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diplomate et homme de lettre français De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Chevalier d'Éon
Naissance | |
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Décès | |
Sépulture |
Cimetière de l'ancienne église Saint-Pancrace |
Nom dans la langue maternelle |
Charlotte d'Éon de Beaumont |
Nom de naissance |
Charles-Geneviève-Louis-Auguste-André-Timothée-Robert-Pierre d'Éon de Beaumont |
Surnom |
Chevalier d'Éon |
Nationalité | |
Formation | |
Activités |
Distinction | |
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Archives conservées par |
Bibliothèque de l'université de Leeds (d) (BC MS Chevalier d' Eon) Archives nationales (277AP) |
Charles d'Éon de Beaumont, ou Charlotte d’Éon de Beaumont, dit le chevalier d'Éon ou chevalière d’Éon, né le à l’hôtel d'Uzès de Tonnerre, et mort le à Londres, est un diplomate, espion, officier, et personnalité de lettres français.
D’Éon a joué un rôle important dans la diplomatie officielle et surtout dans la diplomatie parallèle de Louis XV. Il a contribué à faire basculer la Russie dans le camp français au début de la guerre de Sept Ans. Puis, lors de son ambassade en Angleterre, il a élaboré, entre autres, un plan d’invasion du pays par la mer.
D’Éon a vécu habillé en homme pendant quarante-neuf ans et en femme pendant trente-deux ans, ce qui a amené ses contemporains à spéculer sur son sexe, et en a fait l’un des personnages les plus énigmatiques du XVIIIe siècle.
Mondain et érudit, D’Éon a écrit des essais sur des sujets aussi divers que précis (par exemple : Mémoire sur l'utilité de la culture des mûriers et de l'éducation des vers à soie en France).
Si l'on en croit la généalogie, revue et vérifiée en 1775, que le chevalier d'Éon fait publier en 1779 par de la Fortelle[1],[Note 1], la souche de sa famille serait en Bretagne[2] et la même que celle des « le Senéchal » de Bretagne[3],[4]. Deux membres de la lignée, le comte de Kercado et le marquis de Molac, s'élevèrent aussitôt contre ces prétentions, soutenant que le nom « d'Éon » n'était pas patronymique et qu'il n'y avait jamais eu de telle famille en Bretagne[5],[6]. Ils assignèrent le chevalier d'Éon au Châtelet de Paris « pour voir dire qu'il serait tenu de prouver les faits par lui avancés, ou de s'en rétracter et de leur en faire une réparation authentique[7],[8] ».
Deux sentences, publiées dans le no 39 du Mercure de France de l'année 1780, intervenues au Châtelet de Paris sur cette contestation le [9], puis, sur appel du chevalier, le , ont laissé le chevalier d'Éon dans la possession incontestable de tirer son origine des Éon de Bretagne[10].
Le chevalier descendrait du fameux hérésiarque du XIIe siècle, Éon de l'Étoile[4],[11], condamné en 1148 par un concile de Reims, qui quitta la Bretagne et parcourut les diocèses de Sens, de Reims et de Langres, accompagné de plusieurs de ses parents qui s'étaient faits ses disciples. Après sa condamnation, ses parents ne retournèrent pas en Bretagne, mais se fixèrent dans plusieurs des pays où les avait conduits leur chef. Quelques-uns d'entre eux s'établirent sans doute à Ravières et formèrent la branche, d'où est issu le chevalier[12]. Ils conservèrent audacieusement leur nom et les trois étoiles d'or, pour armes parlantes ; ils y ont ajouté depuis un coq au naturel, tenant en son pied dextre levé un cœur enflammé de gueules au chef d'azur, symbole de la vigilance et de l'enthousiasme d'Éon de l'Étoile, avec cette devise : vigil et audax[13],[6],[14],[15].
