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capacité d'une bactérie à résister aux antibiotiques De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La résistance aux antibiotiques ou antibiorésistance est la capacité d'une bactérie à résister aux effets des antibiotiques. C'est l'une des formes de la pharmacorésistance, différente du phénomène de tolérance aux antibiotiques.
La sélection naturelle a doté les bactéries de mécanismes de résistance ou d'adaptation face à certains stress (rayonnement UV, chaleur, froid, etc.) et face à des molécules toxiques auxquelles elles sont confrontées dans leur environnement (métaux lourds, substances antibiotiques sécrétées par des animaux, plantes, bactéries ou champignons pour leur propre défense, etc.). Or, la plupart des médicaments antibiotiques proviennent de ces mêmes plantes, bactéries ou champignons ou s'en inspirent. Des biocides synthétiques industriels et agroindustriels suscitent aussi des résistances virales et bactériennes susceptibles d'affecter l'agriculture (culture de plantes ou de champignons), la santé animale (santé des animaux sauvages, d'élevage, d'aquaculture ou domestiques) et la santé publique[1].
On suppose que l'adaptation naît généralement de mutations génétiques aléatoires, ou fait suite à des échanges de gènes de résistance entre des bactéries (transformation génétique, transduction). La résistance provient souvent d'une perméabilité cellulaire sélectivement renforcée pour l'antibiotique, d'une activité enzymatique détruisant la molécule biocide, ou encore de l'entrée dans une phase de sporulation du microorganisme. Certaines bactéries stressées échangent spontanément des gènes de résistances avec d'autres bactéries proches (échanges dits « horizontaux », car ne nécessitant pas de transmission descendante de mère à fille). L'acquisition de cette résistance apparaît en général une dizaine d'années après l'introduction de l'antibiotique[2].
Il existe plusieurs niveaux de résistance aux antibiotiques : résistance naturelle (systématique), résistance habituelle ou courante, multirésistance (BMR : bactéries multirésistantes aux antibiotiques, porteuses de plusieurs gènes de résistance pour différents antibiotiques), haute résistance (BHR : bactéries hautement résistantes), ultra-résistance (BUR) et pan-résistance ou toto-résistance (BPR ou BTR).
La généralisation d'une résistance au sein d'une population de bactéries s'explique souvent par une exposition prolongée de cette population à l'antibiotique. La forte consommation humaine et vétérinaire d'antibiotiques en France en fait l'un des pays les plus touchés par l'antibiorésistance[3].
Selon un rapport AESA-ECDC publié début 2016, l'antibiorésistance tue environ 25 000 personnes par an en Europe, et un grand nombre de volailles sont encore, en 2015, contaminées par des antibiotiques et porteuses de bactéries résistantes (poulets et dindes étant les plus concernés)[4],[5]. Les antibiorésistances sont de plus en plus fréquentes, dont en milieu d'élevage et dans l'environnement hospitalier[6].
Le romancier Alphonse Allais avait imaginé en 1893 dans L'anti-filtre du Captain Cap que la sélection naturelle empêcherait un jour la destruction des microbes à force de les combattre[7]. De fait, des antibiorésistances ont été identifiées dès les années 1940[8], mais comme de nouveaux antibiotiques étaient alors régulièrement découverts, à un rythme soutenu, l'antibiorésistance n'a pas, dans ce premier temps, attiré l'attention du public ou de l'industrie pharmaceutique. Le tableau suivant indique les dates d'introduction des grandes familles d'antibiotiques dans l'arsenal thérapeutique et les dates d'apparition des premières résistances sur des souches cliniques[9].
Antibiotique | Année d'introduction | Apparition des premières résistances |
---|---|---|
Sulfamides | 1936 | 1940 |
Pénicilline G | 1943 | 1946 |
Streptomycine | 1943 | 1959 |
Chloramphénicol | 1947 | 1959 |
Tétracycline | 1948 | 1953 |
Erythromycine | 1952 | 1988 |
Ampicilline | 1961 | 1973 |
Ciprofloxacine[10] | 1987 | 2006 |
À la fin du XXe siècle, le consensus existait sur le fait que les impacts de l'usage excessif d'antibiotiques, aggravés par la rareté des nouveaux médicaments mis sur le marché, pouvaient induire un risque de crise sanitaire mondiale à moyen ou à long terme pour certaines maladies[8].
