Elle commence sa carrière à l'âge de 15 ans et tourne dans plus de cent dix films. Figure emblématique de l'âge d’or du cinéma japonais des années 1950, elle annonce brutalement, à 43 ans, qu'elle arrête le cinéma avant de se retirer dans la ville balnéaire de Kamakura, à une cinquantaine de kilomètres de Tokyo, décor de nombre de ses films mais aussi endroit où se trouve le temple Engaku-ji où sont déposées les cendres du réalisateur Yasujirō Ozu, qui l'a employée à cinq reprises.
Les débuts au cinéma
Setsuko Hara naît sous le nom de Masae Aida (会田 昌江, Aida Masae?) à Tsukimidai[n 1], un quartier situé à Hodogaya-ku[1], arrondissement de Yokohama. Elle est la benjamine d'une fratrie de cinq filles et deux garçons[2]. Son père, un riche négociant en soie brute, perd sa fortune lors de la Grande Dépression de 1929, l’effondrement de la bourse de New York ayant entraîné la chute des exportations de soie[2]. Désireuse d'aider financièrement sa famille, elle quitte les bancs de l'école à l'âge de 14 ans pour entrer à la Nikkatsu par l'entremise de son beau-frère, le réalisateur Hisatora Kumagai[2],[3].
Elle apparaît pour la première fois sur les écrans dans N'hésitez pas jeunesse de Satoshi Taguchi(ja) en 1935[4],[n 2]. Le personnage qu'elle interprète dans ce premier film se prénomme Setsuko, et c'est ainsi que la Nikkatsu lui attribue le nom de scène de Setsuko Hara[5]. Dans ses premières apparitions, elle campe une adolescente espiègle et débrouillarde et devient vite la lycéenne préférée des japonais[3]. Elle n'a pas 16 ans lorsqu'en 1936 Sadao Yamanaka lui offre un rôle d'importance dans Kōchiyama Sōshun[3], une adaptation moderne d'une pièce de kabuki de Kawatake Mokuami[6]. Elle incarne la tenancière d'une petite échoppe d'amazake, poussée vers la prostitution à cause de dettes consécutives aux méfaits de son frère, et qui ne doit son salut qu'au sacrifice d'un aigrefin et d'un rōnin[6].
Les années de guerre et le cinéma de propagande: 1937-1945
Le cinéaste allemand Arnold Fanck, qui visite en 1936 le studio de la J.O.(ja)[n 3] à Kyoto pendant le tournage de Kōchiyama Sōshun, remarque Setsuko Hara. Après avoir un temps envisagé Kinuyo Tanaka, c'est elle qu'il choisit pour le rôle titre de son film La Fille du samouraï (1937)[7]. Avec sa beauté exotique et ses grands yeux, elle est différente des actrices alors en vogue au Japon[2]. Cette production germano-japonaise propagandiste, co-dirigée par Mansaku Itami, est destinée à familiariser le public allemand avec le Japon. Elle y tient le rôle d'une jeune femme qui tente vainement de se jeter dans un volcan quand son fiancé de retour de Berlin tombe amoureux d'une journaliste allemande[3].
Fort du succès du film au Japon, elle part cette même année en Europe et aux États-Unis pour promouvoir le film. Elle est accompagnée par son beau-frère Hisatora Kumagai et le voyage qui la mène du Mandchoukouo, à Berlin et dans plusieurs villes allemandes, puis à Paris, New York, Los Angeles et Hollywood, dure quatre mois[2]. En Allemagne, elle est accueillie comme une invitée officielle par Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande[3],[8], épisode de grand malaise pour la jeune femme qui ne comprend pas très bien ce qu'on attend d'elle[8]. Mais elle a aussi l’occasion de rencontrer partout où elle va des personnalités éminentes du cinéma, comme Jean Renoir à Paris, Josef von Sternberg et Marlene Dietrich, avec qui elle dîne à Hollywood[2],[9]. Son retour, juste avant que n'éclate la guerre, est triomphal et la jeune comédienne est qualifiée par le magazine féminin Fujokai[n 4] de «star mondiale» et de «premier espoir du cinéma japonais»[3].
