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histoire de l’île de Pâques De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L’histoire de l’île de Pâques comporte trois périodes :
Au XXIe siècle la société pascuane moderne, qui s’auto-identifie comme Rapanui, reconstruit aujourd’hui sa culture, ses traditions et sa dignité dans le cadre politique chilien, tandis que les archéologues exhument son patrimoine artistique et monumental, et que les anthropologues l’interprètent à la lumière de leur compétence, plutôt génétique, linguistique ou paléo-environnementale pour les uns, plutôt culturelle, mythologique, littéraire ou fantastique pour d’autres[3].
Bien que les analyses génétiques révèlent une origine clairement austronésienne comme dans toute la Polynésie[4] et que la langue māori de l’île soit elle aussi austronésienne, l’origine des insulaires mais surtout de leur civilisation reste controversée, en raison de similitudes entre les formes du mégalithisme circum-pacifique et de l’existence de mots communs aux langues austronésiennes et à celles d’Amérique du Sud (par exemple kumara, la patate douce). Ces traits communs démontrent des contacts, mais ne prouvent pas qu’il y a eu peuplement sud-américain en Polynésie ou peuplement polynésien en Amérique du Sud, de sorte que toutes les hypothèses sont envisageables[5].
Quoi qu’il en soit, les polynésiens ont pu, grâce à leurs vakas (vaisseaux de haute mer, pouvant transporter plusieurs familles, du taro, des noix de coco, des poulets…) naviguer des îles Marquises (à 3 200 km) ou bien des îles Tuamotu (Mangareva, à 2 600 km) en passant par Pitcairn (située à 2 000 km) jusqu’à l’île de Pâques où ils ont pu reconstituer leurs paysages, leurs cultures et leur civilisation[6]. Une reconstitution de ce périple, effectuée en 1999, à partir de Mangareva sur des embarcations polynésiennes, a demandé 17 jours de navigation.
La date du peuplement humain de l’île par n’est pas déterminée avec précision mais se situe dans une fourchette allant du Ve siècle au plus tôt[7] au XIIIe siècle au plus tard[8].
Les habitants d’origine polynésienne ont plusieurs dénominations de l’île, que les Européens ont ultérieurement réinterprétées :
Les premiers humains arrivés sur l’île, conduits selon la tradition orale par un chef appelé Haumaka ou Hotu-Matu'a, ont formé une société bien adaptée à son environnement, appelée matamua (« ceux d'autrefois » en maori rapanui). En une première période, le culte des ancêtres s’est traduit par l’érection de centaines de statues moaï puis, dans les années 1500 à 1600, l’assise religieuse de la société matamua changea. La construction des statues et des plateformes cérémonielles cessa, le culte de Make-make et de l’homme oiseau Tangata manu prit de l’importance. Les matamua en étaient là lorsque les maladies apportées par les Européens et les déportations (l’esclavage pratiqué par les Péruviens) réduisirent à cent onze personnes leur population[10].
Sur le plan environnemental, flore et de la faune de l’île sont très semblables à celles des autres îles polynésiennes (par exemple la fougère Microlepia strigosa, le Sophora toromiro, le Hauhau Triumfetta semitrebula, le Mahute Broussonetia papyrifera ou le Ti Cordyline terminalis, les poulets, les rats[10]. On discute de la réalité d’une catastrophe écologique due à l’inconséquence des matamua, qui auraient pu provoquer une crise environnementale en abattant tous les arbres de l’île pour transporter leurs idoles. Une telle crise a pu provoquer les conflits tribaux évoqués par la tradition orale[14]. Une autre thèse attribue la déforestation à une conséquence d'un Méga El Niño ayant perduré plusieurs mois vers l'an 1700, car la déforestation intensive ne correspondrait pas aux méthodes de gestion des terres par les polynésiens[15].
Mais la pédologie, la palynologie et les témoignages antérieurs au XIXe siècle ne prouvent pas l’existence d’une crise ancienne, tandis qu’il est certain et documenté que l’installation des planteurs européens et de leurs élevages ovins a profondément modifié la végétation de l’île : les forêts de toromiro disparurent, entraînant l’érosion des sols[16].
Sur le plan culturel, l’action des missionnaires européens (initialement français comme Eugène Eyraud, et plus tard allemands comme Sebastian Englert) et l’arrivée des marins et des ouvriers agricoles Rapanais qui se mêlèrent aux autochtones matamua, contournèrent l’identité de l’actuel peuple Rapa Nui, désormais catholique[10].
