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triptyque de Jérôme Bosch (version Prado) De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le Chariot de foin est le titre attribué au panneau central d'un triptyque exécuté vers 1501-1502 par le peintre néerlandais Jérôme Bosch (et son atelier), et, par extension, au triptyque lui-même. Comme les autres triptyques de Jérôme Bosch, il évoque, selon une perspective allégorique moralisante qui condamne en même temps qu'elle cherche à prévenir, le parcours de l'humanité en proie aux vices et aux tentations terrestres, que désigne métaphoriquement le chariot de foin, depuis le Péché originel, sur le panneau de gauche, jusqu'à la Damnation aux Enfers, sur le panneau de droite. Les volets refermés représentent quant à eux Le Colporteur, qui peut être interprété comme une version figurative du même parcours, de l'homme sur le chemin semé d'embûches de la vie.
Artiste | |
---|---|
Date |
vers 1501-02 |
Type |
Allégorie |
Technique |
Huile sur panneau |
Lieu de création | |
Dimensions (H × L) |
135 × 100 cm |
Mouvement | |
No d’inventaire |
P002052 |
Localisation |
Il existe deux versions du triptyque du Chariot de foin, toutes deux conservées en Espagne. La première se trouve actuellement au Musée du Prado[1] à Madrid, la seconde au cloître de l'Escurial[2].
La datation du triptyque relève encore de l'hypothèse, aucun document d'époque n'ayant jusqu'à présent permis de trancher définitivement la question. Plusieurs critères, comme le style général, qui correspond au début de la période de la maturité du peintre (avant un chef-d'œuvre tel que le triptyque du Jardin des délices), la signature en lettres gothiques « Jheronimus Bosch » (avec le prénom latinisé et le pseudonyme renvoyant à la localisation de son atelier, situé à Bois-le-Duc, appelé 's-Hertogenbosch en néerlandais), dont c'est probablement la première apparition connue dans l'œuvre du peintre, et qui témoigne de l'internationalisation de sa clientèle[3], ainsi que la robe rouge à décolleté en pointe et aux larges manches de la femme noble du premier plan en bas à gauche du panneau central, correspondant à la mode du début du XVIe siècle[4], permettent cependant d'avancer la date de 1501-1502.
Frédéric Elsig[5] propose de voir en Diego de Guevara, grand amateur de peinture, et propriétaire, notamment, des Époux Arnolfini de Jan van Eyck, le commanditaire du Chariot de foin. Son fils Felipe vend le triptyque, ou une réplique, à Philippe II d'Espagne en 1570. En 1574, il est envoyé à l'Escurial. Mais à la fin du XVIIIe siècle, deux versions sont recensées, la première toujours à l'Escurial, la seconde à la Casa de Campo. Cette dernière version entre dans la collection du marquis de Salamanca, avant d'être démembrée : la partie centrale est achetée par Isabelle II en 1848 et prend la direction d'Aranjuez ; la partie droite va à l'Escurial, et la partie gauche au Prado, où les trois panneaux sont de nouveau réunis après 1914[4].
La critique ancienne s'accordait à reconnaître dans la version de l'Escurial, signée dans l'angle inférieur gauche du panneau de gauche, l'original, mais les directeurs du Prado, Fernando Sotomayor et Sànchez Cantòn ont avancé l'hypothèse inverse, et ont été en cela rejoints par la majorité de la critique moderne, en raison de l'exécution supérieure de la version du Prado, signée dans l'angle inférieur droit du panneau central.
Le débat n'est donc actuellement pas totalement tranché, et concerne en outre la part de Jérôme Bosch lui-même, et celle de son atelier, en particulier pour l'exécution des ailes extérieures[6].