En 1937 commence la seconde guerre sino-japonaise et le la loi sur le cinéma qui vise à placer toute la création cinématographique sous le contrôle du gouvernement est mise en application au Japon[10]. Dès lors, Setsuko Hara se retrouve propulsée à l'affiche d'une dizaine de films de propagande militariste voulu par le Japon du début des années 1940[3]. Ainsi la retrouve-t-on dans La Bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie (1943) de Kajirō Yamamoto, réputé pour son impressionnante reproduction du bombardement de Pearl Harbor[11], Les Kamikazes de la tour de guet (1943) de Tadashi Imai ou encore Vers la guerre décisive dans le ciel (1943) de Kunio Watanabe[12].
Devenue l'icône d'un cinéma nippon prompt à exalter le nationalisme et l'impérialisme pendant la Seconde Guerre mondiale, Setsuko Hara incarnera pourtant, dès la capitulation, les souffrances d’un peuple victime de la politique belliciste de ses dirigeants[13].
L'après guerre
Dès 1945, l'armée d'occupation américaine entreprend la démocratisation des médias et de l'industrie cinématographique du Japon[14],[15]. Un bureau spécial est créé, la Section d'information et d'éducation civiques (Civil Information and Education Section ou CI&E) qui compte au nombre de ses tâches l'examen des scénarios nouveaux et le compte rendu des produits achevés afin d'encourager la production de films faisant la promotion de la démocratie[16].
Dans ce contexte, Akira Kurosawa lui offre dans Je ne regrette rien de ma jeunesse en 1946, un rôle de grande amoureuse qui, toute sa vie, devra assumer les conséquences tragiques de son mariage avec un militant pacifiste radical[13]. Se concentrant sur une décennie de la vie d'une femme prise dans la répression politique du régime militariste de la fin des années 1930, le film, sans doute le plus féministe de Kurosawa[9], permet à Setsuko Hara d'exprimer de manière convaincante une large palette de ses talents, tour à tour lycéenne insouciante, femme au foyer inquiète, prisonnière, veuve puis leader de la réforme agricole[9]. Ce film va considérablement changer l'image de l'actrice et la propulser à nouveau au devant de la scène[12].
Elle arrête subitement sa carrière en 1962, et mène ensuite une vie retirée à Kamakura (dans le quartier de Jōmyōji), refusant d'être photographiée ou d'accorder la moindre interview. Pour cette raison, le critique Donald Richie, spécialiste du cinéma japonais, l'a surnommée la «Greta Garbo du Japon».
On peut supposer que cette interruption brutale est liée à la relation très intime que Setsuko Hara semble avoir entretenue avec Yasujirō Ozu: celui-ci est en effet décédé en 1963, et ses cendres reposent au Engaku-ji à Kita-Kamakura.
Elle tourne dans plus de 110 films de 1935 à 1962[4].
Du au , le National Film Archive of Japan consacre une vaste rétrospective de vingt-trois de ses films à l'occasion du centenaire de sa naissance[22],[23].
N'hésitez pas jeunesse(ためらふ勿れ若人よ, Tamerafu nakare wakōdo yo?): la traduction française du titre du film provient du film documentaire Setsuko Hara, la disparue de Pascal-Alex Vincent
J.O. Studio (J.O.スタヂオ?): société de production de cinéma créée en 1933. La lettre J qui compose l'acronyme J.O. vient de Jenkins, le nom du système d'enregistrement du son utilisé par la société de production et le O du nom de son fondateur Yoshio Osawa
(en) Iris Haukamp, A Foreigner’s Cinematic Dream of Japan: Representational Politics and Shadows of War in the Japanese-German Coproduction New Earth (1937), Bloomsbury Publishing, , 272p. (ISBN9781501343551, lire en ligne), p.63.