Ouvrages
Aux frontières de l'Union française
[…] Mais l'
Afrique aime la France et espère d'elle son unité, son équilibre, son idéal. En soudant nos possessions continentales, la
bataille de Kousseri, l'une des plus décisives de notre Histoire, a rendu possible une construction homogène. Tout est à faire cependant et tout de suite. Deux pays protégés, deux pays sous tutelle, douze territoires d'outre-mer, trois départements réclament une économie complémentaire, une société harmonieuse, des institutions réalistes et libérales. De nouvelles métropoles s'éveillent, telles qu'
Abidjan,
Fort-Lamy,
Douala, et prétendent à la direction de vastes régions adaptées aux besoins économiques mieux que les fédérations actuelles, étalées sur des distances excessives. […] Le fer, le manganèse, le charbon, l'or, le diamant, le cuivre, la bauxite, les salines, les phosphates, peut-être l'uranium, peut-être le pétrole, dictent à l'Afrique noire ses premiers refus. Pendant des siècles on lui a volé ses hommes et ses biens. Maintenant, elle veut vivre à égalité.
Aux frontières de l'Union française, François Mitterrand, éd. Rencontre, 1982, p. 33
Présence française et abandon
La politique de force alla jusqu'à son terme en
Indochine : ce terme s'appelle
Dien Bien Phu. En
Tunisie, par contre, elle quitta la scène juste avant l'aboutissement logique qu'annonçaient ses échecs, et la politique de réformes qui lui succéda [
en 1954] put nourrir l'illusion qu'elle était venue à temps pour sauver la présence française. Mais il était déjà trop tard. La politique de réforme en Tunisie comme la politique de paix en Indochine ne se dressaient plus que sur les ruines accumulées par ce qu’on continue d’appeler curieusement la politique de force.
Présence française et abandon, François Mitterrand, éd. Plon, 1957, p. 104
La politique de force n'était pas assez sûre d'elle sans doute pour s'engager sur tous les fronts avec une égale ardeur. Peut-être avait-elle peur aussi du jugement de l'
Histoire ? Sa démarche incertaine, incohérente, plus faible que la faiblesse, la condamnait à suivre, comme au chemin de croix de la France, les itinéraires de l'abandon. Mais elle ne voulait pas livrer l'aveu de son échec. Elle avait besoin d'être respectable. Après avoir tout perdu, tout saccagé, tout abandonné, il lui restait au moins une bataille à gagner
: que la France n'en sache rien.
Présence française et abandon, François Mitterrand, éd. Plon, 1957, p. 108
Fidèle exécutant des consignes du seul homme qu'il se reconnaissait pour chef [
Charles de Gaulle], l'amiral
Thierry d'Argenlieu, en sabordant la
conférence de Fontainebleau, avait enfoncé la France dans la tragique nuit des guerres
coloniales. Assez lucides pour deviner que la politique de force serait en fin de compte trop faible pour résoudre les problèmes posés par la révolte des peuples sous tutelle, les dirigeants républicains ne furent pas assez courageux pour dénoncer les mensonges d'un néo-nationalisme dévoyé qui prétendait assumer les conquêtes du colonialisme. Quand ils virent ce nationalisme endosser l'uniforme et coiffer le képi d'un général expert à fabriquer des
18 juin en série, ils n'osèrent pas le déshabiller. À
Saigon, le gaullisme fut avec d'Argenlieu, et contre
Leclerc, du côté de la guerre. […] Nulle part mieux qu'en Afrique noire le comportement des compagnons du général de Gaulle, ultras parmi les ultras, ne révéla davantage leur véritable identité politique. Ils y semèrent la haine, entretinrent le désordre, fomentèrent la guerre civile.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 32-33
Il existe dans notre pays une solide permanence du
bonapartisme, où se rencontrent la vocation de la grandeur nationale, tradition monarchique, et la passion de l'unité nationale, tradition
jacobine.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 39
J'appelle le régime gaulliste dictature parce que, tout compte fait, c'est à cela qu'il ressemble le plus, parce que c'est vers un renforcement continu du pouvoir personnel qu'inéluctablement, il tend, parce qu'il ne dépend plus de lui de changer de cap. Je veux bien que cette dictature s'instaure en dépit de De Gaulle. Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d'un nom plus aimable
: consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres. Alors, elle m'apparaît plus redoutable encore. Peut-être, en effet, de Gaulle se croit-il assez fort pour échapper au processus qu'il a de son propre mouvement engagé. Peut-être pense-t-il qu'il n'aura pas de dictature sans dictateur, puisqu'il se refuse à remplir cet office. Cette conception romantique d'une société politique à la merci de l'humeur d'un seul homme n'étonnera que ceux qui oublient que de Gaulle appartient plus au XIX
e siècle qu'au XX
e, qu'il s'inspire davantage des prestiges du passé que des promesses de l'avenir. Ses hymnes à la jeunesse, ses élégies planificatrices, ont le relent ranci des compliments de circonstance. Sa diplomatie se délecte à recomposer l'
Europe de Westphalie. Ses audaces sociales ne vont pas au-delà de l'
Essai sur l'extinction du paupérisme. Au rebours de ses homélies «
sur le progrès
», les hiérarchies traditionnelles, à commencer par celle de l'argent, jouissent sous son règne d'aises que la marche accélérée du siècle leur interdisait normalement d'escompter.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, partie 2, chap. I, p. 74-75
Il y a en France des ministres. On murmure même qu'il y a encore un
Premier Ministre. Mais il n'y a plus de gouvernement. Seul le président de la République ordonne et décide. Certes les ministres sont appelés rituellement à lui fournir assistance et conseils. Mais comme les chérubins de l'Ancien Testament, ils n'occupent qu'un rang modeste dans la hiérarchie des serviteurs élus et ne remplissent leur auguste office qu'après avoir attendu qu'on les sonne.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1993, partie 2, chap. II, p. 113
L'Europe abstraite, forme géométrique dessinée sur un papier blanc, c'est la caricature qu'en donnent ses détracteurs. La véritable Europe a besoin des patries comme un corps vivant de chair et de sang. Ses fondateurs l'ont souhaitée ainsi. Ses fidèles ne l'aimeraient pas autrement. […] Une France nationaliste oblige ses partenaires ou bien à l'imiter et donc à s'isoler, ou bien à s'abolir dans un atlantisme qui, sous le couvert du « plus grand occident », étouffera ce que la civilisation de l'Europe contient d'irremplaçable.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, partie 2, chap. II, p. 103
Mais le général de Gaulle conçoit, médite, décide, hors des précédents et des jurisprudences, étranger au dialogue. […] Qui s'en plaindra
? Que lui importent les quelques milliers de lecteurs d'un livre comme celui-ci, les clubs protestataires, les cellules dispersées de l'opposition
? Que lui importe un Parlement dont la majorité abdique ses devoirs
? Que lui importent les engagements pris avant lui par les dirigeants de son pays, avec nos associés et avec nos alliés
? Que lui importent les raisons de vivre et d'espérer d'une coexistence pacifique courageusement admise par les responsables soviétiques
? Que lui importent les routes sur lesquelles d'autres que lui ont déjà mis leurs pas
? La politique extérieure de la France n'appartient plus à la Nation mais à un seul homme, et pis, à un homme seul. On dit que c'est la marque du gaullisme. Pourquoi pas
? Le gaullisme, après tout, n'est peut-être qu'un
poujadisme aux dimensions de l'univers.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 103-104
Le «
secteur réservé
» viole la
