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Les TERF ([tɛʁf[, également écrit terf), acronyme de Trans-exclusionary radical feminist (« Féministe radicale excluant les personnes trans » en anglais), sont des féministes qui excluent les femmes trans des luttes féministes. Les arguments des TERF sont perçus par leurs opposantes comme relevant de positionnements essentialistes et transphobes.
Né au Royaume-Uni, le mouvement TERF s'est développé conjointement aux États-Unis et en Europe. Des liens existent entre les TERF et des mouvements conservateurs, notamment la droite chrétienne américaine, autour de l'opposition aux droits des personnes trans.
Créé en 2008 avec la volonté d'être un terme neutre, le terme TERF a acquis une connotation péjorative. Certaines féministes perçoivent le terme comme une insulte et préfèrent se décrire comme « critiques du genre » (gender critical). Les qualificatifs d’insulte et de « critique du genre » sont rejetés par d'autres féministes, des universitaires et des personnes trans. Initialement employé pour désigner les féministes radicales trans-exclusives, l'appellation TERF a été étendue à d'autres personnes qui ne sont pas féministes radicales, ni même féministes, mais dont les positions sont jugées transphobes.
La blogueuse féministe australienne Viv Smythe est considérée comme la créatrice du terme TERF en 2008[1] dans un post de blog en réaction à la décision du Michigan Womyn's Music Festival de refuser l'entrée aux femmes trans[2] : elle cherchait à distinguer les féministes TERF du reste du mouvement féministe radical. À sa création, l'acronyme se veut uniquement descriptif : en 2014, Smythe a déclaré qu'elle cherchait alors à « proposer un terme technique et neutre pour décrire un certain groupe d'activistes, en les différenciant des féministes radicales qui se positionnaient de façon neutre ou positive vis-à-vis des personnes trans »[3]. Dans son message initial, elle propose également l'acronyme TES (Trans-exclusionary Separatists, séparatistes excluant les personnes trans)[2].
Si Viv Smythe a contribué à populariser le terme (notamment sur internet), elle reconnaît que la question de l'inclusion des personnes trans était déjà un sujet de débat parmi les féministes radicales, et que le label TERF aurait même pu être employé auparavant[2].
Selon Cristan Williams, le terme fait référence à une modalité du féminisme radical « tellement enracinée dans l'essentialisme sexuel et le biologisme qui en résulte, qu'il milite activement contre l'existence, l'égalité et/ou l'inclusion des personnes trans[4]. » Dans The New York Times en 2019, la théoricienne féministe Sophie Lewis (en) utilise le néologisme « TERFism » pour décrire le féminisme anti-trans au Royaume-Uni[5].
Il est depuis utilisé pour décrire les féministes qui soutiennent des positions considérées comme transphobes[6],[5],[7],[8], telles que l'opposition aux droits des personnes trans et à l'inclusion des femmes trans dans les espaces en non-mixité[9],[10],[11], les listes politiques réservées aux femmes[12], opinions généralement fondées sur le refus de considérer que les femmes trans sont des femmes[10].
En 2021, la sociologue britannique Finn Mackay note que l'appellation TERF s'est répandue dans les espaces militants (notamment en ligne) et dans la presse, et que le terme est désormais utilisé pour qualifier toute personne ayant des positions transphobes ou excluant les personnes trans, sans lien avec le Féminisme radical : « il est appliqué aux personnes qui ne sont pas militantes féministes et ne se définiront jamais comme féministes ; il est utilisé pour qualifier des gens qui peuvent être féministes, mais ne seront jamais féministes radicales ; c'est devenu un raccourci pour transphobe[2]. » Mackay regrette également que le féminisme radical soit quasi systématiquement associé à la transphobie dans le débat mainstream, effaçant ainsi les nuances entre les différents courants (lesbianisme politique, féminisme culturel, séparatisme, abolitionnistes du genre…)[13].
Les féministes qui sont qualifiées de TERF considèrent ce terme comme une insulte[14],[15],[16]. Certaines se voient comme « critique du genre »[17],[14],[18],[19],[20].
