De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Dans le domaine de l’écologie des systèmes lotiques, la notion de dérive désigne le flux d’organismes (vivants ou morts[3]) emportés par le courant, et la « dérive des invertébrés aquatiques » désigne le cas particulier des migrations ou petits déplacements (actifs, c'est-à-dire comportementaux, ou passifs et accidentels) d’invertébrés dans le sens du courant[4].
Elle concerne les invertébrés vivant sur le fond, dits benthiques, et les organismes planctoniques de pleine eau. Un phénomène assez similaire est constaté pour les alevins si des crues se produisent en leur présence. De nombreux poissons prédateurs se montrent également plus actifs aux heures auxquelles se produit cette dérive (aube, crépuscule).
Il s’agit parfois de l’une des formes de la migration animale et elle peut être associée à des phénomènes de migration verticale dans la colonne d'eau, souvent selon un cycle jour-nuit et/ou saisonnier.
Divers auteurs, dont Bournaud & Thibault en 1973, notent que « Il n'apparait jamais d'épuisement des zones amont par la dérive des organismes ». Selon eux, « les phénomènes compensateurs sont à rechercher surtout dans une production suffisante du benthos, mais aussi dans des déplacements actifs des organismes vers l'amont »[3]. Selon Bogadov (1984), grâce au flux de propagules et organismes adultes qui constituent la dérive, les communautés d’invertébrés et d’autres organismes benthiques sont plus stables et plus résilientes[5].
Le mot employé en allemand et en anglais pour désigner cette dérive est « drift », utilisé au moins depuis 1925 (par le naturaliste américain W.L. McAtee) dans ce contexte[6].
De très nombreuses espèces sont concernées ; dont en France concernant le benthos : des larves d'éphéméroptères (de la famille des Baetidae notamment), de plécoptères (Nemouridae notamment), de diptères (larves de simulies notamment, et parfois chironomes), des crustacés amphipodes tels que les aselles et gammares et des coléoptères aquatiques (larves et imagos de Dryopidae notamment). Les larves de trichoptères dérivent quand elles sont très jeunes, mais non pour celles qui construisent un fourreau minéral (une fois qu’elles l’ont construit) car ce fourreau est assez lourd pour les maintenir au fond. Le nombre d’hydracariens en dérive peut être sous-estimé si les mailles du filet sont trop grandes.
En période de crue, les filets utilisés par les biologistes pour évaluer cette dérive recueillent aussi de nombreux organismes ripicoles, semi-aquatiques ou non ripicoles et exogènes au cours d’eau (ex : 33 taxons qui représentaient 12,7 % de tous les organismes en dérive collectés dans le chenal principal de la Moyenne-Durance au milieu des années 1980.
Ce thème a commencé à être scientifiquement étudié dans les années 1960-1970, dans différentes parties du monde et différents types de fleuves, rivières, torrents et ruisseaux, quand on a pris conscience de l’importance du flux de dérive d’invertébrés, de nuit notamment, et des enjeux pour les poissons carnivores ou omnivores et leurs alevins (salmonidés notamment[7]) ou encore d'enjeux écoépidémiologiques avec les mouvements d'organismes aquatiques ou semi-aquatiques vecteurs de maladies et zoonoses (Malaria par exemple).
En 1962, Waters confirme expérimentalement que l'accumulation d'invertébrés dans les filets de dérive résulte bien d'un déplacement permanent des organismes de l'amont vers l'aval, et qu'il ne s'agit pas du résultat d'une activité aléatoire et non-directionnelle des organismes situés dans le voisinage immédiat des filets[8].
En 1966, le même Waters a évalué la dérive à 0,001 à à, 5 g/m2/jour, ce qui correspondait dans ce cas à 1 centième à un tiers de toute la biomasse disparaissant chaque jour vers l'aval (suivant l'époque de l’année)[9]. Ce chiffre peut paraître élevé mais, dans ce même contexte, la production journalière était comprise entre 9,1 et 12,6 g/m2/j rien que pour Baetis vagans, et un turn-over important est connu pour de nombreux organismes[10], le dépeuplement induit par la dérive est donc dans une grande mesure compensé par les nouveaux individus amenés par la dérive elle-même et par les individus nés sur place[9]. Les conséquences de ces phénomènes ont suscité l'intérêt de divers scientifiques et justifié de nombreuses études, sans que le phénomène soit encore complètement cerné en termes d'enjeux écologiques notamment relatifs à la fragmentation écologique des cours d'eau et bassins versants, ou au contraire de liens artificiellement créés entre différents cours d'eau par les canaux, ou encore en termes de services écosystémiques.