Constitution. En interprétant abusivement l'
article 15, qui fait de lui le «
chef des armées
» et l'
article 52, qui l'autorise à négocier et à ratifier les traités, de Gaulle a fait passer sous sa seule autorité la Défense nationale et les Affaires étrangères.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1993, partie 2, chap. II, p. 140
Face à la loi que votent les représentants du peuple se dresse désormais le « règlement autonome » qu'édicte le gouvernement, lui-même inspiré par le chef de l'État. Deux pouvoirs légiférants coexistent. Quant au juge de leurs conflits, si quelqu'un toutefois ose en appeler devant lui d'un manquement ou d'une forfaiture, ce sera ou bien le Conseil constitutionnel, le plus domestique des corps domestiques du général de Gaulle, ou bien le peuple — saisi par référendum à l'initiative du général de Gaulle d'une ou de plusieurs questions rédigées par le général de Gaulle, au gré d'une procédure inventée par le général de Gaulle.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 112-113
Entreprendrai-je la défense du Parlement en un temps où il est de bon ton de le moquer
? Je le ferai dans la mesure où l'existence d'un Parlement digne de ce nom garantit les libertés des citoyens et le règne de la loi. Ce n'est pas flatter la
IVe République que critiquer la Ve. Les erreurs commises par l'ancien régime n'excusent pas les fautes du nouveau. Si l'instabilité du gouvernement dans le système parlementaire que nous avons connu a causé sa ruine, la déplorer, la condamner n'oblige pas à vanter les mérites d'une réforme qui a pallié la crise chronique d'autorité en organisant la toute-puissance d'une autorité abusive.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 114
Une formidable valse de conseils d'administration sollicite constamment les principaux leaders du parti majoritaire. Les banques d'affaires et le gouvernement échangent et se prêtent leurs hommes. Les monopoles, grâce aux interférences technocratiques, animent une immense entreprise de corruption. Dénoncer ces pratiques expose certes à recevoir des coups. Mais décrire le processus qui commande l'évolution de la Ve République en omettant cet aspect des choses serait complicité. Le gaullisme c'est malheureusement aussi cela. L'homme qui l'incarne et qui reste étranger à ces manœuvres les supporte car son régime en vit.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 150
Notre génération, qui connut la
Gestapo, les
camps de déportation, la
Milice, avait un instant compris que le léger vernis de la civilisation occidentale était à la merci d'un choc.
Hitler avait donné ce choc et tout avait craqué. Mais Hitler mort, chacun s'était remis à vivre comme si rien ne s'était passé. La
torture, pensait-on, était un produit allemand, ou plutôt un produit nazi. Puis, il y eut le
XXe congrès du parti communiste russe, et ses révélations sur les crimes de
Staline. Puis, il y eut le scandale des
tortures en Algérie. On avait beau se rassurer en répétant
: «
C'est la faute à la guerre, c'est la faute à la dictature
», on sentait qu'Hitler avait, d'une certaine façon, gagné son pari en lâchant sa gangrène sur le monde.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 231
Un dictateur, en effet, n'a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 238
S'attaquer au gaullisme sur le plan de ses actes ne suffit pas car plus qu'une politique le gaullisme est une mythologie. […] Elle [l'opinion publique] préfère encore le mythe du père (de Gaulle se charge de tout), le mythe du bonheur (de Gaulle conjure les sorts), le mythe du prestige (le monde jalouse la France qui possède de Gaulle), le mythe de la prospérité (grâce à de Gaulle nous serons bientôt cent millions, le franc vaincra le dollar) à la froide réalité d'un bilan. Mais sur ce plan non plus les républicains ne sont pas démunis. Au régime vieillot qui s'applique à perpétuer une société agonisante ils peuvent opposer la promesse féconde d'un monde nouveau où la loi, sage et hardie, fera du peuple son propre maître. Ils ont de leur côté la liberté et la justice. S'ils l'osent, ils auront l'espérance.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1965, p. 240
J'aurais atteint mon but si j'ai contribué à démystifier le phénomène gaulliste en montrant comment par un extraordinaire subterfuge le nouveau pouvoir au lieu de consolider l'État le démantèle, comment au lieu de restaurer le respect de la loi il pervertit l'esprit civique, comment au lieu de confier au peuple la maîtrise de son destin il le confisque.
Le Coup d'État permanent, François Mitterrand, éd. 10/18, 1993, partie Conclusion, p. 311
Ma Part de vérité
La liberté est une rupture. Elle n'est pas une affaire de courage, mais d'amour.
Ma Part de vérité. De la rupture à l'unité, François Mitterrand, éd. Fayard, 1969, p. 20
C'est également à travers ce drame [
la décolonisation] que j'ai remis en question la Quatrième République, ses institutions, ses mœurs. Entendez-moi bien. Ministre de cette République, j'ai toujours défendu la part féconde de son héritage. Les historiens rendent déjà justice à son œuvre de restauration économique, effectuée dans les pires circonstances. Chef du
R.P.F., le général de Gaulle s'est comporté à son égard avec une extrême démagogie, aveuglé qu'il était par l'ambition de récupérer un pouvoir imprudemment abandonné. […] Il n'empêche que la IVe République ne s'était pas dotée d'institutions politiques à la mesure de ses obligations. […] La grande affaire de la décolonisation la dépassa. Elle tomba avec les derniers vestiges de l'
Empire.
Ma Part de vérité. De la rupture à l'unité, François Mitterrand, éd. Fayard, 1969, p. 36
Lorsque
Jean-Paul Sartre a écrit que j'appartenais à l'opposition à Sa Majesté [
en 1965], je me suis indigné de l'affront qu'il me faisait. Le régime [
gaulliste], lui, ne se trompait, et me réservait plus de coups qu'il n'en destinait à Jean-Paul Sartre.
Ma Part de vérité. De la rupture à l'unité, François Mitterrand, éd. Fayard, 1969, p. 151
D'autres ont écrit que la gauche, c'était la liberté, ou bien l'égalité, ou bien le progrès. Moi, je dirais que c'est la justice.
Je ne suis pas né à gauche, encore moins socialiste, on l'a vu. Il faudra beaucoup d'indulgence aux docteurs de la loi marxiste, dont ce n'est pas le péché mignon, pour me le pardonner. J'aggraverai mon cas en confessant que je n'ai, par la suite, montré aucune précocité.
Ma Part de vérité. De la rupture à l'unité, François Mitterrand, éd. Fayard, 1969, p. 162
J'ai pensé qu'il était possible d'obtenir de la société capitaliste qu'elle se réformât elle-même. […] Bref, j'ai dialogué. Et la société en question a dialogué avec moi, comme elle a dialogué avec tous les autres qui lui parlaient aussi poliment. J'aurais pu plaider ses dossiers les plus riches d'honoraires (cela m'est arrivé), j'aurais pu passer dans la pièce d'à côté, et entrer dans ses conseils d'administration. Le capitalisme n'aime rien tant pour cette besogne que les hommes de gauche et les généraux en retraite. Mais, à force de la regarder sans la voir, j'ai fini par rencontrer une certaine vérité.
Ma Part de vérité. De la rupture à l'unité, François Mitterrand, éd. Fayard, 1969, p. 163
J'ai crié sur les toits, depuis plus de dix ans, qu'il n'y avait pas de démocratie possible sans responsabilité des citoyens, je crierai plus fort encore qu'il n'est pas de démocratie économique sans responsabilité des travailleurs dans l'entreprise, et sans leur intervention dans l'élaboration, la décision et l'exécution du Plan [la planification d'État, qui a existé en France de 1945 à 2006].