La chroniqueuse britannique Sarah Ditum (en) estime en 2017 que « la barre pour être qualifiée de TERF est remarquablement basse[21]. » La blogueuse britannique Claire Heuchan, critiquant la décision de l'université de Cambridge d’inviter Linda Bellos (en) à la suite de son propos selon lequel l'agenda trans est d'affirmer la suprématie masculine, a écrit que ce mot était souvent utilisé en même temps qu'une « rhétorique violente (…) pour déshumaniser les femmes qui critiquent le concept de genre. » Elle déclare également que le terme contribue à minimiser le rôle des hommes comme véritables auteurs des violences à l'égard des femmes et des personnes trans[22]. Cet avis est partagé au sein du mouvement trans lui-même, et la journaliste Beth Desmond considère que les personnes trans n'ont rien à gagner d'un vocable trop violent, à propos d'un extrait de Mortal Kombat posté sur YouTube, et dans lequel son personnage poignarde la catcheuse Ronda Rousey, avec la légende « ce que je fais aux Terfs[23],[24]. »
Dans la présentation d'une série d'essais sur « les identités transgenres », le magazine britannique The Economist demande en aux auteurs « d'éviter toute insulte, y compris l'utilisation du terme TERF », affirmant que ce mot est utilisé pour tenter de faire taire les opinions et parfois pour inciter à la violence[25]. Le Monde qualifie aussi le terme de péjoratif[11].
En , sept philosophes britanniques écrivent sur le site Daily Nous que deux articles de Rachel McKinnon[26] et de Jason Stanley (en)[27] publiés dans la revue Philosophy and Phenomenological Research ont normalisé le terme. Ils estiment que celui-ci est « au pire insultant et au mieux péjoratif »[28],[18].
Certaines féministes radicales utilisent la dénomination Gender critical (critique du genre). Finn Mackay (en) la définit ainsi : « "critique du genre" est un terme utilisé par celles et ceux qui critiquent ce qu'ils appellent l'idéologie du genre ou l'idéologie trans et qui sont, de manière générale, opposés à la libéralisation des lois concernant la reconnaissance sexuelle et du genre, et opposés à l'inclusion des femmes trans dans de nombreux espaces de femmes[29]. » Selon Claire Thurlow, bien que ce changement de terminologie soit présenté comme une manière de rejeter la transphobie ouverte des débuts du mouvement TERF, les idées restent les mêmes[30].
Certaines féministes qui se décrivent comme critiques du genre affirment qu'elles ne peuvent pas être décrites comme trans-exclusives, puisqu'elles déclarent inclure les hommes transgenres, qu'elles considèrent comme étant des femmes[31],[32],[33].
La question de l'inclusion des femmes trans est débattue au sein des mouvements féministes depuis les années 1960, durant la deuxième vague du féminisme[13]. Cette controverse s'inscrit dans des débats plus larges sur les rapports de pouvoir entre les femmes et les différences en matière de race ou de classe sociale[29].
Dans les années 2010, la visibilité médiatique des personnes trans s'accroît au Royaume-Uni et aux États-Unis, avec certaines personnalités comme Laverne Cox ou Caitlyn Jenner, tandis que parmi la génération Z (née à la fin des années 1990 et début 2000), la diversité et la fluidité des identités de genre est de plus en plus importante[34]. En réponse, l’Église catholique et les groupes conservateurs ou de droite dénoncent ce qu'ils appellent la « théorie du genre » ou « l'idéologie du genre ». Ce faisant, ils reprennent des termes déjà utilisés par les féministes radicales, mais employés dans un sens profondément différent : l'Église et la droite défendent une vision traditionnelle de la famille nucléaire hétérosexuelle au sein de laquelle les différences de genre seraient naturelles et complémentaires, et que le genre découlerait naturellement des caractéristiques sexuelles, tandis que les féministes radicales gender critical s'opposent aux approches assimilant le sexe au genre et invisibilisant les oppressions basées sur le sexe[35].
Dans les années 2010-2020, les débats autour des personnes transgenre deviennent de plus en plus âpres et trouvent un écho dans la presse et les médias, en particulier au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans le reste de l'Europe[36]. Il est notamment question de toilettes non genrées, de vestiaires ou encore des aspects médicaux de la transition, particulièrement pour les enfants transgenres. « Dans les médias, cela est souvent réduit à un combat entre les féministes et les personnes transgenres, particulièrement entre les femmes trans et […] le féminisme radical »[37].