La généalogie par filiation suivie de cette famille commence à Robert d'Eon[16],[10], dit de Molesmes, né en 1309, faute de pouvoir remonter plus haut, avec preuves suffisantes, à cause de l'incendie général, qui consuma entièrement la ville de Tonnerre le . François-Alexandre Aubert de La Chenaye-Desbois en publie une en 1865[17], laquelle reprend intégralement les travaux de la Fortelle[1] publiés en 1779, qu'il actualise et complète. La lignée agnatique des descendants conduit en 1576 à André d'Éon, né à Ravières[18],[19].
Gustave Chaix d'Est-Ange note en 1918 à propos de la famille d'Éon que La Chesnaye des Bois en a donné une généalogie très détaillée, en faisant remonter la filiation au XIVe siècle. « Dans la réalité », écrit-il, « la famille d'Éon paraît avoir simplement appartenu à la haute bourgeoisie de sa région. On ne voit pas, en tout cas, qu'elle ait jamais fait reconnaître sa noblesse par jugement, ni même qu'elle ait fait enregistrer son blason à l'Armorial général de 1696[20] », blason qu'Henri Jougla de Morenas mentionne dans son Grand Armorial de France publié en 1935[21]. Chaix d'Est-Ange reprend ensuite l'arbre descendant agnatique d'André Déon des généalogies précédentes[20].
Plus récemment Jean-Robert Blot[22],[Note 2] a entrepris, grâce aux sources aujourd'hui disponibles, de vérifier les travaux de la Fortelle[1] établis et dressés du vivant du chevalier, où l'on trouve une attestation d'état noble le concernant[24]. Il conclut que cette généalogie est erronée pour la partie la plus ancienne remontant à Éon de l'Étoile, ajoutant que le patronyme Deon est fréquent dans la région de Ravières, Ancy-le-Franc, Chassignelles[22].
Pour Blot, « l’ancêtre attesté de cette famille est André Deon[Note 3], il aurait un frère Nicolas qui aurait fait trois pèlerinages à Rome dont au moins un pied nu et qui se serait retiré dans un ermitage près de Ravières. Cette famille est une famille bourgeoise qui va s’élever dans la société tonnerroise, mais elle n’arrivera pas à se faire passer pour noble, notamment en 1668. Comme il est d’usage à l’époque dans toutes les familles bourgeoises, les différents enfants vont porter des surnoms ajoutés à leur nom (souvent un lieu-dit ayant un rapport avec leur propriété)[22] ».
Charles-Geneviève d’Éon[Note 4] naît le [25],[22], à l'hôtel d'Uzès de Tonnerre[27] et est baptisé deux jours plus tard, le [25] en l'église Notre-Dame de Tonnerre. Il raconte dans son autobiographie, Les Loisirs du chevalier d'Éon de Beaumont, qu'il est né « coiffé »[28], c'est-à-dire couvert de membranes fœtales, tête et sexe cachés, le médecin qui a accouché sa mère étant incapable de déterminer son sexe. (Il semble que cette dernière affirmation d'Éon n'est en fait qu'un stratagème pour brouiller davantage la vérité de son sexe.) Il est le fils de Louis Déon (ou d'Éon) de Beaumont[29],[30],[22], avocat au Parlement de Paris, conseiller du roi, maire élu de la petite ville bourguignonne de Tonnerre, subdélégué de l'intendance de Paris, inspecteur ou contrôleur ambulant au domaine du roi[31], et aussi directeur des domaines viticoles du roi[réf. nécessaire] ; il s’enrichit dans le commerce du vin[réf. nécessaire]. Sa mère, Françoise de Chavanson[32], est la fille d'un commissaire général des guerres aux armées d'Espagne et d'Italie.
Il commence ses études à Tonnerre, puis, en 1743, il s’installe à Paris, chez son oncle Michel d'Éon de Germigny[33],[34], pour les poursuivre au prestigieux collège Mazarin[35].
Très bon élève, il obtient un diplôme en droit civil et en droit canon, en ; il a alors vingt et un ans. Tradition familiale oblige, il devient le , avec une dispense d'âge[35], avocat au parlement de Paris. Il songe un moment à entrer dans les ordres[35]. Il montre des talents en équitation, et encore plus en escrime, où son habileté est telle qu'il ne tarde pas à être reconnu comme l'une des premières épées de France[35]. En même temps il écrit beaucoup et commence à publier, en , Considérations historiques et politiques. Ses ouvrages sont remarqués[35].
