Né dans une maison au coin des rues Saint-Victor et des Fossés Saint-Victor, où son père, Nicolas Jeaurat et sa mère, Marie Bourdillat, tous deux originaires de Vermenton, exerçaient le commerce de vins à l’enseigne de la Tête-Noire, et baptisé à Saint-Nicolas-du-Chardonnet le lendemain de sa naissance[2], Jeaurat fut orphelin à un très jeune âge[3]. Élève le plus distingué du peintre Nicolas Vleughels[4] qui l’a formé et emmené avec lui en Italie en 1724, lorsqu’il fut nommé directeur de l’école de Rome[4], il a fait une excellente carrière officielle: agréé en 1731 par l’Académie Royale, il fut reçu, le [5] en qualité de peintre d’histoire, avec l’aventure de Pyrame et Thisbé comme morceau de réception[4]. Passé professeur en 1743, il devint recteur en 1765 et chancelier en 1781. Il exposa à tous les salons de 1737 à 1769[4]. Il fut, en outre, garde du Cabinet du Roi à Versailles à partir de 1767[5].
Les principaux graveurs à avoir travaillé, au XVIIIesiècle, d’après Jeaurat, sont: Tardieu, Lépicié, Claude-Augustin Duflos, Lempereur, Pasquier, Aliamet, Dominique Sornique (d), Beauvarlet, Simon, Bonnet, Lucas, Aubert, Gaillard, Fessard, Daullé et son frère Edme Jeaurat[4]. On trouve deux tentures d’après Jeaurat parmi les travaux exécutés de 1750 à 1791 à la manufacture des Gobelins: l’une en sept pièces, de l’Histoire de Daphnis et Chloé, l’autre, en quatre pièces, représentant des Fêtes de village[6]. Les modèles de ces tentures avaient été exécutés d’après des commandes particulières de l’entrepreneur Audran[6].
Jeaurat tenta d’imiter Chardin, quoique avec moins de justesse dans l’observation et moins de légèreté dans la main[8], mais c’est moins sa qualité de peintre d’histoire que la scène de genre, et mieux encore dans les tableaux de conversation[4], dans le style de Teniers, qui fit le succès de Jeaurat[9] avec des scènes de genre «charmantes […] pleines de mouvement et saisissantes de vérité[10]» dépeignant la rue parisienne ou la vie domestique comme dans ses Écosseuses de pois, ses Éplucheuses de salade ou son Déménagement du peintre. Sa Conduite des filles de joie à la Salpêtrière, qui a été louée dans la critique du Salon de 1757 du Mercure de France[11], reste sans doute son œuvre la plus connue[12], et ses tableaux sur la vie des rues de Paris restent des documents pittoresques et précieux[13]. Le choix de ces sujets lui a valu d’être appelé le Vadé de la peinture par Diderot[14]. Jeaurat, qui rencontrait Vadé aux dîners de la Société du bout du banc chez Jeanne-Françoise Quinault[14] a, en effet, sûrement subi l’influence du «genre poissard» pratiqué par Vadé, Piron, ColléPanard ou le Caylus[11]. Jeaurat a peint le Poète Piron à table avec ses amis Gallet et Collé[15], regardé comme un des meilleurs ouvrages du peintre[16]. Selon Ch. Blanc, Jeaurat manquait néanmoins «de verve, d’entrain, de ce que Diderot appelait «le diable au corps». Ses compositions trahissent la gêne, sa gaité a quelque chose de forcé et de louche comme les parades de Vadé[4].»
Selon La Fizelière, au salon de 1763, Madame de Pompadour désola van Loo, qui l’escortait en lui expliquant les tableaux, lorsque la marquise passa devant ses Grâces enchainées par l’amour sans les remarquer. Quelqu’un lui dit: «Quoi, Madame, ne faites-vous donc pas attention aux Grâces de M. Van Loo? — Ça, des Grâces? fit-elle dédaigneusement; ça, des Grâces!» et elle pirouetta sur ses talons pour aller admirer une seconde fois les Citrons de Javotte de Jeaurat[3]:15.
Vue de l'intérieur du Colisée[17], plume et lavis d'encre brune, plume et encre de Chine, rehauts de gouache blanche au pinceau sur papier bleu rehaussé de lavis d'indigo, H. 0,250; L. 0,393 m.
Vue de l'intérieur du Colisée[18], plume, encre brune, lavis brun, gouache blanche sur papier bleu rehaussé de lavis d'indigo, H. 0,391; L. 0,535 m.
Jeaurat est l'un des premiers pensionnaires de l'Académie de France à Rome à renouveler le genre de la vedute, en y introduisant une technique et une mise en page différentes. Jeaurat et son maître, Nicolas Vleughels, co-directeur de l'Académie de France, réalisent un grand nombre de dessins d'après nature à Rome[19].
