Les Anormaux — Cours au Collège de France, 1974-1975
Cours du 8 janvier 1975
Le grotesque, c'est l'un des procédés essentiels à la souveraineté arbitraire. Mais vous savez aussi que le grotesque, c'est un procédé inhérent à la bureaucratie appliquée. Que la machine administrative, avec ses effets de pouvoir incontournables, passe par le fonctionnaire médiocre, nul, imbécile, pelliculaire, ridicule, râpé, pauvre, impuissant, tout ça a été l'un des traits essentiels des grandes bureaucraties occidentales, depuis le XIXe siècle. Le grotesque administratif n'a pas simplement été l'espèce de perception visionnaire de l'administration qu'ont pu avoir Balzac, Dostoïevski, Courteline ou Kafka. Le grotesque administratif, c'est en effet une possibilité que s'est réellement donnée la bureaucratie. « Ubu rond de cuir » appartient au fonctionnement de l'administration moderne, comme il appartenait au fonctionnement du pouvoir impérial à Rome d'être entre les mains d'un histrion fou. Et ce que je dis de l'Empire romain, ce que je dis de la bureaucratie moderne, on pourrait dire de biens d'autres formes mécaniques de pouvoir. Le pouvoir se donnait cette image d'être issu de quelqu'un qui était théâtralement déguisé, dessiné comme un clown, comme un pitre.
Il me semble qu'il y a là, depuis la souveraineté infâme jusqu'à l'autorité ridicule, tous les degrés de ce que l'on pourrait appeler l'indignité du pouvoir.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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Hautes Études
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1999
(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 8 janvier 1975,
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Cours du 15 janvier 1975
L'exclusion de la lèpre, c'était une pratique sociale qui comportait d'abord un partage rigoureux, une mise à distance, une règle de non-contact entre un individu (ou un groupe d'individus) et un autre. C'était, d'autre part, le rejet de ces individus dans un monde extérieur, confus, au-delà des murs de la ville, au-delà des limites de la communauté. Constitution, par conséquent, de deux masses étrangères l'une à l'autre. Et celle qui était rejetée, était rejetée au sens strict dans les ténèbres extérieures. Enfin, troisièmement, cette exclusion du lépreux impliquait la disqualification — peut-être pas exactement morale, mais en tout cas juridique et politique — des individus ainsi exclus et chassés. Ils entraient dans la mort, et vous savez que l'exclusion du lépreux s'accompagnait régulièrement d'une sorte de cérémonie funèbre, au cours de laquelle on déclarait morts (et, par conséquent, leurs biens transmissibles) les individus qui étaient déclarés lépreux, et qui allaient partir vers ce monde extérieur et étranger. Bref, c'était en effet des pratiques d'exclusion, des pratiques de rejet, des pratiques de « marginalisation », comme nous dirions maintenant. Or, c'est sous cette forme-là qu'on décrit, et je crois encore actuellement, la manière dont le pouvoir s'exerce sur les fous, sur les malades, sur les criminels, sur les déviants, sur les enfants, sur les pauvres.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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Il me semble qu'en ce qui concerne le contrôle des individus, au fond, l'Occident n'a eu que deux grands modèles : l'un, c'est celui de l'exclusion du lépreux; l'autre, c'est le modèle de l'inclusion du pestiféré. Et je crois que la substitution de l'inclusion du pestiféré, comme modèle de contrôle, à l'exclusion du lépreux, est l'un des grands phénomènes qui se sont passés au XVIIIe siècle. Pour vous expliquer cela, je voudrais vous rappeler comment se faisait la mise en quarantaine d'une ville, au moment où la peste s'y déclarait. Bien entendu, on circonscrivait — et là on enfermait bien — un certain territoire : celui d'une ville, éventuellement celui d'une ville et de ses faubourgs, et ce territoire était constitué comme un territoire fermé. Mais, à cette analogie près, la pratique concernant la peste était fort différente de la pratique concernant la lèpre. Car ce territoire, ce n'était pas le territoire confus dans lequel on rejetait la population dont on devait se purifier. Ce territoire était l'objet d'une analyse fine et détaillée, d'un quadrillage minutieux.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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La ville en état de peste — et là je vous cite toute une série de règlements, d'ailleurs absolument identiques les uns aux autres, qui ont été publiés depuis la fin du Moyen Âge jusqu'au début du XVIIIe siècle — était partagée en districts, les districts étaient partagés en quartiers, puis dans ces quartiers on isolait les rues, et il y avait dans chaque rue des surveillants, dans chaque quartier des inspecteurs, dans chaque district des responsables de district et dans la ville elle-même soit un gouverneur nommé à cet effet, soit encore les échevins qui avaient reçu, au moment de la peste, un supplément de pouvoir. Analyse, donc, du territoire dans ses éléments les plus fins ; organisation, à travers ce territoire ainsi analysé, d'un pouvoir continu, et continu dans deux sens. D'une part, à cause de cette pyramide, dont je vous parlais tout à l'heure. Depuis les sentinelles qui veillaient devant les portes des maisons, à l'extrémité des rues, jusqu'aux responsables des quartiers, responsables des districts et responsables de la ville, vous aviez là une sorte de grande pyramide de pouvoir dans laquelle aucune interruption ne devait avoir place. C'était un pouvoir qui était également continu dans son exercice, et pas simplement dans sa pyramide hiérarchique, puisque la surveillance devait être exercée sans interruption aucune. Les sentinelles devaient être toujours présentes à l'extrémité des rues, les inspecteurs des quartiers et des districts devaient, deux fois par jour, faire leur inspection, de telle manière que rien de ce qui se passait dans la ville ne pouvait échapper à leur regard. Et tout ce qui était ainsi observé devait être enregistré, de façon permanente, par cet espèce d'examen visuel et, également, par la retranscription de toutes les informations sur des grands registres.