À l’époque de la découverte par Jakob Roggeveen, une dizaine d’iwi (clans familiaux) se partageaient l’île à partir des hameaux d’Aka'hanga, Anakena, Heiki'i, Mahetua, Taha'i, Tepe'u, Terevaka, Tongariki, Va'i Mata et Vinapu ; leurs terroirs (vai'hu ) se rencontraient au centre de l’île, en un lieu (sacré, et réservé aux palabres) appelé Te pito o te fenua (« le nombril de la terre » souvent traduit à tort comme « le nombril du monde ») ; leurs ahu (plates-formes à moaï, le plus souvent dressées au bord de l’océan) étaient aussi appelés Mat’a kite u’rani (les yeux qui regardent le ciel ou du ciel, ce qui est logique pour des représentations d’ancêtres divinisés, mais a été interprété par les Européens de manière parfois très fantaisiste)[3].
Ces grandes statues représentant des ancêtres divinisés proviennent d’une carrière située sur les flancs et dans le cratère du volcan nommé Rano Raraku. Environ 360 sont terminées et dressées au pied de la pente, et un nombre approximativement égal sont inachevées (à divers stades entre l’ébauche à la finition). Le plus grand qui ait été érigé mesure 10 m de hauteur et pèse 75 t. L’un des inachevés fait 21 m de hauteur pour une masse estimée à 270 t. Les plus anciens moaï ressemblent beaucoup aux tikis que l’on peut voir dans les îles de Polynésie (Hiva Oa des Marquises, Tahiti…)[17]. L’abandon des moaï et de leur production a suscité de nombreuses théories, allant de la disparition des arbres nécessaires au transport de ces colosses (parfois sur près de 15 km) jusqu’à l’intervention d’extraterrestres, en passant par un séisme suivi d’un tsunami et, dans tous les cas, d’une guerre civile.
Avant le XIXe siècle, Roggeveen, González, Cook et La Pérouse trouvent et représentent sur l’île des plateformes ahu portant des moaï debout. L'île est déjà complètement dépourvue de grands arbres, comme le note déjà Roggeveen en 1722[18],[19]. La situation étonne La Pérouse qui s'interroge sur la manière dont les Pascuans ont déplacé et érigé leurs statues[20]. En revanche, au XIXe siècle et au XXe siècle l’équipage allemand de la canonnière S.M.S. Hyäne, Catherine Routledge, Alfred Métraux et Thor Heyerdahl trouvent les moaï renversés de leurs ahu. Que s’est-il passé entre-temps ? La tradition orale parle de guerres entre clans, les paléoenvironnementalistes évoquent des séismes et des tsunamis (l’île est un édifice volcanique ), les historiens et les économistes décrivent l’appropriation de l’île par les éleveurs de moutons et l’action des missionnaires. Ces causes, bien sûr, ne sont pas exclusives les unes des autres[3]. Quoi qu’il en soit, en 1916 les équipes de Catherine Routledge[21] ont exhumé des moaï enfouis dans le sol et souvent gravés de pétroglyphes ; en 2010 et 2011, une expédition codirigée par Jo Anne Van Tilburg et Cristián Arévalo Pakarati a multiplié et approfondi ces fouilles[22].
Selon les archéologues Terry Hunt de l’Université d'Hawaï et Carl Lipo de l’Université d'État de Californie, les statues, après avoir été taillées en position horizontale dans la roche volcanique du Rano Raraku, ont pu être déplacées debout depuis le site jusqu’à leur destination finale, par un mouvement de balancier régulier initié par des tireurs de cordes et surnommé « méthode du réfrigérateur »[23].
Les matamua ont laissé des statuettes en bois moko et des pétroglyphes dont les symboles se réfèrent souvent au culte de Make-make[3]. Très semblables à l’art polynésien, leur interprétation n’a pas suscité de polémiques, contrairement aux tablettes rongorongo, ainsi nommées d’après le lieu de culte Orongo[24]. Durant plus d’un siècle, ces tablettes couvertes de signes énigmatiques en « boustrophédon inversé » restèrent incomprises, enchantant les amateurs de mystères et suscitant une multitude de théories et de spéculations en lien avec l’histoire de l’écriture et divers mythes comme celui du continent disparu Mu[25],[26].
