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L'histoire des sourds ou aussi histoire sourde est un élément important de la culture sourde. De la même manière que l'Histoire commence avec la création de l'écriture, l'histoire de la communauté sourde commence avec la langue des signes. Elle retrace les combats et épreuves qui eurent lieu et ont encore lieu pour la reconnaissance et le respect de la langue des signes et montre la naissance de la culture sourde, de certaines de ses valeurs et de ses mythes.
Les entendants associent automatiquement le langage à l'oral. Le terme même de langue en est révélateur. Platon exprimait cela très clairement, en disant que quelqu'un qui ne parle pas ne peut pas penser.
Cette pensée est restée marquée très longtemps dans l'histoire. La stupidité était liée de facto à la surdité. On ne pouvait imaginer l’intelligence chez une personne sourde. Des expressions comme « sourdingue » en témoignent encore aujourd’hui. Seuls les privilégiés pouvaient espérer trouver un professeur pour tenter d’enseigner la parole aux jeunes sourds.
Sous le règne d'Auguste, dans la Rome antique, Quintus Pedius est le premier peintre sourd dont le nom est connu, cité par Pline l'Ancien dans son Histoire naturelle[1],[2].
En 1620, Juan de Pablo Bonet publie une Réduction des lettres à leurs éléments primitifs et art d'enseigner à parler aux muets à la suite de la prise en charge de l’éducation de Luis de Velasco, marquis du Frêne (1610 – 1664), fils sourd du connétable de Castille, Juan Fernández de Velasco y Tovar (1550 - 1613).
Cet ouvrage fait de lui l’un des pionniers de l'éducation oraliste des sourds, et l'auteur du premier manuel d'orthophonie, de logopédie et de phonétique en Europe. L’Espagne de Philippe III est à l'apogée de sa puissance et de sa richesse, le connétable de Castille est, protocolairement, le second personnage du royaume et l'éducation des fils (fût-il puiné et sourd, ce qui est le cas du petit Luis) constitue une obligation sociale.
Mais Juan de Pablo Bonet n'est pas le premier à avoir pris en charge l'éducation des fils sourds des bonnes familles espagnoles. Dans la riche Castille, le primat de l'éducation pour les sourds revient à Pedro Ponce de León (1520-1584), moine bénédictin du monastère du saint Sauveur de Madrid qui a ouvert, dans son monastère, les premières classes spécialisées. Il n'est pas connu pour avoir inventé la langue des signes (ni reconnu son usage parmi ses élèves) mais il mentionne et promeut dans ses écrits l'usage de l'alphabet dactylologique pour épeler les mots, un usage par ailleurs très sans doute préexistant dans les ordres monastiques (comme celui du Carmel) où les moines et moniales font vœu de silence.
Le monde ibérique étant entré dans une profonde décadence économique, politique et intellectuelle, l'innovation en la matière se déplace dans la France du XVIIIe siècle (alors le pays le plus développé avec l'Angleterre de John Wallis (1616-1703) et la Hollande de Johann Conrad Amman (1669-1724), autres pionniers de l’instruction des sourds-muets). On doit au marrane Jacob Rodrigue Péreire (1715-1780) d'avoir fait la transition du savoir entre les deux pays. Dès 1734, Péreire fonde un institut spécialisé à Lisbonne[3] et se documente sur les méthodes d’éducation des sourds-muets (il puise largement chez Juan de Pablo Bonet). Il privilégie la démutisation, la lecture sur les lèvres, l'apprentissage précoce de la lecture et utilise une dactylologie adaptée à la langue française. Quittant le Portugal en 1741, il apporte son savoir à Bordeaux. Son premier élève est Aaron Beaumarin, né vers 1732. Il est présenté à l’Académie de La Rochelle, début 1745, afin de faire constater l’efficacité de la méthode pédagogique qu'il promeut. Un autre élève, le fils de la famille d’Azy d’Etavigny, fait l’objet d’un Mémoire présenté à Paris, à l’Académie des sciences, lors de la séance du .
Au XVIIIe siècle, l'auteur Pierre Desloges, relieur de métier et colleur de papier pour meubles, devenu sourd à l’âge de sept ans, établit clairement qu’une langue des signes structurée était couramment utilisée en France. Mais les sourds étant isolés, elle est faiblement uniforme, et plus grave, nombre de sourds n’y ont pas accès, se retrouvant sans langue et sans éducation.
