Bataille de Lissa (1866)
bataille navale (1866) De Wikipédia, l'encyclopédie libre
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La bataille navale de Lissa met aux prises, le , les Italiens aux Autrichiens, dans l'Adriatique, au large de l'île de Lissa ou Vis aujourd'hui en Croatie. Même si elle n'a pas eu beaucoup d'effet sur l'issue du conflit dans lequel elle s'inscrit, elle fait date comme étant la première bataille de l'histoire mettant aux prises deux escadres de cuirassés, et a donc une grande influence sur l'évolution de la pensée navale mondiale.
Date | |
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Lieu | Île de Vis, Croatie |
Issue | Victoire autrichienne |
Empire d'Autriche | Royaume d'Italie |
Wilhelm von Tegetthoff | Carlo Persano |
7 cuirassés un vaisseau de ligne 6 frégates 12 canonnières |
12 cuirassés 10 frégates 4 canonnières |
38 morts 138 blessés |
2 cuirassés coulés 643 morts 40 blessés |
Guerre austro-prussienne-Troisième guerre d'Indépendance italienne
Batailles
Coordonnées | 43° 10′ 35″ nord, 16° 03′ 12″ est |
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En 1866, l'Autriche est en guerre contre la Prusse, dont l'Italie est l'alliée, Bismarck lui ayant promis en échange la Vénétie, alors autrichienne, mais les Italiens ambitionnaient aussi d'autres annexions (Trente, parties de l'Istrie et de la Dalmatie). Les Italiens sont battus à Custoza le 24 juin 1866, mais les Prussiens écrasent les Autrichiens à Sadowa le 4 juillet suivant, ce qui contraint les Autrichiens, sans espoir de victoire, à négocier. Pour se présenter en position de force lors des négociations, l'Italie cherche alors à prendre une revanche sur mer, en s'emparant grâce à sa flotte de l'île autrichienne de Lissa, sur les côtes de Dalmatie. L'île de Lissa avait été choisie parce qu'elle était assez éloignée de la côte, presque toute sa population connaissait l'italien et une partie considérable parlait uniquement cette langue. Les Italiens s'attendaient donc à un bon accueil de la population de l'île après le débarquement et l'occupation.
En 1866, la marine à vapeur et en fer est une révolution entamée à peine dix ans plus tôt. La quasi-totalité des navires de guerre en construction portent encore mâts et voiles. L’hélice, voire les roues à aubes, sont encore considérées comme forces d'appoint. Depuis le lancement de la frégate française La Gloire, un certain nombre de navires bénéficient d'une cuirasse en fer doublant tout ou partie de leur coque en bois. Quelques navires commencent à être entièrement construits en fer, l'emploi commençant dans la marine de guerre, avec le vaisseau britannique Warrior.
L'artillerie des navires est alors également en pleine mutation : l'apparition des obus Paixhans, avec une fusée de contact, a donné aux munitions un pouvoir de destruction inconnu jusqu'alors, particulièrement contre les navires en bois, comme l'a prouvé la bataille de Sinope entre les Russes et les Turcs. L'application des blindages en fer puis en acier intervient en réponse à cette nouvelle arme, et se révèle efficace à tel point que, lors du combat de Hampton Roads, aucun des deux adversaires n'est endommagé sérieusement, malgré une canonnade de plusieurs heures. Pour percer les cuirasses il faut de nouveaux canons, plus puissants, donc plus encombrants. Leur nombre par conséquent doit diminuer, et on doit les placer de façon à leur procurer le champ de tir le plus large. De ce besoin découle l'invention de la tourelle, de la barbette, et du réduit central. Autre innovation importante, qui commence à apparaître sur les pièces d'artillerie de l'époque, le chargement par la culasse, ce qui permet de réapprovisionner l'arme de façon plus rapide et en restant à l'abri du blindage. Le chargement par l'arrière permet aussi d'utiliser des tubes rayés, plus précis et de plus grande portée, avec des munitions cylindro-ogivales, plus lourdes et donc plus perforantes, pour le même calibre. Mais en 1866, ce type de pièces n'est pas sûr et on en trouve très peu d'installées. Le tir par bordées est toujours la règle, c'est-à-dire que tous les canons d'un même côté tirent en même temps, généralement sur la même cible. Cela ralentit la cadence de tir possible mais est censé être plus efficace. Les Autrichiens appliquent la « bordée convergente », c'est-à-dire que tous les canons visent le même endroit de l'adversaire.
