Éléphant de la Bastille
projet napoléonien de fontaine parisienne destinée à orner la place de la Bastille De Wikipédia, l'encyclopédie libre
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L’éléphant de la Bastille est un projet napoléonien de fontaine parisienne destinée à orner la place de la Bastille. Alimentée par l'eau de l'Ourcq acheminée par le canal Saint-Martin, cette fontaine monumentale devait être surmontée de la statue colossale d'un éléphant portant un howdah en forme de tour.
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Confiée après 1812 à l'architecte Alavoine, sa réalisation fut remise en cause par la chute de Napoléon avant d'être abandonnée, après la Révolution de 1830, au profit de la colonne de Juillet. Seuls les infrastructures, le bassin et le socle de cette fontaine furent réalisés entre 1810 et 1830. Encore visibles de nos jours, ils servent de base à la colonne.
La statue de l'éléphant ne fut jamais exécutée en bronze, mais un modèle en plâtre à l'échelle 1, élevé en 1814 près du chantier puis détruit en 1846, constitua pendant une trentaine d'années un objet de curiosité qui suscita les commentaires de plusieurs écrivains avant d'être immortalisé par Victor Hugo dans une scène des Misérables mettant en scène le jeune Gavroche.
Après la disparition de la forteresse de la Bastille, entièrement détruite par l'entrepreneur Palloy dans les mois qui ont suivi les événements du 14 juillet 1789, les projets se multiplièrent en vue d'élever un monument commémoratif et d'investir symboliquement ce lieu historique fort. Sous la monarchie constitutionnelle, plusieurs artistes proposèrent d'y dresser une colonne ou un obélisque surmontant une tholos bâtie sur les vestiges de la prison[1]. En attendant, l'emplacement de la forteresse fut transformé en une grande place publique par une loi du .
En 1793, à l'occasion d'une fête commémorant la journée du 10 août 1792, on y installa la fontaine de la Régénération, dominée par une allégorie égyptianisante de la Nature faisant jaillir l'eau de ses seins (fontaine ubérale). Construite en plâtre[2], cette sculpture n'eut qu'une existence éphémère.
Sous le Premier Empire, Napoléon décrète la construction d'une dizaine de fontaines à Paris. L'architecte Viguet[N 1]dessine pour la colline de Chaillot une fontaine égyptanisante dominée par un éléphant monumental. Le projet restera au niveau de dessin et l'emplacement est ensuite attribué au projet du grandiose Palais du Roi de Rome, lui-aussi non réalisé[3].
Napoléon reprit à son compte le projet d'un monument destiné à la place de la Bastille. Après avoir renoncé à y établir l'arc de triomphe, finalement construit au rond-point de l'Étoile, il opta en 1806 pour une fontaine monumentale, peut-être inspirée du projet de Viguet, qui devait s'intégrer aux vastes travaux urbanistiques et hydrologiques entrepris sous son règne. Ainsi, le , l'article 6 d'une note adressée par Napoléon à son ministre de l'Intérieur, Emmanuel Crétet, ordonna la réalisation d'une fontaine monumentale :
« Sa Majesté désire [que le ministre] fasse dresser sans délai les plans, dessins et devis de la construction d'une fontaine sur la place de la Bastille ; cette fontaine représentera un éléphant portant une tour à la manière des anciens ; on aura la liberté de faire ce monument en bronze ou de toute autre matière ; on y emploiera les fonds destinés aux fontaines publiques[4]. »
En vertu de l'article suivant de la même note, la première pierre de cette fontaine fut posée le , « jour anniversaire du couronnement », à l'occasion d'une fête célébrant l'arrivée à Paris des eaux de l'Ourcq via le canal Saint-Martin[4]. Napoléon, alors en Espagne, n'y assista pas, mais il continua de s'intéresser au projet, écrivant au ministre le : « Monsieur Crétet, j'ai vu par les journaux que vous avez posé la première pierre de la fontaine de la Bastille. Je suppose que l'éléphant sera au milieu d'un vaste bassin rempli d'eau ; qu'il sera très-beau et dans de telles dimensions qu'on puisse entrer dans la tour qu'il portera. Qu'on voie comme les anciens les plaçaient et de quelle manière ils se servaient des éléphants. Envoyez-moi le plan de cette fontaine »[5].
