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géopolitique De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La géopolitique de l'Europe au XXIe siècle consiste en la description et l'analyse des relations des États européens entre eux et avec le reste du monde, en considérant les facteurs politiques, géographiques, économiques, démographiques et culturels qui les influencent. Le terme de géostratégie est aussi employé dans un sens voisin de celui de géopolitique[note 1].
Russie : élection de Vladimir Poutine à la présidence | |
UE : lancement de l'Euro | |
Espagne : attentats à Madrid faisant 200 morts revendiqué par Al-Qaïda | |
OTAN : élargissement à 7 pays de l'ancien bloc soviétique | |
UE : entrée de 10 nouveaux membres | |
UE : le non l'emporte en France et aux Pays-Bas lors du referendum pour la constitution européenne | |
Russie : Poutine dénonce les projets de défense antimissile des États-unis en Europe | |
Kosovo : Russie et Serbie s'opposent au plan d'indépendance préparé par l'ONU | |
Irlande du Nord : accord de gouvernement entre protestants et catholiques | |
Géorgie : début de la deuxième guerre d'Ossétie du Sud | |
Europe : la crise financière partie des États-Unis affecte lourdement les économies européennes | |
Ukraine - Russie : conflit gazier engendrant des craintes d'approvisionnement en Europe |
France : importante participation à l'intervention militaire en Libye | |
Ukraine - Russie : crise de Crimée | |
UE - Turquie : signature de l'accord sur l'immigration | |
UE : les Britanniques votent pour le Brexit |
Le Royaume-Uni quitte l'UE | |
Invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 |
Durant les années qui suivent la fin de la guerre froide, les États européens sont davantage focalisés sur des considérations géo-économiquesque géopolitiques. La paix qui s'installe sur tout le continent semble appelée à durer. l'Union européenne s'élargit à de nombreux pays mais ne se préoccupe qu'à la marge de devenir une puissance au sens diplomatique et militaire. Elle continue de fait à faire reposer sa défense pour l'essentiel sur les États-Unis et l'OTAN. Jusqu'en 2014, aucun conflit interétatique ne survient sur le territoire européen. La crise en Géorgie de 2008 est vite close et elle revêt davantage les caractéristiques d'une guerre civile internationalisée que celles d'une guerre interétatique. La donne change brutalement en 2014 lorsque la Russie annexe la Crimée, partie intégrante de l'Ukraine, et soutient les séparatistes russophones dans le Donbass. Depuis lors, la géopolitique occupe une place de plus en plus importante dans l'agenda des dirigeants européens. Ursula von der Leyen, à peine nommée présidente de la Commission européenne en 2019, affirme son ambition de « bâtir une Commission vraiment géopolitique ». L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 rend définitivement inéluctable le retour de la géopolitique au premier plan en Europe.
L'Europe est la partie occidentale de la plaque eurasiatique. Aucune limite géographique naturelle ne la sépare de l'Asie. La notion d'Europe remonte à l'Antiquité. Elle recouvre un espace qui évolue au fil des Siècles en fonction des grands évènements politiques mais aussi religieux et culturels qui la parcourent. Au milieu du XVIIIe siècle, Pierre Ier de Russie choisit de fixer sa limite orientale aux monts Oural. Depuis lors, elle demeure la convention la plus généralement admise. De Gaulle la popularise en se référant fréquemment à « l'Europe de l'Atlantique à l'Oural ». Quelle que soit la définition géographique de l'Europe retenue, la Russie se situe en Europe pour sa partie historique et la plus peuplée mais aussi en Asie pour la plus grande partie de son territoire depuis l'expansion de l'Empire russe au XVIIIe siècle. Cette particularité et son histoire impériale sont à l'origine d'une relation complexe entre la Russie et les autres puissances européennes que l'ère soviétique a entretenue voire accentuée. Héritière de l'Empire ottoman, dont le territoire a longtemps englobé le Caucase et les bords de la mer Noire, la Turquie occupe une position stratégique aux confins de l'Europe et de l'Asie, symbolisée par Istanbul — autrefois Byzance puis Constantinople — située de part et d’autre du détroit du Bosphore.
L'Europe politique est fragmentée en une cinquantaine de pays, dont le nombre et les frontières sont pour beaucoup le résultat des grands conflits du XXe siècle, la Première et la Seconde Guerre mondiale, puis la guerre froide qui s'achève par l'effondrement et l'éclatement de l'Union soviétique. L'Europe est aussi le continent qui pousse le plus loin le multilatéralisme et le seul qui développe, via l'Union européenne, une intégration avancée entre des pays qui représentent la majeure partie de sa population et de sa richesse.
L'usage fait de l'Europe un continent mais elle est, d'un point de vue géographique, la partie occidentale de la plaque eurasiatique. Aucune limite géographique naturelle ne la sépare de l'Asie. Les limites terrestres de l'Europe ont donc toujours été imprécises à l'est car il n'existe pas de relief ou de mer venant clairement scinder l'Eurasie. Les frontières géographiques de l'Europe sont donc plus politiques que physiques.
L'Europe recouvre un espace géographique variable au fil des siècles en fonction des grands évènements historiques qui s'y déroulent[1]. Plus qu'un continent, l'Europe est une idée, un concept présent dans l'histoire depuis l'Antiquité et qui évolue au gré des phénomènes politiques, idéologiques, religieux ou encore culturels qui la parcourent. L'Europe a dominé le monde du XVe au XIXe siècles. Les États-Unis sont ensuite devenus la première puissance mondiale, toutefois l'Europe produit, en 2020, le quart de la richesse mondiale[2]. Les puissances historiques du « Vieux Continent » projettent toujours leur soft power et, parfois, leur hard power au-delà du territoire européen en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie principalement. L'Europe est aussi le théâtre avec l'Union européenne de la construction, unique au monde, d'une fédération d'États-nations, devenue un acteur de la géopolitique européenne[3],[4].
Pour les Anciens, le monde est une terre unique qu'ils divisent le plus souvent en trois parties, l'Europe, l'Asie et l'Afrique, qui s'étendent tout autour de la mer Méditerranée, dont les contours sont fluctuants et ne constituent pas des limites politiques. C'est ainsi que l'Empire romain s'étend sur ces trois parties. Durant le Moyen Âge, les limites de l'Europe se confondent avec celles de la Chrétienté. L'Empire carolingien de Charlemagne s'étend à tous les pays qui reconnaissent dans le pape de Rome le vicaire du Christ et le chef de l'Église[5]. Cette brève unité politique laisse la place à une période féodale de morcellement durant laquelle le mot « Europe » est alors rarement utilisé. La Chrétienté latine, qui s'étend de l'Atlantique aux frontières de l'Empire byzantin, demeure cependant un puissant facteur d'homogénéité[6]. Après le schisme de 1054, la représentation de l'Europe est centrée sur l'espace catholique et latin, excluant le monde orthodoxe[7], d'autant que l'Empire byzantin est peu à peu submergé par l'Empire ottoman, jusqu'à disparaître avec la chute de Constantinople en 1453. Il faut attendre la division de la Chrétienté avec la Réforme protestante du XVIe siècle pour que, très progressivement, la notion d’Europe commence à sortir de son cadre strictement géographique pour acquérir une dimension plus vaste : l’Europe devient ce qui unit les Européens, maintenant que la chrétienté est divisée. À la suite des traités de Westphalie de 1648, qui mettent un terme à plus d’un siècle de guerres de religions, les élites européennes comprennent que malgré les déchirements religieux les chrétiens possèdent des valeurs et des aspirations communes, qui font progressivement émerger la notion d’Europe[8].
Au XVIe et XVIIe siècles, les dynasties régnantes à Moscou bâtissent un vaste empire où le christianisme orthodoxe se répand. La Russie se pose comme l'État successeur de l'Empire byzantin. Les échanges économiques et culturels croissent entre la Russie et les autres royaumes d'Europe. Au milieu du XVIIe siècle, l'omniprésence de l'Église est battue en brèche par les États européens souverains qui imposent une conception laïcisée des relations internationales. Louis XIV se réfère à l'Europe, et non à la Chrétienté, lorsqu'il accepte le testament du roi d'Espagne Charles II en 1700[9]. Les relations entre les royaumes de Grande-Bretagne, de France, de Prusse et les empires d'Autriche et de Russie peuvent être qualifiées de premier âge de la géopolitique européenne.
Après l’Europe des humanistes du XVIe siècle symbolisé par Érasme, et la République des lettres du XVIIe siècle, le siècle des Lumières gagne toute l'Europe au XVIIIe siècle, avec ses écrivains, ses philosophes et tous ceux qui militent pour l’émancipation des hommes et des sociétés[9]. L'Encyclopédie situe l'Europe du « cap de Saint-Vincent en Portugal et dans l’Algarve, sur la côte de l’Océan atlantique, jusqu’à l’embouchure de l’Obi dans l’Océan septentrional »[10]. Elle adopte ainsi une définition géographique et non religieuse tout en soulignant que l'Europe est « la plus considérable de toutes [les parties du monde] par son commerce, par sa navigation, par sa fertilité, par les Lumières et l’industrie de ses peuples, par la connoissance des Arts, des Sciences, des Métiers, et ce qui est le plus important, par le Christianisme »[10]. Au milieu du XVIIIe siècle, Pierre Ier choisit d'intégrer la Russie dans l'Europe dont il fixe sa limite orientale aux monts Oural. Depuis lors, elle demeure la convention la plus généralement admise. De Gaulle la popularise en se référant fréquemment à « l'Europe de l'Atlantique à l'Oural »[11].
Le XIXe siècle voit triompher le concept d'État-nation. Le processus d'unification de l'Italie et de l'Allemagne arrive à son terme, respectivement en 1870 et 1871. Dans le prolongement des Lumières, l'idée d'Europe est restreinte à la culture des élites et à la certitude de l'universalisme des grands principes moraux et politiques adoptés par la plupart des États européens. L'universalisme des civilisations française et anglaise favorise la démarche coloniale mais ne gomme pas les spécificités propres aux différentes nations. À la fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, la priorité des dirigeants est d'organiser le concert européen, gérer le progrès scientifique et industriel ainsi que le développement des sociétés, dans un contexte où de nouvelles idéologies apparaissent, les crises et les guerres se succèdent. Le nationalisme l'emporte, ne laissant que peu d'espace au développement d'une pensée européenne supranationale[12]. L'expression « États-Unis d'Europe » de Victor Hugo symbolise le double caractère d'unité et de diversité de l'Europe[9].
Les deux guerres mondiales de la première moitié du XXe siècle favorisent le renouveau de l'idée européenne, fondée sur un socle largement partagé de racines culturelles et de valeurs issues du christianisme, ainsi que sur la compréhension des interdépendances qui lient les nations européennes. Toutefois, cette conscience identitaire européenne cohabite voire vient en conflit avec d'autres consciences, nationale, régionale ou religieuse, souvent davantage ancrées[12]. L'idée européenne après-guerre[13] est moins portée par l'identité que par des projets très concrets dans le domaine économique initialement, étendu plus nettement depuis l'instauration de l'Union européenne au domaine politique et sécuritaire. L'objectif recherché est avant tout de rendre impossible le retour de la guerre entre les puissances européennes et de créer un espace de prospérité[6].
Quoique la géographie ne soit pas le seul déterminant en matière de géopolitique, elle joue cependant un rôle important dans la fixation des frontières entre les États européens et dans les rapports entre eux et le reste du monde. Les montagnes ou les fleuves sont des frontières naturelles entre de nombreux pays d'Europe. Certaines, comme la ligne Oder-Neisse qui sépare l'Allemagne de la Pologne depuis la fin de la Seconde guerre mondiale sont devenues symboliques de la paix retrouvée en EuropeGéopolitique de l'Europe - Chap. 1 Un espace géographique singulier, p. 13-25. Les pays d'Europe de l'Est sont par nature essentiellement continentaux ; la Russie, qui est le plus grand pays du monde, tire de cette situation un avantage stratégique induit par les possibilités de repli dans la profondeur dont elle a su tirer parti lors de la campagne de Russie contre Napoléon puis durant la Seconde guerre mondiale. L'accès aux débouchés maritimes constitue en revanche une préoccupation constante pour les pays qui en sont privés. Staline a cherché à plusieurs reprises à s'assurer le contrôle du Bosphore et de ports à l'extrême-Ouest de l'Union soviétique pour sécuriser l'accès à la Méditerranée depuis la Mer noire. Les autres pays d'Europe possèdent pour la plupart d'entre eux de vastes accès maritimes qui les ont encouragés depuis des siècles à se projeter au-delà des mers et ont largement contribué à leur essor économique.
Europe de l'Ouest (9 États) |
Europe de l'Est (10 États) |
Europe du Nord (10 États) |
Europe du Sud (15 États) |
Confins Europe-Asie | |
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Asie occidentale (5 États) |
Asie centrale (5 États) | ||||
Allemagne Autriche Belgique France Liechtenstein Luxembourg Monaco Pays-Bas Suisse |
Biélorussie Bulgarie Hongrie Pologne Moldavie Roumanie Russie Slovaquie Tchéquie Ukraine |
Danemark Estonie Finlande Islande Irlande Lettonie Lituanie Norvège Suède Royaume-Uni |
Albanie Andorre Bosnie-Herzégovine Croatie Espagne Grèce Italie Macédoine du Nord Malte Monténégro Portugal Saint-Marin Serbie Slovénie (Vatican)[note 3] |
Arménie Azerbaïdjan Chypre Géorgie Turquie |
Kazakhstan Kirghizistan Ouzbékistan Tadjikistan Turkménistan |
49 États d'Europe considérés dans le présent article |
Les frontières européennes sont le plus souvent récentes et résultent pour une majorité de décisions internationales prises lors du règlement des grands conflits du XXe siècle ou de la fin de la guerre froide, en particulier dans la partie Est du continent où des pays comme les États baltes ont alternativement été annexés et recréés, d'autres comme ceux de l'ex-Yougoslavie, sont nés dans la guerre civile à la toute fin du XXe siècle, et enfin où beaucoup d'autres ont connu des rectifications importantes de leurs frontières à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vingt-sept pour cent des frontières résultent d'événements qui se sont produits en Europe depuis 1991[16]. Sa fin et l'effondrement de l'Union soviétique se traduisent au début du XXIe siècle par le retour en force des questions frontalières le plus souvent liées aux minorités ethniques ou religieuses dans de nombreux États-nations récents à l'Est, et par la montée des régionalismes dans les États-nations plus anciens à l'Ouest[16].
Au XXIe siècle, la France et quelques autres États européens possèdent encore des territoires dans l'océan Indien et l'océan Pacifique qui constituent des points d'appui stratégiques importants pour projeter leur puissance dans les zones de conflits hors d'Europe et pour protéger leurs communications maritimes, vitales pour leurs économies, dès lors qu'elles ne possèdent sur leurs territoires qu'une faible partie des ressources énergétiques et des matières premières qu'elles consomment[17].
Région / Pays [note 4] |
Population[18] |
PIB[2] |
PIB/hab.[19] |
Indice de démocratie (IND)[20] |
Indice de dévelopt. humain (IDH)[21] | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
M. Hab. | % | 109 $ | % | $ PPA | ||||
Total Europe (49 États) | 844 | 10,5 % | 26 792 | 25,4 % | 46 756 | 7,19 | 0,877 | |
Union européenne | 449 | 5,6 % | 18 349 | 17,4 % | 53 789 | 7,90 | 0,903 | |
États-Unis | 335 | 4,2 % | 27 361 | 26,0 % | 82 769 | 7,85 | 0,927 | |
Chine | 1 411 | 17,6 % | 17 795 | 16,9 % | 24 569 | 2,12 | 0,788 | |
Total monde | 8 025 | 100,0 % | 105 435 | 100,0 % | 23 034 | 5,69 | 0,739 | |
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L'Europe[note 5] ne domine plus le monde. En 2023, la population de l'Europe représente 10,5 % de la population mondiale, contre 13,1 % en 2000. Elle produit encore 25,4 % de la richesse mondiale, une proportion en baisse, comme celle de l'Amérique du Nord, passée de 32,5 % en 2000 à 28,0 %, tandis que celle de la zone Asie-Pacifique (APAC) est en hausse à 29,2 %. Si la tendance est inquiétante, conduisant certains auteurs à parler de « déclin européen », l'Europe demeure une puissance économique considérable et se place au premier rang mondial en matière de commerce international, devant l'Asie Pacifique et l'Amérique du Nord[22],[23]. Les États-Unis et l'Asie investissent davantage dans la recherche que l'Europe[24]. Malgré ce relatif déclassement, l'Europe concentre encore au XXIe siècle quatre ou cinq des dix plus grandes puissances économiques et militaires du monde (Allemagne, Royaume-Uni, France et Russie ou Italie selon l'indicateur considéré), et neuf des vingt premières[note 6],[25],[26].
L'Europe politique est fragmentée en une cinquantaine de pays. Mais l'Europe est aussi le seul continent qui développe, via l'Union européenne, une intégration avancée entre des pays qui représentent 53 % de sa population et 68 % de sa richesse en 2023. Amorcée en 1951 par la création de la CECA, l'intégration européenne s'est depuis lors étendue à de nombreux secteurs économiques. À partir de 1992 avec la fondation de l'UE, le projet d'intégration a pris une dimension politique et monétaire plus marquée. La création de l'Euro et la fondation de la Banque centrale européenne font de l'UE un acteur important de la finance mondiale. Son poids géopolitique est attesté par sa participation à de nombreuses organisations internationales, sans toutefois qu'elle soit membre à part entière de l'ONU[27] ou du FMI[28]. Après l'échec de la Communauté européenne de défense (CED) et de la Communauté politique européenne en 1954, la construction européenne s'est concentrée sur les politiques économiques et de développement régional. Jusque dans les années 2010, les avancées de l'intégration européenne au sein de l'UE ont davantage répondu à des considérations géoéconomiques qu'à une stratégie de puissance géopolitique[29]. L'UE s'est construite en prenant un modèle normatif et une approche négociée multilatérale des relations internationales[30]. Elle a privilégié le soft power et n'a pas fait sienne une politique de puissance[31].