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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Et tous les jours des inspecteurs devaient passer devant chaque maison, ils devaient s'y arrêter et faire l'appel. Chaque individu se voyait assigner une fenêtre à laquelle il devait apparaître, et lorsqu'on appelait son nom il devait se présenter à la fenêtre, étant entendu que, s'il ne se présentait pas, c'est qu'il était dans son lit ; et s'il était dans son lit, c'est qu'il était malade ; et s'il était malade, c'est qu'il était dangereux. Et, par conséquent, il fallait intervenir. C'est à ce moment-là que se faisait le tri des individus, entre ceux qui étaient malades et ceux qui ne l'étaient pas. Toutes ces informations ainsi constituées, deux fois par jour, par la visite — cette espèce de revue, de parade des vivants et des morts qu'assurait l'inspecteur —, toutes ces informations transcrites sur le registre étaient ensuite confrontées avec le registre central que les échevins détenaient à l'administration centrale de la ville.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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Il ne s'agit pas d'une exclusion, il s'agit d'une quarantaine. Il ne s'agit pas de chasser, il s'agit au contraire d'établir, de fixer, de donner son lieu, d'assigner des places, de définir des présences, et des présences quadrillées. Non pas rejet, mais inclusion. Vous voyez qu'il ne s'agit pas non plus d'une sorte de partage massif entre deux types, deux groupes de population : celle qui est pure et celle qui est impure, celle qui a la lèpre et celle qui ne l'a pas. Il s'agit, au contraire, d'une série de différences fines et constamment observées entre les individus qui sont malades et ceux qui ne le sont pas. Individualisation, par conséquent, division et subdivision du pouvoir, qui arrive jusqu'à rejoindre le grain fin de l'individualité. Nous sommes très loin, par conséquent, du partage massif et grouillant, caractérisant l'exclusion du lépreux. Vous voyez également qu'il ne s'agit aucunement de cette espèce de mise à distance, de rupture de contact, de marginalisation. Il s'agit, au contraire, d'une observation proche et méticuleuse. Alors que la lèpre appelle la distance, la peste, elle, implique une sorte d'approximation de plus en plus fine du pouvoir par rapport aux individus, une observation de plus en plus constante, de plus en plus insistante. Il ne s'agit pas non plus d'une sorte de grand rite de purification comme dans la lèpre ; il s'agit, avec la peste, d'une tentative pour maximaliser la santé, la vie, la longévité, la force des individus.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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La peste, c'est le moment où le quadrillage d'une population se fait jusqu'à son point extrême, où rien des communications dangereuses, des communautés confuses, des contacts interdits ne peut plus se produire. Le moment de la peste, c'est celui du quadrillage exhaustif d'une population par un pouvoir politique, dont les ramifications capillaires atteignent sans arrêt le grain des individus eux-mêmes, leur temps, leur habitat, leur localisation, leur corps.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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La peste a pris la relève de la lèpre comme modèle de contrôle politique, et c'est là l'une des grandes inventions du XVIIIe siècle, ou en tout cas de l'âge classique et de la monarchie administrative.
Je dirais en gros ceci. C'est que, au fond, le remplacement du modèle de la lèpre par le modèle de la peste correspond à un processus historique très important que j'appellerai d'un mot : l'invention des technologies positives de pouvoir. La réaction à la lèpre est une réaction négative ; c'est une réaction de rejet, d'exclusion, etc. La réaction à la peste est une réaction positive ; c'est une réaction d'inclusion, d'observation, de formation de savoir, de multiplication des effets de pouvoir à partir du cumul de l'observation et du savoir. On est passé d'une technologie du pouvoir qui chasse, qui exclut, qui bannit, qui marginalise, qui réprime, à un pouvoir qui est enfin un pouvoir positif, un pouvoir qui fabrique, un pouvoir qui observe, un pouvoir qui sait et un pouvoir qui se multiplie à partir de ses propres effets.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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[...] l'idée que le pouvoir pèse en quelque sorte de l'extérieur, massivement, selon une violence continue que certains (toujours les mêmes) exerceraient sur les autres (qui sont eux aussi toujours les mêmes), ceci est une espèce de conception du pouvoir qui est empruntée à quoi ? Au modèle, ou à la réalité historique, comme vous voudrez, d'une société esclavagiste. L'idée que le pouvoir — au lieu de permettre la circulation, les relèves, les combinaisons multiples d'éléments — a essentiellement pour fonction d'interdire, d'empêcher, d'isoler, me semble une conception du pouvoir qui se réfère à un modèle lui aussi historiquement dépassé, qui est le modèle de la société de caste. En faisant du pouvoir un mécanisme qui n'a pas pour fonction de produire, mais de prélever, d'imposer des transferts obligatoires de richesse, de priver par conséquent du fruit du travail ; bref, l'idée que le pouvoir a essentiellement pour fonction de bloquer le processus de production et d'en faire bénéficier, dans une reconduction absolument identique des rapports de pouvoir, une certaine classe sociale, me semble se référer non pas du tout au fonctionnement réel du pouvoir à l'heure actuelle, mais au fonctionnement du pouvoir tel qu'on peut le supposer ou le reconstruire dans la société.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 15 janvier 1975,
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Ce que le XVIIIe siècle a mis en place par le système « discipline à effet de normalisation », par le système « discipline-normalisation », il me semble que c'est un pouvoir qui, en fait, n'est pas répressif, mais productif — la répression n'y figurant qu'à titre d'effet latéral et secondaire, par rapport à des mécanismes qui, eux, sont centraux par rapport à ce pouvoir, des mécanismes qui fabriquent, des mécanismes qui créent, des mécanismes qui produisent.