Le , un nouveau décret apporta davantage de précisions : « Il sera élevé, sur la place de la Bastille, une fontaine sous la forme d'un éléphant en bronze, fondu avec les canons pris sur les Espagnols insurgés ; cet éléphant sera chargé d'une tour et sera tel que s'en servaient les anciens ; l'eau jaillira de sa trompe. Les mesures seront prises de manière que cet éléphant soit terminé et découvert au plus tard le 2 décembre 1811 »[6].
Découverts par les Européens à l'occasion des conquêtes d'Alexandre le Grand, les éléphants portant des howdah fascinaient les imaginations occidentales, et plus particulièrement celles des artistes, qui représentèrent des pachydermes surmontés de véritables tours, voire de châteaux. Ce motif spectaculaire se prêtant à une traduction sculpturale, voire architecturale, se retrouve dès le XVIe siècle dans les jardins maniéristes de Bomarzo. En 1758, l'architecte Charles-François Ribart de Chamoust s'était fait le pionnier de l'architecture « canard » en imaginant, pour le rond-point de l'Étoile, un éléphant habitable élevé à la gloire du roi Louis XV[7],[8].
L'iconographie de l'éléphant convenait parfaitement au régime impérial bonapartiste en raison de son ambivalence : cette représentation du pouvoir royal (figuré par un pachyderme sur une fresque de la galerie François Ier de Fontainebleau) avait été reprise en tant que symbole de la force populaire[N 2] par la République révolutionnaire en l'an II (soubassements des projets d'obélisque sur la place des Victoires, par Jean-Nicolas Sobre, et d'arc de triomphe par Jean-Baptiste-Philibert Moitte)[9].
Selon l'architecte Charles-Pierre Gourlier[10], Napoléon aurait été séduit par ce motif néoclassique en admirant une pendule placée dans le cabinet du roi de Prusse à Berlin. Selon une autre version, c'est de l'éléphant de la piazza della Minerva à Rome (lui-même tributaire d'un passage du Songe de Poliphile[N 3]), que l'empereur aurait tiré son inspiration[11]. On peut également voir dans ce choix, vivement approuvé par le directeur général du Musée Napoléon et administrateur des arts, Vivant Denon, une manifestation du goût pour l'Orient tel qu'il avait été relancé à la suite de la campagne d'Égypte.
Un projet non retenu, conservé au Louvre, prévoyait de mettre en place, au sommet du pachyderme, la statue d'un homme. Le dessin, pourvu d'un rabat permettant la comparaison, proposait deux personnages pour cette statue. La première proposition consistait en un guerrier grec armé d'une lance, évocation de l'expédition d'Alexandre le Grand. La seconde proposition, dessinée sur le rabat et donc superposable à la première, montrait un homme barbu en costume oriental offrant un sabre. Il s'agit d'une allusion évidente à un événement ayant eu lieu à l'automne 1807, quand un ambassadeur du shah de Perse offrit à Napoléon les sabres de Tamerlan et de Thamas Kouli-Khan[12].
L'éléphant étant un animal qui « recherche les marécages et joue volontiers avec l'eau »[13], le choix d'un pachyderme soufflant l'eau par sa trompe diffère des sujets employés sur deux fontaines construites à la même époque, celle du palais des Beaux-arts, par Vaudoyer, et celle du Château d'eau, par Girard.