La bataille de Lissa intervient alors que toutes ces transformations sont en cours, les navires de plus d'une dizaine d'années paraissant déjà obsolètes. Ainsi, du côté autrichien, on trouve le Kaiser, navire de ligne tout à fait classique avec ses deux ponts alignant quatre-vingt-douze canons se chargeant par la gueule, et d'un calibre de 40 et de 30 livres, sans aucune protection autre que ses épaisses bordées de chêne et équipé d'une voilure carrée complète sur trois mâts, tandis que l'Italie met en ligne l'Affondatore, avec une artillerie limitée à deux pièces de gros calibre, en tourelle. Outre l'avantage numérique, le camp italien dispose d'une supériorité évidente en artillerie, embarquant un grand nombre de pièces modernes, rayées, à chargement par la culasse, en particulier des 165 mm français. Toute la gamme des gradations dans la modernité peut être trouvée dans les navires engagés à Lissa, on trouve ainsi des cuirassés à réduit central, comme les Maria Pia (en) ou Ferdinand Max, à deux réduits, comme les Palestro (it), à tourelle comme l'Affondatore, à côté de bâtiments classiques à voiles dotés d'une propulsion d'appoint à vapeur, par hélice, ou bien roue à aubes. Malgré l'avance technique de la flotte italienne, l'issue de la bataille sera en faveur des Austro-Hongrois.
La marine autrichienne n'est pas de premier ordre. Les navires sont assez anciens et les canons modernes commandés chez Krupp AG, qui devaient augmenter leur puissance de feu, n'ont jamais été livrés. Les équipages, aussi hétéroclites que les bâtiments, appartiennent à toutes les nationalités de l'empire d'Autriche. Le corps des officiers est surtout composé d'Allemands d'Autriche, les Croates représentent presque la moitié des équipages, mais un grand nombre de marins sont des Italiens de Vénétie, de Trieste, de d'Istrie, de Fiume (Rijeka) et de Dalmatie.
La flotte est basée à Pola, au sud de l'Istrie, à deux cents kilomètres au nord de l'île de Lissa et à peu près à la même distance de la côte italienne. Malgré des défenses importantes, les Autrichiens craignent un raid de la flotte italienne, sur Pola ou dans le nord de la mer Adriatique, vers Trieste ou Venise. Les ordres transmis par le ministère de la Guerre sont de n'emmener que les navires cuirassés et de ne pas livrer combat plus loin que Lissa pour être capable de remonter rapidement au nord si les Italiens s'y risquaient, une attaque sur Lissa pouvant n'être qu'une diversion. L'escadre est commandée par le contre-amiral Wilhelm von Tegetthoff. Celui-ci emmène tous les bâtiments disponibles, estimant que ce choix lui incombe et non pas au ministère de la Guerre ; cela donne à son escadre de vingt-sept bâtiments un aspect un peu hétéroclite.
L'amiral Tegetthoff a constitué son escadre avec tous les navires mis à sa disposition. Il disait à son gouvernement : « Tels quels, donnez-moi toujours vos navires ; j'en saurai faire emploi. »[1]. Ainsi la frégate Novara, incendiée, est remise en état en quatre semaines, plus deux autres pour la réarmer, et tient honorablement son rang au combat un mois plus tard.
