages dans les styles de Dong Yuan et de Juran, puis ultérieurement de Ni Zan et Huang Gongwang de la dynastie Yuan. Il est aussi l'auteur d'un traité intitulé Hua Zhi qui est maintenant disparu. Toutefois, il reste de lui quelques inscriptions de peintures, reproduites dans le recueil Yuji Shanfang Wailu, Livre II (in Meishu, vol. 8, pp. 135-151), où l'on trouve différentes réflexions esthétiques et critiques de grande valeur, témoignant d'une pensé originale et profonde[1].
L'unique trait de pinceau
Dans la plus haute antiquité, il n'y a pas de règles; la Suprême Simplicité ne s'est pas encore divisée. Dès que la Suprême Simplicité se divise, la règle s'établit. Sur quoi se fonde la règle? La règle se fonde sur l'Unique Trait de Pinceau[n 2]. Si loin que vous alliez, si haut que vous montiez, il vous faut commencer par un simple pas[n 3]. Aussi, l'Unique Trait de Pinceau embrasse-t-il tout, jusqu'au lointain le plus inaccessible et sur dix mille millions de coups de pinceau, il n'en est pas un dont le commencement et l'achèvement ne résident finalement dans cet Unique Trait de Pinceau[n 4] dont le contrôle n'appartient qu'à l'homme[2].
Pinceau et Encre
Parmi les Anciens, certains «ont le pinceau et l'encre»; d'autres ont le pinceau, mais pas l'encre; et d'autres encore ont l'encre mais pas le pinceau[n 5]. Ceci provient, non pas de ce que l'aspect des paysages est par lui-même limité, mais bien de l'inégale répartition des dons chez les peintres[3].
Pour la stupidité et la vulgarité, la connaissance se présente de même: ôtez les œillères de la stupidité, et vous aurez l'intelligence; empêchez les éclaboussures de la vulgarité, et vous trouverez la limpidité. À l'origine de la vulgarité se trouve la stupidité; à l'origine de la stupidité se trouve l'aveuglement des ténèbres. C'est pourquoi l'homme parfait est capable de pénétration et compréhensif; et de ce qu'il pénètre et comprend, vient qu'il transforme et crée. Il accueille les phénomènes sans qu'ils aient de forme; il maîtrise les formes sans laisser de trace[n 7]. Il emploie l'encre comme si l'œuvre est déjà accomplie, et il manie le pinceau comme dans un non-agir[n 8]. Sur la surface limitée d'une peinture, il ordonne le Ciel et la Terre, les monts, les fleuves et l'infinité des créatures, tout cela d'un cœur détaché[n 9]comme dans le néant. La stupidité une fois éliminée, naît l'intelligence; la vulgarité une fois balayée, la limpidité devient parfaite[4].
Dictionnaire Bénézit, Dictionnaire des peintres,sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol.14, éditions Gründ, , 13440p. (ISBN2-7000-3024-9), p.821.
Pierre Ryckmans (trad.du chinois par Traduction et commentaire de Shitao), Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère: traduction et commentaire de Shitao, Paris, Plon, , 249p. (ISBN978-2-259-20523-8), p.17, 31, 57, 58, 60, 121, 127, 231
Plusieurs éditions donnent ce titre sous la forme abrégée de «Propos sur la peinture». Le «Moine Citrouille-Amère» est un des nombreux surnoms que s'est choisis Shitao. Le terme «propos» désigne à l'origine une forme particulière de la littérature bouddhiqueChan: il s'agit de notes prises par les disciples à partir de l'enseignement oral d'un maître. Ce terme dont l'usage date par les essayistesnéo-confucéens de l'école Song.
Ce concept, qui est une création de Shitao, présente une importance toute particulière, car il cristallise l'originalité de sa pensée et constitue la clef de voûte de tout son système (...).