Malgré sa richesse symbolique, le choix de l'éléphant ne faisait pas l'unanimité auprès des spécialistes. Un des architectes de Napoléon, Fontaine, ne cacha pas sa réprobation d'un choix iconographique qu'il estimait inapproprié à la destination de l'édifice, ce qu'il rappela devant l'empereur en [14] : « Sire, j'ai déjà été consulté sur ce projet, et j'avais pris la liberté de critiquer la pensée d'élever sur un piédestal l'image monstrueuse d'un éléphant, et d'en faire le sujet d'une fontaine. Je n'ai jamais pu me représenter exactement l'effet que devra produire cette masse énorme, et je conserverai cette impression désavantageuse que le modèle m'en a donnée, jusqu'à ce que le succès de son exécution me fasse changer d'avis. J'ai toujours pensé que le principal ornement d'une fontaine était l'eau qu'elle donnait, et que son abondance en faisait la richesse. […] Chaque édifice doit avoir un caractère distinct. L'utilité doit partout motiver la décoration. Enfin un monument dont l'objet principal est un éléphant, et dont la destination est une fontaine, sera toujours pour les bons esprits un grand sujet de critique, à laquelle la raison aura peine à répondre »[15]. L'avis de Fontaine, « écouté, mais peu entendu[16] », était resté lettre morte face à la résolution de l'empereur, confortée par l'influent Denon. Ce dernier connaisseur, auquel Fontaine déniait toute compétence en matière d'architecture[N 4], comptait en effet le projet parmi les chefs-d'œuvre de sa politique artistique, comme le prouve un dessin de son ami Zix le représentant dans un cabinet de travail imaginaire où une maquette de l'éléphant est placée en évidence devant un modèle réduit de la colonne d'Austerlitz[17].
Supervisé par Vivant Denon, le projet fut tout d'abord confié à l'architecte Jacques Cellerier, puis, après 1812, à Jean-Antoine Alavoine[18], qui conçut, au terme de nombreux croquis préparatoires et études, un monument de 16 mètres de long (diamètre du socle de la statue) et 24 mètres de haut, dont environ 15 mètres pour la statue colossale (plus grande que nature), tour comprise. Le bronze de cette dernière, ainsi que celui du harnachement et des ornements de l'éléphant, seraient dorés. La fontaine occuperait le centre de la place, et l'éléphant serait tourné vers la rue Saint-Antoine.
Un escalier à vis, aménagé dans une des pattes larges de deux mètres, devait permettre de monter à l'intérieur de l'animal pour accéder à une plate-forme placée au sommet de la tour. Cette tour servait également à cacher la machine hydraulique destinée à alimenter la fontaine. Comme pour la colonne Vendôme, le bronze devait être issu de la fonte de canons pris à l'ennemi. Un décret impérial du avait réservé à cet effet les pièces d'artillerie prises à Friedland. Au mois de mai suivant, parmi plusieurs devis de fondeurs qui lui avaient été soumis, Denon préféra celui d'Honoré Gonon[19].
Les travaux, commencés en 1810[18] par les ouvrages de terrassement, poursuivis en 1811-1812 par la construction des voûtes et des canalisations souterraines[N 5] et, en 1813, avec l'édification du bassin[20] n'étaient pas assez rapides au goût de l'empereur, qui visita le chantier le [14], s'étonnant à cette occasion de la hauteur de la voûte supportant le piédestal, et le [21]. Lors de cette dernière visite, alors qu'il avait exprimé son mécontentement face au faible nombre (tout au plus une quarantaine) d'ouvriers présents sur le chantier, Napoléon se serait vu répondre par le conducteur des travaux que les jeunes ouvriers étaient rares en raison de la conscription[22].
Afin de présenter l'aspect du monument avant son achèvement, Alavoine en exposa une vue au Salon de 1814[23] après avoir fait construire l'année précédente une maquette à l'échelle 1 du colosse, en plâtre sur une charpente en bois armée de fer, réalisée par le sculpteur Pierre-Charles Bridan, assisté d'Antoine Mouton dit Moutoni[24]. Ce modèle, qui n'était destiné qu'à une présentation provisoire, fut élevé en 1814 au-sud est de la place, où il demeura pendant plus de trente ans.
Fragile, cette maquette était protégée par une baraque en bois[N 6] et par un gardien. Les touristes et les curieux souhaitant visiter ce hangar, où un modèle réduit du monument était également exposé[N 7], devaient en obtenir l'autorisation auprès de la direction des travaux des monuments publics[25].