Affiché par Ursula von der Leyen lors de sa nomination à la tête de la Commission européenne en 2019[32], le virage géopolitique de l'UE s'est considérablement accéléré depuis le début de l'invasion russe en Ukraine en février 2022[29]. Celle-ci a catalysé des décisions fortes inconnues jusqu'alors en matière de sanctions contre la Russie, de soutien militaire à l'Ukraine et de révision de la politique énergétique[33],[34]. Toutefois, l'unanimité requise pour la plupart des décisions de nature géopolitique demeure un frein à ce que l'UE s'affirme complètement comme une puissance à part entière.
Les royaumes et empires européens ont dominé le monde des siècles durant, du sacre de Charlemagne à la Première Guerre mondiale. La géopolitique européenne demeure largement conditionnée par cette longue et glorieuse histoire. C'est particulièrement vrai de la relation complexe de la Russie[35] et de la Turquie avec les autres puissances européennes où s'entremêlent les facteurs politiques, culturels et religieux. Ce l'est aussi des liens établis durant le XXe siècle entre les États-Unis et leurs alliés européens pour former le « monde occidental », qui demeure un facteur prédominant de la géopolitique mondiale au XXIe siècle, quoique de plus en plus ouvertement contesté par les puissances émergentes. À ces deux ressorts fondamentaux hérités de l'histoire, s'ajoutent au XXIe siècle trois phénomènes majeurs : l'absence d'architecture de sécurité européenne, le retour des États d'Europe du Centre-Est sur l'échiquier géopolitique, et la fin de l'état de paix en Europe faisant suite au conflit opposant la Russie à l'Ukraine.
Héritières d'empires pluriséculaires, la Russie et la Turquie ont historiquement toujours entretenu une relation complexe avec les autres puissances européennes, dont leurs identités nationales sont proches à certains égards mais aussi très différentes.
Depuis l'ouverture vers l'Ouest voulue par Pierre le Grand au XVIIIe siècle, la place de la Russie en Europe a, selon G.-H. Soutou, toujours fait débat entre « slavophiles » porteurs d'une spécificité russe irréductible et « occidentalistes » partisans de l'intégration de la Russie à l'Europe[36]. Avec l'expansion de l'Empire, la Russie se situe en Europe pour sa partie historique et la plus peuplée mais aussi en Asie jusqu'au Pacifique pour la plus grande partie de son territoire. Cette situation est à l'origine du mouvement eurasien qui naît dans les années 1920 et revient en force au XXIe siècle pour les partisans du refus de l'alignement sur l'Occident et d'une alliance forte avec la Chine[36]. L'URSS parvient à conserver quasi-intactes les frontières de l'Empire et la guerre froide la pose en grande puissance rivale des États-Unis. La chute des régimes communistes en Europe et la dislocation de l'URSS mettent fin à la fracture de l'Europe en deux blocs et redonne une place aux États d'Europe du Centre-Est dans la géopolitique européenne. Même réduite aux limites de la RSFS de Russie, la Russie demeure le pays le plus peuplé d'Europe, le plus vaste du monde et dispose d'immenses ressources naturelles. En tant qu'État continuateur de l'URSS, elle est membre permanent du Conseil de sécurité et dispose du plus grand arsenal nucléaire au monde[37]. Ces atouts lui permettent de s'affirmer comme un acteur majeur de la géopolitique mondiale.
Héritière de l'Empire ottoman, dont le territoire a longtemps englobé le Caucase et les bords de la mer Noire, la Turquie occupe une position stratégique aux confins de l'Europe et de l'Asie, symbolisée par Istanbul — autrefois Byzance puis Constantinople — située de part et d’autre du détroit du Bosphore. Aux XVIe et XVIIe siècles, l'Empire ottoman s'étend sur une large partie de l'Europe orientale et exerce une influence prépondérante en Méditerranée. En 1839, le sultan Abdülmecid lance une ère de réformes, le Tanzimat, afin de moderniser le vaste Empire sur le modèle européen. La Turquie moderne voit le jour à partir de 1923 sous l'impulsion de Mustafa Kemal, dit Atatürk (le Père des Turcs)[38]. Le pays met en place une république laïque, abandonne l'écriture arabe au profit de l'alphabet latin et octroie le droit de vote aux femmes en 1934[39]. Lorsqu'émerge la guerre froide, la Turquie se rapproche des pays occidentaux et rejoint l'OTAN en 1952. Elle demande à être associée à la CEE dès 1959, puis elle obtient le statut de pays candidat à l'UE en 1999. Mais les rapports ambigus entre la Turquie et l'UE font alterner phases de progrès et coups d'arrêt au processus de négociation des conditions de son adhésion à l'UE[40],[38].
Lorsque la guerre froide s'installe, les États-Unis adoptent une politique d'endiguement du communisme dont le volet de géostratégie militaire est largement inspiré par des théoriciens « classiques » de la géopolitique. Mackinder soutient que l'opposition géopolitique entre puissances continentales et puissances maritimes est une constante. Sa thèse est que le « Heartland » qu'il situe en Russie occidentale est le pivot géographique de l'histoire, foyer des conflits résultant des tentatives des puissances continentales de dominer les débouchés littoraux, le « Rimland », qui s'étend des côtes européennes au Moyen-Orient, à l'Inde et à l'Extrême-Orient[41]. Son contemporain, Spykman, reprend la théorie du Heartland, mais considère que le « Rimland » offre un potentiel économique et démographique et donc de pouvoir plus important que le « Heartland » de par ses caractéristiques géographiques également plus propices au développement[42]. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis tissent un réseau d'alliances militaires qui vise à dominer les océans et à empêcher l'URSS de prendre le contrôle des régions périphériques — au premier rang desquelles l'Europe —qui lui permettrait un accès à leurs ressources et à leurs espaces maritimes libres de glace toute l'année[43].
Cette stratégie visant à assurer la primauté américaine en Eurasie n'est fondamentalement pas remise en cause par la fin de la guerre froide[45],[46]. En réponse au choc causé par les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis pratiquent une politique interventionniste et déploient leur puissance militaire en Afghanistan et au Moyen-Orient, le plus souvent avec le concours de leurs alliés européens[47]. Dans le même temps, les États-Unis et les États d'Europe de l'Ouest agrègent les pays d'Europe du Nord et du Centre-Est dans le monde occidental, via l'élargissement de l'OTAN[48] et de l'UE[49]. À partir du milieu des années 2000, la Russie, la Chine et d'autres puissances émergentes s'opposent de plus en plus ouvertement à l'hégémonie et à l'unilatéralisme des Occidentaux[50]. Des organisations alternatives de celles créées par les Occidentaux aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale voient le jour, parmi lesquelles les BRICS+[51] et l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS)[52]. Un partenariat stratégique se forme entre la Russie et la Chine[53]. La Russie retrouve peu à peu à partir de la fin des années 2000 un rôle significatif dans la géopolitique mondiale[54]. Elle adopte une politique de puissance qui n'exclut plus le recours à la guerre en Europe, après des décennies sans guerre interétatique[55]. Les sanctions et désordres économiques résultant de la rupture entre Moscou et les capitales occidentales affectent durement l'Union européenne dont la dépendance à l'égard des États-Unis pour sa sécurité et le déclin relatif limitent les marges de manœuvre et qui se retrouve ainsi au cœur de la remise en cause de la suprématie du monde occidental avec moins d'atouts que les États-Unis pour y répondre[56].
La notion de Sud global est devenue courante dans le vocabulaire géopolitique, bien qu'elle soit inexacte sur le plan géographique et qu'elle agrège des pays bien différents[57],[58]. Toutefois, cette notion symbolise le rejet de plus en plus massif de l'ordre démocratique libéral occidental accusé d'hégémonie, de néocolonialisme et d'hypocrisie[59]. Durant les vingt années qui suivirent la fin de la guerre froide, le monde occidental s'est étendu vers les pays de l'Est où des régimes démocratiques et des économies libérales succèdent au système soviétique[60]. Dans le même temps, les Occidentaux se sont montrés incapables de guider le Moyen-Orient vers la paix[61], ont du faire face à l'islamisme politique et se sont trouvés confrontés à la volonté d'émancipation des puissances émergentes[29].
De manière constante depuis 1945, la stratégie géopolitique des États européens occidentaux repose sur la foi dans le multilatéralisme et dans la promotion du modèle démocratique libéral[62]. L'élargissement de l'UE vers l'Est semble durablement valider ce choix. Mais la possibilité que la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie puissent s'inscrire dans cette stratégie disparaît des agendas géopolitiques à partir du début des années 2000[63]. Comme au temps de la guerre froide et de la CSCE, le développement des échanges commerciaux et de coopérations de toutes natures paraît être une alternative crédible à une intégration ou à une alliance en bonne et due forme. L'Allemagne en particulier, en continuité avec l'Ostpolitik des années 1970, construit délibérément sa dépendance énergétique au gaz naturel et pétrole russes en échange de débouchés pour son industrie[64].
L'orientation antioccidentale de la Russie, que Vladimir Poutine affiche ouvertement depuis son discours de Munich en 2007[65],[66], le conduit progressivement à déclencher le 24 février 2022 « l'opération militaire spéciale » en Ukraine, à la suite de crises successives et de malentendus entre les parties prenantes. Cette opération, grâce à la résistance des Ukrainiens et au soutien que l'OTAN leur apporte[67], devient très vite une guerre russo-ukrainienne de grande ampleur qui marque une rupture sans précédent depuis 1945 entre les Occidentaux et la Russie et constitue sur le territoire même européen un changement radical du contexte géopolitique en cette fin de premier quart du XXIe siècle[68].
L'OTAN est créée en 1949 pour assurer la sécurité de l'Europe occidentale durant la guerre froide[69]. En contrepoint, la diplomatie soviétique œuvre constamment à la mise sur pied d’une organisation de sécurité régionale paneuropéenne, sans les États-Unis. La tenue de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) en 1975 pour laquelle l'URSS milite depuis les années 1950 est finalement rendue possible après que Brejnev accepte la participation des États‑Unis et du Canada[70]. La fin de la guerre froide met la CSCE, dont tous les États d’Europe sont membres, en bonne position pour jouer un rôle clé dans l’établissement d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe. Entre 1992 et 1995, les négociations aboutissent à la transformation de la Conférence en une organisation permanente, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui serait garante de la sécurité en Europe[71].
Mais les discussions s’enlisent dès lors que la Russie demande à pouvoir agir unilatéralement dans les pays de l’ex-URSS si ses intérêts sont menacés. Les déclarations d’Eltsine et d’autres dirigeants russes en 1994 selon lesquelles la protection des Russes vivant dans l’ex-URSS peut justifier une intervention militaire alarment particulièrement les pays baltes et l’Ukraine[72]. La Russie propose en 2009 lors de la Conférence annuelle d’examen des questions de sécurité à l’OSCE, la conclusion d’un « Traité sur la sécurité en Europe », comme Molotov l’a déjà fait en 1954. Cette initiative qui vise à diviser les Occidentaux n'aboutit pas[73],[74]. L’OSCE joue un rôle limité aux sujets sur lesquels la Russie et les principales puissances occidentales trouvent un accord. Ainsi, l'OSCE est chargée de surveiller les accords de Minsk relatifs au Donbass en Ukraine orientale, de 2014 à 2022[75],[76]. L'OSCE demeure cependant le seul cadre multilatéral susceptible de réunir toutes les parties concernées par les questions de sécurité en Europe, voire de faciliter le règlement du conflit russo-ukrainien[77].
Lorsque la guerre froide prend fin, les Occidentaux décident de pérenniser l'OTAN[78]. Depuis 1999, l'OTAN s'est progressivement étendue aux États d'Europe du Centre-Est à l'exception de la Biélorussie et de l'Ukraine[48]. La Russie n’accepte pas que l’OTAN soit devenue au fil de ses élargissements l'organisation de sécurité dominante en Europe, sans qu'elle n'y dispose d'un droit de regard sur ses décisions. La décision de principe, prise lors du sommet de l'OTAN en 2008[79], que l'Ukraine et la Géorgie deviendraient membres de l'OTAN amorce la rupture entre la Russie et les Occidentaux. Depuis avril 2014, en conséquence de l'annexion de la Crimée, toute coopération pratique entre l’OTAN et la Russie est suspendue[80]. Toutefois, le Conseil OTAN-Russie (COR), créé en 2002, continue de se réunir jusqu'en janvier 2022[81].
L'UE devient aussi, progressivement et modestement jusque dans les années 2020, un acteur de la sécurité européenne. Le traité de Maastricht (1992) pose les bases d'une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui est sensiblement renforcée par le traité de Lisbonne (2007) avec l'instauration de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). La PSDC possède les caractéristiques classiques d'une alliance de défense à travers une clause d'assistance entre les États membres de l'UE[note 7]. Dans l'esprit des États membres de l'UE, l'OTAN demeure le pilier de leur sécurité collective. Cependant la PSDC constitue un cadre leur permettant de s'affirmer sur le plan géopolitique s'ils en ont la volonté. Ursula von der Leyen, à peine nommée présidente de la Commission européenne en 2019, affirme son ambition de « bâtir une Commission vraiment géopolitique »[82]. La détérioration des relations entre la Russie et l'UE suit depuis le début de la crise ukrainienne un chemin parallèle à celle entre la Russie et l'OTAN. Les craintes suscitées par la Russie et l'élection de Donald Trump en 2024 stimulent le développement de l'UE comme « espace puissance » davantage en capacité d'assurer sa sécurité[83].
Durant la guerre froide, les États satellites de l'URSS pèsent peu sur la scène internationale. Leur fiabilité politique limitée et leurs difficultés économiques pénalisent l'URSS, mais ils jouent leur rôle de glacis sécuritaire sur sa frontière européenne. Lorsque le système soviétique s'écroule entre 1989 et 1991, ils se tournent sans hésiter vers l'Ouest, ayant été victimes de la puissance russe depuis des décennies et même depuis des siècles pour la Pologne. Leur entrée et celle des pays baltes dans l'UE, entre 2003 et 2005 au terme d'un long processus, témoigne de leur retard économique et de la persévérance dont ils ont fait preuve pour vaincre les réticences de ses membres[84].
Désormais membres de l'UE, mais aussi de l'OTAN, les pays d'Europe de l'Est affirment à partir du milieu des années 2010 leurs spécificités, notamment en matière de politique d'immigration de l'UE ou de relations avec la Russie. Ces pays demeurent méfiants voire hostiles à l'égard de la Russie et n'adhèrent pas à la politique de négociation avec Moscou menée par Berlin et Paris, en particulier concernant l'Ukraine[85]. La Stratégie de Sécurité nationale de la République de Pologne de 2020 considère que « la menace la plus préoccupante est la politique néo-impériale des autorités de la Russie, menée également au moyen de la force militaire »[86]. La question de la menace russe fait l'objet d'un fort consensus national sur lequel le gouvernement polonais s'appuie pour conduire un programme de réarmement massif depuis l'annexion de la Crimée en 2014[86]. Par ailleurs, la Pologne et la Roumanie accueillent sur leur sol une base du système de défense antimissile de l'OTAN[87], dénoncé par la Russie comme une menace à la stabilité stratégique[88].
Jusqu'au déclenchement de l'invasion de l'Ukraine en 2022, les principales puissances occidentales ont donné la priorité aux relations avec Moscou. Depuis lors, les pays baltes et les anciens pays satellites jouent un rôle moteur dans le soutien de l'UE à l'Ukraine et dans la remilitarisation du flanc Est de l'OTAN[89]. À l'exception de la Hongrie plus conciliante avec Moscou, ces pays considèrent que la sécurité en Europe ne peut pas se construire en coopération avec la Russie, alors que l'Allemagne et la France demeurent convaincus de la nécessité de rechercher des accords avec Moscou[90].
La notion de puissance a longtemps été assimilée à la seule puissance militaire. La Seconde Guerre mondiale a mis en évidence que la géographie et le puissance économique en sont aussi des facteurs déterminants : les États-Unis comme l'URSS ont tiré parti d'un immense territoire en totalité ou en partie sanctuarisé, où la production d'armes a pu se développer à l'abri, et d'une population nombreuse. Au XXIe siècle, la puissance est devenue fonction d'autres facteurs plus diffus et complexes à évaluer qui conditionnent aussi la géopolitique européenne : la capacité d'innovation technologique, la résilience face à bouleversements imprévus comme la pandémie de Covid-19, les interdépendances économiques dans un monde globalisé, l'évolution démographique, la maîtrise des médias numériques de masse[91]. Sur ces critères, les États-Unis et certaines grandes puissances émergentes, au premier rang desquelles la Chine et l'Inde, sont en avance par rapport aux États européens, dont les politiques multilatéralistes n'ont pas permis de compenser complètement les limites de leurs moyens individuels[24].
Depuis le début du XXIe siècle et jusqu'en 2022, les États européens ont été principalement engagés dans des conflits militaires intraétatiques internationalisés[note 8] en dehors du territoire européen. La Russie est intervenue en Géorgie, en Ukraine et en Syrie[92]. La France et le Royaume-Uni ont mené des opérations extérieures importantes en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, au Moyen-orient ou en Afrique, notamment afin de lutter contre les mouvements islamistes Al-Qaïda et Daech[92],[93],[94].
La guerre déclenchée par la Russie contre l'Ukraine en février 2022 change radicalement le contexte géopolitique européen[68]. Le soutien apporté à l'Ukraine par les Occidentaux empêche les Russes d'obtenir un succès décisif rapide[95]. Cette guerre met fin à une ère de sécurité en Europe et replace la dissuasion nucléaire au premier plan des jeux de puissance. Elle met en évidence la faiblesse militaire des États européens occidentaux et la persistance de leur dépendance à l'égard des États-Unis pour leur sécurité. Les conséquences militaires, diplomatiques et économiques de ce conflit sont considérables[96].
