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La kersantite[1] (dont le nom, initialement proposé par Achille Delesse en 1850, dérive d'un toponyme breton, Kersanton, petit hameau de Loperhet dans la rade de Brest), est une roche magmatique filonienne, de la famille des lamprophyres. Bien que relativement rare, cette variété de roche se rencontre sur tous les continents. Appelée localement, de manière impropre, “granite de Kersanton“, elle présente un grand intérêt pour la sculpture. Sa tendreté à la taille, sa grande résistance à l’érosion et ses différents faciès exploités (se distinguant par un grain et des nuances de couleur variables, de noir verdâtre à gris très clair) expliquent son emploi dans l'architecture et la statuaire locales (enclos paroissiaux, statues de Roland Doré ou de Yann Larc'hantec) mais aussi plus distales (cependant, malgré une légende relayée par les médias, le socle de la statue de la Liberté à New York n'est pas en kersantite)[2].
Roche qui émarge à la nomenclature internationale des roches magmatiques depuis les travaux de Carl Wilhelm von Gümbel en 1874 (Die palāolithischen eruptivgesteine des Fichtelgebirges; Franz, Munich), elle est la seule dont le nom officiel international soit directement issu d'un toponyme de Bretagne (il en existe d'autres, moins connues, et dont les noms ne sont pas des termes officiels, comme la sizunite[3], une roche proche de la kersantite dont le nom provient du cap Sizun, ou la morbihannite — le jade breton —, gneiss alumineux dans le golfe du Morbihan[4]). Elle fournit un exemple de destruction partielle d'un patrimoine géologique mondial, la carrière de Kersanton, nom du lithotype de la kersantite, ayant été comblée avec des déchets ménagers. L'exploitation de cette pierre indissociable de l'architecture bretonne a connu une destinée exceptionnelle, depuis l'âge du fer (utilisation pour des stèles) jusqu'au milieu du XXe siècle. Elle est abandonnée après la Seconde Guerre mondiale (aspect noirâtre, concurrence du granite rose de l'Aber-Ildut ou « déferlante » de ceux d'origine étrangère , « emprise irrésistible du béton », situation reculée des carrières)[5]. Le savant géologue et érudit historien Louis Chauris prône sa réhabilitation : « utilisation dans la restauration des monuments historiques, préservation et valorisation d’un ou deux sites d’extraction, renouveau de la sculpture[6]… ». Faisant partie intégrante du parc naturel régional d'Armorique, cet élément patrimonial est mis en avant lors du dossier de candidature du projet Geopark Armorique auprès de l'UNESCO en novembre 2019[7], dans le but de rejoindre le Réseau mondial des Géoparcs.
La kersantite tire son nom du hameau de Kersanton[8] (commune de Loperhet) situé à proximité de la rade de Brest, à environ 15 km au sud-est de la ville de Brest. La carrière de Rhun-Vras (Run), à l'Hôpital-Camfrout exploite aussi cette roche[9]. On en trouve aussi des gisements à Penallan en Plougastel-Daoulas, à Penavoas au Faou, à Kerascoët et Tréoc en l'Hôpital-Camfrout, à Kersanton en Loperhet, à Moulin-Mer et Le Roz en Logonna-Daoulas, etc., tous ces gisements étant proches de la rade de Brest. L'île Ronde en face de Plougastel avait aussi un gisement, abandonné depuis longtemps.
D'autres gisements se trouvent un peu plus en Bretagne intérieure comme au Moulin du Crann en Lennon, Guervénec en Rumengol, Resthervé en Poullaouen, Saint-Roch en Carhaix ou aux alentours du Tréhou[10].
La kersantite n'est pas un granite (roche magmatique plutonique felsique) mais un granit (terme de carrier). C'est une roche mafique subvolcanique (c'est-à-dire intrusive, possiblement - mais pas obligatoirement - formée à l'aplomb de volcans), qui fait partie de la famille des lamprophyres[11]. En conséquence, ces roches affleurent sous forme de filons[12] et ont un grain de fin à modérément grossier. Constituées généralement d'au moins 35 % de mica noir (biotite et/ou phlogopite), les kersantites sont de couleur sombre (mélanocrates) ou grise (mésocrates)[11].
Une étude récente très complète des kersantites ouest-armoricaines[13] a permis d'apporter de nombreuses informations inédites.
Des filons de kersantite carbonifères de syn- à post-tectoniques s'observent également dans le Massif central, notamment dans les Cévennes[17] où la roche est nommée localement « fraidonite » ou « fraidronite » dans le premier article mentionnant leur découverte en 1844[18].