Des groupes TERF se sont rapprochés de mouvements conservateurs (aux États-Unis et au Royaume-Uni) dans un contexte général de lois anti-trans[38],[39],[40] ou ont vu leur discours repris par ces mouvements conservateurs et l'extrême droite[23]. Des liens existent entre des organisations féministes excluant les femmes trans et des organisations de la droite conservatrice chrétienne américaine (comme l'ONG Family Research Council ou la Heritage Foundation). Dans certains cas, ce rapprochement est une stratégie assumée de la part des conservateurs afin de fragiliser le mouvement LGBT+ en le divisant[41].
Le mouvement TERF nait au Royaume-Uni[42], et y est relativement puissant[12],[43], en particulier dans la presse[20],[5],[44]. Il s'est allié à des groupes conservateurs aux États-Unis pour bloquer l'évolution de la législation en faveur des personnes trans[45],[46],[47],[48],[49]. À la fin des années 2010, alors que le gouvernement britannique révise le Gender Recognition Act de 2004 (qui autorise la transition de genre), les groupes LGBT+ et des groupes féministes anti-trans s'opposent lors de conférences et de manifestations. Des meetings sont bloqués et des cas d'altercations physiques entre militants des deux bords sont rapportés[50]. Certaines militantes souhaitaient que toute la législation reconnaissant les personnes trans soit abolie. Finn Mackay décrit la situation comme un conflit qui escalade, et parle même de guerre idéologique : « nous sommes arrivés à l'étape du "soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous" »[50].
Le , sur Twitter, J. K. Rowling a provoqué la colère des militants trans en insistant pour identifier les termes « femme » à « personne qui a des règles »[51],[52] dans une réaction à un article[53]. Elle a critiqué l'emploi dans un tweet de l'expression « personne qui a des règles »[54],[55] à la place du mot « femme », expression motivée par la personne qui l'employait par le fait que les femmes trans n'ont pas de règles, ou que certaines personnes, qui ont des règles, ne s'identifient pas en tant que femmes (non-binaires ou hommes trans)[56],[57]. Elle a été ensuite menacée de viol et de mort[58],[59]. Elle a par ailleurs apporté son soutien[60],[61] à la chercheuse Maya Forstater (en), dont les opinions sur les personnes trans, exprimées à l'occasion de la discussion du Gender Recognition Act[Note 1], ont été, dans un premier temps, jugées « indignes » par un tribunal londonien[62],[63],[Note 2], avant renversement lors d'un appel, les jugeant finalement « idées philosophiques protégées par la loi »[64].
L'association britannique LGB Alliance nie être transphobe, mais s'oppose aux droits des personnes trans, qu'elle qualifie « d’extrémistes du genre »[65].
En mars 2023, la militante Posie Parker a dû annuler une tournée de conférences Let Women Speak en Nouvelle-Zélande après avoir fondé le 5 février 2023 le mouvement du me nom[66], ses positions étant jugées transphobes[67]. L'entreprise qui imprimait ses stickers, T-Shirts et affiches arrête de collaborer avec elle en raison de la teneur transphobe de ses slogans en février 2023[68].
L'ouvrage de Janice Raymond The Transsexual Empire positionne pour la première fois en 1979 les femmes trans comme des sujets masculins violents infiltrant les espaces féminins et s'appropriant le corps des femmes[49].
La journaliste et militante canadienne TERF Meghan Murphy (en) est bloquée par Twitter pour avoir qualifié la femme trans Jessica Yaniv (en) d’homme, et avoir utilisé son deadname. Son recours auprès de la cour de Californie échoue[69].
Dans un spectacle en 2021, l'humoriste Dave Chappelle s'autoproclame TERF et prend la défense de J. K. Rowling[70],[71].
Le magazine allemand Die Tageszeitung réagit aux commentaires transphobes du magazine féministe Emma, notamment l'évocation du deadname de la députée trans Tessa Ganserer, et l'affirmation qu’elle « prend la place d’une vraie femme » dans le cadre des quotas imposés aux partis allemands[72][source secondaire nécessaire]. La journaliste féministe Alice Schwarzer, rédactrice en chef du magazine Emma et autrice d'un livre sur la transidentité, a été qualifiée de TERF[73],[74].