Ma Part de vérité. De la rupture à l'unité, François Mitterrand, éd. Fayard, 1969, p. 191
La Rose au poing
J'avais vingt ans quand l'Europe, fouettée à vif, fouettée à mort par Hitler, Mussolini, Franco, Staline, et rendue folle, avait sombré. Comment guérir de cette souffrance ? À Lanzberg, le 4 mai 1945, il avait fallu forcer la grande porte du camp des Juifs. Seule la mort nous avait reçus. Les gardiens, avant de filer, avaient cadenassé les déportés dans les baraques, et ils avaient brûlé le tout. Des enfants avaient couru, pour échapper. Le lance-flammes les avait rattrapés. Nous avions enjambé les petits corps noircis. La neige était tombée, vers midi, du ciel sale, et les avait recouverts. […] Plus tard, j'ai assisté à la projection de la bande filmée par les services hitlériens lors du procès des conjurés du 20 juillet 1944, en Allemagne. Images terribles, ineffaçables. Un président du tribunal convulsionnaire, hurlait, tendait le poing, insultait. Un général accusé qui serait, le soir même, pendu la gorge ouverte à un croc de boucher et qui s'occupait à retenir son pantalon, dont on avait coupé les bretelles. Ces images, je ne m'en suis jamais défait. D'autres encore, de sang, de boue, de honte. Scénario interchangeable. Pas plus que la liberté, la tyrannie n'a de frontière. […] Ô nuit de l'âme ! Cet univers polaire où l'homme cède à la raison d'État, à la loi du parti, au fanatisme de la race, et chavire dans la servitude, je l'exècre. Charlot s'est trompé de rôle. Je ne ris pas des dictateurs.
Je me crois un homme libre. Il me semble que ma vie n'aurait pas de sens autrement.
La Rose au poing, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1972, p. 8
Cet été, on a jugé en Tchécoslovaquie les derniers témoins du printemps de Prague. La droite française m'a aussitôt sommé de dénoncer le crime. Le jeu était de m'enfermer dans ce dilemme : ou bien je protestais, et il était prouvé que le Programme commun de la gauche repose sur un malentendu, ou bien je ne me taisais, et il devenait évident que les socialistes français avaient capitulé devant les communistes. J'ai dit à l'époque ce que j'avais à dire, et des procès, et des indignations simulées de la droite. […] J'ai extrait pêle-mêle des rapports d'Amnesty International, organisation qui travaille pour l'O.N.U. et l'U.N.E.S.C.O., d'articles du Monde, de livres, de brochures, de lettres personnelles, un aperçu de ce que je puis appeler, sans risquer de choquer personne, un pot-pourri de la répression. On verra que la sensibilité de la droite française est proprement hémiplégique.
La Rose au poing, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1972, p. 47
Je n'ignore pas qu'il arrive aux textes de mentir. Qu'un dictateur ait besoin de tricher justifie La Rochefoucauld : « L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. » La démocratie n'est pas responsable de ces contrefaçons. Staline a simplement démontré que la tyrannie n'avouait jamais, redoutant que, sans masque, nul ne supportât sa vue. Je ne connais pas le secret des sociétés heureuses. Je cherche comme tant d'autres, et j'avant pas à pas. Mais je sais ce qu'il ne faut pas faire, si l'on veut que les individus disposent de leur droit, et l'État d'un pouvoir doté du consentement général. Un régime sans loi ne résiste pas à l'attraction de l'arbitraire.
La Rose au poing, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1972, p. 95
La Paille et le Grain
Un article de Vercors paraît dans Le Monde sous le titre « Hitler a gagné la guerre ». Un cri de colère et de dégoût pour dénoncer la répression qui s'abat sur les communistes tchécoslovaques coupables de penser autrement que M. Husak. […] Sic transit. Nous voilà ramenés à Prague, et à son printemps sans été.
Que faire ? « Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui », a remarqué La Rochefoucauld. Laissera-t-on sans défense ces hommes bâillonnés, coupables d'avoir rêvé à un socialisme inactuel dans ce pays qui est le leur ? Les convenances internationales invitent au silence. L'oubli est un agréable compère. Le malheur des autres est toujours si lointain. Une lueur, pourtant : le parti socialiste français a réagi. Qu'il insiste, qu'il prenne l'initiative d'une protestation solennelle et pressante. Il n'y aura pas de murs assez épais pour étouffer sa voix.
La Paille et le Grain, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1975, p. 46
La grève, un chantage ? L'a-t-on assez souvent entonné, cet odieux refrain, dans tous les partis conservateurs ! La grève n'est un plaisir pour personne. Et elle atteint d'abord ceux qui n'ont plus que ce moyen-là pour défendre leur droit de vivre. La perte de salaire, la crainte du chômage, l'angoisse au foyer de chacun, la gêne pour tous, le danger d'être mal compris par d'autres catégories de travailleurs, tout cela il faut que les grévistes le supportent, tandis que les maîtres de l'appareil de production spéculent sur la lassitude engendrée par tant de misère.
La Paille et le Grain, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1975, p. 49
L'homme de droite honnête parle de la liberté comme d'un axiome de droit public, et non comme d'une réalité vivante et quotidienne. Il fait un beau discours, rentre chez lui et dort en paix. On devine qu'il sera très surpris le jour où la liberté, passant sous sa fenêtre, chantera le « Ça ira ».
La Paille et le Grain, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1975, p. 129
Limiter notre critique au seul aspect économique du système en cours réduirait par trop notre capacité de convaincre. Au socialisme, il faut une morale. Un projet de société qui se passerait d'un projet de civilisation buterait vite sur l'impossible. L'amour et la beauté, la liberté et le savoir sont toujours à réinventer.
La Paille et le Grain, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1975, p. 202
Quand je dis et écris que France et Chili ne sont pas comparables, je veux signifier que la gauche française ne se trouverait pas devant la situation économique et sociale qu'a dû affronter l'Unité populaire. […]
Comparable, par contre, est la volonté forcenée des milieux dirigeants de ne renoncer à aucun de leurs privilèges, de ne consentir à aucun compromis. En ce sens, un gouvernement socialiste chez nous s'abandonnera dangereusement s'il oublie qu'aux yeux de ses ennemis, il n'aura jamais droit de cité. Les propos de Jean-Pierre Soisson, aimable libéral en titre, dénotaient, quand il était poussé à bout, la froide résolution du parti conservateur : d'alternance il n'est pas question.
La Paille et le Grain, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1975, p. 213-214
Dernier en date des paradoxes français, le gaullisme meurt, non de la mort du général de Gaulle, mais de la septicémie qui, au soir ce mardi 2 avril 1974, a terrassé Georges Pompidou. Ce n'est pas la moindre ironie du sort. Vue de près, la politique de Pompidou démentait la raison d'être du gaullisme. Vue de loin, elle apparaîtra comme son ultime projection.
La Paille et le Grain, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1975, p. 281
L'Abeille et l'Architecte
Valéry Giscard d'Estaing a pour rôle historique d'assurer la domination des couches sociales qui l'ont placé là où il est. Il n'y peut rien et moi non plus.
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 26
À Dublin, où je mène une délégation du Conseil général de la Nièvre, je m'étonne auprès d'un vieil homme de l'existence, en
Irlande, de deux partis conservateurs, que rien, à première vue, ne distingue. Il se tait. J'insiste. Il se décide. «
Ce qui les sépare
? Le mépris qu'ils ont l'un pour l'autre.