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Cours du 22 janvier 1975
[...] celui qui est à corriger se présente comme étant à corriger dans la mesure où toutes les techniques, toutes les procédures, tous les investissements familiers et familiaux de dressage par lesquels on a pu essayer de les corriger, ont échoué. Ce qui définit l'individu à corriger, c'est donc qu'il est incorrigible. Et pourtant, paradoxalement, l'incorrigible, dans la mesure où il est incorrigible, appelle autour de lui un certain nombre d'interventions spécifiques, de sur-interventions par rapport aux techniques familières et familiales de dressage et de correction, c'est-à-dire une technologie nouvelle du redressement, de la sur-correction. Si bien que vous voyez se dessiner, autour de cet individu à corriger, l'espèce de jeu entre l'incorrigibilité et la corrigibilité. Se dessine un axe de la corrigible incorrigibilité, où on va retrouver précisément plus tard, au XIXe siècle, l'individu anormal. L'axe de la corrigibilité incorrigible va servir de support à toutes les institutions spécifiques pour anormaux, qui vont se développer au XIXe siècle.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 22 janvier 1975,
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Puisque presque tout le monde se masturbe, ceci vous explique que certains tombent dans les maladies extrêmes que personne d'autre ne présente. C'est cette espèce de paradoxe étiologique que vous allez retrouver, jusqu'au fond du XIXe ou du XXe siècle, à propos de la sexualité et des anomalies sexuelles.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 22 janvier 1975,
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Cours du 29 janvier 1975
Selon une tradition que vous trouvez chez Montesquieu, mais qui remonte au XVIe siècle, au Moyen Âge et au droit romain aussi, le criminel et la fréquence surtout des crimes représentent, dans une société, comme la maladie du corps social. C'est la fréquence de la criminalité qui représente une maladie, mais la maladie de la collectivité, la maladie du corps social. Fort différent est le thème, pourtant analogue en superficie, que vous voyez pointer à la fin du XVIIIe siècle, et dans lequel ce n'est pas le crime qui est la maladie du corps social, mais le criminel qui, en tant que criminel, pourrait bien en effet être un malade. Ceci est dit, en toute clarté, à l'époque de la Révolution française, dans les discussions qui ont lieu vers 1790-91, au moment où l'on élaborait le nouveau Code pénal.
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[...] après tout, qu'est-ce que c'est qu'un criminel ? Un criminel est celui donc qui rompt le pacte, qui rompt le pacte de temps en temps, quand il en a besoin ou envie, lorsque son intérêt le commande, lorsque dans un moment de violence ou d'aveuglement il fait prévaloir la raison de son intérêt, en dépit, du calcul le plus élémentaire de la raison. Despote transitoire, despote par éclair, despote par aveuglement, par fantaisie, par fureur, peu importe. Le despote, lui, à la différence du criminel, fait valoir la prédominance de son intérêt et de sa volonté ; il la fait prévaloir de façon permanente. C'est par statut que le despote est un criminel, alors que c'est par accident que le criminel est un despote.
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C'est par un état de violence permanente que le despote peut faire valoir sa volonté sur le corps social tout entier. Le despote est donc celui qui exerce en permanence — hors statut et hors la loi, mais d'une manière qui est complètement intriquée dans son existence même — et qui fait valoir d'une façon criminelle son intérêt. C'est le hors-la-loi permanent, c'est l'individu sans lien social. Le despote est l'homme seul. Le despote est celui qui, par son existence même et par sa seule existence, effectue le crime maximum, le crime par excellence, celui de la rupture totale du pacte social par lequel le corps même de la société doit pouvoir exister et se maintenir. Le despote est celui dont l'existence fait corps avec le crime, dont la nature est donc identique à une contre-nature. C'est l'individu qui fait valoir sa violence, ses caprices, sa non-raison, comme loi générale ou comme raison d'État. C'est-à-dire que, au sens strict, depuis sa naissance jusqu'à la mort, en tout cas pendant tout l'exercice de son pouvoir despotique, le roi — ou en tout cas le roi tyrannique — est tout simplement un monstre. Le premier monstre juridique que l'on voit apparaître, se dessiner dans le nouveau régime de l'économie du pouvoir de punir, le premier monstre qui apparaît, le premier monstre repéré et qualifié, ce n'est pas l'assassin, ce n'est pas le violateur, ce n'est pas celui qui brise les lois de la nature ; c'est celui qui brise le pacte social fondamental. Le premier monstre, c'est le roi. C'est le roi qui est, je crois, le grand modèle général à partir duquel dériveront historiquement, par toute une série de déplacements et de transformations successives, les innombrables petits monstres qui vont peupler la psychiatrie et la psychiatrie légale du XIXe siècle.
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A l'origine de l'humanité, il y avait deux catégories de gens : ceux qui se vouaient à l'agriculture et à l'élevage, et puis ceux qui étaient bien obligés de protéger les premiers, parce que les animaux sauvages et féroces risquaient de manger les femmes et les enfants, détruire les récoltes, dévorer les troupeaux, etc. Il fallait donc des chasseurs, des chasseurs destinés à protéger la communauté des agriculteurs contre les bêtes fauves. Puis, il est venu un moment où ces chasseurs ont été si efficaces que les bêtes fauves ont disparu. Du coup, les chasseurs sont devenus inutiles, mais inquiets devant leur inutilité, qui allait les priver des privilèges qu'ils exerçaient en tant que chasseurs, ils se sont eux-mêmes transformés en bêtes sauvages, ils se sont retournés contre ceux qu'ils protégaient. Et ils ont, à leur tour, attaqué les troupeaux et les familles qu'ils devaient protéger. Ils ont été les loups du genre humain. Ils ont été les tigres de la société primitive. Les rois ne sont pas autre chose que ces tigres, ces chasseurs d'autrefois qui avaient pris la place des bêtes fauves, tournant des premières sociétés.
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Le couplage anthropophagie-inceste, les deux grandes consommations interdites, me paraît caractéristique de cette première présentation du monstre sur l'horizon de la pratique, de la pensée et de l'imagination juridique de la fin du XVIIIe siècle. Avec ceci : c'est que dans cette première figure du monstre, Marie-Antoinette, la figure de la débauche, de la débauche sexuelle et, en particulier, de l'inceste, me paraît être le thème dominant.
Mais, en face du monstre royal et à la même époque, dans la littérature adverse, c'est-à-dire dans la littérature anti-jacobine, contre-révolutionnaire, vous allez trouver l'autre grande figure du monstre qui rompt le pacte social par la révolte. En tant que révolutionnaire et non plus en tant que roi, le peuple va être précisément l'image inversée du monarque sanguinaire. Il va être la hyène qui s'attaque au corps social. Et vous avez, dans la littérature monarchiste, catholique, etc., anglaise aussi, de l'époque de la Révolution, une sorte d'image inversée de cette Marie-Antoinette que représentaient les pamphlets jacobins et révolutionnaires.