Des informations sur la connectivité fonctionnelle et l’intégrité écologique du cours d’eau peuvent être obtenues en comparant les données de dévalaison d'alevins ou de poissons matures, la dérive du plancton et des macroinvertébrés benthiques. La comparaison peut aussi porter sur les dates et intensités de flux de matière organique, par exemple dans le cadre du «River Continuum Concept» (RCC).
Un travail fait sur le Rhône a conclu à un « fonctionnement contrôlé en priorité par l'amont, avec une relative indépendance des connectivités latérales, ses plaines d'inondation ne constituant pas apparemment une source de matières organiques à l'échelle de nos mesures ». Dans ce cas, les auteurs précisent que « les flux de dérive démontrent néanmoins, dans le contexte du « Patch Dynamics Concept » (PDC), le rôle fonctionnel des rives dans l'organisation des communautés et des populations de macro-invertébrés benthiques des écosystèmes lotiques de grands fleuves », ce qui invite à penser que les effets de l’artificialisation des berges de nombreux cours d’eau pourraient avoir été sous-estimés.
L'étude de ces dérives implique d'évaluer sur toute la largeur d'un cours d'eau (ou des cours d'eau d'un bassin versant) la densité et la masse des organismes (invertébrés dans le cadre du présent article) qui y passe et d'en expliquer la temporalité par deux types de facteurs :
Pour cela, les hydrobiologistes ont cherché à mieux caractériser son intensité, sa durée et sa périodicité, en mesurant notamment :
Ces mesures se font par différentes méthodes et en respectant certains principes nécessaires à la comparabilité :
S’ils n’étaient pas naturellement compensés, des phénomènes importants de dérive (fréquemment constatés) tendraient à vider l’amont et certains compartiments des cours d’eau de leurs invertébrés.
La plupart des cours d’eau sont en fait régulièrement ou constamment « repeuplés » par des propagules venus de l’amont (ou de l’aval, remontés par des poissons, oiseaux ou mammifères par exemple, on parle alors de zoochorie de l’aval vers l’amont).
Ainsi la dérive d’un grand cours d’eau est compensée par la dérive d’invertébrés provenant de l’amont, mais aussi et très significativement provenant de bras annexes, de chenaux latéraux et de zones périodiquement inondées.
Selon le naturaliste Karl Müller[18],[19] la recolonisation de l'amont pourrait se faire par des imagos qui remontent vers la source en volant puis pondent plus en amont. Bournaud & Thibault (1973) rappellent aussi que chez certaines espèces (gammares), il a aussi été constaté que les femelles ovigères se laissaient moins dériver que les mâles et même qu'elles remontent vers l'amont.
Ce phénomène explique en partie la résilience écologique de cours d’eau curés, momentanément asséchés ou momentanément gravement pollués. Il est aussi constaté dans des canaux ou cours d’eau semi-artificialisés ou aménagés avec de grands barrages (comme la Moyenne-Durance par exemple[4]). Il est quantitativement parfois très important : ainsi Müller a en 1954 calculé que 4,550 kg d'invertébrés avaient en seulement 11 jours du mois de juin recolonisés 150 m de ruisseaux auparavant entièrement nettoyés. Cette recolonisation ne peut provenir que d'organismes apportés par le courant à partir de l'amont, ou provenant de l'aval à la suite d'une remontée du cours d'eau vers sa source.
De nombreuses observations in situ ont montré que hors évènements accidentels, les organismes se laissent volontairement dériver en rejoignant eux-mêmes la zone de plus fort courant et en y retournant s’ils sen éloignent ou après une courte période.
La dérive d’organismes benthiques est néanmoins sous le contrôle de plusieurs phénomènes souvent conjoints ou successifs.
Ils sont observés chez les vertébrés que sont les poissons, mais aussi, avec des rythmes différents chez les algues aquatiques et certaines plantes aquatiques. On parle par exemple de dérive algale[50]. On retrouve dans l’analyse du phénomène des paramètres pouvant évoquer la dérive des invertébrés (influence de perturbations naturelles (température, luminosité, pression de broutage), stress anthropiques, nature du substrat, variations nycthémérales, stabilité du milieu, biomasse en place…). La dérive de propagules d’algues épilithique contribue à la recolonisation du milieu après une crue vive ou un long assec.
Certaines propagules de plantes aquatiques font aussi l’objet d’une dérive jouant un rôle important pour leur dispersion.
En mer la dérive de grands laminaires décrochés du fond contribue à diffuser les invertébrés qui leur sont associés, par exemple entre l'Afrique du Sud et Sainte-Hélène [51].
Seamless Wikipedia browsing. On steroids.