Si l'utilisation abusive de médicaments en médecine humaine ne fait plus de doute, le recours à de grandes quantités d'antibiotiques dans l'alimentation animale et l'agriculture est une cause d'antibiorésistance passée longtemps inaperçue. Des antibiotiques sont massivement utilisés, et de manière moins réglementée, par des éleveurs, pisciculteurs, agriculteurs et arboriculteurs en actions thérapeutique et prophylactique, et de façon plus controversée comme facteurs de croissance et de gain de masse corporelle[8].
Il existe un double risque de transmission croissante de bactéries résistantes aux éleveurs et aux consommateurs de viande via la chaîne alimentaire[8]. Les épandages de lisiers et fumiers contenant des microbes devenus résistants aux antibiotiques pourraient ainsi également poser des problèmes écoépidémiologiques et de santé publique.
L'OMS a officiellement invité (en 2003) les éleveurs à ne pas utiliser d'antibiotiques comme facteurs de croissance et à en user prudemment en thérapeutique[11], mais c'est dans l'Union européenne que la question a d'abord été évoquée et que la réglementation a commencé à freiner cette tendance[12], avec notamment cinq promoteurs de croissance (zinc bacitracine, spiramycine, tylosine, virginiamycine et olaquindox) interdits dans l'alimentation animale dans l'UE à partir de 1999[13]. Des moyens d'analyser plus vite et à moindre coût ces produits dans l'alimentation animale et la viande sont à l'étude[13].
La résistance croisée contre des biocides à large spectre et des agents antimicrobiens (dont ceux ciblant la paroi cellulaire et la membrane cellulaire des bactéries) est considérée par l'OIE comme une question émergente[1].
Dans les années 2010, diverses campagnes de sensibilisation ont été menées. L'OMS a publié en 2014 un nouveau rapport[14] sur l'antibiorésistance dans 114 pays, montrant que le monde entier est déjà touché et que la menace est grave pour la santé publique. Le grand public comprend encore mal le phénomène et le sous-estime : en 2015, selon l'OMS, seul un quart des pays ont un plan en cours et les moyens de lutter contre ce phénomène manquent dans tous les pays[15]. Une enquête OMS réalisée auprès de 10 000 personnes dans douze pays[16] révèle que 75 % des sondés croient, à tort, que c'est notre organisme qui devient résistant à l'antibiotique, et non le microbe ; 66 % pensent que seuls ceux qui ne prennent pas correctement pas leur traitement risquent d'être infectés par un microbe antibiorésistant ; 44 % pensent que seuls ceux qui prennent régulièrement des antibiotiques risquent une telle infection. Pire, 32 % estiment qu'un patient peut interrompre son traitement dès lors qu'il se sent mieux, et 64 % pensent que la recherche trouvera une solution « avant que le problème ne devienne trop grave »[17].
Les biologistes évolutionnistes (et l'expérience) ont montré que les hautes-doses d'antibiotiques (outre qu'elles ont souvent des effets toxiques et écotoxiques) ne peuvent pas réellement aider à longtemps prévenir le développement de l'antibiorésistance[18]. Des chimistes de l'Université de Harvard estiment pouvoir encore créer et utiliser de nouvelles variations de la classe déjà très utilisée d'antibiotiques macrolides[18].
L'OMS a validé en mai 2015 un « plan d'action contre la résistance aux antibiotiques et aux autres médicaments antimicrobiens » puis a lancé (en novembre 2015) la première « semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques », mais pour Keiji Fukuda (Sous-Directeur général OMS pour la sécurité sanitaire), « le monde risque de sombrer dans une ère post-antibiotiques : le moment est venu de prendre des mesures énergiques »[19].