»
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 50
Ce vieil homme [Franco] qui va mourir, et qui n'a plus que le temps de tuer encore un peu, de tuer et de prier pour son âme dévote, agenouillé soir et matin et tête nue devant son Dieu, dont il n'a jamais vu qu'il saignait, par les mains, par les pieds et à l'endroit du cœur, de toutes les blessures qu'infligent à tous les suppliciés tous les bourreaux du monde […], ce vieil homme maître des Espagnes, vainqueur des Espagnols qu'il a tués plus que personne sur la terre, si j'étais peintre, je ne ferais pas son portrait comme celui d'un monstre ou d'un fou, mais comme celui d'un homme très ordinaire, tel qu'en produit notre Occident chaque fois qu'est en péril l'ordre qu'il a sécrété, Monsieur Thiers de l'Inquisition.
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 87
Je suis allé cinq fois aux États-Unis d'Amérique. Je n'y étais pas retourné depuis sept ans J'y suis resté six jours. J'ai discuté une heure et demi avec
Henry Kissinger, déjeuné, dîné, petit-déjeuné avec quinze à vingt parlementaires, ceux dont on dit qu'ils comptent, parlé devant les journalistes du
National Press Club, les diplomates et les hommes d'affaires du
Council for Foreign Relations, ces bancs d'essai des politiques. J'ai aimé ce pays où chacun va à la rencontre du passant et ouvre grand sa porte. J'ai aimé ce pays sans mesure. À Washington, j'ai profité de quelques moments de répit pour remonter la vallée du Potomac. Quelques kilomètres au-delà des faubourgs, et j'entrais dans la Virginie d'
Autant en emporte le vent. […] Je trouvais avec force le sentiment que j'avais éprouvé lors de mon premier séjour en 1946
: l'Amérique reste à conquérir.
J'avais, à cette époque du moteur à hélices, traversé sur un DC 3 le désert du Colorado. Cela avait duré des heures. Quoi, l'Amérique, cette terre vide, ce satellite abandonné ? À Palm Springs, où vient en week-end la gentry de Los Angeles, si l'on sort de la pelouse où l'on vous sert le thé, on vous recommande : attention aux serpents, ils tuent. À Las Vegas, on doit prendre garde, en pleine ville, à ne pas s'aventurer en dehors du trottoir. L'automobile d'un côté, le scorpion de l'autre : marchons droit. […]
Le dernier soir, nous avons contemplé New York du soixante-cinquième étage du Rockefeller Center. Si l'expression poésie pure a un sens, c'est bien là. La géométrie de cette ville a les dimensions, le rythme, d'un poème. Au-dessous de nous, s'ouvraient les entrailles de la terre, ombres et lumières absorbaient jusqu'à l'idée que l'homme eût existé. je m'étonnai d'avoir vu le matin, à l'entrée d'East River, se lever un vol de canards, des colverts. Ils avaient traversé, sans s'y mêler, une nuée d'étourneaux, juste à la croisée des eaux douces et des eaux salées.
Je goûtai que le mouvement des saisons continuât de commander l'ordre des choses.
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 26
Inutile d'en chercher
: il n'y a pas d'excuses. Ni dans les drames du passé, coups d'États, oppression, répression, ni dans ceux du présent. Non, il n'y a pas d'excuses pour le gouvernement, pour le système, pour les méthodes des
Khmers rouges au
Cambodge. […] Le devoir d'éduquer, de former les esprits aux obligations et aux choix que suppose toute rupture de société ne peut être confondu, sans dommage majeur, avec cette épouvantable machinerie mise en place un peu partout pour broyer les consciences, en brisant, au besoin, les corps. À
Phnom Penh, on en est là.
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 157-158
Le parti de
Jacques Chirac n'a pas perdu de temps pour commettre un premier abus
: celui des mots. Rassemblement, il divise la droite sans entraîner la gauche. Nouveau, ses dirigeants sont au pouvoir depuis bientôt vingt ans. Gaulliste, il séduit les groupuscules fascistes, s'appuie sur
Robert Hersant, réveille
Tixier-Vignacourt. Et quand il appelle à la République, la vieille
Action française, royaliste, applaudit. Entrer dans le détail de son «
manifeste
» réserve le même étonnement. On y apprend que M. Chirac veut abolir les privilèges de l'
argent (cher
M. Dassault ! tristes plus-values
!), qu'il entend combattre la bureaucratie (éternité de
Joseph Prudhomme !), qu'il invite les Français à participer davantage aux affaires qui les concernent (participation, Plan, région, décentralisation ne fournissent à la droite que l'alibi du dirigisme). Pauvre langage usé, fripé, décoloré, qui sert encore, qui sert toujours. Trouvera-t-il des foules pour s'en bercer une fois de plus
? Assurément. Mais pour combien de temps et pour quels lendemains
?
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 240-241
On ne peut parler du Vietnam comme de n'importe qui. Son peuple a porté haut l'honneur de notre temps. Son l'on m'interrogeait, je dirais qu'il est le plus grand. Mais j'ai besoin de savoir. Brigitte Friang se trompe-t-elle ? Je ne puis me satisfaire de la référence-révérence au martyre d'hier [la guerre du Vietnam] pour rester muet aujourd'hui [sur la répression menée par le régime communiste]. Quand, en avril dernier, j'ai demandé des explications au gouvernement du Cambodge sur les informations que diffusait la presse au lendemain de l'évacuation de Phnom Penh, certains m'ont accusé de joindre ma voix aux revanchards de l'impérialisme vaincu. Je ne néglige pas l'objection. Mais je crains trop qu'un Dogme socialiste ne se substitue à la Raison d'État, tout aussi détestable, tout aussi redoutable, pour accepter cet argument. Le socialisme ne représente pas une valeur supérieure à l'humble réalité des faits. Il ne constitue pas davantage la vérité en soi. Il est débat, recherche, approche. Il abat les idoles et les sujets tabous.
Hanoi doit répondre.
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 262
Naguère,
Georges Bidault et
Robert Schuman, esprits fins, avaient l'art de réduire en fumée les idées claires qui, parfois, leur échappaient. Plus récemment,
Maurice Couve de Murville, orateur capable d'un discours limpide, raffinait l'opaque et distillait l'ennui au point qu'il eût déclaré la guerre au
Kamchatka sans qu'on s'en aperçût.
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 306-307
Bon lecteur de
Jean d'Ormesson, je ne cacherai pas que prête davantage attention à ses gammes littéraires qu'à ses exercices politiques, et qu'au bretteur à la fois rageur et lassé — il fait de la politique comme d'autres l'amour
: plus de désir que de plaisir — je préfère le vagabond à l'ombrelle trouée, qui promène son vague-à-l'âme. On aimerait l'aimer, ce cœur unanimiste. Dommage qu'entré en politique, il coule son talent dans le ciment des postulats. Du coup, plus de surprise
: il écrit maintenant ce qu'on attend de
Michel Droit. Et cependant, j'espère encore…
L'Abeille et l'Architecte, François Mitterrand, éd. Flammarion, 1978, p. 287
Ici et maintenant
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 27
La Droite a des intérêts, peu d'idées, et les idées de ses intérêts. Elle se divise, comme en botanique, en grandes espèces
: Droite populaire et Droite classique, plus quelques variétés. Comme le bonapartisme, le gaullisme assure la fonction intermittente de la droite populaire. Le
giscardisme, lui, s'inscrit dans une tradition qui n'a guère connu d'éclipses depuis bientôt deux siècles.