Villa romaine[20], plume encre brune, lavis brun et rehauts de gouache blanche sur papier bleu, H. 0,256; L. 0,199 m. Ce dessin ne représente pas une maison à l'intérieur du Colisée, comme l'indique l'annotation sur le montage. Il s'agit plus vraisemblablement d'une vue des environs du Forum ou du Palatin, soit une partie du couvent Sainte-Françoise-Romaine, soit une maison sur le mont Palatin[21].
Vue de la Dogana Vecchia près de l'embarcadère du port de Ripa Grande au bord du Tibre[22], pierre noire, lavis brun, gouache blanche sur papier bleu rehaussé de lavis d'indigo, H. 0.245; L. 0,370 m. La Dogana Vecchia est l'un des sites les plus appréciés des artistes étrangers installés à Rome, qui le représentèrent en dessin et en gravure. Les artistes choisissent généralement une vue panoramique, mais Jeaurat opte pour un point de vue plus resserré et représente un lieu isolé, calme, presque abandonné[23].
Extrait du registre de la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris: «Neufviesme febvrier mil six cent quatre-vingt-dix-neuf est né un fils du mariage de Nicolas Jeaurat, marchand de vin, et de Marie Bourdillat de ceste paroisse, Fossés-Saint-Victor à la Tête-Noire et le lendemain a esté baptisé par moy prestre soubsigné et nommé Estienne par Estienne Pion, fils d'Abraham Pion, bourgeois de Paris, et de Claire de Boulogne, son parein, et par Agnès Jucquehors, femme de Zacharie Martinet, orlogeur, sa marraine, soubsignez avec le père de l'enfant.» Voir Émile Bellier de La Chavignerie, Les Artistes français du XVIIIesiècle oubliés ou dédaignés, Paris, J. Renouard, , 180p. (lire en ligne), p.107.
Gaston Compère, Yves-Marie Lucot et Gérard Gréverand, Au pays de La Fontaine: la Champagne: un homme, une œuvre, un lieu, Paris, Casterman, coll.«Les beaux livres du patrimoine», , 173p. (ISBN978-2-203-60213-7, lire en ligne), p.165.
Antoine-Louis Lacordaire, Notice historique sur les manufactures impériales de tapisseries des Gobelins et de tapis de la Savonnerie, Paris, Manufacture des Gobelins, 1855.»
(en) Colin B. Bailey, Philip Conisbee, Thomas W. Gaehtgens, The Age of Watteau, Chardin, and Fragonard: Masterpieces of French Genre, New Haven, Yale University Press, 2003, ix, 412p. (ISBN978-0-30009-946-1), p.208.
(en) Perrin Stein, Mary Tavener, Eighteenth-century French Drawings in New York Collections, New York, Metropolitan Museum of Art, 1999, xi, 243p., (ISBN978-0-87099-892-8), p.89.
Sous la direction d'Emmanuelle Brugerolles, François Boucher et l'art rocaille dans les collections de l'Ecole de beaux-arts, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 2003-2006, p. 202-205, Cat. 44-45
Sous la direction d'Emmanuelle Brugerolles, François Boucher et l'art rocaille dans les collections de l'Ecole des beaux-arts, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 2003-2006, p. 206-207, Cat. 46
Sous la direction d'Emmanuelle Brugerolles, François Boucher et l'art rocaille dans les collections de l'Ecole des beaux-arts, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 2003-2006, p. 208-209, Cat. 47
Olivier Merson, La Peinture française au XVIIeet auXVIIIesiècle, Paris, Picard & Kaan, (lire en ligne), p.308.
Claude-Gérard Marcus, «Étienne Jeaurat, peintre de Paris, 1699-1789», Art et Curiosité, janvier-février-mars, 1968.
Cet article a été diffusé, sous forme de tiré à part, grâce aux soins de la galerie Marcus.
Sylvain Puychevrier, Le Peintre Étienne Jeaurat: essai historique et biographique sur cet artiste, Paris, A. Aubry, , 46p. (lire en ligne).
(en) Colin B. Bailey, Philip Conisbee et Thomas W. Gaehtgens, The age of Watteau, Chardin, and Fragonard: masterpieces of French genre, New Haven, Yale University Press, , ix, 412, 31 cm (ISBN978-0-300-09946-1, lire en ligne).
Charles Blanc, Histoire des peintres de toutes les écoles, t.2, Paris, Librairie Renouard, 1862.
Claude Lachaise, Manuel pratique et raisonné de l’amateur de tableaux, Paris, Librairie Centrale, 1866, xv, 515p.
(en) Perrin Stein et Mary Tavener, Eighteenth-century French Drawings in New York Collections, New York, Metropolitan Museum of Art, , xi, 243, 32 cm (ISBN978-0-87099-892-8, lire en ligne).