Une synthèse des études de ces kersantites met en évidence les caractéristiques suivantes[19]:
La pierre de Kersanton est exploitée depuis la Préhistoire comme l'attestent des haches polies façonnées dans ce matériau et trouvées dans la région d'Hanvec ; une statue gauloise trouvée à Plougastel était déjà en Kersanton[25] ; son exploitation pour la statuaire et la construction d'édifices religieux commence au XVe siècle, dans des perrières, nom qui à l'époque était utilisé pour nommer une carrière, comme en témoignent les plus vieux monuments retrouvés. Concernant la carrière du Roz en Logonna-Daoulas, un acte du et un autre de 1625 font obligation de « tenir la dicte perrière nette, désencombrée et délivrée de tous attraits »[25]. Les églises du Folgoët, de Rumengol, de L'Hôpital-Camfrout, etc., ont été les premières construites avec ce matériau, utilisés aussi aux XVIe siècle et XVIIe siècle dans les ateliers de sculpture de Roland Doré, Julien Ozanne [par exemple pour le calvaire de Pleyben], Jean Le Bescont [par exemple l'enclos paroissial de Saint-Thégonnec], etc.). Après un ralentissement de l'activité au XVIIIe siècle, l'exploitation reprend de manière industrielle dans la seconde moitié du XIXe siècle, de nouveaux débouchés s'étant ouverts, notamment pour la construction d'ouvrages d'art (par exemple des viaducs des lignes de chemin de fer et des phares), d'églises (de nombreuses églises sont reconstruites sous le Second Empire) et dans les monuments funéraires (y compris les monuments aux morts).
Camille Vallaux décrit ainsi l'activité en 1906 :
« En 1838, il n'y avait que deux carrières exploitées, l'une à Sainte-Marguerite en Logonna, l'autre à Kerascoët en L'Hôpital-Camfrout. Aujourd'hui, le centre de l'extraction s'est porté au grand et au petit Run dans la commune de Logonna [en fait dans la commune de L'Hôpital-Camfrout], à 300 mètres à l'ouest du bourg de L'Hôpital. Là existent quatre carrières dont deux sont très étendues et parfaitement outillées, avec machines à vapeur pour l'extraction et l'épuisement [de l'eau], treuils, rails et wagonnets. Le chargement des pierres se fait à pied d'œuvre sur des gabares[26], qui remontent la Rivière de L'Hôpital et qui transportent la kersantite à Brest et dans tous les ports de la côte. (…) En août 1904, le nombre [des ouvriers] ne dépassait pas 120, dont 100 pour les deux principales carrières, mais aux périodes de grandes activités, on a compté jusqu'à 300 ouvriers[27]. »
Cette exploitation s'est faite dans des carrières de faible profondeur, les filons étant situés entre une profondeur de 20 m à 40 m. Compte tenu de la faible altitude des carrières, les fronts de taille devaient être asséchés en permanence par pompage. Ces filons sont situés entre des couches de schiste, ce qui permet de les dégager assez facilement.
La pierre de Kersanton est de couleur verdâtre, mais elle noircit avec le temps. Elle se taille et se sculpte au sortir de la carrière, et durcit ensuite à l'air[28]. Un autre des gros atouts du site de Kersanton, hormis la qualité de la pierre, est la proximité de la mer, située à moins de 8 km : le transport maritime a de tout temps été utilisé pour acheminer ces pierres dans le monde entier. Mais une bonne partie de la production était sculptée sur place et acheminée comme produit fini[29].
L'histoire du Kersanton est intimement liée à celle du patrimoine religieux breton. Pour Dany Sanquer, propriétaire de la carrière du Rhunvras, « cette roche est tendre et dure à la fois, très agréable à travailler, son grain fin et serré en fait une formidable matière. » Les carrières de l'Hôpital-Camfrout et celles de la pointe du château à Logonna-Daoulas, de Rosmellec à Daoulas et de Kersanton à Loperhet ont fourni une part non négligeable de la matière d'œuvre de la statuaire bretonne. Les premières utilisations remontent à l'ouverture du chantier de l'abbaye de Daoulas (1167-1179) et l'utilisation du Kersanton prend son essor au XIVe siècle avec le chantier ducal de la collégiale du Folgoët. C'est la pierre de prédilection des plus grands sculpteurs de la région (Roland Doré et Julien Ozanne). Parmi toutes les constructions et sculptures, citons les églises de Rumengol, de l'Hôpital-Camfrout, de Lampaul-Guimiliau, les ossuaires de Saint-Herbot, de Sizun, une partie du calvaire de Plougastel-Daoulas, les phares d'Eckmühl, de l'île Vierge, du Créac'h, de Kereon. Utilisation moins pacifique, le Kersanton a servi aussi à la fabrication des boulets de canon. Avant guerre, 450 ouvriers travaillaient la pierre dans six carrières de l'Hôpital-Camfrout et de Logonna-Daoulas. Il y a un siècle, ils étaient un millier. La dernière carrière, celle de Dany Sanquer à Run Vras, a cessé de fonctionner en 1987[30].
De nombreux monuments[29] ont été construits en kersantite, en raison de ses propriétés. Prosper Mérimée a décrit les qualités de la pierre de Kersanton : « La pierre employée à cet effet est éminemment propre à la sculpture d’ornements, par sa dureté et la finesse de son grain. Elle ne se polit jamais parfaitement et reste âpre au toucher… »[31].
Cependant, malgré ce que prétend une légende persistante, il n'y a pas de pierre de Kersanton utilisée pour le socle de la statue de la Liberté à New York, qui est en fait constitué de béton et de granit provenant du Connecticut[34].
La kersantite a aussi beaucoup servi pour les travaux publics, par exemple pour la plupart des viaducs de la voie ferrée entre Châteaulin et Brest (sauf le viaduc de Daoulas) ou les fortifications littorales construites à l'époque de Napoléon III sur le pourtour de la rade de Brest.
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