En France, Marguerite Stern (ex Femen et fondatrice du mouvement Collages féminicides), puis d'autres colleuses se réclamant du féminisme matérialiste et universaliste[75], déclenchent en 2020 une polémique[76]. Marguerite Stern est qualifiée par des féministes intersectionnelles de TERF après qu'elle a déclaré :
« Je suis pour qu’on déconstruise les stéréotypes de genre, et je considère que le transactivisme ne fait que les renforcer. J’observe que les hommes qui veulent être des femmes se mettent soudainement à se maquiller, à porter des robes et des talons. Et je considère que c’est une insulte faite aux femmes que de considérer que ce sont les outils inventés par le patriarcat qui font de nous des femmes. Nous sommes des femmes parce que nous avons des vulves. C’est un fait biologique[75],[77]. »
Stern est soutenue par la sénatrice socialiste Laurence Rossignol qui affirme que « le changement de logiciel pour réexaminer le féminisme à travers la transsexualité n’aboutit qu’à invisibiliser les femmes[75]. »
Marguerite Stern cosigne ensuite avec la sociologue Christine Delphy, l'essayiste Fatiha Boudjahlat et d'autres une tribune se définissant comme féministe radicale et matérialiste. Cette tribune est initialement publiée sur le Huffington Post, puis dé-publiée par la rédaction qui la qualifie de transphobe[78],[79].
Le sociologue Emmanuel Beaubatie analyse cet affrontement en estimant que l'idée (TERF) que les femmes trans renforcent les stéréotypes de genre contre lesquels les féministes luttent est une idée reçue très courante, en décalage avec les approches intersectionnelles qui mettent l'accent sur l'hétérogénéité des groupes de femmes. Pour lui, le discours TERF montre que le sexisme (ou cissexisme) anime la transphobie[80] ; le discours des féministes TERF n'est pourtant pas représentatif d'une société dans laquelle se « développe une norme d'acceptation des trans et […] de la non-conformité de genre » ; il « témoigne d'une irrépressible crainte de l'anéantissement des mouvements féministes », mais « se trompe d'ennemi. L'ennemi, c'est le patriarcat »[80]. Beaubatie estime également que le militantisme des TERFs contre les droits des personnes trans relève d'un « conflit entre populations dominées : parce qu'elles sont opprimées, certaines féministes se sentent aisément menacées et s'en prennent à d'autres femmes - ici, les femmes trans - plutôt qu'aux réels oppresseurs. »[81].
En août 2022, une affiche du Planning familial présentant un homme trans enceint déclenche de vives critiques de la part de l'extrême-droite[82]. Plusieurs militantes TERF, comme Marguerite Stern et Dora Moutot, s'y opposent également. Les deux militantes signent dans Marianne une tribune adressée à la première ministre Élisabeth Borne pour « alerter [sur] la dérive idéologique » du Planning familial[83]. Elles sont ensuite reçues à l'Assemblée nationale par la présidente de la majorité LREM, Aurore Bergé[83].
En octobre 2022, Dora Moutot s'oppose à Marie Cau lors d'une émission sur France 2[84], la décrivant comme « un homme transféminin » et suscitant des critiques de la part des autres intervenants. Marie Cau dépose plainte pour « injures publiques envers une personne à raison de son identité de genre ». Cette plainte est soutenue par les associations STOP Homophobie et Mousse[84]. En réponse, une trentaine de personnalités signent une tribune dans Marianne en soutien à Dora Moutot[84].
Plusieurs médias, comme Arrêt sur images[83], Mediapart[85] ou Libération[82], mettent en avant la proximité idéologique, et parfois personnelle, de militantes TERF avec des mouvements conservateurs ou d'extrême-droite, qui partagent un combat commun contre les droits des personnes trans. C'est le cas notamment de l'Observatoire de la petite sirène ou de l'association Ypomoni[85].
En avril 2023, une conférence de Marguerite Stern prévue au Château des Ducs de Bretagne à Nantes est annulée sous la pression d'élus et des menaces de militants de venir perturber la conférence[86].
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