La chute de l'Empire entraîna l'arrêt des travaux monumentaux entrepris par Napoléon. Ceux de la fontaine, qui avaient déjà coûté 91 000 francs et s'étaient seulement concrétisés par la construction des infrastructures et du bassin[26], furent suspendus, par ordre du ministre de l'Intérieur, le . L'activité reprit néanmoins un peu à partir de l'année suivante, comme le signalait Le Nain jaune réfugié, qui ajoutait avec perfidie que la place, alors appelée « place Saint-Antoine » ou « place de l'Éléphant », serait rebaptisée « place Louis XVIII »[27]. Ces travaux, dont le résultat est encore visible aujourd'hui en tant que soubassement de la colonne de Juillet, concernaient essentiellement la base du monument, qui devait être pourvue d'un piédestal de plan carré rythmé par vingt-quatre métopes destinées à recevoir autant de bas-reliefs en marbre. La réalisation de ces vingt-quatre bas-reliefs, de 80 cm2 chacun, représentant les sciences et les arts, fut également entreprise à ce moment, ce qui permit l'exposition des modèles en plâtre de la plupart d'entre eux au Salon de 1817[N 8].
Pendant ces années, Alavoine et Bridan proposèrent de nouveaux projets, souvent très éloignés de celui que Napoléon avait initié[N 9], tandis que le chantier fonctionnait au ralenti. Le , en réponse à une proposition du député Puymaurin visant à réduire les crédits alloués au chantier, le ministre de l'Intérieur Corbière précisa que le projet initial, comprenant l'éléphant, était abandonné mais qu'il fallait achever le bassin et les bas-reliefs pour ne pas perdre les sommes déjà engagées[28].
Finalement, le , l'État décida de transférer à la ville de Paris, dirigée par le préfet de la Seine, la responsabilité de choisir un nouveau projet[N 10]. Le préfet Gaspard de Chabrol accepta alors de remplacer l'éléphant par une statue de Paris, réalisée par Cortot, entourée d'allégories de fleuves (la Loire par Lebœuf-Nanteuil, la Seine par Petitot, le Rhône par Pradier, et la Garonne par Roman)[29]. Les travaux, toujours confiés à Alavoine et supervisés par Quatremère de Quincy furent adjugés en avant d'être prématurément interrompus le mois suivant par la Révolution des Trois Glorieuses.
Le , le nouveau préfet de la Seine, Odilon Barrot, réunit une commission d'artistes chargée, entre autres, de déterminer le sort de plusieurs chantiers entrepris par le régime précédent. Plusieurs membres de ce conseil proposèrent de revenir à l'idée initiale de l'éléphant car ils y voyaient une allégorie de la force et de l'intelligence du peuple. Mais cette idée, surtout défendue par des hommes de lettres, fut repoussée par les artistes et les architectes présents, aux rangs desquels appartenait Fontaine, qui s'était opposé au projet napoléonien depuis sa conception[30].
Le , un an après l'avènement de Louis-Philippe, le projet semblait condamné par une ordonnance royale qui suivait une proposition du comte d'Argout (alors ministre du Commerce) visant à édifier un nouveau monument sur la place de la Bastille, cette dernière étant restituée à l'État[31]. La maquette de plâtre, peinte en couleur bronze, reléguée derrière une palissade mais débarrassée de son hangar[32] fut ainsi rendue plus visible (mais également plus vulnérable) au moment même où l'exécution du projet semblait définitivement exclue. Alavoine avait en effet progressivement abandonné l'idée de l'éléphant avant d'accepter de reprendre une idée de Fontaine[N 11] visant à élever une colonne commémorative sur les structures qui existaient déjà et dont l'exécution avait coûté 150 000 francs[11] depuis 1812. En vertu du cahier des charges adopté en 1833, le bassin circulaire et le piédestal initialement construits pour la fontaine devinrent ainsi la base de la future colonne. Cette nouvelle option, appuyée par Thiers, fut regrettée par certains connaisseurs, comme le fouriériste César Daly, qui estimait que « la figure colossale d'un être animé » eût été plus adaptée à un lieu encore peu urbanisé[33]. Le , une loi ordonna que les huit ouvertures souterraines, initialement pratiquées dans la voûte pour permettre le passage de l'eau de la fontaine, fussent reconverties en caveaux destinés aux victimes de la Révolution de Juillet[34]. Quant aux bas-reliefs achevés sous la Restauration, ils furent entreposés au dépôt des marbres[24].