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Barruel, dans l' Histoire du clergé pendant la Révolution, raconte l'histoire d'une certaine Comtesse de Pérignon, qui aurait été rôtie place Dauphine avec ses deux filles, et six prêtres auraient été, eux aussi, brûlés vifs sur la place, parce qu'ils avaient refusé de manger le corps rôti de la comtesse. Barruel raconte aussi qu'on a mis en vente au Palais Royal des pâtés de chair humaine. Bertrand de Molleville, Maton de la Varenne, racontent toute une série d'histoires : la fameuse histoire de Mademoiselle de Sombreuil buvant un verre de sang pour sauver la vie de son père, ou de cet homme qui avait été obligé de boire le sang extrait du cœur d'un jeune homme pour sauver ses deux amis ; ou encore, des massacreurs de Septembre qui auraient bu de l'eau-de-vie dans laquelle Manuel aurait versé de la poudre à canon, et ils auraient mangé des petits pains qu'ils auraient trempés dans des blessures. Vous avez là aussi la figure du débauché-anthropophage, mais dans laquelle l'anthropophagie l'emporte sur la débauche. Les deux thèmes, interdiction sexuelle et interdiction alimentaire, se nouent donc d'une façon très claire dans ces deux grandes premières figures de monstre et de monstre politique. Ces deux figures relèvent d'une conjoncture précise, bien qu'elles reprennent aussi des thèmes anciens : la débauche des rois, le libertinage des grands, la violence du peuple. Tout ceci, ce sont de vieux thèmes : mais il est intéressant qu'ils soient réactivés et renoués à l'intérieur de cette première figure du monstre.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 29 janvier 1975,
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L'autodestruction de la nature, qui est un thème fondamental chez Sade, cette autodestruction dans une sorte de monstruosité déchaînée, n'est jamais effectuée que par la présence d'un certain nombre d'individus qui détiennent un surpouvoir. Le surpouvoir du prince, du seigneur, du ministre, de l'argent, ou le surpouvoir du révolté.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 29 janvier 1975,
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Il n'y a pas de monstre chez Sade qui soit politiquement neutre et moyen : ou il vient de la lie du peuple et il a redressé l'échine contre la société établie, ou il est un prince, un ministre, un seigneur qui détient sur tous les pouvoirs sociaux un surpouvoir sans loi. De toute façon, le pouvoir, l'excès de pouvoir, l'abus de pouvoir, le despotisme est toujours, chez Sade, l'opérateur du libertinage. C'est ce surpouvoir qui transforme le simple libertinage en monstruosité.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 29 janvier 1975,
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[...] la grille d'intelligibilité qui a été posée par Freud à la névrose est celle de l'inceste. Inceste : crime des rois, crime du trop de pouvoir, crime d'Œdipe et de sa famille. C'est l'intelligibilité de la névrose. Après a suivi la grille d'intelligibilité de la psychose, avec Melanie Klein. Grille d'intelligibilité qui s'est formée à partir de quoi ? Du problème de la dévoration, de l'introjection des bons et des mauvais objets, du cannibalisme non plus crime des rois, mais crime des affamés.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 29 janvier 1975,
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Il me semble que le monstre humain, que la nouvelle économie du pouvoir de punir a commencé à dessiner au XVIIIe siècle, est une figure où se combinent fondamentalement ces deux grands thèmes de l'inceste des rois et du cannibalisme des affamés. Ce sont ces deux thèmes, formés à la fin du XVIIIe siècle dans le nouveau régime de l'économie des punitions et dans le contexte particulier de la Révolution française, avec les deux grandes formes de hors-la-loi selon la pensée bourgeoise et la politique bourgeoise, c'est-à-dire le souverain despotique et le peuple révolté ; ce sont ces deux figures-là que vous voyez maintenant parcourir le champ de l'anomalie. Les deux grands monstres qui veillent sur le domaine de l'anomalie et qui ne sont pas encore endormis — l'ethnologie et la psychanalyse en font foi — sont les deux grands sujets de la consommation interdite : le roi incestueux et le peuple cannibale.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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1999
(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 29 janvier 1975,
p.
97
Cours du 5 mars 1975
La grande revendication d'une éducation d'État, ou contrôlée par l'État, vous la trouvez exactement au moment où commence la campagne de la masturbation en France et en Allemagne, vers les années 1760-1780.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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1999
(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 5 mars 197,
p.
241
Bien sûr, ce n'est pas au même âge qu'on demande aux parents de s'occuper des enfants et de se dessaisir du corps des enfants. Mais on demande cependant un processus d'échange : « Gardez-nous vos enfants bien en vie et bien solides, corporellement bien sains, bien dociles et bien aptes, pour que nous puissions les faire passer dans une machine dont vous n'avez pas le contrôle, et qui sera le système d'éducation, d'instruction, de formation, de l'État. »
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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1999
(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 5 mars 1975,
p.
241
Dans cet échange, vous comprenez bien où est le leurre, parce que la tâche que l'on donne aux parents, c'est précisément de prendre possession du corps des enfants, de le recouvrir, d'y veiller d'une manière si continue qu'ils ne puissent jamais se masturber. Or, non seulement jamais aucun parent n'a empêché ses enfants de se masturber, mais les médecins de l'époque le disent tous crûment et tout cyniquement : De toute façon, tous les enfants effectivement se masturbent. Au fond, on branche les parents sur cette tâche infinie de la possession et du contrôle d'une sexualité enfantine qui, de toute façon, leur échappera. Mais, grâce à cette prise de possession du corps sexuel, les parents lâcheront cet autre corps de l'enfant qui est son corps de performance ou d'aptitude.
La sexualité de l'enfant, c'est le leurre à travers lequel la famille solide, affective, substantielle et cellulaire, s'est constituée, et à l'abri duquel on a soutiré l'enfant à la famille.
Les Anormaux, Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
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Hautes Études
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1999
(ISBN 2-02-030798-7), Cours du 5 mars 1975,
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242
Le châtiment est passé d'un art des sensations insupportables à une économie des droits suspendus.