Par ailleurs, le jeune chevalier, brillant en société, n’a pas de mal à se créer un réseau de relations, au nombre desquelles on trouve bientôt le prince de Conti, prince du sang, cousin du roi Louis XV, lequel le nomme censeur royal pour l'Histoire et les Belles-Lettres[36]. En tant que responsable de la censure royale, tout écrit concernant ces deux domaines doit recevoir son imprimatur avant d’être publié. D'Éon a su gagner tout particulièrement la faveur du prince, en retouchant ou faisant parfois ses couplets et ses madrigaux[35].
Charles-Geneviève d'Éon est recruté dans le « Secret du Roi ». Ce cabinet noir, créé par Louis XV, est considéré comme la première structure de services secrets vraiment organisée et pérenne en France. Il mène une politique étrangère parallèle à la diplomatie officielle, et parfois très différente de cette dernière. Les autres conseils royaux ignorent son existence, y compris celui des « Affaires étrangères ». Les pays étrangers non plus. Le chevalier d’Éon est donc considéré comme un des premiers espions français[37]. Ces agents ont toute latitude pour arriver à leurs fins, par les moyens de leur choix, même s’ils sont illégaux. Le cabinet est dirigé par le prince de Conti puis par le comte de Broglie.
En font partie notamment le maréchal de Noailles, Vergennes, Breteuil, Beaumarchais.
Selon certaines sources, d'Éon est recruté dans le service secret par le roi lui-même, qui le rencontre dans un bal costumé déguisé en femme. Le monarque est séduit par cette jolie personne. Après avoir compris qu’il s'agit d'un homme, il pense qu'ainsi déguisé, il pourrait approcher la tsarine Élisabeth Ire sans attirer sa méfiance. On est en juin , la guerre de Sept Ans commence. Il a pour mission de convaincre la souveraine de faire alliance avec la France. Sous le nom de Lia de Beaumont, il parvient à l'approcher, il devient sa lectrice, et il parvient à plaider la cause française à la Cour de Russie plus efficacement que les ambassadeurs officiels.
En fait, il est plus probable qu'il ait été recruté par le prince de Conti et dépêché à la Cour de Russie comme secrétaire d'ambassade. À Saint-Pétersbourg, la tsarine donne des bals costumés, où l'on inverse les rôles : les hommes doivent être vêtus en femmes et vice versa. D'Éon prend sans doute plaisir à se travestir, son apparence androgyne (carrure étroite, absence de barbe[38],[39]) lui permet de mystifier tout le monde[40]. D’Éon devient rapidement l’ami de nombre de proches de la tsarine. C’est ainsi qu'il rallie petit à petit des conseillers anglophiles à la cause française, alors que les diplomates français qui arrivent en délégations officielles sont depuis des mois en butte à la méfiance et au rejet.
Il est de nouveau présent à Saint-Pétersbourg comme secrétaire d'ambassade de 1758 à 1760. Un autre traité d'alliance est signé, aussitôt le chevalier le rapporte au roi à Versailles, devançant de deux jours le courrier dépêché par la tsarine. Le roi le récompense en lui donnant un brevet de capitaine de dragons. Charles-Geneviève participe aux dernières campagnes de la guerre de Sept Ans, où il est blessé. Il quitte l'armée en 1762 pour redevenir agent secret[41].
En 1762, Charles-Geneviève d'Éon est envoyé à Londres, où il collabore, en tant que « secrétaire de l'ambassade de France pour la conclusion de la paix générale » auprès de l'ambassadeur, le duc de Nivernais, à la rédaction du traité de paix de Paris, signé le , qui clôt la guerre de Sept Ans. La France a été vaincue par l'Angleterre, celle-ci veut notamment s'emparer de l’essentiel de l'empire colonial français, il s’agit de conclure le traité le moins défavorable possible. Le chevalier va y contribuer. Lors d’un de ces repas très arrosés qu’il affectionne, il parvient à subtiliser pendant un moment, à un négociateur anglais un document contenant la liste des concessions maximales que son pays est disposé à faire[41]. Document infiniment précieux, que Choiseul exploitera pour obtenir l’accord le moins douloureux qui soit pour la France. Le roi le récompense à nouveau, il est décoré de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, l'une des plus grandes distinctions du temps[39].