Malgré le choix de la colonne pour la Bastille et les critiques d'Alexandre de Laborde, questeur de la Chambre des députés, qui avait souligné en 1832 l'absurdité des frais de fonctionnement d'un chantier arrêté[35], l'idée de l'éléphant n'avait cependant pas été totalement abandonnée. En 1833, Alavoine avait demandé (en vain) que la maquette soit remise en état[36] et, au Salon de cette année, un certain Hervier avait exposé une nouvelle version de la statue colossale, réinterprétée comme une allégorie de la charte de 1830[37]. La maquette fut donc conservée en prévision de la réalisation de l'éléphant de métal. Mais celui-ci, chassé de la Bastille par la colonne, serait désormais destiné à un autre emplacement. Au Salon de 1837, Hector Horeau présenta un projet prévoyant l'installation de l'éléphant sur le rond-point des Champs-Élysées[38]. En , Louis Visconti proposa de l'édifier sur l'esplanade des Invalides[39]. Un article non signé de la revue L'Artiste argumentait, dans le même sens, qu'« en face de cet imposant monument, où tout parle de Louis XIV, mais où tout parle aussi de Napoléon, sur les ruines de cette horrible fontaine, littéralement formée d'une borne et de quatre tuyaux, sans autre ornement que le buste du général Lafayette, fort étonné sûrement de se trouver là, l'éléphant pourra développer à l'aise ses gigantesques proportions ; il n'écrasera pas l'édifice et ne sera pas écrasé par lui ; il reposera la vue et ne la gênera pas »[11]. L'année suivante, un autre architecte, Jean-Nicolas Huyot, proposa de l'installer au sommet de l'arc de l'Étoile[40], tandis que le fondeur Soyer estimait à 200 000 francs la réalisation en cuivre, par le procédé de la galvanoplastie, de la statue du pachyderme[41].
En 1841, le conseil municipal de Paris et le préfet de la Seine commandèrent un nouveau devis aux fondeurs Soyer et Ingé[42]. Ils prévoyaient sérieusement d'exécuter le projet, alors évalué à un coût de 350 000 francs, mais en le déplaçant à la barrière du Trône (sur l'actuelle place de la Nation)[43]. Le conseil réitéra cette intention en , en proposant une réalisation soit en bronze, soit en fer, ou encore en cuivre repoussé. Or, la proposition, subordonnée à une subvention de l'État, fut ajournée sine die[44]. Les illusions sur l'avenir de l'éléphant commencèrent alors à se dissiper, et Jules Janin écrivit : « Avant peu, l'éléphant de la Bastille aura disparu à son tour. Vanité des gloires humaines ! C'est à peine si l'homme du faubourg Saint-Antoine qui traverse la place, portant son bois d'acajou ou traînant son tonneau de bière, jette au pauvre éléphant un coup d'œil de regret et de pitié ! »[45]
Déplacée de quelques dizaines de mètres en 1843 pour céder la place à un nouveau corps de garde[46], dégradée par les intempéries et les pierres lancées par les enfants, peuplée de centaines de rats[N 12] et servant même de refuge à des sans-abris[N 13] voire, selon certaines rumeurs, à des malfaiteurs[N 14], la maquette de plâtre fut détruite en , en application d'une décision préfectorale du précédent. Les gravats et les matériaux récupérables furent vendus pour 3 833 francs[47].
Sous la Restauration, la maquette de plâtre est une curiosité qui alimente aussi bien la fantaisie d'un homme d'esprit tel que Lémontey que celle du sérieux révérend Dibdin. Pendant que les Ultras s'offusquent de la persistance de ce souvenir de l'Empire, des vaudevillistes soulignent avec humour le retard subi par la réalisation de cet éléphant blanc. Après 1830, le pachyderme suscite l'intérêt des chroniqueurs romantiques, témoins de la détérioration puis de la destruction du modèle en plâtre. Parmi ces derniers, Heine et, bien plus tard, Hugo, ont interprété avec pertinence ou lyrisme la charge symbolique du monument. Ce sont surtout ces interprétations et ces témoignages qui ont assuré une certaine postérité à ce projet avorté.
Dans un roman paru en 1816, L'Enfant de Paris, Lémontey fait voyager son narrateur dans le Paris de la première Restauration et lui fait visiter la maquette de l'éléphant, décrite avec beaucoup d'esprit. L'auteur en profite pour disserter sur la pertinence de l'iconographie zoologique choisie et pour imaginer d'y substituer une colossale statue de mammouth.