Sur le plan militaire, ce conflit de haute intensité dans lequel des moyens colossaux sont mis en œuvre par les deux belligérants directs, conduit la plupart des gouvernements européens à augmenter nettement leur budget de défense[97],[26],[98]. L'effort de guerre de la Russie et de l'Ukraine se traduit par une explosion de leurs dépenses militaires et par le passage à une économie de guerre.
Sur le plan diplomatique, cette guerre précipite l'élargissement de l'OTAN à la Suède et à la Finlande, qui mettent fin à leur neutralité[99]. L'Ukraine obtient le statut de candidat à l'UE en juin 2022 et les négociations relatives à son adhésion sont officiellement ouvertes en juin 2024[100]. En revanche, les États-Unis refusent que l'Ukraine entre dans l'OTAN à court terme. Lors des sommets de l'OTAN à Vilnius en 2023 et à Washington en 2024, aucun calendrier d'ouverture de négociations à cet effet n'est fixé[101],[102]. Dans le même temps, Moscou renforce ses liens avec la Chine, la Corée du Nord et l'Iran et s'implante davantage en Afrique aux dépens de Paris[103].
Dans le domaine économique, les répercussions du retour de la guerre en Europe sont considérables. L'UE réoriente sa politique énergétique pour pallier la perte de l'accès au gaz et au pétrole russe[104]. La Russie redéploie son commerce extérieur vers la Chine et le Sud global afin de contourner les sanctions occidentales[105].
L'Europe est la région du monde qui compte le plus grand nombre d'organisations internationales de coopération et qui atteint le niveau d'intégration le plus élevé à travers l'Union européenne[106]. De par ses caractéristiques institutionnelles et juridiques, l'UE est la structure multilatérale qui se rapproche le plus d'un État fédéral que toute autre[note 9],[107]. Ces organisations ont souvent été créées durant la guerre froide, soit du côté occidental comme c'est le cas de l'OTAN, de la CEE, ou de l'OCDE, soit dans l'optique des politiques de détente et de coopération entre l'Ouest et l'Est comme c'est le cas de la CSCE devenue l'OSCE[108]. De son côté, la Russie a fondé de nouvelles organisations, parmi lesquelles l'Union économique eurasiatique (UEE ou UEEA) et l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), pour recréer sa zone d'influence qui s'est réduite comme peau de chagrin par l'effondrement du système soviétique et pour contrer l'expansion du système occidental à laquelle elle n'est pas pleinement associée.
Organisation | Nombre membres | Pays de l'UE |
Russie | Turquie | |
---|---|---|---|---|---|
1989 | 2024 | ||||
UE 27 | 12 | 27 | |||
OTAN | 16 | 32 | 23 sur 27 | ||
OCDE | 24 | 36 | |||
OSCE | 32 | 57 | |||
Conseil de l'Europe | 23 | 46 |
Depuis la fin de la guerre froide, la plupart des organisations paneuropéennes créées durant la guerre froide accueillent de nombreux nouveaux membres afin de favoriser la sécurité, la stabilité politique et le développement économique du continent européen. Deux de ces organisations, le Conseil de l'Europe et l'OSCE, rassemblent la quasi-totalité des États d'Europe. Cet universalisme leur permet d'être des lieux d'échanges entre tous les pays mais limite aussi par construction leurs possibilités d'action dès lors qu'elles fonctionnent sur un principe d'unanimité.
L'intégration de la Russie dans le système institutionnel européen et occidental demeure partielle : outre le fait qu'elle n'est volontairement pas engagée dans un processus d'adhésion à l'UE, elle n'est membre ni de l'OTAN, ni de l'OCDE. Elle a toutefois établi avec ces deux institutions un « partenariat » qui permet de nombreux échanges mais sans qu'elle bénéficie d'un droit de vote sur les décisions. Ces instances de dialogue et de coopération entre le monde occidental et la Russie continuent de fonctionner malgré l'aggravation des tensions enregistrées depuis 2014.
Fondé en 1949, le Conseil de l'Europe est la plus ancienne organisation intergouvernementale européenne. Il agit principalement pour la sauvegarde des droits de l'homme et pour les valeurs démocratiques, à travers notamment la Cour européenne des droits de l'homme. La Turquie en devient membre dès 1950, afin de l'arrimer au camp occidental, sans réellement prendre en considération sa politique des droits de l'homme. Entre 1990 et 1996, tous les pays d'Europe de l'Est et du Nord de l'ancien bloc soviétique, à l'exception de la Biélorussie, en deviennent membres. La Russie, dont l'adhésion est freinée par la guerre de Tchétchénie, finit par être admise au Conseil de l'Europe en 1996, bien qu'elle soit loin de respecter tous les critères en matière de respect des droits de l'homme. Durant la décennie 1990, la volonté politique des dirigeants occidentaux d'associer la Russie est la plus forte[109],[110]. Le Conseil de l'Europe comptait 47 membres début 2022, la Biélorussie n'en faisant pas partie en raison de son régime dictatorial et le Vatican jouissant d'un statut d'observateur. Par une décision du comité des Ministres du 16 mars 2022, la Russie cesse d’en être un Etat membre[111].
La coopération entre l’OCDE et la Russie démarre en 1992. En 1996, la Russie demande à en devenir membre. En 2007, l'OCDE approuve une « feuille de route » pour l'adhésion de la Russie. Par décision de son Conseil de gouvernance en , l'OCDE reporte sine die les activités liées au processus d'adhésion de la fédération de Russie, et dans le même temps décide de renforcer davantage la coopération existante entre l'OCDE et l'Ukraine[112],[113]. Dans le même temps, les négociations menées en parallèle depuis 1994 pour l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) aboutissent en 2012[114].
Le sommet annuel des « principales puissances économiques démocratiques »[115],[116], le G7, devient en 1998 le G8 avec l'entrée de la Russie[117],[note 10]. Mais, la Russie en est exclue depuis 2014 à la suite des évènements de Crimée et d'Ukraine.
L’origine de l’OSCE, créée en 1994, remonte à la détente durant la guerre froide au début des années 1970, lorsque la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) est constituée pour servir d’instance multilatérale de dialogue et de négociation entre les blocs de l’Est et de l’Ouest. L'action de l'OSCE qui vise à assurer la paix et la sécurité en Europe, s'appuie notamment sur les principes de l’Acte final d’ Helsinki (1975) et de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe[118]. L'OSCE s'élargit entre 1991 et 1993 à tous les nouveaux États issus de la dislocation de l'URSS. Tous les États d'Europe en sont membres, ainsi que les cinq États d'Asie centrale, la Mongolie, le Canada et les États-Unis. En matière de sécurité, l'OSCE intervient dans les domaines de la maîtrise des armements, de la prévention et du règlement des conflits, de lutte contre le terrorisme[119]. Pour ce faire, l’OSCE met en œuvre des opérations de terrain en Europe du Sud-Est, en Europe orientale, dans le Caucase du Sud et en Asie centrale[120].
Dès sa mise en route en 1994, l'élargissement de l'OTAN est un sujet de désaccord entre l'Occident et la Russie qui ne veut pas être un pays européen parmi les autres mais demeurer sur un pied d'égalité stratégique avec les États-Unis, comme durant les années 1970 quand Brejnev et Nixon présidaient aux destinées du monde[121]. Mais tous les pays de l'ancien bloc de l'Est et de l'ex-URSS considèrent que seule l'OTAN peut leur apporter les garanties de sécurité dont ils estiment avoir besoin faute de certitude sur l'évolution à long terme de la Russie[122]. Les élargissements de 1999 et de 2004 mettent fin à tout espoir pour la Russie de retrouver son rang de partenaire stratégique privilégié dans l'architecture européenne de sécurité existante. La Russie fait alors le choix à partir de 2007 d'adopter une posture géopolitique offensive. Établi en 2002, le Conseil OTAN-Russie continue d'exister bien que l'OTAN ait suspendu toute coopération pratique avec la Russie depuis 2014[123]. Des réunions périodiques au niveau des ambassadeurs ou des chefs d'état-major permettent cependant de garder ouverts les canaux de communication civils et militaires jusqu'à l'invasion de l'Ukraine en 2022[124],[note 11]. Toute relation entre l'OTAN et la Russie est depuis lors interrompue[80].
La disparition de l'Union soviétique le et la naissance de l'Union européenne par le traité de Maastricht du fondent un cadre géopolitique radicalement nouveau en Europe au début des années 1990. L'Union européenne dont un des piliers fondateurs est l'adoption d'une « politique étrangère et de sécurité commune », la PESC, met sur pied dans l'urgence une politique à l'égard de la Russie et des États de l'Est avec lesquels les Communautés européennes n'avaient que peu de relations institutionnelles. La stratégie générale adoptée par l'UE vise à accompagner l’adoption par les États post-soviétiques d’un ensemble de normes fondé sur la démocratie, les droits de l’homme et l’économie de marché[125]. En pratique, l'UE conçoit de nouveaux types d'accords, les « accords de partenariat et de coopération » (APC) dans lesquels les volets commerciaux et économiques sont complétés par un volet politique par lequel les États signataires souscrivent à certains engagements politiques en matière de droits de l’homme, d'application des principes relatifs à l'État de droit et à la démocratie[125].
La négociation de l'APC entre la Russie et l'Union européenne débute en 1992. Les deux parties peinent à s'entendre sur le volet politique relatif aux valeurs démocratiques, un compromis est finalement trouvé en . Le déclenchement en de la première guerre menée par les Russes dans leur province sécessionniste de Tchétchénie entraîne la suspension du processus de ratification de l'accord. L'accord de partenariat et de coopération entre la Russie et l'Union européenne entre finalement en vigueur le [126],[125].
L'UE conclut ensuite un APC en 1998 avec l'Ukraine et la Moldavie, et en 1999 avec six États du Caucase et d'Asie centrale nés de la disparition de l'URSS[127].
Région / Pays | CEI | OTSC | UEE(A) | OCS |
---|---|---|---|---|
Europe de l’Est | ||||
Biélorussie | 1991 | 1992 | 2015 | 2024 |
Moldavie | 1991 | |||
Russie | 1991 | 1992 | 2015 | 2001 |
Ukraine | 2018 | |||
Asie occidentale (Caucase) | ||||
Arménie | 1991 | 1992 | 2015 | |
Azerbaïdjan | 1991 | 1999 | ||
Géorgie | 2008 | 1999 | ||
Asie centrale | ||||
Kazakhstan | 1991 | 1992 | 2015 | 2001 |
Kirghizistan | 1991 | 1992 | 2015 | 2001 |
Ouzbékistan | 1991 | 2012 | 2001 | |
Tadjikistan | 1991 | 1992 | 2001 | |
Turkménistan | ||||
Asie de l’Est et du Sud / Moyen Orient | ||||
Chine | 2001 | |||
Inde | 2017 | |||
Iran | 2023 | |||
Pakistan | 2017 |
La Russie ne peut résister dans les années 1990 à l'élargissement vers l'Est des institutions dominées par les Occidentaux. Elle tente de le contrebalancer par des initiatives dans la zone eurasiatique en direction d'anciennes républiques soviétiques et de pays d'Asie. Les principales organisations créées dans cette optique et toujours en activité en 2018, sont la Communauté des États indépendants (CEI), l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), l'Union économique eurasiatique (UEE ou UEEA) et l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Moscou s'appuie sur ces nombreuses structures multilatérales pour régénérer sur le plan international son influence et son rayonnement, sensiblement amoindris depuis l’éclatement de l’URSS.
Concomitamment avec la dissolution de l'Union soviétique, la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie créent la CEI[128] en par le traité de Minsk. Huit autres anciennes républiques soviétiques du Caucase et d'Asie centrale rejoignent la CEI lors du sommet d'Alma-Ata (actuelle Almaty)[129]. Quelques mois plus tard, en , neuf de ces onze États signent un traité de sécurité collective, donnant naissance à l'OTSC, seules la Moldavie et surtout l'Ukraine faisant exception. La Géorgie se retire de la CEI en 2008 à la suite du bref conflit armé qui l'oppose à la Russie pour le contrôle de sa province séparatiste d'Ossétie du Sud. L'Ukraine en fait autant en 2018 en raison des interventions russes en Crimée et dans le Donbass.
Dans le domaine de la coopération économique et du libre-échange, l'Union économique eurasiatique (UEE ou UEEA) remplace en 2015 la Communauté économique eurasiatique (CEEA). Conçue par V. Poutine comme un moyen de faire barrage aux contrats d'association proposés par l'UE, l'UEEA compte cinq membres à sa fondation en 2015, la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan[130]. L'Ukraine choisit finalement de ne pas y adhérer et de signer un accord d'association avec l'UE, décision qui constitue le point de départ de la crise ukrainienne. L'Inde et le Pakistan négocient des accords de libre-échange avec l'UEEA en 2017 et 2018.
En Europe de l'Est, la zone d'influence russe s'est fortement réduit. La Biélorussie est le seul État allié indéfectible de la Russie. Membre de la CEI, de l'OTSC et de l'UEEA , elle est aussi liée à la Russie par de forts accords bilatéraux. Sa frontière ouest avec la Pologne, la Lituanie et la Lettonie est stratégique pour la Russie qui stationne des troupes sur le sol biélorusse. La rupture entre la Russie et l'Ukraine fait de la Biélorussie le dernier état « tampon » face au territoire des États membres de l'OTAN. Le président biélorusse Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, fait face depuis sa réélection contestée du 9 août 2020 à d'importantes manifestations qui obligent Moscou à lui renouveler un soutien sans faille[131] et conduisent l'UE à prendre des sanctions[132].
La Moldavie, pays de 3,5 millions d'habitants, entre la Roumanie et l'Ukraine, de moindre importance stratégique, est partagée entre fidélité à la Russie et volonté de se rapprocher de l'UE avec laquelle elle signe un accord de partenariat en 2014.
L'Arménie, géographiquement aux marges de l'Europe dans le Caucase et dépendante de la Russie, s'en rapproche dans les années 2013 à 2015 et devient membre de l'UEEA[133]. Cependant, elle négocie en 2016 et 2017 un nouvel accord de coopération avec l'UE[134].
En marge des organisations animées par les grandes puissances régionales, quatre États de l'ex-Union soviétique, la Géorgie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie, forment l'Organisation pour la démocratie et le développement, dite GUAM, d'orientation plutôt pro-occidentale[135].
Pour contrecarrer sa perte d'influence en Europe, et ne pas laisser le champ libre à la Chine en plein développement, la Russie initie une nouvelle alliance de sécurité collective avec la Chine et ses alliés traditionnels d'Asie centrale. Une première étape est franchie en avec la constitution du « Forum de Shanghai » par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan et la signature des « accords visant à renforcer la confiance dans le domaine militaire dans la région de la frontière ». L'année suivante, les cinq signent un « accord sur la réduction conjointe des forces militaires dans les régions frontalières ». Il s'agit en premier lieu pour Moscou et Pékin de mettre fin aux tensions sur leur longue frontière qui existaient depuis 1964, et en second lieu de stabiliser la région d'Asie centrale considérée comme un enjeu commun de sécurité au regard notamment de la montée des phénomènes terroristes et extrémistes dans la région.
En 2001, les cinq sont rejoints par l'Ouzbékistan et transforment le forum en une organisation structurée de coopération dans de nombreux domaines dont la priorité demeure la sécurité collective, et la lutte contre le terrorisme, les séparatismes et les extrémismes[136],[52]. L'Inde et le Pakistan rejoignent l'OCS en 2017[137].
L’OCS a été créée pour des raisons sécuritaires et économiques strictement régionales et non comme un outil d'opposition à la présence des États-Unis en Asie. Cependant, l’OCS est utilisée, de manière croissante, tant par Moscou que par Pékin, comme un vecteur pour limiter « l’expansionnisme politique » américain, sur la scène internationale[52]. Elle sert largement les intérêts de Moscou en ce qu'elle pérennise son influence en Asie centrale et lui permet de ne pas laisser Pékin développer seule une politique de leadership régional. Ce dernier facteur explique l'insistance des Russes à ce que l'Inde et le Pakistan rejoignent l'OCS, ce qui advient finalement en 2017[138]. Les adhésions de l’Inde et du Pakistan en 2021 puis de l’Iran en 2023 accentuent l'évolution de l'OCS vers une organisation multilatérale à vocation globale qui aborde les grands problèmes mondiaux dans un sens antioccidental. Lors du sommet de l'OCS en 2024, la Biélorussie, soutien inconditionnel de la Russie, en devient le dixième membre[139].
Europe 49 | Population | PIB | |||
---|---|---|---|---|---|
Pays ou entité |
(106) (2023) [18] |
% | (109 $) (2023) [2] |
% | |
Union européenne | 449 | 53 % | 18 349 | 68 % | |
Allemagne | 84 | 10 % | 4 456 | 17 % | |
France | 68 | 8 % | 3 031 | 11 % | |
Italie | 59 | 7 % | 2 255 | 8 % | |
Royaume-Uni | 68 | 8 % | 3 340 | 12 % | |
Russie | 144 | 17 % | 2 021 | 8 % | |
Turquie | 85 | 10 % | 1 108 | 4 % | |
Autres pays d'Europe | 97 | 11 % | 1 974 | 7 % | |
Total Europe 49 | 844 | 100 % | 26 792 | 100 % |
L'Union européenne et ses grandes démocraties occidentales qui en sont le moteur, le Royaume-Uni sorti de l'UE en 2020, la Russie et la Turquie sont les quatre pôles de puissance en l'Europe : ils en détiennent l'essentiel de la population et de la richesse économique, ils exercent de par ces atouts et aussi de par leur histoire une grande influence politique auprès des autres pays d'Europe ou des régions proche-orientales ou asiatiques à proximité, enfin ils possèdent la quasi-totalité des moyens militaires d'Europe.