Le sujet choisi par Jérôme Bosch correspond à une illustration au sens propre d'un proverbe issu du folklore populaire flamand, que cite l'historien d'art Charles de Tolnay[7] : « La vie est comme un chariot de foin, chacun en prend ce qu'il peut ». Plusieurs expressions flamandes associent le foin à la vanité des biens terrestres : « Tout est foin », proclame par exemple une gravure moralisante de Bartholomäus de Momper datant de 1559. Le parallèle était suffisamment clair et populaire pour qu'une procession qui eut lieu à Anvers le dénonçât la cupidité à travers « un chariot de foin sur lequel est assis un satyre, et suivi de toute sorte de gens qui arrachent le foin, des usuriers, des caissiers, des marchands, car le gain terrestre est semblable au foin[8]. »
L'allégorie était également comprise par les observateurs espagnols du XVIe siècle, tel Ambrosio de Morales, qui, après avoir observé Le Chariot de foin dans la collection de Philippe II d'Espagne, y vit une dénonciation de la vanité de la vie humaine comparée au « foin qui sécha et périt sans donner fruit de vertu[8]. »
La tradition biblique reprend le même parallèle entre l'herbe et l'homme voué à disparaître, par exemple dans le Livre d'Isaïe : « Toute chair est comme l'herbe, et tout son éclat comme la fleur des champs. L'herbe sèche, la fleur tombe, quand le vent de l'Éternel souffle dessus. — Certainement le peuple est comme l'herbe : l'herbe sèche, la fleur tombe ; mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement[9]. », et le Livre des Psaumes : « Mes jours s'en vont comme l'ombre et je me dessèche comme l'herbe[10]. »
L'image du chariot apparaît ainsi dans l'œuvre de Jérôme Bosch comme le symbole du mauvais chemin issu de la mystique médiévale, ce qui est aussi le cas dans le texte et les illustrations de plusieurs chapitres (en particulier 30 à 40) de La Nef des fous de Sébastien Brant[11].
La composition du tableau obéit à une relative symétrie. Au centre du panneau, le chariot de foin, symbolisant les vices terrestres, — et au premier chef, la cupidité — impose sa présence, par sa couleur jaune et son volume, qui occupe, des roues au sommet, approximativement un sixième de la surface de l’œuvre.
Deux sens de lecture peuvent être dégagés :
Tout autour du chariot de foin qui impose sa présence massive au milieu du panneau central, se trouve une multitude de personnages qui paraissent, en proportion, comme autant de nains écrasés par leur cupidité.
Au premier plan du panneau, Bosch représente toute une galerie de personnages généralement considérés comme des parasites de la société de l'époque, incarnant des figures de la tromperie et du vice.
Derrière le chariot se trouvent, à la suite de deux personnages à cheval, une procession qui s'encadre dans un triangle, à l'apparence calme et tranquille : ce sont les puissants de ce monde, qui n'ont pas besoin de se disputer le contenu d'un chariot qui leur appartient de droit.
Tout autour du chariot, un foisonnement de personnages qui arrachent et se disputent le foin met en scène la concupiscence, la cupidité, et la violence qui en découle, à travers l'ensemble des classes populaires de la société — que marque l'extrême variété des habits représentés.
Tirant le chariot, des démons se dirigent vers la droite du panneau, pour les amener dans les Enfers représentés sur le panneau latéral. La continuité du triptyque est en effet assurée par la poursuite de la représentation du groupe des créatures infernales, d'un panneau à l'autre. L'homme nu en tête du cortège, qui regarde derrière lui, tout en étant poussé par une créature à corps de cerf, serait celui qui, attiré dans la vie terrestre — dans le panneau central — par la cupidité et le vice, se voit immanquablement voué aux souffrances infernales — dans le panneau latéral de droite.
Si le mouvement du chariot entraîne donc logiquement le regard, et les hommes, de la gauche vers la droite, du monde terrestre vers les Enfers, les piques à l'arrière-plan de ce groupe à cheval entre les deux panneaux esquisse un mouvement contraire, de la droite vers la gauche : la lance à double crochet et la pique du panneau des Enfers se retrouvent en effet en ordre inversé dans le panneau du Chariot de foin, mettant également en valeur la tête coupée, aux yeux bandés, au cou sanguinolent, attachée au bout d'une pique, telle un trophée macabre.
Les créatures hybrides du triptyque du Chariot de foin, allégorie des vices et de la nature bestiale des hommes, constituent un motif puissamment ancré dans l'imaginaire collectif, que l'on songe à la métamorphose des compagnons d'Ulysse, transformés en pourceaux par Circé (au chant X de L’Odyssée), et récurrent dans l'œuvre de Jérôme Bosch, par exemple, dans le triptyque de la Tentation de Saint Antoine, le panneau central du triptyque du Jugement du monde, ou encore le volet de gauche du triptyque du Jardin des délices. Un visage humain est encore reconnaissable pour le personnage le plus près du chariot. Les pieds des créatures sont encore chaussés — même si l'homme à tête et corps de poisson a perdu une botte —, certaines coiffes sont demeurées sur les têtes. Mais les vils instincts sont révélés par la difformité et la métamorphose animalière ou végétale : corps de poisson, tête de souris, d'ours, de chat, de cerf, membres se mêlant aux branches qui se fixent dans la terre, corps bossu et sans buste, percé d'une flèche, etc.