Il possède sept navires cuirassés, construits en bois mais munis d'une ceinture blindée, ce sont :
Les navires en bois sont :
Et des petits bâtiments destinés à faire nombre mais sans réelle valeur au combat, parmi lesquels :
La flotte autrichienne, outre son infériorité numérique, est aussi très inférieure en artillerie, la plupart des pièces sont de type ancien à âme lisse et à chargement par la bouche. Seules quelques pièces de 60 livres dotées d'obus Paixhans et quelques canons à tir rapide de 24 livres sont embarquées, la plupart des autres sont des canons classiques de marine de 48, 30 et 24 livres, inefficaces contre les cuirasses et dont les boulets ont un faible pouvoir destructeur. Pour renforcer les coques et le moral des équipages, les Autrichiens ont suspendu des chaînes et des rails de chemin de fer sur les flancs des navires en bois…
Comparativement, la flotte royale italienne semble beaucoup plus puissante, avec des bâtiments nombreux et modernes. Mais elle est encore de création récente, le royaume d'Italie étant né le , elle amalgame les anciennes Marine du royaume de Sardaigne et la Marine royale du royaume des Deux-Siciles, elle manque encore de cohésion et d'entraînement. Ce n'est que poussée par les politiques, qui visent déjà les négociations qui suivront la fin du conflit, que l'amirauté italienne accepte d'attaquer l'île de Lissa, sans grand enthousiasme.
Au début des hostilités, cette flotte est basée en bas de la botte italienne, à Tarente. Elle remonte à Ancône, à cent-vingt kilomètres environ de Pola. Elle est commandée par un amiral qui s'est fait une réputation pendant la guerre de Crimée, le comte Carlo Pellion di Persano, alors âgé de 60 ans.
Son âge et son goût pour les honneurs ne le poussent pas à prendre des risques malgré la supériorité technique de son escadre, au point que le ministre Depretis stigmatise son manque de combativité et menace de le relever de son commandement, avant de déléguer à bord de son navire amiral le député Boggio (it), qui joue le rôle d'une sorte de « Commissaire politique » avant la lettre, chargé de s'assurer que la flotte aura une attitude plus offensive[2].
L'attaque de l'île de Lissa (Vis en serbo-croate) est envisagée par Persano plus comme une démonstration de force à visée propagandiste que comme une action à caractère stratégique, mais dans les faits, elle aboutira à un gaspillage disproportionné de munitions, prélude à une défaite aussi humiliante qu'inattendue.
L'arrière-garde est commandée par d'Albini (it), avec des transports pour envahir l'île de Lissa, ainsi qu'un navire-hôpital.
L'escadre italienne regroupe 34 bâtiments dont douze cuirassés :
Les navires non protégés comprennent :
La flotte italienne appareille d'Ancône le 16 juillet dans l'après-midi, sans plan d'opération réellement défini. Elle croise au large de l'île toute la journée du 17, envoyant seulement le Messaggero pour reconnaître les défenses de l'île. Le lendemain, à 10 h 30, Persano déclenche un bombardement, sur trois endroits de la côte, la première escadre de cuirassés commandée par Giovanni Vacca (it) attaquant les batteries côtières près de Komiža (Comisa), sur la côte ouest de l'île, et la troisième, de Giovanni Battista Albini, composée de navires non protégés, celles près de Nadpostranje, au sud de l'île.
Pendant ce temps, lui-même bombarde le port de Vis (Lissa) avec le reste de la flotte. À la fin de la journée, les deux escadres détachées, arrêtant leur bombardement inefficace, viennent se regrouper pour accroître la pression sur le port. Le jour suivant, l'attaque groupée contre Vis progresse bien, quatre cuirassés arrivant à pénétrer dans le port même. Mais devant la résistance des Autrichiens et les conditions météorologiques, Persano renonce à débarquer les troupes le soir même. Le lendemain, à l'aube, la situation de la garnison autrichienne commandée par David Urs de Mărgineni[3], Roumain de Transylvanie, est désespérée, avec la majorité de son artillerie réduite au silence et les transports italiens prêts à débarquer 2 200 hommes.