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 36
Quand la France rencontre une grande idée, elles font ensemble le tour du Monde.
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 55
Il y a deux façons de saboter le droit de
grève : le réglementer comme le fait la droite, l'utiliser à tort et à travers comme le fait le
Parti Communiste.
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 135
Tout Européen de l'ouest, patriote en son pays, ne peut avoir qu'une pensée
: détruire
Yalta. Beaucoup de signes l'annoncent. Mais on ne sortira pas de Yalta sans crise. Nous y sommes
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 241
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 242
Oui, deux peuples pour la même terre et un Dieu de chaque côté, la diplomatie a de quoi s'essouffler. […] L'embrouille a commencé beaucoup plus tôt que les arguties de l'
ONU et durera tant qu'
Israël dira "jamais" à l'existence d'un
État palestinien, et l'
OLP "jamais" à l'existence d'Israël. Je pense que nous devons faire la sourde oreille au rappel insistant de ces pétitions de principe et traiter la réalité en médecins de campagne.
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 275
Je crois qu'on ne peut traiter du devenir des pays pauvres sans s'intéresser aux structures, et d'abord aux structures financières, qui commandent aujourd'hui les
relations Nord-Sud.
Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, éd. Fayard, 1980, p. 283
Mémoires interrompus
Les prisonniers pensaient qu'ils seraient vites libérés, que leur captivité ne durerait pas plus de trois mois. Bons psychologues, les Allemands jouaient sur cette corde pour décourager les évasions. […] Pas de plus sûre prison que l'espoir pour le lendemain. Pour la plupart, cette prison a duré cinq ans.
Je ne me sentais pas né pour vivre citoyen d'un peuple humilié. L'Histoire de la France me possédait, j'aimais ses héros, ses fastes, et les grandes idées venues d'elle qui avaient soulevé le monde. J'avais la conviction, depuis l'enfance, que j'aurais à la continuer. Je ressentais également l'occupation de mon pays comme un viol. […] J'ai noté ailleurs que pour moi le génie le plus représentatif de la France était Vauban. Lui n'avait pensé qu'à renforcer les fondations, fermer les issues, sauver le pré carré qu'une prescience miraculeuse avait déjà dessiné dans l'esprit d'un Philippe Auguste ou d'un Charles V.
De la France je n'ai pas une idée, mais une sensation, celle que donne un être vivant, ses formes, son regard. […] Elle a été fille du sol, de l'eau, de la géométrie avant de donner aux hommes l'image de l'harmonie. C'est le seul pays d'Europe qui puisse se dire œuvre de la nature plutôt que fruit de l'ambition et de l'imagination des hommes. Attenter à cette merveille d'équilibre me blessait, me bouleversait. Non que mon amour de la France fût d'abord esthétique. Mais qu'un peuple sans formes comme celui de l'Allemagne ait pu s'en emparer et l'absorber comme d'une boursouflure me paraissait blasphématoire : qu'avaient à faire tous ces gens chez moi ? Leur accent m'irritait plus que leurs chars. Cette façon de commander, d'ordonner à la plus vieille nation du monde, eux qui n'avaient pas deux siècles derrière eux !
Quand on est dans l'action, il n'y a pas d'immense déception !
Ce qui prête à la Seconde Guerre mondiale son caractère abominable tient à la perversion née — très au-delà des conflits nationaux, que j'appellerai, faute de mieux, traditionnels — de l'idéologie nazie, du racisme érigé en doctrine : l'humanité découpée en race supérieure et en races inférieures avec, au bas de l'échelle, les « sous-hommes », tout étant permis à la race supérieure, chargée par je ne sais quel décret de je ne sais quel dieu de conduire les affaires du monde, de distinguer le bien du mal, de refabriquer les individus par la médecine, la biologie et la rééducation mentale selon des critères aberrants. De ce point de vue, Nuit et Brouillard et le sort réservé aux déportés dans les camps de la mort représentaient un sommet d'iniquité et de barbarie.
Quand j'utilise le mot « pétaudière », cela signifie que personne ne tenait plus rien, que Pétain servait de couvercle à une marmite en pleine ébullition. […] Vichy, c'était un régime faible, informe et sans âme, inspiré par des fascistes, des antisémites et des idéologues déterminés, n'ayant pas froid aux yeux. […] Profitant de cette « pétaudière », ils avaient occupé le terrain. Vichy n'était pas un bloc monolithique et, très rapidement, ces gens allaient prendre plus d'importance que les autres.
Georges-Marc Benamou : À votre retour d'Angleterre, le 26 février 1944, vous persévérez dans la clandestinité et vous accentuez même celle-ci en portant une moustache pour éviter qu'on vous reconnaisse…
François Mitterrand : Oui. Pour la première et seule fois de ma vie j'ai porté la moustache. L'expérience ne s'est pas révélée concluante. J'avais l'air d'un danseur de tango argentin. Je l'ai rasée à la Libération…
J'éprouvais une profonde admiration pour la caractère, le courage, l'intelligence du chef de la France libre même si je contestais ses méthodes avant de combattre sa politique. Il traversais une période difficile, et sa ténacité pour échapper à l'emprise de Churchill et de Roosevelt et préserver les droits de la France reste pour moi le modèle de la fermeté politique. C'est à ce moment-là qu'il fut le plus grand.
J'ai toujours été frappé par une certaine forme d'intelligence juive, faite d'exigence, de sens de l'absolu.
Georges [Dayan], son frère Jean et quelques-uns de leurs amis s'étaient donné rendez-vous sur la plage, à Oran. Soudain, des jeunes gens ont déboulé en bande, très excités, batailleurs, criant : « Dehors les Juifs, foutez le camp ! » […] Là-dessus, un homme âgé, très digne, s'est interposé et a dit aux agresseurs : « Ce que vous faites est méprisable. » La bataille n'eut pas lieu… Georges Dayan m'a confié qu'il s'agissait d'un magistrat proche de l'Action française qui était en poste à Oran.
Garde des Sceaux du gouvernement Mollet en 1956, […] ayant à nommer de nouveaux procureurs généraux, j'ai pensé à ce magistrat […]. Je l'ai convoqué à Paris, me suis entretenu avec lui et l'ai nommé procureur général. Il m'a demandé : « Pourquoi moi ? » Je lui ai répondu : « Souvenez-vous de la plage d'Oran. »
Sympathique ou antipathique, en ce qui concerne de Gaulle il n'est pas possible de trancher. Il me surprenait. J'appréciais qu'il fût d'un modèle peu courant. Autoritaire, il savait aussi se montrer diplomate et courtois. Sa maîtrise, sa force d'âme m'attiraient. Mais il considérait la France comme sa chose et cela me rebutait. Son identification au pouvoir était telle qu'il ne restait plus d'espace pour le réveil de la démocratie, réveil dont il était comptable. Il supportait mal que ses avis fussent discutés. Nul n'était moins fait que lui pour la période qui commençait, qui était son œuvre.
L'épuration était semblable à toutes les périodes qui concluent une guerre civile. Elle était faite, et souvent mal faite. Il y a eu les fusillés qui s'imposaient si j'ose dire, et puis ceux qui ne s'imposaient pas, et puis d'autres qui auraient dû s'imposer…
La bourgeoisie a toujours choisi son intérêt ou ce qu'elle croyait être son intérêt. Le patriotisme ne fait partie de ses intérêts que sous bénéfice d'inventaire.