Tout en haut de la meule de foin, portés par le chariot, un groupe de huit personnages semble indifférent à la frénésie des hommes et des femmes restés à terre pour s'adonner aux plaisirs et à la luxure — oisiveté coupable rendue possible par l'accumulation des richesses[13].
Même si la signification de ce groupe semble moins immédiate que pour celle des personnes à terre se disputant le foin, elle est selon toute probabilité, et en conformité avec l'ensemble de l’œuvre moralisante de Bosch, à chercher du côté d'une dénonciation de la luxure, complémentaire de celle de la concupiscence. La quête des plaisirs détourne en effet de Dieu les six créatures humaines situées en haut du chariot de foin, par les séductions de la musique et de l'amour pour le couple d'élégants, par le désir charnel pour le couple de paysans, mais peut-être aussi pour le joueur de luth qui regarde avec insistance la jeune femme en face de lui, par le voyeurisme qui semble animer le personnage caché derrière le bosquet. Le démon redouble d'ailleurs les séductions de la musique. Larry Silver[16] rappelle en outre qu'au sommet du chariot de foin du cortège d'Anvers de 1560 trônait un satyre bleu nommé « Trompeuse Tentation ».
Le panneau de gauche représente l'introduction du péché dans le monde divin, avant qu'il rayonne dans la vie terrestre sur le panneau central. La composition comporte deux parties distinctes : la première occupe le tiers supérieur du panneau, et représente le ciel, alors que la seconde représente le Paradis terrestre. Le thème général est à rapprocher de celui du panneau de gauche du triptyque du Jugement dernier, également de Jérôme Bosch, conservé au musée de l'Académie des beaux-arts de Vienne.
Dans le ciel, tout d'abord, est représentée la Chute des anges rebelles, épisode absent de la Genèse, mais qui sera par exemple repris par Pieter Bruegel l'Ancien comme sujet d'une œuvre de 1562 [17]. De part et d'autre de Dieu qui trône en majesté dans un demi-disque solaire se trouvent, à sa droite, une partie bleue derrière des nuages blancs renvoyant au bien, à sa gauche (à la droite du panneau) une partie rougeoyante et plus sombre symbolisant le mal. Les anges tombent en cohortes continues des nuages dans le ciel, et se noient dans la mer, représentée à l'arrière-plan du paysage qui occupe les deux tiers inférieurs du panneau. Dans leur chute, les anges rebelles se transforment en animaux, essentiellement en insectes, et viennent envahir le Paradis terrestre en y apportant le mal, inconnu jusqu'alors.
Les deux tiers inférieurs du panneau représentent donc le Péché originel dans le Paradis terrestre, en trois épisodes renvoyant précisément à la chronologie de la Genèse. Alors que le sens de lecture du panneau conservé à Vienne va du bas vers le haut, le panneau du Chariot de foin au contraire se lit de haut en bas. Les différentes étapes se lisent donc dans une continuité du paysage, du plan le plus éloigné vers le premier plan. Les sauts temporels sont matérialisés par les arbres et arbustes et les amas rocheux dessinant des sortes de haies dans ce Paradis terrestre où errent, indifférents les uns aux autres, les animaux calmes et paisibles créés par Dieu[18]. Adam et Ève sont représentés nus, conformément au texte de la Genèse — puisque la conscience de la nudité n'arrive qu'après le Péché originel.
Au troisième plan, tout d'abord, est représentée la création d'Ève par Dieu[19]. Alors qu'Adam est endormi, et repose à terre sur le côté, Dieu, en manteau et tiare rouges (semblables à ceux du pape du panneau central) bénit Ève debout devant lui.