Ce premier pôle est, d'un point de vue démographique et économique, de loin au premier rang en Europe. Il s'articule autour d'un noyau d'États parmi les plus riches d'Europe : l'Allemagne, la France, l'Italie, qui jouent un rôle déterminant dans la construction de l'UE et la définition de ses orientations géopolitiques. Ces trois États totalisent près de la moitié de la population (47 % en 2023) et plus de la moitié du PIB (52 %) des 27 États membres de l'UE. Leur poids dans le monde est aussi le résultat de leur alliance historique avec les États-Unis et le Royaume-Uni avec lesquels ils forment le monde occidental, dont l'unité s'est presque toujours vérifiée dans les situations de crise géopolitique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale[note 12].
Dans un discours prononcé en 2014, la chancelière A. Merkel affirme que « l'intégration européenne – qui nous a apporté la paix, la liberté et la prospérité depuis plus d'un demi-siècle maintenant – semble presque être un miracle » qui ne doit pas être considéré comme définitivement acquis, ainsi que le montre la situation dans les Balkans occidentaux ou en Ukraine[140]. Au-delà de la paix retrouvée en Europe, la chancelière met à l'actif de l'intégration européenne la libre circulation dans une Europe sans frontières, le respect des principes de l'État de droit, l'union économique et monétaire et la préservation du modèle social européen. Ces acquis reconnus[141] sont à mettre en balance avec les difficultés rencontrées par une Union élargie à 27 membres pour approfondir son intégration en dépit de la grande hétérogénéité des pays et des populations la composant, et pour parler d'une seule voix sur la scène internationale[142].
Pays | Import | Export | Total |
---|---|---|---|
Chine | 22% | 10% | 16% |
États-Unis | 12% | 18% | 15% |
Royaume-Uni | 10% | 14% | 12% |
Russie | 6% | 4% | 5% |
Suisse | 6% | 7% | 7% |
Turquie | 4% | 4% | 4% |
L'UE est secouée par le Brexit effectif depuis le et au printemps 2020 par la pandémie de Covid-19 qui entraîne le rétablissement spontané, du jour au lendemain, des frontières internes dans l’espace Schengen. En partie grâce au retour du moteur franco-allemand et aussi en réaction à un contexte international où la pandémie exacerbe encore la brutalité politique des principales puissances mondiales, l'UE prend en avril et mai des initiatives économiques qui la consolident[144].
La mondialisation créé de fortes interdépendances commerciales entre les principales puissances européennes et mondiales. La Chine représente 16 % du commerce de biens réalisé par les vingt-sept avec des pays n'appartenant pas à l'Union, communément appelé commerce extra-UE[143]. Les États-Unis, avec 15 %, sont en deuxième position suivis du Royaume-Uni qui représente 12 % du commerce extra-UE. Ce volume illustre l'importance considérable que revêtent les accords commerciaux entre le Royaume-Uni et l'UE dans les accords du Brexit.
L'Union européenne, quoique l'organisation politico-économique la plus intégrée dans le monde, joue un rôle en matière de politique étrangère et de sécurité plus limité que son poids et ses institutions pourraient le permettre. Pourtant ce domaine est un des trois piliers de l'architecture institutionnelle initiale définis à la création de l'UE en 1992 par le traité de Maastricht, traité fondateur de l'Union. Le Titre V (articles 21 à 46) du traité sur l'Union européenne (TUE) intitulé « Dispositions générales relatives à l'action extérieure de l'Union et dispositions spécifiques concernant la politique étrangère et de sécurité » (PESC / PSDC) dote l'Union d'ambitions, de règles et d'institutions propres à ces domaines. Cependant, les États membres ne sont pas allés jusqu'à placer la PESC et la PSDC sous le régime de la méthode communautaire[note 13],[145].
Désireux de conserver dans ce domaine leur pleine souveraineté, ils ont réservé au Conseil européen statuant à l'unanimité les principaux pouvoirs de décision, et donné au Haut Représentant et aux organes administratifs placés sous son autorité, un rôle de proposition et de mise en œuvre des décisions. Par ces dispositions l'Union a renoncé d'elle-même par construction à mener une politique de puissance dans le jeu géopolitique européen et mondial[146]. Toutefois depuis 2015 les États européens renforcent leur Politique de sécurité et de défense commune pour moins dépendre des États-Unis qui, sous la présidence de Barack Obama, ont commencé à regarder davantage vers l'Asie que vers l'Europe et qui surtout avec Donald Trump mènent une politique avec leurs alliés européens et dans le monde de manière générale qui les inquiète. Les initiatives prises qui relèvent soit du volontarisme de certains États membres (comme la Coopération structurée permanente ou l'Initiative européenne d'intervention) soit du renforcement des institutions communes (comme le Fonds européen de défense) marquent un rôle grandissant du niveau européen dans les questions de défense.
L'UE entend promouvoir la paix par la primauté du droit, du multilatéralisme et le développement des échanges. L'UE a mis en place sa Politique européenne de voisinage dans l'objectif de créer des relations de proximité avec les États européens non membres de l'Union et de contribuer à la stabilité du continent. Dans ce cadre général, de nombreux programmes de coopération et de partenariat sont signés avec des pays d'Europe et hors d'Europe[147],[148],[149]. Parmi eux, le Partenariat oriental lancé en 2009 concerne six pays d'Europe du Sud-Est et du Caucase[note 14] avec lesquels de multiples accords pratiques de coopération ont été signés, assortis d'aides financières[150].
Fondée pour assurer la paix en Europe, l'Union trouve davantage à s'employer dans la diplomatie que dans l'action militaire. Dans les situations de crise, elle privilégie la coopération et la recherche de solutions négociées avant d'envisager de recourir à des sanctions ou à des mesures coercitives[146]. L'UE est présente dans de nombreuses organisations internationales, permanentes — comme le G7 depuis 1977 — ou temporaires — comme l'enceinte de négociation de l'Accord de Vienne sur le nucléaire iranien de 2015 —[151].
Dans le contexte de la crise ukrainienne, de la guerre en Syrie, des attentats de l'État islamique et de la crise migratoire, l'Union européenne élabore en 2015-2016 une nouvelle stratégie globale qui définit les priorités et les principes d'action en commun des États de l'Union. Concernant l'ordre de sécurité européen, ce document affirme que « la gestion des relations avec la Russie constitue un défi stratégique majeur. [...]. Une évolution substantielle des relations entre l'UE et la Russie présuppose le plein respect du droit international et des principes qui sous-tendent l'ordre de sécurité européen, notamment l'Acte final d'Helsinki [de 1975] et la Charte de Paris [de 1990]. Nous ne reconnaîtrons pas l'annexion illégale de la Crimée par la Russie [en 2014] ni n'accepterons la déstabilisation de l'est de l'Ukraine »[152].
Malgré son appartenance à l'UE, la France — comme c'était aussi le cas du Royaume-Uni lorsqu'il en était membre — continue d'affirmer sa vocation mondiale et son indépendance stratégique au nom desquelles elle s'engage régulièrement dans des opérations militaires, soit seule, soit dans des coalitions ad hoc, hors du cadre de l'UE, comme ce fut le cas par exemple de la France pour l'opération Serval au Mali en 2013. Sous le poids de l'héritage du passé, l'Allemagne assume au contraire son pacifisme et ne fait intervenir son armée que dans des opérations de maintien de la paix. Le budget de la Bundeswehr est en proportion du PIB le plus faible des grandes nations européennes, et elle ne peut participer à des opérations militaires hors du territoire allemand que sous réserve d’un vote préalable du Parlement fédéral, d’une résolution des Nations unies autorisant le recours à la force et d’un ancrage des troupes allemandes dans une opération multinationale, sous les auspices de l’ONU, de l’OTAN ou de l’UE[153].
Il découle logiquement des choix effectués par les Européens que pour assurer leur sécurité la plupart des États membres de l'UE continuent de compter avant tout sur l'OTAN, dont vingt et un sont également membres. À cet égard, le TUE stipule explicitement que « la politique de l’Union [...] n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre »[154]. L'attractivité de l'OTAN se nourrit aussi des faiblesses de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne, dont la mise en œuvre pratique ne progresse que pas à pas, faute d'un consensus sur une plus grande autonomie stratégique européenne[155]. La coopération entre l'OTAN et l'UE se développe sous le signe de la complémentarité et de l'interopérabilité.
Pays (en valeur,
part en %) |
Pétrole | Gaz | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
2001 | 2019 | 2023 | 2001 | 2019 | 2023 | |
Algérie | 15% | 18% | 17% | |||
Arabie saoudite | 9% | 8% | 9% | |||
États-Unis | 0% | 6% | 14% | 5% | 24% | |
Kazakhstan | 2% | 6% | 8% | |||
Irak | 3% | 6% | 5% | |||
Libye | 9% | 5% | 6% | |||
Norvège | 12% | 6% | 11% | 13% | 13% | 12% |
Qatar | 8% | 7% | ||||
Royaume-Uni | 9% | 7% | 6% | 2% | 4% | 11% |
Russie | 24% | 29% | 4% | 28% | 34% | 14% |
Note 1 : les valeurs < 2% ne figurent pas dans le tableau.
Note 2 : les trois premiers pays chaque année apparaissent en vert. |
Le taux de dépendance de l'UE aux importations d'énergie est de 62,5 % en 2022, contre 56,3 % en 2002. Malgré le développement des énergies renouvelables, l'UE demeure plus vulnérable que jamais aux aléas d'approvisionnement en pétrole et en gaz[157]. Les changements les plus importants de sources d'approvisionnement résultent d'évènements géopolitiques sur lesquels elle a peu d'influence. Ainsi, l'Iran, la Syrie et le Vénézuéla qui fournissaient à eux trois en 2001 près de 10 % du pétrole importé par l'UE ont, vingt ans plus tard, disparu des sources d'approvisionnement[156].
Du début du XXIe siècle à l'invasion de l'Ukraine, la Russie a été le premier fournisseur de pétrole et de gaz de l'UE. Depuis lors, sa part dans les importations de produits énergétiques de l’UE a notablement diminué. Au troisième trimestre 2022, la Russie représentait en valeur 14,5 % des importations extra-UE[note 15] de ces produits. Au troisième trimestre 2023, elle n'en représente plus que 6,5 %[158]. Cette moyenne recouvre une situation contrastée entre le pétrole et le gaz. En conséquence des mesures d'embargo sur le pétrole prises en 2022 et 2023, les importations de pétrole russe ont chuté très rapidement. Durant le troisième trimestre 2024, elles ne représentent plus que 2 % des importations extra-UE de pétrole[159]. En revanche, les Européens ne peuvent se passer du gaz russe aussi rapidement, au point que durant les onze premiers mois de 2024, l'UE importe plus de GNL de Russie que durant la même période en 2022 et 2023[160].
Cette place prééminente de la Russie jusqu'en 2022 illustre le choix des membres de l'UE, au premier rang desquels l'Allemagne, de privilégier la géoéconomie sur la géopolitique. Durant les premières années de la présidence de Poutine et durant celles de Medvedev, de 2008 à 2012, qui multiplie les gestes d'ouverture avec l'Occident, l'Allemagne pousse au dialogue avec la Russie. Berlin considère que l'imbrication économique avec Moscou et la modernisation économique du pays mèneront à la démocratisation de la société russe et au renforcement de l'État de droit. Cette vision s'inscrit dans le droit fil de l'Ostpolitik des années 1970. L'Allemagne escompte ainsi asseoir sa primauté dans les relations avec la Russie au bénéfice de son industrie. Angela Merkel, chancelière depuis 2005, maintient cette ligne politique durant les années 2010 alors même que le régime russe se durcit nettement avec le retour de Poutine à la présidence[161]. Les gazoduc Nord Stream 1 et 2 qui relient directement la Russie à l'Allemagne, en contournant la Pologne et l'Ukraine, concrétisent cette stratégie allemande[162].
À la suite du référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne de 2016, par lequel 51,89 % des électeurs se sont prononcés pour un retrait, la sortie du Royaume-Uni de l'Union est effective le . Selon l'organisme public de prévision budgétaire britannique OBR, le « Brexit » aura un impact négatif l'économie du pays, plus important que la pandémie de Covid-19[163]. Le commerce entre l'UE et le Royaume-Uni a baissé depuis l'entrée en vigueur effective du Brexit. La sortie de l'UE a aussi fortement compliqué la venue au Royaume-Uni de travailleurs européens, ce qui aggrave les pénuries de main-d’œuvre et les perturbations des chaînes d'approvisionnement dans le pays[164].
En , le gouvernement britannique publie sa stratégie de sécurité, de défense, de développement et de politique étrangère dont le slogan est « Global Britain »[165]. Elle met l'accent sur les ambitions globales du pays en direction notamment de la zone indo-pacifique qui devient « progressivement le centre géopolitique du monde »[166]. À l'appui de cette ambition, le Royaume-Uni entend devenir une super-puissance scientifique et technologique. Ce document s'inscrit en revanche davantage dans la continuité avec les précédentes revues dans l'identification des principales menaces — la Russie et le terrorisme — et l'affirmation de l'importance de l'OTAN, à laquelle le Royaume-Uni entend demeurer le principal contributeur européen, et de la relation privilégiée avec les États-Unis. Londres continue de se considérer comme garant de la sécurité européenne, mais les modalités de coopération avec l'UE dans ce domaine ne sont pas définies[167],[168].
La Russie constitue un troisième pôle de puissance. Sortie très affaiblie de la dislocation de l'Union soviétique à la fin de la guerre froide, elle redevient depuis le début des années 2010 un acteur important de la scène internationale en Europe et au Moyen-Orient. Sur le critère du nombre de têtes nucléaires possédées, la Russie demeure la première puissance nucléaire mondiale et bénéficie toujours de la parité stratégique avec les États-Unis, atteinte durant les années 1970[171]. Plus grand pays du monde, la Russie possède de gigantesques ressources naturelles que lui achètent les autres pays d'Europe. L'évolution du PIB de la Russie est très fortement corrélée à celle du cours du pétrole dont la forte augmentation depuis le début du XXIe siècle lui permet de financer son réinvestissement dans le domaine militaire.
Puissance européenne et asiatique, elle est l'héritière de l'Empire russe et aspire à jouer un rôle mondial en dépit des faiblesses de sa démographie et de son économie. Du point de vue de Moscou, les Occidentaux ont profité du démantèlement de l'Union soviétique, non pour établir une situation d'égalité, mais pour étendre la domination occidentale aux frontières de la Russie, considérée toujours comme un ennemi potentiel[172]. La Russie promeut depuis le début des années 2010 la constitution d'un front anti-occidental d'une part en développant un partenariat stratégique avec la Chine et d'autres puissances de moindre importance comme la Corée du Nord et l'Iran, et d'autre part en s'impliquant dans l'élargissement et l'approfondissement d'organisations multilatérales réunissant des puissances émergentes et dont les Occidentaux sont absents, notamment le groupe des BRICS+[173] et l'OCS[139]. La Russie et la Chine posent les BRICS en concurrent du G7[174]. L'élargissement du groupe des BRICS à cinq nouveaux membres décidé en 2023 s'inscrit bien dans leur volonté de contester la domination occidentale sur l'ordre international. Poutine profite du sommet des BRICS à Kazan en octobre 2024 pour mettre en scène son non-isolement sur la scène internationale[175]. Toutefois, les BRICS forment un ensemble hétérogène, peu structuré, au sein duquel cohabitent des logiques de coopération, de compétition et de concurrence[173].
Si la Russie se montre régulièrement critique de l'ordre international tel que les Occidentaux veulent l'imposer depuis le milieu des années 1990, son retour sur la scène internationale date véritablement de la deuxième moitié des années 2000 durant lesquelles elle accentue son opposition à l'OTAN, par exemple lors du discours de V. Poutine en 2007 à la conférence de Munich[176], et reprend l'initiative en intervenant militairement en Géorgie en 2008[177].
Moscou voit pour l'avenir un paysage international multipolaire complexe caractérisé par de profondes transformations, une forte compétition, des risques d'affrontement armé et la confrontation de systèmes de valeurs différents[172]. Dans ce contexte, les Russes considèrent que le risque d'une guerre à grande échelle, voire nucléaire, entre les principales puissances reste faible, mais que celui de leur implication dans les conflits régionaux et d'une escalade des crises augmente. La Russie multiplie par plus de trois son budget militaire entre 2000 et 2017, pour le porter à un niveau supérieur à celui de la France ou du Royaume-Uni[178]. L'effort porte en particulier sur la modernisation des équipements dont beaucoup sont maintenant au niveau de ceux des pays de l'OTAN[97]. En complément de la puissance militaire, l'usage des instruments de la « puissance douce » (soft power) pour atteindre ses objectifs de politique étrangère devient partie intégrante de la politique internationale du Kremlin[note 16],[179].
Concernant la « région euro-atlantique », le point de vue de Moscou est que l'expansion géopolitique de l'OTAN et de l'UE ainsi que l'absence de volonté de mettre en pratique les déclarations politiques de leurs dirigeants sur la formation d'un système européen commun de sécurité et de coopération, ont suscité une crise sérieuse dans les relations entre la Russie et les États occidentaux[180]. La Russie critique régulièrement le rôle de l'UE qu'elle voit trop inféodée à Washington. À la recherche d'une alternative, elle met en avant l'OSCE en tant que forum privilégié d'une véritable multipolarité en Europe[172].
La guerre en Ukraine parachève l'orientation eurasienne de la géopolitique de la Russie qui se traduit par la recherche systématique du renforcement de ses liens avec la Chine en premier lieu mais aussi avec les autres puissances du Sud global. Dans le même temps, les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine aident à la formation, conformément au schéma de Mackinder, d'un Heartland eurasiatique autocratique opposé à un Rimland libéral[181],[182].
