Le sens moderne de nation est assez proche de celui de peuple, à laquelle s'ajoute généralement la volonté de s'autoadministrer et donc l'idée d'état, de gouvernement (souhaité, autonome ou indépendant), de souveraineté.
Aucune nation ne possède naturellement une base ethnique, mais à mesure que les formations sociales se nationalisent, les populations qu'elles incluent, qu'elles se répartissent ou qu'elles dominent sont « ethnicisées », c'est-à-dire représentées dans le passé ou dans l'avenir comme si elles formaient une communauté naturelle, possédant par elle-même une identité d'origine, de culture, d'intérêts qui transcende les individus et les conditionnements sociaux
Race, nation, classe : les identités ambigües (1988),
Étienne Balibar, éd. La Decouverte, 1988, p.
130-131
Les voies fondamentales de la formation de toute société passent par la famille : sur ce point, il ne peut y avoir aucun doute. Mais il semble qu’une observation analogue s’applique aussi à la nation. L’identité culturelle et historique des sociétés est sauvegardée et entretenue par ce qui est inclus dans le concept de nation.
Naturellement, un risque devra être absolument évité : que la fonction irremplaçable de la nation dégénère en nationalisme. A ce sujet, le XXe siècle nous a fourni des expériences extrêmement éloquentes, même à la lumière de leurs conséquences dramatiques. Comment peut-on se libérer d’un tel péril ? Je pense que la manière la plus appropriée est le patriotisme. La caractéristique du nationalisme est en effet de ne reconnaître et de ne rechercher que le bien de sa propre nation, sans tenir compte des droits des autres ; À l’inverse, le patriotisme, en tant qu’amour pour sa patrie, reconnaît à toutes les autres nations des droits égaux à ceux qui sont revendiqués pour sa patrie et il constitue donc la voie vers un amour social ordonné.
Cette idée de frontières et de nations me paraît absurde. La seule chose qui peut nous sauver est d’être citoyen du monde.
La vérité de toute l'affaire est extrêmement simple. La nationalité est une chose qui existe et n'a rien à voir avec la race. La nationalité est comme une église ou une société secrète, c'est un produit de l'âme humaine, de la volonté humaine ; c'est un produit spirituel.
Une nation […] est un groupe de personnes unies par une erreur commune sur leurs ancêtres et une aversion commune pour leurs voisins.
- Dans Nationalism and Its Alternatives, 1969.
Ce nouveau sujet de l'histoire, qui est à la fois celui qui parle dans le récit historique [...] apparaît quand on écarte le discours administratif ou juridique de l'État sur l'État, eh bien, qu'est-ce que c'est ? C'est ce qu'un historien de cette époque-là appelle une « société » : une société, mais étendue comme association, groupe, ensemble d'individus réunis par un statut ; une société, composée d'un certain nombre d'individus, qui a ses mœurs, ses usages et même sa loi particulière. Ce quelque chose qui parle désormais dans l'histoire, qui prend la parole dans l'histoire, et dont on va parler dans l'histoire, c'est ce que le vocabulaire de l'époque désigne par le mot de « nation ».
La nation était le meilleur antidote au choc des civilisations. Par la frontière et l'exigence de la citoyenneté, on était parvenu à faire vivre côte à côte des gens très différents de par leur foi religieuse ou leur appartenance. Qui de plus français qu'un
Lévi-Strauss ou qu'un Léopold Sedar Senghor
? Quand vous enlevez le couvercle de la nation, vous rêvez de la concorde planétaire, mais vous récoltez la guerre de tous contre tous.
« Je suis nobody, entretien avec Hervé Juvin », Propos recueillis par Eugénie Bastié, revue Limite, nº 2, janvier 2016, p. 80
D'abord je suis pour decrédibiliser, un peu, l'idée de nation. Je trouve que cette idée a fait tant de mal, qu'elle a nourri tant de guerres, qu'elle a alimenté tant de haines, ce fétiche national, cette façon qu'ont les gens de se mettre, depuis des siècles, au garde à vous derrière le drapeau, cette façon qu'on a de leur faire faire n'importe quoi, de les envoyer aux pires boucheries au nom du nationalisme, fait que, si l'on pouvait réduire un peu le caquet au coq gaulois, et aux coqs nationaux en général, ça me parait être assez salubre.