Au début du XVIIIe siècle, à Amiens, un sourd de naissance, Étienne de Fay dit « le vieux sourd d’Amiens », parvenu à être professeur, architecte et dessinateur, faisait l’école en gestes à des enfants sourds dans l'Abbaye Saint-Jean[4].
Jean-Baptiste Pouplin fonde un institut à Liège en 1819. Il fait aujourd'hui partie de l'enseignement communal liégeois sous le nom Institut royal pour Handicapés de l’Ouïe et de la Vue (I.R.H.O.V.)[5].
L'abbé de l'Épée est sans doute la figure historique la plus connue de la population sourde. Cet entendant est à l’origine de l’enseignement spécialisé dispensé aux jeunes sourds, ainsi que l’accès à des méthodes gestuelles pour mener à bien cette éducation.
L'évènement qui marquera sa vie et sa carrière se déroula en 1760. Cet épisode est raconté de plusieurs manières entre les Sourds. Le mythe fait preuve d’une grande dramaturgie. Il présente l’abbé de l’Epée, un soir de pluie battante, cherchant un abri où se protéger. Il aperçoit alors, derrière une porte entrouverte, deux sœurs sourdes, en train de discuter entre elles grâce à des signes. L’abbé, intrigué, pénètre dans la maison et propose à la mère de prendre en charge l’instruction de leurs filles. La réalité historique est sans doute beaucoup moins singulière. Il est probable que ce soit à la mort de leur précepteur, le père Vavin, et en l’absence de résultat par les méthodes traditionnelles, qu’elles aient été confiées à l’abbé de l’Epée.
La force de l'abbé de l'Épée n'a pourtant pas été, comme on le pense souvent, sur la langue des signes. L'abbé enseignait avec des gestes et une méthode de son invention, les « signes méthodiques », mais il ne connaissait pas la langue de ses élèves. On peut porter à son crédit d'avoir reconnu l’importance du gestuel pour l'éducation des sourds, mais aussi d'avoir offert une place pour les sourds et les signes, grâce à ses démonstrations publiques, jusque devant le roi.
Enfin, le plus grand bienfait qu'il ait accompli, presque involontairement, c'est d'avoir réuni de jeunes sourds, autrefois isolés, qui ont ainsi pu développer et perfectionner la langue des signes.
Personnage mythique dans l'histoire sourde, Ferdinand Berthier représente un modèle de réussite et d’intelligence pour les sourds, et qui, depuis dix ans, ne cesse d’être de plus en plus valorisé et mis en avant.
Ferdinand Berthier devient l'un des premiers professeurs sourds dans ce même institut en 1829, puis doyen des professeurs. Il représentera à la fois la figure de l’intellectuel sourd et du militant pour la langue des signes[6].
Cet érudit est considéré, dans la société civile, comme l'un des intellectuels de l’époque. Auteur de nombreux livres et articles, il entretiendra une correspondance avec les ministères et le roi, ainsi qu’avec des intellectuels de son époque, comme Victor Hugo. Victor Hugo avait écrit à Ferdinand: « Qu'importe la surdité de l'oreille quand l'esprit entend ? La seule surdité, la vrai [sic] surdité, la surdité incurrable [sic], c'est celle de l'intelligence. »[7].
Du côté de l'activisme militant pour la cause sourde, Ferdinand Berthier se bat toute sa vie pour la reconnaissance de la langue des signes et des droits des sourds.
Avec cette troisième génération de sourds arrivée à l’institut, naît le mythe de l’âge d’or de la culture sourde. D’abord par la présence de grandes figures de l’Histoire sourde, comme Berthier, Bébian, Clerc… mais aussi par la naissance du combat pour la reconnaissance de la culture sourde fortement initié par ces derniers. Berthier lance, en 1834, des banquets en mémoire de l’abbé de l’Épée. L’objectif de ces rassemblements est de médiatiser les sourds, comme le faisait l’abbé de l’Épée avec ses démonstrations publiques, mais aussi de créer le mythe du « bon abbé » entendant qui comprenait les sourds et voulait leur enseigner avec les gestes.
En parallèle, les méthodes d'éducation des jeunes sourds changent. Après la mort de l’abbé Sicard, successeur de l'abbé de l'Épée, l’institut se retrouve sans héritier légitime de cette politique d'enseignement. Les nouveaux directeurs, arrivés de l’extérieur, développent alors des méthodes fondées sur la rééducation de la parole nommées « oralisme » dont les signes sont complètement absents, et contre lesquelles, naturellement, se battent les intellectuels sourds, dont Berthier, qui défend un bilinguisme langue des signes / français écrit.