La Doctrine de politique étrangère de la Fédération de Russie de 2023, document officiel validé par Poutine, trace les grandes orientations géopolitiques du pays[183]. Cette doctrine est d'inspiration anti-occidentale plus marquée que le texte précédent de 2016[184]. Concernant l'Europe, le texte affirme que « la plupart des États d'Europe mènent une politique agressive envers la Russie visant à créer des menaces à la sécurité et la souveraineté de la Fédération de Russie »[183].
Publié, également en 2023, sous la direction de Sergueï Karaganov, le rapport La politique de la Russie à l’égard de la Majorité mondiale est selon l'analyse qu'en fait Le Grand Continent, le « document de politique étrangère russe le plus complet et le plus important depuis la doctrine Primakov »[185]. Plutôt que d'employer le concept contesté de Sud global, le rapport promeut la notion de Majorité mondiale, un terme sans connotation géographique et qui met en avant le caractère numériquement minoritaire des pays constituant l'Occident. Le rapport Karaganov considère que la Russie peut jouer un rôle majeur dans le conflit opposant l'Occident, qui cherche à préserver son hégémonie, à la Majorité mondiale qui désire accéder une souveraineté pleine et entière. Dans ce cadre, la guerre en Ukraine est considérée comme « une guerre globale entre l'Occident et la Russie pour redessiner l'ordre mondial »[185]. Pour atteindre son objectif de « désoccidentalisation » du monde[186], Moscou compte s'appuyer sur « les BRICS [qui] peuvent être considérés comme l’avant-garde de la Majorité mondiale et en partie [sur] l’OCS »[185].
Les relations entre la Russie et les États membres de l'UE sont à deux niveaux, globales avec les instances européennes et bilatérales avec les diverses capitales européennes. Les relations institutionnelles entre la Russie et l'UE sont fondées sur l'Accord de partenariat et de coopération (APC) de 1997. Ces relations sont complexes car elles combinent des facteurs positifs, comme l'interdépendance économique et l'absence de rivalité stratégique, et négatifs, comme la bienveillance de l'UE à l'égard des États-Unis et la compétition pour les quelques pays européens qui ne sont à ce jour ni dans l'UE ni sous la domination russe dont l'Ukraine est l'exemple le plus marquant[188],[189],[190].
L’UE adopte en une stratégie commune à l'égard de la Russie dont les objectifs principaux sont la « consolidation de la démocratie, de l'État de droit et des institutions publiques en Russie [et] l'intégration de la Russie dans un espace économique et social européen commun »[191]. Lors du sommet UE - Russie d' à Helsinki, Vladimir Poutine[note 17] présente la stratégie de la Russie sur le développement de ses relations avec l’UE au cours de la période 2000-2010[192]. Le point de départ en est une vision de la place de la Russie en Europe, « puissance mondiale s'étendant sur deux continents, [qui veut] garder sa liberté afin de définir et de mener sa propre politique intérieure et extérieure [et préserver] les avantages que lui confère le fait d'être un État eurasiatique et le pays le plus important de la CEI »[193],[125]. Cette vision d'une Russie totalement maîtresse de son destin et centrale en Eurasie est peu compatible avec l'approche de l'UE. Il en découle logiquement que la Russie ne se fixe pas pour objectif d'adhérer à l'Union européenne mais souhaite développer toutes les coopérations possibles[193].
En , l’Union européenne et la Russie se sont fixé pour objectif de réaliser à terme quatre « espaces communs », respectivement en matière économique, de sécurité et de justice, de coopération dans le domaine de la sécurité extérieure et enfin de recherche, d’éducation et de culture. Les progrès concrets sont restés limités. Les négociations lancées en 2008 sur un nouvel accord de partenariat stratégique n'ont pas abouti[194]. Quoiqu'obsolète, l'APC de 1997 reste en vigueur faute de pouvoir converger sur une vision stratégique partagée de l'avenir de l'Europe. La politique russe vis-à-vis de l'UE est marquée par le refus de laisser l'UE influencer les affaires politiques et économiques internes de la Russie. Les deux axes majeurs de la politique russe - forger des liens plus profonds avec ses voisins pour éviter l'isolement tout en conservant une souveraineté totale - ont compliqué l'interaction de la Russie avec l'UE[195]. En 2008, des négociations sont ouvertes en vue d’un nouvel accord UE-Russie qui devait comporter des engagements contraignants du point de vue juridique dans des domaines tels que le dialogue politique, la justice, la liberté et la sécurité. En 2010, un « partenariat pour la modernisation » est initié. Mais en 2014, l’intervention de la Russie en Crimée entraîne la suspension de l’ensemble de ces pourparlers[196].
Les échanges commerciaux entre l'UE et la Russie représentent 6,2 % du total des échanges de biens extra-UE en 2017, part en diminution depuis le début de la décennie[187],[197],[198]. La Russie est le quatrième partenaire commercial de l'UE. Mais l'UE est le premier partenaire commercial de la Russie avec plus de 40 % de son commerce extérieur[199]. La Russie est le principal fournisseur en pétrole brut, gaz et combustibles solides de l'UE[200]. Cette situation d'interdépendance a conduit les deux parties à utiliser l'arme commerciale avec retenue. Les sanctions prises en 2014 par l'UE à l'encontre de la Russie ne portent pas de conséquence catastrophique sur l'économie soviétique qui dépend avant tout de l'évolution des cours du pétrole et du gaz.
Les relations bilatérales entre la Russie et l'Allemagne, la France et d'autres États de l'UE revêtent une grande importance en raison des difficultés de l'UE de mettre en œuvre une politique extérieure unifiée.
La Turquie est le pivot entre l'Occident et le Moyen-Orient[note 18]. Grand pays de presque 800 000 km2 et 84 millions d'habitants (en 2020), elle est l'héritière de l'Empire ottoman. Elle est une des puissances régionales qui comptent dans la géopolitique du Moyen-orient et du Caucase, mais elle entretient aussi avec l'Europe des relations anciennes et vitales pour son développement[201].
Pays | PIB/hab. ($ PPA) (2017) [19] |
CPI (2018) [202],[203] |
IDH (2017) [21] |
IND (2018) [20] |
---|---|---|---|---|
Allemagne | 50 639 | 80 | 0,936 | 8,68 |
France | 42 850 | 72 | 0,901 | 7,80 |
Italie | 39 427 | 52 | 0,880 | 7,71 |
Russie | 25 533 | 28 | 0,816 | 2,94 |
Turquie | 26 504 | 41 | 0,791 | 4,37 |
La relation entre la Turquie et les États européens ne se résume pas à la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. La Turquie est aussi l'acteur d'une relation triangulaire avec la Russie et l'UE. En outre, les questions de sécurité sont une dimension dans laquelle les États-Unis sont aussi présents puisque la Turquie est membre de l'OTAN depuis 1952 et joue un rôle clef qui ne s'est pas éteint avec la fin de la guerre froide dans la stratégie de défense des Occidentaux[204]. Cet entrelacs de relations historiques et géopolitiques modernes fait de la Turquie une puissance régionale tant en Europe qu'au Moyen-Orient, d'autant plus que dans les années 2010 elle adopte une politique étrangère plus nationaliste et de moins en moins alignée sur la diplomatie des États-Unis, de l'Allemagne ou de la France[201]. La question de savoir si la Turquie est ou non dans l'Europe est de facto sans objet d'un point de vue historique et encore davantage au XXIe siècle depuis que l'UE et la Turquie ont entamé le processus officiel d'adhésion en 2005, sans toutefois que les craintes et arrière-pensées soient absentes de nombreux dirigeants européens. Les raisons en sont que la taille de la Turquie, son niveau de vie encore faible par rapport à celui des grands pays riches qui supportent l'essentiel du financement de l'Union, et des spécificités politiques, culturelles ou religieuses constituent des obstacles à franchir[205],[206].
Les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne commencent officiellement en 2005. Elles sont rendues difficiles par de nombreux obstacles dont la situation préoccupante de l'État de droit et des droits de l'homme qui s'est aggravée depuis le coup d'État manqué de juillet 2016 contre le président Erdoğan[207],[208]. Celui-ci apprécie peu le soutien tardif qu'il reçoit des Américains et des Européens, qui sont en revanche prompts à le mettre en garde sur les atteintes aux libertés résultant de la vague de répressions qui suit le coup d'État ; les tensions sont aussi exacerbées par la traque d'opposants connus ou soupçonnés à l'étranger[209],[210],[211],[212],[213].
La priorité de l'UE est cependant de faire face à la crise migratoire devenue critique depuis 2015 ; l'UE signe un plan d'action commun avec la Turquie en pour limiter les flux migratoires vers l'Europe qui transitent par son territoire en provenance notamment de Syrie. Un accord complémentaire sur l'immigration est signé en [214],[215].
La Turquie est aussi membre de l'OTAN comme la Grèce depuis 1952[204] avec laquelle elle est en conflit au sujet de Chypre, État membre de l'UE, dont elle occupe la partie Nord depuis 1974. En 2017 et 2018, les relations de la Turquie avec l'OTAN sont devenues difficiles en raison du rapprochement opéré par Ankara avec Moscou et de son offensive militaire à Afrine contre les Kurdes, alliés des États-Unis et de la coalition occidentale dans la lutte contre l'État islamique[209]. Selon les propos de la ministre allemande de la Défense, « la Turquie ne nous facilite pas la tâche au sein de l’Otan »[216],[217].
Les relations entre les deux États sont au plus bas fin 2015 après la destruction d'un avion russe par la Turquie dans le ciel syrien[218]. Pourtant quelques mois plus tard, et par contrecoup des tensions entre la Turquie et les Occidentaux, un rapprochement spectaculaire s'opère entre Ankara et Moscou à la faveur d'un échange entre Poutine et Erdoğan[219], qui sera rapidement suivi de plusieurs rencontres entre mi-2016 et mi-2018. Ce rapprochement trouve son application dans la guerre civile syrienne avec l'initiative diplomatique dite du processus d'Astana prise par la Russie, la Turquie et l'Iran[220], mais aussi sur le terrain de la coopération militaire avec l'acquisition de missiles antimissiles russes S-400[221] et la relance de projets comme le gazoduc Turkish Stream[222]. Mi-2018, il est encore trop tôt pour savoir si ce rapprochement, mis en scène de façon spectaculaire par les deux dirigeants, débouchera sur des résultats concrets dans la crise syrienne et sur des accords politiques et économiques de long terme ou s'il est dicté essentiellement par des considérations de court terme et la volonté de faire pression sur les États-Unis et l'UE[223].
La géopolitique de l'Europe ne peut se comprendre sans prendre en compte le rôle premier que les États-Unis ont joué en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et continuent d'y jouer depuis la fin de la guerre froide. Les États-Unis sont au temps du Plan Marshall favorables à la fondation d'États-Unis d'Europe[224]. Depuis, ils considèrent qu'il s'agit d'une construction en éternel devenir. Aussi, vu de Washington, l'Union européenne est un géant économique qui ne pèse guère sur le plan géopolitique. Bien qu'il demeure une constante de la diplomatie américaine, l'axe transatlantique n'est plus la priorité des États-Unis pour qui les jeux de pouvoir mondiaux ont pour terrain l'Asie et dans une moindre mesure le Moyen-orient[225]. La relation entre les Américains et les Européens[note 19] au XXIe siècle est placée sous le signe du pragmatisme mutuel et de la coopération sélective ; elle se construit au cas par cas, lorsqu'elle s'avère utile et sert les intérêts de chacun[226]. Dans son ouvrage La puissance et la faiblesse, R. Kaplan soutient que ce pragmatisme résulte d'une divergence profonde entre les Européens qui aspirent à un monde de paix et de prospérité relative assis sur le multilatéralisme, tandis que les Américains croient toujours en un monde anarchique hobbesien où la sécurité et la promotion d'un ordre libéral dépendent de la possession de la puissance militaire[227],[228].
Le monde bipolaire des années de guerre froide fait place durant la dernière décennie du XXe siècle et la première du XXIe siècle sur le plan de la géopolitique mondiale à un monde unipolaire dans lequel les États-Unis et leurs alliés européens propagent l'ordre politique et économique occidental, fondé sur la démocratie et le libéralisme économique. Dans les années 1990, face à une Russie très affaiblie, les États-Unis forts de leur puissance incontestée exploitent à leur avantage le besoin de sécurité des pays qui ont connu quarante ans de domination soviétique contre leur gré. Les Américains, soutenus finalement par leurs alliés européens, impulsent un vaste élargissement par étape de l'OTAN, malgré les protestations de Moscou qui nourrissent la controverse relative à l'engagement qu'auraient pris, ou non, les dirigeants occidentaux de ne pas étendre l'OTAN vers l'Est[note 20],[155],[229],[230].
Durant cette période, les États-Unis pratiquent aussi une politique extérieure interventionniste, le plus souvent avec le soutien des Européens : durant les années de guerres civiles dans l'ex-Yougoslavie, les États-Unis et l'OTAN interviennent militairement en Bosnie-Herzégovine (1993-2004) puis au Kosovo et en Serbie (1999), avec l'appui des Russes dans le premier cas mais contre leur avis dans le second cas. Cependant, l'atlantisme des Européens n'est pas toujours unanime : si les États-Unis obtiennent facilement l'appui de leurs alliés pour mener la guerre du Golfe (1990-1991)[231],[232], et la guerre en Afghanistan (2001-2014), ce n'est pas le cas de la guerre d'Irak (2003-2011) à laquelle la France et l'Allemagne s'opposent, empêchant ainsi avec le concours de la Russie le vote d'une résolution par le Conseil de sécurité qui aurait donné à l'intervention américaine, soutenue par le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie notamment, sa légalité juridique internationale[233].
Annoncée par les attentats du 11 septembre 2001, confirmée par l'incapacité des États-Unis à obtenir des victoires nettes dans les conflits où ils sont engagés au Moyen-Orient et en Asie centrale, et définitivement actée par la montée en puissance de la Chine, d'autres puissances régionales dont la Russie, et d'organisations non-étatiques, la fin de l'ère unipolaire post-guerre froide se traduit progressivement au cours des deux premières décennies du XXIe siècle par l'émergence d'un monde multipolaire complexe dans lequel l'ordre libéral occidental n'est plus l'unique référence et les pays européens se trouvent exposés à des risques plus nombreux et plus directement menaçant que ceux du contexte géopolitique des années 1990[234].
Le lien transatlantique est demeuré solide depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en dépit des crises qui le secouent comme celle résultant de la décision des États-unis de mener une guerre en Irak en 2003 à laquelle plusieurs des puissances européennes, dont l'Allemagne et la France, se sont fortement opposées. Pour autant, tandis que les Américains s'enlisent en Irak dans une longue guerre, ces deux États et la plupart des autres pays européens participent avec les États-Unis à la force internationale d'assistance et de sécurité en Afghanistan et de façon générale coopèrent étroitement à la lutte contre le djihadisme international, notamment au cours des années 2010 dans le cadre de la coalition internationale en Irak et en Syrie ou des opérations françaises au Mali. Sur le plan diplomatique, Américains et Européens adoptent des positions proches concernant les relations avec la Russie concernant la crise ukrainienne[235] ou avec l'Iran, dont ils sont par exemple co-signataires de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien de 2015[236].
La politique menée par Donald Trump depuis son arrivée à la Maison-Blanche début 2017 au nom de son slogan « America First » inquiète profondément les Européens, attachés au multilatéralisme[237]. Les décisions prises à Washington contre l'avis de ses principaux partenaires européens, comme le retrait de l'accord de Paris sur le climat, le retrait de l'accord sur le nucléaire iranien ou encore les tensions commerciales avec la Chine font craindre en Europe la fin d'une relation avec les États-Unis basée sur un large socle commun de valeurs fondant l'ordre libéral occidental et sur la prééminence donnée aux négociations multilatérales dans la résolution des conflits de toutes natures[238],[239]. La fêlure du lien transatlantique est mise en évidence par exemple en février 2019 lors de la Conférence de Munich sur la sécurité où les discours du vice-président américain M. Pence et de la chancelière allemande A. Merkel ne font apparaître aucun point de convergence[240],[241].
La lutte contre le terrorisme et la montée des tensions avec la Russie incitent les Européens à continuer de s'appuyer sur les États-Unis pour leur sécurité collective. L'OTAN demeure la pierre angulaire de la défense européenne. Son élargissement vers l'Est engagé dans les années 1990 et poursuivi avec l'adhésion de dix nouveaux pays entre 2004 et 2017, ainsi que le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN le démontrent. Toutefois, la distance que Donald Trump semble prendre vis-à-vis de l'OTAN et ses virulentes critiques à l'égard du niveau des dépenses de défense des États européens conduisent ces derniers à approfondir leur coopération en matière de défense dans le cadre de la PSDC[234]. L'Europe est cependant encore loin de l'autonomie stratégique et d'un consensus sur la conduite à tenir vis-à-vis des États-Unis[242].
La géographie et l'histoire ont fait de la plupart des pays de la façade occidentale de l'Europe de grandes puissances maritimes. Leur prépondérance et leur richesse jusqu'à la Première Guerre mondiale, de par la constitution de vastes espaces coloniaux et le développement de leur commerce, sont largement associées à cette domination sur les mers et les océans[243]. A contrario, la Russie est avant tout une puissance terrestre, qui n'a cependant jamais cessé de chercher de nouveaux accès maritimes et à devenir elle aussi une grande puissance maritime.
L'Union européenne, considérée comme une entité commerciale unique (commerce dit extra-UE), représente en 2018, sans le Royaume-Uni, un peu plus de 11 % du commerce mondial de marchandises en valeur, ce qui la positionne au premier rang dans le monde de peu devant la Chine et les États-Unis. Pris séparément, quatre des États membres de l'UE font partie des 10 premiers pays au monde en matière de commerce. Le Royaume-Uni se situe au 8e rang mondial[244],[143].