Si la signification précise de chaque symbole rongorongo est perdue, les séries répétées comme « oiseau-pénis-poisson-vulve-humain » ont été, dès 1899[27] rapprochées des refrains traditionnels des hymnes généalogiques polynésiens (« les oiseaux ont copulé avec les poissons et ainsi ont engendré les premiers hommes »)[28]. Sur cette base, elles ont fait l’objet d’un décodage par l’ethnographe russe Irina Fedorova[29], mais ce décodage, évidemment en partie conjecturel, « mettait fin au mystère » et renforçait l’hypothèse de l’origine polynésienne de la civilisation matamua : il a donc été sévèrement critiqué[30].
Selon une thèse jadis défendue par Thor Heyerdahl puis plus récemment par Jean-Hervé Daude, Denise Wenger et Charles-Edouard Duflon, il y aurait eu une colonisation de l’île de Pâques par l’empire inca qui y aurait introduit les connaissances concernant le travail de la pierre[31]. Cette hypothèse s’appuie sur la tradition orale qui mentionne la présence de deux populations distinctes sur l’île : les « hommes minces » et les « hommes trapus », ces derniers arborant des oreilles aux lobes distendus par de lourds pendentifs sont appelés communément « longues-oreilles ». Selon cette thèse, le premier groupe serait d’origine polynésienne et le second d’origine sud-américaine. Ce second peuple serait arrivé lors de l'expédition de l'Inca Tupac Yupanqui vers 1465.
Les « longues-oreilles » ayant importé dans l’île la compétence inca pour le travail de la pierre, selon cette thèse les moaï et les ahu seraient donc postérieurs à 1465 ; celui de Vinapu aurait le même mode de construction qu’une chullpa du plateau andin11. Certaines statuettes moko représenteraient le cuy, un rongeur typiquement andin12. Des études génétiques ont aussi tenté de démontrer les liens entre les matamua et l'Amérique du Sud13. Cette théorie est inverse de celle communément admise au sujet du peuplement de l'Océanie selon laquelle ce sont les polynésiens qui ont probablement abordé l'Amérique du Sud et s'y sont fondus. Jean-Hervé Daude pense que les Incas se seraient intégrés au groupe polynésien, abandonnant (à peu de mots près) leur langue, et si leurs caractéristiques génétiques ont en grande partie disparu, ce serait parce que les « longues-oreilles » auraient été exterminés par les « courtes-oreilles », comme le rapporte la tradition orale14.
Le premier Européen qui ait aperçu l’île fut peut-être, en 1687 le pirate Edward Davis[32] sur le Bachelor’s Delight, alors qu’il venait des îles Galápagos et naviguait en direction du cap Horn. Son coéquipier Lionel Wafer décrit une île aperçue par hasard, sous la même latitude que l'île de Pâques, sur laquelle ils n'effectuèrent pas de débarquement, et qu'on pensa par la suite pouvoir être un promontoire du légendaire « continent du Sud ».
Le nom de l'île est dû au Hollandais Jakob Roggeveen qui y accosta avec trois navires au cours d'une expédition pour le compte de la Société commerciale des Indes occidentales. Il la découvrit en effet le dimanche de Pâques 1722 et l’appela Paasch-Eyland (île de Pâques). Dans son journal de bord, Jakob fait part de la crainte que cause sa flotte aux indigènes. Les rapports ne sont pas entièrement pacifiques, des vols ont lieu et les bagarres se concluent par les tirs de hollandais qui en tuent une dizaine[33]. Un des participants à l'expédition était le Mecklembourgeois Carl Friedrich Behrens dont le rapport publié à Leipzig orienta l’attention de l’Europe vers cette région à peine connue du Pacifique.
L’explorateur suivant fut l’Espagnol Felipe González de Ahedo qui avait reçu du vice-roi du Pérou l’ordre d’annexer l’île pour le compte de la Couronne espagnole. L’expédition de González de Haedo débarqua le . Après une visite rapide et très partielle de l’île, exploration d'une demi-journée dans un seul secteur, et après un contact amical avec une population à structure sociale hiérarchisée, Felipe González de Haedo qui ne pensait pas qu’il s’agisse de l’île de Roggeveen décida d’annexer cette terre à la Couronne d’Espagne et la nomma Île de San Carlos. Les indigènes, lors d'une cérémonie, consacrent l'annexion de l'île en invoquant Make-make et apposent leurs signatures sur un document officiel en utilisant des pictogrammes incompréhensibles pour les Européens[34]. Il fit planter plusieurs croix sur la pointe du volcan Poike.