D'Éon est maintenant chargé par le Secret du Roi d’une mission délicate et on ne peut plus secrète : il s'agit, pour reprendre l'avantage sur l'ennemi anglais, d'élaborer un plan d'invasion de la Grande-Bretagne. Un débarquement surprise. Il reconnait les côtes avec le marquis Carlet de la Rozière. Il tient informées les plus hautes instances de l’avancement du projet dans des courriers secrets et codés. Le fait que ce soit à lui que le roi ait confié cette mission montre l'estime et la confiance qu'il a pour le chevalier[42].
Lorsque le duc de Nivernais, malade, retourne à Paris[41], il prend sa place par intérim. Aussitôt l’ambiance change à l’ambassade. Le nouveau maitre des lieux y organise des réceptions fastueuses, tous les personnages qui comptent dans le royaume d’Angleterre y sont conviés, et ils s’y pressent. On s’y amuse tant, le chevalier est si charmant… Si charmeur, c’est « la diplomatie façon d’Éon » (qui préfigure celle de Talleyrand) : n’avoir que des amis dans le camp ennemi. Le roi George III l’adore. Rappelons que, dans le même temps, d'Éon prépare une invasion de son pays. Mais à Paris on juge son train de vie par trop extravagant : 22 domestiques, une réception par jour[39], il dilapide en quelques mois le budget annuel de l’ambassade[41]. Quand il demande qu’on augmente ledit budget, le ministre des Affaires étrangères, Étienne-François de Choiseul, refuse. Pour la première fois, le chevalier est désavoué par le pouvoir royal.
Un nouvel ambassadeur, le comte de Guerchy, entre en fonctions, Charles-Geneviève d'Éon en devient le secrétaire en tant que ministre plénipotentiaire. Les deux hommes se détestent, ils se sont connus et opposés pendant la guerre de Sept Ans[41]. Le chevalier méprise son supérieur. Deux clans se forment à l'ambassade de France et une guerre de libelles s’amorce.
Au cœur du conflit entre les deux hommes, il y a les plans d’invasion du pays. Louis XV a renoncé à ce projet. L’ambassadeur exige que le chevalier lui livre ces plans pour les détruire. D’Éon refuse, sans qu’il y ait une négociation, et qu’un accord soit trouvé sur une rémunération spécifique pour un si bon travail sur un si judicieux projet. Pour le comte de Guerchy, il est hors de question d’envisager la moindre négociation. Le pouvoir royal finit par trancher. Le , Louis XV déchoit le chevalier de ses fonctions à l’ambassade et demande son extradition aux autorités anglaises[43].
Celles-ci, qui n'y sont pas contraintes par leur législation, refusent : ce conflit entre les deux diplomates français qui s’étale au grand jour les ravit. Par provocation, d'Éon continue à se rendre à l'ambassade de France. En 1764, pour faire céder Guerchy et le roi, il n’hésite pas à exercer un audacieux chantage : il divulgue une partie de sa correspondance avec le pouvoir royal. Il ne va pas jusqu’à publier les courriers qui concernent précisément le débarquement, mais la menace de le faire est sous-jacente.
Le chevalier estimait que le nouvel ambassadeur était incompétent. Il a, semble-t-il, raison. Au lieu d’accepter de payer une modique « rançon » pour récupérer ce si précieux document, il s’enferme dans un refus qui met tout bonnement en péril le fragile équilibre politique et militaire entre les deux plus puissants pays d’Europe. Pour lui, le chevalier est l’homme à abattre par tous les moyens. Mais, hors les murs de l’ambassade, il n’a aucun droit et le chevalier s’abrite habilement derrière la police et la justice anglaises. Lors d’un procès, un témoin révèle que l'ambassadeur a tenté d'empoisonner son ex-secrétaire lors d'un repas[Note 5]. D’Éon accuse également son ex-supérieur d’avoir essayé de le faire enlever. En septembre 1767, lors d’un autre procès, la justice anglaise donne raison au chevalier, qui reprend ses fonctions et perçoit à nouveau sa pension. Devant comparaître une nouvelle fois en justice, alors qu’il n'a ni avocat ni témoins, il préfère disparaître. Il se déguise en femme et se réfugie chez un ami[39].