Le second plan représente le Péché originel[20]. Une femme à corps de serpent qui s'enroule autour du tronc d'un arbre portant des fruits — l'Arbre de la connaissance du bien et du mal — tend de sa main droite une pomme. Elle la propose directement à Adam, représenté de profil, qui tend la main droite vers elle, puisque Ève a déjà la sienne dans la main gauche, et qu'elle tourne la tête vers lui, comme pour l'inviter à goûter à son tour au Fruit défendu.
Au premier plan, enfin, un ange chasse de son bras armé d'une épée flamboyante Adam et Ève du Paradis terrestre[21] : Adam se tourne vers lui pour le supplier de la main droite, alors qu'Ève se désolant, dans un geste de la main qu'elle ramène vers son visage, se tourne vers la droite du panneau. Le sens de lecture de cette dernière scène, de la gauche vers la droite, assure la continuité logique du triptyque, puisque la sortie du Paradis terrestre correspond au panneau central, représentant le monde des hommes envahi par le vice et l'oubli de Dieu. L'appétit d'Adam se traduit donc, dans le panneau central, par la ruée vers le foin. Et à la condamnation d'Adam et Ève chassés du Paradis terrestre correspond le passage du chariot dans les Enfers du panneau de droite, salaire inévitable des âmes pécheresses.
Le volet de droite représente, comme sur les triptyques du Jugement dernier et du Jardin des Délices, les Enfers, le lieu de damnation et de supplices où sont immanquablement voués les hommes en proie aux vices, et vers lequel se dirige dangereusement le Chariot de foin. Sa position dans le triptyque renvoie à la main gauche de Dieu et du Christ, représentés de face sur les deux autres panneaux, et qui désigne traditionnellement les âmes damnées. Deux créatures hybrides encadrent d'ailleurs un homme qui regarde derrière lui le monde terrestre qu'il vient de quitter.
Les hommes, dénudés, sont en proie aux pires supplices : l'un, au premier plan, est englouti dans la gueule démesurée d'une créature à tête de poisson, alors qu'un serpent s'enroule autour de sa jambe; un autre est attaqué et dévoré par des monstres à l'apparence de chiens; un autre encore a le ventre fendu, et est transporté la tête en bas par une créature sonnant la trompe; une femme gît sur le sol, les bras derrière le dos, tandis qu'un crapaud lui couvre le sexe; un autre enfin, casqué, percé d'une flèche, et tenant un calice, est sur le dos d'un bœuf.
Le plus singulier du panneau reste cette tour ronde au milieu à droite du panneau que les créatures infernales sont en train d'élever. Elles s'y activent de toutes parts, que ce soit en taillant des poutres, à gauche, ou en montant celles-ci au sommet de la tour à l'aide d'une potence, ou encore en s'adonnant à des travaux de maçonnerie, en montant le ciment par une échelle, et en alignant les briques en haut d'un échafaudage.
À l'arrière-plan se découpe, sur un ciel rougeoyant envahi par le feu et la fumée, le profil noir de bâtiments en proie aux flammes. De minuscules silhouettes de corps morts, noyés dans le fleuve situé devant le bâtiment du centre, ou pendu aux murs de ce même bâtiment, complètent ce paysage d'Apocalypse.
Soit qu'il s'agisse de prévenir le spectateur, afin de le détourner des vices, soit qu'il s'agisse de lui montrer le spectacle effroyable des hommes qui se sont détournés du message de Dieu afin qu'il les condamne absolument, la perspective moralisante de Jérôme Bosch paraît ici des plus claires, même si l'iconographie bute sur la signification exacte de cette tour infernale.
Le triptyque refermé représente, sur la face extérieure des panneaux latéraux, Le Colporteur, première version d'un sujet que Jérôme Bosch reprendra dans un tondo à cadre octogonal[22], à la technique nettement supérieure, mais aux détails sensiblement différents.
Le sujet a donné lieu à de nombreuses hypothèses, ainsi qu'en témoignent les différents titres proposés, entre autres, L'Enfant prodigue, Le Colporteur[23], Le Chemin de la vie[4], Le Voyageur[24], Le Vagabond, ou encore Le Fou errant[25].