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 18
Au lieu que la folie efface le crime au sens de l'article 64, tout crime maintenant, et à la limite toute infraction, porte en soi, comme un soupçon, légitime, mais aussi comme un droit qu'ils peuvent revendiquer, l'hypothèse de la folie, en tout cas l'anomalie. Et la sentence qui condamne ou acquitte n'est pas simplement un jugement de culpabilité, une décision légale qui sanctionne ; elle porte avec elle une appréciation de normalité et une prescription technique pour une normalisation possible. Le juge de nos jours - magistrat ou juré - fait bien autre chose que « juger ». Et il n'est plus seul à juger.
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 28
Un supplice bien réussi justifie la justice, dans la mesure où il publie la vérité du crime dans le corps même du supplicié.
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 54-55
Tout au long du XVIIIe siècle, à l'intérieur et à l'extérieur de l'appareil judiciaire, dans la pratique pénale quotidienne comme dans la critique des institutions, on voit se former une nouvelle stratégie pour l'exercice du pouvoir de châtier. Et la réforme proprement dite, telle qu'elle se formule dans les théories du droit ou telle qu'elle se schématise dans les projets, est la reprise politique ou philosophique de cette stratégie, avec ses objectifs premiers : faire de la punition et de la répression des illégalismes une fonction régulière, coextensive à la société ; non pas moins punir, mais punir mieux ; punir avec une sévérité atténuée peut-être, mais pour punir avec plus d'universalité et de nécessité ; insérer le pouvoir de punir plus profondément dans le corps social.
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 97-98
Le droit de punir a été déplacé de la vengeance du souverain à la défense de la société.
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 107
En un sens le pouvoir de normalisation contraint à l'homogénéité ; mais il individualise en permettant de mesurer des écarts, de déterminer les niveaux, de fixer les spécialités et de rendre les différences utiles en les ajustant les unes aux autres.
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 216
Que la prison cellulaire, avec ses chronologies scandées, son travail obligatoire, ses instances de surveillance et de notation, avec ses maîtres en normalité, qui relaient et multiplient les fonctions du juge, soient devenue l'instrument moderne de la pénalité, quoi d'étonnant ? Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 264
Au constat que la prison échoue à réduire les crimes, il faut peut-être substituer l'hypothèse que la prison a fort bien réussi à produire la délinquance, type spécifié, forme politiquement ou économiquement moins dangereuse - à la limite utilisable - d'illégalisme ; à produire les délinquants, milieu apparemment marginalisé mais centralement contrôlé ; à produire le délinquant comme sujet pathologisé.
Surveiller et punir, Michel Foucault, éd. Gallimard, 1975, p. 323
« Il faut défendre la société » — Cours au Collège de France, 1976
Cours du 14 janvier 1976
Il n'y a pas d'exercice du pouvoir sans une certaine économie des discours de vérité fonctionnant dans, à partir de et à travers ce pouvoir. Nous sommes soumis par le pouvoir à la production de la vérité et nous ne pouvons exercer le pouvoir que par la production de la vérité.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 14 janvier 1976,
p.
22
Pour marquer simplement non pas le mécanisme même de la relation entre pouvoir, droit et vérité, mais l'intensité du rapport et sa constance, disons ceci : nous sommes astreints à produire la vérité par le pouvoir qui exige cette vérité et qui en a besoin pour fonctionner ; nous avons à dire la vérité, nous sommes contraints, nous sommes condamnés à avouer la vérité ou à la trouver. Le pouvoir ne cesse de questionner, de nous questionner ; il ne cesse d'enquêter, d'enregistrer ; il institutionnalise la recherche de la vérité, il la professionnalise, il la récompense. Nous avons à produire la vérité comme, après tout, nous avons à produire des richesses, et nous avons à produire la vérité pour pouvoir produire des richesses. Et d'un autre côté, nous sommes également soumis à la vérité, en ce sens que la vérité fait loi ; c'est le discours vrai qui, pour une part au moins, décide ; il véhicule, il propulse lui-même des effets de pouvoir.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 14 janvier 1976,
p.
22
La bourgeoisie ne s'intéresse pas aux fous ; la bourgeoisie ne s'intéresse pas à la sexualité de l'enfant, mais au système de pouvoir qui contrôle la sexualité de l'enfant. La bourgeoisie se moque totalement des délinquants, de leur punition ou de leur réinsertion, qui n'a économiquement pas beaucoup d'intérêt. En revanche, de l'ensemble des mécanismes par lesquels le délinquant est contrôlé, suivi, puni, réformé, il se dégage, pour la bourgeoisie, un intérêt qui fonctionne à l'intérieur du système économico-politique général.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 14 janvier 1976,
p.
30
La théorie de la souveraineté est liée à une forme de pouvoir qui s'exerce sur la terre et les produits de la terre, beaucoup plus que sur les corps et sur ce qu'ils font.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 14 janvier 1976,
p.
32
La théorie de la souveraineté est, si vous voulez, ce qui permet de fonder le pouvoir absolu dans la dépense absolue du pouvoir, et non pas de calculer le pouvoir avec le minimum de dépense et le maximum d'efficacité.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 14 janvier 1976,
p.
32
Je veux dire, plus précisément, ceci : je crois que la normalisation, les normalisations disciplinaires, viennent buter de plus en plus contre le système juridique de la souveraineté ; de plus en plus nettement apparaît l'incompatibilité des unes et de l'autre ; de plus en plus est nécessaire une sorte de discours arbitre, une sorte de pouvoir et de savoir que sa sacralisation scientifique rendrait neutre.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seui, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 14 janvier 1976,
p.
35
Cours du 21 janvier 1976
C'est la guerre qui est le moteur des institutions et de l'ordre : la paix, dans le moindre de ses rouages, fait sourdement la guerre. Autrement dit, il faut déchiffrer la guerre sous la paix : la guerre, c'est le chiffre même de la paix. Nous sommes donc en guerre les uns contre les autres ; un front de bataille traverse la société tout entière, continûment et en permanence, et c'est ce front de bataille qui place chacun de nous dans un camp ou dans un autre. Il n'y a pas de sujet neutre. On est forcément l'adversaire de quelqu'un.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 21 janvier 1976,
p.