«Si loin que vous alliez, si haut que vous montiez, il vous faut commencer par un simple pas»; comparez avec «l'Invariable Milieu»: «La voie de l'homme de bien peut se comparer à un voyage au loin: il faut partir du plus proche; elle peut se comparer à une ascension vers les sommets: il faut commencer d'en bas». Ce premier pas, ici, c'est l'Unique Trait de Pinceau envisagé sous son aspect concret, c'est-à-dire un seul, un simple trait de pinceau avec tout ce que la notion comporte d'abord de dérisoirement facile et élémentaire. On retrouve ici le paradoxe taoïste, qui voit dans le plus superficiel et le plus immédiat la porte véritable des mystères les plus profonds; la clef de toutes les difficultés réside dans l'humble facilité que dédaignent les esprits forts. «Le sage n'entreprend jamais de grandes choses, ce qui lui permet d'en réaliser; il débrouille la difficulté en la prenant par son côté facile, il s'attaque aux grandes entreprises à partir de leurs éléments infimes».
«... et sur dix mille millions de coups de pinceau, il n'en est pas un dont le commencement et achèvement ne résident finalement dans cet Unique Trait de Pinceau». Comparer avec des propositions semblables sur la valeur et l'importance d'un seul coup de pinceau chez deux auteurs du XVIIesiècle: «Ce en quoi Wu Zhen se montre inégalable. C'est sa capacité de recéler dix mille traits de pinceau en un seul» (Yun Xian: colophon cité dans le (...?, Meishu, vol. 8, p. 137): (...?) Caractères chinois intraduisibles.
Pour juger une peinture, le critique chinois traditionnel recourt constamment à ces deux catégories: le peintre a-t-il l'encre? a-t-il le pinceau? La plus ancienne mise en œuvre systématique de ce double critère date de l'époque des Cinq Dynasties, et est exprimée dans le traité de Jing Hao qui passe ainsi en revue les mérites respectifs des grands peintres anciens. Une certaine hiérarchie tend cependant à se dessiner, donnant la prépondérance au pinceau, ce qui est normal puisque, comme on le sait, la peinture chinoise se définit comme l'art du pinceau; là où il n'y a pas de pinceau il ne saurait y avoir de peinture. Conception qui conduit finalement les théoriciens à voir dans le pinceau plutôt que dans l'encre le véhicule du «rythme spirituel», essence même de la peinture (Yun Xiang, inscription de peinture citée dans Meishu, vol. 8, p. 136). Si bien que le maniement de l'encre finit par être naturellement subordonné à celui du pinceau
«La vulgarité» est un terme de plusieurs interprétations: Sous l'angle moral, Dans la langue courante et Dans la critique picturale. Elle désigne aussi la banalité, le lieu commun, les poncifs, et de ce point de vue elle peut être associée au défaut, la raideur pédante: «La raideur désigne le pédantisme et les formules toutes faites; la vulgarité consiste en l'observance bornée de règles conventionnelles. Vulgarité et raideur sont deux termes identiques» (Zheng Ji, in Congkan, p. 555).
«Sans traces». L'expression complète est «sans traces de pinceau» (Hua Lin: in Congkan, p. 497). Cet important concept, suivant un processus typique de la terminologie picturale chinoise, a pou point de départ une notion technique, mais il se prolonge ensuite d'un développement esthétique et philosophique riche et suggestif, qui dépasse très largement ce premier aspect technique.
«Détaché»: qualifie ici le cœur. Mais ce même concept joue un rôle si important dans la théorie picturale qu'il est bon de signaler la valeur qu'il prend lorsqu'il qualifie la peinture. On peut saisir par ce biais un caractère typique de l'esthétique chinoise (...). En peinture cette notion prend toute son importance à partir de l'époque Yuan qui marque le véritable avènement de la peinture des lettrés — c'est-à-dire d'un art aristocratique réservé à une élite spirituelle — et c'est dans l'œuvre d'un Ni Zan, par exemple, que l'on en trouve l'une des meilleurs illustrations (...) Pour cet autre auteur encore, la peinture deviendra capable d'épuiser la réalité de tous les phénomènes si elle parvient à se faire «totalement pâle», «totalement plate», «totalement dépourvue d'intentions» (Yun Xiang: in Leibian, p. 769).