Peu à peu le conflit s'enlise, puis il s'éteint, l’ambassadeur étant accaparé par d’autres problèmes et le chevalier renonçant à ses velléités de chantage. Maintenant qu'il est en disgrâce, sans pouvoir ni fonction, on l’ignore. Alors, pensent de nombreux historiens[41], pour que les regards se tournent à nouveau vers lui, il a l'idée de faire scandale en s'habillant en femme et prétendre qu’il a toujours été une femme[41]. Il se trouve à nouveau au centre de toutes les attentions et de toutes les conversations. À l’ambassade de France on tente immédiatement de tirer parti de la « folie » du chevalier, qui alimente les libelles de Treyssac de Vergy et d’Ange Goudar.
Aussitôt les rumeurs diverses sur son appartenance sexuelle courent dans Londres. Dans les gazettes britanniques, on voir fleurir des caricatures du chevalier qu'on baptise « Épicène d'Éon ». Dans la capitale, on lance des paris sur son sexe. Un procès entre deux parieurs se conclut – après audition de divers témoins, mais pas du chevalier – par le verdict suivant : c'est une femme[44].
En 1774, Louis XV exige que le chevalier d'Éon mette un terme aux rumeurs, qui discréditent l’ambassade de France, en indiquant son sexe véritable une fois pour toutes. Le chevalier répond par une déclaration dans laquelle il affirme solennellement être une femme[45]. Cette attestation est validée par plusieurs médecins. Le chevalier refusant de se dévêtir, ces médecins ont dû se contenter d’effectuer des palpations pour arrêter leur opinion[46]. Cette révélation est embarrassante pour le Royaume. Diverses lectures ont été proposées, pour interpréter ce comportement : psychologique, voire psychiatrique (« délire narcissique »), ou encore politique : désir de se venger, de ridiculiser le pays qui l’a écarté, puis a attenté à ses jours.
Le chevalier d’Éon n'était ni homosexuel ni bisexuel, on ne lui connait aucune aventure[41], bien qu'on lui en prête parfois de manière fantaisiste. On pense généralement qu’il est uniquement travesti.
À cette époque, d'Éon est en relation avec le libelliste français Charles Théveneau de Morande, qui lui communique les Mémoires de Madame du Barry, texte satirique, dont il est l'auteur. En 1775, le dramaturge, mais également membre du Secret du Roi, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, est envoyé à Londres par le nouveau roi de France, Louis XVI, pour récupérer tous ces documents, lettres, plans, libelles, en possession du chevalier.
Après maintes péripéties, au terme de quatorze mois de négociations, une transaction de plus de vingt pages, stipulant la remise de l’intégralité des documents sensibles, est conclue. Par ailleurs, le chevalier – que la France considère désormais comme une femme – ne devra plus jamais quitter ses vêtements féminins. Il se fera désormais appeler Mlle Éon, en échange de quoi une rente viagère lui est accordée[39].
Quand la perspective d’un retour en France commence à se préciser, d’Éon renfile ses habits masculins, contre la volonté du nouveau pouvoir royal. Le chevalier d'Éon est donc pris à son propre piège. Furieux, il quitte Londres le et se présente à la Cour dans sa tenue de capitaine de dragons. Une ordonnance prise le par le roi lui donne ordre « de quitter l'uniforme de dragons qu'elle continue à porter et de reprendre les habits de son sexe avec défense de paraître dans le royaume sous d'autres habillements que ceux convenables aux femmes[47] ». Habillé par Rose Bertin aux frais de Marie-Antoinette, il est présenté à la Cour en robe à panier et corset le .