En 2016, l'économiste anglais Jim O'Neill propose au gouvernement britannique [20] neuf grandes pistes d'interventions contre l'antibiorésistance, passant notamment par de nouvelles pratiques en matière d'étiquetage de la viande, et 1 milliard de dollars d'incitations pour les sociétés pharmaceutiques[21] car, selon une étude prospective, l'antibiorésistance pourrait être responsable en 2050 d'environ 10 millions de morts par an mondialement, soit plus que le cancer (8,5 millions de morts/an en 2050)[22].
La résistance aux antibiotiques est aussi ancienne que les antibiotiques eux-mêmes. Elle est pour partie antérieure à leur utilisation par l'Homme.
Les molécules antibiotiques actuelles sont en effet souvent issues des micro-organismes (fongiques par exemple) qui doivent depuis des millions d'années se défendre contre les bactéries. De nombreux antibiotiques sont synthétisés par des bactéries de la famille des actynomycètes, comme la streptomycine qui est produite par Streptomyces griseus. Il s'ensuit deux phénomènes :
De manière générale, la résistance aux antibiotiques résulte donc d'une évolution par sélection naturelle, les antibiotiques exerçant une pression sélective très forte, en éliminant les bactéries sensibles[25]. Les bactéries présentant une mutation leur permettant d'y survivre continuent à se reproduire, en transmettant à leur descendance leurs gènes de résistance, produisant rapidement une génération de bactéries pleinement ou majoritairement résistantes.
L'utilisation massive d'antibiotiques dans le monde, depuis la seconde moitié du XXe siècle, a exposé un grand nombre de bactéries, pathogènes notamment, à des antibiotiques[26], en causant des maladies nosocomiales, partout dans le monde. Un phénomène d'augmentation du résistome (ensemble des gènes de résistance trouvés dans un organisme[27],[28],[29],[30]) est constaté. Il a plusieurs raisons démontrées, toutes liées à des modalités inappropriées d'utilisation des antibiotiques, qui influent fortement sur le nombre de souches d'organismes devenant résistants. Parmi les raisons bien connues figurent :
Ils sont utilisés comme pesticides phytopharmaceutiques pulvérisés sur des plantes. Des antibiotiques ont ainsi été dispersés et le sont encore en 2019 dans certains pays (Floride aux États-Unis, par exemple) par dizaines de milliers de tonnes sur les arbres de vergers (vergers de pommiers et d'agrumes. Ces antibiotiques visaient par exemple la bactérie responsable du feu bactérien ou le champignon de la moisissure verte.
Ces conditions d'utilisation sont particulièrement propice à la dispersion rapide et étendue de l'antibiotique dans la nature. De même pour les microbes résistants aisément dispersés par le vent, les pollinisateurs et autres insectes, les oiseaux et autres animaux, ainsi que par le ruissellement. Les cultures florales sont aussi concernées ; par exemple aux Pays-Bas un antibiotique fongicide a été recommandé contre la brûlure de la tulipe en plein air ; il a induit chez l'Homme une hausse de l'aspergillose, devenue résistante aux traitements chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli.
La pulvérisation directe, puis la dispersion de résidus d'antibiotiques et de microbes résistants dans l'environnement (via les eaux usées, l'urine et les excréments ou les cadavres d'animaux et d'humains traités) a aggravé le phénomène. Ainsi trouve-t-on dans les milieux aquatiques situés à proximité de zones d'élevage et d'hôpitaux un nombre plus élevé de microbes devenus antibiorésistants (dont en France)[6].
Cet usage a été massif dans les élevages industriels (ex : porcs, bovins, volailles ou encore saumons d'élevage). Ces élevages par nature concentrationnaires sont propices à l'apparition et à la diffusion de zoonoses transmissibles à l'homme et/ou à d'autres animaux.
L'utilisation abusive par l'élevage intensif d'antibiotiques comme facteur de croissance, en complément éventuellement de traitements hormonaux, chez des animaux d'élevage est régulièrement dénoncé : « Ce réservoir de résistance peut être transmis directement ou indirectement à l'homme par la consommation d'aliments et par contact direct ou indirect. Les bactéries antibiorésistantes peuvent avoir des effets graves sur la santé, directement ou via la transmission de facteurs de résistance à des agents pathogènes, provoquant des maladies difficiles à traiter, avec par conséquent des taux de morbidité et de mortalité plus élevés. De plus, la sélection et la prolifération de souches résistantes aux antibiotiques peuvent être disséminées dans l'environnement via les déchets animaux, améliorant ainsi le réservoir de résistance existant dans le microbiome environnemental »[31].