43
C'est l'appartenance à un camp — la position décentrée — qui va permettre de déchiffrer la vérité, de dénoncer les illusions et les erreurs par lesquelles on vous fait croire — les adversaires vous font croire — que l'on est dans un monde ordonné et pacifié. « Plus je me décentre, plus je vois la vérité ; plus j'accentue le rapport de force, plus je me bats, plus effectivement la vérité va se déployer devant moi, et dans cette perspective de combat, de la survie ou de la victoire. »
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 21 janvier 1976,
p.
45
Ou la vérité donne la force, ou la vérité déséquilibre, accentue les dissymétries et fait pencher finalement la victoire d'un côté plutôt que de l'autre : la vérité est un plus de force, tout comme elle ne se déploie qu'à partir d'un rapport de force.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 21 janvier 1976,
p.
46
Un entrecroisement de corps, de passions et de hasards : c'est cela qui, dans ce discours, va constituer la trame permanente de l'histoire et des sociétés. Et c'est simplement au-dessus de cette trame de corps, de hasards et de passions, de cette masse et de ce grouillement sombre et parfois sanglant, que va se bâtir quelque chose de fragile et de superficiel, une rationalité croissante, celle des calculs, des stratégies, des ruses ; celle des procédés techniques pour maintenir la victoire, pour faire taire, apparemment, la guerre, pour conserver ou renverser les rapports de force. C'est une rationalité donc qui, à mesure qu'on monte et qu'elle se développe, va être au fond de plus en plus abstraite, de plus en plus liée à la fragilité et à l'illusion, de plus en plus liée aussi à la ruse et à la méchanceté de ceux qui, ayant pour l'instant la victoire, et étant favorisés dans le rapport de domination, ont tout intérêt à ne plus les remettre en jeu.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 21 janvier 1976,
p.
47
Cours du 28 janvier 1976
Jupiter, dieu hautement représentatif du pouvoir, dieu par excellence de la première fonction et du premier ordre dans la tripartition indo-européenne, c'est à la fois le dieu aux liens et le dieu aux foudres. Eh bien, je crois que l'histoire, telle qu'elle fonctionne encore au Moyen Âge, avec ses recherches d'antiquité, ses chroniques au jour le jour, ses recueils d'exemples mis en circulation, c'est encore et toujours cette représentation du pouvoir, qui n'en est pas simplement l'image, mais aussi la procédure de revigoration. L'histoire, c'est le discours du pouvoir, le discours des obligations par lesquelles le pouvoir soumet ; c'est aussi le discours de l'éclat par lequel le pouvoir fascine, terrorise, immobilise. Bref, liant et immobilisant, le pouvoir est fondateur et garant de l'ordre ; et l'histoire est précisément le discours par lequel ces deux fonctions qui assurent l'ordre vont être intensifiées et rendues plus efficaces. D'une façon générale, on peut donc dire que l'histoire, jusque tard encore dans notre société, a été une histoire de la souveraineté, une histoire qui se déploie dans la dimension et dans la fonction de la souveraineté. C'est une histoire « jupitérienne ».
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 28 janvier 1976,
p.
60
[L'histoire de la lutte des races] fait apparaître que la lumière — ce fameux éblouissement du pouvoir — n'est pas quelque chose qui pétrifie, solidifie, immobilise le corps social tout entier, et par conséquent le maintient dans l'ordre, mais est, en fait, une lumière qui partage, qui éclaire d'un côté, mais laisse dans l'ombre, ou rejette dans la nuit, une autre partie du corps social.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 28 janvier 1976,
p.
61
Dans l'histoire de type romain, la mémoire avait essentiellement à assurer le non-oubli — c'est-à-dire le maintien de la loi et la majoration perpétuelle de l'éclat du pouvoir à mesure qu'il dure. Au contraire, la nouvelle histoire qui apparaît va avoir à déterrer quelque chose qui a été caché, et qui a été caché non seulement parce que négligé, mais aussi parce que soigneusement, délibérément, méchamment, travesti et masqué. Au fond, ce que la nouvelle histoire veut montrer, c'est que le pouvoir, les puissants, les rois, les lois, ont caché qu'ils étaient nés dans le hasard et dans l'injustice des batailles.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 28 janvier 1976,
p.
63
Ils essaient, ces rois injustes et partiels, de se faire valoir pour tous et au nom de tous ; ils veulent bien que l'on parle de leurs victoires, mais ils ne veulent pas que l'on sache que leurs victoires étaient la défaite des autres, c'était « notre défaite ». Donc, le rôle de l'histoire sera de montrer que les lois trompent, que les rois se masquent, que le pouvoir fait illusion et que les historiens mentent. Ce ne sera dons pas une histoire de la continuité, mais une histoire du déchiffrement, de la détection du secret, du retournement de la ruse, de la réappropriation d'un savoir détourné et enfoui. Ce sera le déchiffrement d'une vérité scellée.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 28 janvier 1976,
p.