Cependant l'Esploratore signale l'approche de bâtiments suspects au nord-ouest : c'est l'escadre de von Tegetthoff. Ce dernier, assuré qu'il s'agit bien d'une attaque majeure de la part des Italiens, a appareillé le 19 à 13 heures du mouillage de Fazana (Fasana), avec toute sa flotte. L'Autrichien a pu suivre le début des opérations en direct, et la suite en léger différé : en effet, les Italiens ne coupent le câble télégraphique sous-marin qui relie Lissa au continent que le 18, en fin de journée. Ensuite, les observateurs autrichiens postés à 10 miles de là, sur l'île de Hvar (Lesina), entre Lissa et le continent, ont pu continuer à l'informer et l'aider à prendre ses décisions.
Il est dix heures du matin. La houle est forte, le vent a tourné et souffle maintenant vers le sud-est. L'escadre autrichienne arrive du nord-ouest, les Italiens leur coupent la route en remontant au nord-est pour leur barrer le T. L'amiral italien a choisi une formation classique en ligne de bataille. Ce n'est pas a priori un mauvais choix. Les navires de l'époque ont leurs canons disposés sur les flancs. Le seul bâtiment possédant des tourelles est l'Affondatore. En se présentant en ligne, les Italiens peuvent faire usage de la majorité de leur artillerie, et profiter de leur supériorité dans le domaine. L'escadre est divisée en trois divisions de trois cuirassés chacune, l'amiral Persano a hissé sa marque sur le Re d'Italia, au centre. L'escadre d'Albini, elle, se place en retrait pour former un deuxième rideau défensif devant les transports.
Si la formation des Italiens renvoie à la marine à voile, celle choisie par Tegetthoff pour les Autrichiens s'inspire du combat de galères de Lépante. Il adopte une formation en coin, pour les trois divisions de son escadre, celles-ci se suivant en colonnes à deux encablures de distance[note 1]. La première vague regroupe les sept navires cuirassés, avec le navire-amiral à la pointe au centre. La deuxième constituée par des navires en bois est menée par le deux-ponts de 90 canons, le Kaiser. La troisième regroupe les petits bâtiments qui font nombre mais dont la valeur militaire est plus que limitée. La radiotélégraphie n'existant pas encore, les communications se font par pavillons. Pour cela, chaque division dispose d'un navire chargé de répéter les signaux fait par le commandant. Ce sont, pour la première division, le Kaiserin Elisabeth, pour la deuxième division, le Greif, et pour la troisième, l'Andreas Hofer. Ils sont placés entre chaque division. Un paquebot non armé, le Stadium, dont la vitesse de douze nœuds est excellente pour l'époque, sert d'éclaireur. Les Autrichiens savent parfaitement que leur artillerie est loin d'égaler celle de leurs adversaires. Il n'est donc pas question de se lancer dans un duel d'artillerie. Au contraire, il faudra se rapprocher le plus rapidement possible des Italiens, pour les engager au plus près. Ils se dirigent, donc à toute vapeur, sur la ligne italienne, marchant au sud-est, droit vers Lissa. Tegetthoff envoie un message à la première division : « courir sur l'ennemi et le couler ».
En face, l'amiral Persano forme sa ligne de bataille, il l'oriente vers le nord-est. Au dernier moment, il décide de quitter le navire-amiral Re d'Italia et de porter sa marque sur l'Affondatore, le navire le plus puissant de son escadre. Cette décision de dernière minute a plusieurs conséquences. Le temps perdu à mettre les canots à la mer pour transborder l'amiral, son chef d'état-major, un aide de camp[note 2] et l'officier chargé des signaux, est à l'origine de l'espace libre qui se crée entre la première et la seconde division italienne, espace qui est mis à profit par les Autrichiens. De plus, le transfert est mal signalé et durant la bataille, les navires italiens surveillent, pour les exécuter, les ordres du Re d'Italia plutôt que ceux arborés par l'Affondatore, où se trouve l'amiral. Ce dernier, bien qu'étant le navire italien le plus puissant, retardé, se retrouve isolé et participe peu à la bataille. La confusion créée par la décision de Persano, ainsi que le manque d'entraînement et l'état de la mer, rendent le tir italien peu efficace et permettent aux Autrichiens de se rapprocher sans subir de gros dégâts. De plus, le vent rabat la fumée des tirs sur les Italiens, celle des tirs autrichiens faisant écran de camouflage entre les deux escadres.