Le révérend Dibdin visita en 1818 le hangar qui protégeait la maquette. Il imagina alors de remplacer l'éléphant par une baleine.
Dans sa livraison de 1819, le célèbre Almanach des Muses, alors dirigé par Étienne Vigée, publia une poésie d'un certain M. F. O. Denesle. Tirant parti d'un fait récent, la mise en place de la nouvelle statue équestre de Henri IV au Pont Neuf, par François-Frédéric Lemot (1818), ces vers d'esprit ultra, hostiles à La Minerve libérale, opposent la noblesse de l'effigie royale à l'aspect grotesque de l'éléphant. La confrontation des deux statues, la première abattue par la Révolution et recréée par la Restauration, la seconde imaginée par l'Empereur des Français sur les ruines de la prison royale détruite par le peuple, est révélatrice de la portée idéologique des embellissements de la capitale.
Le , le théâtre des Variétés présenta la première d'un vaudeville en un acte de Brazier, Gabriel et Dumersan intitulé Les Passages et les rues, ou la guerre déclarée. Mettant en scène avec humour les réticences soulevées par la construction des passages couverts parisiens, il fait de Lutèce un personnage central. Un des passages ayant eu le plus de succès fut un couplet évoquant ironiquement l'inachèvement de la fontaine de l'éléphant.
Chaque matin quand je me lève,
Je suis un véritable enfant ;
Et je vais voir si l'on achève
La fontaine de l'éléphant.
On nous en parlait avec pompe,
Mais tout Paris est attrapé ;
Si jamais l'eau sort de sa trompe,
Ma foi, je serai bien trompé.
— Brazier, Gabriel et Dumersan, 1828[50]
En , Delphine de Girardin évoque la colonne de juillet, prête à être coulée, et la statue du génie de la Liberté destiné à son sommet. Elle a, à cette occasion, une pensée quelque peu ironique pour l'éléphant de Napoléon.
Un autre auteur romantique, Heinrich Heine, a évoqué le monument dans une lettre de . Il y trace une comparaison audacieuse entre l'éléphant, croulant et infesté de rats, et le roi Louis-Philippe, fragilisé par l'opposition politique et la montée du mouvement social. Selon Heine, la maquette n'avait pas encore été démolie car le voisinage craignait d'être envahi par les rongeurs ainsi délogés. Or, cette anecdote était vue par le poète allemand comme une métaphore de la situation politique et sociale de la Monarchie de Juillet : Louis-Philippe, alors sévèrement critiqué par une grande partie des élites et affaibli par la mort brutale de son héritier présomptif, pouvait compter sur le soutien de la bourgeoisie car celle-ci pensait que l'effondrement de la monarchie ne pourrait qu'entraîner le désordre social et l'accession au pouvoir des prolétaires, communistes et autres membres des classes dangereuses.
À l'occasion de la démolition de l'éléphant, en , l'écrivain et pair de France Victor Hugo en récupéra un morceau de charpente. Il préparait alors un roman, intitulé Jean Tréjean puis Les Misères, dans lequel il fit de la maquette décrépite le logement de fortune du jeune Gavroche, ce qui est d'ailleurs peu vraisemblable à l'époque servant de toile de fond au récit[N 13]. Après l'avoir délaissé au profit de ses activités politiques lors de la Seconde République, Hugo n'acheva qu'en 1861 Les Misérables. C'est surtout cette œuvre romanesque, parue en 1862, qui a assuré la postérité de l'animal de plâtre jusqu'à nos jours. Hugo a tiré parti de cette scène pour y confronter les deux personnages surhumains de son roman, le Napoléon du peuple[N 2] et le Dieu de miséricorde.
Dans un chapitre du Paris guide datant de 1867, Jules Claretie se montre bien moins nostalgique que Victor Hugo envers le pachyderme disparu.
L'éléphant est reconstitué dans le film Les Misérables, sorti en 2013.[réf. nécessaire]
Il apparaît également dans le long métrage franco-belge d'animation Zarafa (2012).[réf. nécessaire]
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