63
Cours du 4 février 1976
La guerre, c'est l'effet immédiat d'une non-différence ou, en tout cas, de différences insuffisantes. En fait, dit Hobbes, s'il y avait eu de grandes différences, si effectivement entre les hommes il y avait des écarts qui se voient et se manifestent, qui sont très clairement irréversibles, il est bien évident que la guerre se trouverait par là même bloquée immédiatement. S'il y avait des différences naturelles marquées, visibles, massives, de deux choses l'une : ou bien il y aurait effectivement affrontement entre le fort et le faible — mais cet affrontement et cette guerre réelle se solderaient aussitôt par la victoire du fort sur le faible, victoire qui serait définitive à cause même de la force du fort ; ou bien il n'y aurait pas affrontement réel, ce qui veut dire, tout simplement, que le faible, sachant, percevant, constatant sa propre faiblesse, renoncerait avant même l'affrontement. De sorte que — dit Hobbes — s'il y avait des différences naturelles marquées, il n'y aurait pas de guerre ; car, ou bien le rapport de force serait fixé d'entrée de jeu par une guerre initiale qui exclurait qu'elle continue, ou bien, au contraire, ce rapport de force resterait virtuel par la timidité même des faibles. Donc, s'il y avait différence, il n'y aurait pas de guerre. La différence pacifie. En revanche, dans l'état de non-différence, de différence insuffisante — dans cet état où on peut dire qu'il y a des différences, mais rampantes, fuyantes, minuscules, instables, sans ordre et sans distinction ; dans cette anarchie des petites différences qui caractérise l'état de nature — qu'est-ce qui se passe ? Même celui qui est un petit peu plus faible que les autres, qu'un autre, il est tout de même suffisamment proche du plus fort pour se percevoir assez fort pour n'avoir pas à céder. Donc, le faible ne renonce jamais. Quant au fort, qui est simplement un tout petit peu plus fort que les autres, il n'est jamais assez fort pour n'être pas inquiet et, par conséquent, pour n'avoir pas à se tenir sur ses gardes. L'indifférenciation naturelle crée donc des incertitudes, des risques, des hasards et, par conséquent, la volonté, de part et d'autre, de s'affronter ; c'est l'aléatoire dans le rapport primitif des forces qui crée cet état de guerre.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
78
Il n'y a pas de batailles dans la guerre primitive de Hobbes, il n'y a pas de sang, il n'y a pas de cadavres. Il y a des représentations, des manifestations, des signes, des expressions emphatiques, rusées, mensongères ; il y a des leurres, des volontés qui sont travesties en leur contraire, des inquiétudes qui sont camouflées en certitudes. On est sur le théâtre des représentations échangées, on est dans un rapport de peur qui est un rapport temporellement indéfini ; on n'est pas réellement dans la guerre. Ceci veut dire, finalement, que l'état de sauvagerie bestiale, où les individus vivants se dévoreraient les uns les autres, ne peut en aucun cas apparaître comme la caractérisation première de l'état de guerre selon Hobbes. Ce qui caractérise l'état de guerre, c'est une sorte de diplomatie infinie de rivalités qui sont naturellement égalitaires. On n'est pas dans « la guerre » ; on est dans ce que Hobbes appelle, précisément, « l'état de guerre ». Il y a un texte où il dit : « La guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs ; mais dans un espace de temps — c'est l'état de guerre — où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée ».
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
79
Domination, direz-vous, et pas souveraineté. Eh bien non, dit Hobbes ; on est bien encore et toujours dans le rapport de souveraineté. Pourquoi ? Parce que, dès lors que les vaincus ont préféré la vie et l'obéissance, ils ont par la même reconstitué une souveraineté, ils ont fait de leurs vainqueurs leurs représentants, ils ont restauré un souverain à la place de celui que la guerre avait abattu. Ce n'est donc pas la défaite qui fonde une société de domination, d'esclavage, de servitude, d'une manière brutale et hors du droit, mais ce qui s'est passé dans cette défaite, après même la bataille, après même la défaite, et d'une certaine manière indépendamment d'elle : c'est quelque chose qui est la peur, la renonciation à la peur, la renonciation aux risques de la vie. C'est cela qui fait entrer dans l'ordre de la souveraineté et dans un régime juridique qui est celui du pouvoir absolu. La volonté de préférer sa vie à la mort : c'est cela qui va fonder la souveraineté, une souveraineté qui est aussi juridique et légitime que celle qui a été constituée sur le mode de l'institution et de l'accord mutuel.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
82
Il faut et il suffit, pour qu'il y ait souveraineté, que soit effectivement présente une certaine volonté radicale qui fait qu'on veut vivre même lorsqu'on ne le peut pas sans la volonté d'un autre.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
83
La souveraineté se forme toujours par en dessous, par la volonté de ceux qui ont peur. De sorte que, malgré la coupure qui peut apparaître entre les deux grandes formes de république (celle d'institution née par rapport mutuel, et celle d'acquisition née de la bataille), entre l'une et l'autre apparaît une identité profonde de mécanismes. Qu'il s'agisse d'un accord, d'une bataille, d'un rapport parents/enfants, de toute façon l'on retrouve la même série : volonté, peur et souveraineté.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
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1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
83
Il y a dans le Leviathan tout un front du discours qui consiste à dire : peu importe qu'on se soit battu ou pas, peu importe que vous ayez été vaincus ou non ; de toute façon, c'est le même mécanisme qui joue pour vous les vaincus, le même que celui que l'on trouve à l'état de nature, dans la constitution de l'État, ou que l'on retrouve encore, tout naturellement, dans le rapport le plus tendre et le plus naturel qui soit, c'est-à-dire celui entre les parents et les enfants. Hobbes rend la guerre, le fait de la guerre, le rapport de force effectivement manifeste dans la bataille, indifférents à la constitution de la souveraineté. La constitution de la souveraineté ignore la guerre.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
83
D'un mot, ce que Hobbes veut éliminer c'est la conquête, ou encore l'utilisation, dans le discours historique et dans la pratique politique, de ce problème qui est celui de la conquête. L'invisible adversaire du Léviathan, c'est la conquête [...]. En ayant l'air de proclamer la guerre partout, dès le départ et encore à l'arrivée, le discours de Hobbes disait, en réalité, tout le contraire. Il disait que guerre ou pas guerre, défaite ou non, conquête ou accord, c'est la même chose : « Vous l'avez voulue, c'est vous, les sujets, qui avez constitué la souveraineté qui vous représente. Ne nous ennuyez donc plus avec vos ressassements historiques : au bout de la conquête (si vous voulez vraiment qu'il y ait eu une conquête), eh bien, vous trouverez encore le contrat, la volonté apeurée des sujets. » Le problème de la conquête se trouve donc ainsi dissous, en amont par cette notion de guerre de tous contre tous et en aval par la volonté, juridiquement valable même, de ces vaincus apeurés, le soir de la bataille. Donc je crois que Hobbes peut bien paraître scandaliser. En fait, il rassure : il tient toujours le discours du contrat et de la souveraineté, c'est-à-dire le discours de l'État.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
85
C'était cela qu'il fallait éliminer ; et, d'une façon plus générale, et à plus longue échéance, ce qu'il fallait éliminer, c'était ce que j'appellerais l'« historicisme politique », c'est-à-dire cette espèce de discours que l'on voit se profiler à travers les discussions dont je vous ai parlé, qui se formule dans certaines des phases les plus radicales et qui consiste à dire : dès que l'on a affaire à des rapports de pouvoir, on n'est pas dans le droit et on n'est pas dans la souveraineté ; on est dans la domination, on est dans ce rapport historiquement indéfini, indéfiniment épais et multiple de domination. On ne sort pas de la domination, donc on ne sort pas de l'histoire. Le discours philosophico-juridique de Hobbes a été une manière de bloquer cet historicisme politique qui était donc le discours et le savoir effectivement actifs dans les luttes politiques du XVIIe siècle.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 4 février 1976,
p.