Après son départ, de mauvais gré, en 1946, il [Charles de Gaulle] lança en 1947 cette curieuse aventure du RPF. J'en ai fait l'expérience à l'échelon de la Nièvre. Certains leaders locaux du RPF m'avaient alors fait des avances. Cela n'a pas duré. Il suffisait de voir quels en étaient les adhérents. Ils appartenaient tous à la pire des droites : la droite petite, la droite rancunière, la droite détestable. Le mouvement était calqué sur le modèle des ligues d'avant guerre. Malgré son fondateur, il attira des notables pétainistes. La droite passait par-dessus ses querelles sans oublier vraiment les origines de la discorde. Mais le réflexe conservateur débordait tous les autres. Le RPF a échoué, car il ne correspondait pas au tempérament des Français et reposait sur trop d'équivoques.
Le congrès de La Haye a été le premier du genre. Il a réuni les principaux ennemis de la veille. Présidé par Churchill, j'y ai vu la plupart des dirigeants européens, allemands, italiens, français, britanniques. […] J'y suis venu un peu par hasard. Touché par une invitation dont j'ignore les détours. Mais je ressentais profondément l'importance de ce rassemblement placé à la charnière des temps, deux ans seulement après la fin de la plus cruelle des guerres intestines de l'Europe.
[…] la grandeur et la singularité [du caractère de Mendès France] l'empêchaient d'agir au moment voulu. Trop d'objections, de doutes l'assaillaient, comme si l'événement n'était pas pour lui ce qu'il est par nature : un cheval cabré que son cavalier doit soumettre.
En effet, le PSA [[[w:Parti socialiste autonome (France)|Parti socialiste autonome]], futur PSU] me fit grise mine et je n'insistai pas. […] Pourtant, nous recommencions à nous fréquenter. Nous élaborions des projets, mais cela n'allait pas plus loin… Je ne les ai revus que lorsque le Parti socialiste au pouvoir ou en passe de l'obtenir eut quelques places à distribuer.
La droite défend des intérêts si puissants qu'elle n'hésite pas à éliminer ceux qui se trouvent sur son chemin, ceux qui entravent la marche de ses affaires. […] Et la haine est d'autant plus grande si celui qui gêne vient de chez elle. […] Pour cette bourgeoisie de droite, il est presque normal qu'un ouvrier soit communiste, un employé socialiste, mais quand l'un des siens lui échappe, ça ne se pardonne pas.
Georges-Marc Benamou : Pensez-vous que le mouvement gaulliste puisse avoir une pérennité aujourd'hui ?
François Mitterrand : C'est une fiction. C'est une tradition plus verbale que réelle… Il y a longtemps que le message gaulliste n'existe plus. Depuis que Georges Pompidou a été élu président de la République en 1969.
Mai 68, c'était la révolte de jeunes bourgeois catholiques contre l'hypocrisie de leurs parents. Ces bourgeois catholiques qui se sont mis à parler marxiste n'étaient pas à l'aise avec eux-mêmes. […] Bien entendu, je ne méconnais pas qu'il y ait eu, parmi les insurgés de 1968, des gens sincères […]. Mais ce n'était pas le cas de ceux qui ont «
théorisé
» en leur nom le sens de cette «
fausse révolution
».
On a parlé d'un malentendu entre ces derniers et moi-même. Mais il ne s'agissait pas d'un malentendu pour la simple raison qu'il me suffisait de les écouter pour distinguer d'où ils venaient et ce qu'ils incarnaient. Finalement, c'était de la graine de notaire. Je les imaginais à quarante-cinq ans avec des bésicles. Et j'en voyais la dérision.
[…] je crois que toute faiblesse du Parti socialiste à l'égard du centre le conduit à sa perte et que cette tentation chaque fois renaissante le fragilise dès qu'elle paraît devoir l'emporter. Le Parti socialiste ne doit jamais oublier que son combat, loin de se situer sur le champ politique, est d'abord et avant tout un combat contre des forces sociales, qui, elles, déterminent les conditions du combat politique.
Je crois pour demain comme hier à la victoire de la gauche à condition qu'elle reste elle-même. Qu'elle n'oublie pas que sa famille, c'est toute la gauche. Hors du grand rassemblement des forces populaires, il n'y a pas de salut.
De l'Allemagne, de la France
De l'Allemagne, de la France, François Mitterrand, éd. Odile Jacob, 2001, p. 11
La double domination américaine et soviétique avait habitué les dirigeants occidentaux à se croire installés dans un temps immobile. Ils agissaient comme si les rapports de force de notre continent étaient à jamais figés et attendaient des Allemands qu'ils se résignent à leur sort.
De l'Allemagne, de la France, François Mitterrand, éd. Odile Jacob, 2001, p. 19
Comment écrit-on l'histoire ? Hitler n'aimait pas la Prusse et la Prusse n'aimait pas Hitler. Un peu de réflexion aurait montré que le nazisme démentait les valeurs de civilisation chères à Frédéric II. Hitler avait voulu broyer l'identité prussienne, comme devait le faire, après lui, Staline. À eux deux, ils finirent pas en avoir raison.
De l'Allemagne, de la France, François Mitterrand, éd. Odile Jacob, 2001, p. 22
On verra qu'au cours des mois qui précéderont
cet accord [
sur l'unification allemande], chacune des quatre puissance s'arc-boutera, comme il est normal, sur ce qu'elle estimait être «
sa
» condition prioritaire. Les
États-Unis se montreront surtout préoccupés de l'intégration de la future Allemagne unie dans l'
Organisation du traité de l'Atlantique nord, les Soviétiques hésiteront encore à admettre l'inéluctabilité de l'unité allemande
; quant aux Britanniques, par la voix de
Margaret Thatcher, ils chercheront surtout à en retarder l'échéance.
J'attachais, de mon côté, la prédominance à la reconnaissance préalable des frontières. […] De ce débat, l'opinion conservatrice française tira argument pour accuser notre diplomatie d'avoir «
manqué le train de l'unité allemande
», en ne sautant pas, les yeux fermés, dans le premier wagon. Outre, comme je l'ai déjà souligné, qu'aucun autre dirigeant occidental ne s'y était risqué, et que j'avais été le premier, avec
George Bush, à saluer la perspective de l'unification, j’avais de quoi m'étonner devant cette perversion qui poussait, une fois de plus, tant de responsables de mon pays à oublier les enseignements de l'histoire.
De l'Allemagne, de la France, François Mitterrand, éd. Odile Jacob, 2001, p. 33-34
Je rêve à la prédestination de l'Allemagne et de la France, que la géographie et leur vieille rivalité désignent pour donner le signal. J'y travaille, aussi. La chance veut qu'elles n'aient pas d'autre issue. Si elles ont gardé le meilleur de ce que je n'hésite pas à appeler leur instinct de grandeur, elles comprendront qu'ils s'agit là d'un projet digne d'elles. Je trace ici un schéma dont je n'ignore pas qu'il sera brouillé, compromis d'année en année, au-delà de ce siècle. […] Mais par quoi commencer, sinon par le plus difficile ? Demander aux Allemands de garantir leur frontière est ce « plus difficile », puisque cela suppose qu'ils ont définitivement choisi entre leurs ambitions. Ils y sont prêts par réalisme.
De l'Allemagne, de la France, François Mitterrand, éd. Odile Jacob, 2001, p. 129
Discours
Politique intérieure
Lorsque, le 10 septembre 1944, le général de Gaulle s'est présenté devant l'Assemblée consultative provisoire issue des combats de l'extérieur ou de la Résistance, il avait près de lui deux compagnons qui s'appelaient l'honneur et la patrie.