Le panneau représente un homme d'âge mûr, aux traits marqués et aux cheveux blancs partiellement cachés sous un capuchon noir. Il porte un vêtement brun déchiré au genou gauche et des souliers noirs. Il a sur le dos une large hotte en osier, sur laquelle est suspendue une cuiller de bois. Il porte au côté une dague. Il a dans les mains un bâton de voyageur au bout large. Marchant sur un chemin qui traverse la campagne, il s'avance vers un pont de pierre (fissuré) qui enjambe une rivière sur laquelle nage un canard et à laquelle s'abreuve un oiseau blanc au long cou (un héron?). Mais au lieu de regarder devant lui, il a le haut du corps, et le regard, tournés vers l'arrière.
Peut-être est-il détourné un instant par les aboiements du chien roux situé juste derrière lui, aux côtes saillantes, au poil dressé, au collier hérissé de pointes, et à la gueule entrouverte qui montre des crocs menaçants. Juste devant le chien, dans l'angle inférieur gauche, des os blanchis gisent par terre : le crâne, mais surtout la patte, à laquelle des lambeaux de peau et de chair sont encore attachés, et le sabot en l'air permettent de reconnaître un cheval, ou un âne. On remarque également deux oiseaux noirs — associés traditionnellement aux mauvais augures — : le premier posé sur le tibia, le second planant à ras du sol.
Au-dessus du chemin, sur une petite colline, dans la partie gauche du tableau, se déroule une scène de vol. Un homme dépouillé de ses vêtements (sa chemise blanche tombant aux genoux laisse voir ses jambes et ses pieds nus) est en train de se faire lier les mains derrière le dos, autour du tronc d'un arbre. L'auteur de ce forfait est un homme situé derrière lui, en costume de soldat, avec un chapeau rouge surmonté de plumes rouges et blanche. Ses deux complices sont devant la victime. Le premier, nu-tête, quitte la scène du vol en s'éloignant vers le hors-cadre, à gauche; il porte au creux de son bras droit une lanterne, et dans sa main une lance, sur laquelle est jetée un manteau rouge, appartenant vraisemblablement à la victime. Le second est agenouillé, et s'attache à découvrir, au moyen du couteau qu'il tient dans sa main droite, le contenu d'un sac à dos. À sa droite, plusieurs objets gisent éparpillés : les dépouilles de la victime (un chapeau noir, une lanière de cuir, une pièce de tissu rouge), et des armes de guerre qui permettent d'identifier les trois larrons comme des soldats déserteurs : une hallebarde, une épée, une arbalète.
À droite du tableau, dans un plan situé derrière la scène de vol, en contrebas du chemin, est représentée une scène bucolique, dans un pâturage. Un paysan au large sourire et une paysanne dansent en se tenant par la main, au son d'une cornemuse dont joue un musicien assis par terre, adossé à un arbre sur le tronc duquel est fixé un nichoir. À droite du joueur de cornemuse, on voit un petit chien assis, et un banc sur lequel on distingue une pelote blanche, et un bâton, abandonnés. Devant le couple dansant, on remarque le même type de bâton, à terre. Sept moutons paissent dans le pré.
Dans un plan plus lointain encore, on distingue, au sommet d'une colline, une foule massée autour d'un gibet, sur lequel repose une très haute échelle, et un mât au sommet duquel se trouve une roue de suppliciés.
Ces cinq plans successifs jouent sur des couleurs relativement restreintes et uniformes : les tons ocre et bruns dominent — les taches rouges des vêtements guidant l'œil vers les deux scènes secondaires, à gauche, par le chapeau, la chemise et les collants des voleurs, et les vêtements de la victime, à droite, par la robe de la paysanne.
Le quart supérieur du tableau en revanche représente un paysage — un lac, des collines, un clocher — qui s'efface progressivement vers l'horizon dans un dégradé bleuté, avant de montrer le ciel.
L'interprétation qui ferait du sujet du panneau une allusion à un épisode de la parabole du Fils prodigue de l'Évangile selon Luc[26], illustrant plus particulièrement le retour du fils, appauvri et repentant, vers le père, est aujourd'hui largement contestée[27]. Non seulement, l'âge du personnage de Bosch ne correspond pas à celui du fils de la parabole, mais aucun des détails du panneau ne renvoie explicitement aux éléments qui permettent habituellement de reconnaître la fable (par exemple l'argent qu'il « dilapide dans une vie de désordre », ou les porcs qu'il doit garder dans les champs quand il se retrouve sans ressources). En outre, le détail de la hotte en osier tressée qu'il porte sur le dos, et qui désigne clairement un colporteur, serait dans ce contexte proprement inexplicable.