Des chercheurs dénoncent et mesurent depuis les années 1970 ces excès[32] (volailles[33], porcs[34]) ou des cultivateurs, par exemple en complément alimentaire pour une croissance accélérée des animaux d'élevage[35].
Dès les années 1980 on a montré que ces antibiotiques pouvaient affecter les éleveurs et les consommateurs[36], notamment en favorisant des souches de bactéries antibiorésistantes[37],[38], les animaux de ferme pouvant alors devenir des réservoirs de bactéries résistantes[39] ;
Un usage inutile (ex : prescription d'antibiotiques inutiles contre des maladies virales) ou imprudent d'antibiotiques à large spectre, comme la deuxième et troisième génération de céphalosporine, a entraîné une résistance à la méticilline, même pour des organismes n'ayant jamais été directement exposés à la pression sélective de la méticilline.
Les prescriptions de précaution, des diagnostics incorrects (suivis d'antibiothérapies inutiles) et parfois l'utilisation inappropriée d'antibiotiques par les patients eux-mêmes ont exacerbé le phénomène ;
Des usages industriels et domestiques, de produits chimiquement proches ou identiques à certains antibiotiques ou désinfectants médicaux et vétérinaires ont entretenu des réservoirs de microbes et de gènes d'antibiorésistance, contribuant à généraliser l'antibiorésistance.
Le transport des biens, aliments, animaux et personnes dans le monde s'est intensifié. Il s'est aussi fortement accéléré. Ceci favorise une dispersion de souches antibiorésistantes dans les communautés humaines et dans la nature, dans les élevages. Ceci favorise aussi les passages de l'animal à l'Homme et inversement[1] (des transferts d'antibiorésistance à l'homme se font par proximité avec l'animal, mais aussi directement via certains aliments[1]).
En 2015 une étude[40] a montré que des herbicides chimiques, notamment le glyphosate, peuvent, en présence de certains antibiotiques, favoriser des phénomènes d’antibiorésistances (éventuellement chez des pathogènes alimentaires)[41]. De même pour l’acide salicylique (moléculairement proche de certains herbicides)[42],[43],[44],[45],[46]. Les auteurs précisent que « la concentration en herbicide nécessaire pour induire une réponse détectable aux antibiotiques était inférieure à la concentration spécifiée pour l'application de ces herbicides par les étiquettes »[40]. Ils soulignent que « des expositions environnementales suffisantes se produisent donc dans les milieux urbains et agricoles, ainsi potentiellement que dans les voies navigables » ou les cours d'eau où des résidus d'antibiotiques[47] et des herbicides sont fréquemment détectés, ce qui pourrait créer des conditions permettant une réponse altérée des bactéries aux antibiotiques, induite par l'exposition à des herbicides[40]. Parmi les insectes, l'abeille domestique, dont les ruches sont prophylactiquement traitées par des antibiotiques[48], est directement concernée[40]. De plus, un effet synergique a été constaté chez des bactéries expérimentalement exposées à 2 différents facteurs promouvant son antibiorésistance (ex : acide salicylique + Dicamba) ; les auteurs n’excluent donc pas un effet additif des diverses substances ingérées (effet que le protocole de cette étude ne prévoyait pas d’évaluer)[40]. Cette situation peut se présenter en cas d'épandage agricoles (« en présence de ces herbicides, une concentration donnée d’un antibiotique peut donc s’avérer assez élevée pour permettre l’émergence de résistances »[40]), alors que les fumiers et lisiers contiennent de nombreux résidus d’antibiotiques et des pathogènes antibiorésistants[49] et que les taux d’herbicides qui se sont expérimentalement montrés suffisants pour modifier le MIC sont de l’ordre de celles retrouvées dans un tel environnement[40]. Les auteurs s'inquiètent aussi du fait que du glyphosate ou ses résidus sont fréquemment trouvés dans le corps humain ou d'animaux[50]. Ils alertent enfin sur le fait que l'utilisation croisée de certains herbicides et d'antibiotiques dans l'environnement d'animaux de ferme et d'insectes tels que les abeilles pourrait aussi compromettre leurs effets thérapeutiques et secondairement conduire à une utilisation croissante d'antibiotiques[40].