Dans le monde, plus de 80 % du volume du commerce de biens emprunte la voie maritime. Ce pourcentage vaut pour l'Union européenne dont 80,5 % du commerce extra-EU en volume est réalisé par bateau en 2020, 12 % par la route et 0,4 % par avion. En valeur, la voie maritime ne représente plus que 46 %, contre 24 % pour la route et 23 % pour l'avion[245].
La moitié des marchandises achetées ou vendues par l'Union est acheminée par mer, ce qui rend vital le maintien de routes maritimes ouvertes et sûres[246]. La route principale entre la mer de Chine méridionale et les côtes européennes passe par le canal de Suez – fermé entre 1967 et 1975 –, Bab el-Mandeb – infesté par la piraterie jusqu’à l’opération Atalante –, l'océan Indien et le détroit de Malacca.
Concernant spécifiquement le transport de pétrole et de gaz du golfe Persique, le détroit d'Ormuz qui débouche sur l'océan Indien constitue également un point de passage très étroit donc exposé à un blocage potentiel.
La Chine revendique des îlots et une ZEE qui couvrent la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, en conflit avec les autres pays riverains. Après avoir militarisé plusieurs îlots des archipels Spratleys et Paracels, et développé très vite ses forces navales, la Chine a de facto le contrôle de cette région stratégique pour le commerce maritime mondial. Les risques qui pèsent sur cette route vitale pour les Européens conduisent l'UE à définir une « Stratégie de sureté maritime » en 2014[247].
La Chine et l'Inde sont en compétition en Asie et investissent toutes deux massivement dans le développement de leurs marines. Devenue la deuxième puissance navale militaire, la Chine déploie désormais sa marine dans le monde entier, de l’ensemble du Pacifique à l’Atlantique, en passant par l’océan Indien, la Méditerranée et jusqu’en Baltique[248]. La Chine commence à disposer de bases navales dans l'océan Indien. L'Inde suit la même stratégie de renforcement de ses capacités dans ce vaste océan de 70 millions km2. Elle signe un accord en lui donnant accès aux bases navales françaises dans l'océan Indien[249]. L'importance croissante de cette zone se traduit par l'utilisation de plus en plus fréquente du terme « région indo-pacifique », et simultanément par un moindre intérêt pour la notion de « région asie-pacifique »[250].
Pays | ZEE[251] M km2 |
Flotte de guerre en 2021 Nbre de navires[note 21],[252] | ||
---|---|---|---|---|
Porte- aéronefs |
Grands bât. de surface |
Sous-marins nucléaires | ||
France | 10,1 | 4 | 15 | 6 |
Royaume-Uni | 6,6 | 2 | 12 | 6 |
Italie | 2 | 15 | 0 | |
Russie | 7,7 | 1 | 25 | 19 |
Turquie | 0 | 16 | 0 | |
États-Unis | 12,1 | 20 | 92 | 54 |
Chine | 3 | 71 | 9 | |
Inde | 2,3 | 1 | 26 | 0 |
Si les puissances européennes ne dominent plus le monde au XXIe siècle, la France et le Royaume-Uni possèdent toujours des territoires notamment dans les océans Indien et Pacifique qui leur permettent de projeter leur puissance bien au-delà de leurs territoires métropolitains. La création des Zones économiques exclusives (ZEE) par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer a renforcé l'intérêt économique de ces territoires. Grâce à ses départements d’outre-mer et à ses collectivités territoriales éparpillés dans les océans, la France possède la deuxième ZEE, derrière les Etats-Unis[253].
La France et le Royaume-Uni possèdent des bases militaires dans l'océan Indien, qui est le pivot des routes maritimes avec l'Asie et le Moyen-orient. Ces bases se situent soit sur des territoires ultra-marins soit sur le sol de pays tiers avec lesquels des accords ont été passés. La France maintient des « forces de souveraineté » dans tous ses territoires ultra-marins et des « forces de présence » stationnées à Djibouti, au Gabon, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et aux Emirats-Arabes Unis en vertu d'accords de défense passés avec ces États[254]. La marine française effectue des missions ponctuelles jusqu'en mer de Chine pour affirmer le caractère international de ses eaux et montrer ainsi symboliquement que la France désapprouve la politique que la Chine y mène[255],[256].
Le Royaume-Uni dispose également de points d'appui militaires dans l'océan Indien et en mer de Chine (Singapour, Brunei). Les Britanniques possèdent aussi Gibraltar qui verrouille l'accès à la Méditerranée.
L'US Navy américaine demeure de loin la plus puissante flotte de guerre au monde[252],[257]. Elle est présente en permanence en Méditerranée (6e flotte), dans les océans Indien (5e flotte), Pacifique (7e flotte) et Atlantique (2e flotte).
La Russie possède quatre façades maritimes, la Baltique, la mer Noire, l'océan glacial Arctique et l'océan Pacifique. Les détroits danois et le détroit du Bosphore, portes d'accès des deux premières, sont aussi des points de passage exposés et qui limitent les possibilités stratégiques de la Russie vers l'Ouest. Le réchauffement climatique bouleverse le régime glaciaire de l'Arctique qui devient un enjeu géostratégique premier et donne à la Russie un accès par le passage du Nord-Est bien davantage libre que par le passé aux océans Atlantique et Pacifique[258]. La Russie modernise rapidement sa marine militaire qui est en 2021 la troisième au monde par le nombre de ses navires combattants[252].
Les détroits du Bosphore et des Dardanelles donnent à la Turquie un atout géostratégique majeur vis-à-vis de la Russie qu'elle exploite activement sur le plan politique et renforce en modernisant et accroissant ses forces navales[257]. Cet avantage stratégique est en partie contourné par la Russie grâce à la construction de nouveaux oléoducs et gazoducs qui diminuent le trafic maritime de produits pétroliers, et sur le plan militaire, grâce à la mise à disposition de bases navale et aérienne en Syrie qui lui permettent de mener ses opérations militaires dans ce pays depuis 2015. La Turquie accroît les capacités de sa flotte de guerre[257] et conclut avec le Qatar en 2014 un accord stratégique qui lui donne pour la première fois un accès permanent au golfe Persique[259].
La Méditerranée, souvent qualifiée dans le passé de lac de l'OTAN, est devenue un lieu de face à face des marines russes et occidentales. À la faveur du conflit syrien, la Russie consolide en 2015 sa base navale de Tartous en Syrie et déploie en 2018 de façon permanente une dizaine de bâtiments. Symétriquement les États-Unis renforcent la présence de leur Sixième flotte. La Chine commence aussi à déployer périodiquement des bâtiments de guerre en Méditerranée[260].
Les années qui suivirent la fin de la guerre froide n'ont pas permis de mettre en place une véritable architecture globale de sécurité en Europe. Faute d'un cadre global, la sécurité semblait assurée en Europe durant les années 2000 par un ensemble d'organisations multilatérales et de traités intergouvernementaux : l'OSCE et les engagements pris par tous ses membres de respecter l'intégrité et l'indépendance de chacun d'eux (Charte de Paris pour une nouvelle Europe, Code de conduite relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité), le Conseil OTAN-Russie, des dispositions spécifiques concernant l'Ukraine (Mémorandum de Budapest) et des accords (FCE, FNI, Document de Vienne (MDCS)[261], Ciel ouvert) de contrôle et limitation des armements. Ces dispositifs sont progressivement devenus caducs durant les années 2010 du fait des décisions prises pour la plupart à Moscou mais aussi à Washington[262].
L'OSCE n'a pu jouer pleinement son rôle de résolution pacifique des conflits. Bénéficiant du fort soutien de l'Allemagne[263], elle a tout de même pu héberger des négociations qui ont aidé à stabiliser la situation et déployer des opérations de terrain parmi lesquelles des missions dans des pays de l'ex-Yougoslavie et d'Asie centrale et, entre 2014 et 2022, une mission spéciale d'observation en Ukraine[264],[265].
En 2021, plus aucun traité de limitation ou de contrôle des armes conventionnelles ou nucléaires intéressant l'Europe n'est en vigueur[note 22] :
Les atteintes à l'intégrité territoriale de la Géorgie et de l'Ukraine par la Russie constituent les remises en cause les plus graves de l'architecture européenne de sécurité depuis le début du XXIe siècle. Contraires au droit international en général, elles violent aussi les garanties de sécurité accordées par Washington et Moscou en 1994 par le mémorandum de Budapest, confirmées en 2009 par une déclaration commune américano-russe.
À partir de 1947, et pour plus de quarante ans, l'Europe est coupée en deux par le « rideau de fer ». La fin de la guerre froide devait ouvrir une « nouvelle ère de démocratie, de paix et d'unité » selon les termes de la Charte pour une nouvelle Europe signée à Paris en 1990 par les États-Unis, l'Union soviétique et la plupart des pays européens, dans le cadre de la CSCE, qui devient l'OSCE en 1995[271]. La Russie des années 1990 n'a pas les moyens de s'opposer aux initiatives des États-Unis, seule grande puissance dans un monde devenu unipolaire à leur profit, même lorsqu'elles concernent des pays de sa zone d'influence historique, dans l'ex-Yougoslavie en particulier[272].
Durant les années de la présidence de George W. Bush, les relations se tendent progressivement, après une courte période de soutien de la Russie à l'engagement militaire des États-Unis en Afghanistan faisant suite aux attentats du . Les décisions prises l'année suivante par l'Administration américaine de se retirer du traité ABM de 1972 et d'ouvrir l'OTAN à sept nouveaux pays d'Europe de l'Est mécontente fortement V. Poutine. Le déclenchement en 2003 de la guerre d'Irak est également critiqué par Moscou. Les relations ne s'améliorent pas les années suivantes[273].
Le monde occidental a investi très largement l'Europe de l'Est et du Nord en intégrant au sein de l'Union européenne en plusieurs phases à partir de 2003 les six anciens États satellites de l'URSS[note 24], les trois anciennes républiques soviétiques baltes et deux pays issus de l'ex-Yougoslavie. Ces mêmes pays ont également rejoint l'OTAN, avec un temps d'avance sur leur adhésion à l'UE, afin de bénéficier de la promesse de sécurité fournie par son organisation militaire intégrée. Tous les pays européens membres de l'OTAN continuent de considérer que les États-Unis, via l'OTAN, doivent demeurer le garant principal de leur sécurité collective[155],[note 25].
La Russie n'a plus de « glacis » la séparant des puissances de l'Ouest, ce qui constitue pour elle une situation inédite connue ni des Tsars ni des dirigeants soviétiques. La Russie est dans une situation de « solitude géopolitique » en Europe qui la conduit à consolider ses positions en Asie centrale et au Moyen-Orient, et à se rapprocher de la Chine malgré l'inquiétude que son dynamisme économique et démographique provoque[272].
Le raidissement de la Russie se confirme en 2008, lorsque V. Poutine fait intervenir l'armée russe en Géorgie[272]. Le président russe Dmitri Medvedev affirme à cette occasion que « nous n’avons peur de rien, ni de la perspective d’une nouvelle guerre froide »[274]. Depuis lors, le monde est entré pour beaucoup d'analystes dans une nouvelle guerre froide, dont le principal terrain de jeu se situe en Europe dans les anciennes républiques d'Union soviétique devenues indépendantes, comme l'Ukraine ou les pays Baltes, mais aussi au Moyen-Orient, notamment en Syrie[275].
À partir de 2014, les tensions entre les Occidentaux et les Russes deviennent plus aiguës en raison de la crise d'Ukraine et de Crimée. Elles se traduisent notamment par des sanctions économiques prises à l'encontre de la Russie, le renforcement des présences et des exercices militaires de part et d'autre des frontières, des actions dans le domaine du soft power. L'entrée des troupes russes en Ukraine en février 2022 fait entrer l'Occident et la Russie dans une ère de confrontation.
L'Ukraine est avec 603 550 km2 le plus grand pays d'Europe continentale, si l'on excepte la partie européenne de la Russie, et compte en 2016 plus de 45 millions d'habitants. Sa situation géographique et son poids démographique et économique l'ont mise au centre d'un jeu d'influence très actif des Occidentaux et des Russes depuis son indépendance en 1991. L'Ukraine est membre du Conseil de l'Europe et de l'OSCE. Tout en étant partie prenante dans la Communauté des États indépendants (la CEI) qui rassemble sous la direction de la Russie plusieurs des anciennes républiques soviétiques, l'Ukraine se rapproche dès les années 1990 de l'Union européenne avec laquelle elle négocie des accords de coopération, puis dans les années 2010 un accord d'association. Fin 2013, le président ukrainien, V. Ianoukovytch, rompt les négociations, accédant ainsi à la demande pressante de Moscou qui voit en l'Ukraine une pièce maîtresse de son projet de constitution d'une nouvelle union douanière eurasienne, l'UEEA. Ce revirement provoque des manifestations pro-européennes dites « Euromaïdan » qui conduisent à l'élection d'un nouveau président, Petro Porochenko. Cet accord d'association est finalement signé en 2014 et entre pleinement en vigueur en . Il entraine la sortie de l'Ukraine de la CEI et la fin des espoirs de Moscou de l'inclure dans l'accord de libre échange UEEA qu'elle met sur pieds[276],[277],[278].
La crise ne reste pas sur le terrain diplomatique et économique. L'Ukraine est un pays composite dont les frontières actuelles sont récentes. Avec le soutien actif de Moscou, la Crimée fait sécession en , et des troupes russes y prennent position. À l'Est du pays, une guerre civile s'ouvre dans le Donbass avec des séparatistes russophones. Visant à instaurer un cessez-le-feu, le protocole de Minsk est signé en par les représentants de l'Ukraine, de la Russie, de la république populaire de Donetsk (DNR) et de la république populaire de Lougansk (LNR), sous les auspices de l'OSCE[279],[280],[281],[note 26]. Les combats ne cessent pas pour autant. Une seconde conférence, dite Minsk II, est organisée le , cette fois avec la participation en sus de l'Allemagne et de la France. Un nouvel accord est conclu dont l'OSCE reste chargée d'en vérifier l'application sur le terrain[282],[283]. Sans que le cesse-le-feu soit complet, la situation se stabilise. Pour appuyer son application et en condamnation de l'annexion de la Crimée par la Russie, l'Union européenne prend des sanctions contre la Russie[284],[285],[286],[287].
En 2018, les tensions demeurent vives. Le HCDH enregistre sur l'année plus de 100 civils tués et le double de blessés dans des actions de guerre. Dans le Donbass, les deux républiques autoproclamées (RPD et RPL) organisent des élections législatives en . Ces élections, jugées illégales par Kiev et les Occidentaux, confirment dans leurs fonctions les dirigeants séparatistes[288]. La Russie inaugure au printemps 2018 un pont à travers le détroit de Kertch et restreint la liberté de navigation dans la mer d'Azov[289], ce qui a pour conséquence de limiter l'accès aux ports ukrainiens de Marioupol et de Berdyansk. Fin des incidents opposent les marines russe et ukrainienne[290],[291].
Entre 2014 et 2019, malgré les multiples cessez-le-feu décidés par le Groupe de contact trilatéral (Ukraine, Russie, OSCE), le conflit fait plus de 13 000 morts dont environ 3 000 victimes civiles selon le décompte effectué par le HCDH[292],[293],[294],[295]. En 2019 toutefois, des échanges de prisonniers et des retraits partiels des forces militaires en présence ont lieu. À Paris, le , un sommet en format « Normandie » — Russie, Ukraine, Allemagne et France — renoue le dialogue, trois ans après le précédent ; cette première rencontre entre Poutine et Volodymyr Zelensky, élu Président d'Ukraine en avril, sans permettre d’avancées politiques, aboutit à un accord sur un échange total de prisonniers et un désengagement militaire sur trois nouveaux points du front[296],[297].
En , Moscou transmet à Washington et à l'OTAN un projet de traité qui ramènerait l'OTAN à sa configuration de 1997, avant les élargissements vers l'Est, dans un contexte de vives tensions au sujet de l'Ukraine[298]. Empreintes de la nostalgie de l'empire soviétique, ces propositions tendent à marginaliser l'UE et à réinstaller la Russie comme une puissance discutant d'égal à égal avec les États-Unis comme au temps de la guerre froide[299]. Près de huit ans après l’annexion de la Crimée, l’Ukraine reste centrale dans l’affrontement géopolitique en Europe entre la Russie et les Occidentaux[300],[301].
Dépenses 2000 | Pays | Dépenses 2016 | Variation 2000 → 2016 | ||
---|---|---|---|---|---|
Rang | Mrds $ |
Rang | Mrds $ | ||
5 | 42,3 | Allemagne | 9 | 41,6 | -2 % |
6 | 41,3 | Chine | 2 | 216,0 | 423 % |
1 | 420,5 | États-Unis | 1 | 600,1 | 43 % |
2 | 50,9 | France | 5 | 57,4 | 13 % |
7 | 35,8 | Italie | 11 | 28,2 | -21 % |
4 | 43,5 | Royaume-Uni | 7 | 48,1 | 11 % |
10 | 20,4 | Russie | 3 | 69,2 | 239 % |
14 | 16,9 | Turquie | 15 | 17,9 | 6 % |
12 | 17,3 | Espagne | 17 | 14,0 | -19 % |
En 2016, les budgets de défense des cinq États européens membres de l'OTAN qui consacrent le plus de moyens à leur défense, retrouvent un niveau globalement comparable à celui de l'année 2000, après avoir connu une baisse dans les années de la crise financière de 2008. La hausse constatée depuis 2015 doit se poursuivre afin de respecter l'engagement pris par les membres de l'OTAN de consacrer 2 % de leur PIB à la défense[97].
Dans le même temps, la Russie a multiplié par 3,4 le montant de son effort de défense, entreprenant un vaste effort de modernisation de ses forces armées. La Russie passe ainsi du dixième au troisième rang dans le monde en la matière. Cependant, ses dépenses de l'ordre de 69 milliards $ demeurent très inférieures aux 175 milliards $ que les cinq principales puissances militaires européennes de l'OTAN dépensent pour leur défense. Les États-Unis demeurent de très loin la première puissance militaire mondiale[97].