La première division de Tegetthof traverse la ligne italienne. Le souvenir de la bataille de Trafalgar doit être encore vivace, car pour la majorité des commentateurs de l'époque ce fait est signalé comme important. En fait, les sept navires de la première division autrichienne passent dans l'espace vide créé entre la première et la deuxième ligne italienne, sans gêner les Italiens, mais le symbole est là. Les Autrichiens doivent, ensuite, faire demi-tour, car la deuxième ligne impériale, les vaisseaux en bois, à l'artillerie peu performante va se retrouver opposée aux meilleures unités italiennes, les plus puissantes et les mieux protégées. Le combat se transforme alors en une mêlée dont il est difficile de donner une vue d'ensemble. La fumée noire crachée par les chaudières à charbon et celle jaune des tirs d'artillerie empêchent les protagonistes de voir précisément ce qui se passe. Le commandant de chaque navire, comme les deux amiraux, réagit aux menaces les plus proches sans pouvoir apprécier si ses décisions correspondent au plan initialement prévu. Ceci se retrouve dans les relations laissées par les témoins du combat.
Le Ferdinand Max, sur lequel est Tegetthoff, essaie par deux fois au moins d'éperonner un vaisseau italien, mais sans résultats, les navires ne faisant que racler leurs coques. Il voit devant lui un navire, dont la coque gris-bleu clair indique la nationalité italienne, qui lui présente le flanc. Est-il immobilisé après avoir reçu une bordée sur son arrière, bordée ayant mis hors d'usage son gouvernail[note 3], comme le racontent les Italiens ? Ou bien veut-il reculer pour laisser passer le navire autrichien devant lui et pouvoir alors l'éperonner, mais manœuvrant trop lentement, comme disent les Autrichiens ? Toujours est-il que le Ferdinand Max n'a pas de difficulté à enfoncer son éperon dans le flanc du vaisseau italien, qui coule en quelques minutes. Il vient, sans le savoir, de couler le Re d'Italia. L'Ancona, cuirassé de la première division italienne qui a viré de bord pour rentrer dans la mêlée, tente à son tour d'éperonner le Ferdinand Max. Une nouvelle fois, cette tentative ne donne rien. Même une bordée italienne tirée à bout portant ne fait aucun dégât, au point que les Autrichiens raconteront que les Italiens ont oublié de charger les boulets dans leurs canons…
La deuxième et la troisième division de l'escadre autrichienne ont suivi une route orientée un peu plus au sud que la première ligne des navires cuirassés. Ils visent directement le groupe des navires de débarquement italiens que l'amiral Albini garde groupés près de Lissa. Ce faisant, ils se retrouvent face à la troisième division des cuirassés italiens. Vaisseaux en bois contre cuirassés. Le plus gros, le Kaiser, attire les Italiens. Ce qui n'impressionne pas son commandant, le commodore Petz, puisqu'il cherche à éperonner le cuirassé italien Re Di Portogallo. Comme on s'en doute, il ne cause que peu de dégâts, laissant sa figure de proue sur le navire italien et perdant son mât de misaine et sa cheminée. L'Affondatore vient alors en position pour porter à son tour une attaque à l'éperon. Mais, pour une raison non éclaircie, Persano renonce à attaquer et fait virer son navire. Le Palestro, second de la division du centre italienne, combat plusieurs adversaires. Un obus traverse son avant et allume dans le carré des officiers un incendie qui ne peut être maîtrisé. Vers 14 h 30, le combat prend fin. Les Autrichiens se regroupent devant Lissa, les Italiens au nord-est. L'explosion du Palestro[note 4] signe la fin du combat. Les Autrichiens refusent de reprendre le combat, les Italiens se contentent d'une canonnade à longue portée. Au soir, les Italiens regagnent Ancône.