Le résistome est la part des gènes présents dans le microbiote qui rend certains microbes résistants à au moins un antibiotique.
L'observation, en 2009, d'une tribu de chasseurs-cueilleurs Yanomami de la jungle amazonienne interroge la recherche sur le microbiome et le résistome. Cette étude a amené deux découvertes :
La résistance aux antibiotiques est issue d'un ensemble de mécanismes (non exclusifs) :
La résistance des bactéries aux antibiotiques peut être innée (par exemple les pompes d'efflux des bactéries Gram négatives empêchent naturellement l'action de certains antibiotiques comme le linézolide[66]) ou acquise à la suite d'une pression de sélection[67].
Parmi les mécanismes d'acquisition de résistance, les bactéries peuvent s'adapter à la toxicité d'un antibiotique via des mutations ponctuelles (erreur de réplication conférant un avantage sélectif) ou via un transfert horizontal de gènes (transfert de plasmide ou de transposon). Par exemple, la résistance aux β-lactamines est due à une β-lactamase qui hydrolyse la pénicilline et la céphalosporine. La résistance à de nouveaux antibiotiques de type β-lactamine est principalement due à des mutations au sein des β-lactamases augmentant leur spectre de substrat. La résistance est également associée avec une amplification génique conférant la résistance aux antibiotiques.
La sporulation ou encore la création de biofilms résistants aux antibiotiques et parfois à de nombreux agents nettoyants sont d'autres stratégies, maintenant considérées comme mécanisme de résistance intrinsèque résultant de physiologique (phénotypique) d'adaptation des cellules[68].
Si l'émergence de mécanismes moléculaires de résistance est une étape cruciale, puisqu'elle constitue la naissance d'une nouvelle souche bactérienne résistante, son poids est faible si l'on s'intéresse à la dynamique d'épidémies de bactéries résistantes aux antibiotiques. En effet, le principal impact de l'exposition aux antibiotiques au niveau des microbiotes est d'accélérer la décolonisation naturelle des bactéries sensibles comparativement aux bactéries résistantes. Il en résulte une relative vacuité de la niche populationnelle occupée par les bactéries sensibles et une dissémination relativement plus importante des bactéries résistantes[69].
En 2017, l'Organisation Mondiale de la Santé a établi une liste des pathogènes sur lesquels les chercheurs doivent concentrer leurs efforts. Les pathogènes les plus critiques sont Acinetobacter baumannii, Pseudomonas aeruginosa et la classe des entérobactéries (comme Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae), car de plus en plus de ces souches deviennent résistantes aux carbapénèmes, des antibiotiques de la famille des béta-lactamines utilisés en dernier recours[76].
L'Organisation mondiale de la Santé exploite plusieurs bases de données sur la quantité d'antibiotique utilisée dans le monde, sur l'antibiorésistance, et sur les contre-mesures, alimentées par les autorités sanitaires des pays membres.