Durant les années qui suivirent, l’Espagne ne se soucia guère de sa nouvelle possession et au cours de sa deuxième expédition du Pacifique Sud, James Cook visita l’île du au mais lui non plus ne fut pas enthousiasmé par l’île et écrivit dans son livre de bord : « Aucune nation ne combattra jamais pour l’honneur d’avoir exploré l’Île de Pâques, […] il n'y a pas d'autre île dans la mer qui offre moins de rafraîchissements et de commodités pour la navigation que celle-ci[35] ». Il ne compte que 600 habitants sur l'île. Il mentionne toutefois les Moaï et en compare la fonction aux monuments funéraires des Îles Marquises[36].
Cependant, son séjour fournit des informations essentielles sur la constitution géologique, la végétation, la population et les moaï. Les naturalistes du bord, les allemands Reinhold Forster et son fils Georg Adam Forster, ont dessiné les premiers croquis de l’île qui, gravés et publiés dans un style alors typiquement romantique, firent sensation en Europe. Ces croquis montrent qu’en 1774, donc neuf décennies avant le raid des esclavagistes péruviens contre les matamua qui étaient alors adeptes du culte de Make-make, certains moaï était encore debout sur leurs ahu alors que d’autres étaient inachevés, couchés et apparemment abandonnés.
En 1786, le navigateur français La Pérouse débarqua sur l’île de Pâques au cours de sa circumnavigation terrestre, effectuée sur l’ordre du roi Louis XVI. La Pérouse avait l’ordre de dessiner des cartes précises afin de contribuer, avec l’étude des peuples du Pacifique, à la formation du dauphin[37].
Avant le XIXe siècle, Roggeveen, González, Cook et La Pérouse trouvent et représentent l’île relativement boisée et des ahu portant des moaï encore debout. En revanche, au XIXe siècle et au XXe siècle l’équipage allemand de la canonnière S.M.S. Hyäne, Katherine Routledge, Alfred Métraux[10] et Thor Heyerdahl trouvent l’île dépourvue d’arbres et les moaïs tous renversés de leurs ahu. Que s’est-il passé entre-temps ? La tradition orale parle de guerres internes, les paléoenvironnementalistes évoquent des séismes et des tsunamis (l’île est volcanique, même si ses volcans ne sont plus actifs à part des fumerolles[2]), les historiens et les économistes décrivent l’appropriation de l’île par les éleveurs de moutons et l’action des missionnaires. Ces causes, bien sûr, ne sont pas exclusives les unes des autres[3].
En 1808, un premier navire chasseur d'esclaves accoste sur l'île et capture 24 indigènes après avoir tiré sur la population. Le navire quitte l'île et les captifs tenteront, trois jours plus tard, de rejoindre l'île à la nage malgré l'éloignement. Cet épisode est suivi de plusieurs autres incursions esclavagistes et rendent la population hostile. En 1816, ils empêchent le débarquement d'une expédition russe. En 1822, un baleinier s'attaque à la population et violent les femmes. Ils transmettent la variole ainsi que des infection sexuellement transmissible. En 1862, six navires péruviens massacrent et soumettent à l'esclavage la majorité des habitants de l'île afin de les faire travailler dans ses exploitations de guano. Cette dernière expédition provoque la capture du roi, de sa famille et du clergé dépositaires de la mémoire historico-culturelle de l'île. Les protestations du gouvernement français forcent le Pérou à relâcher ces esclaves, cependant seulement 15 d'entres eux ne survivent au voyage de retour. L'île est alors soumise à une épidémie de tuberculose et de lèpre et sa démographie est très basse[38].
Selon Alfred Métraux, la population matamua d’origine est passée d’environ 2 500 personnes au début du XIXe siècle à seulement 111 en 1877[10] : cette diminution est due d’une part aux maladies introduites par les explorateurs européens, comme la tuberculose et la syphilis, et d’autre part aux raids des marchands d’esclaves armés opérant à partir de Callao au Pérou, qui, de 1859 à 1863, capturent les matamua après les avoir attirés par la musique et des présentations de tissus, et déportent environ 1500 d’entre eux pour les vendre aux sociétés péruviennes exploitant le guano des îles Chincha[39]. Toujours selon Métraux, la société matamua est largement déstructurée par la capture et le massacre en 1861 des ariki (guerriers), des prêtres et du clan Miru (revendiquant descendre de Hotu Matu'a) dont faisaient partie l’ariki-nui (roi) Kaimakoi et son héritier Maurata, de sorte que la mémoire identitaire des autochtones est en grande partie perdue[10].
