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philosophe français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Étienne-Gabriel Morelly, né vers 1717 et mort peut-être en 1778, est un philosophe français méconnu, qui s'inscrit dans le mouvement des Lumières. Son ouvrage principal, le Code de la nature repose sur le postulat que l'homme est naturellement bon, et que tous ses maux proviennent de la notion de propriété.
Naissance |
Paris, Quartier Saint-Gervais |
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Décès | ? |
Activité principale |
Œuvres principales
La vie de Morelly est très mal connue : aucun des documents habituels d'état-civil, ni aucun manuscrit n'a été retrouvé. Il a même été avancé qu'il y aurait eu deux Morelly philosophes, le père et le fils[1]. Les recherches de Coë[2] et de Wagner[3] sont restées infructueuses face aux sources contradictoires, mais Antonetti pense avoir levé une grande partie du mystère et a reconstitué l'arbre généalogique de la famille[4].
Le grand-père d'Étienne-Gabriel Morelly, prénommé Jean-Jacques, est né en 1659 à L'Isle-sur-Sorgue. Il est tabellion, puis contrôleur au grenier à sel d'Avignon. Son père, Gabriel, probablement né en 1687, est employé dans les fermes du roi puis dans le service des vivres des armées. Il décède en 1764 à Vitry-le-François. Étienne-Gabriel est probablement né en 1717 à Paris, paroisse Saint-Gervais, et non à Vitry-le-François comme l'indiquent tous ses biographes — il n'y a pas d'acte de naissance au nom de Morelly entre la fin du XVIIe siècle et 1722. Par contre, il est arrivé dans cette ville dans sa toute prime enfance[4].
Étienne-Gabriel Morelly ne vit plus à Vitry-le-François en 1764, à la mort de son père, mais y vit encore en 1743 à la mort de sa mère. C'est à cette période qu'il rencontre son premier protecteur, Armand de Rohan-Soubise, qui vient d'être nommé évêque coadjuteur de Strasbourg[4], à qui il dédie son Essai sur le cœur humain[5]. Par l'intermédiaire de son père, le jeune Morelly fait la connaissance d'Helvétius, alors fermier général chargé d'inspections dans la région, ainsi que de Dumarsais, qui l'accompagnait dans ses tournées[6]. Ceux-ci l'introduisent auprès de Fontenelle[5].
Il s'installe à Paris entre 1743 et 1745[7]. Jusqu'en 1748, ses œuvres sont celles d'un jeune moraliste traitant surtout des sujets d'éducation, dédiant Physique de la beauté à une membre de la famille Conti, qui n'est pas encore brouillée avec Madame de Pompadour[8]. Vers 1748-1749, il devient un écrivain politique, fidèle à la monarchie, opposé à l'Autriche, au clergé, mais toujours fidèle à Madame de Pompadour. C'est ce qui ressort du Prince des délices, qui paraît en 1751[9]. Puis il change d'attitude : l'auteur de La Basiliade et du Code de la nature, visiblement déçu par le gouvernement de Louis XV, se fait le porte- parole de l'opposition à la Cour des Parlements et des princes — en particulier Louis-François de Bourbon-Conti — après le renversement d'alliance au profit de l'Autriche et au détriment de la Prusse[10],[11].
Souvent absent de France, Morelly a peut-être été employé comme courrier diplomatique par le prince de Conti, chargé du Secret du roi, en lien plus ou moins occulte en particulier avec l'ambassadeur en Pologne Louis-Adrien Duperron de Castera, également précepteur du prince Adam Kazimierz Czartoryski. « Ceci pourrait expliquer qu'il ait traversé comme une ombre la société de son temps[12],[13]. »
Cette lecture de Morelly comme plume et agent du prince de Conti, faite par Antonetti[14], s'oppose à celle de Coë[15]. Pour ce dernier Morelly aurait séjourné à la Cour de Frédéric II de Prusse, ce qui lui aurait inspiré « le dégoût de tout ce dont il était le symbole[16]. » Toujours selon Coë, c'est ainsi que, dès 1752, il découvre sa vocation réelle et, dans la Basiliade, prêche le socialisme, non plus dans les termes d'un sycophante cherchant à plaire à son mécène, mais avec toute la ferveur du prosélyte nouvellement converti[15]. L'ouvrage ne connaît aucun succès. Plus tard, le Code de la nature est reçu avec le même silence indifférent, rompu seulement par les quelques sarcasmes de critiques scandalisés[17].
On perd la trace de Morelly après 1755, date de la parution des Lettres de Louis XIV. Peut-être vit-il jusqu'en 1778, date de publication de L'Hymen vengé, mais sa paternité de l’œuvre est remise en cause[18].
Naufrage des iles flottantes, ou Basiliade[19] du célèbre Pilpai, Poème héroïque, traduit de l'indien par M. M*****, paraît en 1753. Trois éditions sont connues, dont deux sont sans doute des contrefaçons. Malgré une forme désastreuse[20] — six cents pages de prose quasi poétique — l'ouvrage connaît un succès éphémère, se trouve toujours en circulation cinq ans plus tard et fait l'objet d'une traduction anglaise[20].