Depuis que les antibiotiques sont utilisés à grande échelle, comme pour la résistance aux pesticides, la pharmacorésistance augmente dans le monde et devient préoccupante, en dépit (ou à cause) d'un « arsenal chimique » croissant mal utilisé. Selon l'article introductif d'un numéro spécial (2018) de la revue Science consacré au sujet, « (...)nous nous trouvons au carrefour d'une accélération alarmante de la résistance aux antibiotiques, aux insecticides et aux herbicides (…) face au dilemme sociologique de l’augmentation de la résistance aux pesticides (…) Nous devons de toute urgence revoir notre dépendance aux produits chimiques pour assurer notre sécurité médicale et alimentaire future ». Des microbes s'adaptent même à des trithérapies ; ces mutations peuvent se diffuser d'autant plus vite qu'elles apparaissent chez des organismes se reproduisant rapidement et massivement (ex. : microbe, moustique…), alors que leurs prédateurs (ceux des moustiques vecteurs par exemple) ont une stratégie de reproduction plus lente qui les dessert s'ils sont aussi victimes de la toxicité des produits. De plus, la croissance accélérée des échanges mondiaux exacerbe la diffusion d'espèces résistantes qui, hors de leurs régions d'origine, peuvent aussi devenir « invasives ». La résistance des champignons pathogènes aux antifongiques pose un défi supplémentaire en raison du faible nombre de molécules efficaces en milieux agricole et médical. Une « mauvaise utilisation » des biocides chimiques peut accélérer ou aggraver ces résistances, avec d'importants dommages collatéraux « généralisés aux systèmes naturels, sociaux et économiques ». Selon les auteurs : « L'évolution contournera toujours l'attaque frontale par de nouveaux biocides, et nous ne pourrons peut-être pas inventer tous les nouveaux produits dont nous avons besoin ». Nous devons donc nous aussi « exploiter les mécanismes de l’évolution pour trouver des moyens plus intelligents de minimiser l'érosion de la susceptibilité chimique ». D'autres moyens de gérer les agents pathogènes et ravageurs sont à mobiliser. Il faut une réglementation rigoureuse, cohérente et respectée des prescriptions et usages de biocides/antibiotiques (médicaux et vétérinaires), associée à des mesures d'hygiène, à des barrières physiques aux ravageurs des cultures, etc. Enfin, il est nécessaire d'aborder les questions de détoxication et bioremédiation des environnements pollués par les biocides (dont certains ne sont pas biodégradables et posent des problèmes en s'accumulant et en générant de nouvelles résistances) [77].
Selon le CEPMC et le CDC, la résistance aux antibiotiques cause 700 000 morts par an dans le monde[78] : 25 000 morts en Europe en 2007[79], et plus de 23 000 aux États-Unis en 2013[79], entraînant également, sur la même période, un coût de 1,5 milliard d'euros en Europe[79] et de 20 milliards aux États-Unis[79],[80]. Une commission d'experts crée par le premier ministre britannique estime à 700 000 morts dans le monde pour l'année 2014 (estimation la plus basse)[81] ; elle a fait deux projections de scénario pour 2014-2050[81] :
300 millions de personnes décéderaient alors prématurément d'ici 2050 et le coût économique sur ces trente-cinq années serait compris entre 60 et 100 billions de dollars[82],[83],[84].
Une étude systématique (2022) a dénombré, pour 2019 dans 204 pays et territoires [85] 1,27 million de décès directement dus à l'antibiorésistance (près de deux fois plus que par le paludisme) ;
En 2024, selon une étude de modélisation parue dans The Lancet, les décès d'enfants de moins de cinq ans attribuables directement à l'antibiorésistance ont fortement diminués depuis trente ans. Par contre la résistance aux antibiotiques pourrait causer 1,91 million de morts par an dans le monde d'ici 2050, soit un total de 39 millions de morts d'ici 2050, soit une augmentation de 70 % pour ce type de décès, en particulier pour les séniors de plus de 70 ans[86].
Un « Système de surveillance de la résistance aux antimicrobiens » (EARSS) existe depuis 1999 pour sept bactéries pathogènes pour l’homme et dont la résistance aux antibiotiques est en progression (Streptococcus pneumoniae, Staphylococcus aureus, Enterococcus faecalis[71], Enterococcus faecium[71], Escherichia coli, Klebsiella pneumonia et Pseudomonas aeruginosa), ainsi que pour 20 combinaisons germe/antibactérien. Il analyse les cas, et assiste les plans de surveillance nationaux pour notamment adapter les thérapeutiques aux contextes locaux. E. coli semble de plus en plus résistante, dans toute l’Europe, notamment aux aminopénicillines (de 32 à 78 % des bactéries y résistent selon les pays de l' UE et ce taux continue à croître dans les années 2000). La résistance aux quinolones gagne aussi du terrain, et plus vite que pour tous les autres couples bactérie/antibactérien suivis par l'EARSS. Un recul des résistances des staphylocoques dorés à la méticilline est néanmoins observé[87].