En raison des épidémies, la population restante diminue encore fortement durant les années 1860 et 1870, avec pour résultat qu’après les immigrations ultérieures, en provenance entre autres des Gambier (Rapa), de Tahiti et des Tuamotu, les matamua d’origine ne représentaient plus que 6 % environ de la population Rapa Nui qui formait la moitié des habitants, les Européens et Sud-Américains d’origine étant 45 % et les Asiatiques 5 %. Les Polynésiens venus dans l’île après 1861, déjà pourvus d’anticorps contre les maladies des Européens et déjà christianisés, ont été amenés par les planteurs Dutrou-Bornier, Mau et Brander comme ouvriers agricoles, entre 1864 et 1888[10]. Au XXIe siècle la population Rapa Nui est en grande partie métissée et totalement christianisée, culture polynésienne et culture chilienne se mélangeant[40].
C’est en 1864 que le premier Européen sédentaire s’installe sur l’île[41]: c’est Eugène Eyraud, un Français ouvrier mécanicien à Copiapó (Chili), qui a décidé de se consacrer à l’évangélisation. Après un séjour d’observation (dont il a laissé un compte-rendu), Eyraud retourne au Chili se faire soigner et revient en mars 1866 avec un prêtre, Hippolyte Roussel, qui se trouvait auparavant en fonction aux îles Marquises. Tous deux créent la Mission catholique. Deux autres missionnaires arrivent en avec des animaux et du matériel. Cependant, Eugène Eyraud meurt en de maladie.
Les nouveaux missionnaires ont été convoyés par le capitaine français Jean-Baptiste Dutrou-Bornier, qui, trouvant l’île de Pâques très intéressante, revient quelques mois plus tard avec son propre matériel et sa famille afin d’y créer une plantation agricole. Un autre colon français s’installe en même temps : le charpentier de marine Pierre Mau. En septembre 1868 est établi un « Conseil de gouvernement », présidé par Dutrou-Bornier avec le missionnaire Gaspar Zumbohm pour secrétaire, et quatre membres polynésiens amenés de Polynésie française. Ce « Conseil de gouvernement » se dote d’institutions : un tribunal présidé par Hyppolite Roussel et une police, les mutoi, tandis que la mission est rattachée au vicariat apostolique français de Tahiti[42] (elle en dépendra jusqu'en 1911[43]) : en fait la mission, les colons européens et leurs mutoi procèdent surtout à d’importants achats de terre à très bas prix auprès des rares survivants de la catastrophe de 1862[44].
En 1869, Pierre Mau quitte l’île, revendant ses propriétés à la Mission catholique. Des dissensions liées aux mœurs brutales de Dutrou-Bornier entraînent le départ des missionnaires en 1871 ; l’ancien capitaine devenu planteur et maître absolu de l’île, reste le seul Européen. Le , il conclut un contrat d’association pour l’exploitation de l’île de Pâques avec l’entrepreneur écossais installé à Tahiti (où il a épousé Titaua Salmon en 1856), John Brander. Concrètement, il s’agira essentiellement d’un élevage de moutons de plusieurs milliers de têtes. La mort de Dutrou-Bornier en 1876, suivie de celle de John Brander en 1877 crée des problèmes juridiques, les héritiers respectifs s’engageant dans une procédure qui ne prendra fin qu’en 1893. Alors que le surpâturage rase la végétation de l’île et que les îliens sont consignés dans le sud-ouest de l’île, à Hanga Roa, la responsabilité de l’exploitation revient au beau-frère de John Brander, Alexander Salmon, seul maître du territoire (très théoriquement toujours espagnol, mais dont Dutrou-Bornier s’était autoproclamé roi[45]) jusqu’à l’annexion par le Chili en 1888.
En 1882, la cannonière allemande « S.M.S. Hyäne » (« La Hyène ») visita durant cinq jours l’île de Pâques au cours d’une expédition dans le Pacifique. Le capitaine-lieutenant Geiseler avait l’ordre de l’amirauté impériale d’entreprendre des études scientifiques pour le département ethnologique des musées royaux prussiens à Berlin. L’expédition a fourni entre autres les descriptions très détaillées des us et coutumes, de la langue et de l’écriture de l’île de Pâques ainsi que des dessins exacts de différents objets culturels, des statues (moaïs), des croquis de maisons et un plan détaillé du lieu de culte Orongo.