Ses compagnons d'aujourd'hui, qu'il n'a sans doute pas choisi, mais qui l'ont suivi jusqu'ici, se nomment le coup de force et la sédition. […] En droit, le général de Gaulle tiendra ce soir ses pouvoirs de la représentation nationale ; en fait, il les détient déjà du coup de force.
- Réponse au discours d'investiture de Charles de Gaulle, Assemblée nationale, 1er juin 1958.
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 140
Si la jeunesse n'a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort.
Discours de François Mitterrand, 8 mai 1968,
devant l'Assemblée Nationale, dans
"François Mitterrand parlementaire, paru le 5 juillet 2002, Michel Charasse, sur le site de l'Institut François Mitterrand.
Notre objectif fondamental, c'est de refaire un grand Parti socialiste sur le terrain occupé par le PC, afin de faire la démonstration que, sur les cinq millions d'électeurs communistes, trois millions peuvent voter socialiste.
- Discours prononcé devant le congrès de l'Internationale socialiste, le 27 juin 1972, quelques heures après avoir signé le Programme commun.
Mitterrand, une histoire de Français, Jean Lacouture, éd. Le Seuil, coll. « Points », 1999, t. 1, p. 372
Je suis pour la vocation majoritaire de ce parti. Je souhaite que ce parti prenne le pouvoir. Déjà, le péché d'électoralisme. Je commence mal. Je voudrais que nous soyons disposés à considérer que la transformation de notre société ne commence pas avec la prise du pouvoir, elle commence d'abord avec la prise de conscience de nous-mêmes et la prise de conscience des masses. Mais il faut aussi passer par la conquête du pouvoir.
- Discours prononcé lors du congrès d'Épinay.
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 144-145
Le véritable ennemi, j'allai dire le seul, parce que tout passe par chez lui, le véritable ennemi - si l'on est bien sur le terrain de la rupture initiale des structures économiques - c'est celui qui tient les clefs… c'est celui qui est installé sur ce terrain là, c'est celui qu'il faut déloger… c'est le
Monopole ! Terme extensif… pour signifier toutes les puissances de l'
argent, l'argent qui corrompt, l'argent qui achète, l'argent qui écrase, l'argent qui tue, l'argent qui ruine, et l'argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes
!
Un si cher ami, Jean-marie Pontaut, éd. Michel Lafon, 2016, p. 53
Et puis, il faut reconquérir les libéraux. Selon une excellente définition de Guy Mollet, et il me permettra de lui emprunter […], les libéraux [sont ceux], qui, évidemment acceptent comme nous l'héritage démocratique dans le domaine politique, mais qui refusent nos méthodes et nos structures sur le plan de l'économie.
- Discours prononcé lors du congrès d'Épinay.
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 147
Celui qui ne consent pas la rupture — la méthode, cela passe ensuite — avec l'ordre établi […], avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent au Parti socialiste.
- Discours prononcé lors du congrès d'Épinay.
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 149
Il est dans la nature d'une grande nation de concevoir de grands desseins. Dans le monde d'aujourd'hui, quelle plus haute exigence pour notre pays que de réaliser la nouvelle alliance du socialisme et de la liberté, quelle plus belle ambition que l'offrir au monde de demain
?
C'est, en tout cas, l'idée que je m'en fais et la volonté qui me porte, assuré qu'il ne peut y avoir d'ordre et de sécurité là où règnerait l'injustice, gouvernerait l'intolérance. C'est convaincre qui m'importe et non vaincre.
Il n'y a eu qu'un vainqueur le 10 mai 1981, c'est l'espoir. Puisse-t-il devenir la chose de France la mieux partagée
! Pour cela, j'avancerai sans jamais me lasser sur le chemin du pluralisme, confrontation des différences dans le respect d'autrui. Président de tous les Français, je veux les rassembler pour les grandes causes qui nous attendent et créer en toutes circonstances les conditions d'une véritable communauté nationale.
- Discours prononcé le 21 mai 1981.
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 163
L'
argent, l'argent, l'argent roi, l'argent qui coule de tous les côtés, l'argent qui paye vos affiches, l'argent qui paye vos brochures sur papier glacé. L'argent qui paie tout. L'argent qui a dominé cette campagne électorale, l'argent de la droite, le milliard du patronat […] l'argent, l'argent, partout l'argent. Eh bien, moi, je préfère tendre la main aux travailleurs plutôt qu'aux maîtres de l'argent. Voilà la vérité.
Mythologies Politiques du Cinéma Français, Yannick Dehée, éd. PUF, 2000, p. 65
Toutes les explications du monde, ne justifieront pas qu'on ait pu livrer aux chiens, l'honneur d'un homme, et finalement sa vie, au prix d'un double
manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre république. Celle qui protège la dignité et la liberté de chacun d'entre nous.
Politique européenne
Socialisme moderne : oui ; libéralisme politique : oui. Mais rien de tout cela ne sera valable, mes chers camarades, sans l'Europe. Il n'y a pas de réalisation possible dans l'étendue de notre pays, et nous échouerions dans notre tâche si nous essayions de bâtir un socialisme français. Il n'y a plus pour nous aucune possibilité de modernisation technique dans le cadre de nos frontières. Rien n'est possible, et surtout pas la paix, si la France n'est pas, chaque jour davantage, le premier agent de l'Europe.
- Discours prononcé au Ve congrès de l'UDSR, tenu à Marseille en octobre 1951.
Politique, François Mitterrand, éd. Fayard, 1977, p. 346
Je suis moi aussi contre les euromissiles, seulement je constate que les pacifistes sont à l’ouest, et les euromissiles à l'est.
- À l'hôtel de ville de Bruxelles, octobre 1983
La Décennie Mitterrand, Pierre Favier et Michel Martin-Roland, éd. Seuil, coll. « Points », 1995, t. 1, p. 324
Lorsque, en mai 1948, trois ans exactement après la fin de la guerre, lorsque l'idée européenne a pris forme, j'y étais et j'y croyais. Lorsque, en 1950, Robert Schuman a lancé le projet de Communauté européenne du charbon et de l'acier, j'y adhérais et j'y croyais. Lorsque, en 1956, le vaste chantier du Marché commun s'est ouvert, avec la participation très active du gouvernement français de l'époque, j'y étais et j'y croyais. Et aujourd'hui, alors qu'il nous faut sortir l'Europe des Dix de ses querelles, et la conduire résolument sur les chemins de l'avenir, je puis le dire encore, j'y suis et j'y crois.
- Discours prononcé devant le Parlement européen le 24 mai 1984.
Onze discours sur l'Europe, François Mitterrand, éd. Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 1995, p. 29
Rien ne résiste, ni les systèmes les plus fermes, les plus durs, ni une histoire déjà ancienne, ni une tradition idéologique forte, ni un système de pensée cohérent. Voilà que tout s'en va parce que vient quelque chose d'autre, et ce quelque chose, c'est ce que nous avons la chance, nous-mêmes [en Europe occidentale], de posséder. C'est pourquoi nous sommes là, c'est pourquoi vous êtes là, représentants de douze pays démocratique. […] C'est une rengaine ? Non, c'est la liberté !
- Discours prononcé devant le Parlement européen le 24 novembre 1989.