En 2018 une étude du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies comptabilise 672 000 infections à bactéries antibiorésistantes en 2015, à l'origine d'environ 33 000 décès, soit plus du double des infections et des décès de 2007. En ce qui concerne les années de vie ajustées sur l'incapacité, la perte est de presque 900 000, soit autant que pour la grippe, la tuberculose et le sida réunis. Le recul des infections à staphylocoque doré résistant (et de quelques autres) est ainsi largement compensé par le développement d'autres infections, notamment celles dues à des bactéries ultrarésistantes émergentes et aux entérobactéries résistantes aux céphalosporines de troisième génération[88],[89].
En 2019, selon une étude du CEPMC, « en France, l'antibiorésistance est la cause de 5 543 décès par an chez des patients atteints d'infections à Bactéries Résistantes, et 124 806 patients développent une infection liée à une bactérie résistante »[78],[86].
La France compte parmi les pays les plus consommateurs de médicaments, et l'agriculture et l'élevage[90] y tiennent une place très importante.
L'antibiorésistance y est devenue un problème majeur en santé humaine et animale, avec l'émergence et la diffusion croissante de souches de bactéries de plus en plus résistantes aux antibiotiques[3]. Des émergences conduisent à des impasses thérapeutiques, ou à des situations dramatiques dans le traitement de certaines infections graves : au début du XXIe siècle, « (...) la France détient, en Europe, le record du taux de résistance aux antibiotiques, soit 50 % pour la pénicilline et 28 % pour la méticilline utilisées respectivement contre le pneumocoque et le staphylocoque doré, qui constituent les principales bactéries à l'origine des infections nosocomiales[91]. » Cette résistance aux antibiotiques croît vite. Dans la dernière étude, « la fréquence des résistances des germes isolés à certains antibiotiques était particulièrement élevée : 64 % des Staphylococcus aureus étaient résistants à la méticilline. Lors de l'enquête en 1996, cette fréquence était de 57 %. (...) Lors de l'enquête, un patient hospitalisé sur 6 recevait un antibiotique ; la large utilisation de certains antibiotiques (fluoroquinolones) fait craindre le développement encore accru de résistances. »
C'« est un des sujets les plus préoccupants en médecine actuellement puisqu'elle (l'antibiorésistance) s'est développée très rapidement (ces dernières décennies) de par le monde et qu'aucune classe nouvelle d'antibiotique n'est attendue dans les prochaines années[92]. » Les sensibilités aux antibiotiques des bactéries avaient les caractéristiques suivantes :
La plupart des pathogènes pour les humains ont un réservoir ou une origine chez les animaux, et la promiscuité ainsi que l'absence de diversité génétique des élevages industriels intensifs offrent des conditions idéales à l'apparition rapide et à la diffusion de pathogènes antibiorésistants. De même qu'avec le rapprochement OMS-OIE au niveau de l'ONU, l'épidémiologie humaine tend à se rapprocher des sciences vétérinaires et de l'éco-épidémiologie[94].
La résistance aux antibiotiques étant un problème de santé publique, il est particulièrement important de pouvoir la mesurer. Les médecins doivent savoir quels antibiotiques utiliser pour traiter une infection bactérienne et les chercheurs doivent pouvoir suivre le développement de nouvelles résistances. La mesure du niveau de résistance des bactéries est donc une technique de routine pratiquée par les labos de recherche ou les hôpitaux. Plusieurs techniques sont disponibles.
Un antibiogramme est une technique de laboratoire visant à tester la sensibilité d'une souche bactérienne vis-à-vis d'un ou plusieurs antibiotiques supposés ou connus.
Le principe consiste à placer la culture de bactéries en présence d’un ou plusieurs antibiotiques et à observer les conséquences sur le développement et la survie de celle-ci.
Différentes techniques permettent d'identifier la concentration minimum d’inhibition ou CMI, la plus petite concentration d'antibiotique capable d’empêcher les bactéries de pousser[107].