En 1886, alors qu’il visitait l’île à bord du navire américain « Mohi », le médecin de marine William Thomson a pris les premières photos de moaïs. Il obtient des informations de la part des vieillards sur les origines de leur peuples ainsi que sur le peuple des Hanau epe (longues oreilles) et les Hanau Momoko (courtes oreilles). Il effectue une reconnaissance du village d'Orongo et y dénombre 555 statues et 113 plateformes cérémonielles[46].
En 1914 l’exploratrice britannique Katherine Routledge, membre de la British Association for the Advancement of Science, du British Museum et de la Royal Geographical Society, arriva dans l’île à bord de sa goélette Mana et se livra durant deux ans à des fouilles et des essais d’archéologie expérimentale sur les sites du Rano Raraku, d’Orongo et d’Anakena. Elle recueillit auprès des descendants de la catastrophe démographique de 1862 et transcrivit la tradition orale concernant Hotu Matu'a, le Tangata manu, les noms des clans et des territoires matamua et la manière de lire les rongorongo.
En 1934-1935, l’archéologue belge Henri Lavachery, l’anthropologue suisse Alfred Métraux et l’archéologue français Louis-Charles Watelin explorent systématiquement l’île pour le Muséum français : ils en rapportent des têtes de moaï (la plus grande se trouve actuellement au Musée du Quai Branly, les autres au Louvre)[10].
En 1953, c’est l’explorateur norvégien Thor Heyerdahl qui à son tour parcourt l’île accompagné de 23 compagnons principalement norvégiens dont quatre archéologues (les américains Edwin Ferdon et Carlyle Smith, le norvégien Arne Skjølsvold et le chilien Gonzalo Figueroa), pour étayer sa théorie de l’influence de l’empire inca[47]. Depuis lors, de très nombreuses expéditions, campagnes de fouilles et essais d’archéologie expérimentale ont accru les connaissances sur le passé de l’île.
Le , l’île est annexée au nom du Chili par le capitaine de corvette Policarpo Toro (1856-1921), qui y séjournait depuis 1886 et menait les négociations avec les habitants, malgré quelques tentatives de la France pour les contrecarrer. La lignée royale, descendant de Hotu Matu'a (le clan Miru) étant éteinte depuis 1861, un « traité d’annexion de l’île » est signé avec le chef coutumier Atamu Tekena, reconnu comme « roi » par le gouvernement chilien[48].
En 1914, la cheffe religieuse Angata dirige une révolte depuis Hanga Roa sur base d'une vision prophétique annonçant que Dieu réclame la libération d l'île et la mort de Merlet, directeur de l'entreprise coloniale chilienne. Le , elle envoie son gendre Daniera Maria Teave Haukena au directeur de l'entreprise Henry Percy Edmunds avec une déclaration selon laquelle les indigènes ont l'intention de reprendre les terres et le bétail de l'entreprise[49].
La rébellion est écrasée le 5 août lorsque le navire naval chilien General Baquedano accoste et arrête quatre des meneurs. Le commandant Almanzor Hernández ne punit aucun indigène et trois des dirigeants emprisonnés sont libérés, mais le gendre d'Angata, Daniera, est expulsé de l'île[50].
L’île est divisée entre la « réserve » de Hanga Roa instituée par Alexander Salmon, soit 6 % de la surface de l'île, où sont parqués les Rapa Nui, et la Compagnie Williamson-Balfour, qui possède le reste et y élève des moutons jusqu’en 1953[51].
De 1953 à 1966, l’île est sous le contrôle de la Marine chilienne.
En 1966, les Rapanui reçoivent la nationalité chilienne, sont autorisés à quitter la réserve, et l’île devient un territoire de droit commun.
Depuis les années 1990, la renaissance culturelle maorie des Rapanui se traduit par une résurgence moderne et actualisée des traditions ancestrales (sportives, musicales, artisanales, spirituelles ou culinaires) qui n'exclut ni le catholicisme ni la modernité, mais crée une nouvelle cohésion sociale et une nouvelle identité pascuane dont l'essor va de pair avec l'ouverture de l'île, soutenue par le tourisme.
D'ailleurs, le , une réforme constitutionnelle dote l’île d’un statut de « territoire spécial », mais elle continue pour le moment d’être administrée comme une province de la Région V (Valparaíso).
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