Mitterrand et la réunification allemande, Tilo Schabert, éd. Grasset, 2005, p. 323
Mesdames et messieurs, la conscience européenne ne date pas de ce jour. Mais il n'y a guère eu de traduction politique de ce qui, dans l'ordre intellectuel, artistique, spirituel, est perceptible depuis des siècles. Plus exactement, le mythe de l'unité européenne ne s'est jamais incarné que sous des formes brutales de tentatives d'hégémonie. Si nous le voulons, l'utopie d'hier peut commencer à devenir réalité. Assurons à chacun des États ici présents une qualité particulière de relations fondée sur l'égalité des droits, la sécurité, la solidarité. Si nous accomplissons ce tour de force, quel exemple adressé à ceux qui, aux quatre coins de la planète, refusent la résignation et le désespoir. Il nous faut donner corps à cette belle promesse, qui a pour nom Europe.
- Discours d'ouverture de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, tenue à Paris le 19 novembre 1990.
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 432
Ce traité [de Maastricht], je suis heureux d'y avoir participé, avec plusieurs d'entre vous ici. Il est très attaqué ; nos opinions publiques semblent parfois s'en détourner, parce que la récession économique, dont nous ne sommes pas responsables, et nous frappe, et que, par ailleurs, le spectacle de l'impuissance générale autour du drame de l'ancienne Yougoslavie crée un doute dans les esprits. Comment répondre aux questions qu'on nous pose ? Y avait-il trop d'Europe ? Ou l'Europe communautaire était-elle impuissante par nature ? Ma réponse est : non, il n'y avait pas assez d'Europe ; et je demande à ceux qui m'entendent de bien vouloir se souvenir que le traité de Maastricht n'est pas encore ratifié par tous les pays de la Communauté.
- Discours prononcé devant le Conseil de l'Europe, conférence de Vienne, le 8 octobre 1993.
Onze discours sur l'Europe, François Mitterrand, éd. Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 1995, p. 135
J'ai tendance — c'est peut-être un nationalisme européen tout à fait regrettable —, j'ai tendance à reprendre, en l'adaptant, le mot du premier roi d'Italie : « Europa farà da sé ». Si les Européens ne prennent pas en main leur propre destin, qui le fera ? Le Japon, la Chine, le Nigeria, le Brésil, le Texas, enfin, je ne sais qui… Si vous ne décidez pas vous-même de votre sort, quelqu'un s'en chargera, soyez-en sûrs ; mais ce ne sera pas forcément la meilleure solution.
- Discours prononcé devant le Conseil de l'Europe, conférence de Vienne, le 8 octobre 1993.
Onze discours sur l'Europe, François Mitterrand, éd. Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 1995, p. 137
Quant à moi, je suis guidé par une idée simple : les compétences et les droits du Parlement [européen] doivent accompagner le renforcement des structures de l'Europe. Plus il y aura d'Europe, plus cette Europe doit être démocratique, plus elle doit être parlementaire. Alors, travaillons-y.
- Discours prononcé devant le Parlement européen, 17 janvier 1995.
Onze discours sur l'Europe, François Mitterrand, éd. Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 1995, p. 143
Il faut vaincre ses préjugés.
Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu'une règle s'imposera, mesdames et messieurs : le nationalisme, c'est la guerre ! La guerre, ce n'est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir ; et c'est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir.
Onze discours sur l'Europe, François Mitterrand, éd. Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 1995, p. 161-162
Politique mondiale
Il n'y a et ne peut y avoir de stabilité politique sans justice sociale. Et quand les inégalités, les injustices ou les retards d'un société dépassent la mesure, il n'y a pas d'ordre établi, pour répressif qu'il soit, qui puisse résister au soulèvement de la vie.
L'antagonisme Est-Ouest ne saurait expliquer la lutte pour l'émancipation des « damnés de la terre », pas plus qu'il n'aide à les résoudre. Zapata et les siens n'ont pas attendu que Lénine soit au pouvoir à Moscou pour prendre eux-mêmes les armes contre l'insoutenable dictature de Porfirio Diaz.
- Discours prononcé devant le monument de la Révolution à Mexico, le 20 octobre 1981, appelé à tort « discours de Cancun ».
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 413
À tous les combattants de la liberté, la France lance son message d'espoir. […]
Salut aux émigrés, aux humiliés, aux exilés sur leur propre terre, qui veulent vivre et vivre libres. Salut à celles et à ceux qu'on bâillonne, qu'on persécute ou qu'on torture, qui veulent vivre et vivre libre. […]
À tous, la France dit
: « Courage, la liberté vaincra. » Et si elle le dit depuis la capitale du Mexique, c'est qu'ici, ces mots possèdent tout leur sens.
- Discours prononcé devant le monument de la Révolution à Mexico, le 20 octobre 1981, appelé à tort « discours de Cancun ».
Les Grands Discours socialistes français du XXe siècle, Mehdi Ouraoui, éd. Complexe, 2007, p. 415
Pourquoi ai-je souhaité que les habitants arabes de Cisjordanie et de Gaza disposent d'une patrie ? Parce qu'on ne peut demander à quiconque de renoncer à son identité, ni répondre à sa place à la question posée. […] Le dialogue suppose la reconnaissance préalable et mutuelle du droit des autres à l'existence, le renoncement préalable et mutuel à la guerre, directe ou indirecte, étant entendu que chacun retrouvera sa liberté d'agir en cas d'échec. Le dialogue suppose que chaque partie puisse aller jusqu'au bout de son droit, ce qui, pour les Palestiniens comme pour les autres, peut, le moment venu, signifier un État.
- Discours prononcé devant la Knesset, 4 mars 1982.
Réflexions sur la politique extérieure de la France. Introduction à vingt-cinq discours (1981-1985), François Mitterrand, éd. Fayard, 1986, p. 342-343
Je ne sais s'il y a une réponse acceptable par tous au problème palestinien. Mais nul doute qu'il y a un problème, et que, non résolu, il pèsera d'un poids tragique et durable sur cette région du monde. […] Toute crise locale, Mesdames et messieurs, toute crise régionale qui dure, attire, comme un aimant, les puissants de ce monde qui cherchent toute occasion d'exercer leur rapport de force. Toute crise régionale ou locale qui dure échappe un jour à ses protagonistes, au bénéfice de plus forts qu'eux.
- Discours prononcé devant la Knesset, 4 mars 1982.
Réflexions sur la politique extérieure de la France. Introduction à vingt-cinq discours (1981-1985), François Mitterrand, éd. Fayard, 1986, p. 343-344
C'est une raison de plus pour déplorer qu'il reste encore en arrière du chemin quelques-uns qui se refusent à comprendre que la liberté de penser, c'est d'abord celle de penser autrement, que la liberté tout court, c'est la liberté d'être différent et qu'entre États, le devoir de non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non-assistance.
- Ouverture de la Conférence sur la dimension humaine de la CSCE à La Sorbonne le 30 mai 1989
«
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'importance des travaux de la CSCE en matière de droits de l'homme et sur la construction d'une Europe de droit, Paris, La Sorbonne le 30 mai 1989.
», MITTERRAND François.,
Vie-publique.fr, 30 mai 1989 (
lire en ligne)
Autres
Je crois aux forces de l'esprit, et je ne vous quitterai pas.
François Mitterrand, Vœux aux français, 31 décembre 1994,
à la télévision française, dans
« Je crois aux forces de l'esprit », paru le 20 octobre 2006, Jean-François Huchet, sur le site de l'Institut François Mitterrand.
Je fais don de ma personne au maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France.
Je m'engage à servir ses disciplines et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre.
François Mitterrand: une vie, Franz-Olivier Giesbert, éd. Seuil, 1996, p. 59