La méthode de diffusion par disque, méthode semi-quantitative, est basée sur la diffusion de l'antibiotique dans une gélose de culture sur laquelle pousse les bactéries. On dépose un petit disque de papier imprégné de l'antibiotique à tester sur la gélose où les bactéries sont étalées, puis, lorsque les bactéries ont poussé il est possible d'observer le résultat sont la forme de zone d'inhibition autour du disque où la bactérie n'a pas pu pousser si elle est sensible à cet antibiotique. Il existe trois types d'interprétation selon le diamètre du cercle qui entoure le disque d'antibiotique : souche ou bactérie sensible, intermédiaire ou résistante.
La méthode par dilution, méthode quantitative, est basée sur la dilution de l'antibiotique à tester. Les bactéries sont mises à pousser dans des petits puits en plastique en présence de concentration décroissante d'antibiotique. Lorsque les bactéries ont poussé, on identifie le dernier puits qui contient des bactéries, il s'agit de la plus haute concentration d'antibiotique dans laquelle les bactéries sont capables de pousser.
L'E-test est une méthode proche de la méthode des disques, mais où une bande de papier est inhibée d'une concentration croissante et connue d'antibiotique. On mesure jusqu'à quel niveau de la bande les bactéries sont capables de pousser.
Les solutions alternatives à l'antibiothérapie demeurent des solutions préventives, complémentaires ou des solutions « de niche ». L'« ère post-antibiotique » n'est en effet pas encore arrivée car les antibiotiques restent le traitement privilégié en raison de leur large diffusion compartimentale, de leur puissante activité bactériostatique, voire bactéricide, de leur spectre d'activité (étroit/large) et des faibles coûts de production par rapport aux biothérapies[108].
La mise en isolement des patients porteurs de bacilles multirésistants, avec mesures strictes d'hygiène, fait partie du traitement de base de ces infections.
Le renforcement des techniques d'hygiène, telles que l'utilisation de matériaux à usage unique, le lavage des mains itératif suivant des protocoles bien établis ou l'utilisation de solutions hydro-alcooliques, permettent une moindre dissémination de ces germes.
Bien qu'inefficaces contre les maladies d'origine virale, les antibiotiques continuent d'être prescrits massivement dans des cas pour lesquels des traitements antiviraux seraient plus appropriés.
En France, les campagnes du Ministère de la Santé et de l'Assurance Maladie, « Les antibiotiques, c'est pas automatique », ont commencé à faire des effets, mais n'ont pas encore permis une réduction très forte de ces prescriptions inutiles et nuisibles[réf. nécessaire].
Les vaccins ne présentent pas de résistance au sens où on l'entend avec les antibiotiques. Alors que théoriquement prometteurs, les vaccins anti-staphylocoques ont montré des limites d'efficacité à cause des variations génétiques chez les espèces de Staphylococcus et la durée limitée d'efficacité des anticorps produits. Le développement et le test de vaccins plus efficaces sont en cours.
Procédé proche de la vaccination, l'immunisation passive consiste à administrer des anticorps dirigés contre les micro-organismes infectieux[109].
La thérapie génique est une alternative plus récente qui pourrait résoudre les problèmes de résistance.[Comment ?]
La phagothérapie est l'utilisation de bactériophages (ou phages) lytiques, virus n’attaquant que les bactéries, afin de lutter contre la prolifération de bactéries antibiorésistantes. La stratégie était utilisée avant la découverte des antibiotiques[110] et a été abandonnée au profit de l’antibiothérapie. Certains pays de l'ancienne Union soviétique ont maintenu une tradition de recherche et de production[111] : en 2017, plus d'un milliard de boîtes de solutions phagiques ont été vendues en Russie[112].
Depuis le milieu des années 1990, le développement des infections à bactéries multirésistantes et l’absence de nouveaux antibiotiques efficaces remet en selle la stratégie phagothérapeutique[113],[111]. La phagothérapie est soumise néanmoins à une Autorisation temporaire d'utilisation (ATU) de l'ANSM, dont la délivrance est difficile et rare.
Les enzybiotiques pourraient constituer une voie de recherche dérivée de la phagothérapie[114], qui a déjà montré une efficacité accrue dans le cas du Staphylocoque doré.
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