Sur le plan stratégique, la Russie dénonce le déploiement en Europe du bouclier antimissile de l'OTAN et modernise en retour ses forces stratégiques nucléaires. La France en 2017 et le Royaume-Uni en 2016 ont également décidé de renouveler leurs forces de dissuasion nucléaire[302],[303].
Sur le plan tactique, les activités militaires de l'OTAN et de la Russie se multiplient depuis 2014. Le plan d'action « réactivité » de l'OTAN adopté en 2014 et les mesures complémentaires de « présence avancée » adoptées en 2016 au sommet de Varsovie se traduisent par une présence militaire accrue des forces de l'OTAN en Pologne, en Roumanie et dans les pays baltes. Des manœuvres militaires, d'une ampleur inconnue depuis la guerre froide, sont menées par l'Otan (par exemple « Saber Strike » en ) et la Russie (par exemple « Zapad » en )[304],[305].
Dans son rapport annuel 2018, la Conférence de Münich sur la Sécurité (MSC) souligne que « l'érosion rampante des traités de contrôle des armements (INF et CFE) et le déploiement de capacités militaires supplémentaires pourraient conduire à une nouvelle détérioration de la situation sécuritaire en Europe »[306].
La puissance et l'influence d'un État sont devenus au XXIe siècle moins dépendants de sa puissance militaire et davantage liés à sa capacité à utiliser les capacités offertes par le soft power pour arriver à ses fins en influençant et en déstabilisant ses rivaux.
La guerre froide avait figé les frontières et les revendications territoriales. Sa fin et l'effondrement de l'Union soviétique se traduisent au début du XXIe siècle par le retour en force des questions frontalières le plus souvent liées aux minorités ethniques ou religieuses dans de nombreux États-nations récents à l'Est, et par la montée des régionalismes dans les États-nations plus anciens à l'Ouest[16].
Les régionalismes, les irrédentismes ou les indépendantismes prennent à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle le plus souvent une forme pacifique ou très marginalement violente. Mais ils débouchent parfois sur des luttes armées qui s'éteignent par lassitude et impopularité ou par l'action de la communauté internationale comme en Irlande du Nord, ou bien qui sont entretenues lorsqu'ils se doublent d'un enjeu géopolitique aux marches entre la Russie et les Occidentaux qui ont repoussé loin vers l'Est leur présence via les élargissements successifs de l'OTAN et de l'Union européenne. À l'Ouest les États-nations comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni, ont souvent répondu aux attentes régionalistes par un niveau élevé de décentralisation[16]. Les tensions géopolitiques en Europe se concentrent sur quatre zones : l'Ukraine, le Caucase, les Balkans occidentaux et les États baltes.
État ou région séparatiste |
État d'origine |
Conflit armé | Reconnu par | |||
---|---|---|---|---|---|---|
ONU | Russie | États- Unis |
UE | |||
Abkhazie[307] | Géorgie | Guerre d'indépendance (1992-1993) et conflit de 1998 | ||||
Chypre du Nord | Chypre | Invasion turque de Chypre (1974) | ||||
Crimée | Ukraine | Annexion par la Russie (2014) | ||||
Donbass | Ukraine | Guerre du Donbass (2014 - ) | ||||
Haut-Karabakh[308] | Azerbaïdjan | Guerre du Haut-Karabakh (1988-1994) et 2020 | ||||
Irlande du Nord | Royaume-Uni | Conflit nord-irlandais (1966 - 1998) | Nation constitutive du R.-U. | |||
Kosovo[note 27] | Serbie | Guerre du Kosovo (1998 - 1999) et déclaration d'indépendance en 2008 | ||||
Ossétie du Sud | Géorgie | Première guerre (1991 - 1992) et deuxième guerre d'Ossétie du Sud (2008) | ||||
Pays basque espagnol | Espagne | Conflit basque mené par l'ETA (1961 - 2018) | Communauté autonome d'Espagne | |||
Transnitrie | Moldavie | Guerre indépendantiste de 1992 |
Pays | Pop. | Statut au regard de | ||
---|---|---|---|---|
UEEA | UE | OTAN | ||
Arménie | 2,9 | Partenariat oriental |
Coopération | |
Azerbaïdjan | 9,8 | Coopération | ||
Géorgie | 3,7 | Coopération | ||
Russie | 144 |
Composé d'une multitude de familles ethno-linguistiques, le Caucase est un carrefour entre l’Europe et l’Asie, la chrétienté et l’islam, et un enjeu pour les puissances régionales frontalières, l'Iran, la Turquie et la Russie. Il constitue une région pétrolière stratégique, traversée par les oléoducs reliant la Mer caspienne à la Mer Noire. Les États-Unis y développent aussi leur présence, notamment en matière économique [309],[310].
La carte politique du Caucase au début du XXIe siècle est issue de la structure politique de l'Union soviétique et des conflits locaux nés de son effondrement. Dans le Caucase Sud, ou Transcaucasie, les trois anciennes républiques socialistes soviétiques d'Arménie, d'Azerbaïdjan et de Géorgie sont devenues en 1991 trois États indépendants éponymes, membres de l'ONU depuis 1992 ; les trois régions qui bénéficiaient déjà d'un statut spécial d'autonomie au temps de l'URSS, l'Abkhasie et l'Adjarie en Géorgie, et le Nakhitchevan en Azerbaïdjan, ont conservé cette spécificité. Le Caucase Nord, ou Ciscaucasie, fait partie du territoire de la fédération de Russie, administrée via sept républiques autonomes[note 28] selon un découpage également hérité de l'URSS[311].
La fin de l'Union soviétique en 1991 fait resurgir les revendications nationalistes internes ou inter-étatiques qui mènent à plusieurs conflits dont aucun n'est définitivement réglé. Le conflit en Tchétchénie résulte de la proclamation de son indépendance en 1991 et de son refus de signer, en 1992, le traité constitutif de la fédération de Russie. La Russie mène une première guerre de 1994 à 1996 puis une seconde en 1999 et 2000, qui se poursuit de manière sporadique jusqu'en 2009. L'indépendantisme tchétchène semble durablement brisé, mais des attentats attribués à des tchétchènes ou à des ressortissants d'autres régions du Caucase continuent de se produire en Russie dans les années 2010.
Le conflit relatif au Haut-Karabakh, région de l’Azerbaïdjan, réclamée et occupée par l’Arménie, donne lieu à des affrontements armés de grande ampleur entre 1992 et 1994 et entraîne d'importants déplacements de populations. Depuis le cessez-le-feu de , les négociations n'ont pas abouti et des flambées de violence se produisent sporadiquement, notamment en avril 2016. Les combats reprennent à grande échelle fin 2020. Les Azéris bénéficient du soutien militaire de la Turquie et prennent l'avantage sur le terrain[312]. La Russie, pourtant allié traditionnel de l'Arménie, prend acte de la défaite de son allié et obtient la signature d'un cessez-le-feu total en , hors du cadre du groupe de Minsk[313],[314].
Les conflits en Ossétie du Sud et en Abkhazie naissent des volontés séparatistes de ces deux régions du nord de la Géorgie, frontalières de la Russie. La crise démarre au début des années 1990, avec la première guerre d’Ossétie du Sud en 1991-1992 et la guerre d’Abkhazie de 1992-1993, suivies des déclarations d’indépendance de ces deux territoires qui ne sont alors reconnus par aucun autre pays. Les hostilités reprennent en avec la deuxième guerre d'Ossétie du Sud. Un cessez-le-feu intervient rapidement et l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud est alors reconnue par la Russie et quelques autres pays. Depuis la situation est gelée[315]. L'Union européenne déploie en Géorgie depuis 2008 une mission d'observation (EUMM Géorgie) dont le mandat court jusqu'à fin 2008. Elle compte environ 200 observateurs dont le rôle est de « contribuer à la stabilisation et à la normalisation de la situation et à l'instauration d'un climat de confiance entre les parties au conflit »[316].
Pour contrebalancer la présence militaire de la Russie, la Géorgie s'est rapprochée de l'OTAN qui réaffirme périodiquement son attachement à sa sécurité et à son intégrité territoriale, et appelle la Russie à revenir sur sa décision de reconnaître les régions géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et à retirer ses forces du territoire géorgien[317]. Face à l'opposition de la Russie à l'adhésion de la Géorgie, l'OTAN, plutôt que d'engager un Plan d'action pour l'adhésion (MAP), met en place une solution de compromis autour d'un plan de « coopération renforcée »[318],[319].
Les trois pays du Caucase Sud sont parties prenantes du « Partenariat oriental » initié en 2008-2009 par l'Union européenne et qui vise à développer la coopération multilatérale entre les partenaires et les relations bilatérales entre l'UE et chacun de ces pays avec lesquels l'UE conclut des accords spécifiques[150]. Un accord d'association avec la Géorgie, le premier du genre avec un pays du Caucase, est entré en vigueur en 2016[320]. Un temps suspendu à la suite de son adhésion à l'UEEA, un nouvel accord de partenariat est finalement signé en 2017 avec l'Arménie[134],[321]. Des négociations sont en cours avec l'Azerbaïdjan pour un nouvel accord[322].
Pays | Pop. | Statut au regard de | |
---|---|---|---|
UE | OTAN | ||
Bosnie-Herzégovine | 3,5 | En cours | En cours |
Croatie | 4,2 | 2013 | 2009 |
Kosovo | 1,8 | Potentiel | |
Macédoine du Nord | 2,1 | En cours | En cours |
Monténégro | 0,6 | En cours | 2017 |
Serbie | 7,1 | En cours | |
Slovénie | 2,1 | 2004 | 2004 |
De la Yougoslavie de l'ère Tito sont issus sept pays dont deux ne sont pas reconnus universellement. Le Kosovo, qui déclare son indépendance en 2008 en se séparant de la Serbie, n’est reconnu que par une minorité de pays donc ni par l’ONU, ni non plus par l’Union européenne[323]. La république de Macédoine autoproclamée en 1991 bénéficie d'une très large reconnaissance internationale. Elle devient membre de l'ONU en 1993, mais sous le nom provisoire d'ARYM[note 29] en raison du différend qui l'oppose à la Grèce dont une des régions porte aussi le nom de Macédoine. Ce désaccord bloque l'adhésion de la Macédoine à l'UE et à l'OTAN. L'accord de Prespa intervenu en entre ces deux pays sur le nom de « république de Macédoine du Nord » et entré en vigueur le , débloque cette situation[324],[325].
La stabilisation de cette région est une priorité de l'Union européenne depuis le Conseil européen de Thessalonique en juin 2003 qui adopte « l'agenda pour les Balkans occidentaux ». Les risques de nouveaux conflits ne sont pas exclus tant sont grandes les tensions d'origines ethniques ou religieuses qui existent encore à la fin des années 2010 entre États, comme entre le Kosovo et la Serbie, ou au sein même d'un État comme en Bosnie-Herzégovine[326]. Plusieurs opérations de maintien de la paix ont été menées par l'ONU ou l'UE depuis le début des années 2000 dont trois sont en cours en 2018, EUFOR Althea en Bosnie-Herzégovine, EULEX Kosovo au Kosovo et la MINUK, mission d’administration intérimaire de l'ONU au Kosovo. L'UE a pris dans les années 2000 plusieurs initiatives à la fois pour solder le passé, en exigeant de ces États une pleine coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), et pour organiser et soutenir les mutations que les États des Balkans occidentaux doivent accomplir pour remplir les critères de Copenhague qui sont un préalable nécessaire à l'aboutissement du processus de leur adhésion[326].
L'Union européenne vise l'adhésion à terme de tous les pays constitutifs des Balkans occidentaux, soit les cinq pays de l'ex-Yougoslavie qui n'en sont pas déjà membres auxquels s'ajoute l'Albanie. Le document « Stratégie pour les Balkans occidentaux » publié par la Commission européenne début 2018, définit un nouveau plan d'actions relatif à ces six États et précise que l'adhésion des deux plus avancés dans le processus, le Monténégro et la Serbie, pourrait déboucher en 2025. Tous ces pays sont encore loin de satisfaire à tous les critères définis par l'UE pour que l'adhésion devienne possible, notamment au regard du respect de l’État de droit, de l'élimination de la corruption, de la sécurité et des migrations[327],[328].
La Russie est également présente dans les Balkans qui constituent après l'Ukraine et le Caucase une autre ligne de front avec l'Occident[329]. Moscou s'appuie notamment sur la Serbie, son allié traditionnel, qui en 2017 annonce qu'elle ne désire plus adhérer à l'OTAN[note 30], dont les bombardements sur le pays en 1999 continuent d'alimenter les griefs de la population[330]. La Russie et les Occidentaux sont en compétition pour la maîtrise des approvisionnements en gaz de l'Europe dont les Balkans constituent un des points de passage stratégique[331].
Les trois États baltes deviennent indépendants entre 1918 et 1920. La Russie[note 31] et chacun de ces États signent un traité de paix en 1920[333]. Leur admission à la Société des Nations en 1921 consacre leur reconnaissance par la communauté internationale. Les protocoles secrets du pacte germano-soviétique de 1939 attribuent ces États à l'Union soviétique qui les occupe en . Les États baltes sont annexés à l'Union soviétique et deviennent en des républiques socialistes soviétiques. Les populations paient un lourd tribut durant la Seconde guerre mondiale et lors de la réoccupation soviétique en 1944 jusqu'à la mort de Staline en 1953. La période d’indépendance, entre 1918 et 1940, occupe toujours une importance considérable dans la conscience de nombreux Baltes. Bien qu'intégrés à l'Union soviétique, ces trois États ressemblent davantage à ceux d’Europe centrale où la soviétisation n'a jamais pris le pas sur l'identité nationale[334].
Profitant de l'implosion de l'Union soviétique, les États baltes proclament leur indépendance en 1990, qui est reconnue par l'Union soviétique en [335], et ne rejoignent pas la CEI. Depuis le retour à l’indépendance, les politiques de ces trois États ont en commun une recherche fondamentale de sécurité et d’intégration à l’économie mondiale[334]. Ils deviennent membres de l'OTAN et de l'UE en 2004. La région n'est pour autant pas devenue un « lac otanien » puisque ni la Finlande ni la Suède n'en sont membres.
La Baltique est une des fenêtres sur la mer de la Russie à laquelle elle accède via Saint-Pétersbourg et l'exclave de Kaliningrad, isolée du reste de son territoire. L'alliance entre la Russie et la Biélorussie permet que les forces militaires russes soient présentes le long des frontières Est des États baltes et de la Pologne. Le réarmement russe depuis 2008 se traduit par un renforcement des capacités et des activités militaires aux portes des États baltes, devenu l'objet du côté occidental de craintes réelles ou supposées[336]. Kaliningrad est redevenue une véritable « forteresse militaire » et abrite des missiles capables d'emporter des têtes nucléaires[337].
Le regain de tensions entre les Occidentaux et les Russes conduit aussi la Finlande et la Suède à réexaminer la question de leur adhésion à l'OTAN depuis l'annexion de la Crimée par la Russie et l'insurrection armée prorusse dans le Donbass en 2014[338]. L'éclatement de la guerre à grande échelle les conduit à annoncer en mai 2022 leur volonté de rejoindre l'OTAN. La Finlande en devient membre en 2023 et la Suède en 2024[339].
Depuis leur intégration dans l'OTAN en 2004, les États baltes bénéficient du système de défense aérienne de l'OTAN qui inclut une mission de police du ciel assurée par rotation par d'autres États de l'OTAN avec des avions basés en Estonie, Lituanie et Pologne[340]. Faisant suite aux évènements en Ukraine, l'OTAN décide lors du sommet de Varsovie en 2016 de renforcer sa présence avancée de forces terrestres par rotation dans les États baltes et en Pologne[341].
Moscou utilise aussi les ressources du « soft power » pour faire pression sur les États baltes. En particulier, les actions de séduction des minorités russes, importantes en Estonie et en Lettonie, se sont multipliées ces dans les années 2010, faisant craindre leur utilisation comme cheval de Troie[342],[332].
La disparition du rideau de fer et les bouleversements politiques, économiques et sociaux qui s'ensuivent ont des conséquences importantes sur la démographie : ainsi, les pays d'Europe connaissent depuis la fin de la guerre froide des évolutions démographiques très contrastées qui alimentent les tensions intra-européennes, à l'échelle de l'Europe entière ou de l'Union européenne.
Dans un premier groupe de pays au Nord-Ouest de l'Europe, parmi lesquels le Royaume-Uni et la France, la population a progressé d'au moins 10% sous le double effet d'un solde naturel et d'un solde migratoire positifs. Dans un deuxième groupe de pays comprenant principalement l'Allemagne, l'Italie et les pays du Sud, le solde naturel devenu négatif est compensé par un solde migratoire positif. Le troisième groupe comprend la plupart des pays d'Europe de l'Est qui voient leur population décroître sous le double effet négatif d'une natalité en berne et d'une forte émigration[343].
La Russie compte en 2016 plus de 144 millions d'habitants, en diminution de 4,3 millions depuis 1991. Les principaux facteurs en sont un indice de fécondité bas, une espérance de vie parmi les plus faibles en Europe et une faible attractivité migratoire. Toutefois, depuis 2011 la population avait recommencé à croître légèrement, mais cette tendance s'est de nouveau inversée en 2017 conduisant le gouvernement russe à prendre de nouvelles mesures[18],[344],[345],[346].
La Turquie constitue un cas à part : entre 1991 et 2016, sa population a crû de 45 % passant de 45 millions à 80 millions d'habitants, soit à un niveau très proche de l'Allemagne qui comptait déjà 80 millions d'habitants en 1991 et n'en compte que deux de plus en 2016[18].