Pour un navire hors de combat, le Kaiser, les Autrichiens ont coulé deux cuirassés italiens et en ont endommagé trois autres. Les pertes humaines sont également bien plus importantes pour les Italiens, mais ce critère est de peu de pertinence pour apprécier les résultats de ce combat. Le comte Persano revendique la victoire jusqu'à ce que l'on comprenne ce qui s'est réellement passé. Il est alors limogé. Albini, l'amiral commandant les forces de débarquement et qui a soigneusement évité d'impliquer ses forces dans la bataille, est aussi sanctionné. Tegetthoff est comblé d'honneurs, promu vice-amiral et devient commandant en chef de la marine autrichienne deux ans plus tard. Chaque marin autrichien ayant participé à la bataille est gratifié d'une médaille commémorative.
Cette bataille navale est une des rares qui aient vu l'utilisation, efficace, de l'éperon comme arme de guerre. Comme dit Léon Haffner : « L'éperon était le grand vainqueur dans les esprits et l'on proclamait la déchéance du canon »[4]. Il y aura d'autres utilisations efficaces de l'éperon, mais la plupart en dehors de tout conflit. C'est ainsi, entre autres, que le HMS Camperdown coule le HMS Victoria lors de manœuvres d'une escadre de navires de sa Gracieuse Majesté[note 5]. L'historien britannique Michael Lewis peut ainsi prétendre, avec un brin de mauvaise foi, que l'éperon a coulé plus de navires amis qu'ennemis[5]… Les répercussions de ce combat sont importantes dans toutes les marines du monde. L'éperon tend à être promu au rang d'arme principale, la tactique navale change. On préconise, on recommande, le choc à l'éperon[6], au détriment de l'artillerie qui ne devrait plus servir qu'à marteler, au passage, un adversaire ayant échappé à l'éperon. Ce serait la disparition du combat à distance, remplacé par la mêlée et le duel individuel entre navires-béliers. Ce qui impose de remplacer la formation de bataille en ligne de file par d'autres formation, telle, entre autres, la ligne de front[note 6]. Si l'éperonnage du Re d'Italia semble fasciner les théoriciens de la guerre navale, personne ne semble remarquer que toutes les autres tentatives faites pendant cette bataille ont été sans effet. Et que le seul succès a été obtenu contre un navire quasiment à l'arrêt.
L'effet de mode peut être retrouvé jusque chez Jules Verne. Trois ans après Lissa, il offre Vingt mille lieues sous les mers. Dans ce roman, le Nautilus est équipé d'un « éperon d'acier » avec lequel il envoie par le fond le navire qui ose l'affronter. Pendant plusieurs décennies, tous les navires de ligne mis en chantier portent un éperon imposant. Ces belles constructions théoriques ne résistent pas à la réalité et les combats de Yalou, en 1894, où les Chinois adoptent la formation en coin de Tegetthof et les Japonais celle de Persano et où l'escadre chinoise est défaite, et de Tsushima en 1905, où l'artillerie à longue portée joue un rôle déterminant, le montrent. Ces engagements ramènent les stratèges à des conceptions plus réalistes. Entretemps, la mode de l'éperon a laissé la place à celle du torpilleur, qui lui-même laisse la place au sous-marin.
Il faut aussi remarquer que si tous les navires, à Lissa, étaient équipés de voiles, aucun n'eut l'idée de les utiliser. L'âge de la marine à voiles est bien clos.
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