96
Cours du 11 février 1976
Quand le roi, pour connaître ses droits, interroge les greffiers et les jurisconsultes, quelle réponse peut-il obtenir sinon un savoir établi du point de vue du juge et du procureur que lui, le roi, a créé lui-même, et où, par conséquent, il n'est pas surprenant que le roi trouve, tout naturellement, les louanges de son propre pouvoir.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 11 février 1976,
p.
114
Il s'agit, dans cette histoire qui va s'opposer, dans sa forme même, au savoir du greffier et du juge, d'ouvrir les yeux du prince sur les usurpations dont il n'a pas eu conscience, et de lui restituer les forces, le souvenir des liens qu'il a eu sans doute intérêt à oublier lui-même et à faire oublier. Contre le savoir des greffiers, qui renvoie toujours d'une actualité à une autre, du pouvoir au pouvoir, du texte de la loi à la volonté du roi, et inversement, l'histoire sera l'arme de la noblesse trahie et humiliée ; une histoire dont la forme profondément anti-juridique sera, derrière l'écriture, le décryptage, la remémoration au-delà de toutes les désuétudes, et la dénonciation de ce que ce savoir cachait d'hostilité apparente. Voilà le premier grand adversaire de ce savoir historique que la noblesse veut lancer pour réoccuper le savoir du roi.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 11 février 1976,
p.
115
L'autre grand adversaire, c'est le savoir non plus du juge ou du greffier, mais de l'intendant : non plus le greffe, mais le bureau [...]. Contre ce savoir des intendants et du bureau, la noblesse veut faire valoir une autre forme de connaissance : une histoire, cette fois, des richesses et non plus une histoire économique, c'est-à-dire une histoire des déplacements des richesses, des exactions, des vols, des tours de passe-passe, des détournements, des appauvrissements, des ruines. Une histoire, par conséquent, qui passe derrière le problème de la production des richesses, pour montrer par quelles ruines, dettes, accumulations abusives, s'est constitué, de fait, un certain état des richesses qui n'est, après tout, qu'un mélange des malhonnêtetés accomplies par le roi avec la bourgeoisie. Ce sera donc, contre l'analyse des richesses, une histoire de la manière dont les nobles se sont ruinés dans des guerres sans fin ; une histoire de la manière dont l'Église s'est fait donner par ruse des terres et des revenus; une histoire de la manière dont la bourgeoisie a endetté la noblesse ; une histoire de la manière dont le fisc royal a rogné les revenus des nobles, etc.
« Il faut défendre la société», Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 11 février 1976,
p.
115
Ce quelque chose qui parle désormais dans l'histoire, qui prend la parole dans l'histoire, et dont on va parler dans l'histoire, c'est ce que le vocabulaire de l'époque désigne par le mot de « nation ».
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 11 février 1976,
p.
117
Entre le savoir du prince et les connaissances de son administration, on a créé un ministère de l'histoire qui devait, entre le roi et son administration, établir, d'une façon contrôlée, la tradition ininterrompue de la monarchie.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 11 février 1976,
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120
Cours du 18 février 1976
Les Croisades, comme grand cheminement vers l'au-delà, sont pour Boulainvilliers l'expression, la manifestation de ce qui se passait lorsque cette noblesse a été entièrement tournée vers le monde de l'au-delà, cependant que dans l'en-deçà, c'est-à-dire sur leurs terres mêmes, au moment où ils étaient à Jérusalem, qu'est-ce qui se passait ? Le roi, l'Église, l'ancienne aristocratie gauloise manipulaient les lois en latin qui devaient les déposséder de leurs terres et de leurs droits.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 18 février 1976,
p.
137
Chez les Mèdes, chez les Perses, vous trouvez également une aristocratie et un peuple. Ce qui prouve à l'évidence qu'il y a eu, derrière cela, luttes, violences et guerres. Et d'ailleurs, chaque fois que l'on voit les différences entre aristocratie et peuple s'atténuer dans une société ou dans un État, on peut être sûr que l'État va entrer en décadence. La Grèce et Rome ont perdu leurs statuts, et ont même disparu comme États, dès lors que leur aristocratie est entrée en décadence. Donc, partout des inégalités, partout des violences fondant des inégalités, partout des guerres. Il n'y a pas de sociétés qui puissent tenir sans cette espèce de tension belliqueuse entre une aristocratie et une masse de peuple.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 18 février 1976,
p.
138
Jusqu'au XVIIe siècle la guerre c'était bien, essentiellement, la guerre d'une masse contre une autre masse. Boulainvilliers, lui, fait pénétrer le rapport de guerre dans tout rapport social, va le subdiviser par mille canaux divers, et va faire apparaître la guerre comme une sorte d'état permanent entre des groupes, des fronts, des unités tactiques, en quelque sorte, qui se civilisent les uns avec les autres, s'opposent les uns les autres, ou au contraire s'allient les uns avec les autres. Il n'y a plus ces grandes masses stables et multiples, il va y avoir une guerre multiple, en un sens une guerre de tous contre tous.
« Il faut défendre la société », Michel Foucault, éd. Gallimard Le Seuil, coll.
«
Hautes Études
»,
1997
(ISBN 978-2-02-023169-5), Cours du 18 février 1976,
p.
144