Un jour, espérons-le, le globe sera civilisé. Tous les points de la demeure humaine seront éclairés, et alors sera accompli le magnifique rêve de l'intelligence : avoir pour patrie le Monde et pour nation l'Humanité.
Les Burgraves (1843),
Victor Hugo, éd. J. Hetzel, 1843, Préface,
p.
22
L'entêtement borné de quelques puissants a transformé en réalités concrètes, en « nations », ce qui n'était au départ que concepts abstraits, Allemagne, France ou Italie. Le processus est plus absurde encore pour les nations africaines issues de la décolonisation et dont les limites résultent de traits tirés plus ou moins au hasard sur une carte par quelques fonctionnaires de Paris ou de Londres. La pauvreté même des objets ou des rites qui les symbolisent montre à l'évidence combien ces concepts sont creux. Quelques couleurs élémentaires brutalement associées, quelques accords assez simples pour être joués par des musiques militaires, quelques paroles assez dépourvues de sens pour pouvoir être répétées sans jamais concerner l'intelligence, voilà de quoi fabriquer drapeaux et hymnes patriotiques qui justifieront, par leur seule évocation, tous les abandons de la raison.
Petit abécédaire de culture générale, Albert Jacquard, éd. Points, 2010, Nation, p. 85
Vraiment, ne faut-il pas avoir abandonné tout bon sens, toute raison, tout contact avec la réalité, pour appeler aujourd'hui les petit Français à abreuver les sillons de leurs campagnes du sang impur de ceux qui viennent égorger leurs compagnes (sans compter la mauvaise leçon de versification apportées par ces rimes trop riches)?
Petit abécédaire de culture générale, Albert Jacquard, éd. Points, 2010, Nation, p. 86
Robert Menasse
[L]a nation est criminogène parce qu'elle est incapable de fédérer une communauté sans ennemis ou rivaux, qu'ils soient extérieurs ou intérieurs.
Un messager pour l’Europe-Plaidoyer contre les nationalismes (2015),
Robert Menasse, éd. Buchet-Chastel, 2015, p.
121
La nation est un groupement politique, créé par l'histoire et contenu dans l'armature de l'État. La nation, généralement, ne correspond pas plus à une race qu'à une ethnie; de façon habituelle, la nation comprendra plusieurs éléments raciaux et chevauchera plusieurs ethnies. Ainsi, la « race » est une conception savante, l'« ethnie » une conception naturelle, la « nation » une conception politique.
Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera.
Qu'est-ce qu'une nation? conférence faite en Sorbonne, le 11 mars 1882, Ernest Renan, éd. Calmann-Lévy, 1882, p.
15
Edmond de Rothschild
Les structures économiques vont suivre la même évolution que les structures politiques. Dans ce dernier domaine, l’Europe de l’Ouest – c’est-à-dire les six pays du Marché Commun plus la Grande Bretagne, peut-être l’Irlande et les pays scandinaves selon des modalités à définir – vont constituer une Europe politique fédérale. Mais parce que chaque individu éprouve le besoin de se situer dans un milieu restreint, il s’identifiera à une province, que ce soit le Wurtemberg ou la Savoie, la Bretagne, l’Alsace-Lorraine ou le pays Wallon. Dans ces conditions, la structure qui va disparaître, le verrou qui doit sauter, c’est la nation parce qu’elle est inadaptée au monde moderne : tantôt trop petite, tantôt trop grande. .
«
Quand un Rothschild plaide le dossier des PME
»,
Edmond de Rothschild,
Entreprise, nº
18 Juillet,
1970, p.
64
Car la nation ce n'est pas un clan, ce n'est pas une race, ce n'est pas une tribu. La nation c'est plus fort encore que l'idée de patrie, plus fort que le patriotisme, ce noble réflexe par lequel on défend sa terre natale, son champ, ses sépultures. Car le sentiment national c'est ce par quoi on devient citoyen, ce par quoi on accède à cette dignité suprême des hommes libres qui s'appelle la citoyenneté !
- Discours à l'assemblée nationale lors des débats sur le traité de Maastricht
La contribution principale de la France à l'histoire de l'humanité est justement d'avoir fait échapper la démocratie à sa gangue ethnique originelle et défini un corps de citoyens sans référence aux notions de race ou de sang.