En 1880, un congrès international se réunit à Milan pour décider quelle méthode, de la langue des signes ou de l’oralisme, était la plus adaptée à l’éducation des sourds[8]. À l'issue de ce Congrès, la langue des signes fut interdite dans l'ensemble des pays participants, à l'exception des États-Unis et de l'Angleterre.
Dès lors, l'enseignement en langue des signes est interdit partout dans le monde. Des intellectuels sourds, comme Ferdinand Berthier, Henri Gaillard et d'autres luttent pour sauver et protéger la langue des signes et aussi encourager l'enseignement en langue des signes plutôt qu'à l'oral. Le célèbre Eugène Rubens-Alcais a l'idée maligne pour la continuité de langue des signes en France et aussi au monde, il a fondé plusieurs clubs sportifs pour les sourds français dont une Fédération sportive des sourds de France.
En 1924, Eugène Rubens-Alcais et ses amis ont organisé les premières Deaflympics d'été à Paris avec neuf nations. Et aussitôt Eugène Rubens-Alcais, Antoine Dresse, Emile Cornet et quelques autres sourds ont fondé le Comité international des sports des Sourds pour la continuité des Deaflympics[9].
Les Sourds ont été victimes des persécutions nazies, de la montée du nazisme en 1933 jusqu'à son effondrement à la fin de la seconde guerre mondiale. Les théories d'eugénisme ont gagné en popularité avant et durant la montée du nazisme en Allemagne, y compris dans beaucoup de milieux des enseignants et éducateurs de Sourds. Les sourds furent les victimes des lois nazies sur la prévention de reproduction pour les maladies héréditaires. Les stérilisations forcées et avortements forcés furent pratiqués à grande échelle sur les malades mentaux et handicapés, dont faisaient partie les enfants et adultes souffrant de surdité. On estime qu'en Allemagne, 15 000 sourds dont 5 000 enfants sourds (la plus jeune victime ayant 9 ans) ont subi des stérilisations contre leur gré[10].
La politique des nazis s'est ensuite endurcie pour supprimer les personnes sourdes, et il est estimé qu'environ 16 000 sourds, dont 1 600 enfants furent ainsi tués par empoisonnement ou par la faim (privation de nourriture durant leur emprisonnement) en Allemagne[10].
Dans le livre qu'il consacre au sujet, où il synthétise la recherche qu'il a faite pour sa thèse doctorale et qui a fait l'objet de publications en langue allemande, l'auteur allemand Horst Biesold (retraité et ancien enseignant pour étudiants Sourds) a interviewé 1 215 survivants sourds. S'appuyant sur leurs témoignages et documents de l'époque, Biesold décrit en détail comment de nombreux professeurs et médecins chargés de protéger les personnes sourdes ont activement participé aux programmes eugénistes et dénonce les pratiques de stérilisation sur les sourds qui ont eu lieu dans d'autres pays par la suite, en particulier aux États-Unis[10].
La Fédération mondiale des sourds a été créé en septembre 1951 à Rome (Italie) par Cesare Magarotto, un des fondateurs[11], au premier Congrès mondial des Sourds, sous les auspices de l'Ente Nazionale Sordomuti (ENS), l'association italienne des sourds. Le premier président de la FMS a été le professeur Vittorio Ieralla, qui était aussi, à ce moment, le président de l'ENS.
Durant un siècle, jusque dans les années 1980, la langue des signes est interdite, méprisée et marginalisée aux seules associations de sourds. Dans les établissements les moins stricts, elle est permise dans les cours de récréation. Ceci explique les difficultés pour les sourds les plus âgés de tenir une conversation en langue des signes devant des entendants sans avoir un peu honte. Cependant, durant les années 1980, se produit ce que les sourds appellent le « réveil sourd ».
Tout commence avec la rencontre de Jean Grémion, écrivain, journaliste et metteur en scène français et d'Alfredo Corrado, un artiste sourd américain. Alfredo arrive dans une France où, après un siècle d’interdiction de la langue des signes, les sourds ont honte de leur langue et se cachent pour se réunir.