La Basiliade raconte comment Zeinzemin, le roi d'un peuple innocent et heureux, enlevé par des envahisseurs européens, revient chez lui après avoir mesuré la turpitude des civilisations propriétaires qui fleurissent dans les Îles Flottantes, c'est-à-dire l'Europe[21]. Dans ce texte, « roman utopique décrivant une société basée sur l'amour du prochain, l'égalité entre tous et la bienfaisance mutuelle de ses membres[22] », Morelly, contrairement à ses prédécesseurs en Utopie, défend l'idée que la communauté de biens est la matrice de l'organisation sociale, et la propriété privée, son détournement[23]. « L'auteur oppose la sociabilité, la moralité collective et l'affection universelle qui émanent spontanément d'une organisation communautaire à l'hypocrisie morale et religieuse, à l'aliénation des êtres, à une structure sociale absurde et barbare[24]. »
Un compte-rendu paraît en novembre 1743 dans La Nouvelle bigarrure[25] : « Le but de cette prétendue traduction est de montrer quel serait l'état heureux d'une société formée selon les principes de la loi naturelle, et de faire sentir les méprises de la plupart des législateurs qui ont voulu réformer le genre humain. L'auteur a bâti un système impraticable de morale et de politique. » Un autre article, paru dans la Bibliothèque impartiale[26], paraît suffisamment important à Morelly pour qu'il consacre les premières pages du Code de la nature à le réfuter point par point.
Pour Abdelaziz Labib, la Basiliade, « utopie typiquement amoureuse et féministe[27] », décrit la constitution d'une république égalitaire. Son peuple vit sans contrainte politique ou domination religieuse. Son roi n'est que l'âme du peuple et ne renvoie à aucune réalité contingente ou personnifiée. Pacifiste et anticolonialiste, la Basiliade dépouille l'univers de toute relation de crainte, d'étrangeté et de violence[28].
Selon l'analyse de Nadia Minerva, Morelly se range dans une forme littéraire dont il respecte la forme et le contenu — manuscrit, voyage imaginaire, naufrage —, mais en fait un usage désinvolte et quelque peu désacralisant : ce n'est plus le représentant de notre civilisation qui part à la découverte d'Utopie, c'est l'utopien qui en sort et nous observe de son regard révélateur. Quant au cadre fabuleux, dépassant les impératifs structurels du genre, il contamine le contenu spéculatif. Ainsi l'organisation socio-politique de la société utopique n'est nullement détaillée. Il s'agit là d'une conception providentielle de l'histoire : les problèmes sont miraculeusement résolus aussitôt que posés, la réponse fantastique déforme le fond même des questions en assignant aux problèmes une solution qui les dissout.
Morelly ressent l'urgence d'extraire « la vérité de spéculation » de son utopie : ce sera le Code de la nature[29].
Lors de sa publication, ce texte — le plus célèbre des ouvrages de Morelly —, daté de 1755 mais paru en 1754[30],[31] , est attribué à La Baumelle, à François-Vincent Toussaint ou à Diderot. Cette paternité est reprise par Babeuf, jusqu'à ce qu'elle soit réfutée par Barbier en 1805[32]. L'ouvrage fait l'objet de plusieurs rééditions jusqu'en 1773, malgré sa mise à l'Index par le pape Clément XIII en janvier 1761[30].
Le Code de la nature est structuré en quatre parties :
« Je crois qu'on ne contestera pas l'évidence de cette proposition que là où il n'existerait aucune propriété, il ne peut exister aucune de ses pernicieuses conséquences. (ed. Roza, 2011, p. 58) »
« Les hommes naissent dans une mutuelle dépendance qui les fait tour à tour commander et servir, c'est-à-dire êtres secourus et secourir ; mais dans cette signification, et selon le véritable droit de la nature, il n'y a et ne doit y avoir ni maître ni esclave. (ed. Roza, 2011, p. 97) »
« J'ai fait des efforts pour trouver la solution du problème que je propose dès le commencement de cet ouvrage. C'est, je le répète, de trouver une situation dans laquelle l'homme soit aussi heureux et aussi bienfaisant qu'il peut l'être en cette vie. Qu'il étende ou non ses espérances au-delà de son état présent, il faut rendre sa bonté morale indépendante de tout espoir futur, et qu'elle soit le motif et l'objet de son bonheur présent. (ed. Roza, 2011, p. 144) »
Morelly a la malchance de publier son ouvrage en 1755, à peu près en même temps que paraît le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes de Rousseau, qui l'éclipse par son retentissement extraordinaire[40].