Les conséquences géopolitiques de ces disparités sont importantes à court terme dans l'Union européenne où le mouvement migratoire de l'Est vers l'Ouest est source de divergences politiques profondes en favorisant les poussées nationalistes et populistes.
L'explosion démographique en Afrique et l'instabilité chronique du Proche-Orient génèrent dans les années 2010 une pression migratoire forte, facteur de désunion politique et de fragilisation de l'Union européenne. La persistance annoncée de ces facteurs devrait continuer de générer une pression migratoire très forte sur l'Union européenne et constituer ainsi un défi majeur à sa cohésion et à sa capacité d'en tirer un parti positif pour son économie et sa place dans le monde.
En revanche, l'indice de développement humain, indice composite publié par le PNUD qui prend en compte l'espérance de vie, le niveau d'éducation et le niveau de vie évolue favorablement depuis le début du XXIe siècle. En 2000, la plupart des pays Occidentaux ont un IDH très élevé (valeur > 0,800) ; sur les 30 pays dans le monde entrant dans cette catégorie, 19 sont européens. Mais les pays d'Europe de l'Est ayant appartenu au bloc soviétique durant la guerre froide ont un IDH élevé (valeur > 0,700) et même pour six d'entre eux seulement un IDH moyen (valeur > 0,550). En 2017, cette situation a sensiblement évolué. Plus aucun pays d'Europe n'a un IDH moyen et seuls l'Ukraine, l'Albanie, la Géorgie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord et la Serbie ont un IDH élevé, tous les autres pays ayant un IDH très élevé. Entre Europe et Asie, la Turquie passe de la catégorie IDH moyen à celle d'IDH élevé. La Russie progresse et rejoint le groupe des pays européens à IDH très élevé. Cependant un écart subsiste entre les pays d'Europe de l'Ouest et du Nord qui occupent les premières places du classement européen et figurent en très bonne position dans le classement mondial, et les pays d'Europe du Sud et de l'Est[21].
Pays | 2006 | 2015 | 2023 | |
---|---|---|---|---|
UE | 8,17 | 7,96 | 7,90 | |
Allemagne | 8,82 | 8,64 | 8,80 | |
France | 8,07 | 7,92 | 8,07 | |
Hongrie | 7,53 | 6,84 | 6,72 | |
Pologne | 7,30 | 7,09 | 7,18 | |
Roumanie | 7,06 | 6,68 | 6,45 | |
Royaume-Uni | 8,08 | 8,31 | 8,28 | |
Russie | 5,02 | 3,31 | 2,22 | |
Turquie | 5,70 | 5,12 | 4,33 | |
|
L'objectif d'une Europe unie autour de valeurs démocratiques et libérales communes est largement présent dans les discours des dirigeants européens au début du XXIe siècle. Cet objectif s'est éloigné au cours de la deuxième décennie de ce siècle en raison d'un recul marqué de la démocratie en Russie et en Turquie, mesuré par l'indice de démocratie publié par The Economist[347],[348]. Leurs dirigeants s'appuient sur le passé impérial de leur pays pour mobiliser les sentiments nationalistes de la population et asseoir leur pouvoir. En Russie, V. Poutine recueille un large soutien de son opinion publique en faisant vivre un sentiment d'encerclement et d'hostilité de ses voisins européens et des États-Unis hérité de la guerre froide et en prenant le contrôle de la Crimée au nom de la défense des populations russophones. La Turquie s'engage dans des opérations armées en Syrie contre les Kurdes qui pourtant coopèrent étroitement avec ses alliés de l'OTAN. Ces deux États adoptent par conséquent des postures géopolitiques défavorables à l'approfondissement des coopérations intra-européennes[349]. Dans la partie occidentale de l'Europe, la démocratie demeure solide et les pays de cette zone continuent d'occuper sept des dix premières places du classement mondial. Toutefois les scores touchant la culture politique, le fonctionnement des institutions, le processus et le pluralisme électoraux et les libertés individuelles diminuent faiblement mais constamment entre 2015 et 2018. Ce déclin persistant de la qualité de la démocratie accroit le soutien populaire à la lutte contre le « système ». Entre et , des partis anti-système sont entrés au gouvernement en Italie et en Autriche, en raison de la persistance de l’incapacité des partis traditionnels à répondre aux préoccupations et à l’insécurité de larges pans de la population[348].
L'Union européenne fait face à d'importantes difficultés résultant d'une part du vote des Britanniques en en faveur du Brexit et d'autre part des divergences politiques fortes entre ceux de ses États membres qui prônent la poursuite de l'intégration et une économie ouverte et ceux où les élections ont porté au pouvoir en Hongrie, Pologne ou Roumanie particulièrement des gouvernements d'inspiration plus nationaliste et moins démocratique. L'indice de démocratie recule de façon significative depuis 2008 en Hongrie, Pologne, Roumanie et Ukraine[20].
Les divergences entre une grande majorité des États membres de l'UE et ceux d'Europe de l'Est, rejoints par l'Italie en , qui sont en rupture avec les lignes directrices suivies par l'UE depuis sa création, se traduisent de manière aigüe non seulement sur la politique d'immigration mais aussi sur l'avenir même de l'union économique et monétaire, de la libre circulation au sein de l'UE et in fine sur la capacité de l'UE à rester un acteur de la géopolitique européenne. Le Livre blanc sur l'avenir de l'Europe publié par la Commission européenne en 2017 témoigne de ces incertitudes en présentant cinq scénarios[350].
Souvent annoncé, le déclin américain au profit de l'Asie ne résultera que d'une évolution lente : dans les années 2020, les États-Unis resteront la première puissance mondiale en termes politiques, économiques et militaires. En revanche le déclin relatif de l'Europe est une réalité depuis la fin du XXe siècle et les projections réalisées par l'ONU, l'OCDE, l'UE[351] et Pwc[352] prévoient toutes qu'il se poursuivra.
Région | 2015 | 2050 | Variation |
---|---|---|---|
Union européenne | 505 | 500 | -5 |
Russie | 144 | 129 | -15 |
Turquie | 78 | 96 | +18 |
États-Unis | 321 | 390 | +69 |
Chine | 1376 | 1348 | -28 |
Inde | 1371 | 1705 | +334 |
Japon | 127 | 107 | -20 |
La démographie est l'un des principaux moteurs de la croissance économique à long terme. En pourcentage de la population mondiale, l'UE a atteint son apogée après l'élargissement de 2007 à la Bulgarie et à la Roumanie, mais sa part diminuera progressivement à environ 6% de la population mondiale en 2030, soit exactement le même pourcentage qu'avant l'élargissement de 2004[354]. À plus long terme, selon les projections démographiques de l'ONU, la population de l'UE stagnerait autour de 500 millions d'habitants à l'horizon 2050 et diminuerait de 49 millions de personnes en âge de travailler dans la tranche des 20-64 ans, dont 11 millions pour la seule Allemagne. Les populations actives française et britannique continueraient de croître, mais baisseraient aussi en Espagne et en Italie.
La Russie perdrait une quinzaine de millions d'habitants et plus de vingt millions dans la tranche des 20-64 ans. Dans le même temps, la population des États-Unis s'accroîtrait de près de 70 millions d'habitants, celle de la Chine reculerait en conséquence de la politique de natalité de l'enfant unique poursuivie pendant des décennies, et la population indienne continuerait de croître à un rythme rapide ainsi que celle de l'Afrique et de l'Amérique latine[353],[32],[355],[343].
L'analyse statistique des données relatives aux pays occidentaux montre une forte corrélation entre le dynamisme démographique et l'accroissement de la productivité, indicateur clef de performance économique[note 32]. La diminution de la population active et l'accroissement des populations âgées inactives sont des facteurs d'affaiblissement économique de l'Europe dans le monde par érosion de son propre marché intérieur et par manque de main d'œuvre pour relever les défis technologiques d'avenir. La plus touchée serait la Russie dont les ambitions géopolitiques à l'échelle de son immense territoire et de l'Eurasie dans son ensemble seraient entravées par sa chute démographique.
Pays | PIB 2016[356] | PIB 2030[352] | PIB PPA 2016[note 33] | PIB PPA 2030 | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Rg. | Milliards $ | Rg. | Milliards $ | Rg. | Milliards $ | Rg. | Milliards $ | |
États-Unis | 1 | 18 624 | 2 | 23 475 | 2 | 18 624 | 2 | 23 475 |
Chine | 2 | 11 199 | 1 | 26 499 | 1 | 21 269 | 1 | 38 008 |
Japon | 3 | 4 940 | 4 | 5 468 | 4 | 4 932 | 4 | 5 606 |
Allemagne | 4 | 3 477 | 5 | 4 347 | 5 | 3 979 | 7 | 4 707 |
Royaume-Uni | 5 | 2 647 | 6 | 3 530 | 9 | 2 788 | 10 | 3 638 |
France | 6 | 2 465 | 7 | 3 186 | 10 | 2 737 | 11 | 3 377 |
Inde | 7 | 2 263 | 3 | 7 841 | 3 | 8 721 | 3 | 19 511 |
Italie | 8 | 1 858 | 10 | 2 278 | 12 | 2 221 | 15 | 2 541 |
Russie | 12 | 1 283 | 13 | 2 111 | 6 | 3 745 | 6 | 4 736 |
Turquie | 17 | 863 | 17 | 1 705 | 14 | 1 906 | 12 | 2 996 |
Dans le tableau ci-dessous, figurent tous les pays qui soit sont membres du Conseil de l'Europe, soit figurent dans les statistiques démographiques ou économiques du FMI en tant que pays d'Europe. La région d'appartenance de chacun de ces pays dans la nomenclature de l'ONU figure également. Les États membres de l'Union européenne et de la zone euro sont aussi identifiés. Les données démographiques et économiques sont renseignées pour les pays européens de la liste du FMI, seuls ces pays sont inclus dans les données « Total Europe » qui figurent dans le présent article.
Fondé en 1949 par 10 pays, le Conseil de l’Europe est la plus ancienne des organisations européennes à but politique. Avec 47 membres depuis 2007, elle est aussi celle qui s'élargit le plus à l'Est aux marges de l'Europe, puisqu'elle accueille entre 1999 et 2001 les trois pays du Caucase, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie. La Turquie en est membre depuis 1950 ; cette adhésion précoce vise alors comme celle à l'OTAN en 1952 vise à ancrer la Turquie dans le camp occidental. La Biélorussie n'est pas membre du Conseil de l'Europe.
L'ONU situe en Europe 43 de ses États membres, 44 en incluant le Saint-Siège qui est un État non-membre mais qui dispose d'une mission permanente d'observation à l'ONU. Le Kosovo n'est pas un État membre et ne figure pas dans les listes publiées par l'ONU[357]. Les pays du Caucase y compris la Turquie sont classés en Asie occidentale ainsi que Chypre, que l'UNCTAD classe toutefois en Europe[358].
L'agrégat Europe du FMI comprend 40 pays. Par rapport au classement de l'ONU, le FMI n'inclut pas les principautés d'Andorre, du Liechtenstein et de Monaco ainsi que le Vatican. En revanche, il inclut Chypre. Comme l'ONU, il n'inclut pas non plus les pays du Caucase et la Turquie dans sa liste des pays d'Europe.
États (49) |
ONU (48+1) [359] |
Région ONU[15] |
UE (27) |
Zone Euro (19) |
Liste FMI (40) [360] |
Conseil Europe (47+1) [361] |
IND (2018) [20],[362] |
Hab. (103) (2016) [18] |
PIB (109 $) (2017) [356] |
PIB/hab. ($ PPA) (2017) [19] |
IDH (2017) [21] |
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Albanie | 1955 | Eur. du Sud | 1995 | 5,98 | 2 876 | 13 | 12 021 | 0,785 | |||
Allemagne | 1973 | Eur. de l'Ouest | € | 1950 | 8,68 | 82 488 | 3 677 | 50 639 | 0,936 | ||
Andorre | 1993 | Eur. du Sud | 1994 | ||||||||
Arménie | 1992 | Asie occ. | 2001 | 4,79 | |||||||
Autriche | 1955 | Eur. de l'Ouest | € | 1956 | 8,29 | 8 731 | 417 | 52 398 | 0,908 | ||
Azerbaïdjan | 1992 | Asie occ. | 2001 | ||||||||
Belgique | 1945 | Eur. de l'Ouest | € | 1949 | 7,78 | 11 339 | 493 | 47 840 | 0,916 | ||
Biélorussie | 1945 | Eur. de l'Est | 3,13 | 9 502 | 54 | 18 848 | |||||
Bosnie-Herzégovine | 1992 | Eur. du Sud | 2002 | 4,98 | 3 517 | 18 | 12 876 | 0,768 | |||
Bulgarie | 1955 | Eur. de l'Est | 1992 | 7,03 | 7 128 | 58 | 20 329 | 0,813 | |||
Chypre | 1960 | Asie occ. | € | 1961 | 7,59 | 1 170 | 22 | 34 503 | 0,869 | ||
Croatie | 1992 | Eur. du Sud | 1996 | 6,57 | 4 174 | 55 | 25 264 | 0,831 | |||
Danemark | 1945 | Eur. du Nord | 1949 | 9,22 | 5 728 | 325 | 51 364 | 0,929 | |||
Espagne | 1955 | Eur. du Sud | € | 1977 | 8,08 | 46 485 | 1 311 | 37 998 | 0,891 | ||
Estonie | 1991 | Eur. du Nord | € | 1993 | 7,97 | 1 316 | 26 | 31 742 | 0,871 | ||
Finlande | 1955 | Eur. du Nord | € | 1989 | 9,14 | 5 495 | 252 | 44 866 | 0,920 | ||
France | 1945 | Eur. de l'Ouest | € | 1949 | 7,80 | 66 892 | 2 583 | 42 850 | 0,901 | ||
Géorgie | 1992 | Asie occ. | 1999 | 5,50 | |||||||
Grèce | 1945 | Eur. du Sud | € | 1949 | 7,29 | 10 771 | 200 | 27 602 | 0,870 | ||
Hongrie | 1955 | Eur. de l'Est | 1990 | 6,63 | 9 814 | 139 | 28 108 | 0,838 | |||
Irlande | 1955 | Eur. du Nord | € | 1949 | 9,15 | 4 750 | 334 | 75 648 | 0,938 | ||
Islande | 1946 | Eur. du Nord | 1950 | 9,58 | 335 | 24 | 53 153 | 0,935 | |||
Italie | 1955 | Eur. du Sud | € | 1949 | 7,71 | 60 627 | 1 935 | 39 427 | 0,880 | ||
Lettonie | 1991 | Eur. du Nord | € | 1995 | 7,38 | 1 960 | 30 | 27 598 | 0,847 | ||
Liechtenstein | 1990 | Eur. de l'Ouest | 1978 | ||||||||
Lituanie | 1991 | Eur. du Nord | € | 1993 | 7,50 | 2 868 | 47 | 32 092 | 0,858 | ||
Luxembourg | 1945 | Eur. de l'Ouest | € | 1949 | 8,81 | 582 | 62 | 103 745 | 0,904 | ||
Macédoine du Nord | 1993 | Eur. du Sud | 1995 | 5,87 | 2 081 | 11 | 15 231 | 0,757 | |||
Malte | 1964 | Eur. du Sud | € | 1965 | 8,21 | 437 | 13 | 39 535 | 0,878 | ||
Moldavie | 1992 | Eur. de l'Est | 1995 | 5,85 | 3 552 | 8 | 5 698 | ||||
Monaco | 1993 | Eur. de l'Ouest | 2004 | ||||||||
Monténégro | 2006 | Eur. du Sud | 2007 | 5,74 | 622 | 5 | 18 765 | 0,814 | |||
Norvège | 1945 | Eur. du Nord | 1949 | 9,87 | 5 236 | 399 | 61 414 | 0,953 | |||
Pays-Bas | 1945 | Eur. de l'Ouest | € | 1949 | 8,89 | 17 030 | 826 | 52 503 | 0,931 | ||
Pologne | 1945 | Eur. de l'Est | 1991 | 6,67 | 37 970 | 526 | 29 026 | 0,865 | |||
Portugal | 1955 | Eur. du Sud | € | 1976 | 7,84 | 10 325 | 218 | 31 673 | 0,847 | ||
Roumanie | 1955 | Eur. de l'Est | 1993 | 6,38 | 19 699 | 212 | 25 841 | 0,811 | |||
Royaume-Uni | 1945 | Eur. du Nord | 1949 | 8,53 | 65 596 | 2 622 | 43 269 | 0,922 | |||
Russie | 1945 | Eur. de l'Est | 1996 | 2,94 | 144 342 | 1 578 | 25 533 | 0,816 | |||
Saint-Marin | 1992 | Eur. du Sud | 1988 | 33 | 2 | 62 426 | |||||
Serbie | 2000 | Eur. du Sud | 2003 | 6,41 | 7 058 | 41 | 15 090 | 0,787 | |||
Slovaquie | 1993 | Eur. de l'Est | € | 1993 | 7,10 | 5 431 | 96 | 31 616 | 0,855 | ||
Slovénie | 1992 | Eur. du Sud | € | 1993 | 7,80 | 2 065 | 49 | 34 868 | 0,896 | ||
Suède | 1946 | Eur. du Nord | 1949 | 9,39 | 9 923 | 538 | 50 208 | 0,933 | |||
Suisse | 2002 | Eur. de l'Ouest | 1963 | 9,03 | 8 372 | 679 | 64 712 | 0,944 | |||
Tchéquie | 1993 | Eur. de l'Est | 1993 | 7,69 | 10 566 | 216 | 36 327 | 0,888 | |||
Turquie | 1945 | Asie occ. | 1950 | 4,37 | |||||||
Ukraine | 1945 | Eur. de l'Est | 1995 | 5,69 | 45 005 | 112 | 8 667 | 0,751 | |||
Vatican[2],[363],[364] | 2004 | Eur. du Sud | 1970 | 1 |
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