Jean Grémion et Alfredo Corrado créent en 1977, l'International Visual Theatre (IVT), installé dans la tour du Village du Château de Vincennes. Dès lors, ils travaillent à la requalification de la langue des signes. Leur principal vecteur sera le théâtre, mais l’IVT développera également une politique de recherche linguistique et de pédagogie autour de la langue des sourds. Les cours de langue des signes ont déjà un succès permettant aux entendants de découvrir le monde des sourds.
En 1977, le Ministère de la Santé abroge l’interdit qui pèse sur la langue des signes[12].
De grands noms sortiront de cette association : Emmanuelle Laborit, devenue depuis la directrice de l’IVT, se fait connaître en recevant, en 1993, le Molière de la révélation théâtrale pour son rôle dans Les Enfants du silence. Depuis, elle est, en quelque sorte, l’ambassadrice des sourds. Elle enchaîne les rôles au théâtre comme au cinéma, avec une filmographie impressionnante. Elle est également régulièrement présente sur la scène publique, comme lors de son engagement contre Jean-Marie Le Pen, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002.
Après l'IVT, de nombreuses associations de sourds ouvrent leurs portes aux entendants en leur proposant des cours de la langue de signes. Ces formations, les films, le théâtre et l’engagement de plusieurs associations dans la sensibilisation pour la culture sourde, permettent une meilleure reconnaissance des droits des sourds.
Durant ces années et jusque récemment, de nombreuses manifestations sont organisées afin de demander la reconnaissance de la langue des signes française. Ce n'est qu'en 1991, par la loi Fabius, que l’Assemblée nationale autorise l’utilisation de la langue des signes française pour l’éducation des enfants sourds[13]. En 2001 est diffusé à la télévision le documentaire Témoins sourds, témoins silencieux de Brigitte Lemaine et Stéphane Gatti[14], un documentaire sur les sourds et les handicapés qui ont été les premiers visés par la politique d'hygiène raciale du nazisme dès 1933. L'interdiction de la langue des signes est la violence révélatrice de la volonté destructrice de ce régime. Un signe avant-coureur du massacre. En 2005, la langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière.
La grève des étudiants de Gallaudet, qui commença le , modifia profondément la perception et l'enseignement de la « culture sourde. » Les étudiants sourds étaient indignés par la nomination d'une nouvelle présidente non sourde, Elizabeth Zinser, à la suite d'une longue lignée d'autres présidents non sourds. Les anciens élèves, le corps enseignant, le personnel, et les élèves réclamèrent que, lors de la prochaine nomination du président d'université, celui-ci soit sourd. Au bout d'une semaine de protestation et d'action, Zinser démissionna et fut remplacée par I. King Jordan. Ce mouvement devint connu sous le nom de "Deaf President Now" (DPN).
Les sourds vivent dans une société qui a encore du mal à s'adapter aux sourds.
Pendant la Coupe du monde de football de 2010, les résumés de matchs sont traduits en langue des signes internationale par FIFA. Colin Allen, le président de la Fédération mondiale des sourds remercie au président de FIFA, Sepp Blatter pour cette idée[15].
Le , Colin Allen, le président de la Fédération mondiale des sourds et le futur président de l'International Disability Alliance, participe à la réunion du sommet World Humanitarian Summit et s'exprime en langue des signes française à côté du secrétaire général Ban Ki-moon[16], [17],[18].
Le à Montpellier, à l'occasion de la journée mondiale des sourds, le drapeau d'Arnaud Balard flotte sur la place de l'hôtel de ville, c'est la première fois au niveau mondial dans l'histoire des sourds[19].
En , le film The Silent Child a reçu l'Oscar du meilleur court métrage en prises de vues réelles. Lors de la remise de l'Oscar, Rachel Shenton a fait son discours de remerciement en langue des signes[20].
La cérémonie officielle d'adieu à Nelson Mandela a eu lieu au FNB Stadium de Soweto le . Une polémique est apparue à la suite de la traduction en direct des discours en langue des signes[21]. L'agent en question, Thamsanqa Jantjie, a été qualifié d'imposteur[22] par Cara Loening, directrice de l’organisme Éducation et développement de la langue des signes au Cap, l'accusant de n'avoir « pas fait un seul signe », juste d'avoir « battu l'air avec ses bras. » L'intéressé s'est excusé de sa prestation en plaidant la schizophrénie[23]. Le gouvernement sud-africain a réagi en admettant que l'individu n'était pas un professionnel et qu'ils avaient été « floués » par l'entreprise chargée de fournir l'interprète[24].
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