En 1779, d’Éon veut participer à la guerre d'indépendance des États-Unis contre l’Angleterre au côté de Lafayette. Il se rhabille en dragon, mais le pouvoir royal sévit : arrêté le , il est exilé à Tonnerre, où il se résout à s'occuper de son domaine familial[39].
En 1783, le roi le laisse revenir à Paris ; en novembre 1785, il regagne la Grande-Bretagne ; arrivé à Londres, il découvre que le propriétaire de son appartement lui réclame ses loyers impayés[48]. Ne bénéficiant plus de sa rente, il n’a pas les moyens de le payer, sauf à se séparer de sa bibliothèque de 8 000 livres.
C'est à cette époque que se situe l'assaut d'armes entre le chevalier d'Éon et le chevalier de Saint-George, venu tout exprès en Angleterre[49]. Cet assaut a lieu à Carlton House le , à la demande expresse du prince de Galles, Georges Auguste de Hanovre, futur George IV, dont on murmure qu'il est le fils du chevalier d'Éon[50],[Note 6].
Ce fut un exploit sportif entre deux escrimeurs habitués à tirer ensemble dans la même salle. Malgré la gêne de ses vêtements de femme, d'Éon atteignit sept fois Saint-George[52] et sa victoire consacra sa réputation d'escrimeur[53],[Note 7]. Le tableau d'Alexandre-Auguste Robineau The fencing-match between the Chevalier de Saint-George and the Chevalier d'Éon fut réalisé à la demande du prince de Galles[55] pour immortaliser l'événement.
D'Éon accueille favorablement la Révolution française et adresse même le à l'Assemblée nationale législative une pétition dans laquelle, s'appuyant sur un décret de la Constituante, il demande à être réintégré dans son grade et à prendre du service :
« A présent, que je vois la nation, la loi et le roi en grands dangers, je sens mon amour pour la patrie se réveiller et mon humeur guerrière se révolter contre ma cornette et mes jupes : mon cœur redemande à grands cris mon casque, mon sabre, mon cheval et surtout mon rang dans l'armée pour aller combattre les ennemis de la France. Pour me mettre dans le cas de faire de la bonne besogne à l'armée, qu'on m'accorde la permission de lever une légion appelée la légion des volontaires de d'Éon-Tonnerre. Je tâcherais de la composer au moins de moitié de soldats vétérans, et l'autre moitié d'une jeunesse robuste et de bonne volonté qui sera bientôt aguerrie dans une guerre active[56]. »
La pétition, présentée par Lazare Carnot à l'Assemblée dans la séance du , est renvoyée au comité militaire[57] qui n'y donne aucune suite. D'Éon reste donc à Londres, où sa situation devient de plus en plus précaire. La déclaration de guerre du par la Convention à la Grande-Bretagne et aux Provinces-Unies et de lourdes dettes (en France également) le contraignent à demeurer sur le sol britannique[39] où il vit pauvrement.
Les biens qu'il a en France lui sont confisqués, les meubles de sa maison de Tonnerre sont vendus, les papiers qu'il y a déposés, dans une armoire de fer cachée, sont saisis. Il n'a plus pour vivre qu'une pension de 200 livres sterling que lui a octroyée Georges III[56].
Pour subvenir à ses besoins, il est contraint de participer à des combats d’escrime publics[58]. Malgré ses soixante ans passés et ses habits féminins, ses talents d’escrimeur lui permettent de remporter la plupart des combats[Note 8]. En , il doit se résoudre à se défaire de sa bibliothèque[48]. Il continue, malgré son embonpoint, à se battre en duel jusqu'à l'âge de 68 ans. Le à Southampton, lors d'un grand assaut en public, il est grièvement blessé, le bouton du fleuret s'étant cassé sans qu'on s'en aperçoive à un pouce de l'extrémité ; la blessure dans le creux du bras droit s'étend sur près de 10 centimètres[59].
Il est finalement recueilli le par Mary Cole, une Française de son âge, veuve de William Cole, ingénieur de la marine royale anglaise[60].