Le colporteur a également pu être considéré comme une représentation de l'homme sur la route de la vie, en proie aux dangers et aux tentations de la vie terrestre. Cette interprétation a l'avantage de convoquer moins l'érudition que l'observation des panneaux, et de donner une version réaliste, à échelle humaine, du message proposé dans le triptyque ouvert. Larry Silver convoque l'Évangile selon Matthieu pour confirmer le symbolisme religieux de la route : « spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s'y engagent; combien étroit est […] le chemin resserré qui mène à la vie, et peu nombreux ceux qui le trouvent[28] », et la menace que peut constituer le pont de pierre fissuré que le voyageur ne voit pas se dresser devant lui : « Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou[29]. » Tolnay (1965) quant à lui évoque le Psaume XXV : « Éternel! fais-moi connaître tes voies, Enseigne-moi tes sentiers. » (Psaumes, XXV, 4). Mais ces références savantes ne sont d'ailleurs pas entièrement nécessaires pour attribuer à la route une valeur métaphorique, somme toute banale et usée, désignant le trajet de la vie.
Les scènes de l'avant et l'arrière-plan seraient alors à comprendre comme des représentations des dangers qui guettent le voyageur, qui pourraient le détourner du chemin, et le mener à sa perdition.
La cuiller de bois sur la hotte, élément récurrent des compositions moralisantes de Bosch, désigne habituellement l'intempérance et la gourmandise, les vices qui menacent l'homme lui-même. La scène de danse, quant à elle, évoquerait les tentations extérieures qui détournent les hommes de la voie de la vertu. La cornemuse, chez Jérôme Bosch, est souvent associée au vice, notamment à la luxure[30]. Et le couple de paysans abandonne son travail pour jouir de plaisirs futiles, comme en témoignent les bâtons qu'ils ont délaissés, les moutons qui se promènent en dehors de la surveillance du pasteur, ou la boule blanche (de laine?) sur le banc, évocation (possible) de l'activité de filage que la femme a un instant oubliée.
La scène de vol renverrait à l'insécurité des chemins, à la cupidité et la violence des routiers, ces déserteurs sans honneur ayant abandonné l'armée pour se faire bandits de grands chemins. L'idée d'agression serait redoublée par le chien aux crocs et au collier menaçants — en qui il n'est pas non plus forcé de voir une représentation de Cerbère, le gardien des Enfers[31] — dans l'angle inférieur gauche.
Tous ces dangers pourraient mener à la mort, comme en témoignent les os blanchis et les oiseaux noirs présents dans le même angle inférieur gauche, et les vices à la condamnation par la justice des hommes, comme l'annoncent la roue, et surtout le gibet situé juste au-dessus de la tête du colporteur.
Mais l'homme poursuit son chemin sur la route. Et s'il détourne un instant le regard pour le tourner vers l'arrière, il ne semble pas pour autant attiré par les vices, ou menacé personnellement par les dangers. On pourrait même considérer qu'il se sert de son bâton de pèlerin pour se défendre du chien, et continuer sa progression.
Le tableau a également été rapproché, notamment par Jacques Combe[32], du Mat, appelé aussi le Fou, vingt-deuxième arcane, généralement non numéroté, du tarot de Marseille. La carte comporte en effet le motif suivant, très proche du personnage de Bosch : un voyageur, portant sur son épaule un baluchon monté sur un bâton, et tenant dans son autre main un bâton de pèlerin, est pressé dans sa marche par un chien qui montre ses crocs, derrière lui. En divination, cette carte est associée à l'inconscience à l'égard des dangers — qui confine à la folie —, voire à l'expiation des péchés, ou au dernier degré de l'initiation : le colporteur pauvre quitterait ainsi ce monde mauvais, et sa folie serait le signe d'une innocence retrouvée qui lui ferait finalement enfin toucher la sagesse divine[33].
Le thème allégorique du chariot de foin est brillamment repris par le maître anversois Gillis Mostaert, grand admirateur de Jérôme Bosh, dans un tableau exposé au musée du Louvre .
Dans La Vie mode d'emploi[34] de Georges Perec, Le Chariot de foin de Jérôme Bosch donne lieu à sept « Allusions et détails »[35], parfois très minces, réparties dans les chapitres suivants :
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