Le premier compte-rendu, relativement favorable, parait dans la Bibliothèque des sciences, et des beaux arts d'octobre-1754[41] : « Quoi qu'en qualité de Législateur il élève quelquefois le ton, c'est un Philosophe d'une humilité exemplaire. »
Puis les critiques s'accumulent. Raynal, dans les Nouvelles littéraires de janvier 1755, remet en cause l'hypothèse fondamentale du livre : « Depuis Platon jusqu'à M. de la Baumelle [Morelly], nous avons eu je ne sais combien de faiseurs de républiques de spéculation ; mais ces législateurs ont presque toujours supposé les hommes comme ils ne sont pas[42]. »
Grimm, dans sa Correspondance littéraire de février 1755[43] assassine l'auteur : « Il n'y a ni principes, ni lumière dans ce livre. »
Fréron, dans son Année littéraire écrit, en avril 1755[44] : « Quelques traits lancés avec autant d'injustice que de fureur contre les Ecclésiastiques et les Moines, des expressions hardies ou singulières, le titre même du livre, lui ont procuré une espèce de vogue, uniquement fondée sur la malignité ou la sottise d'un certain ordre de lecteurs. Un peuple qui serait gouverné selon ces principes ne ressemblerait pas mal à un théâtre de marionnettes.Le style de l'auteur n'est pas plus capable de faire illusion que le fond de l'ouvrage. Vous le trouverez dur, sec, froid, plat. Je ne parle ni des contradictions grossières et multipliées que l'on rencontre à peu de distance les unes des autres, ni de la confusion générale qui règne dans la distribution des matières. Ce grand Philosophe qui veut mettre de l'ordre dans une République ne sait pas en mettre dans ses idées. »
Quant à La Harpe, il qualifie la communauté de biens et de travaux de « folle hypothèse d'un cerveau malade[45]. »
Pour Coë, « Quelques sept ans avant le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, Morelly réussit à présenter une image claire d'une « démocratie totale » qui soit à la fois économique et politique, conçue pour donner à tous ses membres le maximum de sécurité, et en même temps pour éviter les dangers de dégénération inhérents à toute république élective. La critique la plus évidente qui doive lui être adressée est que Morelly ne donne aucune indication concernant les moyens par lesquels cette société idéale pourrait s'établir[46]. »
Selon le fouriériste[47] Villegardelle, « il doit être facile à ceux qui ont eu connaissance des théories sociales de Saint-Simon et de Charles Fourier de noter les rapports qui existent entre elles et le système de Morelly. Et, d’abord, on voit très bien que les trois réformistes sont d’accord sur deux points essentiels : 1° la possession en commun du fonds, des immeubles et des instruments de travail ; 2° la communauté d’éducation. Mais Morelly n’admet pas la répartition selon la capacité et les œuvres comme l’école saint-simonienne, encore moins selon le capital, comme l’école phalanstérienne, mais il veut l’usage commun des productions aussi bien que des immeubles. Il n’y a donc pas, dans la cité Morellyste, de catégories, de classes, de distinctions[48]. »
Jacques Droz considère que « son utopie rationnelle et moralisante fige l'histoire. La conception du progrès chez Morelly est avant tout morale. Pour parvenir à l'âge d'or, il faut rétablir dans le coeur de l'homme des sentiments de « probité naturelle ». Morelly est l'un des premiers défenseurs de la « démocratie totale » : il ne recherche pas seulement l'abolition des privilèges, mais l'abolition de toutes les distinctions sociales, y compris celles de la richesse et du talent, et même de l'autorité déléguée : l'élection est bannie. Sa conception de l'égalité représente une première tentative pour formuler le dogme essentiel des systèmes socialistes du XIXe siècle : que chacun contribue selon sa capacité, que chacun reçoive selon ses besoins[49]. »
Benoît Hepner relit Morelly à la lumière d'événements postérieurs : « Philosophe de la Nature comme Jean-Jacques, il nous mène dans le havre d'un communisme tyrannique qui ne nous laisse nulle illusion sur l'impasse dans laquelle débouche cet esprit raisonneur et passionné[50]. »
En synthèse, selon Nicolas Wagner, le Code de la nature est un de nos grands pamphlets politiques. « Livre bâclé, improvisé, furibond, c'est un entassement de fragments bien venus et bien écrits. L'ensemble est grandiose et grotesque, souverainement inclassable[51]. »
L'influence de Morelly, penseur isolé[68], méconnu des Lumières[3], est faible.
Il inspire la Conjuration des Égaux menée par Babeuf. Même s'il confond Morelly avec Diderot, celui-ci voit en l'auteur du Code de la nature « le plus déterminé, le plus intrépide, j'ai presque dit le plus fougueux athlète du système[69]. »
Proudhon s'inspire largement de Morelly, non seulement dans son collectivisme, mais peut-être également dans son antiparlementarisme[70]. Les idées d'Étienne Cabet[71] et de Théodore Dézamy sont influencées par le Code de la nature[72].
Morelly a quelque succès en U.R.S.S. Le Code de la Nature y parait en 1923 puis en 1947. Pour son éditeur, Morelly est le représentant de l'intelligentsia obscure issue de la petite bourgeoisie urbaine du XVIIIe siècle. Mais « les anticipations les plus frappantes de Morelly ne sont pas précisément celles dont font état les travaux d'un savant soviétique »[73].
À la suite de Lichtenberger et d'Édouard Dolléans, Jacques Droz considère que Morelly « mérite d'être placé au premier rang de l'histoire des origines de la pensée socialiste[49] », tandis qu'Alfred Sudre le critique dans son Histoire du communisme ou Réfutation historique des utopies socialistes, de même que Gilbert Chinard.
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