Le , d'Éon et Mary Cole sont emprisonnés pour dettes[61]. Libéré au bout de cinq mois[62], il signe un contrat pour publier son autobiographie mais il est frappé de paralysie, à la suite d'une chute due à une attaque vasculaire. Il vivra encore quatre ans dans la misère, les deux dernières années comme grabataire[63] avant de mourir à l'âge de 81 ans, le à Londres (New-Wilman Street, no 26)[52],[Note 9].
En effectuant sa toilette mortuaire, on découvre avec stupéfaction que cette supposée vieille dame est en fait un homme[Note 10]. Le chirurgien M. Copeland, accompagné de dix-sept témoins, membres de la Faculté médicale de la Grande-Bretagne déclare dans un rapport médico-légal[65], le : « Par la présente, je certifie que j'ai examiné et disséqué le corps du chevalier d'Éon en présence de M. Adair, de M. Wilson, du père Élysée et que j'ai trouvé sur ce corps les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports »[66],[67].
Le chirurgien Copeland apporte même le lendemain cette précision : « En conséquence de la note des personnes nommées ci-dessus, j'ai examiné le corps, qui était du sexe masculin. Le dessin original[68] a été fait par M. C. Turner, en ma présence[69] ». Charles Turner grave simultanément une estampe du masque mortuaire[70].
Le chevalier d'Éon est inhumé le au cimetière de St Pancras Old Church[71], église paroissiale de l'Église d'Angleterre qui fait partie à l'époque du comté du « Middlesex »[66],[72],[73],[Note 11] avant d'être rattachée en 1889[Note 12] jusqu'en 1965 au comté de Londres, remplacé depuis par le Grand Londres. Il laisse un testament olographe dans lequel il institue comme exécuteur testamentaire Sir Sydney Smith.
Ce testament est précédé d'un préambule portant en tête « Soli Deo Gloria et honor ». Il débute ainsi : « Mors mihi lucrum[Note 13] » et se termine par ce quatrain lapidaire où, philosophiquement, et non sans quelque ironie, le chevalier dresse le bilan de ce qu'a été sa vie[75],[76] :
Fermé aux sépultures en 1850, le cimetière de St Pancras Old Church, où de nombreux catholiques et émigrés français ont été enterrés, est désaffecté en 1865 en raison des travaux de la gare de Saint-Pancras, terminus des Midland Railway, puis rouvert comme parc public en [71],[77]. La baronne Angela Burdett-Coutts fait alors construire un mémorial, inauguré en 1879, qui porte depuis son nom.
L'obélisque est érigé à la mémoire des personnes qui étaient enterrées près de l'église St Pancras Old Church et les noms de plus de soixante-dix d'entre elles y sont gravés, dont celui du chevalier d'Éon, sur la face sud.
L'éonisme désigne l'inversion esthético-sexuelle correspondant au besoin qu'éprouvent certains hommes d'adopter des comportements vestimentaires ou sociaux socialement considérés comme féminins. Deux approches de l'éonisme prévalent : le psychologue Havelock Ellis considère que l'éonisme serait la première étape de l'inversion sexuelle, celle-ci s'exprimant symboliquement sur un plan vestimentaire. Le psychiatre Angelo Hesnard pense que l'éonisme est un moyen d'appropriation de l'image de la femme par le travestisme et peut conduire à une forme de perversion sexuelle. Dans certaines pratiques sexuelles, notamment le fétichisme, l'éonisme est un stimulant puissant. À ce titre, le chevalier d'Éon est considéré par la communauté LGBT comme le « saint patron des travestis »[78].
Pour expliquer son ambiguïté sexuelle sont évoqués également les syndromes de Kallmann, d'insensibilité aux androgènes, de Klinefelter ou de transvestisme[79].
Le British Museum a mis en ligne une collection d’œuvres consacrée au chevalier d'Éon[80].
"Un mouchoir au creux du pantalon je suis Chevalier d'Éon"
Une liste des œuvres du chevalier d'Éon figure en fin des articles :
Les œuvres suivantes sont disponibles dans les bibliothèques numériques :
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